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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> TSAREV AND OTHERS v. RUSSIA - 39979/08 (Judgment : Violation of Article 6 - Right to a fair trial (Article 6 - Enforcement proceedings Article 6-1 - Access to court) Violation ...) French Text [2017] ECHR 546 (13 June 2017)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/546.html
Cite as: CE:ECHR:2017:0613JUD003997908, ECLI:CE:ECHR:2017:0613JUD003997908, [2017] ECHR 546

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    DEUXIÈME SECTION

     

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE URFANİ YILDIZ c. TURQUIE

     

    (Requête no 59173/08)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

    STRASBOURG

     

    13 juin 2017

     

     

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

     


    En l’affaire Yıldız c. Turquie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

              Julia Laffranque, présidente,
              Jon Fridrik Kjølbro,
              Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
    et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 mai 2017,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 59173/08) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Urfani Yıldız (« le requérant »), a saisi la Cour le 3 décembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Le requérant a été représenté par Me G. Günay, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

    3.  Le 11 janvier 2011, les griefs concernant la durée et l’équité de la procédure pénale diligentée à l’encontre du requérant ont été communiqués au Gouvernement et la Requête a été déclarée irrecevable pour le surplus.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    4.  Le requérant est né en 1964 et réside à Istanbul.

    5.  À l’époque des faits, il purgeait une peine de réclusion dans la prison d’Ermenek (Karaman).

    6.  Le 20 décembre 2000, une altercation eut lieu entre le requérant et les agents pénitentiaires à l’occasion d’une fouille corporelle.

    7.  Le 21 décembre 2000, l’administration pénitentiaire dressa un procès-verbal au sujet de ces faits.

    8.  Le 3 janvier 2001, le requérant porta plainte contre plusieurs fonctionnaires de la prison d’Ermenek, dont le directeur et le directeur adjoint. Il alléguait que ces personnes l’avaient injurié et frappé avec des bâtons lors de leur intervention du 20 décembre 2000.

    9.  Le 2 février 2001, le procureur de la République d’Ermenek (« le procureur ») entendit le requérant en qualité de plaignant, sans l’assistance d’un avocat. Le requérant relata sa version des faits relative à la querelle du 20 décembre 2000 et affirma qu’il avait été insulté et frappé par le personnel pénitentiaire.

    10.  Par un acte d’accusation du 29 mars 2001, le procureur inculpa le requérant d’outrage et résistance à fonctionnaire. Il y précisait ce qui suit : une dispute avait eu lieu le 20 décembre 2000 dans la prison d’Ermenek entre le directeur adjoint de la prison et le requérant ; ce dernier avait insulté le directeur adjoint ; pour rétablir l’ordre, le directeur adjoint, accompagné d’autres fonctionnaires, avait tenté d’entrer dans la cellule ; le requérant et ses trois codétenus avaient alors jeté des portes de placard, des chaises, des verres et d’autres objets sur le directeur adjoint et les fonctionnaires.

    Le procureur engagea également des poursuites pénales contre le directeur adjoint de la prison, Y.I., et le gardien en chef de la prison, H.Ş., pour coups et blessures sur la personne du requérant. En outre, le même jour, il rendit une décision de non-lieu contre S.K., le directeur de la prison, pour absence d’éléments de preuve.

    11.  La procédure pénale débuta devant le tribunal correctionnel d’Ermenek. Lors de la première audience, le 11 mai 2001, après avoir été informé de ses droits conformément à l’article 135 du code de procédure pénale (« l’ancien CPP »), le requérant refusa l’assistance d’un avocat et déclara vouloir se défendre lui-même. Il exposa sa version des faits et demanda au tribunal d’organiser une visite sur les lieux des faits pour faire constater que, selon lui, il lui aurait été impossible d’utiliser un placard comme barricade lors de l’altercation. Il confirma en outre le contenu de sa déposition faite devant le procureur en qualité de plaignant ainsi que celui de la plainte pénale qu’il avait adressée au procureur. Il ajouta que le procès-verbal dressé par l’administration pénitentiaire ne rendait pas correctement compte des faits. Enfin, il demanda à être dispensé d’assister aux audiences, demande qui fut acceptée par le tribunal.

