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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> Richard TUHEIAVA v FRANCE - 25038/13 (inadmissible : monitoring and supervisory powers vested in Bar councils) French Text [2018] ECHR 751 (20 September 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/751.html Cite as: [2018] ECHR 751 |
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CINQUIÈME SECTION
DÉCISION
Requête n o 25038/13
Richard TUHEIAVA
contre la France
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant le 28 août 2018 en un comité composé de :
Mārtiņš Mits, président,
André Potocki,
Lado Chanturia, juges,
et de Milan Bla š ko, greffier adjoint de section ,
Vu la requête susmentionnée introduite le 11 avril 2013,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
See Also: Press release (in English)
EN FAIT
A. Les circonstances de l’espèce
1. Le requérant, M. Richard Tuheiava, est un ressortissant français né en 1974 et résidant à Arue (Polynésie française). Il est avocat et a exercé un mandat de sénateur du 21 septembre 2008 au 30 septembre 2014.
2. En juillet et août 2008, le bâtonnier du barreau de Papeete fut alerté sur la situation du cabinet du requérant. Il lui fut notamment signalé l’existence : d’une procédure d’expulsion engagée par le propriétaire du local professionnel du requérant ; de nombreux appels téléphoniques à l’Ordre des avocats de clients du requérant mécontents ; et de la difficulté à joindre le requérant, sa ligne téléphonique et de télécopie étant coupée, son courrier électronique ne fonctionnant pas et son numéro de téléphone portable s’avérant être le numéro téléphonique de sa permanence électorale. C’est dans ce cadre que le bâtonnier ad interim du barreau de Papeete, M e J., se rendit, le 22 août 2008, au cabinet du requérant, pour vérifier la réalité de l’existence même de ce cabinet et pour y effectuer un contrôle du compte de la caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) et de la comptabilité. Au cours de ce contrôle, effectué en l’absence du requérant compte tenu des difficultés pour le joindre, le bâtonnier examina des documents sociaux, fiscaux et comptables du cabinet. Il rencontra des salariés du requérant, qui lui firent part de dysfonctionnements du cabinet en raison de l’absence du requérant, accaparé par ses activités politiques.
3. Le 5 septembre 2008, le bâtonnier ad interim rencontra le requérant et lui demanda de fournir certains justificatifs. À la même date, il rédigea un rapport, communiqué au conseil de l’Ordre, dont il résultait que si les comptes CARPA et la comptabilité étaient régulièrement tenus, la situation financière du cabinet était préoccupante au regard de ses obligations fiscales et sociales (TVA non réglée, retard de cotisations à la caisse de prévoyance sociale, passif fiscal de 3 579 681 Francs pacifiques, soit 29 997,75 euros (EUR)). Dans ce rapport, le bâtonnier souligna que de nombreux clients avaient manifesté, auprès de l’Ordre des avocats, des juridictions et d’autres confrères, leur mécontentement à l’égard du requérant en raison de retards ou de non-traitement de leurs dossiers. Il précisa que le requérant avait déjà procédé à des déclarations de sinistre, ainsi qu’à la restitution de certains dossiers et d’honoraires.
4. Le 11 septembre 2008, le conseil de l’Ordre du barreau de Papeete décida de l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre du requérant, compte tenu de « la situation comptable extrêmement préoccupante du cabinet » et « des nombreux dysfonctionnements générant un contentieux important de la part de ses clients ».
5. Dans un rapport sommaire du 26 septembre 2008, le bâtonnier ad interim conclut à sa convocation devant le conseil de l’Ordre et à la désignation d’un autre rapporteur. Convoqué devant le conseil le 16 octobre 2008, le requérant, devenu sénateur, sollicita un report de sa comparution et adressa au bâtonnier des pièces justifiant du paiement des charges locatives. Il fit ultérieurement parvenir divers documents relatifs à la régularisation de la paye de ses employés et à l’échelonnement des dettes sociales et fiscales. Le 16 octobre 2008, le conseil de l’Ordre désigna M e P. comme rapporteur aux côtés de M e J.
6. Le 12 décembre 2008, le requérant fut auditionné par le rapporteur, M e P. Après avoir réalisé une enquête complète, M e P. déposa son rapport le 8 juin 2009, puis un rapport complémentaire le 22 septembre 2009. Le 25 septembre 2009, le requérant fut renvoyé devant le conseil de discipline, toutes les pièces constitutives du dossier ayant été mises à sa disposition et à celle de son conseil. À l’audience du 30 octobre 2009, il comparut, assisté de son avocat.
