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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> COMANA DE JOS GREEK CATHOLIC PARISH v. ROMANIA - 35795/03 (Judgment (Merits and Just Satisfaction) : Court (Fourth Section Committee)) French Text [2017] ECHR 239 (14 March 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/239.html Cite as: [2017] ECHR 239, ECLI:CE:ECHR:2017:0314JUD003579503, CE:ECHR:2017:0314JUD003579503 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE PAROISSE GRÉCO-CATHOLIQUE COMĂNA DE JOS c. ROUMANIE
(Requête no 35795/03)
ARRÊT
STRASBOURG
14 mars 2017
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Paroisse Gréco-Catholique Comăna de Jos c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Vincent A. De Gaetano,
président,
Egidijus Kūris,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 février 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35795/03) dirigée contre la Roumanie et dont une paroisse sise dans cet État, la Paroisse gréco-catholique de Comăna de Jos (« la requérante »), a saisi la Cour le 12 novembre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée d’abord par Mes M. Macovei et D. Mihai, et par la suite par Me N. Popescu, tous avocats à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.
3. Le 21 mai 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. La requérante est la paroisse de Comăna de Jos de l’Église catholique de rite oriental (dite gréco-catholique ou uniate).
5. Par le décret-loi no 358/1948, le culte uniate fut dissous et, en 1948, les biens immeubles ayant appartenu à la requérante passèrent dans le patrimoine de l’Église orthodoxe.
6. Après la chute du régime communiste en décembre 1989, le culte uniate fut reconnu officiellement par le décret-loi no 126/1990 portant diverses mesures relatives à l’Église roumaine unie à Rome (« le décret-loi no 126/1990 »). L’article 3 de ce texte prévoyait que la situation juridique des biens ayant appartenu aux paroisses uniates devait être tranchée par des commissions mixtes constituées de représentants du clergé des deux cultes, uniate et orthodoxe. Pour rendre leurs décisions, ces commissions devaient prendre en compte « la volonté des fidèles des communautés détentrices des biens ».
7. Le 28 juillet 1993, la requérante saisit le tribunal de première instance de Făgăraş (« le tribunal de première instance ») d’une action contre la paroisse orthodoxe de Comăna de Jos tendant à la restitution de l’église, du cimetière, de la maison paroissiale et des terrains afférents lui ayant appartenu.
8. Après une première cassation avec renvoi, lors du réexamen de l’affaire, plusieurs délais furent octroyés, sans succès, aux fins de constitution d’une commission mixte. Par un jugement du 20 mai 1996, l’action de la requérante fut partiellement accueillie.
9. Sur appel des parties, par un arrêt du 4 novembre 1997, le tribunal départemental de Braşov (« le tribunal départemental ») renvoya l’affaire en première instance, au motif qu’il était nécessaire de constituer une commission mixte et de procéder à un recensement qui établirait sans équivoque la volonté des fidèles. Par un arrêt définitif du 19 mars 1998, la cour d’appel de Braşov (« la cour d’appel ») rejeta le pourvoi en recours formé par la requérante.
10. Le 12 février 1999, le tribunal de première instance sursit à l’examen de l’affaire à la demande des parties, celles-ci ayant indiqué qu’une rencontre devait avoir lieu au mois de mai entre le conseil de l’Église gréco-catholique et celui de l’Église orthodoxe. Les parties n’ayant pu régler le différend à l’amiable, l’examen de l’affaire reprit le 3 mars 2000.
11. Ultérieurement, en 2000 et en 2001, les parties effectuèrent des démarches aux fins de la constitution d’une commission mixte. Le 25 mai 2001, la commission mixte fut constituée. Le représentant de la requérante ne s’étant pas présenté à la date arrêtée pour le recensement, celui-ci ne put être réalisé.
