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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> GABRIELA KAISER v. SWITZERLAND - 35294/11 (Judgment : No violation of Right to a fair trial - Civil proceedings - Access to court) French Text [2018] ECHR 21 (09 January 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/21.html Cite as: [2018] ECHR 21, ECLI:CE:ECHR:2018:0109JUD003529411, CE:ECHR:2018:0109JUD003529411 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE GABRIELA KAISER c. SUISSE
(Requête no 35294/11)
ARRÊT
STRASBOURG
9 janvier 2018
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Gabriela Kaiser c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Helena Jäderblom,
présidente,
Branko Lubarda,
Luis López Guerra,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Georgios A. Serghides,
Jolien Schukking, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 décembre 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une Requête (no 35294/11) dirigée contre la Confédération suisse et dont une ressortissante de cet État, Mme Gabriela Kaiser (« la requérante »), a saisi la Cour le 29 mai 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La requérante a été représentée par Me C. Bernhart, avocat à Wildhaus. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent suppléant, M. A. Scheidegger.
3. La requérante alléguait en particulier que le refus d’assistance judiciaire par les instances internes, combiné avec le refus d’exonération des frais judiciaires, avait porté atteinte à son droit d’accès à un tribunal au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
4. Le 18 janvier 2014, les griefs concernant le droit d’accès à un tribunal et le principe d’égalité des armes ont été communiqués au Gouvernement. Le restant de la Requête a été déclaré irrecevable par le président de la section siégeant en formation de juge unique.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
A. L’origine de l’affaire
5. La requérante est née en 1964 et réside à Wangen.
6. Elle est divorcée et mère de deux enfants dont elle s’occupe seule. Elle souffre de surdité depuis sa naissance. Au moment de l’introduction de sa Requête, elle était sans emploi et dépendante de l’aide sociale.
7. Le 20 juillet 2007, elle conclut un contrat de bail concernant un appartement à Wangen (canton de Zurich).
8. Le 12 janvier 2010, l’administration de l’immeuble (Liegenschaftsverwaltung) résilia le contrat de bail susmentionné pour non-respect de l’ordre intérieur (Missachtung der Hausordnung). Par une lettre du 12 février 2010, dont le bien-fondé est contesté par la requérante, l’administration de l’immeuble exposa les motifs de la résiliation et proposa à l’intéressée de rester dans l’appartement si elle acceptait de le quitter avant le 31 octobre 2010. Celle-ci refusa de donner son accord.
9. Le 6 octobre 2010, la requérante, représentée par un avocat, s’adressa à l’autorité de conciliation en matière de bail (Schlichtungsstelle) du tribunal de district d’Uster (« l’autorité de conciliation »), alléguant notamment que la résiliation du bail était nulle et abusive. Elle sollicita en outre l’assistance judiciaire gratuite (unentgeltliche Rechtsvertretung) et l’exonération des frais de justice (unentgeltliche Prozessführung).
10. Les parties furent invitées à une audience de conciliation (Schlichtungsverhandlung) fixée au 8 novembre 2010. L’autorité de conciliation n’arrivant pas à convoquer en temps utile un interprète en langue des signes (Gebärdendolmetscher) officiellement certifié, cette audience fut ajournée.
11. Par lettre du 27 octobre 2010, la partie défenderesse annula la résiliation du bail. Par une lettre du 8 novembre 2010, la requérante retira sa plainte.
12. Par une décision du 15 novembre 2010, l’autorité de conciliation clôtura alors la procédure sans imposer des frais. La demande d’imposer les frais de procédure à la partie défenderesse fut rejetée dans une autre décision du même jour. La demande d’exonération des frais de procédure fut rayée pour défaut d’objet de litige (Gegenstandslosigkeit) et celle d’assistance judiciaire gratuite fut rejetée eu égard à la simplicité de la procédure. Dès lors, l’autorité de conciliation n’avait pas à trancher la question de savoir si la requérante disposait ou non des ressources financières suffisantes pour la procédure.
13. Le 1er décembre 2010, la requérante forma un recours contre la décision du 15 novembre 2010 et demanda l’assistance judiciaire gratuite ainsi que l’exonération des frais judiciaires pour la procédure de recours.
14. Par une décision du 29 décembre 2010, le tribunal de district d’Uster, en tant que tribunal des baux et loyers (Mietgericht, « le tribunal des baux et loyers »), rejeta ce recours, estimant que l’assistance judiciaire n’était pas nécessaire dans la procédure devant l’autorité de conciliation. Il rejeta également la demande d’assistance judiciaire et d’exonération des frais de procédure pour la procédure de recours et imposa à la requérante le versement de la somme de 500 francs suisses (CHF), soit environ 432 euros (EUR) au titre des frais judiciaires. Il estima en particulier que l’affaire était si simple, voire presque incontestée (unstrittig), que l’octroi de l’assistance judiciaire gratuite n’était pas justifié. Par ailleurs, il jugea qu’il aurait été suffisant que la requérante s’adresse par une simple lettre aux propriétaires pour s’assurer que la résiliation du bail par l’administration de l’immeuble, en date du 12 janvier 2010, ne soit pas suivie d’actes juridiques concrets.
