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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> UCHE v. SWITZERLAND - 12211/09 (Judgment : No Article 6+6-3-a - Right to a fair trial : Third Section) French Text [2018] ECHR 334 (17 April 2018)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/334.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2018:0417JUD001221109, [2018] ECHR 334, CE:ECHR:2018:0417JUD001221109

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TROISIÈME SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE UCHE c. SUISSE

 

(Requête no 12211/09)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

 

 

STRASBOURG

 

17 avril 2018

 

 

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Uche c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

Helena Jäderblom, présidente,
Branko Lubarda,
Helen Keller,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides,
Jolien Schukking, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 mars 2018,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 12211/09) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant suisse et nigérian, M. Magma Uche (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 décembre 2008 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me P.-R. Wyder, avocat à Berne. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Schürmann, de l'Office fédéral de la justice.

3. Le requérant allègue en particulier des violations de son droit d'être informé de la nature et de la cause de l'accusation ainsi que de son droit à un jugement motivé.

4. Le 4 octobre 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1967 et réside à Gampelen.

6. En 2002, la police cantonale du canton de Berne soupçonna le requérant de participer à un trafic de drogue et le plaça sous écoutes téléphoniques. Les conversations, menées dans des langues nigérianes, furent traduites par une personne externe. Sur la base de ces écoutes, le requérant fut arrêté par la police et placé en détention pour soupçons de participation à un trafic de drogue et de blanchiment d'argent le 4 octobre 2002.

7. Le 21 janvier 2004, le requérant fut accusé de violations graves de la loi sur les stupéfiants, de blanchiment d'argent et de violation de la loi sur l'établissement et le séjour des étrangers. La juge d'instruction retenait entre autres l'importation, l'achat et la vente d'une quantité inconnue de mélange de cocaïne, mais supérieure à 1 748,80 grammes, et d'une quantité inconnue de mélange d'héroïne, précisant que l'achat d'une quantité indéterminée de mélange de cocaïne et de mélange d'héroïne portait sur une valeur d'au moins 180 700 francs suisses (CHF) (soit environ 155 600 euros [EUR]).

8. Le 19 novembre 2004, le tribunal de district VIII Berne-Laupen reconnut le requérant coupable de blanchiment d'argent et de l'importation, de l'achat et de la vente de 4,4 kilos de cocaïne et de 153 grammes d'héroïne, et le condamna à 69 mois de peine de réclusion.

9. Le 24 novembre 2004, le requérant interjeta recours contre cette décision. Il fit valoir que le tribunal de district avait violé le principe accusatoire en ne déterminant pas la quantité de drogue dans l'acte d'accusation. Il contesta également la légalité des écoutes téléphoniques, l'identité du traducteur n'ayant pas été divulguée.

10. Par un arrêt du 21 août 2007, la Cour suprême du canton de Berne rejeta le recours du requérant et confirma la décision du tribunal de district. Elle indiquait que l'acte d'accusation parlait d'une quantité de drogue inconnue, mais supérieure à 1 748,80 grammes. Elle précisait par ailleurs que la somme d'argent correspondant à la drogue achetée, une quantité indéterminée dépassant les 280,80 grammes, s'élevait à 180 700 CHF, et que, par conséquent, l'ordre de grandeur de la quantité de drogue pouvait être déterminé par le requérant, qui était représenté par une avocate. Elle considérait que le requérant avait donc largement eu la possibilité de préparer sa défense. S'agissant des écoutes téléphoniques, la Cour suprême du canton de Berne estimait qu'il n'était pas nécessaire de divulguer l'identité du traducteur et qu'il n'y avait pas lieu de remettre en doute la qualité de la traduction.

11. Le 28 janvier 2008, le requérant interjeta un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral contre l'arrêt du 21 août 2007. Il invoquait une violation du principe accusatoire, faisant valoir que l'acte d'accusation était incomplet, le procureur cantonal ayant mentionné une quantité de 1 748,80 grammes de cocaïne et d'héroïne alors que la condamnation reposait finalement sur 4,4 kilos. Le requérant affirmait ne pas avoir pu préparer sa défense. Il contestait également la recevabilité des écoutes téléphoniques en tant que preuve du fait qu'elles avaient été traduites par une personne dont l'identité ne lui avait pas été révélée. Il affirmait que le traducteur eût dû être qualifié de témoin, et non d'expert, selon l'article 63 du code de procédure pénale bernois.

