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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MESSANA v. ITALY - 37189/05 (Judgment : Violation of Article 1 of Protocol No. 1 - Protection of property (Article 1 para. 1 of Protocol No. 1 - Peaceful enjoyment o...) French Text [2017] ECHR 771 (07 September 2017)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/771.html
Cite as: CE:ECHR:2017:0907JUD003718905, [2017] ECHR 771, ECLI:CE:ECHR:2017:0907JUD003718905

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    PREMIÈRE SECTION

     

     

     

     

     

     

    AFFAIRE MESSANA c. ITALIE

     

    (Requête no 37189/05)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ARRÊT

     

     

     

     

    STRASBOURG

     

    7 septembre 2017

     

     

    Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


    En l’affaire Messana c. Italie,

    La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :

              Kristina Pardalos, présidente,
              Pauliine Koskelo,
              Tim Eicke, juges,
    et de Renata Degener, greffière adjointe de section,

    Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juillet 2017,

    Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

    PROCÉDURE

    1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 37189/05) dirigée contre la République italienne et dont trois ressortissants de cet État M. Calogero Messana et Mmes Rosa et Giuseppa Marianna Messana (« les requérants »), ont saisi la Cour le 11 août 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

    2.  Les requérants ont été représentés par Me G. Ingrascì, avocat à Catane. Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Spatafora, son ancien coagent M. N. Lettieri, et son coagent Mme P. Accardo.

    3.  Le 29 mai 2007, la requête a été communiquée au Gouvernement.

    EN FAIT

    I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

    4.  Les requérants sont nés respectivement en 1946, 1944 et 1948 et résidant à Caltanissetta.

    5.  Les requérants étaient copropriétaires d’un terrain de 1 500 mètres carrés sis à Canicattí, enregistré au cadastre feuille 67, parcelle 14.

    6.  Par un arrêté du 3 juillet 1975, la municipalité de Canicattì autorisa l’Institut autonome de gestion des habitations à loyer modéré (« HLM ») (IACP) à occuper d’urgence le terrain pour une période de cinq ans, en vue de son expropriation, afin d’y construire des HLM.

    7.  Le terrain fut occupé matériellement le 30 juillet 1975. Les travaux de construction s’achevèrent le 18 juillet 1977.

    8.  Le 13 février 1981, l’administration offrit une somme à titre d’acompte sur l’indemnité d’expropriation, qu’elle fixa à 2 213 250 lires (ITL) (environ 1 143 euros, « EUR »). Le 27 mars 1985, la somme fut déposée auprès de la Caisse des dépôts et des prêts.

    9.  Par un arrêté du 14 janvier 1986, la municipalité déclara l’expropriation formelle du terrain.

    10.  Par un acte notifié le 11 janvier 1991, les requérants introduisirent devant le tribunal d’Agrigente un recours en dommages-intérêts à l’encontre de la ville de Canicattí et de l’IACP. Ils alléguaient que l’occupation du terrain était illégale et que les travaux de construction s’étaient terminés sans procédure d’expropriation formelle du terrain et sans le paiement d’une indemnité. Ils réclamaient une somme correspondant à la valeur vénale du terrain et une indemnité d’occupation.

    11.  Au cours de la procédure, une expertise technique fut ordonnée par le tribunal. Selon l’expert, la période d’occupation autorisée s’était terminée le 30 juillet 1980 et, par conséquent, l’expropriation formelle du terrain était tardive. La valeur vénale du terrain à cette date était de 60 000 ITL (environ 31 EUR) le mètre carré.

    12.  Par un jugement du 23 janvier 1997, déposé au greffe le 31 janvier 1997, le tribunal d’Agrigente constata que la transformation du terrain avait eu lieu pendant la période d’occupation légitime et que la réalisation des HLM avait entraîné le transfert de propriété du terrain à l’administration, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’expropriation indirecte. Toutefois, le tribunal statua qu’aucune indemnité n’était due aux requérants au motif que l’action en dommages-intérêts était soumise à un délai de prescription de cinq ans commençant à courir à partir de la date d’expiration de la période d’occupation autorisée, le 30 juillet 1980.