B. L’arrêt du Tribunal fédéral du 11 avril 2011
15. Par un arrêt du 11 avril 2011, le Tribunal fédéral rejeta le recours formé par la requérante contre la décision du 29 décembre 2010. Il rappela que le principe de rendre la décision concernant l’assistance judiciaire gratuite au moment du jugement final n’est pas critiquable dans les cas où la demande est déposée avec le mémoire de recours et où l’avocat n’est plus appelé ensuite à intervenir dans la procédure. Il indiqua que la situation était différente lorsque, après le dépôt de la demande, il apparaissait que l’avocat devrait intervenir davantage dans la procédure que ce qui était prévu. Dans ce cas, il était indispensable que les autorités se prononcent immédiatement sur l’assistance d’un avocat d’office, afin que le client et l’avocat puissent se faire une idée claire des risques financiers liés à la procédure. Le droit à l’assistance d’un avocat serait vidé de son sens si les autorités repoussaient la décision sur la demande pour la refuser ensuite dans le cadre de la décision sur la fixation des frais.
16. S’agissant, en l’espèce, de la procédure de conciliation, le Tribunal fédéral rappela que la requérante avait demandé l’assistance judiciaire gratuite dans le cadre de sa plainte du 6 octobre 2010. Il rappela également que, le 8 novembre 2010, avant même que l’audience de conciliation ait eu lieu, ce qui aurait impliqué des actes de procédure supplémentaires de la part de l’avocat, la requérante avait retiré ses griefs. Selon le Tribunal fédéral, il n’était pas contraire aux droits constitutionnels de la requérante que l’autorité de conciliation clôturât la procédure et statuât en même temps sur la demande d’assistance judiciaire.
17. Le Tribunal fédéral indiqua qu’il en était de même quant à la procédure devant le tribunal des baux et loyers. Il observa que la requérante avait soumis sa demande d’assistance judiciaire gratuite en même temps que son recours, soit le 1er décembre 2010. Il estima que, mis à part le mémoire de recours, l’avocat de la requérante n’avait pas à entreprendre d’autres actes juridiques ultérieurement, en tout cas pas d’actes qui auraient engendré des coûts supplémentaires importants. Dès lors, il n’était pas critiquable que l’instance inférieure n’ait pas statué sur la demande d’assistance judiciaire au préalable.
18. Le Tribunal fédéral jugea également que l’argument de l’instance inférieure selon lequel le seul fait que la requérante soit sourde n’était pas suffisant en soi pour l’octroi de l’assistance judiciaire n’était pas contraire aux droits de celle-ci. La Haute Cour ajouta qu’il aurait été plus opportun de faire assister la requérante par un interprète en langue des signes.
19. En ce qui concerne le grief tiré de l’atteinte au principe d’égalité des armes, le Tribunal fédéral estima que, certes, le droit à l’assistance judiciaire pouvait être interprété comme une émanation de ce principe. Il ajouta que, s’agissant du cas d’espèce, les propriétaires de l’appartement en cause n’étaient cependant pas représentés par un avocat, mais seulement par une administration immobilière. Selon lui, ce fait ne saurait à lui seul justifier l’octroi d’un avocat d’office pour la procédure devant l’autorité de conciliation.
20. Enfin, le Tribunal fédéral rejeta la demande d’assistance judiciaire pour la procédure devant lui, estimant que le recours était voué à l’échec, et condamna la requérante à verser 500 CHF à titre de frais judiciaires.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
21. L’article 29 de la Constitution suisse (« la Cst. ») prévoit des garanties générales de procédure. Son alinéa 3 est libellé comme suit :
« Toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès, à l’assistance judiciaire gratuite. Elle a en outre droit à l’assistance gratuite d’un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le requiert. »
22. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, sont considérées comme dépourvues de toute chance de succès les prétentions dont les chances de succès sont nettement plus faibles que les risques d’échec et qui, pour cette raison, ne peuvent pas être qualifiées de sérieuses. Une prétention n’est toutefois pas considérée comme telle si les chances de succès et les risques d’échec sont à peu près équivalents ou si les premières ne sont que légèrement plus faibles que les seconds. L’estimation des chances de succès se fonde sur les circonstances au moment du dépôt de la demande d’assistance judiciaire gratuite (arrêt du Tribunal fédéral, ATF 129 I 129 consid. 2.3.1, pp. 135 et suivants, ATF 138 III 217 consid. 2.2.4, p. 218).
23. En vertu de la pratique du Tribunal fédéral, la nécessité d’attribuer un avocat d’office se détermine en fonction des circonstances concrètes du cas. La nature de la procédure n’est pas déterminante. L’attribution d’un avocat d’office est indiquée en principe lorsque la procédure menace gravement la position juridique de la personne concernée. Sinon, elle l’est seulement si une cause de complexité moyenne présente des difficultés factuelles et juridiques que le requérant ne pourrait surmonter seul (ATF 130 I 180 consid. 2.2, p. 182). Le Tribunal fédéral tient également compte de l’âge, de la situation sociale, des connaissances en langue et des conditions physique, mentale et psychique de la personne, ainsi que de la gravité et de la complexité de la cause (ATF 123 I 145 consid. 2b) cc), p. 147).
24. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral sur la procédure de conciliation applicable au moment des faits pertinents (ancien article 274 du code des obligations (CO)), les particularités de la procédure devant l’autorité de conciliation, à savoir sa vocation première, qui est d’amener les parties à un accord, l’application de la maxime inquisitoire, la composition partiaire de l’autorité et la valeur simplement formelle de la décision pour la suite de la procédure, appelaient de la rigueur au moment d’examiner si les conditions d’attribution d’un avocat d’office étaient remplies. Le recours à un avocat n’apparaissait, en règle générale, pas nécessaire dans le cadre d’une procédure soumise à la maxime inquisitoire (ATF 119 IA 264 consid. 4 c), p. 269).
25. L’article 64 de la loi sur le Tribunal fédéral (« la LTF »), consacré à l’assistance judiciaire pour la procédure devant ledit tribunal, est libellé comme il suit :
« 1 Si une partie ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec, le Tribunal fédéral la dispense, à sa demande, de payer les frais judiciaires et de fournir des sûretés en garantie des dépens.
2 Il attribue un avocat à cette partie si la sauvegarde de ses droits le requiert. L’avocat a droit à une indemnité appropriée versée par la caisse du tribunal pour autant que les dépens alloués ne couvrent pas ses honoraires.
3 La cour statue en formation de trois juges sur la demande d’assistance judiciaire. Les cas traités selon la procédure simplifiée prévue à l’article 108 sont réservés. Le juge instructeur peut accorder lui-même l’assistance judiciaire si les conditions en sont indubitablement remplies.
4 Si la partie peut rembourser ultérieurement la caisse, elle est tenue de le faire. »
26. L’article 98 du code de procédure civile (CPC) du 19 décembre 2008 réglemente l’avance de frais et est libellé comme suit :
« Le tribunal peut exiger du demandeur une avance à concurrence de la totalité des frais judiciaires présumés. »
27. Dans un message relatif au CPC, le Conseil fédéral a énoncé ce qui suit concernant l’avance de frais (Feuille fédérale (FF) 2006, pp. 6905 et suiv.) :
« Selon l’avant-projet, l’avance à charge de la partie demanderesse ne pouvait atteindre que la moitié des frais judiciaires présumés. La règle a été fortement critiquée en procédure de consultation, en raison notamment du risque auquel elle exposait les cantons. Le projet étend par conséquent l’obligation à la totalité des frais judiciaires présumés.
La règle n’a toutefois qu’un caractère dispositif. Le tribunal peut s’en écarter pour des raisons d’équité. Lorsque, par exemple, la partie demanderesse dispose d’un revenu à peine supérieur au minimum vital mais ne remplit pas les conditions d’octroi de l’assistance judiciaire, le montant de l’avance devrait être réduit. À défaut, l’avance exigée serait prohibitive et porterait atteinte au droit d’accès à la justice.
L’avance incombe au demandeur, le cas échéant au demandeur reconventionnel et au recourant. Contrairement aux sûretés en garantie des dépens, elle doit toujours être effectuée en argent (...). »
28. Le paragraphe 84 de la loi de procédure civile du canton de Zurich, en vigueur au moment des faits pertinents en l’espèce, prévoyait que les parties qui ne disposaient pas des moyens nécessaires pour honorer leurs frais judiciaires en sus de leur entretien et de celui de leur famille pouvaient demander la gratuité de la procédure si leur cause n’apparaissait pas comme dépourvue de toute chance de succès. Le paragraphe 86 disposait que cette règle s’appliquait aussi aux procédures de conciliation. Enfin, le paragraphe 87 prévoyait que, sur demande particulière, même si la gratuité de la procédure n’avait pas été accordée conformément au paragraphe 84, un défenseur pouvait être nommé gratuitement pour représenter une partie si cela s’avérait nécessaire pour le bon déroulement de la procédure.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT AU DROIT D’ACCÈS À UN TRIBUNAL
29. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante allègue avoir été victime d’une violation de son droit d’accès à un tribunal en raison du refus des instances internes de lui fournir une assistance judiciaire et du refus d’exonération des frais judiciaires qui lui a été opposé. Cette disposition est libellée comme suit dans sa partie pertinente en l’espèce :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...). »
