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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> NINOS v. GREECE - 28453/10 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : First Section Committee) French Tex [2018] ECHR 473 (07 June 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/473.html Cite as: [2018] ECHR 473, CE:ECHR:2018:0607JUD002845310, ECLI:CE:ECHR:2018:0607JUD002845310 |
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PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE NINOS c. GRÈCE
(Requête no 28453/10)
ARRÊT
STRASBOURG
7 juin 2018
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Ninos c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l'homme (première section), siégeant en un comité composé de :Kristina Pardalos, présidente,
Ksenija Turković,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,
PROCÉDURE
1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 28453/10) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Gerasimos Ninos (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 mai 2010 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).2. Le requérant a été représenté par Me I. Ktistakis, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme S. Charitaki, conseillère au Conseil juridique de l'État, et Mme S. Papaïoannou, auditrice au Conseil juridique de l'État.3. Le 28 novembre 2016, la requête a été communiquée au Gouvernement.EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Par une décision du 21 janvier 1967, émise conformément aux dispositions de la loi no 5351/1932 «sur les antiquités», le ministre de la Présidence du gouvernement classa le site de Phylakopi sur l'île de Milos comme site archéologique et délimita sa zone de protection.
5. Par une décision du 16 novembre 1979, le ministre de la Culture étendit les limites de la zone de protection du site de Phylakopi et de son environnement direct. Les nouvelles limites incluent la propriété du requérant et de son père Emmanouil, d'une superficie totale d'environ 75 000 m², située en dehors du plan de la ville. Toutefois, le dessin accompagnant la décision n'indiquait pas la position exacte des monuments protégés (trois cimetières et des tombes isolées).
6. Le 23 septembre 1981, le Conseil national de l'Aménagement du territoire et de l'environnement définit l'affectation générale des sols de l'île de Milos, y compris du site de Phylakopi qui fut classé notamment site de développement de l'agriculture, du tourisme et de l'habitation à l'exclusion de toute activité minière ou industrielle.
7. Le 25 juin 1990, le ministre de la Culture proposa l'inclusion du site archéologique de Phylakopi dans la zone A de protection absolue où aucune construction n'était autorisée. Néanmoins la procédure ne fut pas achevée en raison de la non-publication de la décision ministérielle dans le Journal Officiel.
8. La même année, le Conseil central d'archéologie (le C.C.A.) formula une nouvelle proposition pour la délimitation des zones de protection des sites archéologiques de l'île de Milos, sans que la procédure y relative soit menée à bout par l'émission d'une décision ministérielle.
9. Suite à des demandes déposées par le requérant et son père tendant à faire exclure leur propriété des zones de protection A et B, ainsi qu'à effectuer de travaux de construction dans une bâtisse déjà existante, le ministère de la Culture accorda une autorisation de rénovation de la maison en question.
10. Le 19 novembre 1998, le ministère de la Culture procéda à la délimitation des zones de protection des sites archéologiques de l'île, à l'exception du site de Phylakopi, pour lequel il fut prévu qu'une nouvelle décision ministérielle serait émise dans l'avenir.
11. Le 12 septembre 2000, le C.C.A. examina la question de la délimitation des zones de protection ainsi que les demandes déposées par le requérant et son père pour la délivrance d'une autorisation de construire quatre maisons indépendantes à étage unique, de style cycladique, sur une partie de leur propriété. Le C.C.A. reporta l'adoption d'une décision concernant les deux questions, afin de permettre à ses membres de procéder à une descente sur les lieux, qui eut lieu les 30 et 31 août 2001. Finalement, lors de sa réunion du 9 octobre 2001, le C.C.A. proposa le rejet de la demande des requérants, en raison du dommage que cela causerait tant aux antiquités situées dans cette propriété (le cimetière d'une ville préhistorique) qu'à l'environnement immédiat du lotissement préhistorique de Phylakopi. Le C.C.A. se déclara en faveur de la recherche de la possibilité d'édifier deux constructions à étage unique aux extrémités de la partie sud de leur propriété, à condition que ces constructions ne soient pas visibles depuis le site archéologique clôturé.
