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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> LENA ATANASOVA v. BULGARIA - 52009/07 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fifth Section)) French Text [2017] ECHR 105 (26 January 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/105.html Cite as: CE:ECHR:2017:0126JUD005200907, ECLI:CE:ECHR:2017:0126JUD005200907, [2017] ECHR 105 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE LENA ATANASOVA c. BULGARIE
(Requête no 52009/07)
ARRÊT
STRASBOURG
26 janvier 2017
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Lena Atanasova c. Bulgarie,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Angelika Nußberger,
présidente,
Erik Møse,
Khanlar Hajiyev,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Milan Blaško, greffier
adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 janvier 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 52009/07) dirigée contre la République de Bulgarie et dont une ressortissante de cet État, Mme Lena Georgieva Atanasova (« la requérante »), a saisi la Cour le 15 novembre 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V. Obretenov, du ministère de la Justice.
3. La requérante se plaignait en particulier d’avoir été condamnée par défaut à l’issue d’une procédure pénale menée à son encontre et de ne pas avoir pu obtenir la réouverture de cette procédure.
4. Le 18 octobre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La requérante est née en 1967 et réside à Tarnene.
A. Les trois premières condamnations de la requérante
6. Par une décision définitive du 8 mai 2000, le tribunal de district de Stara Zagora approuva un accord passé entre le parquet et la requérante d’après lequel celle-ci reconnaissait les faits qui lui étaient reprochés dans le cadre d’une procédure pénale ouverte à son encontre et se voyait infliger une peine d’emprisonnement de dix mois avec sursis.
7. En 2001, à une date non communiquée, le tribunal de district de Sofia condamna la requérante à un an d’emprisonnement. Cette condamnation devint définitive le 28 février 2002.
8. Entre-temps, par un jugement du 3 septembre 2001, le tribunal de district de Pavlikeni avait reconnu la requérante coupable d’escroquerie sur dix-sept personnes et l’avait condamnée à trois ans et six mois d’emprisonnement. Sur la base des preuves recueillies, le tribunal de district établissait que, pendant la période comprise entre février et juin 1999, la requérante s’était fait passer pour une intermédiaire en recrutement auprès des victimes et avait obtenu différentes sommes d’argent de leur part contre la promesse de trouver, à celles-ci ou à leurs proches, un emploi en Espagne. Ce jugement devint définitif en décembre 2002.
9. Par la suite, le tribunal de district de Pavlikeni décida de cumuler la peine qu’il avait infligée à la requérante dans le cadre de cette procédure avec les peines que la requérante s’était vu infliger par les tribunaux de district de Stara Zagora et Sofia. La requérante purgea sa peine à la prison de Sliven et fut libérée le 25 août 2003.
B. La quatrième procédure pénale contre la requérante
10. Dans l’intervalle, une autre procédure pénale pour escroquerie avait été ouverte contre la requérante le 11 février 1999. La requérante n’ayant été retrouvée à aucune de ses adresses connues des autorités, cette procédure fut suspendue en décembre 2004. Les organes de l’enquête pénale lancèrent un avis de recherche au niveau national.
11. La requérante indique avoir appris par hasard l’existence de cette procédure pénale au début de l’année 2005 et s’être rendue de sa propre initiative, le 12 janvier 2005, au commissariat de police no 1 de Pleven (« le commissariat »).
12. Le Gouvernement expose que la requérante a été retrouvée et conduite au commissariat par les forces de l’ordre, sans pour autant préciser à quelle date et en quel endroit elle aurait été arrêtée.
13. D’après les pièces du dossier pénal, le 12 janvier 2005, un enquêteur du commissariat a informé la requérante de l’existence d’une enquête policière menée à son encontre depuis 1999 sur la plainte de deux particuliers, M.K. et R.I. Toujours selon ces documents, ceux-ci reprochaient à la requérante de leur avoir soustrait frauduleusement de l’argent contre la promesse, qualifiée de fallacieuse, de leur trouver un emploi en Espagne.