30. Le Gouvernement conteste cette thèse.
A. Sur la recevabilité
1. Incompatibilité ratione materiae
a) Thèses des parties
31. Le Gouvernement soutient que l’article 6 de la Convention ne s’appliquait pas à la procédure de conciliation. À l’appui de sa thèse, il explique que la tâche principale de l’autorité de conciliation était d’amener les parties à un accord amiable ou, si un tel accord ne pouvait être trouvé, d’autoriser un recours en justice. Selon le Gouvernement, comme l’autorité de conciliation n’était pas compétente pour se prononcer sur des questions relatives à des droits de caractère civil, la procédure engagée par la requérante auprès de cette autorité ne tombait pas sous le coup de l’article 6 de la Convention. Par conséquent, le Gouvernement estime que le fait que la requérante n’ait pas pu bénéficier gratuitement d’un avocat dans le cadre de cette procédure ne relève pas du champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention. Par ailleurs, il soutient que la demande portant sur la gratuité de l’assistance judiciaire, sur laquelle l’autorité de conciliation devait encore se prononcer, n’est pas liée à une contestation sur un droit de caractère civil au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, dans la mesure où, selon lui, le droit interne ne prévoit pas de droit absolu de bénéficier d’une procédure et d’un avocat d’office gratuits.
32. Quant aux procédures devant le tribunal des baux et loyers et devant le Tribunal fédéral, le Gouvernement estime qu’elles portaient uniquement sur la question de l’assistance judiciaire gratuite. Il déclare toutefois que, comme il n’existe pas selon lui de droit absolu à l’assistance judiciaire gratuite et que la requérante n’aurait pas rempli pas les critères pour se voir attribuer un avocat d’office, les recours devant les tribunaux des baux et loyers et devant le Tribunal fédéral n’étaient pas liés à une contestation d’un droit de caractère civil. Dès lors, à ses yeux, l’article 6 de la Convention n’était pas applicable à ces procédures non plus.
33. La requérante soutient que la présente Requête a trait à un litige soulevant des questions relatives à ses droits de caractère civil. Elle rappelle avoir demandé l’assistance judiciaire gratuite pour la procédure devant l’autorité de conciliation et, à la suite du refus de l’assistance judiciaire gratuite, avoir porté cette question devant le tribunal des baux et loyers et devant le Tribunal fédéral. L’article 6 de la Convention trouverait dès lors à s’appliquer.
b) Appréciation de la Cour
34. La Cour rappelle, en premier lieu, que la notion de « droits et obligations de caractère civil » ne doit pas s’interpréter par simple référence au droit interne de l’État défendeur. L’article 6 § 1 de la Convention s’applique indépendamment de la qualité des parties, comme de la nature de la loi régissant la contestation et de l’autorité compétente pour trancher (Allan Jacobsson c. Suède (no 1), 25 octobre 1989, § 72, série A no 163). Elle rappelle ensuite que l’article 6 § 1 de la Convention joue dès lors que l’action a un objet « patrimonial » et se fonde sur une atteinte alléguée à des droits eux aussi patrimoniaux ou que son issue est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé (Ortenberg c. Autriche, 25 novembre 1994, série A 295-B, § 28).
35. S’agissant du cas d’espèce, la Cour estime que l’exception du Gouvernement relative à sa compétence ratione materiae est étroitement liée à la violation alléguée et décide de la joindre au fond.
2. Qualité de victime
a) Thèses des parties
36. Le Gouvernement indique que, eu égard au fait que la requérante a obtenu gain de cause pour sa demande au principal, elle a annoncé à l’autorité de conciliation, par une lettre du 8 novembre 2010, qu’elle retirait ses autres prétentions. En d’autres termes, selon le Gouvernement, la décision concernant l’assistance judiciaire gratuite n’a pas pu influencer la requérante dans sa décision de retirer son recours. Par conséquent, le Gouvernement estime que, faute de préjudice, le litige original en matière de bail n’avait plus de fondement. Il conclut qu’il manque un préjudice pour que la requérante puisse alléguer avoir été lésée dans son droit d’accès à un tribunal dans le cadre de la procédure de conciliation. Selon lui, l’existence d’un préjudice faisait également défaut à la requérante dans le cadre des procédures devant les tribunaux des baux et loyers et devant le Tribunal fédéral.
37. La requérante ne se prononce pas sur l’existence d’un préjudice.
b) Appréciation de la Cour
38. La Cour interprète l’argumentation du Gouvernement tirée de l’absence de préjudice subi par la requérante comme une allégation d’absence de qualité de victime de la part de la requérante.
39. Elle rappelle que, par « victime », l’article 34 de la Convention désigne la ou les victimes directes ou indirectes de la violation alléguée. Ainsi, l’article 34 vise non seulement la ou les victimes directes de la violation alléguée, mais encore toute victime indirecte à qui cette violation causerait un préjudice ou qui aurait un intérêt personnel valable à obtenir qu’il y soit mis fin (Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 47, CEDH 2013 (extraits)). La notion de « victime » est interprétée de façon autonome et indépendante des règles de droit interne telles que l’intérêt à agir ou la qualité pour agir (Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne, no 62543/00, § 35, CEDH 2004-III), même si la Cour doit prendre en compte le fait que le requérant a été partie à la procédure interne (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 48, CEDH 2009). Cette notion n’implique pas l’existence d’un préjudice (Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 50, CEDH 1999-VII).
