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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MUZAMBA OYAW v. BELGIUM - 23707/15 [2017] ECHR 321 (28 February 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/321.html Cite as: [2017] ECHR 321 |
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DEUXIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 23707/15
Patrick MUZAMBA OYAW
contre la Belgique
La Cour européenne des droits de l’homme
(deuxième section), siégeant le 28 février 2017 en une Chambre composée
de :
Işıl Karakaş,
présidente,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 13
mai 2015,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
1. Le requérant, M. Patrick Muzamba
Oyaw, est un ressortissant congolais né en 1982 et résidant à Namur (Belgique).
Il est représenté devant la Cour par Me Z. Chihaoui, avocat à
Bruxelles.
A. Les circonstances de l’espèce
2. Les faits de la cause, tels qu’ils
ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.
1. Mesure initiale de détention du 26 août au 24 octobre 2014
3. Le 26 juillet 2010, le requérant
arriva en Belgique où il introduisit une demande d’asile ainsi qu’une demande d’autorisation
de séjour en qualité de partenaire d’une ressortissante belge. Ces demandes
furent rejetées. D’après un arrêt du Conseil du contentieux des étrangers
(« CCE ») du 9 septembre 2014, une deuxième demande de séjour aurait
été introduite par le requérant, et également rejetée. Plusieurs ordres de
quitter le territoire lui furent délivrés sans qu’il y donne suite.
4. Le 26 août 2014, le requérant fut
interpellé et un rapport administratif de contrôle d’un étranger fut établi au
sujet de son séjour illégal par la police de Bruxelles. Le même jour, l’office
des étrangers (« OE ») lui notifia un nouvel ordre de quitter le
territoire avec maintien dans un lieu déterminé en vue de son éloignement,
ainsi qu’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de deux ans. L’OE
releva que le requérant n’était pas en possession d’un passeport valable revêtu
d’un visa valable ni d’un permis de travail, et qu’il n’avait pas obtempéré à
la précédente décision d’éloignement. La mesure privative de liberté, fondée
sur l’article 7, alinéa 3 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au
territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers
(« la loi sur les étrangers »), était notamment motivée par le fait
que l’exécution de sa remise à la frontière ne pouvant être effectuée
immédiatement, le requérant devait être détenu, et ne possédant aucun document
d’identité, devait être écroué pour permettre l’octroi par ses autorités
nationales d’un titre de voyage. Le requérant fut placé au centre fermé pour
illégaux de Bruges.
5. Invoquant l’article 8 de la
Convention, le requérant produisit un rapport médical provenant d’une
psychologue du 3 septembre 2014 (voir paragraphe 20 ci-dessous) qui faisait
état de la santé psychologique fragile de sa compagne belge enceinte de leur
enfant et de la nécessité de l’accompagner à l’appui d’une demande de
suspension en extrême urgence de l’ordre de quitter le territoire.
6. Le 9 septembre 2014, le CCE
rejeta la demande. Il se considéra incompétent pour connaître de la demande
dans la mesure où elle visait la mesure privative de liberté. En ce qui
concernait l’éloignement envisagé et la vie familiale invoquée, le CCE conclut
qu’aucun moyen sérieux n’appuyait la demande. Quant à l’allégation du requérant
qu’il aurait mentionné à la police le 26 août 2014 l’existence de sa relation
avec une ressortissante belge enceinte de ses œuvres, et en fin de grossesse,
et demandé de noter cette information, le CCE constata que cela n’était qu’une
simple allégation qui ne ressortait aucunement du dossier administratif. De
plus, après avoir analysé tant les déclarations du requérant que les documents
fournis par celui‑ci, le CCE considéra qu’une vie familiale au sens de l’article
8 n’avait pas été démontrée. Ensuite, le CCE releva, en supposant qu’une vie
familiale était démontrée, – quod non – que celle-ci avait été entamée
lorsque le requérant se trouvait en séjour illégal et qu’il ne ressortait pas
du dossier administratif qu’il aurait entrepris des démarches pour régulariser
son séjour en fonction de sa compagne avec qui il avait – selon les
déclarations de cette dernière, figurant dans le rapport fourni – déjà une
relation depuis deux ans (voir également paragraphes 18 et suivants
ci-dessous). De plus, le requérant n’avait pas non plus démontré qu’une vie
familiale ne serait possible qu’en Belgique. Enfin, dans la mesure où le
requérant prétendait que son éloignement – même temporaire – emporterait en
particulier des conséquences préjudiciables pour sa compagne enceinte, le CCE
estima que le requérant n’avait pas démontré l’état psychologique ou la
grossesse difficile de sa compagne qui résulteraient des circonstances dans
lesquelles lui se trouvait. Ainsi, le rapport psychologique était une copie non
signée, dont le requérant ne pouvait pas fournir l’original sur demande, ne
faisait pas état de consultations précédentes et n’était basé que sur des
déclarations de sa compagne, sans que celles-ci soient vérifiées ou appuyées d’autres
documents. Selon le CCE, un éloignement temporaire en vue de faire les
démarches nécessaires n’était pas contraire à l’article 8 de la Convention.
7. Le 11 septembre 2014, le
requérant déposa une première requête de mise en liberté invoquant l’article 8
de la Convention, ainsi que l’article 7, alinéas 3 et 4 et l’article 15 de
la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre
2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États
membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier
(« la directive Retour »). Celle-ci fut déclarée fondée par la
chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles par une
ordonnance du 19 septembre 2014 en raison de l’accouchement imminent de sa
compagne et de la santé physique et psychologique particulièrement fragile de
celle-ci donnant à craindre un important danger pour la vie tant de la mère que
de l’enfant à naître si le requérant ne pouvait pas être présent lors de l’accouchement.