12. Par un jugement du 8 juin 2001, le tribunal de première instance rejeta l’action de la requérante, au motif que la procédure préalable obligatoire n’avait pas été observée par les parties. Par un arrêt du 6 novembre 2001, le tribunal départemental rejeta l’appel de la requérante.
13. Cette dernière forma un pourvoi en recours.
14. Le 12 mars 2002, la cour d’appel demanda aux parties de régler l’affaire à l’amiable dans le cadre de la commission mixte. Un recensement fut réalisé en mars 2002. Le 12 mai 2003, la mairie de Comăna de Jos informa la cour d’appel que plusieurs rencontres avaient eu lieu entre les représentants des deux cultes en litige et ceux de la mairie et du conseil local, mais qu’elles n’avaient pas abouti.
15. Par un arrêt définitif du 16 mai 2003, la cour d’appel rejeta le pourvoi en recours de la requérante, après avoir estimé que la procédure devant la commission mixte était obligatoire en application de l’article 3 du décret-loi no 126/1990 et que l’intéressée ne pouvait pas saisir les juridictions internes avant d’avoir suivi cette procédure préalable.
16. Par la suite, l’article 3 du décret-loi no 126/1990 fut complété par l’ordonnance du Gouvernement no 64/2004 du 13 août 2004 (« l’ordonnance no 64/2004 ») et par la loi no 182/2005 du 13 juin 2005 (« la loi no 182/2005 »). Dans sa nouvelle rédaction, cet article dispose que, en cas d’absence d’accord trouvé par les représentants cléricaux des cultes religieux en conflit au sein de la commission mixte, la partie intéressée peut introduire une action en justice en vertu du droit commun.
17. Il ressort des pièces du dossier que la requérante n’a pas saisi les juridictions internes d’une action fondée sur le droit commun, telle que prévue par l’article 3 du décret-loi no 126/1990 dans sa rédaction issue de l’ordonnance no 64/2004 et de la loi no 182/2005.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
18. Les dispositions légales applicables en l’espèce et la jurisprudence interne pertinente en la matière sont présentées dans les affaires Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie ([GC], no 76943/11, §§ 35-57, 29 novembre 2016) et Paroisse gréco-catholique Pruniș c. Roumanie ((déc.) no 38134/02, §§ 14-20, 8 avril 2014).
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN RAISON DE LA DURÉE DE LA PROCÉDURE
19. La requérante dénonce la durée de la procédure engagée devant les juridictions internes, qui a pris fin par l’arrêt définitif du 16 mai 2003 de la cour d’appel. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente en l’espèce :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »
A. Sur la recevabilité
20. Constatant que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
21. La requérante dénonce la durée de la procédure qu’elle estime déraisonnable et dont elle impute le caractère excessif aux autorités nationales.
22. Le Gouvernement soutient que l’affaire revêtait une complexité particulière, que les autorités judiciaires ont fait preuve de diligence dans son examen et que la requérante a contribué au prolongement de la procédure.
23. La Cour note que la procédure a commencé le 28 juillet 1993, avec la saisine du tribunal de première instance (paragraphe 8 ci-dessus), et qu’elle a pris fin le 16 mai 2003, avec l’arrêt définitif de la cour d’appel (paragraphe 15 ci-dessus). La Convention étant entrée en vigueur à l’égard de la Roumanie le 20 juin 1994, la Cour constate que la période antérieure à cette dernière date échappe à sa compétence ratione temporis (voir, par exemple et mutatis mutandis, Humen c. Pologne [GC], no 26614/95, §§ 58-59, 15 octobre 1999). En outre, la Cour observe que du 12 février 1999 au 3 mars 2000 l’affaire a été suspendue à la demande des parties et que, d’après les pièces du dossier, aucune démarche n’a été faite pendant cette période aux fins de suivi de la procédure préalable obligatoire devant la commission mixte (paragraphe 10 ci-dessus). Dès lors, elle estime que cet intervalle de plus d’un an ne doit pas être pris en compte dans le calcul de la période à considérer.