14. Le jour en question, la requérante prit connaissance des documents du dossier pénal. Interrogée par l’agent enquêteur, elle reconnut les faits reprochés et se dit prête à rembourser les sommes obtenues de M.K. et R.I. Elle expliqua avoir signalé à l’enquêteur en charge de l’affaire relative à la première procédure pénale pour escroquerie diligentée contre elle que ces deux personnes figuraient parmi les victimes. Ainsi, selon elle, sa condamnation précédente couvrait les faits susmentionnés et elle avait déjà purgé une peine d’emprisonnement. La requérante déclara encore qu’elle donnerait des explications détaillées devant les tribunaux à un stade ultérieur de la procédure.
15. Le 18 février 2005, la requérante fut de nouveau convoquée au commissariat. À cette occasion, les charges pesant à son encontre furent précisées et elle prit encore une fois connaissance des pièces du dossier. Le même jour, la requérante fut à nouveau interrogée par l’enquêteur : elle réitéra sa déposition du 12 janvier 2005, reconnut être coupable des faits reprochés, expliqua qu’elle exposerait davantage d’arguments devant le tribunal et se déclara prête à négocier les termes de sa condamnation avec le parquet. La requérante ne fut pas placée en détention et put quitter le commissariat.
16. La requérante affirme avoir laissé à l’enquêteur son adresse à Sofia, ainsi que son numéro de portable et le numéro de téléphone de son employeur à Sofia. Elle dit aussi avoir expliqué qu’elle passait ses week-ends chez son compagnon, un dénommé K.S.K., à Tarnene, un village situé à environ 12 kilomètres de Pleven.
17. Dans les procès-verbaux rédigés par l’enquêteur les 12 janvier et 18 février 2005, seuls une adresse postale à Sofia, un numéro de téléphone portable, mis à disposition par son employeur, et un numéro de téléphone fixe figuraient comme coordonnées de la requérante.
18. Ultérieurement, à une date non communiquée, le parquet de district de Pleven dressa un acte d’accusation à l’encontre de la requérante, pour des faits qui auraient été commis entre septembre et décembre 1998, et il saisit le tribunal de district de la même ville. La requérante se voyait reprocher d’avoir fait croire à M.K. et R.I. qu’elle leur trouverait un emploi en Espagne, en contrepartie de la somme de 682 660 anciens levs bulgares, et d’avoir ainsi escroqué ces personnes.
19. La première audience devant le tribunal de district de Pleven eut lieu le 15 juin 2005, en l’absence de la requérante. Le tribunal constata que cette dernière n’avait pas reçu la citation à comparaître parce qu’elle n’avait pas été retrouvée à son adresse à Sofia figurant dans l’acte d’accusation. Le tribunal ajourna l’audience et demanda à la municipalité de Sofia et à la direction régionale de la police de Pleven d’effectuer des recherches dans leurs bases de données afin d’établir les adresses actuelle et permanente de la requérante et de déterminer si celle-ci avait quitté le territoire du pays. Il fut également demandé au Service national de l’instruction et à la Direction nationale des établissements pénitentiaires d’établir si la requérante se trouvait dans un des établissements pénitentiaires placés sous leurs responsabilités respectives.
20. Par la suite, à trois reprises - le 25 octobre 2005, le 30 janvier 2006 et le 21 avril 2006 -, le tribunal de district de Pleven reporta l’audience pour cause d’absence de la requérante. Ces reports furent suivis de nouvelles démarches aux fins de localisation et de convocation de la requérante : les autorités cherchèrent à établir les autres adresses connues de la requérante et de la convoquer à celles-ci, les autorités pénitentiaires furent contactées afin d’établir si la requérante n’était pas emprisonnée ou détenue, les autorités chargées de la surveillance des postes de frontière furent sollicitées afin d’établir si la requérante n’avait pas quitté le pays. À l’issue de ces démarches, le tribunal constata que la requérante n’avait pas quitté le pays et qu’elle n’était pas détenue dans un établissement pénitentiaire. Il observa aussi que la requérante n’avait pas été retrouvée à une deuxième adresse connue à Sofia, ni à une autre adresse, à Troyan, qui figurait comme étant la sienne dans le registre de la population. Dans ces conditions, le tribunal de district décida de poursuivre la procédure pénale en l’absence de l’accusée, comme le lui permettait l’article 269, alinéa 3, point 1, du code de procédure pénale (CPP). Il commit un avocat d’office à la requérante.
