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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SOCHNEV v. RUSSIA - 27972/07 (Judgment : Violation of Prohibition of torture (Degrading treatment Inhuman treatment) (Substantive aspect)) French Text [2017] ECHR 1141 (12 December 2017)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/1141.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2017:1212JUD002797207, [2017] ECHR 1141, CE:ECHR:2017:1212JUD002797207

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    TROISIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE SOCHNEV c. RUSSIE

     

    (Requête no 27972/07)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    12 décembre 2017

     

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Sochnev c. Russie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :

              Helen Keller, présidente,
              Pere Pastor Vilanova,
              Alena Poláčková, juges,
    et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 novembre 2017,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 27972/07) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Nikolay Nikolayevich Sochnev (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 mai 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me O.V. Preobrazhenskaya, juriste à Strasbourg. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. G. Matiouchkine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par son successeur dans ce bureau, M. M. Galperine.

    3.  Le 16 mai 2011, la Requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    4.  Le requérant est né en 1965. Il est détenu à Kharp.

    A.  Les mauvais traitements allégués

    1.  L’interpellation du requérant

    5.  Le 22 septembre 2005, lors d’une intervention déclenchée par un incendie dans une maison particulière située dans la ville de Medvéjyégorsk de la république de Karéliya, la police découvrit cinq corps, dont deux portaient des signes de mort violente, notamment des traces de balles tirées d’une arme à feu. Ultérieurement, les personnes décédées furent identifiées comme étant Ar., A., G., S. et Ch., et il fut établi que la maison appartenait à Ar.

    6.  Toujours le 22 septembre 2005, vers 19 heures, la police routière arrêta la voiture que le requérant conduisait en état d’ébriété. L’intéressé fut placé en garde à vue le même jour dans le centre de détention temporaire de la ville de Medvejyégorsk (« l’IVS »). Un fusil et des munitions furent découverts dans la voiture.

    7.  Le requérant allègue que, au cours de la nuit du 22 au 23 septembre 2005, des policiers l’ont battu au sein de l’IVS pour le forcer à avouer le meurtre des personnes dont les corps avaient été découverts dans la maison de Ar.

    8.  Le 24 septembre 2005, le requérant, soupçonné de meurtre, de possession illégale d’armes à feu et d’incendie criminel, fut placé en détention provisoire.

    2.  Les examens médicaux du requérant lors de l’instruction pénale

    9.  Lors de l’instruction pénale, le requérant fut assisté consécutivement par Me M. puis par Me Yu., avocats commis d’office.

    10.  Par une décision du 22 septembre 2005, l’enquêteur N. du service du procureur du district de Medvéjyégorsk, ordonna une expertise médicolégale du requérant en vue d’établir si ce dernier présentait des lésions et, le cas échéant, l’origine de celles-ci, leur gravité et leur ancienneté.

    11.  Le 23 septembre 2005, le requérant, assisté de l’avocat M., prit connaissance de ladite décision. Il ne formula aucun commentaire à ce sujet dans le procès-verbal de la notification.

    12.  Dans le cadre de l’expertise médicolégale, le requérant fut soumis à plusieurs examens médicaux, notamment :

    -  le 23 septembre 2005, par N., un médecin légiste du bureau de médecine légale de la ville de Medvéjyégorsk ;

    -  le 23 septembre 2005, par M., médecin à l’hôpital du district de Medvéjyégorsk ;

    -  les 26 et 27 septembre 2006, par le service médical de l’hôpital pénitentiaire LPU-2.

    13.  Le 8 décembre 2005, le médecin légiste N. rendit son rapport, dans lequel il constatait que, le 22 septembre 2005, le requérant avait subi les lésions suivantes : un traumatisme fermé de la cage thoracique avec une fracture des huitième et neuvième côtes à gauche et une contusion des tissus mous, ainsi qu’une contusion des tissus mous du visage dans la région de l’orbite gauche et du nez. Il ressortait également du rapport que, durant tous les examens médicaux, le requérant avait déclaré qu’il avait été frappé lors d’une rixe qui aurait eu lieu le 22 juin 2005 et qui se serait déroulée comme suit : « [On m’a donné] un coup de pied dans le dos à gauche, puis un coup de poing dans le visage, puis [on] m’a fait tomber par terre et on m’a donné des coups de pied. » Le médecin légiste concluait que les lésions constatées sur le requérant pouvaient avoir été causées dans les circonstances ainsi décrites.