12. Par un arrêt du 20 juin 2008, dans le cadre duquel le recours du requérant et celui d'un co-accusé dans l'affaire avaient été joints, le Tribunal fédéral débouta le requérant. Le Tribunal fédéral n'adressa que la question des écoutes téléphoniques. Il rappelait que, selon l'article 124 du code de procédure pénale bernois, seule l'identité des témoins pouvait être tenue secrète pour des raisons de sécurité et que, en conséquence, il était admissible de divulguer l'identité de témoins uniquement au juge. Le Tribunal fédéral, précisant qu'un expert n'était pas un témoin, mais seulement un intermédiaire permettant au tribunal d'apprécier une preuve, considérait qu'il n'était pas arbitraire de protéger l'identité d'un expert de la même manière que celle de témoins. Le Tribunal fédéral soulignait qu'il n'y avait pas à douter de la qualité des traductions des écoutes téléphoniques, que le requérant ne les avaient pas remises en question et qu'il n'avait pas sollicité l'audition du traducteur en tant que témoin dans le but de vérifier ses qualifications et son impartialité. Il concluait dès lors que rien ne s'opposait à l'utilisation de la transcription des écoutes téléphoniques.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le droit interne pertinent

13. La version en vigueur à l'époque des faits de l'article 19 de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (« Loi sur les stupéfiants » ou « LStup », RS 812.121) est libellée comme suit :

Article 19

« 1. Celui qui, sans droit, cultive des plantes à alcaloïdes ou du chanvre en vue de la production de stupéfiants,

celui qui, sans droit, fabrique, extrait, transforme ou prépare des stupéfiants,

celui qui, sans droit, entrepose, expédie, transporte, importe, exporte ou passe en transit,

celui qui, sans droit, offre, distribue, vend, fait le courtage, procure, prescrit, met dans le commerce ou cède,

celui qui, sans droit, possède, détient, achète ou acquiert d'une autre manière,

celui qui prend des mesures à ces fins,

celui qui finance un trafic illicite de stupéfiants ou sert d'intermédiaire pour son financement,

celui qui, publiquement, provoque à la consommation des stupéfiants ou révèle des possibilités de s'en procurer ou d'en consommer,

est passible, s'il a agi intentionnellement, d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire. Dans les cas graves, la peine sera une peine privative de liberté de un an au moins qui pourra être cumulée avec une peine pécuniaire.

2. Le cas est grave notamment lorsque l'auteur

a. sait ou ne peut ignorer que l'infraction porte sur une quantité de stupéfiants qui peut mettre en danger la santé de nombreuses personnes,

b. agit comme affilié à une bande formée pour se livrer au trafic illicite des stupéfiants,

c. se livre au trafic par métier et qu'il réalise ainsi un chiffre d'affaires ou un gain important.

(...) »

14. Les dispositions pertinentes de l'ancien code de procédure pénale bernois du 15 mars 1995, en vigueur au moment des faits, sont libellées comme suit :

Article 63 : Interprète

« 1. Il est fait appel à un ou une interprète lorsqu'une personne ne comprend pas la langue judiciaire ou n'est pas en mesure de s'exprimer dans cette langue.

2. Les dispositions concernant les experts s'appliquent à la désignation et aux obligations de l'interprète.

3. Il peut être renoncé à recourir à un ou une interprète si un membre du tribunal ou la personne qui rédige le procès-verbal a une maîtrise suffisante de la langue étrangère.

4. Il est au besoin fait appel à un ou une interprète pour les personnes sourdes ou muettes.

Article 124 : Protection des témoins

1. Si un agent infiltré ou une agente infiltrée (art. 214) est entendu(e) comme témoin, il est admis qu'il ou elle ne dévoile son identité (art. 103, 1er al.) qu'au tribunal et que celle-ci ne soit pas consignée au dossier. La personne responsable de la mission au sein de la Police cantonale doit en outre confirmer par écrit que l'agent infiltré ou l'agente infiltrée en question agissait dans le cadre d'une opération dûment autorisée.

2. Des mesures peuvent être prises pour entendre l'agent infiltré ou l'agente infiltrée sans qu'il ou elle soit vu(e) par les parties et le public.

