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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SCAVETTA v. MONACO - 33301/13 (Judgment : Violation of Article 6 - Right to a fair trial (Article 6 - Criminal proceedings Article 6-1 - Fair hearing Adversarial trial...) French Text [2017] ECHR 486 (30 May 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/486.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2017:0530JUD003330113, CE:ECHR:2017:0530JUD003330113, [2017] ECHR 486 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE SCAVETTA c. MONACO
(Requête no 33301/13)
ARRÊT
STRASBOURG
30 mai 2017
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Scavetta c. Monaco,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Robert Spano, président,
Julia Laffranque,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paul Lemmens,
Jon Fridrik Kjølbro,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 mai 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33301/13) dirigée contre la Principauté de Monaco et dont un ressortissant italien, M. Giuseppe Scavetta (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 mai 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me C. Nouzha, avocat à Strasbourg. Le gouvernement monégasque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. J.-L. Ravera.
3. Le requérant allègue une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention en raison de l’absence de communication du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions écrites du représentant du ministère public devant la Cour de révision.
4. Le 10 juillet 2014, les griefs concernant l’absence de communication du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions écrites du représentant du ministère public devant la Cour de révision ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.
5. Par une lettre du 8 octobre 2014, le gouvernement italien a informé la Cour qu’il ne souhaite pas user de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).
6. Le 1er juillet 2016, la Cour a demandé aux parties de lui envoyer des observations complémentaires (article 54 § 2 c) du règlement de la Cour).
EN FAIT
7. Le requérant est né en 1955 et réside à Monaco.
8. Courant 2005, le requérant proposa à des connaissances de longue date, A.A., F.A. et M.T. d’acquérir une société française spécialisée dans la fabrication de bijoux fantaisie, la SAS F. H., par l’entremise d’une société holding, la société FH Finances, qu’il leur avait demandé de constituer. A.A., F.A. et M. T. apportèrent chacun la somme de 124 360 euros (EUR), tout en se portant caution d’un crédit de 450 000 EUR souscrit par la société FH Finances. Cette dernière fut constituée par A.A., F.A., M.T. et le requérant le 23 mars 2006, son siège social étant établi en France et sa présidence confiée à X.B. Le 24 juillet 2006, la société FH Finances fit l’acquisition de la totalité des actions de la société F. H. pour la somme de 723 000 EUR.
9. Le 28 novembre 2007, A.A., F.A., M.T. et la société FH Finances déposèrent une plainte en se constituant partie civile à l’encontre du requérant pour abus de confiance et escroquerie. Ils reprochaient notamment au requérant d’avoir été le gérant de fait de la société FH Finances et d’en avoir profité pour manipuler les comptes bancaires, tout en faisant des prélèvements et des virements injustifiés, pour un montant total de 157 933 EUR, agissements qui avaient conduit à la déclaration de l’état de cessation de paiement de la société FH Finances.
10. Le 23 janvier 2008, une information judiciaire fut ouverte. L’enquête confiée aux policiers par le juge d’instruction établit, d’une part, que le requérant avait dirigé, sans titre officiel, les sociétés F. H. et FH Finances et, d’autre part, que si X.B. avait consenti au requérant, en septembre 2006, une procuration sur le compte en banque, une erreur de cette dernière avait permis au requérant de procéder à des mouvements bien avant.
11. Au cours de l’instruction, le requérant expliqua qu’il dirigeait la société FH Finances en lien avec X.B. et qu’il disposait d’un mandat de gestion globale pour gérer les deux sociétés depuis les locaux d’une troisième, la SAM IET à Monaco. Il soutint qu’un accord verbal était intervenu avec les plaignants, aux termes duquel il ne percevait pas de rémunération mais un dédommagement à hauteur de 30% du montant du résultat avant impôt de la société F. H., outre le remboursement de ses frais de déplacement. Il évaluait pour sa part à 65 000 EUR les montants prélevés à son profit ou au profit de la société monégasque IET. Il précisa que deux virements, d’un montant total de 25 000 EUR, s’expliquaient par la rémunération de la secrétaire ayant travaillé dans les locaux de la société IET pour le compte de la société F. H., nonobstant l’absence de facture. Il confirma en outre l’absence de contrat entre les sociétés FH Finances et IET.
