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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> LOREFICE v. ITALY - 63446/13 (Judgment : Violation of Article 6 - Right to a fair trial (Article 6 - Criminal proceedings Article 6-1 - Fair hearing)) French Text [2017] ECHR 615 (29 June 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/615.html Cite as: CE:ECHR:2017:0629JUD006344613, [2017] ECHR 615, ECLI:CE:ECHR:2017:0629JUD006344613 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE LOREFICE c. ITALIE
(Requête no 63446/13)
ARRÊT
STRASBOURG
29 juin 2017
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Lorefice c. Italie,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Linos-Alexandre Sicilianos,
président,
Kristina Pardalos,
Guido Raimondi,
Aleš Pejchal,
Ksenija Turković,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 juin 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 63446/13) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État, M. Giorgio Lorefice (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 septembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me N. Paoletti, avocat à Rome. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora.
3. Le requérant alléguait en particulier que la procédure pénale menée à son encontre n’avait pas été équitable.
4. Le 5 novembre 2015, le grief tiré de l’omission d’ordonner une nouvelle audition des témoins à charge en appel a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. Le requérant est né en 1955. Il est actuellement détenu au pénitencier de Spoleto (Pérouse).
A. Les poursuites contre le requérant et le procès en première instance
6. Le requérant fut accusé d’extorsion, de détention de produits explosifs, de dégradation des biens d’autrui, de connivence (favoreggiamento personale) et de tentative de vol. Ces accusations se fondaient sur les déclarations de deux témoins, X, victime présumée de certains des faits reprochés au requérant, et Y.
La teneur de ces témoignages était la suivante : le requérant était un ami de X ; en 2001, à la suite d’une explosion ayant endommagé la maison de X, il avait dit que les auteurs des faits étaient les membres d’une organisation criminelle enracinée en Sicile, alors qu’il aurait lui-même provoqué cette explosion ; il s’était proposé en tant qu’intermédiaire et avait convaincu X de lui donner la somme de 200 000 000 lires (ITL - environ 103 291 euros (EUR)), nécessaire selon lui pour satisfaire les prétentions de la bande criminelle ; en réalité, il avait empoché cette somme.
7. Le 10 décembre 2004, X et Y furent interrogés dans le cadre d’une audience ad hoc (incidente probatorio) qui eut lieu devant le juge des investigations préliminaires (« le GIP ») de Sciacca en la présence des représentants des parties.
8. Le requérant fut renvoyé en jugement devant le tribunal de Sciacca.
9. Au cours des débats, le tribunal entendit plusieurs témoins, parmi lesquels X. Il ordonna en outre la transcription de certaines écoutes téléphoniques.
10. Le 26 septembre 2007, X, qui s’était constitué partie civile, produisit les enregistrements de certaines conversations qu’il affirmait avoir eues avec le requérant. Le tribunal ordonna la transcription de ces conversations et nomma un expert, le chargeant d’établir si les enregistrements en question avaient fait l’objet d’une manipulation.
11. Le tribunal ordonna une nouvelle audition de X et l’audition de cinq nouveaux témoins. Après ces interrogatoires, les parties présentèrent leurs plaidoiries.
12. Par un jugement du 21 janvier 2009, dont le texte fut déposé au greffe le 17 avril 2009, le tribunal de Sciacca relaxa le requérant de toutes les accusations portées contre lui. Il estima notamment que, s’agissant de l’inculpation de tentative de vol, les faits reprochés ne s’étaient pas produits (perché il fatto non sussiste) et que, en ce qui concernait la conduite qualifiée de connivence par le parquet, elle n’était pas érigée en infraction par la loi (perché il fatto non costituisce reato). Quant aux autres infractions, il considéra que le requérant ne les avait pas commises (per non aver commesso il fatto).
13. Le tribunal ordonna en outre la transmission du dossier au parquet afin d’évaluer s’il était nécessaire d’ouvrir des poursuites pour faux témoignage contre X, Y et cinq autres témoins.