    12.  Le 20 septembre 2001, le tribunal correctionnel d’Ermenek décida de convoquer le requérant à l’audience suivante afin de lui accorder une nouvelle possibilité de se défendre au regard de nouveaux éléments intervenus dans le dossier.

    13.  Le requérant assista donc à l’audience du 27 septembre 2001 : les déclarations de témoins entendus en son absence lors des audiences précédentes furent lues. Il réitéra ses moyens de défense antérieurs, réfuta l’accusation et contesta les passages des déclarations qui lui étaient défavorables.

    14.  Par un jugement du 27 décembre 2001, le tribunal correctionnel d’Ermenek condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de sept mois et dix jours et à une amende de 83 655 000 anciennes livres turques (TRL)[1] pour outrage et résistance à fonctionnaire. Pour établir la culpabilité du requérant, il s’était appuyé sur le procès-verbal du 21 décembre 2000 et sur les déclarations des témoins. Il acquitta Y.I. et H.Ş. pour absence de preuves.

    15.  Le 21 janvier 2002, le requérant forma un pourvoi devant la Cour de cassation. Il contestait notamment l’appréciation des faits et des éléments de preuve à laquelle le tribunal correctionnel avait procédé et affirmait avoir fait l’objet de mauvais traitements. Il reprochait en outre au tribunal de première instance de ne pas avoir tenu compte de sa demande de visite sur les lieux, laquelle, à ses yeux, aurait contredit l’allégation selon laquelle il avait utilisé un placard comme barricade lors de l’altercation du 20 décembre 2000.

    16.  Par un arrêt du 8 mai 2002, la Cour de cassation confirma le jugement du tribunal correctionnel du 27 décembre 2001 s’agissant de la condamnation du requérant du chef d’outrage à fonctionnaire. La Haute Cour relevait que tous les éléments de preuve, les arguments de l’accusation et les moyens de défense avaient été exposés et discutés par le tribunal de première instance, et que le verdict de culpabilité s’appuyait sur des données exactes et cohérentes. S’agissant du chef de résistance à fonctionnaire, la Cour de cassation infirma le jugement au motif que le tribunal correctionnel n’avait pas examiné la question de savoir si les actes du requérant pouvaient constituer l’infraction de rébellion contre l’administration pénitentiaire. Enfin, elle confirma le jugement en ce qu’il avait prononcé l’acquittement de Y.I. et de H.Ş.

    17.  La procédure pénale reprit devant le tribunal correctionnel d’Ermenek en l’absence du requérant. Le 20 décembre 2002, le tribunal correctionnel d’Ermenek adressa une commission rogatoire au tribunal correctionnel de Nazilli afin d’obtenir la déposition en défense du requérant, lequel avait entre-temps été transféré à la prison de Nazilli.

    18.  Le 6 mars 2003, le requérant fit une déposition devant le tribunal correctionnel de Nazilli. Après avoir été informé de ses droits de la défense conformément à l’article 135 de l’ancien CPP, il refusa l’assistance d’un avocat et déclara vouloir se défendre lui-même. Il demanda également à être dispensé de présence aux audiences. En outre, il fit savoir qu’il ne sollicitait pas de délai supplémentaire pour sa défense et réitéra les déclarations qu’il avait faites à l’audience du 11 mai 2002. Il précisait en particulier qu’il lui aurait été impossible d’édifier une barricade lors de l’altercation du 20 décembre 2000 parce que, selon lui, il n’y avait pas de meuble dans sa cellule.