    13.  Le 17 mars 1998, les requérants saisirent la cour d’appel de Palerme.

    14.  Par un arrêt du 7 avril 2000, déposé au greffe le 27 décembre 2000, la cour rejeta l’appel des requérants. Elle affirma que la date à partir de laquelle le délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir était le 27 mars 1985, soit le jour où l’administration avait versé l’acompte sur l’indemnité d’expropriation. La cour d’appel conclut partant à la prescription du droit des requérants à un dédommagement.

    15.  Les requérants se pourvurent en cassation. Ils se plaignaient du défaut de motivation de l’arrêt de la cour d’appel sur le calcul du délai de prescription et aussi de l’institut de l’expropriation indirecte qui était, selon eux, contraire à la Convention

    16.  Par un arrêt du 14 décembre 2004, la Cour de cassation cassa l’arrêt de deuxième instance et renvoya l’affaire devant une autre section de la cour d’appel de Palerme. Elle affirma que la cour d’appel n’avait pas suffisamment motivé sa décision quant au moment à partir duquel le délai de prescription avait commencé à courir. S’agissant, en revanche, de l’institut de l’expropriation indirecte, la Cour de cassation affirma que selon une lecture de la jurisprudence en la matière, il n’était pas possible de déduire qu’il était contraire à la Convention.

    17.  Par un arrêt du 22 juin 2012, la cour d’appel de Palerme considéra que le droit des requérants au dédommagement ne pouvait pas se considérer comme prescrit, le 14 janvier 1986 étant la date correcte à laquelle avait commencé à courir le délai de prescription pour réclamer des dommages-intérêts. Elle constata ensuite que le dédommagement dû aux requérants devait être à hauteur de la valeur vénale du terrain exproprié.

    18.  Par conséquent, se basant sur l’expertise déposée pendant la procédure devant le tribunal de Agrigente (paragraphe 11 ci-dessus), la cour d’appel condamna l’IACP à payer aux requérants 35 960 EUR à titre de dommage matériel pour la perte du terrain ainsi que 8 500 EUR à titre de dommage subi à cause de la perte de valeur de la partie restante du terrain, plus les intérêts et la réévaluation. La cour estima qu’aucune somme était due à titre d’indemnité d’occupation légitime car une demande à ce titre avait été proposée pour la première fois dans le cadre de la procédure de renvoi après cassation.

    II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

    A.  Le principe de l’expropriation indirecte (« occupazione acquisitiva » ou « accessione invertita »)

    19.  Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], §§ 18-48 no 58858/00, 22 décembre 2009.

    B.  Les arrêts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 22 octobre 2007

    20.  Par les arrêts nos 348 et 349 du 22 octobre 2007 (dits également les « arrêts jumeaux » - sentenze gemelle) la Cour constitutionnelle a :

    a)  rappelé que l’article 117 § 1 de la Constitution affirme que « lepouvoir législatif est exercé (...) en respectant (...) les obligations internationales » ;

    b)  dit que le devoir de respecter ces obligations a une incidence sur le contenu de la loi ;

    c)  dit que la Convention « concrétise la consistance » de ces obligations ;

    d)  estimé qu’en ratifiant la Convention, l’Italie s’était engagée à conformer son système juridique avec les dispositions de celle-ci, telles qu’interprétées par la Cour européenne des droits de l’homme ;

    e)  considéré que, dans le système italien des sources du droit, la Convention est une « norme sous-constitutionnelle » (norma sub-costituzionale), ayant une force intermédiaire entre la loi et la Constitution ;

    f)  dit qu’en cas de conflit potentiel entre la Convention et la loi interne, le juge doit d’abord vérifier si cette dernière peut être interprétée de manière conforme à la Convention ; dans la négative, il doit soulever un incident de constitutionnalité, demandant à la Cour constitutionnelle de vérifier si l’éventuelle incompatibilité entre la loi interne et la « norme interposée » (norma interposta) représentée par la Convention a violé l’article 117 § 1 de la Constitution.