La chambre du conseil ordonna la mise en liberté immédiate du requérant.
8. Par un arrêt du 7 octobre 2014,
saisie sur appel de l’État, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel
de Bruxelles, après avoir rappelé qu’elle n’était compétente que pour se
prononcer sur la légalité et non pas sur l’opportunité de la privation de
liberté, décida le maintien en détention du requérant pour les motifs
suivants :
« En l’espèce, la cour, chambre des mises en accusation, (...), constate que [le requérant] reste en défaut de démontrer une atteinte à l’article 8 de la [Convention].
La prétendue existence d’une vie familiale repose uniquement sur des déclarations [du requérant] et/ou de sa prétendue compagne et des déclarations faites à des intervenants médicaux ou à des psychologues.
[Le requérant] a fait état de l’existence de cette prétendue vie familiale uniquement dans le cadre des procédures visant à contester la dernière mesure d’éloignement et la mesure de détention prises à son encontre. Les attestations sont toutes postérieures à ces mesures.
Il n’apparaît du dossier aucun élément permettant d’établir que [le requérant] a entrepris antérieurement des démarches utiles visant la reconnaissance de cette relation et la consécration de ses effets dans l’ordre juridique belge. [Le requérant] ne peut pourtant pas prétendre méconnaître la procédure belge dans la mesure où il a, dans le passé, entrepris ces démarches pour obtenir la reconnaissance d’une précédente relation.
Les pièces déposées au dossier permettent d’établir la grossesse difficile de Madame N. et la présence [du requérant] à certains rendez-vous médicaux. Elles ne démontrent, par contre, pas à suffisance l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 (...).
Les pièces déposées au dossier ne permettent notamment pas à la cour, chambre des mises en accusation d’appréhender (...) si Madame N. et [le requérant] cohabitent.
Aucun élément objectif ne permet de confirmer les allégations [du requérant] concernant l’existence de cette relation et la prétendue volonté de vie commune. »
9. La chambre des mises en
accusation considéra ensuite que, même supposant la vie familiale du requérant
établie :
« (...) [L’]ingérence de l’autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale [du requérant] (...) est non seulement prévue par la loi du 15 décembre 1980, mais elle constituerait, en l’espèce, une mesure qui entre dans la catégorie de celles autorisées par l’article 8.2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
L’article 8 de la [Convention] ne s’oppose pas, en effet, à ce que les États fixent les conditions pour l’entrée et le séjour des étrangers sur leurs territoires ni, partant, qu’ils prennent une mesure d’éloignement à l’égard de ceux qui ne satisfont pas à ces conditions.
La constatation de l’opportunité de la mesure d’éloignement prise par le gouvernement ne serait pas en tout état de cause incompatible avec le prescrit légal, ni avec les dispositions de la [Convention], dont notamment l’article 8, ni non plus avec celles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques fait à New York le 19 décembre 1966, ni davantage avec celles de la Convention internationale des droits de l’enfant (...), à supposer que le lien de filiation allégué vis-à-vis de l’enfant à naître, est établi.
Le dossier soumis à la cour, comporte en effet les éléments pertinents, justifiant les raisons du choix de la mesure d’éloignement du Royaume et des mesures de rétention prises par l’autorité compétente.
Il subsiste en l’espèce effectivement de sérieuses raisons de croire que [le requérant] n’obtempère pas volontairement à l’ordre de quitter le territoire qui lui a été notifié et que toute mesure alternative demeure vaine. Plusieurs ordres de quitter le territoire lui ont été précédemment notifiés (...). En outre, [le requérant] a confirmé son souhait de continuer à séjourner en Belgique et de ne pas retourner au Congo à l’audience.
Le but de la mesure privative de liberté est uniquement de garantir un rapatriement effectif [du requérant] vers son pays d’origine et de mettre ainsi un terme à la précarité de son séjour.
Dès lors, les conditions auxquelles la loi [sur les étrangers] subordonne la privation de liberté d’un étranger sont bien réunies. »
10. Le requérant se pourvut en
cassation invoquant une violation de l’article 8 de la Convention. Le 12
novembre 2014, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle constata que la
chambre des mises en accusation avait bien pris en considération les éléments
du dossier relatifs à la vie privée et familiale du requérant jusqu’au moment
de son expulsion, et avait examiné tant la réalité de la communauté de vie
alléguée que les conditions justifiant une ingérence de l’autorité publique
dans la vie familiale du requérant, à la supposer établie.
11. Entre-temps, après avoir tenté
en vain de contacter l’OE pour obtenir la réformation de sa décision, le
requérant introduisit une deuxième demande de suspension en extrême urgence de
l’ordre de quitter le territoire et de l’interdiction d’entrée du 26 août 2014
auprès du CCE. Le 10 octobre 2014, le CCE rejeta cette demande au motif
que l’acte attaqué avait déjà fait l’objet d’une telle demande.
