BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CRISTEA v. ROMANIA - 56681/14 (Judgment : Article 3 - Prohibition of torture : Fourth Section Committee) French Text [2019] ECHR 370 (21 May 2019) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/370.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2019:0521JUD005668114, CE:ECHR:2019:0521JUD005668114, [2019] ECHR 370 |
[New search] [Contents list] [Help]
QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE CRISTEA c. ROUMANIE
( Requête n o 56681/14 )
ARRÊT
STRASBOURG
21 mai 2019
Cet arrêt est définitif . Il peut subir des retouches de forme.
En l ' affaire Cristea c. Roumanie ,
La Cour européenne des droits de l ' homme ( quatrième section ), siégeant en un comité composé de :
Paulo Pinto de Albuquerque,
président,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc,
juges,
et de
Andrea Tamietti
,
greffier adjoint
d
e section
,
PROCÉDURE
1. À l ' origine de l ' affaire se trouve une requête (n o 56681/14) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Andrei-Ovidiu Cristea (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 août 2014 en vertu de l ' article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l ' homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, M me C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères. 3. Le 15 avril 2015 , la requête a été communiquée au Gouvernement.EN FAIT
LES CIRCONSTANCES DE L ' ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1980. En 2010, il fut incarcéré pour purger une peine de huit ans d ' emprisonnement qui lui avait été infligée pour complicité de trafic de personnes. Le 10 novembre 2015, il bénéficia d ' une libération conditionnelle.A. Le suivi de l ' état de santé du requérant
5 . À la date de son incarcération, le requérant pesait environ 50 kilogrammes pour une taille d ' environ 1,80 mètre. Au cours de ses nombreux séjours dans des hôpitaux du réseau pénitentiaire, les médecins diagnostiquèrent chez lui plusieurs maladies liées principalement à des troubles du métabolisme : hypothyroïdie, syndrome anémique, spasmophilie, vertiges, syndrome anabolique (difficultés d ' assimilation des nutriments), ainsi que des troubles de la personnalité.
6. Le 28 septembre 2012, le requérant fut transféré à la prison de Miercurea Ciuc. Il ressort de la fiche médicale établie dans cette prison qu ' il y bénéficia d ' un traitement pour l ' hypothyroïdie et d ' un régime alimentaire adapté aux personnes dystrophiques. Il en ressort également que le requérant reçut des vitamines et du calcium.7 . Du 26 au 28 février 2013, le requérant fut hospitalisé à l ' hôpital de la prison de Dej. Les médecins décidèrent d ' interrompre le traitement contre l ' hypothyroïdie et recommandèrent une cure de vitamines et le maintien du régime alimentaire.
8 . Du 9 au 14 avril 2013 et du 17 au 24 mai 2013, le requérant séjourna à l ' hôpital de la prison de T â rgu- Ocna. Les médecins diagnostiquèrent une gastrite chronique et lui recommandèrent de suivre un traitement médicamenteux et de prendre des vitamines.
9 . Du 18 juillet au 1 er août 2013, le requérant fut soigné à l ' hôpital de la prison de Coliba ș i. Les médecins lui recommandèrent de continuer son régime alimentaire et de suivre une cure de vitamines pendant trois mois. La prise quotidienne de deux antidépresseurs lui fut prescrite pour des troubles de la personnalité à caractère névrotique. Selon les médecins, l ' administration des antidépresseurs devait se faire sous strict contrôle médical.
10 . Le 17 octobre 2013, le requérant fut soumis à des examens d ' endocrinologie à l ' hôpital civil de Miercurea Ciuc. Les médecins lui prescrivirent la prise quotidienne d ' un médicament pour l ' hypothyroïdie, associé à un régulateur de la tension et un antihistaminique.
