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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MESSANA v. ITALY - 26128/04 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (First Section)) French Text [2017] ECHR 144 (09 February 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/144.html Cite as: [2017] ECHR 144, ECLI:CE:ECHR:2017:0209JUD002612804, CE:ECHR:2017:0209JUD002612804 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE MESSANA c. ITALIE
(Requête no 26128/04)
ARRÊT
STRASBOURG
9 février 2017
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Messana c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mirjana Lazarova Trajkovska,
présidente,
Ledi Bianku,
Guido Raimondi,
Kristina Pardalos,
Aleš Pejchal,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 janvier 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 26128/04) dirigée contre la République italienne et dont trois ressortissants de cet État, M. Calogero et Mmes Rosa et Giuseppa Marianna Messana (« les requérants »), ont saisi la Cour le 8 juillet 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Mes G. Ingrascì et A. Bozzi, avocats à Catane et à Milan respectivement. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, son ancien coagent M. N. Lettieri, et son coagent Mme P. Accardo.
3. Le 24 mars 2006, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Les requérants sont nés respectivement en 1946, 1944 et 1948 et résident à Caltanissetta.
5. Les requérants étaient copropriétaires d’un terrain constructible de 3 690 mètres carrés sis à Canicattí et enregistré au cadastre, feuille 67, parcelles 12 et 14.
6. Par un arrêté du 14 avril 1980, la municipalité de Canicattí approuva le projet de construction d’habitations à loyer modéré (HLM).
7. Par un arrêté du 18 juin 1980, la municipalité de Canicattí autorisa l’Institut autonome de gestion des HLM (l’IACP) à occuper d’urgence le terrain des requérants, pour une période maximale de cinq ans, en vue de son expropriation pour cause d’utilité publique.
8. Le 16 juillet 1980, il y eut occupation matérielle.
9. Par un acte notifié le 11 janvier 1991, les requérants introduisirent une action en dommages-intérêts à l’encontre de la municipalité de Canicattí et de l’IACP devant le tribunal d’Agrigente. Ils alléguaient que, bien que les travaux de construction effectués sur leur terrain aient transformé celui-ci, aucun décret d’expropriation et aucune indemnisation n’étaient intervenus. Se référant au principe de l’expropriation indirecte (« occupazione acquisitiva » ou « accessione invertita »), les requérants invitaient le tribunal à déclarer que la construction des HLM avait transformé leur terrain de manière irréversible. Ils réclamaient la valeur vénale du bien ; en outre ils réclamaient une réparation pour la non-jouissance du terrain pendant la période d’occupation autorisée.
10. Au cours du procès, à une date non précisée, une expertise fut déposée au greffe. Il ressort de cette expertise que la transformation irréversible du terrain avait eu lieu au plus tard le 28 février 1982, à savoir à la date de la cessation de la période d’occupation légitime identifiée par l’expert.
11. Par un jugement du 23 janvier 1997, le tribunal d’Agrigente constata que la réalisation des HLM avait entraîné le transfert de propriété du terrain à l’administration, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’expropriation indirecte. Toutefois le tribunal statua qu’aucun dédommagement n’était dû aux requérants au motif que l’action en dommages-intérêts était soumise à un délai de prescription de cinq ans commençant à courir en l’espèce à compter du 18 juin 1985.
12. Par un acte notifié le 27 février 1998, les requérants saisirent la cour d’appel de Palerme.
13. Au cours de la procédure, la cour d’appel ordonna une expertise. Selon l’expert, l’occupation légitime avait pris fin le 18 juin 1986, suite à l’application d’une prorogation d’un an. La valeur vénale du terrain à cette date était de 45,45 euros (EUR) le mètre carré (soit 167 710,50 EUR).
14. Par un arrêt du 11 octobre 2002, la cour d’appel de Palerme releva que l’occupation légitime avait pris fin le 18 juin 1986 et considéra les requérants privés de leur bien à compter de cette date. Elle considéra également que le délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir à partir de cette même date. Le recours ayant été introduit le 11 janvier 1991, elle estima que le droit des intéressés n’était pas prescrit.