2. Mesure de prolongation de la détention
12. Le 24 octobre 2014, l’OE prit
une décision de prolongation de deux mois de la détention du requérant sur la
base de l’article 7, alinéa 5 de la loi sur les étrangers. La décision était
motivée par le fait que les mesures nécessaires pour éloigner le requérant
avaient été prises endéans les sept jours ouvrables après l’écrou : une
demande pour l’obtention d’un document de voyage avait été envoyée à l’Ambassade
de la République démocratique du Congo le 1er septembre 2014, et le
document obtenu le 2 octobre 2014. De plus, ces mesures avaient été continuées
avec la diligence requise : un entretien avait été prévu le 17 septembre
2014. L’OE nota, outre la libération du requérant ordonnée par la chambre du
conseil le 19 septembre 2014 et la reforme subséquente de l’ordonnance par la
chambre des mises en accusation le 7 octobre 2014, que la demande de
suspension en extrême urgence contre l’ordre de quitter le territoire et l’interdiction
d’entrée du 26 août 2014 avait été rejetée le 10 octobre 2014. L’OE
considéra qu’il subsistait toujours une possibilité que le requérant soit
éloigné dans un délai raisonnable.
13. Le 30 octobre 2014, le requérant
introduisit une requête de mise en liberté à l’encontre de la décision
précédente, invoquant l’article 8 de la Convention, ainsi que l’article 15 de
la directive Retour, de l’article 7, alinéas 3 et 4 de la loi sur les étrangers
et l’article 110quaterdecies de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l’accès
au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. Il se
plaignit que les autorités avaient décidé de prolonger sa détention sans
examiner l’opportunité d’autres mesures moins contraignantes. En effet, la
décision du 24 octobre 2014 n’était pas motivée par la nécessité spécifique de
détenir le requérant, sinon par une motivation tout à fait stéréotypée et,
malgré les circonstances familiales difficiles du requérant, aucune
appréciation n’avait été faite pour voir si une assignation à résidence aurait
pu être envisagée.
14. Le 5 novembre 2014, la chambre
du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles déclara la requête non
fondée au motif que la privation de liberté du requérant avait été prise
conformément à la loi.
15. Le 7 novembre 2014, le requérant
interjeta appel contre cette ordonnance.
3. Libération du requérant
16. Le 13 novembre 2014, à la date
de l’accouchement de sa compagne, le requérant fut libéré.
17. Le 19 novembre 2014, la chambre
des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles déclara l’appel formé
par le requérant à l’encontre de l’ordonnance du 5 novembre 2014 sans objet
étant donné que le requérant avait été mis en liberté.
4. Situation familiale et personnelle du requérant
18. Le requérant fait état de deux
relations affectives successives avec des ressortissantes belges. Sa première
relation débuta en 2011. Il ressort des documents versés au dossier que le
requérant aurait introduit, en vain, deux demandes, respectivement en décembre
2011 et juillet 2013, de séjour en sa qualité de partenaire de sa première
compagne. Cette relation prit fin, et le requérant déclara à la commune d’Uccle
la cessation de sa cohabitation légale avec sa première compagne le 24 février
2014.
19. Entre-temps, approximativement
en août 2012 selon les déclarations figurant au dossier, il aurait entamé une
nouvelle relation. Il ressort du rapport du 3 septembre 2014 (voir paragraphes
5, 6 et 20) que sa compagne actuelle, également de nationalité belge, réside en
Belgique depuis ses cinq ans avec sa mère qui est également de nationalité
belge. Ils se seraient mariés « traditionnellement » en avril 2014.
20. Le requérant explique qu’au
moment de sa mise en détention administrative le 26 août 2014, sa compagne
était enceinte de ses œuvres d’environ sept mois et que sa grossesse était
considérée à risque par les médecins et praticiens qui la suivaient. Le
requérant a fourni un rapport (non signé) provenant d’une psychologue et daté
du 3 septembre 2014 attestant ce qui suit :
« B) Accidents pendant la grossesse de la [compagne du requérant] :
La patiente exprime avoir eu plusieurs accidents et des problèmes médicaux depuis le début de sa grossesse. Elle aurait fait trois chutes et a eu des problèmes de décollement du placenta.
(...)
3) Chez sa mère à Namur [la compagne du requérant] se serait réveillé un jour avec des pertes de sang lié à un décollement du placenta et a dû recevoir des soins médicaux.
(...)
Depuis l’arrestation de son époux [la compagne du requérant] semble s’être effondrée. (...)
Son époux est effondré d’après ses dires et pleure lors de chaque contact téléphonique (...).
L’état clinique de la [compagne du requérant] est également aggravé par la présence d’une idéation suicidaire majeure (se tuer et faire mourir son futur bébé dans son ventre), appelé le « suicide altruiste » en clinique, en lien avec l’arrestation et la détention de son époux et l’obligation de son expulsion dans son pays d’origine le Congo. Pour la [compagne du requérant] cela représente la menace de perdre son époux et un appui fondamental pour son équilibre psychologique, la menace de ne plus avoir de père pour son futur enfant à naître (...).
L’état psychologique de la [compagne du requérant] nécessite un suivi psychologique chez un psychologue. [Elle] sera revue à ma consultation pour continuer le suivi. (...) [Elle] nécessite également un suivi chez un psychiatre afin de prévenir le risque de passage à l’acte suicidaire et de [la] protéger [elle et son futur enfant].
[Son] état psychologique nécessite également un accompagnement spécifique autour de la grossesse et de la naissance de son futur enfant.
Nous faisons l’hypothèse au vu des éléments cliniques et de l’anamnèse que son accouchement sera un accouchement « à risque » et qu’une attention particulière devra être portée aux conditions entourant la [compagne] et son bébé lors de cet événement.
Une prise en charge spécifique, psychologique et médicale, sera proposée à la [compagne].