14. Dans les motifs de son jugement, le tribunal examina les déclarations de X, de Y et des autres témoins concernés à la lumière des éléments probatoires produits pendant les débats. Il parvint à la conclusion que ces déclarations n’étaient ni crédibles ni corroborées par d’autres éléments. Le tribunal nota que X et Y avaient été estimés fiables dans le cadre d’un autre procès, qui, pour des faits similaires, avait conduit à la condamnation définitive d’une tierce personne, Z. Il releva cependant que les affirmations faites par X et Y dans le cadre de l’affaire concernant le requérant paraissaient imprécises, illogiques et incohérentes : de l’avis du tribunal, elles étaient non seulement peu crédibles, mais également fausses. Le tribunal nota par ailleurs que l’expert commis d’office était parvenu à la conclusion que les enregistrements produits par X à l’audience avaient été manipulés.
15. Eu égard à ces considérations, le tribunal estima que, même s’il était établi que X avait été victime d’une extorsion perpétrée par Z, il n’avait pas été prouvé au-delà de tout doute raisonnable que le requérant avait été complice de cette extorsion. Aux yeux du tribunal, le rôle du requérant pouvait en effet avoir été limité à celui de simple intermédiaire entre X et Z.
B. Le procès en appel
16. Le parquet et la partie civile interjetèrent appel.
17. L’audience devant la cour d’appel de Palerme eut lieu le 15 février 2012. À cette occasion, le requérant fit des déclarations spontanées et les parties présentèrent leurs plaidoiries.
18. Par un arrêt du 15 février 2012, dont le texte fut déposé au greffe le 24 avril 2012, la cour d’appel de Palerme reconnut le requérant coupable d’extorsion et de détention de produits explosifs, et elle lui infligea une peine de huit ans et six mois d’emprisonnement et une amende de 1 600 EUR. Elle le condamna en outre à réparer les dommages subis par la partie civile, précisant que le montant de ceux-ci devrait être fixé au cours d’une procédure civile séparée. S’agissant des autres infractions dont il était accusé, elle le relaxa pour cause de prescription.
19. Après avoir réexaminé les preuves versées au dossier, la cour d’appel parvint à la conclusion que Y était un témoin crédible. Elle estima que, dans leur ensemble, ses affirmations étaient précises et corroborées par plusieurs éléments. Elle considéra en outre qu’il avait donné des justifications pertinentes pour certaines inexactitudes et que les informations qu’il avait fournies avaient été à tort ignorées par la juridiction de première instance. Selon elle, il en allait en substance de même pour X. La cour d’appel nota ainsi que le tribunal de Sciacca avait reproché à ce témoin d’avoir initialement nié avoir été victime d’une extorsion et d’avoir montré une certaine réticence à produire les éléments de preuve en sa possession. Cependant, de l’avis de la cour d’appel, cette conduite s’expliquait par des craintes de représailles : une fois rassuré sur le fait que la menace ne provenait pas d’organisations criminelles mais du requérant, X s’était décidé à collaborer avec les autorités. Par ailleurs, la cour d’appel ne suivit pas la conclusion du tribunal selon laquelle les enregistrements produits par X avaient été manipulés, et elle observa que les déclarations de ce dernier étaient corroborées par celles de son épouse et de son fils.
20. Selon la cour d’appel, le requérant avait changé sa version des faits, adaptant progressivement ses déclarations au fur et à mesure que des éléments à sa charge avaient été produits au cours du procès. Toujours selon elle, le requérant connaissait très bien Z, il avait essayé d’entraver l’enquête en accusant une tierce personne, et, lors d’une conversation téléphonique avec sa sœur, il avait affirmé avoir reçu une somme d’argent de la part de X.
21. Quant au quantum de la peine, la cour d’appel estima que la gravité des faits et la personnalité « négative » du requérant empêchaient de faire bénéficier celui-ci de circonstances atténuantes. Elle jugea au contraire aggravante la circonstance que l’intéressé avait fait usage de la force d’intimidation caractéristique des organisations criminelles de type mafieux (article 7 du décret législatif no 152 de 1991).
C. Le pourvoi en cassation du requérant
22. Le requérant se pourvut en cassation. À l’appui de son recours, il alléguait notamment que la cour d’appel avait réévalué d’une manière défavorable à la défense la crédibilité des témoins à charge sans ordonner une nouvelle audition de ces derniers, ce qui d’après lui violait, entre autres, l’article 6 de la Convention. Il soutenait également que la motivation de l’arrêt de la cour d’appel était illogique et arbitraire, et qu’elle ne tenait pas dûment compte de nombreux éléments susceptibles de nuire à la crédibilité des témoins de l’accusation.