12. Entre-temps, le 6 octobre 2001, le requérant et son père saisirent le tribunal administratif d'Athènes d'une action en dommages-intérêts sur le fondement de l'article 105 de la loi d'accompagnement du code civil, aux termes de laquelle ils réclamaient la réparation du dommage qu'ils avaient subi du fait des actes et omissions illicites des organes de l'État. Lesdits actes consistaient : a) au refus d'autoriser des activités de construction en invoquant l'inclusion de leur propriété dans la zone A, laquelle n'avait jamais été dûment délimitée ; b) au maintien en suspens pendant une longue période de la question de la délimitation de la zone de protection ; et c) à l'information de l'opinion publique et des acquéreurs potentiels que la propriété était située dans la zone A, ce qui aurait conduit à la dépréciation totale de celle-ci. Ils demandaient que l'État soit obligé de verser à chacun d'eux certaines sommes au titre du manque à gagner en raison de l'annulation de la vente de leur propriété en 1990 ou, sinon, de l'annulation de la vente de leur propriété l'an 2000 ou, sinon, en raison de la dépréciation de leurs biens. Ils demandaient aussi la réparation de leur dommage moral.
13. Par un jugement no 13628/2003, le tribunal administratif d'Athènes admit en partie l'action du requérant et de son père mais rejeta comme dénuées de fondement leurs demandes en réparation du fait de l'annulation de la vente de la propriété en 1990 et 2000 et de la dépréciation de leurs terres. En outre, il estima que, en raison du retard pris pour la délimitation des zones de protection du site archéologique, le requérant et son père avaient subi un préjudice moral, en réparation duquel l'État devait verser à chacun d'eux la somme de 7 000 euros. Par deux arrêts no 2473/2005 et no 3829/2011, la cour administrative d'appel d'Athènes et le Conseil d'État respectivement confirmèrent le jugement précité.
14. La question de la délimitation des zones de protection fut réexaminée par le C.C.A., lors de sa réunion du 10 juillet 2002 sous le régime de la nouvelle loi archéologique no 3028/2002. Par une décision du 9 octobre 2002, le ministre de la Culture délimita, d'une part, la zone A, de protection absolue où il était interdit de procéder à toute construction et à toute modification du sol, et, d'autre part, la zone B, qui incluait la zone A et constituait l'environnement plus large du site archéologique de Phylakopi. Par une deuxième décision de la même date, le ministre interdit toute construction dans la partie nord de la propriété du requérant et de son père, mais accepta d'examiner la possibilité d'édifier deux maisons à étage unique aux extrémités de la partie sud de leur propriété, à condition que ces maisons ne soient pas visibles depuis le site archéologique clôturé.
15. Les 12 décembre 2002 et 13 janvier 2003, le requérant et son père saisirent le Conseil d'État respectivement de deux recours en annulation : d'une part, de la décision du ministre de la Culture ayant délimité les zones A et B à Phylakopi et, d'autre part, de la décision du même ministre interdisant la construction sur la partie nord de leur propriété.
16. Par l'arrêt no 3964/2008 (rendu le 31 décembre 2008 et certifié conforme le 23 mars 2010), le Conseil d'État rejeta le premier recours. Il souligna que la délimitation de zones de protection n'était pas contraire aux principes de l'égalité et de la proportionnalité, que la décision du ministre était légale et suffisamment motivée et que le droit à indemnité des propriétaires des terrains concernées ne se trouvait pas affecté.
17. Plus particulièrement, sur ce dernier point, le Conseil d'État affirma que l'article 24 de la Constitution établissait une protection renforcée de l'environnement culturel qui consistait à préserver de manière pérenne tant les monuments que l'espace qui les entourait, ainsi qu'à imposer des restrictions au droit de propriété. Ces restrictions pouvaient avoir une étendue plus large que les restrictions générales de la propriété prévues par l'article 17 de la Constitution. Toutefois, si elles rendaient inerte ou limitaient excessivement la propriété, elles créaient une obligation d'indemniser le propriétaire qui en était affecté, conformément au paragraphe 6 de l'article 24 de la Constitution. En l'espèce, la délimitation des zones de protection du site de Phylakopi, et en particulier la délimitation de la zone A dans laquelle seules des constructions légères étaient autorisées avait été décidée pour la protection et la mise en valeur du lotissement préhistorique et de très importantes découvertes. Si les propriétaires affectés estimaient que les restrictions imposées portaient atteinte à la substance de leur droit de propriété, ils avaient droit à percevoir une indemnité.
18. Par un arrêt no 783/2016, le Conseil d'État rejeta aussi par des motifs similaires que dans l'arrêt no 3964/2008 le deuxième recours précité. Il se référa à nouveau à la possibilité pour le requérant de demander une indemnité sur le fondement de l'article 24 § 6 de la Constitution.