40. La Cour estime que la requérante peut alléguer une violation de ses droits protégés par la Convention. En effet, elle rappelle que la requérante s’est vue confrontée à la résiliation de son bail par l’administration de l’immeuble et que, par la suite, celle-ci s’est adressée à l’autorité de conciliation, procédure préalable obligatoire en vertu de la loi, pour se plaindre de la nullité et de la nature abusive, selon elle, de la résiliation du bail. Représentée par un avocat, l’intéressée a demandé en même temps l’assistance judiciaire gratuite et l’exonération des frais judiciaires. Ses prétentions ayant été rejetées par l’autorité de conciliation le 15 novembre 2010, ses recours contre cette décision ont été rejetés par le tribunal des baux et loyers, puis par le Tribunal fédéral. Ces deux tribunaux ont également rejeté ses demandes d’assistance judiciaire pour les procédures devant eux, puis lui ont chacun imposé le paiement de frais judiciaires de 500 CHF.
41. Compte tenu de ce qui précède, la requérante ayant été impliquée dans une procédure civile, se plaint du refus de l’assistance judiciaire et, à la suite de ce refus, qu’elle a dû payer un avocat pour se défendre.
42. Dès lors, elle conclut en l’espèce que la requérante peut prétendre être victime d’une violation de son droit d’accès à un tribunal protégé par l’article 6 de la Convention.
3. Conclusion
43. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Les thèses des parties
a) La requérante
44. La requérante, considérant l’article 6 applicable au cas d’espèce, soutient d’emblée que le droit à un procès équitable exige qu’une décision sur l’assistance judiciaire gratuite et l’octroi d’un avocat d’office soit prise dans une décision préalable, au début du procès. Selon elle, une fois cette décision préalable devenue définitive, une décision relative aux frais pourra être prise. Or la requérante indique que, dans le système suisse, qui lui a été appliqué, la décision sur l’assistance judiciaire gratuite et l’octroi d’un avocat d’office n’intervient qu’à la fin du procès.
45. La requérante ne partage pas l’avis du Gouvernement selon lequel la nature d’une procédure de conciliation exclut généralement la nécessité de l’octroi de l’assistance judiciaire gratuite. Elle estime que, à ce stade de la procédure, le principe du contradictoire s’applique et que, dès lors, l’assistance par un avocat semble encore plus indispensable.
46. La requérante indique en outre que la pratique des tribunaux suisses est clairement plus stricte que ce qui est prévu à l’article 98 du CPC (paragraphe 26 ci-dessus) qui n’a qu’un caractère dispositif (« Le tribunal peut exiger du demandeur une avance (...) »), estimant que, en règle générale, le demandeur est censé verser une avance pour la totalité des frais judiciaires. Selon elle, cette pratique constitue une violation du droit d’accès à un tribunal, comme le Conseil fédéral l’aurait par ailleurs admis dans son message relatif au CPC (paragraphe 27 ci-dessus).
47. La requérante est convaincue que sa situation particulière rendait l’octroi d’un avocat indispensable. Elle avance qu’elle n’a pas de ressources financières, qu’elle s’occupe seule de deux enfants et qu’elle est sourde de naissance. Elle allègue qu’elle avait eu droit à un avocat d’office dans le cadre d’autres procédures, précisément au motif qu’elle ne pouvait pas défendre ses intérêts devant les tribunaux de manière effective sans l’assistance d’un avocat. Elle argue que, même avec l’aide d’un interprète en langue des signes, elle ne pouvait pas se faire par elle-même une idée authentique des délibérations, et qu’un interrogatoire personnel se serait de toute façon avéré difficile. Selon elle, l’assistance par une personne de confiance, comme un avocat, qui accompagne tout au long d’un procès, est élémentaire, et découle de la protection de la dignité humaine même.
48. La requérante soutient aussi que les tribunaux n’ont pas suffisamment pris en compte sa situation particulière de personne gravement handicapée. Elle estime que, de crainte de créer un précédent pour l’avenir, les tribunaux se sont aventurés dans des argumentations compliquées avec pour seul objectif d’éviter des frais judiciaires supplémentaires. Une telle manière de procéder est à ses yeux complètement opposée au principe selon lequel chaque affaire devrait être considérée individuellement et sérieusement.
49. La requérante ajoute que, eu égard aux circonstances très particulières de son cas, le degré de complexité de l’affaire n’était pas seul déterminant pour la question de l’octroi d’un avocat d’office. Elle estime que sa cause était pour elle d’une importance existentielle, au regard du danger de privation de logement encouru par elle et ses enfants. Elle indique que dès lors, ses intérêts étaient gravement touchés, ce qui aurait dû être, selon elle, le critère déterminant en l’espèce.