11 . Il ressort de la fiche médicale du requérant qu ' il bénéficia du traitement pour soigner sa gastrite à partir du mois d ' octobre 2013. En ce qui concerne le traitement des troubles de la personnalité, l ' intéressé reçut des antidépresseurs une seule fois, le 22 octobre 2013. Quant au traitement pour l ' hypothyroïdie, il prit des médicaments une fois le 29 octobre 2013, puis régulièrement à partir du 9 janvier 2014. On lui donna également des vitamines à partir du mois de juin 2014. Par ailleurs, la fiche médicale mentionnait que le 28 avril 2014 le requérant avait refusé un traitement psychiatrique.
12 . Après une hospitalisation en août 2014, les médecins décidèrent d ' interrompre le traitement pour l ' hypothyroïdie. Par ailleurs, ils constatèrent que le requérant souffrait de dystrophie et que son poids était inférieur à la normale. En août 2015, le requérant fut à nouveau admis à l ' hôpital de la prison de Colibaș i. Les médecins recommandèrent un traitement pour l ' hypertension artérielle et les manifestations anxieuses.
13 . D ' après la fiche médicale établie à cette occasion, le poids du requérant avait varié entre 49 et 53 kilogrammes au cours de la détention.
B. La demande du requérant tendant à l ' interruption de l ' exécution de sa peine pour raisons de santé et sa plainte auprès du juge délégué de la prison de Miercurea Ciuc
14. Le 14 mai 2013, le requérant demanda au tribunal départemental de Harghita d ' ordonner l ' interruption de l ' exécution de sa peine pour raisons de santé.15 . Le tribunal sollicita de l ' institut départemental de médecine légale l ' établissement de deux rapports concernant le requérant. Ces rapports conclurent que l ' état de santé du requérant était compatible avec la détention et que les traitements prescrits pouvaient lui être administrés par le personnel médical du réseau pénitentiaire. Pour parvenir à cette conclusion, l ' institut s ' appuya sur les résultats des examens effectués à l ' hôpital de la prison de Colibaș i et à l ' hôpital civil de Miercurea Ciuc (paragraphes 9- 11 ci-dessus).
16. Par un jugement du 28 octobre 2013, le tribunal rejeta la demande du requérant tendant à l ' interruption de l ' exécution de sa peine. 17. Le 11 juin 2013, le requérant se plaignit auprès du juge délégué à l ' exécution des peines de ne pas avoir bénéficié de soins médicaux et d ' un régime alimentaire adapté à son état de santé.18 . Par un jugement du 10 juillet 2013, le juge délégué accueillit partiellement la plainte. Il constata que l ' administration de la prison de Miercurea Ciuc n ' avait pas versé au dossier la preuve que le requérant recevait les traitements prescrits. Par conséquent, il ordonna à la direction de la prison d ' entreprendre les démarches nécessaires pour que le requérant pût suivre ces traitements. Quant au régime alimentaire, le juge constata que le requérant bénéficiait d ' un régime adapté à son état de santé.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ' ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
19. Le requérant se plaint d ' une absence de prise en charge médicale appropriée de ses problèmes de santé pendant sa détention à la prison de Miercurea Ciuc. Il y voit une violation de son droit à la vie garanti par l ' article 2 de la Convention. 20. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause ( Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos. 37685/10et 22768/12 , §§ 114 et 126, CEDH 2018 ), la Cour, estime qu ' il convient d ' examiner le grief du requérant sous l ' angle de l ' article 3 de la Convention, ainsi libellé :Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
21. Constatant que la requête n ' est pas manifestement mal fondée au sens de l ' article 35 § 3 a) de la Convention et qu ' elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d ' irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.B. Sur le fond
1. Arguments des parties
22. Le requérant allègue que la direction de la prison de Miercurea Ciuc n ' a fait aucun effort pour lui permettre de se soigner. Il dénonce une absence de soins et un retard dans l ' administration des traitements qui lui avaient été prescrits, ce qui aurait entraîné une détérioration de son état de santé et une perte de poids. 23. Le Gouvernement estime que le requérant a bénéficié dans la prison de Miercurea Ciuc d ' un suivi médical adéquat et d ' un régime alimentaire adapté à son état de santé.24 . En ce qui concerne le traitement contre l ' h ypothyroïdie, il expose que le requérant a reçu le traitement prescrit, hormis pendant la période de deux mois en novembre et décembre 2013 pour laquelle les documents médicaux auraient fait défaut. Selon le Gouvernement, à supposer qu ' il y ait eu une défaillance dans l ' administration de ce traitement l ' état de santé du requérant n ' en a pas pâti. Celui-ci se serait même amélioré, ce qui aurait justifié l ' arrêt du traitement pour l ' hypothyroïdie (paragraphe 12 ci-dessus).