12. Le 17 juin 2011, un juge d’instruction de Monaco rendit une ordonnance d’incompétence et de non-lieu partiel. Compte tenu du fait que les sociétés F. H. et FH Finances avaient leurs sièges sociaux et leurs comptes bancaires en France, le juge d’instruction de Monaco ne retint que les faits de détournement commis par le requérant au profit de la société monégasque IET, plus précisément par le versement des sommes directement sur le compte administrateur du requérant et d’un montant de 25 000 EUR. Le requérant fut renvoyé devant le tribunal correctionnel pour abus de confiance.
13. Par un jugement du 17 janvier 2012, le tribunal correctionnel de Monaco releva que le requérant, déjà condamné en France pour des infractions en matière économique, n’avait jamais produit le moindre justificatif des dépenses prétendument engagées et que les 25 000 EUR litigieux avaient été versés sur son compte administrateur et n’avaient donc profité qu’à lui. Il le déclara coupable et le condamna à un an d’emprisonnement. Le tribunal accorda également 25 000 EUR à la société FH Finances, ainsi que 5 000 EUR à A.A., F.A. et M.T. à titre de dommages-intérêts.
14. Le requérant et le ministère public interjetèrent appel.
15. Par un arrêt du 8 octobre 2012, la cour d’appel confirma le jugement en toutes ses dispositions, réduisant toutefois la peine à six mois d’emprisonnement.
16. Le requérant forma un pourvoi. Dans sa requête en révision, signée par lui et son avocat plaidant, Me G. Carrasco, inscrit au barreau de Nice, il souleva plusieurs moyens, soutenant notamment que l’infraction d’abus de biens sociaux n’était pas constituée et que les constitutions de partie civile étaient irrecevables.
17. Le procureur général déposa des conclusions en date du 3 décembre 2012. Le 5 décembre 2012, le greffe général en adressa une copie au premier président de la Cour de révision, au conseiller rapporteur, ainsi qu’à deux avocats monégasques, qualifiés au terme du courrier d’« avocats-défenseurs », Mes C. Lecuyer et G. Gazo, par dépôt dans leurs boîtes à lettres respectives au Palais de justice. Par ailleurs, conformément à la pratique en vigueur devant la Cour de révision, un conseiller rapporteur, désigné par le président parmi les membres de la Cour, rédigea un rapport réservé aux membres de la Cour de révision et soumis au secret du délibéré.
18. Par un arrêt du 24 janvier 2013, la Cour de révision rejeta le pourvoi du requérant. L’arrêt visait expressément le requérant, avec la mention « comparaissant en personne et ayant comme avocat plaidant Maître Gaston Carrasco, avocat au barreau de Nice », ainsi que le nom des parties civiles et de leur représentant, Me G. Gazo, avocat-défenseur près la cour d’appel.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
19. Le requérant se plaint de l’absence de communication du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions écrites du procureur général devant la Cour de révision. Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention. Maîtresse de la qualification juridique des faits, la Cour estime que l’affaire doit être examinée à la lumière du seul paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
20. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
1. Thèse des parties
21. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité pour défaut d’épuisement des voies de recours internes. Il rappelle tout d’abord, à titre liminaire, que le requérant était au fait des procédures devant la Cour de révision, ayant déjà été impliqué dans une précédente affaire ayant abouti à un arrêt de cette dernière : il en déduit, d’une part, que le requérant ne pouvait ignorer que le rapport du conseiller rapporteur est confidentiel et qu’il n’est jamais communiqué aux parties ou au procureur général et, d’autre part, qu’il aurait pu demander au président de la Cour de révision la transmission des conclusions du procureur général s’il n’en avait pas été destinataire comme c’est pourtant la règle. S’agissant du recours qui aurait été omis, le Gouvernement soutient que si le requérant entendait se prévaloir d’un dysfonctionnement de la justice monégasque, il aurait dû introduire une action en responsabilité contre l’État du fait du fonctionnement défectueux de ses services judiciaires. Il invoque à ce titre un jugement du tribunal de première instance du 30 septembre 2014, dans une affaire Dezhkina c. l’État de Monaco, octroyant des dommages-intérêts en raison d’un préjudice causé par une enquête de flagrance ayant abouti à un classement sans suite.