    21.  Par ces deux arrêts la Haute Juridiction a déclaré inconstitutionnelles certaines dispositions en matière d’indemnité d’expropriation contenues dans le décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, dans la loi n662 de 1996 et dans le décret du président de la République no 327 du 8 juin 2001. En particulier, dans l’arrêt no 349 la Cour constitutionnelle a relevé que le niveau insuffisant d’indemnisation prévu par la loi de 1996 était contraire à l’article 1 du Protocole no 1 et par conséquent à l’article 117 § 1 de la Constitution italienne, lequel prévoit le respect des obligations internationales.

    22.  Suite aux arrêts de la Cour constitutionnelle, des modifications législatives sont intervenues en droit interne. L’article 2/89 e) de la loi de finances no 244 de 2007 a établi que dans un cas d’expropriation indirecte le dédommagement doit correspondre à la valeur vénale des biens, aucune réduction n’étant admise.

    23.  Cette disposition a été appliquée à toutes les procédures en cours au 1er janvier 2008, sauf celles où la décision sur l’indemnité d’expropriation ou sur le dédommagement avait été acceptée ou était devenue définitive.

    EN DROIT

    I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No1

    24.  Les requérants allèguent avoir été privés de leur terrain de manière incompatible avec l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’application du principe de l’expropriation indirecte. Ils invoquent également l’article 13 de la Convention, pris en combinaison avec l’article 1 du Protocole no 1 sans, toutefois, arguments à l’appui. La Cour examinera ledit grief uniquement sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, lequel est ainsi libellé:

    « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

    Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

    25.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

    A.  Sur la recevabilité

    1.  Sur l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes

    26.  Dans ses observations déposées au greffe de la Cour le 25 octobre 2007, le Gouvernement soulevait une exception de non-épuisement des voies de recours internes au motif que la procédure nationale était pendante et qu’il n’y avait pas encore un jugement interne définitif. Par une lettre du 3 mars 2015, le Gouvernement informa la Cour que la procédure interne s’était conclue avec l’arrêt de la cour d’appel de Palerme du 22 juin 2012. Dès lors, l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes ne saurait être retenue.

    2.  Sur l’exception tirée de la perte de la qualité de « victime »

    27.  Le Gouvernement affirme que le requérants ne peuvent plus se prétendre « victimes » de la violation alléguée puisqu’ils ont obtenu de la cour d’appel de Palerme un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain exproprié, plus intérêts et la réévaluation.

    28.  La Cour observe d’emblée que la question de savoir si un requérant peut se prétendre victime de la violation alléguée se pose à tous les stades de la procédure sur le terrain de la Convention (voir, entre autres, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 179, CEDH 2006-V). Pour déterminer si un requérant peut se prétendre réellement victime d’une violation alléguée, il convient de tenir compte non seulement de la situation officielle au moment de l’introduction de la requête auprès de la Cour, mais aussi de l’ensemble des circonstances de l’affaire en question, notamment de tout fait nouveau antérieur à la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 105, CEDH 2010).

    29.  La Cour rappelle ensuite qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de «victime» que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir Guerrera et Fusco c. Italie, no 40601/98, § 53, 3 avril 2003 ; Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1996-III).

    30.  Il découle de ce qui précède qu’il appartient à la Cour de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant (voir Scordino c. Italie (no 1), précité).

    31.  La Cour rappelle avoir déjà examiné des exceptions similaires dans d’autres affaires concernant des expropriations indirectes. Dans ces affaires, elle avait conclu que le simple fait que le requérant ait reçu une indemnisation correspondant à la valeur vénale du terrain exproprié ne suffit pas en soi à lui retirer la qualité de « victime », bien que cela puisse jouer un rôle sur le terrain de l’article 41 (voir Armando Iannelli c. Italie, n24818/03, § 31, 12 février 2013 et la jurisprudence citée).

    32.  Dans le cas d’espèce la Cour observe que la Cour de cassation cassa l’arrêt de deuxième instance et renvoya l’affaire devant la cour d’appel de Palerme en affirmant que la cour d’appel n’avait pas suffisamment motivé sa décision quant au moment à partir duquel le délai de prescription avait commencé à courir. Elle déclara en revanche qu’elle ne pouvait pas conclure à une incompatibilité entre l’institut de l’expropriation indirecte et la Convention (paragraphe 16 ci-dessus).