24. La Cour constate donc qu’en l’espèce la procédure a duré sept ans et dix mois environ pour trois degrés de juridiction.
25. Faisant application des critères consacrés par sa jurisprudence en matière de durée de la procédure (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII), la Cour observe d’emblée que, comme les tribunaux l’ont fait remarquer, à l’époque des faits, la procédure préalable prévue par l’article 3 du décret-loi no 126/1990 était obligatoire (paragraphes 9 et 15 ci-dessus). Elle note ensuite que la procédure interne a été ajournée pendant de longues périodes afin de permettre aux parties en litige et à la mairie de constituer une commission mixte et à cette dernière de prendre une décision (paragraphes 9, 11 et 14 ci-dessus). À cet égard, elle rappelle avoir déjà constaté que la loi en vigueur à l’époque des faits ne réglementait pas de manière claire la procédure à suivre devant la commission mixte et qu’aucun délai n’était prévu pour le prononcé d’une décision par celle-ci (Paroisse gréco-catholique Sâmbăta Bihor c. Roumanie, no 48107/99, § 71, 12 janvier 2010). De l’avis de la Cour, ces lacunes législatives ont contribué à conférer à la procédure préalable obligatoire un effet dilatoire, qui s’est répercuté en l’espèce sur la durée de la procédure dans son ensemble.
26. De plus, la Cour constate que le retard dans la procédure a également été causé par les cassations et les renvois successifs de l’affaire. Ainsi, l’affaire a été renvoyée deux fois devant le tribunal de première instance au motif que la procédure préalable n’avait pas été suivie (paragraphes 8 et 9 ci-dessus ; voir, en ce sens, Wierciszewska c. Pologne, no 41431/98, § 46, 25 novembre 2003).
27. Ayant examiné tous les éléments qui lui ont été soumis et tenant compte de sa jurisprudence en la matière, la Cour est d’avis que la cause de la requérante n’a pas été entendue dans un délai raisonnable.
28. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN RAISON D’UNE ATTEINTE AU DROIT DE LA REQUÉRANTE D’ACCÈS À UN TRIBUNAL, AINSI QUE DES ARTICLES 9 DE LA CONVENTION ET 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION, PRIS ISOLÉMENT ET COMBINÉS AVEC LES ARTICLES 13 ET 14 DE LA CONVENTION
29. Invoquant l’article 6 de la Convention, seul et combiné avec les articles 13 et 14 de la Convention, la requérante se plaint d’une atteinte à son droit d’accès à un tribunal, en raison d’un refus des juridictions internes de trancher l’action portant sur la situation juridique des biens en litige. Elle dénonce également une discrimination fondée sur la religion, les juridictions nationales ayant selon elle interprété les mêmes dispositions légales de manière différente dans des procédures similaires.
30. Se référant aux mêmes faits, la requérante se dit en outre victime d’un défaut de protection procédurale et d’une atteinte discriminatoire dans ses droits à la liberté de religion et au respect de ses biens. Elle se plaint enfin de ne pas avoir bénéficié au niveau interne d’une voie de recours effective qui lui aurait permis d’obtenir réparation.
31. Les dispositions de la Convention invoquées par la requérante autres que l’article 6 § 1 de la Convention précité se lisent ainsi :
Article 9
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
Article 14
« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
Article 1 du Protocole no 1
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
32. Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes. À cet égard, il indique que, à la suite des modifications apportées par la loi no 182/2005, la requérante a à sa disposition une action en revendication pour faire valoir ses prétentions sur les lieux de culte objet du litige.
33. La requérante affirme avoir épuisé toutes les voies de recours internes disponibles à la date de l’introduction de sa requête devant la Cour et considère que la voie ouverte par la loi no 182/2005 ne constitue pas un recours effectif.