    19.  Le requérant n’assista à aucune des vingt audiences tenues par le tribunal correctionnel d’Ermenek. À l’issue de l’audience du 31 mars 2005, ce dernier condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de cinq mois et quinze jours pour résistance à fonctionnaire. Il considérait que, lors de l’altercation entre le requérant et le personnel pénitentiaire, le requérant et ses codétenus avaient créé une barricade en plaçant des placards derrière la porte de leur cellule et que, par la suite, ils avaient jeté des objets sur les fonctionnaires entrés dans la cellule.

    20.  Le 26 avril 2005, le requérant se pourvut en cassation. En se référant à ses moyens de défense antérieurs, il contestait le jugement du tribunal correctionnel d’Ermenek.

    21.  Par un arrêt du 6 décembre 2006, la Cour de cassation infirma le jugement du 31 mars 2005 en raison de l’entrée en vigueur, le 1er juin 2005, du nouveau code pénal et du nouveau CPP.

    22.  Entre-temps, le requérant fut remis en liberté à une date non précisée.

    23.  La procédure pénale reprit devant le tribunal correctionnel d’Ermenek. Le 10 janvier 2007, ce dernier délivra une commission rogatoire pour obtenir la déposition en défense du requérant au sujet de l’arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 2006.

    24.  Le 14 mai 2007, le requérant se présenta au tribunal correctionnel de Kartal (Istanbul). Ce tribunal, agissant sur commission rogatoire, informa le requérant de son droit d’être assisté par un avocat choisi par lui ou commis d’office. L’intéressé refusa l’assistance d’un avocat, déclara vouloir se défendre lui-même et demanda à être dispensé d’assister aux audiences. Présentant une nouvelle fois ses moyens de défense antérieurs, il demanda l’organisation d’une visite sur les lieux qui, selon lui, établirait qu’il lui aurait été impossible d’utiliser un placard comme barricade.

    25.  Par un jugement du 4 juillet 2007, le tribunal correctionnel d’Ermenek réitéra son jugement du 31 mars 2005.

    26.  Le 4 août 2007, le requérant se pourvut en cassation. Il répéta sa version des faits et contesta l’appréciation des faits telle qu’elle avait été effectuée par le tribunal. Il dénonça en outre l’absence d’organisation d’une visite sur les lieux.

    27.  Par un arrêt du 12 juin 2008, la Cour de cassation confirma le jugement du tribunal correctionnel d’Ermenek du 4 juillet 2007. La Haute Cour releva que tous les éléments de preuve, les arguments de l’accusation et les moyens de défense avaient été exposés et discutés par le tribunal de première instance, et que le verdict de culpabilité s’appuyait sur des données exactes et cohérentes.

    II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

    28.  L’article 135 de l’ancien CPP, issu de la loi no 1412 du 4 avril 1929 - abrogée par la loi no 5271 entrée en vigueur le 1er juin 2005, - se lisait comme suit en ses passages pertinents en l’espèce :

    « Lors des dépositions effectuées (...) devant le procureur de la République ou devant un juge (...) la procédure suivante est observée :

    (...)

    2.  La personne soupçonnée ou accusée est informée de l’accusation portée contre elle.

    3.  La personne soupçonnée ou accusée est informée de son droit à être assisté par un avocat, et, si elle n’a pas les moyens d’en nommer un, de son droit à demander [l’assistance d’]un avocat nommé par le barreau (...).

    4.  Elle est informée de son droit (...) de ne donner aucune explication sur l’infraction qui lui est reprochée.

    5.  Il lui est rappelé qu’elle a le droit de demander à ce que des preuves concrètes soient recueillies en vue de son acquittement (...) et qu’elle a la possibilité de [contester] les (...) [éléments] qui lui sont défavorables et d’exposer des éléments en sa faveur.