21. À l’audience du 20 février 2007, le tribunal de district de Pleven interrogea les témoins et reçut un rapport d’expertise. L’avocate de la requérante ne posa aucune question aux témoins. Dans sa plaidoirie, elle admit que les faits reprochés à l’accusée étaient bien établis et qu’ils justifiaient l’imposition d’une peine d’emprisonnement ferme compte tenu de toutes les circonstances en l’espèce. Elle indiqua également que sa cliente n’avait pas fait obstruction à l’enquête pénale et elle pria le tribunal de lui imposer une peine clémente.
22. Par un jugement du même jour, le tribunal de district reconnut la requérante coupable des faits reprochés et la condamna à quatre ans d’emprisonnement. Aucun appel n’ayant été introduit dans les quinze jours suivant le prononcé du jugement, celui-ci devint définitif.
23. Le 11 mai 2007, statuant sur la proposition du parquet de district de Pleven, le tribunal de district de la même ville décida la confusion de cette peine avec celle déjà purgée par la requérante en 2003. En application de cette décision, la requérante devait purger effectivement une peine de dix mois d’emprisonnement.
C. L’arrestation de la requérante, son recours en réouverture de la procédure pénale et son séjour à la prison de Sliven
1. L’arrestation de la requérante et la demande de réouverture de la procédure pénale
24. Le 11 novembre 2006, la requérante donna naissance à une fille, à Pleven, qu’elle indique avoir allaitée. À cette époque, elle vivait chez son compagnon, à Tarnene.
25. Le 3 mai 2007, les autorités lancèrent un avis de recherche de la requérante au niveau national.
26. Aux dires de la requérante, le 23 mai 2007, deux agents de police se sont rendus à son domicile commun avec K.S.K., à Tarnene. Ils l’y auraient retrouvée, l’auraient informée de sa condamnation à une peine d’emprisonnement par un jugement définitif et l’auraient arrêtée pour l’amener à la prison de Sliven. La requérante fut conduite à cet établissement ce jour-là.
27. Le 13 juillet 2007, elle saisit la Cour suprême de cassation d’une demande de réouverture de la procédure pénale, en vertu de l’article 423, alinéa 1, du CPP, motivée par sa non-participation à l’examen de son affaire pénale.
28. Le 25 octobre 2007, la Cour suprême de cassation rejeta le recours de la requérante. La haute juridiction relevait que celle-ci avait été informée de l’existence de la procédure pénale en cause le 12 janvier 2005, puisqu’il s’agissait de la date à laquelle elle avait été interrogée par un policier enquêteur et avait reconnu les faits. Elle estimait que, dans ces circonstances, la requérante ne pouvait pas raisonnablement espérer que les poursuites fussent abandonnées. Elle observait que, au stade de l’examen de son affaire pénale par les tribunaux, la requérante n’avait pas été retrouvée à son adresse connue et que le tribunal de district de Pleven avait fait toutes les démarches nécessaires afin de la localiser et d’assurer sa comparution : elle notait ainsi qu’il avait été établi que la requérante n’était pas détenue dans un établissement pénitentiaire, qu’elle se trouvait sur le territoire du pays et qu’elle n’avait pas déclaré un changement d’adresse auprès de l’administration responsable du registre de la population. Selon la haute juridiction, tous ces éléments corroboraient la conclusion selon laquelle la requérante avait essayé de se soustraire à la justice. La Cour suprême de cassation en tirait la conclusion que l’accusée s’était elle-même mise dans l’impossibilité de participer à son procès pénal par son comportement fautif et qu’il y avait dès lors lieu de rejeter sa demande de réouverture de la procédure pénale.