19. Le 15 avril 2003, le C.C.A. formula un avis par lequel il proposait le rachat ou l'expropriation d'une partie de la propriété du requérant et de son père, d'une surface totale de 66 925 m². Suite à cet avis, la Direction de l'expropriation et de la propriété immobilière du ministère de la Culture demanda que soit effectué un contrôle des titres de propriété des biens à racheter. Toutefois, l'examen releva que les titres de propriété du requérant ne correspondaient pas à l'ensemble des terrains destinés au rachat. En plus, il s'avéra que sur certaines parties des terrains à racheter, l'État invoquait des droits de propriété, et que certaines autres parties appartenaient déjà à l'État, après avoir été expropriées à l'occasion de la rénovation de la route Plaka-Pollonia sur l'île de Milos.20. Suite à cela, le 3 août 2010, le ministre des Finances, décida de ne pas procéder au rachat de la propriété du requérant, mais d'engager une procédure d'expropriation, car il n'avait pas été prouvé avec certitude que les terrains à racheter, tels qu'ils étaient définis par la Direction de l'expropriation et de la propriété immobilière du ministère de la Culture, étaient inclus dans leur ensemble dans les titres produits par le requérant. Le 22 novembre 2016, le C.C.A. émit un avis en faveur de l'expropriation des biens dont le requérant se prétend propriétaire, d'une surface totale de 66 503,34 m².
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
21. L'article 24 § 6 de la Constitution dispose :« Les monuments et les sites et éléments traditionnels sont placés sous la protection de l'État. La loi détermine les mesures restrictives de la propriété qui sont nécessaires pour la réalisation de cette protection, ainsi que les modalités et la nature de l'indemnisation des propriétaires. »
22. L'article 19 de la loi no 3028/2002, relative à la protection des antiquités et de l'héritage culturel, prévoit :«1. Afin de protéger de monuments, de sites archéologiques ou de lieux historiques ou de mener des fouilles, le Ministre de la Culture peut imposer la privation provisoire ou définitif ou restreindre l'usage d'un bien immobilier.
2. En cas de restriction provisoire substantielle ou de privation provisoire substantielle de l'usage suivant sa destination du bien immobilier dans son ensemble, il est payé une indemnité calculée sur la base du rendement moyen du bien immobilier suivant sa destination avant la restriction ou la privation de l'usage, en tenant aussi compte de la qualité du bien comme monument, si tel est le cas.
3. En cas de restriction définitive substantielle ou de privation définitive substantielle de l'usage suivant sa destination du bien immobilier dans son ensemble, il est payé une indemnité complète. Dans ce cas aussi, il est tenu compte de la qualité du bien comme monument, si tel est le cas.
4. En cas de privation provisoire de l'usage suivant sa destination de tout ou partie du bien immobilier dans lequel il y a des monuments ou d'autres biens immobiliers adjacents, lorsque cela est nécessaire à la protection de ces monuments, toute personne lésée pour réclamer une indemnité pour le calcul de laquelle s'appliquent les dispositions du paragraphe 2 (...) »
23. L'article 24 de la Constitution, tel qu'il a été interprété par la jurisprudence, consacre la protection de l'environnement culturel, à savoir des monuments et des autres éléments provenant de l'activité humaine et composant le patrimoine historique, artistique et généralement culturel du pays. Cette protection consiste au maintien pour toujours de l'inaltérabilité desdits monuments et éléments, ainsi que du site qui les entoure, et elle implique la possibilité d'imposer les mesures et les restrictions de la propriété nécessaires à cet effet. Lorsque ces restrictions rendent inerte ou limitent excessivement la propriété, elles créent une obligation d'indemniser le propriétaire qui en est affecté (Conseil d'État, arrêt numéro 3009/2006). La prétention à une indemnité est née dès l'écoulement d'une période raisonnable à compter de l'imposition des mesures restrictives, à condition que l'intéressé sollicite la réparation de son dommage auprès de l'administration ou directement devant la juridiction administrative compétente (Conseil d'État siégeant en formation plénière, arrêts no3146/1986 et 2801/1991, et Conseil d'État, arrêts no1517/1993, 3963/1995, 784/1999, 3337/1999, 2876/2004, 3627/2004, 982/2005 et 3000/2005).
24. Par ailleurs, d'abord par l'article 91 de la loi no 1892/1990 et ensuite par l'article 13 de la loi no 3028/2002, le législateur a introduit une procédure de délimitation de zones de protection des sites archéologiques situés hors des limites des agglomérations existantes, et notamment en fonction des caractéristiques spéciales et de la physionomie de chaque site. Les sites classés dans la zone A, bénéficient d'une protection absolue, et ceux classés dans la zone B, bénéficient d'une protection relative, où la construction est autorisée, mais dans les conditions fixées par le ministre de la Culture.