    14.  Le 20 avril 2006, le requérant, assisté de Me Yu., prit connaissance du rapport d’expertise médicolégale du 8 décembre 2005. Dans son commentaire sur les conclusions dudit rapport, il dénonçait l’absence de prise en compte de la commotion cérébrale qui aurait été constatée lors des examens médicaux antérieurs visant à l’évaluation de la gravité du dommage quant à sa santé.

    15.  Par une décision du 20 avril 2006, en réponse au commentaire du requérant, l’enquêteur ordonna une expertise supplémentaire. Le requérant prit connaissance de ladite décision en présence de Me Yu. et ne fit aucune observation.

    16.  Dans son rapport du 28 avril 2006, le médecin légiste K. concluait que la commotion cérébrale en question avait pu être causée dans les circonstances telles que décrites par ce dernier dans les déclarations qu’il avait faites lors de l’instruction pénale. Il indiquait que le requérant avait notamment déclaré que, le 22 septembre 2005, il se trouvait dans la maison de Ar. et que, alors qu’il consommait de l’alcool avec Ar., A., G., S. et Ch., une dispute avait éclaté, qu’elle avait abouti à une rixe, que, au cours de celle-ci, il avait reçu un coup sur le visage et que, tombé au sol, il avait reçu des coups de pied à la tête et sur le corps.

    3.  Le procès pénal et la condamnation du requérant

    17.  Le 12 mai 2006, en présence de Me M., le requérant termina la lecture du dossier de l’affaire pénale dirigée à son encontre et ne formula aucun commentaire.

    18.  Le 31 juillet 2006, la Cour suprême de la république de Karéliya, siégeant avec un jury, commença l’examen du fond de l’affaire pénale dirigée contre le requérant.

    19.  Lors de l’audience du 30 août 2006, le requérant, s’opposant à ce que l’accusation donnât lecture de ses dépositions faites le 24 septembre et le 3 octobre 2005 lors de l’instruction pénale, déclara que celles-ci avaient été obtenues par la coercition. Il allégua notamment que, après son interpellation du 22 septembre 2005, alors qu’il se trouvait à l’IVS, des hommes cagoulés l’avaient passé à tabac pour qu’il avouât les infractions dont il était soupçonné.

    20.  Interrogé par le juge lors de la même audience, le requérant déclara qu’il n’avait ni informé son avocat des mauvais traitements qu’il aurait subis le 22 septembre 2005 ni déposé une plainte formelle auprès des autorités compétentes. Eu égard aux explications de l’intéressé ainsi qu’aux rapports d’expertise médicolégale du 8 décembre 2005 et du 28 avril 2006, et notamment aux déclarations du requérant aux experts quant à l’origine des lésions, le juge considéra que les allégations du requérant quant aux mauvais traitements qu’il alléguait avoir subis le 22 septembre 2005 à l’IVS étaient non fondées et il autorisa l’accusation à faire lecture des dépositions litigieuses.

    21.  Le 6 septembre 2006, le jury rendit son verdict. Il reconnut le requérant coupable de meurtre et de possession illégale d’armes à feu, mais non coupable d’incendie criminel. Selon le verdict, il avait été prouvé que, le 22 septembre 2005, entre 16 heures et 19 heures, à l’issue d’une dispute entre le requérant et Ar., A., G., S. et Ch., qui aurait éclaté alors qu’ils consommaient de l’alcool dans la maison de Ar. et qui aurait dégénéré en une rixe, l’intéressé, après avoir été frappé et sous le coup de son animosité envers Ar., A., G., S. et Ch., était sorti pour prendre son fusil et était revenu tirer sur ces derniers.