23. Par un arrêt du 27 mars 2013, dont le texte fut déposé au greffe le 29 août 2013, la Cour de cassation, estimant que la cour d’appel avait motivé de façon logique et correcte tous les points controversés, débouta le requérant de son pourvoi.
24. La Cour de cassation observa que, dans son arrêt Dan c. Moldova (no 8999/07, 5 juillet 2011), la Cour avait précisé que, avant d’annuler un acquittement, le juge d’appel était tenu d’ordonner une nouvelle audition des témoins à la double condition que les témoignages en question fussent décisifs et qu’il fût nécessaire de réévaluer la crédibilité des témoins. La haute juridiction releva de plus qu’il n’existait pas une règle générale imposant au juge d’appel de rouvrir l’instruction pour procéder à une reformatio in pejus du jugement de première instance, la seule obligation de ce juge étant celle de motiver sa décision de manière rigoureuse quant aux raisons qui le conduisaient à s’écarter du premier verdict.
25. Aux yeux de la Cour de cassation, l’affaire concernant le requérant se différenciait de l’affaire Dan, précitée, en ce que les éléments à charge de l’accusé étaient nombreux et variés. Dès lors, selon elle, « l’essence de la décision d’appel ne p[ouvait] pas (...) être confondue avec l’affirmation qu’un témoin, estimé non crédible par le juge de première instance, a[vait] été, en revanche, considéré comme crédible par [le juge] d’appel ». La Cour de cassation nota que, en l’espèce, la cour d’appel s’était souciée de donner une lecture correcte et logique des éléments de preuve manifestement ignorés (travisati) par le juge de première instance. Elle releva que, dans le cadre de cette réévaluation globale, cette juridiction s’était également penchée sur la crédibilité des témoins, et ce afin de motiver la culpabilité de l’accusé au-delà de tout doute raisonnable.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. Le code de procédure pénale
26. L’article 603, alinéa 3, du code de procédure pénale prévoit que le juge d’appel ordonne d’office la réouverture de l’instruction s’il l’estime absolument nécessaire.
B. La jurisprudence de la Cour de cassation italienne
27. Faisant référence à la jurisprudence de la Cour dégagée entre autres par l’arrêt Dan (précité), la Cour de cassation italienne a affirmé à plusieurs reprises que le juge d’appel qui entend infirmer un jugement d’acquittement, doit procéder à nouvelle audition des témoins dans la mesure où leurs déclarations sont déterminantes pour conclure à la condamnation de l’accusé et si leur crédibilité doit être réévaluée (entre autres, arrêt de la cinquième section no 38085 du 5 juillet 2012).
28. Par son arrêt no 27620 déposé au greffe le 6 juillet 2016, l’Assemblée plénière (Sezioni Unite) de la Cour de cassation a par ailleurs précisé que :
« En cas d’appel interjeté contre un jugement d’acquittement fondé sur des témoignages, (...), la réouverture des plaidoiries (istruzione dibattimentale) doit être considérée comme « absolument nécessaire » aux sens de l’article 603, alinéa 3, du code de procédure pénale.
(...)
Lorsque le parquet fait appel d’un jugement d’acquittement fondé sur l’appréciation de témoignages considérés décisifs, le juge d’appel ne peut pas infirmer le jugement attaqué et conclure à la culpabilité de l’accusé sans avoir au préalable ordonné, même d’office, la réouverture de l’instruction aux termes de l’article 603, alinéa 3 du code de procédure pénale, en auditionnant les témoins dont les déclarations ont été décisives aux fins du jugement d’acquittement de première instance. »
Plus particulièrement, s’agissant du caractère décisif (decisività) des témoignages, la Cour de cassation a affirmé que :
« Aux fins de l’appréciation par le juge chargé de l’appel formé par le parquet contre un acquittement, sont considérés comme décisifs les témoignages qui ont déterminé ou seulement contribué à déterminer une issue favorable pour l’accusé et qui, en présence d’autres preuves de nature différente, même s’ils ont été éliminés de l’ensemble des éléments de preuve, se révèlent potentiellement susceptibles d’avoir une influence sur l’issue de l’appel dans le sens de l’acquittement ou de la condamnation.