7. Par une décision du conseil de l’Ordre du 13 novembre 2009, statuant comme conseil de discipline, le requérant fut condamné à une interdiction d’exercer de deux ans, dont une année avec sursis. Le conseil considéra que le requérant avait persisté à méconnaître ses obligations fiscales et sociales, ainsi que ses obligations civiles nées de son bail professionnel. Il jugea également que l’instruction avait établi une accumulation de graves négligences et manquements à l’égard de ses clients et que le requérant avait méconnu les principes de confraternité et de délicatesse à l’égard du bâtonnier comme de ses confrères.
8. Le requérant contesta la décision du conseil de l’Ordre devant la cour d’appel de Papeete et demanda la nullité de l’enquête effectuée par le bâtonnier ad interim .
9. Par un arrêt du 17 février 2011, la cour d’appel rejeta la demande du requérant et confirma la décision rendue par le conseil de l’Ordre des avocats. Elle considéra que la visite du représentant de cette autorité professionnelle au cabinet ne constituait en rien une visite domiciliaire à but disciplinaire, ni une perquisition au sens commun. La Cour d’appel jugea qu’elle constituait au contraire la seule manière de s’informer de la réalité du fonctionnement du cabinet du requérant, dans la mesure où celui-ci ne répondait pas, faute de ligne téléphonique, et paraissait en voie de perdre l’usage des locaux. Elle qualifia cette visite de « mesure d’information, constituant pour le bâtonnier un impérieux devoir ». Elle estima qu’il ne pouvait être tiré de cette démarche une quelconque nullité de la procédure subséquente, qui avait été conduite de manière contradictoire, dans la mesure où M e P. avait procédé, par la suite, dans le cadre de l’enquête déontologique, à l’audition du requérant en présence de son conseil, l’avait informé de ses démarches et lui avait communiqué régulièrement, ainsi qu’à son conseil, pour observations, tous les éléments recueillis. Elle observa que le requérant n’avait sollicité aucune audition de témoin ni aucune confrontation et que la décision de renvoi devant l’instance disciplinaire avait été prise sur le rapport de M e P.
10. Le requérant forma un pourvoi, se plaignant notamment de la visite réalisée par le bâtonnier en son absence.
11. Par un arrêt du 17 octobre 2012, la Cour de cassation rejeta son pourvoi. Elle jugea que la cour d’appel, compte tenu des dispositions de l’article 187 du décret n o 91-1197 du 27 novembre 1991 et au vu des circonstances de l’espèce, avait exactement retenu que cette mesure, loin d’être critiquable, constituait pour le bâtonnier « un impérieux devoir et que, régulière, l’enquête déontologique n’avait pu entacher la validité de la procédure disciplinaire. ».
12. Parallèlement, une enquête pénale fut diligentée à l’encontre du requérant des chefs d’abus de confiance, faux et usage de faux. Cette information judiciaire se solda, le 29 janvier 2013, par une ordonnance de non-lieu en faveur du requérant. Le juge d’instruction considéra notamment que la circonstance qu’il avait failli dans la réalisation des prestations prévues ne pouvait s’analyser en un détournement de ces sommes, mais constituait une faute civile au regard de sa responsabilité contractuelle.
B. Le droit et la pratique internes pertinents
13. L’ensemble des avocats inscrits auprès d’un même tribunal de grande instance constitue un barreau, organisé sous la forme d’un Ordre qui appartient à la catégorie des Ordres professionnels, personnes privées chargées d’une mission de service public. L’Ordre des avocats est présidé par un bâtonnier dont les compétences sont régies par la loi du 31 décembre 1971 (modifiée par la loi du 11 février 2004) et par le décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat (modifié par le décret du 24 mai 2005).