    22.  Par un jugement du 11 septembre 2006, la Cour suprême de la république de Karéliya, se fondant sur le verdict de culpabilité rendu par le jury le 6 septembre 2006, condamna le requérant à vingt-trois ans de réclusion criminelle.

    23.  Le 22 janvier 2007, la Cour suprême de la Fédération de Russie annula ce jugement dans sa partie relative à la peine infligée au motif que celle-ci était trop clémente et elle renvoya l’affaire pour un nouvel examen devant la même juridiction au stade de la fixation de la peine.

    24.  Le 22 mars 2007, la Cour suprême de la république de Karéliya condamna le requérant à la réclusion à perpétuité.

    25.  Le 6 août 2007, la Cour suprême de la Fédération de Russie confirma en appel le jugement du 22 mars 2007.

    26.  Le 30 mai 2012, le présidium de la Cour suprême de la Fédération de Russie, statuant en instance de révision, cassa la décision du 6 août 2007 pour vices de procédure et remit l’affaire pour réexamen en appel par une nouvelle formation de juges.

    27.  Par une décision du 24 juillet 2012, la Cour suprême de la Fédération de Russie confirma de nouveau le jugement du 22 mars 2007 en appel.

    B.  Les transfèrements du requérant entre le 22 septembre 2005 et le 16 mai 2011

    28.  Le requérant indique que, entre le 22 septembre 2005 et le 16 mai 2011, il a fait l’objet de trente-six transfèrements vers des établissements pénitentiaires. Le Gouvernement indique, quant à lui, qu’il y en a eu trente-deux.

    29.  Il ressort des pièces versées au dossier par le Gouvernement que la plupart des transfèrements ont eu lieu pendant l’instruction et pendant la procédure pénale dirigés à l’encontre du requérant, avant le 29 octobre 2007 - date à laquelle l’intéressé a été placé dans une colonie pénitentiaire pour purger sa peine de réclusion à perpétuité. Toujours selon le dossier, le requérant a été transféré entre différentes maisons d’arrêt ou établissements pénitentiaires assimilés aux motifs suivants : nécessité de soins médicaux, nouvelle répartition de la population carcérale, production d’expertises à l’égard du requérant dans le cadre de l’instruction pénale menée à son encontre et participation de l’intéressé aux audiences devant l’instance d’appel. Enfin, selon le dossier, entre le 29 octobre 2007 et le 16 mai 2011, le requérant a été convoqué à deux reprises pour témoigner dans le cadre d’une enquête pénale menée contre des tiers, ce qui aurait donné lieu à deux trajets aller et retour depuis la colonie pénitentiaire dans laquelle il purgeait sa peine d’emprisonnement.

    C.  Les conditions de détention du requérant du 4 avril au 4 juin 2010

    30.  Entre le 4 avril et le 4 juin 2010, le requérant fut détenu à la colonie pénitentiaire no IK-16 de la région de Mourmansk, dans le quartier no 1 fonctionnant sous le régime d’une maison d’arrêt (le PFRSI-1). Les parties ont présenté des versions différentes quant aux conditions de détention de l’intéressé pendant la période considérée.

    1.  La version du requérant

    31.  Le requérant soutient qu’il a été détenu seul dans la cellule de punition no 2 du PFRSI-1, qui aurait mesuré approximativement 3 x 3 m. Il décrit comme suit les conditions de sa détention : la cellule était éclairée par une ampoule de 75 watts qui serait restée allumée même la nuit ; la fenêtre mesurait 1 m² et était recouverte de grillage tant à l’extérieur qu’à l’intérieur ; la cellule était très humide et très froide ; le linge de lit et les vêtements étaient également humides ; le requérant dormait tout habillé ; à cause de l’humidité et du froid, il avait mal à la gorge et aux dents et a souffert d’une inflammation des gencives qui aurait entraîné la perte de deux dents ; enfin, il n’a pas bénéficié de promenade en plein air pendant toute la durée de sa détention dans la cellule de punition no 2.