25. En outre, selon l'article 13 de la loi précitée, dans le but de la meilleure protection et de la mise en valeur des sites archéologiques, le ministre de la Culture peut aussi imposer des conditions et des restrictions plus particulières à l'usage des biens immobiliers tombant dans le champ de la zone A, telles que par exemple des restrictions se rapportant à l'exploitation agricole, lorsque celle-ci risque de nuire aux antiquités (Conseil d'État, arrêts no 3888/2000, 3337/1999, 736/1997, 3964-65/1995 et 1517/1993).
26. La loi no 3028/2002 contient aussi des dispositions sur la question de l'indemnité du propriétaire du bien grevé des restrictions aux fins de la protection des éléments de l'environnement culturel. Pour réclamer une indemnité, le propriétaire concerné doit déposer une demande et au sujet laquelle le ministre de la Culture se prononce par une décision émise sur l'avis du comité prévu par le paragraphe 6 de l'article 19 de cette loi.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1
27. Le requérant se plaint de la privation de l'usage de ses terrains situés à proximité du site archéologique de Phylakopi sur l'île de Milos suite à la fixation par décisions ministérielles des zones de protection de ce site. Il allègue une violation de l'article 1 du Protocole no 1 qui est ainsi libellé :« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »
28. Le Gouvernement soutient d'une part que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes et, d'autre part, qu'il ne peut pas se prétendre « victime » de la violation alléguée.29. En ce qui concerne la première objection, le Gouvernement souligne que le requérant a omis d'introduire des actions en dommages-intérêts en application a) de l'article 24 § 6 de la Constitution, b) des dispositions de la loi no 3028/2002 et c) de l'article 105 de la loi d'accompagnement du code civil. D'autre part, la Direction des expropriations du ministère de la Culture a mis en mouvement la procédure d'expropriation à l'égard du terrain dont le requérant se prétend propriétaire et, dans le cadre de celle-ci, le requérant devra démontrer devant les juridictions compétentes qu'il est l'ayant-droit de l'indemnité d'expropriation.30. Plus précisément, le Gouvernement soutient que l'action en dommages-intérêts fondée sur l'article 24 § 6 précité constitue un recours efficace pour les propriétaires dont les biens sont bloqués par l'administration pour des motifs liés à la protection des sites archéologiques. A l'appui de ses allégations, le Gouvernement se réfère aux arrêts 2182/1994, 2183/1994, 2185/1994, 3963/1995, 3965/1995, 323/2009, 2850/2012, 2165/2013 et 1225/2014 du Conseil d'État, 3728/2013 et 1583/2014 de la cour d'appel administrative d'Athènes et 127/2011 du tribunal administratif de Pyrgos, dont il produit copie. Quant à l'article 105 de la loi d'accompagnement, précité, le Gouvernement argue que le requérant pouvait obtenir, en vertu de cet article, une indemnité pour le dommage causé par la fixation des zones de protection du site archéologique et par la privation de l'usage de son bien.31. Le requérant soutient que le Conseil d'État a examiné à trois reprises tous les moyens substantiels du requérant et a rendu trois arrêts : l'arrêt no 3946/2008 par lequel il a rejeté le recours en annulation de la décision ministérielle du 9 octobre 2002 fixant les zones de protection A et B du site archéologique ; l'arrêt no 783/2016 par lequel il a rejeté le recours en annulation contre la décision ministérielle de la même date rejetant la demande du requérant de construire deux maisons dans la partie nord de sa propriété ; l'arrêt no 3829/2011 qui a confirmé les décisions des juridictions inférieures, d'une part, rejetant la demande du requérant de percevoir une dommage matériel et, d'autre part, lui allouant 7 000 euros pour dommage moral.32. Le requérant souligne qu'il a soulevé tous les arguments relatifs à la question de son indemnisation en application de l'article 105 de la loi d'accompagnement précitée devant le Conseil d'État et celui-ci les a examinés. Par ailleurs, le Gouvernement ne produit aucune décision judiciaire qui accorderait une indemnité à un particulier en application de l'article 24 § 6 de la Constitution.33. La Cour rappelle que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt, aspect primordial, un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l'homme. Sa tâche à elle consiste à surveiller le respect par les États contractants de leurs obligations découlant de la Convention. Elle ne peut ni ne doit se substituer à leurs autorités, auxquelles il incombe de veiller à ce que les droits et libertés fondamentaux que consacre cet instrument soient respectés et protégés au niveau interne. La règle de l'épuisement des voies de recours internes est donc une partie indispensable du fonctionnement de ce mécanisme de protection. Les États