Son médecin-gynécologue sera informé des éléments cliniques inquiétants relevés lors de cette évaluation psychologique. »
21. Une copie d’un certificat
médical établi le 2 octobre 2014 certifie à l’égard de la compagne du requérant
que :
« (...) la présence de son mari pourrait influencer favorablement le déroulement autant psychique que physique de l’accouchement. Le stress de cette patiente pourrait autant affecter la relation mère-bébé et la présence de son mari pourra influencer grandement (...) l’accouchement et l’accordage mère-enfant. »
22. Le requérant essaya, en vain,
lorsqu’il était détenu au centre fermé, d’effectuer auprès du service de l’état
civil de Namur la reconnaissance anticipée de l’enfant à naître.
23. Le 13 novembre 2014, la compagne
du requérant accoucha d’un garçon. Le 20 novembre 2014, la commune de Namur
prit acte de la naissance du garçon, sur déclaration de la mère et du requérant
qui, autorisé par cette dernière, déclarait être le père de l’enfant. L’acte de
naissance du même jour mentionne également le requérant en tant que père du
garçon.
24. Le 21 novembre 2014, le
requérant introduisit une demande de séjour en sa qualité de parent d’un enfant
mineur belge.
25. Le 23 mars 2015, l’OE ne prit
pas en considération la demande au motif que le requérant fit l’objet d’une
interdiction d’entrée d’une durée de deux ans. L’OE releva que le requérant
devait obtempérer aux ordres de quitter le territoire qui lui avaient été
notifiés de même qu’à l’interdiction d’entrée pour laquelle il devait demander
la levée à l’étranger. Un recours en annulation est pendant auprès du CCE.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
26. Les dispositions pertinentes de
la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement
et l’éloignement des étrangers, telles que modifiées par la loi du 19 janvier
2012 transposant partiellement la directive 2008/115/CE du Parlement européen
et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures
communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de
pays tiers en séjour irrégulier (« la directive Retour »), se lisent
comme suit :
Article 7
« Sans préjudice de dispositions plus favorables contenues dans un traité international, le ministre ou son délégué peut donner à l’étranger, qui n’est ni autorisé ni admis à séjourner plus de trois mois ou à s’établir dans le Royaume, un ordre de quitter le territoire dans un délai déterminé ou doit délivrer dans les cas visés au 1o, 2o, 5o, 11o ou 12o, un ordre de quitter le territoire dans un délai déterminé :
1o s’il demeure dans le Royaume sans être porteur des documents requis par l’article 2 ;
2o s’il demeure dans le Royaume au-delà du délai fixé conformément à l’article 6, ou ne peut apporter la preuve que ce délai n’est pas dépassé ;
3o si, par son comportement, il est considéré comme pouvant compromettre l’ordre public ou la sécurité nationale ;
4o s’il est considéré par le Ministre, après avis conforme de la Commission consultative des étrangers, comme pouvant compromettre les relations internationales de la Belgique ou d’un État partie à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant la Belgique ;
5o s’il est signalé aux fins de non-admission conformément à l’article 3, 5o ;
6o s’il ne dispose pas de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays de provenance ou le transit vers un État tiers dans lequel son admission est garantie, et n’est pas en mesure d’acquérir légalement ces moyens ;
7o s’il est atteint d’une des maladies ou infirmités énumérées à l’annexe de la présente loi ;
8o s’il exerce une activité professionnelle indépendante ou en subordination sans être en possession de l’autorisation requise à cet effet ;
9o si, en application des conventions ou des accords internationaux liant la Belgique, il est remis aux autorités belges par les autorités des États contractants en vue de son éloignement du territoire de ces États ;
10o si, en application des conventions ou des accords internationaux liant la Belgique, il doit être remis par les autorités belges aux autorités des États contractants ;
11o s’il a été renvoyé ou expulsé du Royaume depuis moins de dix ans, lorsque la mesure n’a pas été suspendue ou rapportée ;
12o si l’étranger fait l’objet d’une interdiction d’entrée ni suspendue ni levée.
Sous réserve de l’application des dispositions du Titre IIIquater, le ministre ou son délégué peut, dans les cas visés à l’article 74/14, § 3, reconduire l’étranger à la frontière.
À moins que d’autres mesures suffisantes mais moins coercitives puissent être appliquées efficacement, l’étranger peut être maintenu à cette fin, pendant le temps strictement nécessaire à l’exécution de la mesure, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque l’étranger évite ou empêche la préparation du retour ou la procédure d’éloignement, et sans que la durée de maintien ne puisse dépasser deux mois.
Le ministre ou son délégué peut, dans les mêmes cas, assigner à résidence l’étranger pendant le temps nécessaire à l’exécution de cette mesure.
Le Ministre ou son délégué peut toutefois prolonger cette détention par période de deux mois, lorsque les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’étranger ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de la mise en détention de l’étranger, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité d’éloigner effectivement l’étranger dans un délai raisonnable.
Après une prolongation, la décision visée à l’alinéa précédent ne peut plus être prise que par le Ministre.
Après cinq mois de détention, l’étranger doit être mis en liberté. Dans le cas où la sauvegarde de l’ordre public ou la sécurité nationale l’exige, la détention de l’étranger peut être prolongée chaque fois d’un mois, après l’expiration du délai visé à l’alinéa précédent, sans toutefois que la durée totale de la détention puisse de ce fait dépasser huit mois. »
Article 27
« § 1. L’étranger qui a reçu l’ordre de quitter le territoire et l’étranger renvoyé ou expulsé qui n’ont pas obtempéré dans le délai imparti peuvent être ramenés par la contrainte à la frontière de leur choix, à l’exception en principe de la frontière des États parties à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant la Belgique, ou être embarqués vers une destination de leur choix, à l’exclusion de ces États.