    (...) »

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

    A.  Sur le grief relatif à la durée de la procédure

    29.  Le requérant dénonce la durée de la procédure pénale diligentée à son encontre. Il invoque à cet égard l’article 6 de la Convention, ainsi libellé en ses passages pertinents en l’espèce :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    1.  Sur la recevabilité

    30.  Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que le requérant avait la possibilité de présenter son grief relatif à la durée de la procédure en introduisant, devant le tribunal administratif, une action en indemnisation dirigée contre le ministère de la Justice pour faute de service. Il communique un arrêt du Conseil d’État qui, à raison de la durée de la procédure en cause, a cassé un jugement du tribunal administratif d’Edirne rejetant une demande d’indemnisation.

    31.  Le requérant soutient que, dans les circonstances de l’espèce, le droit interne ne lui permettait pas d’introduire un tel recours pour se plaindre de la durée de la procédure.

    32.  La Cour rappelle avoir déjà conclu à l’absence, en droit interne à l’époque des faits, d’un recours qui eût permis à un requérant d’obtenir la sanction de son droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (Daneshpayeh c. Turquie, no 21086/04, § 37, 16 juillet 2009, et Ümmühan Kaplan c. Turquie, no 24240/07, § 58, 20 mars 2012). Elle rappelle aussi avoir déjà, dans des circonstances similaires à celles de l’espèce, rejeté pareille exception (Aydan c. Turquie, no 16281/10, § 122, 12 mars 2013, et Şevket Kürüm et autres c. Turquie, no 54113/08, § 57, 25 novembre 2014). Revenant à la présente affaire, elle ne voit aucune raison de s’écarter de cette jurisprudence.

    33.  La Cour souligne qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie à la suite de l’application de la procédure d’arrêt pilote dans l’affaire Ümmühan Kaplan (précitée). Elle rappelle que, dans sa décision Turgut et autres c. Turquie (no 4860/09, 26 mars 2013), elle a déclaré une Requête irrecevable au motif que les requérants n’avaient pas épuisé les voies de recours internes faute d’avoir exercé le nouveau recours. Pour ce faire, elle a considéré notamment que ce nouveau recours était, a priori, accessible et susceptible d’offrir des perspectives raisonnables de redressement pour les griefs relatifs à la durée de la procédure.

    34.  La Cour rappelle également que, dans son arrêt pilote Ümmühan Kaplan (précité, § 59), elle a notamment précisé qu’elle pourrait poursuivre, par la voie de la procédure normale, l’examen des Requêtes du même type déjà communiquées au Gouvernement. Elle note en outre que, en l’espèce, le Gouvernement n’a pas soulevé une exception portant sur ce nouveau recours. À la lumière de ce qui précède, elle décide de poursuivre l’examen de la présente Requête.

    35.  Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

    2.  Sur le fond

    36.  Le Gouvernement estime que, en l’espèce, la durée de la procédure ne peut être considérée comme excessive eu égard à la complexité de l’affaire, aux commissions rogatoires successives et à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et du nouveau CPP.

    37.  Le requérant combat les arguments du Gouvernement et considère que les motifs invoqués par ce dernier ne pouvaient justifier en l’espèce une durée de procédure d’environ sept ans et demi.

    38.  La Cour observe que la période à considérer a débuté par l’acte d’accusation du 29 mars 2001 et qu’elle a pris fin par l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2008. La procédure a donc duré près de sept ans et trois mois pour deux instances.

    39.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement des requérants et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

    40.  Elle rappelle ensuite avoir conclu, dans maintes affaires soulevant des questions semblables à celles de la présente espèce, à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (Pélissier et Sassi, précité). Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis en l’espèce, elle considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans la présente affaire. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime que, en l’espèce, la durée de la procédure litigieuse est excessive et qu’elle n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».

    41.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

    B.  Sur les griefs relatifs à l’équité de la procédure

    42.  Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint d’une absence d’équité de la procédure, au motif que le jugement de condamnation s’est fondé sur des procès-verbaux selon lui illégaux et sur les déclarations des témoins présentés par l’accusation.