Sont également considérées comme décisives, les déclarations [qui, aux yeux du juge de première instance, ont] une valeur probante réduite ou nulle mais qui, du point de vue du parquet, sont susceptibles de déterminer, seules ou avec d’autres éléments de preuve, la condamnation. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION
29. Le requérant dénonce sa condamnation par la cour d’appel de Palerme, qu’il estime contraire à l’article 6 de la Convention.
Dans ses parties pertinentes en l’espèce, cette disposition se lit comme suit :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)
2. (...)
3. Tout accusé a droit notamment à :
(...) ;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
(...) ;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
(...). »
30. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
31. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Les arguments des parties
a) Le requérant
32. Le requérant se réfère aux principes exposés dans les affaires Dan, (précitée), Manolachi c. Roumanie (5 mars 2013, no 36605/04) et Hanu c. Roumanie (no 10890/04, 4 juin 2013). Il indique que le tribunal de Sciacca a estimé les témoins à charge, entendus par lui, non crédibles et qu’il a ordonné la transmission du dossier au parquet pour évaluer si des poursuites pour faux témoignage devaient être ouvertes à leur encontre. Il ajoute que la cour d’appel a infirmé le verdict d’acquittement prononcé en première instance sans ordonner une nouvelle audition de ces témoins, ce qui serait incompatible avec les principes du procès équitable.
b) Le Gouvernement
33. Le Gouvernement expose que, selon la jurisprudence de la Cour, lorsqu’une juridiction d’appel décide, sur la base d’une réévaluation des témoignages à charge, d’infirmer le verdict d’acquittement de première instance, elle devrait, en principe, rouvrir l’instruction pour procéder à une appréciation directe de ces témoignages.
34. Le Gouvernement ajoute que, afin de se conformer à la jurisprudence de la Cour, la Cour de cassation a précisé qu’une reformatio in pejus en appel ne pouvait se faire sans une nouvelle audition des témoins dont les déclarations étaient déterminantes pour conclure à la culpabilité de l’accusé et dont la crédibilité devait être réévaluée (arrêts de la cinquième section no 25475 du 24 février 2015, rv. 263903, et no 52208 du 30 septembre 2014, rv. 262115). Il indique que, en revanche, selon la Cour de cassation, la réouverture de l’instruction en appel n’était pas nécessaire lorsque le contenu ou la crédibilité des témoignages faits en première instance n’étaient pas remis en question et lorsque la culpabilité de l’accusé était établie sur la base d’une appréciation d’éléments éventuellement négligés par le premier juge ou après mise en évidence des erreurs (travisamenti) éventuellement commises par ce dernier dans l’évaluation des déclarations (arrêt de la deuxième section no 41736 du 22 septembre 2015, rv. 264682). La Cour de cassation a également précisé ce qui suit : le principe de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » impliquait qu’une reformatio in pejus en appel basée sur les mêmes éléments que ceux obtenus en première instance devait se fonder sur des arguments décisifs susceptibles de montrer les lacunes de la décision d’acquittement et d’établir la certitude de la culpabilité de l’accusé ; la juridiction d’appel devait donc montrer qu’aucun doute raisonnable ne pouvait subsister, car « la condamnation présuppos[ait] la certitude de la culpabilité [de l’accusé], alors que l’acquittement ne présuppos[ait] pas la certitude de son innocence, mais la simple non-certitude de sa culpabilité » (arrêt de la sixième section no 40159 du 3 novembre 2011, rv. 251066).
35. Se tournant vers les faits de l’espèce, le Gouvernement indique que la Cour de cassation a estimé que l’espèce se distinguait de l’affaire Dan, précitée (paragraphe 25 ci-dessus). En particulier, à ses dires, la cour d’appel ne s’est pas bornée à réévaluer la crédibilité des témoins en procédant à une simple lecture du contenu de leurs déclarations, mais elle a effectué un examen critique et approfondi de la structure de la motivation du jugement du tribunal de Sciacca. Ce faisant, la cour d’appel a indiqué l’interprétation correcte des dépositions en cause à la lumière de l’ensemble des éléments disponibles (écoutes téléphoniques, preuves obtenues dans d’autres procédures pénales, expertise des enregistrements produits par X, informations fournies par les carabiniers, et comportement « incompréhensible » du requérant la nuit où l’explosion s’était produite).