22. Le requérant estime quant à lui avoir épuisé les voies de recours internes, dès lors qu’il a saisi la Cour de révision. Il estime qu’il ne devait pas refaire tout un parcours juridictionnel, en mettant cette fois en cause la responsabilité de l’État pour violation des dispositions de la Convention. Outre qu’il n’y a pas d’obligation d’épuiser l’ensemble des voies de recours hypothétiquement disponibles dans un système juridictionnel donné, il lui semble qu’il serait pour le moins absurde d’imposer à un requérant de se tourner vers une juridiction de première instance pour se plaindre de la procédure suivie par la juridiction suprême de l’État.
2. Appréciation de la Cour
23. La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi beaucoup d’autres, Cardot c. France, 19 mars 1991, § 36, série A no 200). Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées. Néanmoins, seules les voies de recours effectives et propres à redresser la violation alléguée doivent être épuisées (voir, parmi de nombreux autres, Remli c. France, 23 avril 1996, § 33, Recueil des arrêts et décisions 1996-II). Plus précisément, les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats ; ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir, par exemple, Selmouni c. France [GC], 28 juillet 1999, no 25803/94, § 75, CEDH 1999-V, et Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], no 17153/11, §§ 71 et s., 25 mars 2014). Il incombe à l’État défendeur, s’il plaide le non-épuisement, de démontrer que ces conditions se trouvent réunies (Selmouni, précité, et Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, § 75, CEDH 2011).
24. La Cour ne voit pas en quoi le recours invoqué par le Gouvernement aurait été susceptible de redresser les griefs soulevés par le requérant, à savoir le défaut de communication du rapport du conseiller rapporteur et des conclusions du procureur général, ainsi que l’impossibilité de répondre à ces dernières. En outre, elle constate que le Gouvernement invoque un jugement du tribunal de première instance de Monaco en date du 30 septembre 2014 au soutien de l’exception qu’il soulève. Cependant, outre qu’il s’agit d’une jurisprudence isolée, la Cour note que ladite affaire concernait des allégations de fautes lourdes commises par les services de police judiciaire.
25. Or, les circonstances de l’espèce concernent une toute autre hypothèse, le requérant se plaignant du déroulement de la procédure devant la Cour de révision dans le cadre de l’examen de son pourvoi formé en matière pénale. Ainsi, outre la différence entre le précédent invoqué par le Gouvernement et l’affaire dont la Cour est saisie, il n’est pas établi, en l’état, que la saisine du tribunal de première instance pour contester les pratiques en vigueur au sein de la Cour de révision, juridiction située au sommet de la hiérarchie judiciaire comme le rappelle le Gouvernement dans ses observations sur le fond (paragraphe 33 ci-dessous), soit susceptible de constituer un recours effectif dont le requérant aurait pu faire usage. En tout état de cause, un recours à vocation indemnitaire n’aurait pas permis de redresser les griefs relatifs à des manquements procéduraux.
26. Dès lors, l’exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.
27. Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèse des parties
a) Le requérant
28. Le requérant estime, s’agissant du rapport du conseiller rapporteur, qu’une simple « pratique », invoquée par le Gouvernement, ne saurait suffire pour que soit garanti le respect des règles issues de l’article 6 § 1 de la Convention, notamment le principe du contradictoire.
29. Concernant les conclusions du ministère public, le requérant renvoie à l’arrêt de la Cour de révision dans l’affaire le concernant pour souligner le fait qu’à aucun moment n’est mentionné le fait qu’il aurait été en mesure d’y répondre. Il explique n’avoir pas été destinataire des conclusions du procureur général datées du 3 décembre 2012 et qu’une simple feuille émanant du greffe général, sur laquelle figure le tampon mentionnant une date et prétendument déposée dans une boîte à lettres professionnelle située au palais de justice de Monaco, ne saurait constituer une preuve suffisante que le requérant et son avocat ont bien été destinataires de ce document qui revêt une grande importance.
30. Par ailleurs, le requérant relève que son avocat, Me G. Carrasco, inscrit au barreau de Nice, dont le nom est le seul à figurer sur la requête déposée devant la Cour de révision, ne faisait pas partie des destinataires visés par la lettre du greffe, qui est produite par le Gouvernement. Il ne disposait en outre pas, en tant qu’avocat français, d’un cartonnier au palais de justice de Monaco qui lui aurait permis de recevoir le courrier du greffe accompagné des conclusions du procureur général. Le requérant souligne également, qu’ayant saisi la Cour de révision en personne, comme cela est rendu possible par les articles 475 et 476 du code de procédure pénale, et en étant simplement assisté dans le cadre de cette instance d’un avocat n’ayant pas la qualité d’avocat défenseur monégasque, les conclusions du procureur général auraient dû lui être adressées directement et personnellement afin de respecter le principe du contradictoire.