50. La requérante considère également que les chances de succès de sa cause découlaient, en ce qui concernait la procédure devant l’autorité de conciliation, du fait que la partie adverse avait annulé la résiliation du bail - résiliation qu’elle jugeait illégale - justement à la suite de sa plainte. Elle indique que le déroulement de la procédure montre que l’intervention de l’avocat était sensée et utile. Selon elle, grâce à cette intervention, une procédure judiciaire supplémentaire et coûteuse a pu être évitée.
b) Le Gouvernement
51. Le Gouvernement, estimant que l’article 6 de la Convention ne s’applique pas à la procédure de conciliation, soutient que, au regard des décisions de l’autorité de conciliation, du tribunal des baux et loyers ainsi que du Tribunal fédéral, il apparaît clairement que l’attribution d’un avocat d’office n’était pas nécessaire dans le cadre de la procédure de conciliation. Il indique que l’administration immobilière a notifié le 12 janvier 2010 le congé (donné pour fin avril 2010) contre lequel la requérante a formé un recours sans entreprendre, apparemment, de démarches particulières en vue de l’exécution de la résiliation du bail. Il ajoute que, entre la notification du congé et le dépôt du recours devant l’autorité de conciliation, le 6 octobre 2010, près de neuf mois se sont écoulés. Il en déduit que la position juridique de la requérante n’était pas gravement menacée et que, dès lors, on ne saurait prétendre qu’il ait été porté atteinte dans une grave mesure aux intérêts l’intéressée ou que la procédure en cours menaçait gravement la position juridique de celle-ci. Le Gouvernement soutient en outre que les questions soulevées n’étaient pas complexes, ni sur le plan des faits ni sur le plan du droit.
52. Il estime que les difficultés de compréhension liées à la surdité de la requérante ne changent rien à ces considérations, ajoutant qu’il aurait été possible de les résoudre, comme le préconisait l’autorité de conciliation, en recourant à un interprète en langue des signes et non à un avocat ne maîtrisant pas la langue des signes. Le Gouvernement indique que l’attribution d’un avocat d’office doit servir à sauvegarder les droits de la personne concernée, et non à répondre à un éventuel besoin personnel d’assistance. Or, il est possible, selon le Gouvernement, que la requérante ait été en mesure, avec l’aide d’un interprète en langue des signes, de défendre elle-même ses intérêts.
53. Le Gouvernement déduit de ce qui précède que le recours à un avocat d’office n’était manifestement pas nécessaire dans le cadre de la procédure de conciliation. Dans le cadre du litige en matière de bail, la requérante aurait pu défendre ses intérêts efficacement sans recourir à un avocat d’office. Dès lors, le Gouvernement considère que le refus d’attribuer un avocat d’office dans le cadre de la procédure de conciliation n’a manifestement pas porté atteinte au droit d’accès à un tribunal.
54. Le Gouvernement soutient qu’il ressort de la décision de l’autorité de conciliation que la requérante n’avait manifestement pas droit à l’assistance d’un avocat d’office dans le cadre de la procédure de conciliation. Il indique qu’un recours contre la décision de l’autorité de conciliation était donc d’emblée voué à l’échec. Pour cette raison, il était à ses yeux évident que la requérante n’avait pas non plus droit à l’assistance judiciaire gratuite pour la procédure de recours.
55. Le Gouvernement estime également qu’il est dans l’intérêt des tribunaux que la décision sur l’assistance judiciaire gratuite puisse être prise au moment du jugement final, car on ne pourrait ainsi leur reprocher d’avoir eu des a priori sur la cause ou d’avoir agi de manière partiale. Il ajoute que l’accès à la justice doit être autant que possible garanti de manière égale tant à la partie indigente qu’à la partie plus aisée. La partie indigente ne doit toutefois pas être avantagée.
56. Par ailleurs, le Gouvernement allègue que l’obligation de rendre la décision sur l’octroi de l’assistance judiciaire gratuite - et de désigner un avocat d’office - dans tous les cas au préalable aurait des conséquences lourdes sur la pratique du droit en Suisse. En effet, elle entraînerait des retards inutiles dans des procédures simples.
57. Par ailleurs, le Gouvernement estime que, comme la requérante a lié sa demande d’assistance judiciaire gratuite à sa demande au principal, les tâches de l’avocat dans la procédure étaient déjà définies. Il considère que les frais d’avocat avaient donc déjà été établis au moment du dépôt des demandes et que, même si une décision en réponse à la demande d’assistance judiciaire gratuite avait été rendue en début de procédure, cela n’aurait pas eu d’incidence sur les frais d’avocats.
58. Enfin, le Gouvernement déclare que les conditions légales pour l’octroi de l’assistance judiciaire gratuite visent à préserver les intérêts de l’État en permettant à celui-ci de n’utiliser des fonds publics à cette fin qu’en cas de nécessité et uniquement si la cause n’est pas vouée à l’échec. Il soutient que le système suisse d’examen des demandes protège suffisamment les personnes concernées contre l’arbitraire et que la décision rendue peut faire l’objet d’un recours.
2. L’appréciation de la Cour
a) Principes applicables
59. La Cour rappelle qu’une limitation de l’accès à une cour ou à un tribunal ne se concilie avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Tinnelly & Sons Ltd et autres et McElduff et autres c. Royaume-Uni, 10 juillet 1998, § 72, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV).