34. Se référant aux principes généraux en matière d’épuisement des voies de recours internes tels que récemment réitérés dans l’affaire Gherghina c. Roumanie ((déc.) [GC], no 42219/07, §§ 83-89, 9 juillet 2015), la Cour rappelle que l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie normalement à la date d’introduction de la requête devant elle. Cette règle ne va cependant pas sans exceptions, celles-ci pouvant être justifiées par les circonstances particulières de chaque espèce (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, 22 mai 2001 ; voir, pour l’instauration de recours spécifiques par les juridictions internes, Paroisse gréco-catholique Pruniș, décision précitée, §§ 38-41, et Grzinčič c. Slovénie, no 26867/02, § 105, 3 mai 2007).
35. En l’espèce, la Cour note que la requérante se plaint principalement d’une atteinte à son droit d’accès à un tribunal aux fins de l’établissement de la situation juridique des biens immeubles en litige, défaut procédural qui aurait porté également atteinte de manière discriminatoire à ses droits à la liberté de religion et à la protection de ses biens.
36. La Cour observe que, après l’introduction de la présente requête devant elle, l’ordonnance no 64/2004 et la loi no 182/2005 ont complété l’article 3 du décret-loi no 126/1990 afin d’offrir à toute partie intéressée un accès à un tribunal pour connaître du bien-fondé des actions portant sur la situation juridique des lieux de culte (paragraphes 16 et 18 ci-dessus). Elle rappelle avoir constaté, dans l’affaire Paroisse gréco-catholique Pruniș précitée, que ce nouveau recours était disponible aux intéressés, en droit interne, tant en pratique qu’en théorie et que, quel qu’ait été le critère appliqué par les juridictions internes, ces dernières procédaient à un examen au fond des actions engagées devant elles (Paroisse gréco-catholique Pruniș, décision précitée, §§ 36, 37 et 40). Elle rappelle aussi avoir conclu, dans la même affaire, que la requérante aurait dû faire usage du nouveau recours interne instauré par l’ordonnance no 64/2004 et la loi no 182/2005 (Paroisse gréco-catholique Pruniș, décision précitée, § 41).
37. De même, la Cour a récemment jugé que le fait pour les juridictions nationales d’appliquer dans le cadre d’une action en restitution d’un lieu de culte le critère prévu par l’article 3 du décret-loi no 126/1990, à savoir « la volonté des fidèles des communautés détentrices des biens », ne portait pas atteinte au droit d’accès des intéressés à un tribunal (Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres, précité, §§ 99-101).
38. La Cour ne voit en l’espèce aucune raison de parvenir à une conclusion différente. En effet, il était loisible à la requérante d’engager une nouvelle action en restitution des biens immeubles revendiqués en se fondant sur les dispositions de l’article 3 du décret-loi no 126/1990, qui prévoit expressément la compétence des tribunaux nationaux pour examiner pareille affaire. La Cour souligne également qu’elle ne saurait examiner in abstracto l’application du critère prévu par l’article 3 du décret-loi no 126/1990 à la situation de la requérante et qu’elle ne peut pas spéculer sur l’issue et sur l’équité d’une nouvelle procédure.
39. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que la requérante aurait dû engager une nouvelle action après les modifications apportées par la loi no 182/2005 afin de donner la possibilité aux juridictions internes de remédier à ses griefs. Partant, elle accueille l’exception soulevée par le Gouvernement et rejette ces griefs pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
40. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
41. Au titre du préjudice matériel qu’elle estime avoir subi, la requérante demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de lui restituer les biens immeubles en litige ou, à défaut, de lui accorder la somme de 44 338 euros (EUR), correspondant à la valeur des biens en cause telle qu’établie par un rapport d’évaluation. Au titre du préjudice moral qu’elle dit avoir subi, elle réclame 20 000 EUR.