2. Le séjour de la requérante à la prison de Sliven
29. Après l’incarcération de la requérante à la prison de Sliven, sa fille, alors âgée de six mois, resta avec son père et les autres proches de la requérante. Le régime pénitentiaire imposé à la requérante lui permettait un séjour à domicile pendant deux jours consécutifs tous les mois, ainsi que deux visites au parloir par mois. La requérante profitait de ces occasions pour rencontrer les membres de sa famille et pour s’occuper de sa fille mineure.
30. Le 30 mai 2007, elle demanda au procureur régional de Sliven de suspendre l’exécution de sa peine pour lui permettre d’élever sa fille. Sa demande fut rejetée le 22 juin 2007 au motif que l’enfant était élevée par son père et par les autres proches parents de la requérante. L’ordonnance du procureur régional fut confirmée par la suite par les procureurs hiérarchiquement supérieurs de celui-ci.
31. En août 2007, au cours d’un de ses séjours à domicile, la requérante fut hospitalisée dans un hôpital civil pour une crise de néphrolithiase (calculs rénaux). À son retour en prison, elle sollicita la suspension de l’exécution de sa peine pour des raisons médicales. Sa demande fut rejetée au motif que ses troubles de santé n’étaient pas une maladie grave et qu’elle pouvait recevoir un traitement à l’hôpital de Sliven ou à l’hôpital pénitentiaire de Sofia.
32. La requérante s’adressa à l’Agence pour la protection de l’enfant pour se plaindre de sa séparation d’avec son enfant mineure. Cette agence gouvernementale saisit la Direction nationale des établissements pénitentiaires. Par une lettre du 26 septembre 2007, le directeur général de cette dernière informa l’agence susmentionnée et la requérante des résultats d’une enquête menée par ses services, exposés comme suit : la requérante bénéficiait régulièrement de séjours à domicile et de visites au parloir et elle pouvait ainsi entretenir des relations avec sa fille ; l’enfant vivait avec son père et était élevée par celui-ci ; et la requérante pouvait demander auprès de l’administration pénitentiaire que son enfant fût admise à la crèche de la prison de Sliven.
33. En octobre 2007, la requérante demanda à nouveau la suspension de l’exécution de sa peine pour pouvoir s’occuper de son enfant et, à titre subsidiaire, sa libération anticipée. Le 5 novembre 2007, le procureur régional de Sliven rejeta sa demande. Il relevait que la requérante bénéficiait régulièrement de séjours à domicile, que l’enfant était élevée par son père et que la requérante avait omis de demander l’admission de sa fille à la crèche de la prison de Sliven. Il estimait qu’il n’y avait pas non plus de circonstances justifiant la libération anticipée de la requérante.
34. Le 28 janvier 2008, la requérante bénéficia de la possibilité de travailler en prison. Elle fut libérée le 15 mars 2008.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
35. En vertu de l’article 269, alinéa 3, point 1 du code de procédure pénale (CPP), les tribunaux peuvent examiner une affaire pénale en l’absence de l’accusé si celui-ci n’est pas retrouvé à l’adresse indiquée par lui ou s’il a quitté celle-ci sans en aviser les autorités compétentes. Dans ces cas-là, les tribunaux sont tenus de commettre un défenseur d’office à l’accusé (article 94, alinéa 1, point 8 du CPP).
36. L’article 423, alinéa 1 du CPP, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, permettait à la personne condamnée par défaut de demander la réouverture de la procédure pénale si elle n’était pas au courant de l’existence d’une procédure pénale menée à son encontre. La demande devait être adressée à la Cour suprême de cassation, qui l’examinait en audience publique (article 424 du CPP). Si la haute juridiction décidait d’accueillir la demande, elle renvoyait l’affaire pour réexamen au stade auquel le procès par défaut avait commencé (article 425, alinéa 2 du CPP).
37. L’article 447 du CPP permet au procureur de suspendre temporairement l’exécution de la peine d’emprisonnement lorsqu’une détenue donne naissance à un enfant ou pour d’autres raisons d’ordre familial.