2. L’appréciation de la Cour
36. La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit ; il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction d’appel (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, et Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 60, CEDH 2006-XII). Lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des moyens de preuve (Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000-VIII, Popovici c. Moldova, nos 289/04 et 41194/04, § 68, 27 novembre 2007, Marcos Barrios c. Espagne, no 17122/07, § 32, 21 septembre 2010, Dan, précité, § 30, Lazu c. République de Moldova, no 46182/08, § 40, 5 juillet 2016, Manoli c. République de Moldova, no 56875/11, § 32, 28 février 2017, et, a contrario, Kashlev c. Estonia, no 22574/08, §§ 48-50, 26 avril 2016).
37. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe tout d’abord que la cour d’appel de Palerme a condamné le requérant sur la base des déclarations de X, la victime présumée de certains des faits reprochés à l’intéressé, et de Y, un autre témoin, qui avaient déposé devant les juridictions de première instance (voir paragraphe 19 ci-dessus).
38. La Cour note que le tribunal de Sciacca, la juridiction de première instance qui a entendu X lors des débats (paragraphe 9 ci-dessus), a relaxé le requérant car il a estimé que la déposition de ce témoin n’était pas crédible. De l’avis du tribunal, les déclarations de ce dernier et celles de Y, interrogé lors d’une audience ad hoc devant le GIP (paragraphe 7 ci-dessus), étaient imprécises, illogiques et incohérentes. Le tribunal a ainsi considéré que, non seulement ces déclarations n’étaient pas corroborées par d’autres éléments, mais également qu’elles étaient fausses, ce qui l’a conduit à ordonner la transmission du dossier au parquet afin d’évaluer s’il était nécessaire d’ouvrir des poursuites pour faux témoignage contre X, Y et cinq autres témoins (paragraphes 13-14 ci-dessus).
39. La Cour relève ensuite que, de son côté, la cour d’appel de Palerme avait la possibilité, en tant qu’instance de recours, de rendre un nouveau jugement sur le fond, ce qu’elle a fait le 15 février 2012. Cette juridiction pouvait décider soit de confirmer l’acquittement du requérant soit de déclarer celui-ci coupable, après s’être livrée à une appréciation de la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’intéressé. Pour ce faire, la cour d’appel avait la possibilité d’ordonner d’office la réouverture de l’instruction, conformément à l’article 603 alinéa 3 du code de procédure pénale, et procéder à une nouvelle audition des témoins (paragraphe 26 ci-dessus).
40. La Cour observe que la cour d’appel de Palerme a infirmé le jugement entrepris, s’écartant ainsi de l’avis du tribunal quant à l’interprétation des mêmes dépositions examinées par le juge a quo. La cour d’appel a considéré que les témoignages de X et Y étaient crédibles, précis et corroborés par plusieurs éléments. Elle a en outre estimé que Y avait donné des justifications pertinentes pour certaines inexactitudes et, quant à X, que sa réticence initiale s’expliquait par des craintes de représailles et qu’il n’y avait eu aucune manipulation des enregistrements produits par lui. La cour d’appel a également accordé un certain poids à la conduite du requérant, notant que celui-ci avait essayé d’entraver l’enquête, qu’il avait admis avoir reçu une somme d’argent de la part de X et qu’il avait progressivement adapté ses déclarations au fur et à mesure que des éléments à sa charge avaient été produits au cours du procès (paragraphes 19-20 ci-dessus).
41. Force est de constater qu’en l’espèce la cour d’appel de Palerme ne s’est pas limitée à une nouvelle appréciation d’éléments de nature purement juridique, mais qu’elle s’est prononcée sur une question factuelle, à savoir la crédibilité des dépositions de X et Y, modifiant ainsi les faits retenus par le juge de première instance. Aux yeux de la Cour, un tel examen implique, de par ses caractéristiques, une prise de position sur des faits décisifs pour la détermination de la culpabilité du requérant (voir, mutatis mutandis, Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 35, 10 mars 2009, Marcos Barrios, précité, § 40, et voir, a contrario, Leş c. Roumanie (déc.), no 28841/09, 13 septembre 2016).