14. Le bâtonnier est chargé de s’assurer du respect des règles déontologiques qui gouvernent la profession. Il a pour mission de faire appliquer la discipline et peut engager de sa seule initiative la procédure disciplinaire devant le conseil de discipline. Il reçoit à cet effet les plaintes des justiciables, des avocats et des magistrats. L’article 21 alinéa 2 de la loi n o 71-1130 du 31 décembre 1971 se lit comme suit :
« Le bâtonnier représente le barreau dans tous les actes de la vie civile. Il prévient ou concilie les différends d’ordre professionnel entre les membres du barreau et instruit toute réclamation formulée par les tiers. »
15. Il peut procéder tout d’abord à une enquête déontologique si les premiers éléments le justifient. L’article 187 du décret du 27 novembre 1991 se lit comme suit :
« Le bâtonnier peut, soit de sa propre initiative, soit à la demande du procureur général, soit sur la plainte de toute personne intéressée, procéder à une enquête sur le comportement d’un avocat de son barreau. Il peut désigner à cette fin un délégué, parmi les membres ou anciens membres du conseil de l’Ordre. Lorsqu’il décide de ne pas procéder à une enquête, il en avise l’auteur de la demande ou de la plainte.
Au vu des éléments recueillis au cours de l’enquête déontologique, il établit un rapport et décide s’il y a lieu d’exercer l’action disciplinaire. Il avise de sa décision le procureur général et, le cas échéant, le plaignant.
Lorsque l’enquête a été demandée par le procureur général, le bâtonnier lui communique le rapport.
Le bâtonnier le plus ancien dans l’Ordre du tableau, membre du conseil de l’Ordre, met en œuvre les dispositions du présent article lorsque des informations portées à sa connaissance mettent en cause le bâtonnier en exercice. »
16. Le bâtonnier a un rôle de surveillance de la comptabilité de ses confrères. L’article 232 du décret du 27 novembre 1991 prévoit que :
« L’avocat est tenu de présenter cette comptabilité à toute demande du bâtonnier. »
La comptabilité de l’avocat, dont la tenue est une obligation, est un élément essentiel du contrôle de l’activité de l’avocat : au-delà du seul respect de l’obligation de tenue d’une comptabilité, elle permet de s’assurer du respect des règles en matière de maniement des fonds, de blanchiment, mais encore des principes essentiels, notamment d’honneur et de probité.
17. Les avocats pouvant encaisser dans le cadre de leur activité des fonds qui reviennent à leur clients ou doivent être adressés à leurs adversaires, la loi du 31 décembre 1971 a imposé à chaque barreau la création d’une caisse qui peut être commune à plusieurs barreaux : la caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA). Chaque avocat est tenu de passer par son intermédiaire pour les encaissements et les transferts de ce que la pratique appelle les « fonds clients ». Le président de la CARPA (qui selon le choix retenu par ses statuts, peut être le bâtonnier ou un autre confrère) doit opérer un contrôle des opérations : licéité des fonds, déontologie, etc.
GRIEFS
18. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint de ce qu’il qualifie de « visite domiciliaire » du bâtonnier ad interim de l’Ordre des avocats.
19. Sur la base de l’article 6, il se plaint également que les informations recueillies dans le cadre de cette visite ont été utilisées pour prononcer une sanction disciplinaire à son égard, alléguant de ce fait une violation de son droit à un procès équitable.
EN DROIT
A. Sur le grief tiré de l’article 8 de la Convention
20. Le requérant soutient que la visite du bâtonnier dans son cabinet d’avocat, en son absence, a méconnu son droit au respect de son domicile tel que prévu par l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’Ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
1. Les arguments des parties
21. Le requérant considère que la visite effectuée par le bâtonnier à son cabinet, en son absence, sans son assentiment, sans avis préalable et en dehors de l’ouverture de toute procédure disciplinaire, s’apparente à une perquisition et constitue une ingérence dans l’exercice de son droit au respect de son domicile. Bien qu’il considère que la visite effectuée à son domicile professionnel était bien prévue par le décret du 27 novembre 1991, il estime que cette visite n’était pas « prévue par la loi » au sens de la Convention, en ce sens qu’elle n’était pas assortie de garanties suffisantes et qu’elle n’était nullement proportionnée au but poursuivi.
22. Le Gouvernement considère que la visite du bâtonnier ad interim au cabinet du requérant ne constitue pas une ingérence dans l’exercice du droit au respect de son domicile. Il fait valoir que le bâtonnier a procédé à un simple examen du compte CARPA et des documents comptables du requérant, conformément à sa mission de surveillance et de contrôle. Il souligne qu’il n’a pris connaissance d’aucun document couvert par le secret professionnel ou ayant trait aux relations entre le requérant et ses clients.