38. L’article 32, alinéa 2 de l’ancienne loi sur l’exécution des peines, en vigueur à l’époque des faits, permettait l’admission d’un enfant à la crèche de la prison où la mère de celui-ci purgeait sa peine d’emprisonnement.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
39. Invoquant les articles 5 et 6 de la Convention, la requérante se plaint d’avoir été condamnée par défaut et elle dénonce le rejet de son recours subséquent en réouverture de la procédure pénale.
40. La Cour estime qu’il y a lieu d’examiner ce grief uniquement sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, libellé comme suit dans sa partie pertinente en l’espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
A. Sur la recevabilité
41. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
42. La requérante allègue qu’elle n’a pas eu la possibilité de participer à son procès pénal pour escroquerie. Elle précise qu’elle a été condamnée par le tribunal de première instance par défaut et que, faute d’appel, sa condamnation est devenue définitive. Elle indique que la Cour suprême de cassation a rejeté sa demande de réouverture de ce procès. Elle estime qu’elle a été privée de son droit à un procès équitable.
43. Le Gouvernement conteste la thèse de la requérante. Il indique que, au début de l’année 2005, à la fin de l’enquête, la requérante a été interrogée et a reconnu les faits et qu’elle a donc été avertie à ce moment de l’existence de la procédure pénale à son encontre. Il considère que, dans ces circonstances, la requérante ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que les poursuites pénales fussent abandonnées. Le Gouvernement expose que la requérante n’a pas été retrouvée à ses adresses connues, et ce malgré de multiples tentatives des autorités d’assurer sa comparution, et qu’elle n’a ainsi pas pu participer au stade de l’examen de son affaire par les tribunaux. Il ajoute que, par conséquent, son procès a eu lieu en son absence et avec la participation d’un avocat commis d’office. Il indique en outre que, d’après la Cour suprême de cassation, la requérante s’était elle-même sciemment mise en situation de ne pas pouvoir participer à son procès, et il estime que la haute juridiction a refusé à juste titre de rouvrir la procédure pénale en cause. Le Gouvernement soutient enfin que la situation en cause s’analyse en une renonciation implicite au droit à un tribunal.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
44. Les principes généraux concernant le droit de prendre part à l’audience et le droit à un nouveau procès, ainsi que la renonciation au droit de comparaître, ont été résumés dans l’arrêt Sejdovic c. Italie ([GC], no 56581/00, §§ 81-88, CEDH 2006-II) :
« a) Droit de prendre part à l’audience et droit à un nouveau procès
81. Quoique non mentionnée en termes exprès au paragraphe 1 de l’article 6, la faculté pour l’« accusé » de prendre part à l’audience découle de l’objet et du but de l’ensemble de l’article. Du reste, les alinéas c), d) et e) du paragraphe 3 reconnaissent à « tout accusé » le droit à « se défendre lui-même », « interroger ou faire interroger les témoins » et « se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience », ce qui ne se conçoit guère sans sa présence (Colozza, précité, § 27, T. c. Italie, précité, § 26, F.C.B. c. Italie, précité, § 33 ; voir également Belziuk c. Pologne, 25 mars 1998, § 37, Recueil 1998-II).
82. Si une procédure se déroulant en l’absence du prévenu n’est pas en soi incompatible avec l’article 6 de la Convention, il demeure néanmoins qu’un déni de justice est constitué lorsqu’un individu condamné in absentia ne peut obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit, alors qu’il n’est pas établi qu’il a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre (Colozza, précité, § 29, Einhorn c. France (déc.), no 71555/01, § 33, CEDH 2001-XI, Krombach c. France, no 29731/96, § 85, CEDH 2001-II, et Somogyi c. Italie, no 67972/01, § 66, CEDH 2004-IV), ou qu’il a eu l’intention de se soustraire à la justice (Medenica, précité, § 55).