31. Le requérant note que le Gouvernement semble tout à fait conscient du problème posé par la procédure suivie puisque les conclusions du parquet sont désormais rédigées dans un délai de quinze jours avant communication aux parties par le greffe.
b) Le Gouvernement
i. L’examen d’un pourvoi en révision
32. Le Gouvernement présente le déroulement de l’examen d’un pourvoi devant la Cour de révision. Située au sommet de la hiérarchie judiciaire, cette dernière opère un contrôle limité au respect du droit, y compris les règles de compétence et de procédure, à l’exclusion de l’appréciation des faits stricto sensu qui relève de la seule compétence des juridictions du fond. La majorité des pourvois concerne des arrêts rendus en matière civile, pénale, commerciale et administrative.
33. La Cour de révision comprend actuellement dix magistrats : un président, un vice-président et huit conseillers siégeant selon leur ordre de nomination. Nommés par ordonnance souveraine, ces magistrats sont pour la plupart issus de la Cour de cassation française. Ils se réunissent au cours de deux sessions annuelles d’une durée de dix à quinze jours chacune et ils ne sont pas présents au palais de justice de Monaco en dehors de ces sessions, puisqu’ils exercent leur activité principale en dehors de Monaco.
34. La Cour de révision ne statue valablement qu’en formation d’au moins trois de ses membres. Les pourvois sont examinés de deux façons : selon la procédure normale, s’agissant des affaires dites « en session » ; selon une procédure spécifique, uniquement sur pièces, pour les affaires dites « hors session ». La procédure normale, qui comprend une audience publique avec réquisitions orales du ministère public et plaidoiries, comprend les contentieux civils et commerciaux, sauf exceptions spécifiques (article 459 du code de procédure civile). La procédure dite « hors session », qui concerne toutes les affaires pénales et certains dossiers civils, se déroule exclusivement par écrit et sur pièces (article 489 du code de procédure pénale).
35. Concernant plus spécialement la question de la communication du rapport du conseiller rapporteur, le Gouvernement présente la pratique en vigueur devant la Cour de révision de Monaco. Dès qu’une déclaration de pourvoi est présentée en matière pénale, le premier président de la Cour de révision en est avisé et il désigne un rapporteur parmi les membres de la Cour. Le conseiller rapporteur reçoit copie de toutes les pièces produites par les parties, au fur et à mesure de leur dépôt. Il rédige, à la lumière des pièces produites et après clôture de l’instruction préalable, trois sortes de documents : un bref rappel des faits et de la procédure, à partir des éléments mentionnés dans la décision attaquée ; une note, souvent appelée rapport, dans laquelle sont exposés les moyens et objections soulevés par les défendeurs ou le ministère public, les éléments juridiques permettant d’apprécier le bien-fondé des moyens, ainsi que l’avis du rapporteur sur ce bien-fondé et sa proposition de rejet ou de cassation ; un ou plusieurs projets d’arrêt élaborés en fonction de cette solution. Avant l’audience, les membres de la Cour de révision appelés à juger l’affaire reçoivent copie de tous ces documents. En revanche, ces documents sont soumis au secret du délibéré : ils ne sont jamais communiqués aux autres parties ou au ministère public. Le Gouvernement souligne donc qu’en l’espèce le rapport du conseiller rapporteur n’a fait l’objet d’aucune transmission, totale ou partielle, au représentant du ministère public.
36. S’agissant enfin de la communication des conclusions de l’avocat général, le Gouvernement explique qu’une pratique en vigueur devant la Cour de révision est de nature à offrir aux parties la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes. Il souligne que lorsque les échanges d’écriture entre parties sont terminées, le greffier en chef dresse un certificat de clôture et communique le dossier au procureur général, lequel rédige alors ses conclusions écrites, en vue de la transmission du dossier ainsi complété à la Cour de révision. Ces conclusions sont par ailleurs transmises au greffe général qui en dépose une copie dans le cartonnier des avocats, c’est-à-dire dans leurs boîtes à lettres professionnelles situées dans les locaux du palais de justice de Monaco. Lorsque les parties ne sont pas représentées, le greffe général leur en envoie copie par courrier à leur adresse personnelle. Les parties concernées ont donc bien connaissance des conclusions du procureur général et, d’ailleurs, le Gouvernement cite un arrêt de la Cour de révision en date du 16 décembre 2010, dans une affaire A. c. Ministère public, relevant expressément que le défendeur avait bien été en mesure d’y répondre.