n'ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d'avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont l'obligation d'utiliser auparavant les recours qu'offre le système juridique de cet État (voir, parmi d'autres précédents, Chiragov et autres c. Arménie [GC], no 13216/05, § 115, CEDH 2015).34. En effet, l'article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l'épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l'effectivité et l'accessibilité voulues ; il incombe à l'État défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies. Le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d'un recours donné qui n'est pas de toute évidence voué à l'échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (voir, parmi beaucoup d'autres, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 45, CEDH 2006).35. La Cour rappelle que dans l'arrêt Fix c. Grèce (no 1001/09, §§ 5456, 12 juillet 2011), elle a noté que, selon la jurisprudence constante du Conseil d'État et des juridictions administratives, l'article 24 § 6 de la Constitution prévoit l'obligation pour l'administration d'indemniser le propriétaire d'un terrain lorsque des mesures visant à protéger l'environnement ou le patrimoine culturel en restreignent considérablement l'usage. Elle a considéré que le rejet par le Conseil d'État du recours en annulation de la décision de classement de la propriété des requérants ne les empêchait pas de saisir le tribunal administratif d'une action en indemnisation fondée sur le dommage résultant du blocage de l'intégralité de leur propriété suite au classement.36. Dans la présente affaire, la Cour relève que le requérant avait la possibilité d'introduire l'action en indemnisation prévue par l'article 24 § 6 de la Constitution et cette possibilité lui a d'ailleurs été indiquée expressément par le Conseil d'État dans ses arrêts no 3946/2008 et no 783/2016 (paragraphes 17-18 ci-dessus). Il ressort donc de ces deux arrêts du Conseil d'État que la question de la légalité des décisions du ministre de la Culture est bien distincte de celle de l'indemnisation qui reste toujours ouverte, la charge pesant sur le terrain du requérant étant toujours présente (Fix, précité, § 56).37. La Cour note de surcroît que l'action en dommages-intérêts engagée par le requérant en 2001 n'est pas pertinente aux fins de l'épuisement concernant le grief tiré de l'article 1 du Protocole no 1 devant la Cour. L'objet de cette action n'était pas l'obtention d'une indemnité pour la privation de l'usage de son bien résultant de la fixation des zones de protection du site archéologique par les deux décisions du ministère de la Culture du 9 octobre 2002. L'objet de cette action était l'obtention d'une indemnité pour le dommage causé par le retard pris par l'administration pour délimiter ce site ainsi que par l'annulation de la vente de son bien en 1990, puis en 2000.38. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu'en omettant d'introduire le recours en indemnisation prévu à l'article 24 § 6 de la Constitution, le requérant n'a pas fait un usage normal des recours qui s'offraient à lui en droit interne.39. Ce constat dispense la Cour d'examiner l'efficacité des autres voies de recours mentionnées par le Gouvernement ainsi que l'exception relative au défaut de la qualité de victime.40. Il s'ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
41. Invoquant l'article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint de la durée des procédures administratives suivies en l'espèce. L'article 6 § 1 dispose :« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
1. Non-respect du délai de six mois
42. Le Gouvernement soutient que le grief du requérant pour autant qu'il vise la procédure qui a pris fin avec l'arrêt no 3946/2008 du Conseil d'État, publié le 31 décembre 2008, doit être déclaré irrecevable pour non-respect du délai de six mois, car la requête a été introduite devant la Cour le 12 mai 2010.43. Le requérant souligne que si l'arrêt a été publié le 31 décembre 2008, il n'a pu en obtenir une copie certifiée conforme que le 23 mars 2010.44. La Cour rappelle qu'elle a à maintes reprises admis que lorsque la signification n'est pas prévue en droit interne, comme en l'espèce, il convient de prendre en considération la date à partir de laquelle les parties peuvent réellement prendre connaissance du contenu de la décision interne définitive. Les parties n'ont la possibilité de prendre réellement connaissance du contenu de l'arrêt de la haute juridiction concernée qu'à partir de la date à laquelle elles peuvent en obtenir copie certifiée (voir parmi d'autres Papachelas c. Grèce [GC], no 31423/96, § 30, CEDH 1999II ; Elmaliotis et Konstantinidis c. Grèce, no 28819/04, § 26, 25 janvier 2007 ; Vassilios Athanasiou c. Grèce, no 50973/08, § 20, 21 décembre 2010).45. En l'occurrence, la Cour note que l'arrêt no 3946/2008 du Conseil d'État, décision interne définitive au sens de l'article 35 § 1 de la Convention, fut certifié conforme le 23 mars 2010. Il s'ensuit que le grief relatif à la procédure susmentionnée n'est pas tardif et il convient de rejeter l'exception du Gouvernement.2. Non-épuisement des voies de recours internes