83. La Convention laisse aux États contractants une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leurs systèmes judiciaires de répondre aux exigences de l’article 6. Il appartient à la Cour de rechercher si le résultat voulu par la Convention se trouve atteint. En particulier, il faut que les moyens de procédure offerts par le droit et la pratique internes se révèlent effectifs si l’accusé n’a ni renoncé à comparaître et à se défendre ni eu l’intention de se soustraire à la justice (Somogyi, précité, § 67).
84. De plus, la Cour a estimé que l’obligation de garantir à l’accusé le droit d’être présent dans la salle d’audience - soit pendant la première procédure à son encontre, soit au cours d’un nouveau procès - est l’un des éléments essentiels de l’article 6 (Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, § 56, 24 mars 2005). Dès lors, le refus de rouvrir une procédure qui s’est déroulée par contumace en l’absence de toute indication que l’accusé avait renoncé à son droit de comparaître a été considéré comme un « flagrant déni de justice », ce qui correspond à la notion de procédure « manifestement contraire aux dispositions de l’article 6 ou aux principes qui y sont consacrés » (Stoichkov, précité, §§ 54-58).
85. La Cour a aussi estimé que la réouverture du délai d’appel contre la condamnation par contumace, avec la faculté, pour l’accusé, d’être présent à l’audience de deuxième instance et de demander la production de nouvelles preuves s’analysait en la possibilité d’une nouvelle décision sur le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit, ce qui permettait de conclure que, dans son ensemble, la procédure avait été équitable (Jones c. Royaume-Uni (déc.), no 30900/02, 9 septembre 2003).
b) Renonciation au droit de comparaître
86. Ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré aux garanties d’un procès équitable de manière expresse ou tacite (Kwiatkowska c. Italie (déc.), no 52868/99, 30 novembre 2000). Cependant, pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention, la renonciation au droit de prendre part à l’audience doit se trouver établie de manière non équivoque et s’entourer d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité (Poitrimol, précité, § 31). De plus, elle ne doit se heurter à aucun intérêt public important (Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 66, série A no 171-A).
87. La Cour a estimé que, lorsqu’il ne s’agissait pas d’un inculpé atteint par une notification à personne, la renonciation à comparaître et à se défendre ne pouvait pas être inférée de la simple qualité de « latitante », fondée sur une présomption dépourvue de base factuelle suffisante (Colozza, précité, § 28). Elle a également eu l’occasion de souligner qu’avant qu’un accusé puisse être considéré comme ayant implicitement renoncé, par son comportement, à un droit important sous l’angle de l’article 6 de la Convention, il doit être établi qu’il aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences du comportement en question (Jones, décision précitée).
88. Par ailleurs, il faut qu’il n’incombe pas à l’accusé de prouver qu’il n’entendait pas se dérober à la justice, ni que son absence s’expliquait par un cas de force majeure (Colozza, précité, § 30). En même temps, il est loisible aux autorités nationales d’évaluer si les excuses fournies par l’accusé pour justifier son absence étaient valables ou si les éléments versés au dossier permettaient de conclure que son absence était indépendante de sa volonté (Medenica, précité, § 57). »
b) Application de ces principes dans la présente espèce
45. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe que la requérante a été informée de l’existence de la procédure pénale en cause les 12 janvier et 18 février 2005. À ces deux dates, la requérante a été inculpée, elle a pris connaissance des documents du dossier pénal, elle a été interrogée et a reconnu les faits, et elle a déclaré qu’elle s’expliquerait à un stade ultérieur de la procédure devant les tribunaux (paragraphes 13-15 ci-dessus). Il s’ensuit que la requérante n’a pas explicitement renoncé à son droit de comparaître et de se défendre devant les tribunaux.
46. La Cour constate ensuite que la phase subséquente de la procédure pénale, à savoir l’examen des charges devant les tribunaux, s’est déroulée en l’absence de la requérante, qui n’avait pas été retrouvée à ses adresses figurant dans le registre de la population (paragraphes 19-22 ci-dessus). Après que la décision portant condamnation de la requérante fut devenue définitive, la requérante a intenté un recours en réouverture de la procédure, qui a été rejeté pour le motif qu’elle avait essayé de se soustraire à la justice (paragraphes 27 et 28 ci-dessus).