15. Par conséquent, en application de la loi no 662 de 1996, elle condamna la municipalité de Canicattí et l’IACP à verser aux requérants la somme de 92 316,67 EUR pour la perte de la propriété du terrain, plus réévaluation jusqu’à la date de l’arrêt, ainsi que 25 177,27 EUR à titre d’indemnité d’occupation temporaire.
16. Cet arrêt est devenu définitif le 12 janvier 2004.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le principe de l’expropriation indirecte (« occupazione acquisitiva » ou « accessione invertita »)
17. Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], §§ 18-48 no 58858/00, 22 décembre 2009.
B. Les arrêts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 22 octobre 2007
18. Par les arrêts nos 348 et 349 du 22 octobre 2007 (dits également les « arrêts jumeaux » - sentenze gemelle) la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelles certaines dispositions en matière d’indemnité d’expropriation contenues dans le décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, dans la loi no 662 de 1996 et dans le décret du président de la République no 327 du 8 juin 2001. En particulier, dans l’arrêt no 349 la Cour constitutionnelle a relevé que le niveau insuffisant d’indemnisation prévu par la loi de 1996 était contraire à l’article 1 du Protocole no 1 et par conséquent à l’article 117 § 1 de la Constitution italienne, lequel prévoit le respect des obligations internationales.
19. Suite aux arrêts de la Cour constitutionnelle, des modifications législatives sont intervenues en droit interne. L’article 2/89 e) de la loi de finances no 244 de 2007 a établi que dans un cas d’expropriation indirecte le dédommagement doit correspondre à la valeur vénale des biens, aucune réduction n’étant admise.
20. Cette disposition a été appliquée à toutes les procédures en cours au 1er janvier 2008, sauf celles où la décision sur l’indemnité d’expropriation ou sur le dédommagement avait été acceptée ou était devenue définitive.
EN DROIT
I. SUR LA DEMANDE DE RADIATION DE LA REQUÊTE AU SENS DE L’ARTICLE 37 DE LA CONVENTION
21. Après l’échec des tentatives de règlement amiable, le 16 décembre 2015, le Gouvernement a informé la Cour qu’il a formulé une déclaration unilatérale afin de résoudre la question soulevée par la requête. Il a invité la Cour à rayer celle-ci du rôle en application de l’article 37 de la Convention en contrepartie du versement d’une somme globale (236 777 EUR), couvrant tout préjudice matériel et moral ainsi que les frais et dépens et de la reconnaissance de la violation du droit au respect des biens au sens de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 6 § 1 de la Convention.
22. Le 15 janvier 2016, les requérants ont déclaré qu’ils n’étaient pas satisfaits des termes de la déclaration unilatérale compte tenu du montant offert.
23. La Cour a affirmé que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l’examen de l’affaire se poursuive. Ce seront toutefois les circonstances particulières de la cause qui permettront de déterminer si la déclaration unilatérale offre une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de l’affaire au sens de l’article 37 § 1 in fine (voir, parmi d’autres, Tahsin Acar c. Turquie (exceptions préliminaires) [GC], no 26307/95, § 75, CEDH 2003-VI; Melnic c. Moldova, no 6923/03, § 14, 14 novembre 2006).
24. Parmi les facteurs à prendre en compte à cet égard figure, entre autres, si dans sa déclaration unilatérale le Gouvernement défendeur formule l’une ou l’autre concession en ce qui concerne les allégations de violations de la Convention et, dans cette hypothèse, quelles sont l’ampleur de ces concessions et les modalités du redressement qu’il entend fournir au requérant. Quant à ce dernier point, dans les cas où il est possible d’effacer les conséquences d’une violation alléguée (par exemple dans certaines affaires de propriété) et où le Gouvernement défendeur se déclare disposé à le faire, le redressement envisagé a davantage de chances d’être tenu pour adéquat aux fins d’une radiation de la requête (voir Tahsin Acar, précité, § 76).
25. Quant au point de savoir s’il serait opportun de rayer la présente requête sur la base de la déclaration unilatérale du Gouvernement, la Cour relève que le montant du dédommagement offert est insuffisant par rapport aux sommes octroyées par elle dans des affaires similaires en matière d’expropriation indirecte (voir Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009 ; Rivera et di Bonaventura c. Italie, no 63869/00, 14 juin 2011 ; De Caterina et autres c. Italie, no 65278/01, 28 juin 2011 ; Macrì et autres c. Italie, no 14130/02, 12 juillet 2011).