3. Des mesures de protection similaires sont admissibles également pour d'autres témoins, lorsque ceux-ci rendent vraisemblable que le fait de dire la vérité risquerait de mettre sérieusement en péril leur intégrité physique ou leur vie ou celles d'une personne qui leur est proche.

Article 308 : Objet du jugement

1. Le jugement porte sur le fait incriminé par l'ordonnance de renvoi ou, à défaut, par la dénonciation tel qu'il ressort des débats.

2. Le tribunal n'est pas lié par la qualification juridique que l'acte a reçu dans l'ordonnance de renvoi ou dans la dénonciation.

(...) »

B. La pratique interne pertinente

15. En matière de répression des trafics de stupéfiants, la version de l'article 19 alinéa 2 de la loi fédérale sur les stupéfiants en vigueur à l'époque des faits (paragraphe 13 ci-dessus) contient une liste non exhaustive prévoyant trois hypothèses, qui n'ont pas été modifiées dans sa nouvelle version, dans lesquelles l'infraction est considérée comme étant grave. C'est le cas lorsque l'auteur sait ou ne peut ignorer que l'infraction porte sur une quantité de stupéfiants qui peut mettre en danger la santé de nombreuses personnes (lettre a), lorsqu'il agit comme affilié à une bande formée pour se livrer au trafic illicite des stupéfiants (lettre b) et lorsqu'il se livre au trafic par métier et qu'il réalise ainsi un chiffre d'affaires ou un gain important (lettre c). S'agissant plus particulièrement de la première hypothèse, le Tribunal fédéral, au considérant 3.2 de son arrêt 6B_509/2011 du 13 février 2012 publié au recueil des arrêts principaux du Tribunal fédéral (« ATF » ATF 138 IV 100), se référant à l'ATF 109 IV 143 du 21 septembre 1983, rappelait qu'il était admis que la circonstance aggravante était remplie dès que le trafic portait sur une quantité contenant 18 grammes de cocaïne pure, respectivement 12 grammes d'héroïne pure.

16. Dans son récent arrêt 6B_870/2016 du 21 août 2017, le Tribunal fédéral, s'agissant des éléments dont il faut tenir compte pour fixer la peine en matière de trafic de stupéfiants, renvoyait à son arrêt 6B_107/2013 du 15 mai 2013, dans lequel il indiquait ce qui suit :

« 2.1.1 (...) En matière de trafic de stupéfiants, il y a lieu de tenir compte plus spécifiquement des éléments suivants. Même si la quantité de drogue ne joue pas un rôle prépondérant, elle constitue sans conteste un élément important. Elle perd cependant de l'importance au fur et à mesure que l'on s'éloigne de la limite, pour la cocaïne, de 18 grammes (cf. ATF 138 IV 100 consid. 3.2 p. 103 ; 120 IV 334 consid. 2a p. 338 ; 109 IV 143 consid. 3b p. 145) à partir de laquelle le cas doit être considéré comme grave au sens de l'ancien art. 19 ch. 2 let. a LStup, applicable en l'espèce dans la mesure où les nouvelles dispositions entrées en vigueur le 1er juillet 2011, en particulier l'art. 19 al. 2 let. a LStup, ne sont pas plus favorables (art. 2 al. 2 CP ; cf ATF 138 IV 100 consid. 3.2 p. 102). Le type de drogue et sa pureté doivent aussi être pris en considération. Si l'auteur sait que la drogue est particulièrement pure, sa culpabilité sera plus grande. En revanche, sa culpabilité sera moindre s'il sait que la drogue est diluée plus que normalement (ATF 122 IV 299 consid. 2c p. 301 s. ; 121 IV 193 consid. 2b/aa p. 196). Le type et la nature du trafic en cause sont aussi déterminants. L'appréciation est différente selon que l'auteur a agi de manière autonome ou comme membre d'une organisation. Dans ce dernier cas, il importera de déterminer la nature de sa participation et sa position au sein de l'organisation. L'étendue du trafic entrera également en considération. Un trafic purement local sera en règle générale considéré comme moins grave qu'un trafic avec des ramifications internationales. Enfin, le nombre d'opérations constitue un indice pour mesurer l'intensité du comportement délictueux. Celui qui écoule une fois un kilo d'héroïne sera en principe moins sévèrement puni que celui qui vend cent grammes à dix reprises. S'agissant d'apprécier les mobiles qui ont poussé l'auteur à agir, le juge doit distinguer le cas de celui qui est lui-même toxicomane et agit pour financer sa propre consommation de celui qui participe à un trafic uniquement poussé par l'appât du gain (arrêt 6B_567/2012 du 18 décembre 2012 consid. 3.2 ; 6B_793/2011 du 26 janvier 2012 consid. 4.1 et les références citées). »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 a) DE LA CONVENTION, TIRÉE DU DROIT D'ÊTRE INFORMÉ DE LA NATURE ET DE LA CAUSE DE L'ACCUSATION