25. Quant aux allégations du requérant concernant sa perte de poids, le Gouvernement affirme que la dystrophie de l ' intéressé était antérieure à son incarcération. Il ajoute que le poids du requérant était stable pendant sa détention et qu ' il avait même légèrement augmenté (paragraphes 5 et 13 ci - dessus).2. Appréciation de la Cour
26. La Cour renvoie aux principes bien établis dans sa jurisprudence en matière de traitement médical des personnes détenues (voir, parmi d ' autres, Kudła c. Pologne [GC], n o 30210/96, § 94, CEDH 2000 - XI ; Gennadiy Naumenko c. Ukraine , n o 42023/98, § 112, 10 février 2004 ; Rivière c. France , n o 33834/03, § 62, 11 juillet 2006 ; et Cirillo c. Italie , n o 36276/10, §§ 35-37, 29 janvier 2013). 27. La Cour note d ' emblée qu ' il n ' est pas contesté en l ' espèce que, lors de son incarcération et pendant toute la durée de sa détention, le requérant avait un poids inférieur à la normale et qu ' il souffrait d ' une pathologie complexe caractérisée principalement par des troubles du métabolisme et de la personnalité. Les parties divergent en revanche sur les défaillances alléguées dans l ' administration des soins et, en particulier, sur les conséquences de ces défaillances sur l ' état de santé du requérant. 28. La Cour relève qu ' il ressort du jugement du juge délégué à l ' exécution des peines de la prison de Miercurea Ciuc que le requérant a bénéficié d ' un régime alimentaire adapté à son état de santé (paragraphe 18 ci-dessus). Dès lors et tout en observant que le poids du requérant était relativement stable pendant sa détention (paragraphe 13 ci-dessus) et que les expertises médicolégales ont conclu qu ' il n ' y avait pas lieu d ' interrompre l ' exécution de la peine pour raisons de santé (paragraphe 15 ci-dessus), la Cour estime que les autorités internes ne pouvaient pas être tenues pour responsables du faible poids du requérant pendant sa détention. 29. Néanmoins, la Cour rappelle que la dégradation de la santé d ' un détenu ne joue pas en soi un rôle déterminant quant au respect de l ' article 3 de la Convention. En effet, il ressort de la jurisprudence qu ' il ne peut y avoir violation de l ' article 3 du seul fait de l ' aggravation de l ' état de santé de l ' intéressé, mais qu ' une telle violation peut en revanche découler de lacunes dans les soins médicaux (voir, dans ce sens, Kotsaftis c. Grèce , n o 39780/06, § 53, 12 juin 2008, et la jurisprudence qui y est citée). Ainsi, la Cour se doit de rechercher si, en l ' espèce, les autorités nationales ont fait ce que l ' on pouvait raisonnablement attendre d ' elles eu égard à l ' état de santé du requérant. À cette fin, il convient d ' examiner les soins dispensés à l ' intéressé. 30. La Cour note que les médecins avaient prescrit au requérant un traitement pour soigner sa gastrite, la prise quotidienne d ' antidépresseurs et d ' un médicament pour l ' hypothyroïdie ainsi que des cures de vitamines (paragraphes 7 , 8 , 9 et 10 ci-dessus). 31. Cependant, elle relève, à l ' instar du juge délégué à l ' exécution des peines (paragraphe 18 ci-dessus), qu ' il y a eu dans l ' administration de ces traitements plusieurs défaillances pour lesquelles la direction de la prison de Miercurea Ciuc n ' a fourni aucune justification. 32. En ce qui concerne le traitement pour la gastrite, la Cour constate qu ' il n ' a débuté qu ' en octobre 2013 (paragraphe 11 ci-dessus), alors qu ' il avait été prescrit dès avril 2013 (paragraphe 8 ci-dessus). Quant au traitement pour l ' hypothyroïdie et à la cure de vitamines, ils ont été retardés respectivement de deux et de quinze mois (paragraphes 7 , 10 et 11 ci - dessus). La Cour note également que le traitement pour les troubles de la personnalité n ' a pratiquement jamais été administré, hormis une seule fois en octobre 2013 (paragraphe 11 ci-dessus). 