    2.  La version du Gouvernement

    32.  Le Gouvernement soutient que le requérant a été placé dans la cellule no 5 du PFRSI-1, laquelle mesurait 8,4 m². Il décrit comme suit les conditions de détention de l’intéressé : la cellule était éclairée par deux ampoules de 40 watts chacune, dont une serait restée allumée la nuit ; la fenêtre mesurait 0,93 x 0,93 m et était recouverte de grillage à l’extérieur ; la température dans la cellule était de 18o C et le taux d’humidité était compris entre 30 et 45 % ; le requérant bénéficiait d’une heure de promenade par jour dans une cour de 60,80 m².

    33.  À l’appui de sa version, le Gouvernement a soumis les documents suivants :

    -  des attestations de l’administration de la colonie pénitentiaire no IK-16 établies le 13 juillet 2011 portant, entre autres, sur le numéro de la cellule du requérant au PFRSI-1, sur la superficie, la température et le taux d’humidité à l’intérieur de la cellule ainsi que sur la possibilité pour ce détenu de bénéficier d’une promenade ;

    -  des actes relatifs au contrôle régulier de l’état sanitaire de la colonie pénitentiaire nIK-16, établis les 10 mars et 25 mai 2010 par des représentants du service d’hygiène et d’épidémiologie du département du service fédéral de l’exécution des peines de la région de Mourmansk ; il ressort de l’acte du 10 mars 2010 que quelques cellules du PFRSI-1, prises au hasard, ont été visitées par les contrôleurs, mais les numéros de ces cellules ne sont pas indiqués dans l’acte en question ;

    -  un extrait du plan technique du rez-de-chaussée du bâtiment abritant le PFRSI-1 et une explication du plan, établis à une date non spécifiée par l’administration de la colonie pénitentiaire no IK-16. Selon l’explication du plan, il y avait vingt-six pièces : quinze d’entre elles servaient de cellules (numérotées de 1 et de 3 à 15), deux servaient de cellules de punition (numérotées de 1 à 2), et les pièces restantes étaient réservées à des usages administratifs et techniques ;

    -  la copie d’un emploi du temps type de détenus au PFRSI-1, établi le 25 janvier 2010 par le directeur de la colonie pénitentiaire no IK-16 ;

    -  deux extraits du registre consignant les pièces de linge mises à la disposition de détenus de PFRSI-1 ;

    -  des plannings de promenade pour les mois d’avril, de mai et de juin 2010 pour les détenus du PFRSI-1, établis respectivement en mars, en avril et en mai 2010 par le directeur de la colonie pénitentiaire no IK-16. Il ressort de ces plannings que des promenades d’au moins une heure par jour étaient prévues pour les détenus placés dans les cellules no 1 et nos 3 à 15 du PFRSI-1.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

    34.  Le requérant se plaint d’avoir subi des mauvais traitements aux mains de la police après son arrestation du 22 septembre 2005 et il dénonce une absence d’enquête effective relative à ces allégations. Il se plaint également du nombre de transfèrements vers des établissements pénitentiaires. Enfin, il dénonce les conditions de sa détention du 4 avril au 4 juin 2010.

    Le requérant invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

    « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

    A.  Sur les allégations de mauvais traitements sous forme de passage à tabac entre le 22 et le 23 septembre 2005

    35.  Le Gouvernement affirme que les allégations du requérant ne sont pas étayées.

    36.  Le requérant maintient son grief.

    37.  La Cour rappelle que les allégations de mauvais traitements contraires à l’article 3 de la Convention doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés. Pour l’établissement des faits allégués, elle se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », une telle preuve pouvant néanmoins résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants.

    38.  En l’espèce, la Cour considère que la version des faits du requérant (paragraphe 7 ci-dessus) n’est pas étayée par de telles preuves.