47. Dans ces conditions, la Cour estime que la question principale qui se pose en l’occurrence est de savoir s’il a été établi que la requérante a eu l’intention de se soustraire à la justice ou qu’elle avait renoncé de manière implicite à comparaître et à se défendre devant les tribunaux (paragraphe 44 ci-dessus).
48. À cet égard, la Cour constate tout d’abord que la procédure en cause n’était pas la première procédure pénale diligentée contre la requérante. En effet, celle-ci avait été condamnée à trois reprises, par trois tribunaux de district différents, y compris à l’issue d’une procédure simplifiée sur reconnaissance des faits (paragraphes 6-8 ci-dessus). Qui plus est, lors de ses interrogatoires des 12 janvier et 18 février 2005, la requérante a reconnu les faits qui lui étaient reprochés et s’est déclarée prête à s’engager dans une procédure de condamnation sur reconnaissance des faits (paragraphes 13-15 ci-dessus), qui aurait nécessairement impliqué une comparution devant les tribunaux. Par ailleurs, elle a déclaré qu’elle donnerait des explications détaillées devant les tribunaux (ibidem). Il s’ensuit que la requérante était déjà au courant à cette époque que son affaire serait très probablement portée devant les tribunaux. Étant donné qu’aucune mesure de contrôle judiciaire n’avait été prise à son encontre, elle pouvait donc raisonnablement s’attendre à être informée, par les autorités, de la suite de son affaire pénale à l’adresse de correspondance communiquée par elle.
49. À ce sujet, la Cour observe que la citation à comparaître établie dans la procédure en question n’a pas pu être remise à la requérante puisque celle-ci n’a pas été retrouvée à son adresse de correspondance à Sofia (paragraphe 19 ci-dessus). Par la suite, le tribunal de district de Pleven a entrepris plusieurs démarches aux fins de localisation de la requérante et de convocation à l’audience. Avec l’aide des services publics compétents, le tribunal a pu établir que la requérante n’avait pas quitté le territoire du pays, qu’elle n’était pas détenue dans un établissement pénitentiaire et qu’elle n’habitait à aucune de ses adresses figurant dans le registre de la population (paragraphes 19 et 20 ci-dessus).
50. La Cour note que, dans sa requête devant elle, la requérante a expliqué avoir informé l’enquêteur qu’elle passait ses week-ends à Tarnene, chez son compagnon (paragraphe 16 ci-dessus). Il apparaît que les autorités n’ont jamais cherché à la citer à comparaître à cette dernière adresse, mais qu’elle y a pourtant été retrouvée et arrêtée en mai 2007 (paragraphe 26 ci-dessus).
51. Or la Cour observe qu’aucun élément du dossier ne corrobore l’affirmation de la requérante selon laquelle celle-ci avait communiqué l’adresse de son compagnon à Tarnene à l’enquêteur lors de ses interrogatoires des 12 janvier et 18 février 2005. Il est à noter que la seule adresse de correspondance avec la requérante figurant dans les procès-verbaux dressés à ces deux dates était une adresse à Sofia, où la requérante n’a pas été retrouvée par la suite (paragraphes 17, 19 et 20 ci-dessus).