60. La Cour rappelle ensuite que si l’article 6 § 1 de la Convention garantit aux justiciables un droit effectif d’accès aux tribunaux pour les décisions relatives à leurs « droits et obligations de caractère civil », il laisse à l’État le choix des moyens à employer à cette fin. L’instauration d’un système d’aide judiciaire en constitue un. La Convention n’oblige pas à accorder l’aide judiciaire dans toutes les contestations en matière civile. La Cour rappelle également qu’un système d’assistance judiciaire ne peut pas fonctionner sans la mise en place d’un dispositif permettant de sélectionner les affaires susceptibles d’en bénéficier, et qu’un système qui prévoit de n’allouer des deniers publics au titre de l’aide judiciaire qu’aux demandeurs dont le pourvoi a une chance raisonnable de succès ne saurait en soi être qualifié d’arbitraire (Del Sol c. France, nos 46800/99, 26 février 2002, CEDH 2002-II, §§ 20-23, Essaadi c. France, no 49384/99, §§ 30-33, 26 février 2002, Debeffe c. Belgique (déc.), no 64612/01, 9 juillet 2002, et Puscasu c. Allemagne (déc.), no 45793/07, 29 septembre 2009).
61. Dans l’ensemble de ces affaires, la Cour a toutefois vérifié si les limitations appliquées n’avaient pas restreint l’accès ouvert au justiciable d’une manière ou à un point tels que le droit s’en soit trouvé atteint dans sa substance même (Pedro Ramos c. Suisse, no 10111/06, § 36, 14 octobre 2010).
62. En ce qui concerne plus particulièrement les frais ou taxes judiciaires dont un justiciable est redevable, leur montant, apprécié à la lumière des circonstances particulières d’une affaire donnée, y compris la solvabilité de l’intéressé et la phase de la procédure à laquelle la restriction en question est imposée, est un facteur à prendre en compte pour déterminer si un requérant a bénéficié de son droit d’accès à un tribunal (Podbielski et PPU Polpure c. Pologne, no 39199/98, § 64, 26 juillet 2005).
63. La Cour rappelle que c’est aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, qu’il appartient d’interpréter et d’appliquer le droit interne (voir, parmi beaucoup d’autres, Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 29, série A no 176-A, Kopp c. Suisse, 25 mars 1998, § 59, Recueil 1998-II, et NusretKaya et autres c. Turquie, nos 43750/06, 43752/06, 32054/08, 37753/08 et 60915/08, § 38, CEDH 2014 (extraits)). Elle ne peut dès lors mettre en cause l’appréciation des autorités internes quant à des erreurs de droit prétendues que lorsque celle-ci sont arbitraires ou manifestement déraisonnables (voir, dans ce sens, Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, §§ 85-86, CEDH 2007-I).
b) Application des principes susmentionnés à l’espèce
64. Il convient d’emblée de rappeler que la requérante s’est vu refuser l’octroi de l’assistance judiciaire gratuite à trois reprises : devant l’autorité de conciliation, devant le tribunal des baux et loyers et devant le Tribunal fédéral. Par ailleurs, ces deux tribunaux ont imposé à la requérante le versement des frais de procédure, d’un montant de 500 CHF chaque fois, bien que celle-ci ait expressément demandé à en être exonérée.
65. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la requérante a subi, par le refus de l’assistance de l’assistance judiciaire gratuite, une certaine restriction de son droit d’accès à un tribunal bien qu’elle soit consciente que les questions sur le fond se sont réglées en faveur de la requérante déjà dans la phase pré-judiciaire dans laquelle l’assistance par un avocat n’était pas imposée par la loi.
66. Quant à l’existence d’un but légitime pour la limitation du droit d’accès à un tribunal de la requérante, la Cour considère que le refus d’accorder l’assistance judiciaire poursuivait un tel but, et notamment la bonne administration de la justice, en déchargeant les tribunaux nationaux des procédures qui sont d’emblée vouées à l’échec, dans la mesure où les tribunaux disposent de ressources limitées. La Cour estime également qu’il existait en l’espèce un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, et ce pour les raisons suivantes.
67. Tout d’abord, la Cour partage l’avis du Gouvernement selon lequel l’affaire de le requérante ne soulevait pas de questions très complexes, que ce soit au niveau des faits ou sur le plan juridique. Par ailleurs, la requérante ne le conteste pas.
68. La Cour concède que l’affaire était potentiellement importante pour la requérante étant donné qu’elle portait sur la question de son lieu de résidence et celui de ses enfants. En même temps, il n’apparaît pas que le congé prononcé par l’administration immobilière et notifié le 12 janvier 2010 ait été suivi par de démarches particulières en vue de l’exécution de la résiliation du bail. Dès lors, la Cour partage l’avis du Gouvernement selon lequel la requérante n’était pas concrètement et gravement menacée dans sa position juridique et dans ses intérêts et, plus particulièrement, qu’elle n’était pas menacée d’expulsion de son logement à un moment inopportun, comme l’intéressée semble le considérer.