ii. Les circonstances de l’espèce
37. Le Gouvernement produit un document du greffe général qui indique que les conclusions du ministère public ont bien été déposées dans le cartonnier « des avocats concernés » le 5 décembre 2012. Il relève en outre que quarante-deux jours se sont écoulés entre ce dépôt et l’examen de l’affaire par la Cour de révision le 17 janvier 2013, ce qui permettait incontestablement au requérant d’y répliquer dans des conditions satisfaisantes.
38. Il estime dès lors que la procédure suivie en l’espèce était conforme aux dispositions de l’article 6 de la Convention et à la jurisprudence de la Cour.
39. Le Gouvernement précise en outre que, par souci de clarification de la procédure devant la Cour de révision, la procédure a été très légèrement modifiée depuis le mois d’octobre 2014 (article 479 du code de procédure pénale) : les conclusions du ministère public sont établies dans les quinze jours de la réception du dossier au parquet ; le greffe en communique la teneur aux parties, qui sont avisées de leur faculté d’y répliquer dans la quinzaine ; à l’expiration de ce dernier délai, un certificat de clôture est dressé par le greffe avant acheminement du dossier, via le parquet, au premier président de la Cour de révision.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur l’absence de communication du rapport du conseiller rapporteur
40. La Cour rappelle que dans son arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, elle a jugé qu’étant donné l’importance du rapport du conseiller rapporteur, principalement du second volet qui contient un avis sur le mérite du pourvoi et le projet d’arrêt, le rôle de l’avocat général et les conséquences de l’issue de la procédure pour les intéressés, le déséquilibre créé par sa communication au ministère public, faute d’une communication identique du rapport aux conseils des requérants, ne s’accorde pas avec les exigences du procès équitable (31 mars 1998, § 105, Recueil 1998-II).
41. La question de l’absence de communication de ce rapport du conseiller rapporteur au justiciable ne soulève donc un problème au regard de l’article 6 § 1 de la Convention que dans la mesure où ledit rapport a été communiqué à l’avocat général avant l’audience (Reinhardt et Slimane-Kaïd, précité, § 105, et Pascolini c. France, no 45019/98, § 20, 26 juin 2003).
42. En l’espèce, la Cour constate que la pratique de la Cour de révision consiste à soumettre le rapport du conseiller rapport au secret du délibéré et, partant, à ne jamais le communiquer, partiellement ou en intégralité, aux parties ou au ministère public. Or, le requérant n’établit aucunement qu’il en aurait été autrement dans le cadre de la procédure le concernant.
43. Dès lors, aucune atteinte aux exigences de l’article 6 de la Convention, et plus spécialement aux droits de la défense et à l’égalité des armes, ne peut être constatée dans la présente affaire.
44. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
b) Sur le défaut de transmission des conclusions du procureur général et l’impossibilité pour le requérant d’y répondre
45. La Cour rappelle que le droit à une procédure contradictoire au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, tel qu’interprété par la jurisprudence, « implique en principe le droit pour les parties à un procès de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge, fût-ce par un magistrat indépendant, en vue d’influencer sa décision » (voir, en matière pénale, J.J. c. Pays-Bas, 27 mars 1998, § 43, Recueil 1998-II).
46. Elle rappelle également qu’elle a eu l’occasion d’examiner ce type de grief et de conclure à la violation de l’article 6 § 1 dans le contexte de la procédure devant différentes cours suprêmes (voir, notamment, Vermeulen c. Belgique, 20 février 1996, § 33, Recueil 1996-I, Lobo Machado c. Portugal, 20 février 1996, § 31, Recueil 1996-I, J.J., précité, et Reinhardt et Slimane-Kaïd, précité, § 106).