    39.  En effet, elle relève que, dès le 23 septembre 2005, soit le lendemain des faits allégués, le requérant a été soumis à plusieurs examens médicaux dans le cadre de l’expertise médicolégale dont le but était d’établir l’origine, la gravité et l’ancienneté des lésions constatées sur l’intéressé après son arrestation (paragraphe 12 ci-dessus). Il ressort des déclarations que le requérant a faites aux experts quant à l’origine des lésions qu’il aurait été frappé le 22 septembre 2005 lors d’une rixe dans la maison de Ar. Selon les conclusions des experts, les lésions constatées sur le requérant pouvaient lui avoir été infligées dans ces circonstances (paragraphes 13 et 16 ci-dessus).

    40.  La Cour note ensuite qu’à aucun moment de l’instruction pénale le requérant ne s’est plaint du passage à tabac qu’il prétend avoir subi la nuit du 22 septembre 2005. Assisté d’avocats commis d’office, il n’a formulé aucun commentaire sur les rapports du 8 décembre 2005 et du 28 avril 2006 que les experts avaient établis sur ses déclarations quant à l’origine des lésions constatées (paragraphes 11, 14, 15 et 17 ci-dessus).

    41.  La Cour relève enfin que le requérant a soulevé pour la première fois ses allégations de mauvais traitements bien après le début du procès pénal engagé à son encontre devant la Cour suprême de la république de Karéliya (paragraphe 19 ci-dessus). L’intéressé a, par ailleurs, confirmé au juge qu’il n’avait pas adressé auparavant de plainte aux autorités compétentes pour dénoncer les mauvais traitements allégués (paragraphe 20 ci-dessus).

    42.  Eu égard à ces éléments, la Cour estime que la version que le requérant a présentée devant elle ne coïncide pas avec celle qu’il avait présentée aux autorités internes, notamment aux experts, quant à l’origine des lésions. Le grief tiré de l’aspect matériel de l’article 3 de la Convention n’est donc pas défendable au sens de cette disposition.

    43.  Eu égard à sa conclusion au paragraphe 42 ci-dessus quant à l’absence d’un grief défendable relativement aux mauvais traitements allégués, la Cour considère qu’aucune obligation de mener une enquête effective ne pesait en l’occurrence sur les autorités internes.

    44.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    B.  Sur le nombre de transfèrements du requérant

    45.  Le Gouvernement estime que les transfèrements du requérant n’ont pas constitué des mauvais traitements au sens de l’article 3 de la Convention.

    46.  Le requérant maintient son grief.

    47.  La Cour rappelle avoir conclu, dans l’arrêt Khider c. France, que les conditions de détention du requérant, lequel avait été soumis à des transfèrements répétés vers des établissements pénitentiaires, avait été placé en régime d’isolement à long terme et avait fait régulièrement l’objet de fouilles corporelles intégrales, s’analysaient, par leur effet combiné et répétitif, en un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention (Khider c. France, no 39364/05, § 133, 9 juillet 2009). En ce qui concerne les transfèrements, elle a tenu compte du fait qu’ils découlaient du seul placement du requérant sous un régime de rotation de sécurité anticipée, sans que le maintien du régime de sécurité ait été justifié par les circonstances de la cause (Khider, précité, § 110).

    48.  Dans l’arrêt Alboreo c. France, pour conclure à l’absence de violation de l’article 3 de la Convention quant au grief du requérant relatif à des transfèrements répétés, la Cour a indiqué à nouveau « que c’est par l’effet combiné et répétitif des mesures de transferts répétés, de mises à l’isolement et de fouilles qu’elle a[vait] conclu dans son arrêt Khider à la violation de l’article 3 de la Convention » (Alboreo c. France, no 51019/08, § 127, 20 octobre 2011).

    49.  En l’espèce, la Cour note que les parties sont en désaccord quant au nombre de transfèrements effectués entre le 22 septembre 2005 et le 16 mai 2011. Elle estime cependant que la question du nombre de transfèrements n’est pas déterminante ici puisque, en tout état de cause, eu égard aux éléments du dossier dont elle dispose, elle ne peut conclure dans la présente affaire, contrairement à ce qu’elle a conclu dans l’arrêt Khider (précité), à l’existence d’un effet combiné et répétitif des éléments relatifs aux autres conditions de détention de l’intéressé pendant la période considérée.