23. À titre subsidiaire, si la Cour devait juger qu’il s’agissait d’une ingérence, le Gouvernement fait valoir que celle-ci était prévue par la loi, en l’espèce l’article 187 du décret du 27 novembre 1991 ; qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir prévenir les manquements du requérant à ses obligations déontologiques et aux règles professionnelles et comptables de la profession d’avocat ; et, enfin, que cette ingérence était nécessaire dans une société démocratique et proportionnée, car fondée sur des motifs pertinents et suffisants, tout en ayant été entourée des garanties adéquates et suffisantes.
2. L’appréciation de la Cour
24. La Cour rappelle que le cabinet d’un avocat entre dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention ( Niemietz c. Allemagne , 16 décembre 1992, § 30, série A n o 251-B, et André et autre c. France , n o 18603/03, § 36, 24 juillet 2008) et que les perquisitions ou visites domiciliaires constituent des ingérences dans l’exercice de ses droits découlant du paragraphe 1 er de l’article 8 de la Convention ( André , précité, § 37).
25. Elle rappelle également que les Ordres des avocats sont susceptibles d’être assimilés à une « autorité publique », la Cour estimant que cette nature, éventuellement prévue par le droit interne lui-même ( Casado Coca c. Espagne , 24 février 1994, § 39, série A n o 285-A ), se trouve renforcée par le but d’intérêt général qu’ils poursuivent : la promotion d’une assistance juridique libre et adéquate, doublée d’un contrôle public de l’exercice de la profession et du respect de la déontologie professionnelle ( Van der Mussele c. Belgique , 23 novembre 1983, § 29, série A n o 70, et H. c. Belgique , 30 novembre 1987, §§ 24-29, série A n o 127-B).
26. En l’espèce , la Cour observe que le bâtonnier ad interim est entré dans les locaux du cabinet du requérant en son absence et qu’il y a consulté des documents sociaux, fiscaux et comptables. La Cour relève également que cette visite est bien le fait d’une autorité publique au sens de la Convention, le bâtonnier intervenant au titre de son pouvoir disciplinaire conféré par la loi (paragraphes 13-14 ci-dessus) et poursuivant un but d’intérêt général, à savoir s’assurer du respect de la déontologie. Au regard de sa jurisprudence, elle constate que cette visite constitue une ingérence au sens de l’article 8 de la Convention.
27. Pareille ingérence méconnait l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et, de surcroît, est « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre ces derniers.
28. La Cour rappelle que les mots « prévue par la loi » au sens de l’article 8 § 2 veulent d’abord que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais ils ont trait aussi à la qualité de la loi en cause : ils exigent l’accessibilité de celle-ci à la personne concernée, qui de surcroit doit pouvoir en prévoir les conséquences pour elle, et sa compatibilité avec la prééminence du droit ( Matheron c. France , n o 57752/00, § 29, 29 mars 2005 ).
29. La Cour observe que la visite effectuée par le bâtonnier était prévue par l’article 187 du décret du 27 novembre 1991 qui dispose que le « bâtonnier peut (...) procéder à une enquête sur le comportement d’un avocat de son barreau [et qu’au] vu des éléments recueillis au cours de l’enquête déontologique, il établit un rapport et décide s’il y a lieu d’exercer l’action disciplinaire. (...) ». Ce pouvoir d’enquête relève de sa mission d’instruction « des réclamations formulées par les tiers » prévue par l’article 21 de la loi du 31 décembre 1971 et, plus généralement, de son rôle de garant de la déontologie des avocats de son barreau que lui confère cette loi. La visite effectuée par le bâtonnier s’inscrivait également dans le cadre de l’article 232 du décret du 27 novembre 1991, qui précise que « l’avocat est tenu de présenter [sa] comptabilité à toute demande du bâtonnier ». Enfin, la Cour note que cette même la loi du 31 décembre 1971 confère également au président de la CARPA un rôle de contrôle des opérations pécuniaires des avocats (paragraphes 13 à 17 ci-dessus). Au regard de ce qui précède, la Cour considère que la visite effectuée par le bâtonnier, à l’occasion de laquelle il a consulté les documents sociaux, fiscaux et comptables du cabinet du requérant, avait une base en droit interne.
30. La Cour juge par ailleurs que l’ingérence poursuivait un « but légitime », à savoir celui de la défense de l’ordre public, de la prévention des infractions pénales et de la protection des droits et libertés d’autrui.