47. Dans l’arrêt Reinhardt et Slimane-Kaïd (précité), la Cour a déclaré que l’« absence de communication des conclusions de l’avocat général aux requérants est (...) sujette à caution », tout en relevant cependant que, lorsque les parties sont représentées par un avocat aux Conseils, il existe une pratique « de nature à offrir [aux parties] la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes ». En revanche, elle a par la suite constaté que lorsque les parties avaient choisi de se défendre seules, elles ne bénéficiaient pas de cette pratique et, dès lors, elle a considéré que l’impossibilité d’accéder aux conclusions de l’avocat général et d’y répondre méconnaissait leur droit à une procédure contradictoire (Voisine c. France, no 27362/95, § 31, 8 février 2000, et Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96, 35237/97 et 34595/97, § 51, Recueil 2002-VII).
48. En l’espèce, la Cour constate qu’il existe une pratique devant la Cour de révision consistant pour le greffe général soit à déposer une copie des conclusions du procureur général dans le cartonnier des avocats, c’est-à-dire dans leurs boîtes à lettres professionnelles situées dans les locaux du palais de justice de Monaco, soit à en envoyer une copie à l’adresse personnelle des parties lorsqu’elles ne sont pas représentées (paragraphe 37 ci-dessus).
49. Aux yeux de la Cour, une telle pratique est de nature à offrir aux parties la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes.
50. Il n’est toutefois pas avéré que le requérant ait pu effectivement en bénéficier dans les circonstances de l’espèce.
51. La Cour note en effet que tant la requête en révision du requérant que l’arrêt de la Cour de révision ne font référence qu’au requérant lui-même et à son avocat plaidant, inscrit au barreau de Nice. Ce dernier n’étant pas avocat-défenseur et n’ayant pas de boîte à lettres au Palais de justice de Monaco, les conclusions auraient donc dû être envoyées par courrier à l’adresse personnelle du requérant. Or, le Gouvernement ne le prétend pas, se contentant de relever que le greffe général a déposé lesdites conclusions dans le cartonnier « des avocats concernés » le 5 décembre 2012 (paragraphe 38 ci-dessus). La Cour note cependant que les avocats destinataires des conclusions étaient, selon les lettres produites par le Gouvernement, deux avocats-défenseurs (paragraphes 17 et 38 ci-dessus) : or, outre le fait qu’aucun d’entre eux n’était désigné dans la requête en révision, un seul est cité dans l’arrêt de la Cour de révision, en sa qualité de représentant des parties civiles (paragraphes 16 et 18 ci-dessus). Quant à l’autre avocat destinataire, selon le courrier, des conclusions du Procureur général, il n’apparaît à aucun stade des procédures en révision ou en appel, mais est simplement mentionné en tant qu’avocat-stagiaire intervenant au côté du requérant devant le tribunal correctionnel dans le cadre de la même affaire jugée en première instance. Il ne peut donc pas être considéré comme un « avocat concerné » au sens où l’entend le Gouvernement en faisant référence à la procédure en révision. Le courrier daté du 5 décembre 2012 émanant du greffier en chef et transmis à Me C. Lecuyer, absent de l’instance en révision, à défaut du requérant pourtant seul à l’origine de la requête, relève manifestement d’une erreur humaine (paragraphe 17 ci-dessus).
52. Par conséquent, la Cour constate que le requérant, n’ayant pas bénéficié de la pratique invoquée par le Gouvernement, n’a pas eu la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes, ce qui a méconnu son droit à une procédure contradictoire.
53. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
54. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
55. Le requérant demande le versement d’une somme de 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.
56. Le Gouvernement estime que le constat de violation vaudrait satisfaction équitable suffisante, conformément à la jurisprudence dominante de la Cour dans des situations similaires.
57. La Cour estime le dommage moral subi par le requérant suffisamment réparé par le constat de violation auquel elle parvient.
B. Frais et dépens
58. Le requérant demande également 4 200 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour de révision et la Cour. Il produit deux factures, l’une de 1 196 EUR pour la procédure devant la Cour de révision, l’autre de 3 000 EUR concernant la saisine de la Cour.
59. Le Gouvernement ne se prononce pas.
60. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu des circonstances de l’espèce, seuls les frais engagés devant la Cour devront être pris en compte. La Cour estime dès lors raisonnable d’accorder au requérant la somme de 3 000 EUR.
C. Intérêts moratoires
61. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable concernant le grief tiré de l’absence de communication des conclusions du procureur général devant la Cour de révision et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 mai 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stanley
Naismith Robert
Spano
Greffier Président