26. Dans ces conditions, la Cour considère que la déclaration unilatérale litigieuse ne constitue pas une base suffisante pour conclure que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention n’exige pas la poursuite de l’examen de la requête.
27. En conclusion, la Cour rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation de la requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention et va en conséquence poursuivre l’examen de l’affaire sur la recevabilité et le fond.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
28. Les requérants allèguent avoir été privés de leur terrain de manière incompatible avec l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’application du principe de l’expropriation indirecte. Ils invoquent également l’article 13 de la Convention, pris en combinaison avec l’article 1 du Protocole no 1 sans, toutefois, arguments à l’appui. La Cour examinera ledit grief uniquement sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, lequel est ainsi libellé:
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
29. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
30. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève, par ailleurs, qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Les requérants
31. Les requérants rappellent qu’ils ont été privés de leur bien en vertu du principe de l’expropriation indirecte, un mécanisme qui permet à l’autorité publique d’acquérir un bien en toute illégalité, ce qui est inadmissible dans un État de droit.
32. Ils observent que seulement par l’arrêt de la Cour d’appel de Palerme les requérants ont eu la certitude d’avoir été privés de leur bien et que le principe de l’expropriation indirecte avait été appliquée. Aux yeux des requérants, cette situation ne saurait être considérée comme prévisible.
b) Le Gouvernement
33. Le Gouvernement prend acte de ce que la jurisprudence de la Cour, désormais consolidée, conclut à une incompatibilité du mécanisme de l’expropriation indirecte avec le principe de légalité. Toutefois, à la lumière de l’arrêt de la cour d’appel de Palerme déclarant qu’un transfert de propriété avait eu lieu, et qui est aux yeux du Gouvernement assimilable à un acte formel d’expropriation, l’expropriation en question ne pourrait plus se considérer comme étant incompatible avec le respect des biens et le principe de prééminence du droit.
34. Quant au dédommagement, le Gouvernement reconnaît que les paramètres appliqués dans le cas d’espèce posent des problèmes de compatibilité avec la Convention, car les requérants n’ont pas été dédommagées sur la base de la valeur vénale du terrain.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’existence d’une ingérence
35. La Cour renvoie à sa jurisprudence constante relative à la structure de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention et aux trois normes distinctes que cette disposition contient (voir, parmi beaucoup d’autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 61, série A no 52, Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 1999 II, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 44, CEDH 1999 V, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 134, CEDH 2004 V, et Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 93, 25 octobre 2012).
36. La Cour constate que les parties s’accordent pour dire qu’il y a eu une « privation » de propriété au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1.
37. La Cour doit donc rechercher si la privation dénoncée se justifie sous l’angle de cette disposition.
b) Sur le respect du principe de légalité
38. La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer l’usage des biens en mettant en vigueur des « lois ». De plus, la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, est inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, Iatridis c. Grèce [GC], précité, § 58).
39. La Cour renvoie ensuite à sa jurisprudence en matière d’expropriation indirecte (voir, parmi d’autres, Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, CEDH 2000-VI ; Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005, et Velocci c. Italie, no 1717/03, 18 mars 2008) pour une récapitulation des principes pertinents et pour un aperçu de sa jurisprudence dans la matière, notamment en ce qui concerne la question du respect du principe de légalité dans cette typologie d’affaires.
40. Dans la présente affaire, la Cour relève qu’en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, les juridictions internes ont considéré les requérants privés de leur bien à compter de la date de la cessation de la période d’occupation légitime. Or, en l’absence d’un acte formel d’expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n’est que par la décision judiciaire définitive que l’on peut considérer le principe de l’expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l’acquisition du terrain par les pouvoirs publics a été consacrée. Par conséquent, les requérants n’ont eu la sécurité juridique concernant la privation du terrain qu’au plus tôt le 12 janvier 2004, date à laquelle le jugement de la cour d’appel de Palerme est devenu définitif.
41. La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis à l’administration de tirer parti d’une occupation de terrain illégale. En d’autres termes, l’administration a pu s’approprier le terrain au mépris des règles régissant l’expropriation en bonne et due forme.