    43.  Sur le terrain de l’article 6 §§ 1 et 3 b) et de l’article 13 de la Convention, il allègue ne pas avoir disposé des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, en raison du refus par le tribunal correctionnel de l’autoriser à examiner les éléments de preuve, de produire les enregistrements des caméras de surveillance de la prison et d’effectuer une visite sur les lieux. Il se plaint en outre de l’absence d’une voie de recours interne qui lui aurait permis de faire valoir son grief tiré de l’article 6 §§ 1 et 3 b) de la Convention.

    44.  Sous l’angle de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, il soutient qu’il n’a pas été assisté par un avocat lors de la procédure engagée devant les juridictions pénales.

    45.  Enfin, sur le fondement de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, il allègue que son droit d’interroger et de faire interroger les témoins à charge et à décharge a été méconnu au motif que les juridictions nationales n’ont pas accepté sa demande visant à l’examen des preuves et à la convocation des témoins.

    46.  Maîtresse de la qualification juridique des faits, la Cour estime opportun d’examiner les griefs du requérant uniquement sous l’angle de l’article 6 §§ 1 et 3 b), c) et d) de la Convention, qui se lit comme suit en ses passages pertinents en l’espèce :

    « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera, (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

    (...)

    3. Tout accusé a droit notamment à :

    (...)

    b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

    c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

    d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

    (...) »

    47.  Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient que le requérant n’a jamais présenté devant les instances nationales un grief relatif à une atteinte à son droit à un procès équitable fondé sur le motif qu’il n’aurait pas été assisté par un avocat, qu’il n’aurait pas disposé des facilités pour préparer sa défense et qu’il n’aurait pas pu interroger ou faire interroger les témoins présentés par l’accusation. Se référant notamment aux pourvois en cassation que le requérant a présentés le 21 janvier 2002, le 26 avril 2005 et le 4 août 2007, le Gouvernement allègue que celui-ci ne se plaignait alors que de mauvais traitements et d’une insuffisance de l’examen de son affaire par les tribunaux internes.

    48.  Le requérant répond que les instances nationales avaient l’obligation de le faire bénéficier de ses droits de la défense nonobstant l’absence de demande formulée par lui à cet égard. Il allègue en outre que sa demande visant à être dispensé d’assister aux audiences était due aux difficultés et aux mauvais traitements qu’il aurait endurés lors des déplacements entre la prison et le tribunal. Il ajoute que, lorsqu’il a déclaré ne pas vouloir être assisté par un avocat devant les instances nationales, son refus ne concernait que l’audience en cause.

    49.  La Cour rappelle qu’il est primordial que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. La Cour a la charge de surveiller le respect par les États contractants de leurs obligations au titre de la Convention. Elle ne peut et ne doit se substituer aux États contractants auxquels il incombe de veiller à ce que les droits et libertés fondamentaux consacrés par la Convention soient respectés et protégés au niveau interne. La règle de l’épuisement des voies de recours internes est donc une partie indispensable du fonctionnement de ce mécanisme de protection. Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour en ce qui concerne les griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de leur pays (voir, parmi beaucoup d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil 1996-IV).

    50.  En l’espèce, la Cour note que, au regard des pièces du dossier, le requérant ne semble avoir formulé aucune demande relative à l’examen des éléments de preuve, à l’obtention des enregistrements des caméras de surveillance de la prison et à la convocation des témoins à charge et/ou à l’interrogation des témoins à décharge à un quelconque stade de la procédure devant les juridictions nationales.

    51.  En ce qui concerne l’assistance d’un avocat, la Cour note d’abord que, puisque la déposition du requérant devant le procureur de la République en qualité de plaignant sans l’assistance d’un avocat le 2 février 2001 n’a pas été utilisée comme élément de preuve pour la condamnation de l’intéressé, ce grief ne concerne que l’assistance d’un défenseur durant la procédure pénale devant les juridictions nationales. Elle relève à cet égard que le requérant n’a jamais demandé l’assistance d’un défenseur et qu’il a systématiquement refusé cette assistance lorsque ses droits lui ont été rappelés par les tribunaux internes (paragraphes 11, 18 et 24 ci-dessus). Il n’a pas non plus présenté de grief tiré de l’absence d’assistance par un avocat dans ses pourvois en cassation (paragraphes 15, 20 et 26 ci-dessus).