69. Par ailleurs, dans la mesure où la requérante a elle-même retiré ses propres griefs à la suite du retrait de la résiliation du bail par la partie adverse le 12 janvier 2010, le fond de l’affaire a pu être réglé sans conséquences négatives concrètes ou réelles pour elle et ses enfants, mis à part les frais engendrés par la consultation d’un avocat et les frais judiciaires. Dans la mesure où la requérante se plaint des refus de l’exonérer des frais judiciaires du tribunal des baux et loyers et du Tribunal fédéral, il convient de préciser que ces refus, prononcés au même temps que les décisions sur le fond, n’ont en l’espèce pas empêché l’intéressée d’avoir accès à un tribunal s’agissant des questions sur le fond du litige. Par ailleurs, dans la mesure où ces frais étaient devenus le seul objet litigieux devant les instances internes, la Cour rappelle que la Convention ne garantit pas en soi un droit à la justice gratuite, d’autant moins un droit à introduire des recours, à titre gratuit, contre les décisions portant sur les frais judiciaires engendrés devant les instances inférieures.
70. La Cour est certes consciente que la requérante est sourde de naissance et que cet état peut poser des difficultés supplémentaires dans une procédure judiciaire, aussi simples que puissent paraître les questions juridiques et factuelles soulevées. Dans les circonstances de l’espèce, ce fait n’a pourtant pas eu des conséquences concrètes et n’est dès lors pas pertinent pour l’appréciation de la présente affaire.
71. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la limitation au droit d’accès à un tribunal de la requérante a poursuivi un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Partant, le droit d’accès à un tribunal de la requérante n’a pas été atteint dans sa substance même.
72. Il s’ensuit que la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé de l’exception du Gouvernement relative à la compétence ratione materiae (paragraphes 31 et 35 ci-dessus).
73. Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION QUANT AU PRINCIPE DE L’ÉGALITÉ DES ARMES
74. La requérante dénonce une atteinte au principe d’égalité des armes découlant de l’article 6 § 1 de la Convention, au motif que, d’une part, on lui a refusé l’assistance judiciaire gratuite et, d’autre part, que la partie adverse a été représentée par une administration immobilière professionnelle.
75. Le Gouvernement combat cette thèse.
Sur la recevabilité
1. Thèses des parties
76. Renvoyant à ses arguments présentés sous l’angle de la recevabilité du grief tiré du droit d’accès à un tribunal (paragraphe 36 ci-dessus), le Gouvernement soutient que la requérante ne peut pas arguer d’un préjudice subi dans le cadre de la procédure de conciliation. Par ailleurs, il réitère son argument selon lequel l’article 6 § 1 de la Convention n’est pas applicable aux procédures devant l’autorité de conciliation, le tribunal des baux et loyers et le Tribunal fédéral.
77. En tout état de cause, le Gouvernement estime que l’argument de l’égalité des armes n’est pas fondé en l’espèce, car la partie adverse n’a pas été représentée par un avocat. En outre, il soutient que, en règle générale, les administrations immobilières ne disposent pas de connaissances en droit, contrairement aux avocats.
78. La requérante allègue qu’il a eu méconnaissance du principe d’égalité des armes puisqu’elle s’est vu refuser, en tant que personne gravement handicapée de naissance et donc particulièrement vulnérable, l’assistance judiciaire gratuite, et ce dans une procédure qui l’a confrontée à une administration immobilière professionnelle.
2. Appréciation de la Cour
79. Le principe de l’égalité des armes est l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Il exige un « juste équilibre » entre les parties : chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires (voir, parmi d’autres, Ankerl c. Suisse, 23 octobre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1567-1568, § 38, Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 107-108, § 23, et Kress c. France [GC], no 39594/98, § 72, CEDH 2001-VI).
80. La Cour relève que ce grief est intimement lié à celui examiné à la lumière du droit d’accès à un tribunal. Pour essentiellement les mêmes raisons que celles examinées ci-dessus (paragraphes 38-42 ci-dessus), la Cour estime que l’exception du Gouvernement tirée de l’absence de préjudice subi est dépourvue de fondement.
81. En revanche, elle considère ce grief manifestement mal fondé et, dès lors, irrecevable. En effet, la Cour exclut qu’il y a eu en l’espèce un déséquilibre manifeste entre la requérante, représentée par un avocat devant les instances internes, et la partie adverse, représentée par une administration immobilière, qui aurait nécessité l’octroi de l’assistance judiciaire gratuite. Dès lors, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé de l’exception du Gouvernement relative à sa compétence ratione materiae (paragraphe 72 ci-desssus).
82. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Joint au fond l’exception du Gouvernement relative à sa compétence ratione materiae concernant le grief tiré de l’accès à un tribunal au sens de l’article 6 § 1 ;
2. Déclare la Requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention relatif au droit d’accès à un tribunal et irrecevable pour le surplus ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention relatif au droit d’accès à un tribunal.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 janvier 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stephen Phillips Helena Jäderblom
Greffier Présidente