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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> RUZHNIKOV v. RUSSIA - 2223/14 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Third Section Committee) French Text [2018] ECHR 974 (27 November 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2018/974.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2018:1127JUD000222314, [2018] ECHR 974, CE:ECHR:2018:1127JUD000222314 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE RUZHNIKOV c. RUSSIE
(Requête n o 2223/14)
ARRÊT
STRASBOURG
27 novembre 2018
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Ruzhnikov c. Russie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :
Alena Poláčková,
présidente,
Dmitry Dedov,
Jolien Schukking,
juges,
et de Fatoş Aracı,
greffière adjointe
de section
,
PROCÉDURE
1. À l'origine de l'affaire se trouve une requête (n o 2223/14) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Vladimir Ivanovich Ruzhnikov (« le requérant »), a saisi la Cour le 13 décembre 2013 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Le requérant a été représenté par M e D.N. Strelkov, avocat exerçant à Belgorod. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté initialement par M. G. Matiouchkine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, puis par M. M. Galperine, son représentant actuel. 3. Le requérant alléguait en particulier que certaines formulations employées par une juridiction civile avant sa condamnation pénale avaient porté atteinte à sa présomption d'innocence. 4. Le 17 mars 2017, le grief concernant la présomption d'innocence a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l'article 54 § 3 du règlement de la Cour. 5. Le Gouvernement a acquiescé à l'examen de la requête par un comité.EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
6. Le requérant est né en 1964 et était détenu à Nijni Taguil (région de Sverdlovsk) jusqu'à sa libération conditionnelle le 4 septembre 2015. 7. Depuis 1992, il était employé au département régional de Belgorod du ministère de l'Intérieur. 8. Le 19 décembre 2012, une enquête pénale pour détournement de fonds fut ouverte à l'encontre d'une collègue du requérant. 9. Le 16 janvier 2013, le département régional du ministère de l'Intérieur adopta une décision de licenciement à l'encontre du requérant pour perte de confiance, conformément à l'article 82 § 1, 22) de la loi relative à la police (voir la partie « Le droit interne pertinent »). Dans la décision de licenciement, il était indiqué que, lors de l'enquête pénale, des données quant à l'implication du requérant dans le délit de détournement de fonds avaient été obtenues. 10. À un moment non précisé dans le dossier, le requérant fut mis en examen pour détournement de fonds aggravé et pour détention d'armes non autorisée. 11. Le 14 février 2013, il saisit la justice en contestant la décision de licenciement.12 . Le 11 mars 2013, la cour régionale de Belgorod, estimant que le licenciement était conforme à l'article 82 § 1, 22) de la loi relative à la police, rejeta l'action du requérant. Elle se prononça en particulier comme suit :
« La participation ( причастность ) de Ruzhnikov V.I. au délit pénal de détournement de fonds commis par sa subordonnée [B.] (...) a été établie lors de l'examen de la présente affaire (...)
Vu que [B.], au su du chef du département de l'Intérieur Ruzhnikov V.I., qui n'avait pas pris de mesures pour mettre fin aux actes illégaux de sa subordonnée, ainsi que Ruzhnikov V.I. lui-même ont obtenu des fonds, et [que si ce dernier] était laissé en fonction, il aurait pu continuer à obtenir illégalement des avantages pécuniaires (...) »
13. Le requérant fit appel de ce jugement. Il invoquait entre autres une violation de son droit d'être présumé innocent et estimait que son licenciement, intervenu avant qu'il n'eût été condamné pénalement, était prématuré. 14. Le 14 juin 2013, la Cour suprême de Russie rejeta l'appel du requérant. 15. Le 20 mars 2014, la cour régionale de Belgorod jugea le requérant coupable des délits incriminés et le condamna à deux ans et deux mois d'emprisonnement. Les recours de l'intéressé contre le jugement de condamnation furent rejetés pour l'essentiel.II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
16. Selon l'article 14 § 1 du code de procédure pénale, la personne accusée d'une infraction pénale est réputée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité soit prouvée conformément à la loi et établie dans un jugement définitif de condamnation. 17. Selon l'article 82 § 1, 22) et § 4 de la loi fédérale n o 342-FZ du 30 novembre 2011 relative à la police, en vigueur à l'époque des faits, l'un des fondements pour le licenciement d'un employé du ministère de l'Intérieur était la perte de confiance de son employeur.EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION
18. Le requérant allègue que la cour régionale de Belgorod ayant statué sur la légalité de son licenciement a employé des formulations laissant entendre que sa culpabilité dans le délit de détournement de fonds était établie alors que, selon lui, il n'avait pas encore été condamné pénalement à ce moment-là. Il invoque à cet égard l'article 6 § 2 de la Convention, ainsi libellé :« 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie (...) »