31. Quant à la nécessité de cette « ingérence », la Cour rappelle que « les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 appellent une interprétation étroite et [que] leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante » ( Crémieux c. France , 25 février 1993, § 38, série A n o 256-B). Ainsi, la Cour doit apprécier cette « nécessité » au regard, notamment, de l’absence alléguée de garanties suffisantes. Sur ce point , l a Cour rappelle avoir déjà jugé que les perquisitions et saisies chez un avocat sont susceptibles de porter atteinte au secret professionnel, qui est la base de la relation de confiance qui existe entre son client et lui (voir, notamment, Niemetz , précité, André , précité, § 41, et Xavier Da Silveira c. France , n o 43757/05 , § 36, 21 janvier 2010). Partant , si le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisition ou de visite domiciliaire dans le cabinet d’ un avocat , cette mesure doit s’accompagner, en raison du risque d’atteinte au secret professionnel, de « garanties spéciales de procédure », à savoir la présence d’un observateur indépendant des enquêteurs et capable d’identifier les éléments couverts par le secret professionnel, l’interdiction de saisir ces derniers, etc. ( Roemen et Schmit c. Luxembourg , n o 51772/99, § 69, CEDH 2003-IV, et André, précité, §§ 42-43). Dans une telle hypothèse, la présence du bâtonnier est considérée comme une garantie spéciale de procédure ( Xavier Da Silvera, précité, § 41). En l’espèce, c’est le bâtonnier lui-même qui était à l’initiative de cette visite, en agissant dans le cadre d’une enquête déontologique.
32. La Cour observe cependant qu’aucune atteinte au secret professionnel n’est en cause en l’espèce et, plus largement, dans le cadre d’une enquête déontologique de ce type. D’une part, l’ingérence litigieuse n’est pas le fait d’une autorité extérieure à la profession, à l’instar d’un membre de l’administration fiscale ( André , précité, § 47) ou d’un juge d’instruction ( Xavier Da Silveira , précité, § 6) s’introduisant dans le cabinet d’un avocat. Elle a au contraire été réalisée par le bâtonnier, lui-même avocat et soumis également au secret professionnel qu’il a par ailleurs pour mission de défendre dans l’intérêt de tous les confrères de son barreau. D’autre part, la Cour rappelle que, partagé avec un professionnel non seulement soumis aux mêmes règles déontologiques, mais aussi élu par ses pairs pour en assurer le respect, le secret professionnel n’est pas altéré ( Michaud c. France , n o 12323/11, § 129, CEDH 2012). Partant , la Cour considère que l’ absence de cette garantie spéciale de procédure n’est de nature ni à altérer le secret professionnel ni la relation de confiance entre un avocat et son client.
33. La Cour note que la visite du bâtonnier s’inscrivait au contraire dans le cadre de cette nécessité de préserver cette relation de confiance entre un avocat et ses clients. Elle rappelle que le statut spécifique des avocats les place dans une situation centrale dans l’administration de la justice, comme intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux. Eu égard à ce rôle clé, les justiciables doivent avoir confiance en la capacité des avocats à les représenter effectivement ( Kyprianou c. Chypre [GC], n o 73797/01, §§ 173-175, CEDH 2005-XIII, Coutant c. France , n o 17155/03, 24 janvier 2008). Il en découle que si, dans l’exercice de leur profession, les avocats doivent bénéficier d’une protection particulière, il est légitime que des normes de conduite s’imposent à eux ( Casado Coca c. Espagne , 24 février 1994, §§ 46 et 54, série A n o 285-A, et Morice c. France [GC], n o 29369/10 , § 133, CEDH 2015 ), et ce sous la surveillance et le contrôle dévolus aux conseils des différents Ordres ( Casado Coca , précité, § 54). La Cour considère dès lors que la visite du bâtonnier, garant de la déontologie de son barreau, s’inscrivait notamment dans le cadre de la défense et de la préservation de cette relation de confiance entre un avocat et ses clients.