17. Le requérant se plaint d'une violation du principe accusatoire. Il invoque l'article 6 §§ 1 et 3 a) et b) de la Convention.

18. La Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, § 55, CEDH 2015, Howald Moor et autres c. Suisse, nos 52067/10 et 41072/11, § 66, 11 mars 2014, et Xenos c. Grèce, no 45225/09, § 45, 13 juillet 2017), estime approprié d'examiner la présente affaire sous l'angle de l'article 6 §§ 1 et 3 a), dont les passages pertinents en l'espèce sont libellés comme suit :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...), par un tribunal (...), qui décidera du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ;

(...) »

19. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

20. Le Gouvernement soutient que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes. Il expose que l'intéressé aurait pu exiger la révision de l'arrêt du Tribunal fédéral du 20 juin 2008 au motif que ce dernier n'était pas entré en matière sur le grief relatif à la violation du principe accusatoire. Le Gouvernement est d'avis que la révision selon le droit suisse, prévue par les articles 121 à 128 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral, constitue ainsi une voie de recours effective et disponible.

21. Le requérant soutient que la révision n'est pas une voie de droit effective et qu'elle n'est pas prise en compte pour l'examen de la recevabilité d'une requête déposée auprès de la Cour. Il ajoute que lorsque le Tribunal fédéral ignore un grief invoqué conformément à la procédure, cela équivaut à une violation du droit d'être entendu qui ne peut pas être invoquée par la voie de la révision.

2. Appréciation de la Cour

22. La Cour rappelle d'emblée que, sauf dans des circonstances particulières, un requérant n'est pas tenu de se prévaloir d'un recours extraordinaire aux fins de la règle de l'épuisement des voies de recours internes énoncée à l'article 35 § 1 de la Convention (Prystavska c. Ukraine (déc.), no 21287/02, CEDH 2002-�X, et C.M. c. Suisse, no 7318/09, § 31, 17 janvier 2017).

23. La Cour constate que le requérant a saisi le Tribunal fédéral d'un recours en matière pénale contre l'arrêt de la Cour suprême du canton de Berne du 21 août 2007. Dans son recours devant le Tribunal fédéral, le requérant a invoqué une violation du principe accusatoire, faisant valoir que l'acte d'accusation était incomplet (paragraphe 11 ci-dessus). Partant, le requérant a tenté d'obtenir, dans la forme et le délai prescrits, le redressement de la violation alléguée par une voie de recours appropriée devant la plus haute juridiction nationale.

24. Dès lors, la Cour considère que, dans la présente affaire, on ne peut exiger du requérant, qui a correctement épuisé les voies de recours internes susceptibles de remédier à la violation alléguée, qu'il fasse en plus usage d'une voie de recours extraordinaire pour pallier l'absence d'examen de son grief par le Tribunal fédéral alors que ce dernier avait eu la possibilité de se prononcer sur cette question (C.M. c. Suisse, précité, § 33).

25. Partant, la Cour rejette l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.

26. La Cour constate par ailleurs que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

27. Le requérant soutient que l'acte d'accusation était incomplet sur des points essentiels et nécessaires pour se déterminer quant aux infractions qui lui étaient reprochées, ce qui l'aurait empêché de préparer sa défense de manière adéquate. Il allègue en particulier que jusqu'au jugement de première instance, il n'a eu aucune indication s'agissant du calcul de la quantité de drogue, du prix de vente présumé du mélange de cocaïne et de son degré de pureté présumé. Le requérant souligne que la quantité de drogue est un fait élémentaire dans le cadre d'une condamnation pour trafic de stupéfiants et le critère le plus important pour fixer la peine. Il prétend enfin que l'accusation déterminante est constituée par l'ordonnance de renvoi, et non par un jugement ultérieur.