33. Certes, le requérant avait refusé un traitement psychiatrique le 28 avril 2014 (paragraphe 11 ci-dessus). Néanmoins, la Cour ne saurait tirer une conséquence juridique d ' un tel refus. À cet égard, elle constate que la fiche médicale ne mentionnait ni en quoi consistait ce traitement ni quelles étaient les circonstances et les raisons du refus. 34. La Cour ne peut souscrire à la thèse du Gouvernement selon laquelle les examens médicaux pratiqués en 2014 avaient montré que le requérant ne nécessitait plus de traitement pour l ' hypothyroïdie et que les défaillances en question ne présentaient aucune gravité (paragraphes 12 et 24 ci-dessus). 35. Elle estime que ce n ' est pas parce qu ' une des maladies a pu être soignée, malgré un certain retard dans l ' administration du traitement, que les autorités internes pouvaient s ' affranchir des consignes médicales claires relatives aux modalités d ' administration des traitements spécifiques à chacune des maladies du requérant. Eu égard à la pathologie complexe et à l ' état de santé fragile du requérant, la Cour considère que les autorités de la prison de Miercurea Ciuc auraient dû se montrer plus diligentes pour lui fournir les traitements prescrits. 36. Aux yeux de la Cour ces défaillances, qui pouvaient entraîner une détérioration de l ' état de santé du requérant, ont constitué une épreuve particulièrement pénible pour lui. Elle considère que l ' absence des traitements prescrits étaient de nature à susciter chez le requérant des sentiments de peur, d ' angoisse et d ' incertitude atteignant le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l ' article 3 de la Convention. 37. Ces défaillances, dont les autorités sont responsables, suffisent à la Cour pour conclure que les autorités internes, en ne fournissant pas au requérant les traitements conformes aux prescriptions médicales avec la célérité requise dans les circonstances, ont manqué à leur devoir de protéger la santé de celui-ci pendant sa détention dans la prison de Miercurea Ciuc. 38. Partant, il y a eu violation de l ' article 3 de la Convention.II. SUR L ' APPLICATION DE L ' ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
39. Aux termes de l ' article 41 de la Convention,« Si la Cour déclare qu ' il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d ' effacer qu ' imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s ' il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
40. Le requérant réclame 100 000 euros (EUR) au titre des préjudices matériel et moral qu ' il estime avoir subis. 41. Le Gouvernement soutient que la somme sollicitée est excessive. 42. La Cour considère qu ' il y a lieu d ' octroyer au requérant 7 500 EUR pour préjudice moral.B. Frais et dépens
43. Le requérant n ' ayant pas demandé le remboursement de ses frais et dépens, la Cour estime qu ' il n ' y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.C. Intérêts moratoires
44. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d ' intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L ' UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu ' il y a eu violation de l ' article 3 de la Convention ;
3. Dit
a) que l ' État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d ' impôt sur cette somme, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l ' État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu ' à compter de l ' expiration dudit délai et jusqu ' au versement, ce montant sera à majorer d ' un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 mai 2019 , en application de l ' article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Andrea Tamietti
Paulo Pinto de Albuquerque
Greffier adjoint
Président