34. Par ailleurs, en l’espèce, la Cour relève le contexte spécifique dans lequel s’inscrivait la visite du bâtonnier : de nombreuses plaintes de clients mécontents affluaient vers l’Ordre des avocats ; celui-ci était informé d’une procédure d’expulsion engagée par le propriétaire du local professionnel du requérant et ce dernier ne possédait plus ni ligne téléphonique ni télécopie, et il ne pouvait être joint par courrier électronique (paragraphe 2 ci-dessus). À l’instar des juridictions nationales, qui ont qualifié la visite du bâtonnier « d’impérieux devoir » (paragraphe 9 ci-dessus), la Cour considère qu’il était du devoir du bâtonnier, au regard de la gravité des faits et de l’attitude du requérant dont il avait été alerté, de vérifier la situation du cabinet de ce dernier. En tant que garant de l’Ordre des avocats et du respect des règles déontologiques, il lui appartenait de préserver les clients des difficultés dans la gestion du cabinet et de la situation critique de celui-ci, qui menaçaient gravement la mission de défense de leurs intérêts qu’ils avaient confiée au requérant.
35. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que l’ingérence dans le cabinet du requérant n’était pas disproportionnée et qu’un juste équilibre a été réalisé en l’espèce. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
B. Sur le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention
36. Le requérant se plaint de l’utilisation, lors de la procédure disciplinaire, de constations faites lors de la visite du bâtonnier ad interim , alléguant une méconnaissance de son droit au procès équitable tel que prévu par l’article 6 § 1, ainsi libellé :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
1. Les arguments des parties
a) Le requérant
37. Le requérant fait valoir que les éléments recueillis pendant la visite du bâtonnier ad interim ont été déterminants pour la procédure disciplinaire et qu’ils auraient été recueillis de façon irrégulière au regard de l’article 8 de la Convention, ce qui aurait eu une influence sur l’équité de la procédure au sens de l’article 6 § 1.
b) Le Gouvernement
38. Le Gouvernement considère que le principe de l’égalité des armes et celui du procès équitable ont été respectés. Il précise que l’ensemble des éléments recueillis par le bâtonnier et le co-rapporteur, ainsi que les rapports des 8 juin et 22 septembre 2009 ont été soumis au requérant, puis débattus contradictoirement lors de l’audience devant le conseil de l’Ordre. Il estime, en tout état de cause, que ce dernier a pu saisir la cour d’appel de Papeete d’un recours, à l’encontre de la procédure litigieuse, puis la Cour de cassation, juridictions offrant toutes les garanties de l’article 6 de la Convention.
2. L’appréciation de la Cour
39. La Cour renvoie tout d’abord à son constat selon lequel le grief tiré de l’article 8 est manifestement mal fondé (paragraphe 35 ci-dessus). Par ailleurs, elle rappelle qu’en tout état de cause, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève au premier chef du droit interne ( Schenk c. Suisse , 12 juillet 1988, §§ 45-46, série A n o 140, Teixeira de Castro c. Portugal , 9 juin 1998, § 34, Recueil 1998-IV, et Heglas c. République tchèque, n o 5935/02, § 84, 1 er mars 2007). La Cour n’a donc pas pour tâche de se prononcer par principe sur la recevabilité de certaines sortes d’éléments de preuve - par exemple des preuves prétendument obtenues de manière illégale au regard du droit interne (voir, notamment, Gäfgen c. Allemagne [GC], n o 22978/05, § 165, CEDH 2010).
40. En l’espèce, la Cour note qu’à la suite de sa visite dans le cabinet du requérant le 22 août 2008, M e J., bâtonnier ad iterim , a rédigé un premier rapport le 5 septembre 2008. Le même jour, il a rencontré le requérant et a pu lui demander de fournir certains justificatifs. Un second rapport a été établi par M e J., le 26 septembre 2008 (voir paragraphes 3 à 5 ci-dessus). La Cour relève également que M e P., désigné par le conseil de l’Ordre comme rapporteur aux côtés de M e J., a effectué une enquête disciplinaire complète durant plusieurs mois, au cours de laquelle il a auditionné le requérant puis a déposé un rapport le 8 juin 2009, complété par un second rapport le 22 septembre 2009. La Cour constate que le requérant a été renvoyé devant le conseil de discipline sur la base de ces rapports rédigés et signés par M e P. Par ailleurs, au cours de l’instruction, l’ensemble des éléments recueillis, y compris lors de la visite au cabinet du requérant, lui ont été communiqués et soumis, avant de faire l’objet d’un débat contradictoire lors de l’audience devant le conseil de l’Ordre, au cours de laquelle le requérant était présent et assisté par son avocat.
41. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Déclare la requête irrecevable.
Fait en français puis communiqué par écrit le 20 septembre 2018 .
Milan Bla š ko Mārtiņš Mits
Greffier adjoint Président