42. À la lumière de ces considérations, la Cour estime que l’ingérence litigieuse n’est pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle a donc enfreint le droit au respect des biens des requérants.
43. Dès lors, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
44. Les requérants se plaignent de l’absence d’équité de la procédure. Ils font valoir qu’ils n’ont pas pu être dédommagés sur la base de la valeur vénale du terrain en raison de l’application de la loi no 662 de 1996, entrée en vigueur en cours de procédure.
45. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, qui dans ses passages pertinents dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »
46. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus et doit donc aussi être déclaré recevable.
47. La Cour vient de constater, sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, que la situation dénoncée par les requérants n’est pas conforme au principe de légalité. Eu égard aux motifs l’ayant amenée à ce constat de violation, elle estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément s’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 6 § 1 (voir Macrì et autres c. Italie, précité, § 49 ; Rivera et di Bonaventura c. Italie, précité, § 30 ; Iandoli c. Italie, no 67992/01, 14 juin 2011 ; Velocci c. Italie, no 717/03, 18 mars 2008 ; Farina c. Italie, no 75259/01, 17 mai 2011).
IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES
48. Les requérants invoquent également l’article 17 de la Convention, sans toutefois l’étayer.
49. La Cour estime par conséquent qu’il doit être déclaré irrecevable en tant que manifestement mal fondé au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
50. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
51. Les requérants sollicitent une somme correspondant à la différence entre la valeur vénale du terrain et le montant du dédommagement accordé au niveau national, à réévaluer. Selon eux, cette somme devrait être calculée sur la base de la valeur actuelle du terrain. Ils demandent, en outre, le versement de 297 421EUR pour la non-jouissance du terrain, 1 050 000 EUR à titre de plus-value découlant de la construction de l’ouvrage public, et de 1 514 213 EUR pour la non-jouissance des immeubles bâtis sur le terrain par l’administration. Enfin, ils réclament 29 080 EUR à titre de perte de chance.
52. Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions.
53. La Cour rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], précité, la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte en établissant que l’indemnisation à octroyer doit correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois déduite la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation et assorti d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains. Enfin, il y a lieu de d’évaluer la perte de chances éventuellement subie par les intéressés.
54. En l’espèce, d’après les juridictions nationales, les requérants ont perdu la propriété de leur terrain le 18 juin 1986. Il ressort de l’arrêt de la cour d’appel de Palerme que la valeur du terrain à cette date était de 45,45 EUR le mètre carré, soit 167 710,50 EUR au total (paragraphe 13 ci-dessus). Compte tenu de ces éléments, la Cour estime raisonnable d’accorder aux requérants, conjointement, 323 800 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.
55. Quant à la perte de chance subie à la suite de l’expropriation, la Cour juge qu’il y a lieu de prendre en considération le préjudice découlant de l’indisponibilité du terrain pendant la période allant du début de l’occupation légitime (16 juillet 1980) jusqu’au moment de la perte de propriété (18 juin 1986). Du montant ainsi calculé sera déduit la somme déjà obtenue par les requérantes au niveau interne à titre d’indemnité d’occupation. La Cour estime raisonnable d’accorder aux requérants, conjointement, 2 500 EUR.
B. Dommage moral
56. Les requérants demandent 100 000 EUR chacun à titre de préjudice moral.
57. Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions.
58. La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leur bien a causé aux requérants un préjudice moral qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.
59. Compte tenu des circonstances de l’espèce, et statuant en équité la Cour alloue aux requérants, conjointement, 5 000 EUR à titre de dommage moral.
C. Frais et dépens
60. Notes d’honoraires à l’appui, les requérants demandent également le remboursement de 90 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.
61. Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions.
62. La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle considère excessive la somme réclamée.
63. Compte tenu des circonstances de la cause, elle juge raisonnable d’allouer un montant de 5 000 EUR pour l’ensemble de frais exposés par les requérants.
D. Intérêts moratoires
64. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Rejette la demande de radiation du rôle de la requête ;
2. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 6 § 1 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes:
i. 326 300 EUR (trois cent vingt-six mille trois cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
iii. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 février 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Renata Degener Mirjana Lazarova Trajkovska
Greffière adjointe Présidente