28. Le Gouvernement rétorque qu'il ressort de l'acte d'accusation que la quantité indéterminée, mais supérieure à 280 grammes, de mélange de cocaïne correspondait à un montant d'au moins 180 700 CHF et que le requérant, représenté par une avocate, aurait ainsi pu déterminer l'ordre de grandeur des actes reprochés grâce à ce montant. Le Gouvernement, qui rappelle que le requérant a nié toute participation au trafic de drogue, soutient que l'acte d'accusation était suffisamment détaillé et que le requérant n'avait pas été exposé à des surprises durant la procédure principale, seul le prix moyen d'acquisition du gramme de cocaïne et, par conséquent, la quantité de cocaïne finalement retenue à sa charge, ayant été précisés suite à l'administration des preuves. Le Gouvernement fait enfin valoir que, dans l'hypothèse où des vices auraient entaché la procédure, ceux-ci ont été purgés dans le cadre de la procédure d'appel devant la Cour suprême du canton de Berne.

2. Appréciation de la Cour

29. La Cour rappelle que la portée du paragraphe 3 a) de l'article 6 de la Convention doit notamment s'apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l'article 6. En matière pénale, une information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l'équité de la procédure (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 52, 25 mars 1999, et Pérez Martinez c. Espagne, no 26023/10, § 23, 23 février 2016). Si l'étendue de l'information « détaillée » visée par cette disposition varie selon les circonstances particulières de la cause, l'accusé doit en tout cas disposer d'éléments suffisants pour comprendre pleinement les charges portées contre lui en vue de préparer convenablement sa défense (Mattoccia c. Italie, no 23969/94, § 60, 25 juillet 2000, Gomez Cespon c. Suisse (déc.), no 45343/08, 5 octobre septembre 2010, et Mandelli c. Italie (déc.), no 44121/09, § 45, 20 octobre 2015). La Cour rappelle également que, si le droit à une procédure contradictoire a été méconnu à un stade déterminé de la procédure, il n'est pas exclu qu'une juridiction supérieure soit à même de redresser toute défaillance (Dallos c. Hongrie, no 29082/95, §§ 47-53, CEDH 2001-II, Amirov c. Azerbaijan (déc.), no 25512/06, 18 janvier 2011, et Čepek c. République tchèque, no 9815/10, § 50, 5 septembre 2013).

30. En l'espèce, la Cour relève que le requérant savait, sur la base de l'acte d'accusation, que la quantité de drogue était supérieure à 1 748,80 grammes et que la drogue vendue correspondait à au moins 180 700 CHF. Il devait par conséquent se douter que la quantité de drogue était considérable. Il n'est toutefois pas déterminant de savoir si le requérant, qui était assisté par une avocate et qui n'a pas allégué avoir soulevé cette question devant le tribunal de district VIII Berne-Laupen, pouvait évaluer la quantité de drogue. En effet, la cause de l'accusation n'a pas évolué et le requérant, au plus tard suite à l'arrêt du tribunal de district du 19 novembre 2004, qui a déterminé la quantité de drogue finalement retenue, disposait d'éléments suffisants pour comprendre pleinement les charges portées contre lui en vue de préparer convenablement sa défense. À cet égard, le requérant, outre le fait qu'il était en mesure de saisir la nature de l'accusation portée contre lui dès l'acte d'accusation, a eu l'occasion de présenter son grief tiré d'une violation du principe accusatoire devant la Cour suprême du canton de Berne et celle-ci a pu se livrer à un examen complet de la cause du requérant. La Cour juge dès lors que les vices ayant pu entacher la procédure devant le tribunal de district ont été purgés devant la Cour suprême (Dallos, précité, §§ 47-53, et Mulosmani c. Albanie, no 29864/03, § 132, 8 octobre 2013).