Si l’étranger possède la nationalité d’un État partie à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant la Belgique, ou s’il dispose d’un titre de séjour ou d’une autorisation de séjour provisoire en cours de validité, délivrés par un État partie, il pourra être ramené à la frontière de cet État ou être embarqué à destination de cet État.
§ 2. Sans préjudice de l’application des articles 51/5 à 51/7, les dispositions du § 1er sont appliquées à l’étranger qui a reçu une décision d’éloignement prise à son encontre par une autorité administrative compétente d’un État tenu par la directive 2001/40/CE du Conseil de l’Union européenne du 28 mai 2001 relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement des ressortissants de pays tiers, à laquelle il n’a pas obtempéré et qui a été reconnue par le Ministre ou son délégué, conformément à l’article 8bis.
§ 3. Les étrangers visés aux §§ 1er et 2 peuvent, sans préjudice des dispositions du Titre IIIquater et à moins que d’autres mesures suffisantes mais moins coercitives puissent être appliquées efficacement, être détenus à cette fin, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque l’étranger évite ou empêche la préparation du retour ou la procédure d’éloignement pendant le temps strictement nécessaire pour l’exécution de la mesure d’éloignement.
Les frais occasionnés par le rapatriement de l’étranger sont à sa charge. L’État qui a délivré la décision d’éloignement visée au § 2 est informé du fait que l’étranger a été ramené à la frontière de son choix ou, conformément à l’article 28, à la frontière désignée par le Ministre ou son délégué. »
Article 72
« La chambre du conseil statue dans les cinq jours ouvrables du dépôt de la requête après avoir entendu l’intéressé ou son conseil, le Ministre, son délégué ou son conseil en ses moyens et le ministère public en son avis. Si la chambre du conseil n’a pas statué dans le délai fixé, l’étranger est mis en liberté.
Elle vérifie si les mesures privatives de liberté et d’éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité. Les ordonnances de la chambre du conseil sont susceptibles d’appel de la part de l’étranger, du ministère public et du Ministre ou son délégué.
(...) »
Article 74/14
« § 1. La décision d’éloignement prévoit un délai de trente jours pour quitter le territoire.
Le ressortissant d’un pays tiers qui, conformément à l’article 6, n’est pas autorisé à séjourner plus de trois mois dans le Royaume, bénéficie d’un délai de sept à trente jours.
Sur demande motivée introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre ou de son délégué, le délai octroyé pour quitter le territoire, mentionné à l’alinéa 1er, est prolongé, sur production de la preuve que le retour volontaire ne peut se réaliser endéans le délai imparti.
Si nécessaire, ce délai peut être prolongé, sur demande motivée introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre ou de son délégué, afin de tenir compte des circonstances propres à sa situation, comme la durée de séjour, l’existence d’enfants scolarisés, la finalisation de l’organisation du départ volontaire et d’autres liens familiaux et sociaux.
Le ministre ou son délégué informe par écrit le ressortissant d’un pays tiers que le délai de départ volontaire a été prolongé.
§ 2. Aussi longtemps que le délai pour le départ volontaire court, le ressortissant d’un pays tiers est protégé contre un éloignement forcé.
Pour éviter le risque de fuite pendant ce délai, le ressortissant d’un pays tiers peut être contraint à remplir des mesures préventives.
Le Roi définit ces mesures par un arrêté délibéré en Conseil des ministres.
§ 3. Il peut être dérogé au délai prévu au § 1er, quand :
1o il existe un risque de fuite, ou;
2o le ressortissant d’un pays tiers n’a pas respecté la mesure préventive imposée, ou;
3o le ressortissant d’un pays tiers constitue un danger pour l’ordre public et la sécurité nationale, ou;
4o le ressortissant d’un pays tiers n’a pas obtempéré dans le délai imparti à une précédente décision d’éloignement, ou;
5o il a été mis fin à son séjour sur le territoire en application de l’article 11, § 2, 4o, de l’article 13, § 2bis, § 3, 3o, § 4, 5o, § 5, ou de l’article 18, § 2, ou;
6o le ressortissant d’un pays tiers a introduit plus de deux demandes d’asile, sauf s’il y a des éléments nouveaux dans sa demande.
Dans ce cas, la décision d’éloignement prévoit soit un délai inférieur à sept jours, soit aucun délai. »
27. L’arrêté royal du 8 octobre 1981
sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des
étrangers prévoit dans son article 110quaterdecies :
« § 1. Les mesures préventives pouvant être prises par le Ministre ou son délégué à l’égard d’un ressortissant d’un pays tiers, conformément à l’article 74/14, § 2, de la loi, pour éviter le risque de fuite pendant le délai octroyé pour le départ volontaire sont :
1o effectuer son signalement lorsque le bourgmestre ou son délégué ou l’agent ou le fonctionnaire de l’Office des Étrangers le demande. La demande spécifie la fréquence à laquelle le ressortissant d’un pays tiers doit signaler sa présence;
2o déposer une garantie financière adéquate auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations. Le montant de la garantie est fixé par le Ministre ou son délégué sur la base du coût journalier d’un séjour dans un centre fermé, tel qu’il est déterminé dans l’arrêté royal du 14 janvier 1993 déterminant les modalités du remboursement des frais d’hébergement, de séjour et de soins de santé visés à l’article 74/4, §§ 3 et 4, de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, couplé à une durée déterminée, sans que ce montant ne puisse dépasser le coût d’un séjour de 30 jours. Le ressortissant d’un pays tiers verse ce montant sur le compte de la Caisse des Dépôts et Consignations au plus tard le lendemain de la notification de la décision d’éloignement, indépendamment du fait qu’un recours ou non soit introduit contre cette décision, et en transmet la preuve au ministre ou à son délégué. Le ressortissant d’un pays tiers envoie la preuve qu’il a quitté le territoire belge au ministre ou à son délégué et il lui communique un numéro de compte sur lequel la Caisse des Dépôts et Consignations lui restituera la garantie.