42. À ce sujet, la Cour note que, pour parvenir à ces conclusions, la cour d’appel n’a pas procédé à une nouvelle audition de X et Y : cette juridiction s’est bornée à examiner les déclarations de ceux-ci telles qu’elles avaient été enregistrées dans les procès-verbaux versés au dossier (voir, mutatis mutandis, Dan, précité, § 32).
43. Compte tenu de ce qui était en jeu pour le requérant, la Cour n’est pas convaincue que les questions que la cour d’appel de Palerme avait à trancher avant de décider de condamner l’intéressé en infirmant le verdict d’acquittement du tribunal de Sciacca pouvaient, pour des motifs d’équité du procès, être examinées de manière appropriée sans appréciation directe des témoignages à charge. La Cour rappelle que ceux qui ont la responsabilité de décider de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé doivent, en principe, entendre les témoins en personne et évaluer leur crédibilité (voir Manoli, precité, § 32 et, a contrario, Kashlev, précité, §§ 48-50). L’évaluation de la crédibilité d’un témoin est une tâche complexe, qui, normalement, ne peut pas être accomplie par le biais d’une simple lecture du contenu des déclarations de celui-ci, telles que consacrées dans les procès-verbaux des auditions (Dan, précité, § 33).
44. Certes, il y a des cas où il s’avère impossible d’entendre un témoin en personne aux débats en appel, par exemple en raison de son décès (voir, entre autres, Ferrantelli et Santangelo c. Italie, 7 août 1996, § 52, Recueil 1996-III, et Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 153, CEDH 2011) ou afin de respecter son droit de garder le silence sur des circonstances qui pourraient conduire à son incrimination (voir, par exemple, Craxi c. Italie (no 1), no 34896/97, § 86, 5 décembre 2002). Cependant, il n’a pas été allégué que de tels empêchements existaient en l’espèce (voir, mutatis mutandis, Dan, précité, § 33).
45. La Cour a examiné l’argument du Gouvernement selon lequel, en l’espèce, une nouvelle audition de X et Y n’était pas nécessaire au motif que la cour d’appel, loin de se borner à réévaluer leur crédibilité, avait effectué un contrôle approfondi de la motivation du jugement du tribunal de Sciacca en mettant en exergue ses carences à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve versés au dossier (paragraphe 35 ci-dessus). Cependant, la Cour ne voit pas en quoi cette circonstance pouvait exonérer la juridiction d’appel de l’obligation qui était la sienne d’entendre en personne les témoins dont les déclarations, qu’elle s’apprêtait à interpréter d’une manière défavorable à l’accusé et radicalement différente de celle dont le juge de première instance avait appréhendé l’affaire, constituaient le principal élément à charge.
46. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que l’omission de la cour d’appel de Palerme d’entendre à nouveau X, Y et/ou d’autres témoins avant d’infirmer le verdict d’acquittement dont le requérant avait bénéficié en première instance a porté atteinte à l’équité du procès.
47. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
48. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
49. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.
50. Le Gouvernement conteste cette demande.
51. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 6 500 EUR au titre du préjudice moral.
52. La Cour rappelle en outre que, lorsque, comme en l’espèce, un particulier a été condamné à l’issue d’un procès qui n’a pas satisfait aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure, à la demande de l’intéressé, représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir, mutatis mutandis, Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV, Popovici, précité, § 87, et Gerovska Popčevska c. « Ex-République yougoslave de Macédoine, no 48783/07, § 68, 7 janvier 2016).
B. Frais et dépens
53. Sans présenter de justificatif à l’appui de sa demande, le requérant réclame la somme de 4 000 EUR pour les frais et dépens.
54. Le Gouvernement conteste cette prétention.
55. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, lorsque la Cour constate une violation de la Convention, elle n’accorde au requérant le paiement des frais et dépens exposés par lui devant les juridictions nationales que dans la mesure où ils ont été engagés pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation. En l’espèce, la Cour note que la demande de remboursement des frais et dépens n’est pas suffisamment détaillée ni accompagnée de justificatifs pertinents. Elle rejette donc la demande formulée par le requérant à ce titre.
C. Intérêts moratoires
56. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 500 EUR (six mille cinq cents euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 juin 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Renata Degener Linos-Alexandre
Sicilianos
Greffière adjointe Président