    50.  Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    C.  Sur les conditions de détention du requérant du 4 avril au 4 juin 2010

    1.  Sur la recevabilité

    51.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    2.  Sur le fond

    52.  Renvoyant à sa version des faits (paragraphe 32 ci-dessus), le Gouvernement affirme que les conditions de détention litigieuses ne constituaient pas des mauvais traitements.

    53.  Le requérant maintient son grief.

    54.  La Cour observe d’abord que le requérant ne se plaint pas d’un manque d’espace personnel et qu’il a, à ses dires, bénéficié d’une superficie d’au moins 9 m² dans la cellule (paragraphe 31 ci-dessus). Pour autant, cela n’exclut pas que les autres conditions matérielles de sa détention dont il se plaint puissent constituer un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention (Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, § 140, CEDH 2016). La Cour peut prendre en compte dans ce cas la possibilité d’utiliser des toilettes de manière privée, l’aération, la lumière naturelle, le chauffage central, le respect des règles d’hygiène, la possibilité de promenade, la durée de la détention ainsi que l’état physique et mental du détenu (Ananyev et autres, nos 42525/07 et 60800/08, § 149, 10 janvier 2012)

    55.  La Cour relève ensuite que les parties sont en désaccord quant aux aspects matériels des conditions de détention du requérant et, entre autres, quant à la cellule dans laquelle l’intéressé a été détenu au sein du PFRSI-1.

    56.  La Cour rappelle que la procédure prévue par la Convention, telle celle suivie en l’espèce, ne se prête pas toujours à une application stricte du principe affirmanti incumbit probatio (« la preuve incombe à celui qui affirme »), car, dans certains cas, le gouvernement défendeur est le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les allégations du requérant. Le fait que, sans donner de justification satisfaisante, un gouvernement s’abstient de fournir pareilles informations peut permettre de tirer des conclusions quant au bien-fondé des allégations en question (voir, parmi d’autres, Fedotov c. Russie, n5140/02, §§ 60 et 61, 25 octobre 2005, et Kokoshkina c. Russie, n2052/08, § 60, 28 mai 2009).

    57.  La Cour rappelle en outre que, lorsqu’il y a contestation sur les conditions de détention, point n’est besoin pour elle d’établir la véracité de chaque élément litigieux : elle peut conclure à la violation de l’article 3 de la Convention sur la base de toute allégation grave non réfutée par le gouvernement défendeur (Grigorievskikh c. Russie, no 22/03, § 55, 9 avril 2009). Dans ce type d’affaire, la charge de la preuve pèse sur les autorités, et il incombe au Gouvernement de fournir une explication satisfaisante et convaincante pour contrer les allégations du requérant.

    58.  En l’espèce, Gouvernement indique que le requérant a été détenu dans la cellule no 5 du PFRSI-1 en s’appuyant sur des attestations de l’administration de la colonie pénitentiaire no IK-16 qui ont été établies le 13 juillet 2011, soit après la communication de la présente Requête au Gouvernement (paragraphe 33 ci-dessus). Or la Cour a jugé à plusieurs reprises que, en l’absence d’originaux des registres de détenus, de telles attestations n’avaient qu’une valeur probante très limitée et qu’elles ne sauraient constituer une source d’information fiable (Ananyev et autres, précité, §§ 124-125, avec les autres références y figurant). Force est de constater que le Gouvernement n’a pas soumis d’originaux de registres de détenus du PFRSI-1 pour la période considérée. Aucun autre document produit par le Gouvernement ne permet de réfuter la thèse du requérant selon laquelle il a été détenu dans la cellule de punition no 2 du PFRSI-1. La Cour examinera donc le grief en se fondant sur la thèse du requérant selon laquelle il a été détenu dans la cellule de punition no 2 du PFRSI-1. Il s’ensuit que la description des conditions matérielles de la cellule no 5 du PFRSI-1 présentée par le Gouvernement n’est pas pertinente en l’espèce.