19. Le Gouvernement conteste cette thèse.A. Sur la recevabilité
20. Constatant que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention et qu'elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.B. Sur le fond
21. Le Gouvernement estime que le licenciement du requérant, intervenu avant sa condamnation pénale, n'a pas porté atteinte à sa présomption d'innocence. Selon lui, le licenciement était motivé par la perte de confiance de l'employeur de l'intéressé et non par la commission par celui-ci de l'infraction pénale dont il était accusé. 22. Le requérant réitère son grief. 23. La Cour rappelle que n'y a pas automatiquement violation de l'article 6 § 2 lorsqu'un requérant est déclaré coupable d'une infraction disciplinaire à raison de faits identiques à ceux visés dans une accusation pénale antérieure n'ayant pas abouti à une condamnation (voir, par exemple, Allen c. Royaume-Uni [GC], n o 25424/09, § 124, CEDH 2013). Elle considère ainsi que le licenciement du requérant pour perte de confiance de son employeur et le rejet par la justice de l'action en réintégration n'entraînent pas, en soi, de violation de l'article 6 § 2 de la Convention. 24. La Cour rappelle également que la présomption d'innocence est méconnue quand, en l'absence de condamnation définitive, une déclaration judiciaire avance sans équivoque que la personne a commis une infraction pénale (voir, parmi beaucoup d'autres, Nešťák c. Slovaquie , n o 65559/01, § 88, 27 février 2007, avec les références citées), ou quand une décision judiciaire concernant l'intéressé reflète le sentiment qu'il est coupable (voir l'arrêt de principe, Minelli c. Suisse , 25 mars 1983, § 37, série A n o 62). Elle réitère à ce titre une différence fondamentale entre le fait de dire que quelqu'un est simplement soupçonné d'avoir commis une infraction pénale et une déclaration non équivoque selon laquelle l'intéressé a commis l'infraction en question ( Matijašević c. Serbie , n o 23037/04, § 48, CEDH 2006-�X). 25. En l'espèce, la Cour note que, dans son jugement du 11 mars 2013, la cour régionale de Belgorod a dit qu'il était « établi » que le requérant avait participé au délit de détournement de fonds et qu'il y avait un risque qu'il continuât cette activité illégale (paragraphe 12 ci-dessus ; voir aussi l'affaire Vulakh et autres c. Russie (n o 33468/03, § 35, 10 janvier 2012) dans laquelle une juridiction civile a considéré qu'une personne avait commis une infraction alors que l'enquête pénale contre cette personne s'était terminée par un non-lieu en raison de son décès, ainsi que les affaires Kemal Coşkun c. Turquie (n o 45028/07, § 53, 28 mars 2017) et Seven c. Turquie , (n o 60392/08, § 53, 23 janvier 2018), dans lesquelles les juridictions administratives ayant statué sur les recours des requérants contre leurs licenciements ont déclaré sans réserve que les intéressés avaient commis des délits pénaux, en l'absence de condamnations pénales de ces derniers). De l'avis de la Cour, ces formulations de la cour régionale ne décrivaient pas un état de suspicion mais renfermaient un constat non équivoque de culpabilité du requérant quant au délit de détournement de fonds, avant que la culpabilité de l'intéressé n'ait été établie par les juridictions pénales, et ce indépendamment du motif et de la légalité de son licenciement. Par ailleurs, le fait que le requérant ait été finalement condamné au pénal ne saurait effacer son droit initial d'être présumé innocent (voir, par exemple, Matijašević , précité, § 49). 26. Dès lors, il y a eu violation de l'article 6 § 2 de la Convention.II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
27. Aux termes de l'article 41 de la Convention,« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
28. Le requérant réclame 958 095 roubles (RUB) pour le préjudice matériel qu'il estime avoir subi en raison de son licenciement. Il demande en outre 600 000 RUB pour « les souffrances psychiques causées par le licenciement illégal et les violations commises par les tribunaux lors de l'examen de son action ». 29. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter ces demandes, qu'il considère comme étant sans rapport avec le grief tiré de l'article 6 § 2 de la Convention et excessives. 30. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. Quant à la demande formulée au titre du préjudice moral, elle note que la somme réclamée se rapporte principalement au fait même du licenciement et à l'équité du procès en réintégration du requérant à son poste, pour lesquels aucune violation n'a été constatée. La Cour estime que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante quant au dommage moral ( Matijašević , précité, § 57, Seven , précité, § 65). 31. Le requérant n'a pas soumis de demande de remboursement de frais et dépens. Partant, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 2 de la Convention ;
3. Dit que le constat d'une violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout préjudice moral subi par le requérant ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 novembre 2018, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Fatoş Aracı
Alena Poláčková
Greffière Adjointe
Président