    33.  Par conséquent, la Cour n’est pas persuadée qu’il y a eu reconnaissance, ni explicitement ni en substance, de la violation l’article 1 du Protocole no 1 dans le cadre de la procédure interne (voir, a contrario, Armando Iannelli c. Italie, précité, § 35).

    34.  Dans ces conditions, et à défaut d’une telle reconnaissance, à supposer même que le dédommagement alloué ait été suffisant et approprié, la Cour estime que les requérants peuvent encore se prétendre victimes de la violation alléguée. Par conséquent, la Cour rejette l’exception du Gouvernement.

    35.  La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

    B.  Sur le fond

    1.  Arguments des parties

    36.  Les requérants rappellent qu’ils ont été privés de leur bien en vertu du principe de l’expropriation indirecte, un mécanisme qui permet à l’autorité publique d’acquérir un bien en toute illégalité, ce qui est inadmissible dans un État de droit.

    37.  Le Gouvernement prend acte de ce que la jurisprudence de la Cour, désormais consolidée, conclut à une incompatibilité du mécanisme de l’expropriation indirecte avec le principe de légalité. Toutefois, à la lumière des arrêts des juridictions internes déclarant qu’un transfert de propriété avait eu lieu, et qui est aux yeux du Gouvernement assimilable à un acte formel d’expropriation, l’expropriation en question ne pourrait plus se considérer comme étant incompatible avec le respect des biens et le principe de prééminence du droit.

    2.  Appréciation de la Cour

    a)  Sur l’existence d’une ingérence

    38.  La Cour renvoie à sa jurisprudence constante relative à la structure de l’article 1 du Protocole no 1 et aux trois normes distinctes que cette disposition contient (voir, parmi beaucoup d’autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 61, série A no 52, Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 1999 II, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 44, CEDH 1999 V, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 134, CEDH 2004 V, et Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 93, 25 octobre 2012).

    39.  La Cour constate que les parties s’accordent pour dire qu’il y a eu une « privation » de propriété au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1.

    40.  La Cour doit donc rechercher si la privation dénoncée se justifie sous l’angle de cette disposition.

    b)  Sur le respect du principe de légalité

    41.  La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer l’usage des biens en mettant en vigueur des « lois ». De plus, la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, est inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, Iatridis c. Grèce [GC], précité, § 58).

    42.  La Cour renvoie ensuite à sa jurisprudence en matière d’expropriation indirecte (voir, parmi d’autres, Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, n31524/96, CEDH 2000-VI ; Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, 17 mai 2005, et Velocci c. Italie, no 1717/03, 18 mars 2008) pour une récapitulation des principes pertinents et pour un aperçu de sa jurisprudence dans la matière, notamment en ce qui concerne la question du respect du principe de légalité dans cette typologie d’affaires.

    43.  Dans la présente affaire, la Cour relève qu’en appliquant le principe de l’expropriation indirecte, les juridictions internes ont considéré les requérants privés de leur bien à compter de la date de la cessation de la période d’occupation légitime. Or, en l’absence d’un acte formel d’expropriation, la Cour estime que cette situation ne saurait être considérée comme « prévisible », puisque ce n’est que par la décision judiciaire définitive que l’on peut considérer le principe de l’expropriation indirecte comme ayant effectivement été appliqué et que l’acquisition du terrain par les pouvoirs publics a été consacrée. Par conséquent, les requérants n’ont eu la sécurité juridique concernant la privation du terrain qu’au plus tôt à date à laquelle le jugement de la cour d’appel de Palerme est devenu définitif.

    44.  La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis à l’administration de tirer parti d’une occupation de terrain illégale. En d’autres termes, l’administration a pu s’approprier le terrain au mépris des règles régissant l’expropriation en bonne et due forme.

    45.  À la lumière de ces considérations, la Cour estime que l’ingérence litigieuse n’est pas compatible avec le principe de légalité et qu’elle a donc enfreint le droit au respect des biens des requérants.

    46.  Dès lors, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

    II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

    47.  Les requérants se plaignaient de l’absence d’équité de la procédure en craignaient l’application de la loi no 662 de 1996, ce qui aurait pu les priver d’une indemnisation correspondante à la valeur vénale du terrain. Ils invoquaient l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses passages pertinents, dispose :

    « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

    48.  La Cour constate que, dans le cas d’espèce, la somme reconnue aux requérants par la Cour d’appel de Palerme n’a pas été soumise à la réduction prévue par la loi no 662 de 1996.