À l’expiration du délai octroyé pour le départ volontaire du ressortissant d’un pays tiers, et si ce dernier n’a pas obtempéré à l’ordre de quitter le territoire, la somme versée revient à l’État belge, à moins qu’un recours n’ait été introduit dans les délais fixés par la loi à l’encontre de la décision d’éloignement;
3o remettre une copie des documents permettant d’établir son identité.
§ 2. Les mesures préventives sont mentionnées dans l’ordre de quitter le territoire et lorsque la mesure reprise sous le § 1er, 1o, est appliquée, la fréquence à laquelle elle est exercée est indiquée. »
C. Le droit pertinent de l’Union européenne
28. La disposition pertinente de la
directive Retour se lit comme suit :
Article
15
Rétention
« 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque:
a) il existe un risque de fuite, ou
b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.
Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.
(... ) »
29. Dans un arrêt du 28 avril 2011
(C-61/11, El Dridi), la Cour de justice de l’Union européenne
(« CJUE ») a souligné que :
« Ce n’est que dans l’hypothèse où l’exécution de la décision de retour sous forme d’éloignement risque, au regard d’une appréciation de chaque situation spécifique, d’être compromise par le comportement de l’intéressé que ces États peuvent procéder à la privation de liberté de ce dernier au moyen d’une rétention. »
GRIEFS
30. Invoquant l’article 5 §1 f) de
la Convention, le requérant soutient que sa privation de liberté dans un centre
fermé pour illégaux par les autorités belges était illégale et arbitraire.
31. Invoquant l’article 8 de la
Convention, le requérant se plaint que sa détention administrative en vue de
son rapatriement a porté atteinte à sa vie familiale et privée.
EN DROIT
A. Sur la violation alléguée de l’article 5 §1 f) de la Convention
32. Le requérant allègue que sa
détention administrative dans un centre fermé pour illégaux était contraire à l’article
5 §1 f) de la Convention qui est ainsi formulé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
(...)
f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.
(...) »
33. Le requérant allègue que sa
détention administrative était contraire à la loi. En effet, un examen de
nécessité et de subsidiarité de sa détention tel que prévu par l’article 7,
alinéas 3 et 4, de la loi sur les étrangers ainsi que l’article 110quaterdecies
de l’arrêté royal du 8 octobre 1981, n’aurait pas eu lieu en l’espèce.
Pourtant, notamment vu ses circonstances familiales difficiles, d’autres
mesures moins contraignantes, comme l’assignation à résidence, auraient dû être
envisagées par l’OE. Par ailleurs, sa détention aurait été arbitraire au motif
que les autorités belges auraient fait preuve de mauvaise foi quant aux mesures
de détention prises à son encontre.
34. La Cour constate que la détention du requérant se justifiait au regard du second membre de phrase de l’article 5 §1 f) et qu’il a été détenu en tant que « personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition [était] en cours ». Il n’est pas exigé, pour justifier une privation de liberté sur cette base, que la détention d’une personne soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 112, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 164, CEDH 2009 ; voir également Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 38, CEDH 2002 I, et Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, no 41442/07, § 74, 19 janvier 2010). Cependant, comme il vient d’être rappelé, il faut qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition soit en cours ; si cette procédure n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 §1 f) (A. et autres c. Royaume-Uni, précité, § 164, et Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 90, CEDH 2016).
35. En plus d’être prévue aux alinéas a) à f) de l’article 5 § 1, toute privation de liberté doit aussi être « régulière ». En matière de régularité d’une détention, y compris l’observation des voies légales, la Convention renvoie pour l’essentiel au droit interne et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 67, CEDH 2008, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 125, CEDH 2013, Mozer c. République de Moldova et Russie [GC], no 11138/10, § 134, 23 février 2016, et Khlaifia, précité, § 91) ainsi que, ou, le cas échéant, au droit international (Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, § 79, CEDH 2010, Takush c. Grèce, no 2853/09, § 40, 17 janvier 2012, et Kholmurodov c. Russie, no 58923/14, § 84, 1er mars 2016). Les normes de droit interne peuvent à l’évidence trouver aussi leur origine dans le droit de l’Union européenne. Enfin, le respect du droit national n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi d’autres, Hassan c. Royaume-Uni [GC], no 29750/09, § 105, CEDH 2014, et Khlaifia, précité, § 91).
36. Il résulte de ce qui précède
que, même si l’article 5 §1 f) n’implique pas que la détention doive être
considérée comme raisonnablement nécessaire, un test de nécessité de la détention
peut être requis par la législation nationale, visée par cette disposition. Tel est le cas en droit belge suite à la
transposition de la directive Retour (voir, mutatis mutandis, Rusu c.
Autriche, no 34082/02, § 54, 2 octobre
2008). La Cour observe que la privation de liberté du
requérant a été décidée le 26 août 2014 notamment en application de l’article
7, alinéa 3 de la loi sur les étrangers qui prévoit qu’une personne qui n’est
pas autorisée à séjourner sur le territoire peut être mise en détention
« à moins que d’autres mesures suffisantes mais moins coercitives puissent
être appliquées efficacement ».