42. S’agissant du préjudice matériel, le Gouvernement considère que les valeurs figurant dans le rapport d’évaluation sont excessives par rapport aux valeurs marchandes estimées par la chambre des notaires de Braşov. Pour ce qui est du préjudice moral, il est d’avis qu’un éventuel constat d’une atteinte aux droits conventionnels pourrait constituer en lui-même une réparation suffisante. Subsidiairement, il demande à la Cour d’accorder à la requérante, au titre de ce préjudice, une somme en adéquation avec sa jurisprudence en la matière.
43. La Cour relève que l’octroi d’une satisfaction équitable en l’espèce ne peut se justifier que par le fait que la cause de la requérante n’a pas été entendue dans un délai raisonnable. Étant donné que la requérante n’a pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre la violation constatée et le préjudice matériel allégué, la demande présentée à cet égard doit être rejetée.
44. S’agissant de la réparation du préjudice moral, la Cour a déjà jugé que le préjudice autre que matériel peut comporter, pour une personne morale, des éléments plus ou moins « objectifs » et d’autres plutôt « subjectifs » (Paroisse gréco-catholique Sfântul Vasile Polonă c. Roumanie, no 65965/01, § 117, 7 avril 2009). Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle estime qu’il y a lieu d’allouer à la requérante 1 200 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
45. La requérante demande 8 980 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, ventilés comme suit : 3 120 EUR et 5 560 EUR respectivement pour les honoraires d’avocat de Me M. Macovei et pour ceux de Me N. Popescu, ainsi que 300 EUR correspondant à des frais de secrétariat et de correspondance. La requérante produit le contrat d’assistance juridictionnelle passé avec ces avocates et le décompte des heures de travail de celles-ci, ainsi que la convention conclue avec l’Association pour la défense des droits de l’homme en Roumanie - Comité Helsinki (APADOR-CH) par laquelle celle-ci s’était engagée à supporter les frais de secrétariat nécessaires pour soutenir la présente requête devant la Cour. Elle demande que les montants correspondant à ces frais soient versés directement à ses avocates et à l’APADOR-CH.
46. La requérante réclame également la somme de 337 EUR correspondant aux frais engagés pour la réalisation du rapport d’évaluation ayant servi à établir la valeur des biens en cause et à étayer sa demande formulée au titre du préjudice matériel.
47. Le Gouvernement indique que Me M. Macovei a déjà représenté d’autres requérants devant la Cour dans des affaires selon lui similaires à la présente cause. Il considère par conséquent que le montant demandé est excessif par rapport à la prestation effectivement fournie par cette avocate dans le strict cadre de la présente requête. Il invite la Cour à limiter la somme à octroyer aux frais réellement engagés et nécessaires.
48. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Nilsen et Johnsen c. Norvège [GC], no 23118/93, § 62, CEDH 1999-VIII). En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande de remboursement concernant les frais exposés par l’APADOR-CH, étant donné que cette association ne représente pas la requérante dans la présente procédure. De même, la somme engagée pour la réalisation du rapport d’évaluation (paragraphe 46 ci-dessus) ne sera accordée, étant donné que celle-ci n’a pas servi pour prévenir ou redresser la situation jugée constitutive d’une violation de la Convention (voir, mutatis mutandis, Nilsen et Johnsen, précité, § 62). En revanche, la Cour estime raisonnable la somme de 1 200 EUR pour les honoraires de Mes M. Macovei et N. Popescu. Cette somme totale est à verser directement sur le compte bancaire qui sera indiqué par ces avocats (voir, mutatis mutandis, Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 219, CEDH 2013, et Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 288, 15 décembre 2016).
C. Intérêts moratoires
49. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention concernant la durée de la procédure, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
i. 1 200 EUR (mille deux cents euros) à la requérante, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
ii. 1 200 EUR (mille deux cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens, à verser conjointement et directement sur le compte bancaire qui sera indiqué par les avocates de la requérante, Me M. Macovei et Me N. Popescu,
b) qu’à compter de l’expiration de ce délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 mars 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Andrea Tamietti Vincent
A. De Gaetano
Greffier adjoint Président