    49.  En conséquence, ce grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejetée en vertu de l’article 35 § 4, dans la mesure où les requérants ne peuvent se prévaloir de la qualité de victime.

    III.  SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

    50.  Les requérants invoquent également l’article 17 de la Convention, sans toutefois étayer ce grief.

    51.  La Cour relève que, ces grief n’ayant pas été étayé, il doit être déclaré irrecevable en tant que manifestement mal fondé au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

    IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

    52.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

    « Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

    A.  Dommage matériel

    53.  Dans leurs observations du 4 décembre 2007, les requérants sollicitaient un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain à la date de l’arrêt de la Cour, plus les intérêts et la réévaluation. Ils demandaient, en outre, le versement d’une somme pour la non-jouissance du terrain, une somme à titre de plus-value découlant de la construction de l’ouvrage public, et d’une somme pour la non-jouissance des immeubles bâtis sur le terrain par l’administration.

    54.  Le Gouvernement s’opposait à ces prétentions.

    55.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], nº 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

    56.  Elle rappelle que dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie (précité), la Grande Chambre a modifié la jurisprudence de la Cour concernant les critères d’indemnisation dans les affaires d’expropriation indirecte. En particulier, elle a décidé d’écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles sont fondées sur la valeur des terrains à la date de l’arrêt de la Cour et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l’État sur les terrains.

    57.  L’indemnisation doit donc correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois que l’on aura déduit la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l’inflation. Il convient aussi de l’assortir d’intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s’est écoulé depuis la dépossession des terrains.

    58.  La Cour observe que les requérants ont reçu au niveau national une somme correspondant à la valeur vénale du terrain, réévaluée et assortie d’intérêts, à compter de la date de perte de la propriété, à savoir le 30 juillet 1980 (paragraphes 17-18 ci-dessus).

    59.  La Cour estime partant que les intéressés ont déjà obtenu une somme suffisante à satisfaire les critères d’indemnisation suscités.

    60.  Quant à la perte de chances subie à la suite de l’expropriation, la Cour rappelle que, dans son arrêt du 22 juin 2012, la cour d’appel de Palerme constata que la demande des requérants à titre d’indemnité d’occupation légitime avait été proposée pour la première fois dans la procédure de renvoi après cassation, et pour cette raison, la rejeta (paragraphe 18 ci-dessus). Par conséquent, la Cour estime que aucune somme n’est due aux requérants à ce titre.

    B.  Dommage moral

    61.  La requérants demandent 50 000 EUR chacun à titre de préjudice moral.

    62.  Le Gouvernement s’y oppose.

    63.  La Cour estime que le sentiment d’impuissance et de frustration face à la dépossession illégale de leur bien a causé aux requérants un préjudice moral qu’il y a lieu de réparer de manière adéquate.

    64.  Conformément à la jurisprudence Guiso-Gallisay c. Italie (précité) et statuant en équité, la Cour alloue aux requérants, conjointement, 5 000 EUR à titre de dommage moral.

    C.  Frais et dépens

    65.  Notes d’honoraires à l’appui, les requérants demandent également, conjointement, 50 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 40 000 EUR pour ceux exposés devant la Cour.

    66.  Le Gouvernement s’y oppose.

    67.  La Cour ne doute pas de la nécessité d’engager des frais, mais elle trouve excessifs les honoraires totaux revendiqués à ce titre. Elle considère dès lors qu’il y a lieu de les rembourser en partie seulement.

    68.  Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d’allouer un montant de 5 000 EUR pour l’ensemble de frais exposés.

    D.  Intérêts moratoires

    69.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

    PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

    1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 et irrecevable pour le surplus ;

     

    2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;

     

    3.  Dit

    a)  que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois, les sommes suivantes :

    i.  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

    ii.  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

    b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

     

    4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

    Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 septembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

      Renata Degener                                                                  Kristina Pardalos
    Greffière adjointe                                                                     
    Présidente


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