31. Dès lors, il n'y a pas eu violation de l'article 6 §§ 1 et 3 a) de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION, TIRÉE DU DROIT À UN JUGEMENT MOTIVÉ

32. Le requérant allègue que l'absence, dans l'arrêt du Tribunal fédéral, de toute réponse au moyen tiré de la violation du principe accusatoire enfreint l'article 6 § 1 de la Convention. Cette disposition est ainsi libellée en ses passages pertinents en l'espèce :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...), par un tribunal (...), qui décidera du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

33. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

34. La Cour rappelle qu'elle a rejeté l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement (paragraphe 25 ci-�dessus). Elle constate que le présent grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité. Partant, il y a lieu de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

35. Le requérant fait valoir que le Tribunal fédéral n'a pas répondu à son grief concernant la violation du principe accusatoire et qu'il est impossible de déterminer si le Tribunal fédéral a simplement négligé de traiter l'argument du requérant ou s'il avait l'intention de le rejeter. Il soutient que le silence complet du Tribunal fédéral à cet égard n'est pas compatible avec l'exigence d'un procès équitable.

36. Le Gouvernement expose que la Cour suprême du canton de Berne a examiné en détails l'allégation du requérant relative à la violation du principe accusatoire et a expliqué pour quels motifs elle estimait que ce principe n'avait pas été violé en l'espèce.

2. Appréciation de la Cour

37. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante reflétant un principe lié à la bonne administration de la justice, les décisions judiciaires doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. L'étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s'analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 26, CEDH 1999-�I, et Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, § 84, CEDH 2017). Sans exiger une réponse détaillée à chaque argument du plaignant, cette obligation présuppose que la partie à une procédure judiciaire puisse s'attendre à une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l'issue de la procédure en cause (voir, parmi d'autres exemples, Moreira Ferreira, précité, § 84, et Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §§ 29-30, série A no 303-�A). Il doit ressortir d'une décision que les questions essentielles de la cause ont été traitées (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 91, 16 novembre 2010, et Lebedinschi c. République de Moldova, no 41971/11, § 31, 16 juin 2015).

38. La Cour rappelle également que l'article 6 de la Convention n'astreint pas les États à créer des cours d'appel ou de cassation. Cependant, si de telles juridictions existent, les garanties de l'article 6 doivent être respectées (Pedro Ramos c. Suisse, no 10111/06, § 34, 14 octobre 2010, et Lebedinschi, précité, § 32).

39. La Cour réitère qu'il ne lui appartient pas d'examiner le bien-fondé d'un certain moyen soulevé devant une juridiction interne, une telle tâche incombant aux juridictions nationales. Un pareil examen ne s'impose pas pour constater que le moyen en cause était du moins pertinent (Hiro Balani c. Espagne, 9 décembre 1994, § 28, série A no 303-B, Ruiz Torija, précité, § 30, et Vojtěchová c. Slovaquie, no 59102/08, § 40, 25 septembre 2012).

40. En l'espèce, la Cour constate que, dans son arrêt du 20 juin 2008, le Tribunal fédéral n'a pas répondu au grief du requérant tiré de la violation du principe accusatoire. Or, ledit grief a été étayé de manière suffisamment claire et précise dans le mémoire de recours déposé par le requérant, représenté par un avocat, devant le Tribunal fédéral. Il y était d'ailleurs fait référence à l'article 6 § 3 de la Convention. Relevant d'une catégorie juridique complètement distincte du grief tiré des écoutes téléphoniques, la Cour considère qu'il a été suffisamment élaboré comme premier grief dans le recours. Il s'agit de plus d'un aspect essentiel de l'issue du procès et il est de nature à tomber par ailleurs sous le coup de l'article 6 § 3 lettre a) de la Convention qui a été examiné sur le fond par l'instance cantonale. Si le Tribunal fédéral l'avait jugé fondé, il aurait dû admettre le recours. Si par contre le Tribunal fédéral l'avait jugé mal fondé, il aurait dû le rejeter en énonçant des motifs d'irrecevabilité (voir, mutatis mutandis, Fomin c. Moldova, no 36755/06, § 31, 11 octobre 2011).

41. Faute de réponse explicite, il est impossible de savoir si le Tribunal fédéral a simplement négligé le moyen tiré du principe accusatoire ou bien s'il a voulu le rejeter et, dans cette dernière hypothèse, pour quelles raisons (Ruiz Torija, précité, § 30, Hiro Balani, précité, § 28, et Nichifor c. République de Moldova, no 52205/10, § 30, 20 septembre 2016).