52. En conclusion, compte tenu des circonstances spécifiques de l’espèce, la Cour estime que la situation dénoncée par la requérante ne s’analyse pas en une restriction injustifiée de son droit de participer à l’audience de son affaire pénale. La requérante avait été dûment informée de l’existence d’une procédure pénale à son encontre et des charges retenues contre elle. Elle avait reconnu les faits, s’était déclarée prête à négocier les termes de sa condamnation et pouvait donc raisonnablement s’attendre à être citée à comparaître devant les tribunaux. Elle a pourtant quitté l’adresse qu’elle avait préalablement communiquée aux autorités sans leur signaler le changement de son domicile. Son allégation selon laquelle elle aurait donné aux autorités l’adresse de son compagnon est restée complètement non étayée. Les autorités ont entrepris les démarches raisonnablement nécessaires afin d’assurer sa comparution devant le tribunal de district pendant son procès : elles ont d’abord cherché à la convoquer à l’adresse qu’elle leur avaient laissée et qu’elle avait quittée sans les prévenir ; elles ont ensuite cherché à établir les autres adresses connues de la requérante et à la convoquer à celles-ci ; elles ont cherché à la localiser dans les établissements pénitentiaires ; elles se sont assurées qu’elle n’avait pas quitté le territoire du pays. A la lumière de toutes ces circonstances, la Cour considère que la requérante a sciemment et valablement renoncé, de manière implicite, à son droit de comparaître en personne devant les tribunaux dans le cadre de la procédure pénale menée à son encontre. En outre, la Cour ne saurait reprocher à la Cour suprême de cassation d’avoir refusé, après avoir pris en compte ces mêmes circonstances, de rouvrir la procédure pénale à l’encontre de la requérante.
53. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en l’occurrence.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
54. La requérante se plaint, d’une part, que l’exécution de la peine de dix mois d’emprisonnement prononcée à son encontre l’ait privé de la possibilité de s’occuper de sa fille, âgée de quelques mois à l’époque, et, d’autre part, que le parquet ait refusé de suspendre l’exécution de sa peine ou de la libérer avant l’expiration de celle-ci. Elle invoque l’article 8 de la Convention, dont la partie pertinente en l’espèce se lit comme suit :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
55. Le Gouvernement conteste cette thèse. Il excipe du non-épuisement des voies de recours internes, au motif que la requérante n’a pas demandé la remise de l’exécution de sa peine d’emprisonnement ou l’admission de sa fille à la crèche de la prison. Il dit aussi que la requérante n’a pas indiqué aux autorités qu’elle allaitait sa fille.
56. La Cour estime qu’il n’y a pas lieu de se pencher sur l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes, le grief de la requérante étant en tout état de cause manifestement mal fondé pour les raisons suivantes.
57. La Cour rappelle que l’exécution d’une peine privative de liberté comporte nécessairement des restrictions à la vie privée et familiale du détenu. Dans la présente espèce, s’il est vrai que la requérante a été séparée de sa fille, qui avait à peine six mois à l’époque, il n’en reste pas moins que cette séparation a été relativement courte puisqu’elle a duré dix mois (paragraphes 26-34 ci-dessus). Pendant ce temps, la requérante a régulièrement bénéficié de séjours à domicile et de visites de sa famille à l’occasion desquels elle avait la possibilité de s’occuper de son enfant (paragraphe 29 ci-dessus). Par ailleurs, alors que la législation interne lui permettait de solliciter l’admission de sa fille à la crèche de sa prison auprès de l’administration pénitentiaire, elle n’a pas formulé une telle demande (paragraphes 29-34 et 38 ci-dessus).
58. Pour ce qui est des refus du parquet de suspendre l’exécution de la peine de la requérante ou de libérer celle-ci de manière anticipée, la Cour rappelle que le droit d’obtenir un allègement de la peine n’est pas garanti en tant que tel par la Convention et ses Protocoles (Natoli c. Italie, no 26161/95, décision de la Commission du 18 mai 1998 ; Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 99, CEDH 2008).
59. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
60. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, la requérante se plaint enfin que la durée de la procédure pénale ouverte à son encontre ait été excessive et qu’elle ait été poursuivie et condamnée deux fois pour les mêmes faits, à savoir l’escroquerie de plusieurs personnes consistant en une promesse mensongère d’emploi en Espagne.
61. Eu égard à l’ensemble des pièces dont elle dispose, et pour autant que ces griefs relèvent de sa compétence, la Cour ne constate aucune apparence de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention et ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention, relatif au droit de la requérante de participer à son procès pénal, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 janvier 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Milan Blaško Angelika Nußberger
Greffier adjoint Présidente