37. Là où la Convention, comme en
son article 5, renvoie directement au droit interne, le respect de celui-ci
forme partie intégrante des obligations des États contractants, de sorte que la
Cour a compétence pour s’en assurer au besoin ; toutefois, l’ampleur de la
tâche dont elle s’acquitte en la matière trouve des limites dans l’économie du
système européen de sauvegarde car il incombe au premier chef aux autorités
nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et appliquer ce droit. Sur
ce point, le rôle de la Cour se limite à examiner si l’interprétation des
dispositions légales invoquées par les autorités internes en l’espèce n’ait pas
été arbitraire ou manifestement déraisonnable au point de conférer à la
détention du requérant un caractère irrégulier (Rusu, précité,
§ 55).
38. En l’espèce, la Cour constate
que la détention du requérant a été motivée par l’OE dans sa décision du 26 août
2014 par son séjour illégal, le fait qu’il n’était pas en possession des
documents requis, ainsi que le non‑respect de l’ordre de quitter le
territoire précédent.
39. La Cour observe ensuite que l’allégation
du requérant quant au fait qu’il aurait mentionné sa situation familiale à la
police lors de son interpellation était contestée par les autorités nationales
(voir paragraphe 6 ci‑dessus) et que le requérant n’a apporté aucun
élément devant la Cour qui permettrait de conclure autrement que ces dernières.
Dès lors, la Cour estime que l’OE, ignorant la situation familiale difficile du
requérant lors de sa mise en détention, ne peut pas se voir reproché de ne pas
en avoir tenu compte lors de son placement en détention.
40. Cela étant dit, cette circonstance
n’a pas empêché les juridictions compétentes – la chambre du conseil et la
chambre des mises en accusation –, d’exercer leur contrôle, fût-il limité à un
contrôle de légalité, en tenant compte des exigences de la jurisprudence de la
Cour relative à l’article 5 § 1 f) rappelées ci-dessus et
des circonstances particulières du requérant.
41. Ainsi, la Cour note que l’examen
de la situation personnelle du requérant a par après conduit à l’ordre de sa
mise en liberté par la chambre du conseil, le 19 septembre 2014. Si la chambre
des mises en accusation, sur appel de l’État, a ensuite ordonné le maintien en
détention du requérant, la Cour constate qu’elle a, elle aussi, examiné la
situation familiale du requérant, ainsi que les conditions justifiant une ingérence
de l’autorité publique au regard de l’article 8 § 2 de la Convention dans la
vie familiale du requérant, supposant que celle-ci était établie (voir
paragraphes 8 et 9 ci‑dessus). Or, la chambre des mises en accusation
considéra que l’ingérence litigieuse était prévue par
la loi sur les étrangers, poursuivait le but de contrôle de l’entrée et du
séjour des étrangers sur le territoire de l’État belge, et était nécessaire en raison des sérieuses raisons de croire que le requérant n’obtempérait
pas à l’ordre de quitter le territoire qui lui avait été notifié. La chambre
des mises en accusation souligna explicitement que toute mesure alternative
demeurait vaine. En effet, plusieurs ordres de quitter le territoire avaient
été précédemment notifiés au requérant, et celui-ci avait confirmé son souhait
de continuer à séjourner en Belgique et de ne pas retourner au Congo à l’audience.
La Cour estime qu’il résulte de ce qui précède que les juridictions compétentes
ont procédé à un examen suffisant de la nécessité de la détention du requérant,
condition imposée par le droit interne.
42. La Cour relève ensuite que la
décision de privation de liberté du 24 octobre 2014 a respecté les
prescrits de l’article 7, alinéa 5 de la loi sur les étrangers, et était
étroitement liée au motif de détention, à savoir la procédure d’expulsion du
requérant. En effet, la Cour note que l’OE avait entrepris toutes les démarches
nécessaires en vue de l’éloignement du requérant et que celles-ci étaient
poursuivies avec toute la diligence requise. Ainsi, dans les sept jours
ouvrables après l’écrou, une demande pour l’obtention d’un document de voyage
avait été envoyée à l’Ambassade de la République démocratique du Congo, et
quelques jours plus tard un entretien avec le requérant avait été organisé.
Notant notamment le rejet par le CCE du deuxième recours interjeté par le
requérant à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire litigieux (voir
paragraphe 11 ci-dessus), l’OE pouvait raisonnablement considérer qu’il
subsistait toujours une possibilité que le requérant soit éloigné dans un délai
raisonnable.
43. Enfin, la Cour relève que la
durée totale de la détention du requérant n’a pas été excessive. La détention a
duré deux mois et 19 jours et a abouti à la libération du requérant le 13 novembre
2014, soit bien avant l’expiration du délai légal.
44. Eu égard à ce qui précède, la
Cour estime que la détention du requérant constituait une détention
« régulière » au sens de l’article 5 §1 f) de la Convention.
45. Il s’ensuit que cette partie de
la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de
la Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4.
B. Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention
46. Le requérant allègue que sa
détention administrative en vue de son rapatriement constitue une atteinte
disproportionnée à sa vie familiale et privée et viole l’article 8 de la
Convention qui est ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
47. Selon le requérant, les
autorités belges n’auraient pas correctement analysé l’existence d’une vie
familiale en Belgique dans son chef, tant pour la première décision de
privation de liberté du 26 août 2014 que pour la décision de prolongation de la
mesure de détention du 24 octobre 2014. Le requérant soutient également qu’il
ne représentait pas un danger pour l’ordre public, ni une charge économique
pour l’État belge, ni un danger pour la santé publique. Les mesures privatives
de liberté étaient donc disproportionnées, étant donné la possibilité d’une
procédure de regroupement familial dans un bref délai suite à sa paternité
future et au vu de l’état de santé physique et psychologique fragile de sa
compagne enceinte et de la menace qu’il comportait pour sa vie et celle de l’enfant
à naître.
48. S’agissant de l’existence d’une
vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention, la Cour estime suffisant
de constater que les autorités belges ont reconnu implicitement et a
posteriori une vie familiale entre le requérant, sa compagne et l’enfant en
libérant le requérant à la date de l’accouchement de sa compagne. La
disposition invoquée est donc applicable à la situation dénoncée par le
requérant.
49. La Cour rappelle que si l’article
8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires
des pouvoirs publics, il peut de surcroît engendrer des obligations positives
inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale (Jeunesse c. Pays-Bas [GC], no
12738/10, § 106, 3 octobre 2014). Il pèse en effet sur les États une
obligation « d’agir de manière à permettre aux intéressés de mener une vie
familiale normale » (Marckx c.
Belgique, 13 juin 1979, § 31, série A no
31, Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, § 133, 19 janvier 2012, et Nada c.
Suisse [GC], no 10593/08, § 152, CEDH 2012).
50. La Cour considère toutefois
que le fait d’enfermer le requérant dans un centre fermé pour illégaux et de ce
fait causer une séparation entre celui-ci et sa compagne enceinte de ses
œuvres, peut s’analyser comme une « ingérence » dans l’exercice
effectif de sa vie familiale (voir, mutatis mutandis, Popov, précité, §
134).
51. Pareille ingérence enfreint l’article
8 de la Convention, sauf si elle peut se justifier sous l’angle du paragraphe 2
de cet article, c’est-à-dire si, « prévue par la loi », elle poursuit
un ou des buts légitimes énumérés dans cette disposition et est
« nécessaire, dans une société démocratique », pour le ou les
atteindre.
52. La Cour rappelle que la base
légale de la détention du requérant trouvait son fondement notamment dans l’article
7 de la loi sur les étrangers. La mesure de détention était donc prévue par la
loi.
53. Concernant le but poursuivi
par la mesure litigieuse, la Cour constate qu’elle a été prise dans le cadre du
contrôle de l’entrée et du séjour des étrangers sur le territoire de l’État
belge. Cette action peut se rattacher à au moins un des but légitimes au sens
de l’article 8 § 2 de la Convention, à savoir la défense de l’ordre (Chevanova c. Lettonie, no 58822/00,
§ 74, 15 juin 2006).
54. La Cour doit ensuite examiner
si le placement en détention administrative du requérant s’avérait nécessaire
au sens de l’article 8 § 2 de la Convention, c’est-à-dire justifiée par un
besoin social impérieux et, notamment, proportionné au but légitime poursuivi,
à savoir l’éloignement. Pour ce faire, la tâche de la Cour consiste à
déterminer si la mesure de détention prise à l’égard du requérant a, en l’espèce,
respecté un juste équilibre entre les intérêts en présence (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 80, CEDH 2006‑XI).
55. La Cour observe qu’en l’espèce,
les autorités belges pouvaient raisonnablement considérer que le requérant
présentait un risque de se soustraire au contrôle des autorités belges (voir
notamment paragraphe 41 ci‑dessus) de sorte que son placement dans un
centre fermé afin de poursuivre son éloignement ait pu paraître justifié par un
besoin social impérieux. De plus, la Cour constate que des alternatives à la
détention ont été envisagées par les juridictions internes (voir également
paragraphe 41 ci‑dessus, et a contrario, Popov, précité, § 145).
56. Le requérant se plaint que sa
détention a eu pour conséquence de le séparer de sa compagne enceinte. À ce
sujet, la Cour note que la vie familiale du requérant s’est développée à une
époque où il savait que sa situation au regard des règles d’immigration était
telle que le maintien de cette vie familiale en Belgique revêtirait un
caractère précaire. Par ailleurs, dans le cadre de son recours à l’encontre de
la mesure d’éloignement, la vie familiale invoquée par le requérant a fait l’objet
d’une analyse approfondie par le CCE. La Cour n’aperçoit aucune apparence d’arbitraire
ou de manifestement déraisonnable dans l’appréciation faite par ce dernier
(voir paragraphe 6 ci-dessus). En ce qui concerne le lien de dépendance
invoqué, la Cour relève qu’il ressort du dossier que la compagne du requérant a
bénéficié d’un suivi médical et a pu maintenir des contacts avec le requérant
lors de sa détention. Enfin, la Cour tient compte de ce que d’une part, la
durée totale de la détention du requérant a été de deux mois et 19 jours, et n’a
donc pas dépassé le délai légal, et d’autre part, ce dernier a finalement été
libéré le 13 novembre 2014, à la date de l’accouchement de sa compagne.
57. Eu égard à l’ensemble de ces
éléments, la Cour estime que les mesures de privation de liberté n’étaient pas
disproportionnées et conclut qu’il ne saurait être reproché aux autorités
belges de ne pas avoir ménagé un juste équilibre entre les intérêts en présence
en mettant le requérant en détention administrative en vue de son expulsion.
58. Il s’ensuit que cette partie
de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la
Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 4 avril 2017.
Hasan Bakırcı Işıl Karakaş
Greffier adjoint Présidente