    59.  La Cour estime que les éléments soumis par le Gouvernement ne permettent pas non plus de réfuter les allégations du requérant relatives aux mauvaises conditions matérielles dans la cellule de punition no 2.

    60.  En ce qui concerne l’insuffisance de chauffage et d’éclairage et l’excès d’humidité dans la cellule, la Cour note que, bien que le Gouvernement ait soumis deux actes de contrôle de l’état sanitaire établis le 10 mars et le 25 mai 2010 par des représentants du service de l’hygiène et de l’épidémiologie, celui du 10 mars 2010 précède la période de détention du requérant au PFRSI-1 et celui du 25 mai 2010 n’indique pas que les représentants du service en question se soient rendus dans le bâtiment dans lequel se trouvait le PFRSI-1 (paragraphe 33 ci-dessus).

    61.  En ce qui concerne l’absence de promenade, la Cour observe que les plannings de promenade établis par le directeur de la colonie pénitentiaire no IK-16 ne font mention que des cellules no 1 et nos  3 à 15 du PFRSI-1, et non pas des cellules de punition nos 1 et 2. Or il ressort du plan technique et de son explication soumis par le Gouvernement que le PFRSI-1 disposait de deux cellules de punition dont la numérotation était distincte de celle des cellules ordinaires (paragraphe 33 ci-dessus).

    62.  Enfin, le Gouvernement ne réfute pas non plus, par exemple à l’aide des extraits de la fiche médicale de l’intéressé, l’allégation du requérant selon laquelle le froid et l’humidité de la cellule lui ont causé des maux de gorge et une inflammation des gencives avec perte de deux dents.

    63.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime établi que, du 4 avril au 4 juin 2010, le requérant a été détenu dans une cellule froide et très humide et qu’il a été privé de promenade en plein air, ce qui a entraîné une aggravation de son état de santé. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que les conditions de détention du requérant du 4 avril au 4 juin 2010 ont constitué un traitement inhumain et dégradant.

    64.  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    65.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    66.  Le requérant réclame 600 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

    67.  Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette demande comme infondée et excessive.

    68.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 000 EUR pour dommage moral.

    B.  Frais et dépens

    69.  Le requérant demande également 2 600 EUR en remboursement des frais de conseil et de représentation dans le cadre de la procédure devant la Cour par Mme O.V. Preobrazhenskaya pour un total de vingt-six heures de travail à raison de 100 EUR l’heure, et il soumet un décompte horaire établi par cette dernière. Il demande, par ailleurs, que le montant octroyé par la Cour soit versé directement sur le compte bancaire de Mme O.V. Preobrazhenskaya.

    70.  Le Gouvernement considère que le requérant n’a soumis à la Cour aucune preuve de l’existence d’une convention d’assistance juridique conclue avec sa représentante et du paiement effectif des sommes réclamées par elle, et il invite la Cour à rejeter la demande comme infondée.

    71.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose, de sa jurisprudence (Allanazarova c. Russie, n46721/15, § 123, 14 février 2017) et de l’irrecevabilité d’une partie de la Requête, la Cour estime raisonnable la somme de 2 200 EUR, dont il faut déduire les 850 EUR déjà versés dans le cadre de l’assistance judiciaire. Elle accorde donc au requérant 1 350 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant elle, à verser sur le compte bancaire de la représentante du requérant.

    C.  Intérêts moratoires

    72.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention concernant les conditions de détention du requérant du 4 avril au 4 juin 2010, et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement) :

    i.  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii.  1 350 EUR (mille trois cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser sur le compte de Mme O.V. Preobrazhenskaya ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 décembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

         Fatoş Aracı                                                                         Helen Keller
    Greffière adjointe                                                                     
    Présidente

     


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