    52.  Par conséquent, la Cour accueille l’exception du Gouvernement pour cette partie de la Requête et rejette ces griefs pour non-épuisement des voies de recours internes.

    53.  S’agissant des griefs relatifs aux éléments de preuve sur lesquels les tribunaux internes se sont fondés pour condamner le requérant et à l’absence de prise en considération de la demande du requérant quant à l’organisation d’une visite sur les lieux, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit éventuellement commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, par exemple, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I, et Perez c. France [GC], no 47287/99, § 82, CEDH 2004-I). Si l’article 6 de la Convention garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales. En principe, des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils ont eu à connaître échappent à son contrôle. La Cour n’a pas à s’ériger en juge de quatrième instance et elle ne remet pas en cause sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables (voir, par exemple, Khamidov c. Russie, no 72118/01, § 170, 15 novembre 2007, Anđelković c. Serbie, no 1401/08, § 24, 9 avril 2013, et Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 61, CEDH 2015

    54.  En l’espèce, la Cour relève que le requérant était en mesure de présenter ses arguments et de contester les éléments de preuve, notamment les déclarations des témoins. Elle note à cet égard que, bien que le requérant ait délibérément renoncé à assister aux audiences, les juridictions internes lui ont donné la possibilité de présenter ses moyens de défense sur les nouveaux éléments de preuve en le convoquant ou en ayant recours à la commission rogatoire (paragraphes 12-13, 17-18 et 23-24 ci-dessus).

    55.  Pour ce qui est de la demande du requérant visant à l’organisation d’une visite sur les lieux, la Cour rappelle que l’administration des preuves relève au premier chef des règles du droit interne et qu’il revient en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles (Edwards c. Royaume-Uni, 16 décembre 1992, § 34, série A no 247-B). Elle relève en l’espèce que le requérant n’a pas démontré en quoi une visite sur les lieux pouvait apporter un élément de preuve déterminant en sa faveur.

    56.  Dès lors, la Cour estime que l’appréciation des éléments de preuve par les juridictions nationales n’a été, en l’espèce, ni arbitraire ni manifestement déraisonnable.

    57.  Partant, ces griefs doivent être rejetés pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

    II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    58.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage

    59.  Le requérant réclame 25 000 livres turques (TRY[2]) pour préjudice matériel et 50 000 TRY pour préjudice moral.

    60.  Le Gouvernement considère qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les dommages allégués et la violation dénoncée. Il estime en outre que les sommes demandées ne sont ni étayées ni justifiées.

    61.  La Cour ne voit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et elle rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 3 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral.

    B.  Frais et dépens

    62.  Le requérant demande également 8 000 TRY pour frais d’avocat et 1 000 TRY pour des frais de téléphone, d’affranchissement, de fournitures, de photocopies et de traduction. Il ne présente aucun document à cet égard.

    63.  Le Gouvernement considère que les frais allégués par le requérant ne sont pas détaillés, et que leur réalité et leur nécessité ne sont pas démontrées.

    64.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens en raison de l’absence de justificatif correspondant aux frais allégués.

    C.  Intérêts moratoires

    65.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la Requête recevable quant au grief relatif à la durée de la procédure et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 juin 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Hasan Bakırcı                                                                       Julia Laffranque
    Greffier adjoint                                                                        
    Présidente

     

     



    [1] Ce montant était équivalent à 62,9721 euros selon le taux de change en cours à la date du prononcé du jugement.

    [2].  Le 1er janvier 2005, la livre turque (TRY), qui remplace l’ancienne livre turque (TRL), est entrée en vigueur. 1 TRY vaut 1 million de TRL.


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