46. Le Gouvernement soutient que les griefs relatifs procédures qui ont pris fin par les arrêts no 3829/2011 et no 783/2016 du Conseil d'État, doivent être déclarés irrecevables pour non-épuisement des voies de recours internes, car lorsqu'ils ont été rendu la loi no 4055/2012 qui a créé une voie de recours permettant de demander la réparation du préjudice moral du fait de la durée de la procédure était déjà en vigueur.47. Le requérant conteste cette thèse.48. La Cour note que la loi no 4055/2012, qui est entrée en vigueur le 2 avril 2012, prévoit en son article 55 § 1 que toute demande de satisfaction équitable doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive.49. En l'espèce, l'arrêt no 3829/2011 du Conseil d'État a été publié le 5 décembre 2011. Après l'entrée en vigueur de la loi, le requérant avait encore à sa disposition un délai pour introduire une demande d'indemnisation. Quant à la procédure ayant pris fin par l'arrêt no 783/2016, l'arrêt a été publié bien après l'entrée en vigueur de cette loi (Techniki Olympiaki A.E. c. Grèce, no 40547/10, 1er octobre 2013).50. Le requérant n'a donc pas épuisé les voies de recours internes à l'égard de ces deux procédures et ses griefs y relatifs doivent être déclarés irrecevables en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.3. Conclusion
51. La Cour accueille donc l'exception du Gouvernement concernant les griefs relatifs aux procédures ayant pris fin par les arrêts no 3829/2011 et no 783/2016 et la rejette quant au grief relatif à la procédure ayant pris fin par l'arrêt no 3946/2008. Constatant que ce dernier grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.B. Sur le fond
52. La procédure a débuté le 12 décembre 2002 avec la saisine du Conseil d'État et a pris fin le 31 décembre 2008, date à laquelle celui-ci a rendu son arrêt. Cette période a donc duré un peu plus de six ans pour une seule instance.53. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement de la partie requérante et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).54. Ayant examiné l'ensemble des éléments à sa disposition, la Cour considère que le Gouvernement n'a exposé aucun fait ni argument de nature à justifier la durée de la procédure dans la présente affaire.55. La Cour relève notamment que l'audience devant le Conseil d'Etat s'est tenue le 29 mars 2006, que l'arrêt a été rendu le 31 décembre 2008 et que le Gouvernement n'avance aucune explication propre à justifier ce délai.56. Dans ces conditions, et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que la durée de la procédure litigieuse a été excessive et n'a pas répondu pas à l'exigence du « délai raisonnable ».57. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1.III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
58. Aux termes de l'article 41 de la Convention,« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
59. Le requérant demande diverses sommes au titre du dommage matériel du fait du blocage de sa propriété. Il réclame aussi 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il estime avoir subi, en raison des désagréments dont il s'est attiré pendant de longues années et du refus de l'administration de respecter sa propriété.60. Le Gouvernement souligne que le requérant ne demande pas expressément une somme pour la violation alléguée de l'article 6 § 1. Dans tous les cas, à supposer même que la somme précitée inclue une telle prétention, elle est excessive.61. La Cour rappelle qu'elle a conclu à la violation de l'article 6 § 1 en raison de la durée d'une seule des procédures engagées par le requérant devant le Conseil d'État (paragraphe 56 ci-dessus). Elle considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 4 000 EUR au titre du préjudice moral.B. Frais et dépens
62. Le requérant demande également 12 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant le Conseil d'État et devant la Cour.63. La Cour note que le requérant ne produit aucune facture relative aux frais engagés pour les procédures susmentionnées. Il convient donc d'écarter cette demande.C. Intérêts moratoires
64. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 6 § 1 de la Convention, en ce qui concerne la procédure qui a pris fin par l'arrêt no 3946/2008 du Conseil d'État, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne la durée raisonnable de la procédure susmentionnée ;
3. Dit
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, la somme de 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt, pour dommage moral ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 juin 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Renata DegenerKristina Pardalos
Greffière adjointePrésident