42. Partant, la Cour conclut qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION, TIRÉE DU DROIT D'INTERROGER DES TÉMOINS

43. Le requérant se plaint des modalités et de la qualité de la traduction des écoutes téléphoniques, ainsi que du fait que l'identité du traducteur ne lui a pas été divulguée. Il invoque l'article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention.

44. La Cour relève que les tribunaux suisses ont soigneusement analysé les faits et que leurs décisions ont été motivées en détail. Elle souligne en particulier qu'il ressort du dossier que le requérant s'est vu offert la possibilité de contester la traduction des écoutes téléphoniques, de la confronter avec les enregistrements et de présenter devant la juridiction cantonale les passages qu'il aurait souhaité ajouter. Elle estime dès lors que le requérant, qui n'a pas fait usage de cette possibilité, s'est vu offert les moyens suffisants de se défendre.

45. Il s'ensuit que ce grief, manifestement mal fondé, au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention, doit être rejeté en application de l'article 35 § 4 de la Convention.

IV. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

46. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

47. Le requérant réclame 36 500 CHF (environ 31 430 EUR) au titre du préjudice matériel qu'il aurait subi. Cette somme correspondrait à une indemnité pour une privation de liberté excessive d'une durée de douze mois.

48. Le Gouvernement soutient que le requérant n'a pas démontré qu'il existait un lien de causalité entre le dommage invoqué et la violation alléguée et qu'il n'a pas étayé sa prétention. Il est d'avis que celle-ci doit être rejetée.

49. Le requérant réclame 5 000 CHF (environ 4 310 EUR) au titre du préjudice moral qu'il aurait subi.

50. Le Gouvernement fait valoir que le requérant ne justifie pas cette prétention. Il invite la Cour, à titre principal, à la rejeter. Il estime subsidiairement que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable.

51. La Cour rappelle qu'il ne lui appartient pas de spéculer sur l'issue d'une procédure conforme aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention (voir, parmi beaucoup d'autres, C.M. c. Suisse, précité, § 57).

52. En l'espèce, elle n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et elle rejette cette demande.

53. En revanche, elle considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 2 000 EUR au titre du préjudice moral pour la violation constatée de l'article 6 § 1 tirée du droit à un jugement motivé.

B. Frais et dépens

54. Le requérant demande également 18 000 CHF (environ 15 500 EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, ventilé comme suit :

4 000 CHF (environ 3 440 EUR) pour les frais de justice devant la Cour suprême du canton de Berne ;

2 000 CHF (environ 1 720 EUR) pour les frais de justice devant le Tribunal fédéral ;

6 000 CHF (environ 5 170 EUR), pour les honoraires de l'avocat qui l'a représenté devant le Tribunal fédéral ;

6 000 CHF (environ 5 170 EUR), pour les honoraires de Me P.-�R. Wyder, qui l'a représenté devant la Cour.

55. Le Gouvernement, concernant les frais judiciaires, considère approprié un montant de 2 000 CHF (environ 1 720 EUR). Il fait valoir que le requérant n'a pas justifié sa prétention s'agissant de ses frais de représentation et estime que celle-ci doit dès lors être rejetée.

56. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, la Cour observe que le requérant n'a pas accompagné ses prétentions concernant ses frais de représentation des justificatifs nécessaires. Il convient donc d'écarter sa demande à ce titre. En revanche, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 720 EUR pour les frais de justice en relation avec la violation constatée de la Convention.

C. Intérêts moratoires

57. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 6 §§ 1 et 3 a) de la Convention, relatif au droit d'être informé de la nature et de la cause de l'accusation, et de l'article 6 § 1 de la Convention, relatif au droit à un jugement motivé, et irrecevable pour le surplus ;

 

2. Dit qu'il n'y a pas eu violation du droit d'être informé de la nature et de la cause de l'accusation, tiré de l'article 6 §§ 1 et 3 a) de la Convention ;

 

3. Dit qu'il y a eu violation du droit à un jugement motivé, tiré de l'article 6 § 1 de la Convention ;

 

4. Dit,

a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l'État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;

ii. 1 720 EUR (mille sept cent vingt euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d'impôt, pour frais et dépens ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 avril 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

              Stephen PhillipsHelena Jäderblom
GreffierPrésidente


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