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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BAYAR v. TURKEY - 603/09 (Judgment : Violation of Freedom of expression-{general} (Article 10-1 - Freedom of expression)) French Text [2017] ECHR 938 (24 October 2017) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2017/938.html Cite as: CE:ECHR:2017:1024JUD000060309, ECLI:CE:ECHR:2017:1024JUD000060309, [2017] ECHR 938 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE BAYAR c. TURQUIE
(Requête no 603/09)
ARRÊT
STRASBOURG
24 octobre 2017
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Bayar c. Turquie,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
Ledi Bianku, président,
Valeriu Griţco,
Stéphanie Mourou-Vikström, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 603/09) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Hasan Bayar (« le requérant »), a saisi la Cour le 15 septembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me İ. Akmeşe, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le 15 novembre 2013, le grief concernant l’article 10 de la Convention a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.
EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1982 et réside à Berne. À l’époque des faits, il était le rédacteur en chef du quotidien Ülkede Özgür Gündem.
5. Le 5 septembre 2004, un article intitulé « l’indignation provoquée par le tribunal (Mahkemeden infial) » fut publié dans le numéro 189 du quotidien Ülkede Özgür Gündem. Cet article portait sur l’arrestation de trente-cinq personnes qui s’étaient servies de boucliers humains dans le sud-est de la Turquie dans le but de dissuader les forces militaires turques de prendre pour cible les membres du PKK. Selon l’article en cause, les personnes arrêtées s’étaient vu reprocher d’avoir provoqué de l’indignation au sein de la société. L’article se terminait par une déclaration émanant du HPG (Forces de défense populaire, une branche armée du PKK) par laquelle celui-ci qualifiait l’usage de boucliers humains d’action pacifique et considérait que la jeunesse devait faire avancer la lutte pour la démocratie au travers d’actions « créatives » du même type. Le HPG estimait en outre que la guérilla était, elle aussi, un bouclier humain pour protéger le peuple.
6. Des poursuites furent engagées contre le requérant. Par un jugement du 14 mai 2008, la cour d’assises d’Istanbul condamna ce dernier au paiement d’une amende de 1 591 livres turques (TRY) (soit environ 825 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à l’époque pertinente) sur le fondement de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. Le requérant se pourvut contre cette décision.
7. Le 31 octobre 2011, la Cour de cassation rejeta la demande de pourvoi au motif que le jugement en cause était définitif au moment de son prononcé, le montant de l’amende infligée étant en dessous de la limite légale autorisant un pourvoi.
8. Le 17 juillet 2012, la cour d’assises d’Istanbul réexamina la condamnation du requérant. Se fondant sur la loi no 6352, entrée en vigueur le 5 juillet 2012, elle sursit à l’exécution de la peine prononcée à l’encontre de celui-ci. Elle ordonna, par ailleurs, le placement de l’intéressé sous contrôle judiciaire durant trois ans.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
9. Le requérant estime que sa condamnation pénale prononcée à la suite de la publication de l’article de presse litigieux a enfreint son droit à la liberté d’expression. Il invoque l’article 10 de la Convention.
10. Le Gouvernement conteste cette thèse. De son côté, le requérant réitère ses allégations.
11. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
12. La Cour note que l’ingérence en cause était prévue par la loi et poursuivait plusieurs buts légitimes au sens de l’article 10 § 2 de la Convention, à savoir le maintien de la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention du crime (Gözel et Özer c. Turquie, nos 43453/04 et 31098/05, §§ 43-45, 6 juillet 2010, et Belek c. Turquie, nos 36827/06, 36828/06 et 36829/06, § 26, 20 novembre 2012). Elle observe que le différend porte sur la question de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».
13. La Cour rappelle avoir déjà traité des affaires soulevant des questions semblables à celles du cas d’espèce et avoir constaté la violation de l’article 10 de la Convention (voir, par exemple, Gözel et Özer, précité, § 64, et Belek, précité, § 29). Elle examinera donc la présente affaire à la lumière de cette jurisprudence.
14. La Cour portera une attention particulière aux termes employés dans l’article litigieux (paragraphe 5 ci-dessus) et au contexte de sa publication, en tenant compte des circonstances qui entouraient le cas soumis à son examen et en particulier des difficultés liées à la lutte contre le terrorisme (Sürek c. Turquie (no 4) [GC], no 24762/94, § 58, 8 juillet 1999).
15. Elle constate à cet égard que l’article en cause ne contenait aucun appel à la violence, à la résistance armée ou au soulèvement, et qu’il ne constituait pas un discours de haine, ce qui est à ses yeux l’élément essentiel à prendre en considération.
16. Ayant examiné les motifs avancés par la cour d’assises pour condamner le requérant, elle conclut qu’ils ne sauraient être considérés, en tant que tels, comme suffisants pour justifier l’atteinte portée au droit de l’intéressé à la liberté d’expression. Par conséquent, elle ne voit pas de raison de s’écarter de la conclusion à laquelle elle est parvenue dans les affaires Gözel et Özer (précitée, § 64), Belek (précitée, § 29) et Belek et Velioğlu c. Turquie (no 44227/04, §§ 26 et 27, 6 octobre 2015).
17. Partant, la Cour dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
18. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi. Il sollicite en outre au titre des frais et dépens qu’il dit avoir engagés, sans fournir aucun justificatif, 5 022 livres turques (TRY) pour les frais d’avocat et 300 TRY pour les dépens.
19. Le Gouvernement conteste ces sommes.
20. En ce qui concerne le dommage moral, la Cour estime, eu égard à sa jurisprudence en la matière (Belek et Velioğlu, précité, § 35), que les circonstances de l’espèce ont causé au requérant un certain désarroi. Statuant en équité en vertu de l’article 41 de la Convention, elle lui alloue la somme de 1 250 EUR.
21. Pour ce qui est de la demande présentée au titre des frais et dépens, compte tenu de l’absence de documents pertinents, la Cour la rejette (Ato c. Turquie, no 29873/02, § 27, 8 juin 2010).
22. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, pour dommage moral, 1 250 EUR (mille deux cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 octobre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Hasan Bakırcı Ledi
Bianku
Greffier adjoint Président