MIDEO v. ITALY - 19169/02 (Judgment : Article 1 of Protocol No. 1 - Protection of property : First Section Committee) French Text [2019] ECHR 440 (06 June 2019)


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European Court of Human Rights


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/440.html
Cite as: [2019] ECHR 440, ECLI:CE:ECHR:2019:0606JUD001916902, CE:ECHR:2019:0606JUD001916902

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PREMIÈRE SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE MIDEO c. ITALIE

 

( Requête n o 19169/02 )

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÉT

 

 

 

 

STRASBOURG

 

6 juin 2019

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


 

En l ' affaire Mideo c. Italie ,

La Cour européenne des droits de l ' homme ( première section ), siégeant en un comité composé de   :

Aleš Pejchal, président,
Tim Eicke,
Gilberto Felici, juges,
et de Renata Degener , greffière adjointe d e section ,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 mai 2019 ,

Rend l ' arrêt que voici, adopté à cette date   :

PROCÉDURE

1 .     À l ' origine de l ' affaire se trouve une requête (n o 19169/02) dirigée contre la République italienne et dont un ressortissant de cet État , M.   Carmine Mideo («   le requérant   »), a saisi la Cour le 11 mai 2000 en vertu de l ' article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l ' homme et des libertés fondamentales («   la Convention   »).

2 .     Le requérant a été représenté par M e   L. Crisci, avocat à Bénévent. Le gouvernement italien   le Gouverne ment   ») a été représenté par ses ancien s agent s ,   M. I.M. Braguglia et M me   E. Spatafora, et ses ancien s coagent s , M.   N. Lettieri et M me   P. Accardo .

3 .     Le 24 mai 2004 , la requête a été communiquée au Gouvernement .

EN FAIT

I.     LES CIRCONSTANCES DE L ' ESPÈCE

4 .     Le requérant est né en 1946 et réside à Castelpagano (Bénévent) .

5 .     Il était propriétaire d ' un terrain sis à Castelpag a no et enregistré au cadastre, feuille 22, parcelle 65   le terrain   ») .

6 .     Le 6 septembre 1989 , la communauté de montagne ( comunità montana ) d ' Alto Tammaro (Bénévent) approuva le projet de construction d ' une route.

7 .     Le 28 octobre 1989 , l ' entreprise de construction Zecchina Costruzioni S.p.A. occupa le terrain avec le consentement du requérant.

8 .     Le 10 mai 1990 , la communauté de montagne prit un arrêté d ' occupation d ' urgence .

9 .     Le 6 juin 1990 , la communauté de montagne occupa officiellement 4   050 m 2 du terrain appartenant au requérant .

A.     La procédure principale

10 .     Par un acte notifié le 27 mars 1992, le requérant assigna la communauté de montagne devant le tribunal civil de Bénévent. Il allégua que l ' occupation du terrain avait commencé avant que l ' arrêté d ' occupation d ' urgence fût pris le 10 mai 1990 et qu ' elle était donc abusive. Il ajouta que les travaux de construction s ' étaient terminés sans qu ' il fût procédé à l ' expropriation formelle du terrain et au paiement d ' une indemnité.

11 .     L e tribunal civil de Bénévent ordonna la réalisation d ' une expertise, dont le rapport fut déposé au greffe le 2 juillet 1993 . Selon l ' expert , le requérant était propriétaire d ' un terrain affecté à un usage agricole , dont 8   24 0 m 2 avaient été expropriés , et l a valeur du terrain à la date de la réalisation de l ' expertise était de 10   000 lires italiennes (ITL) le mètre carré .

12 .     Le 27 juin 1995, un arrêté d ' expropriation, assorti d ' une offre d ' indemni sation d ' un montant de 11   444   000 ITL, fut signifié au requérant. Par un acte notifié le 2 août 1995, le requérant attaqu a ce t arrêté et assign a la communauté de montagne devant la cour d ' appel de Naples. Par une ordonnance du 5 juillet 1996, la cour d ' appel suspendit la procédure dans l ' attente du jugement du tribunal de Bénévent.

13 .     Par un jugement du 12 septembre 2002 , dépos é a u greffe le 15   octobre 2002, le tribunal de Bénévent déclara que l ' occupation du terrain, initialement autorisée, était devenue illégale et constata que le terrain avait été irréversiblement transformé par les ouvrages publics. Il jugea , sur le fondement du principe de l ' expropriation indirecte ( occupazione acquisitiva ), que le requérant avait été privé de son bien par l ' effet de la transformation irréversible de celui-ci. S ' appuyant sur le rapport d ' expertise déposé le 2 juillet 1993 (paragraphe 11 ci-dessus), l e tribunal condamna la communauté de montagne à payer au requérant la somme de 42   744,56   euros (EUR) , correspondant à la valeur vénale du terrain exproprié, augmentée des intérêts à partir du 10 mai 199 0 , date à laquelle l ' arrêté d ' occupation d ' urgence avait été pris . En outre, le tribunal condamna la communauté de montagne d ' Alto Tammaro à verser au requérant la somme de 129,76   EUR, augmentée des intérêts, à titre d ' indemnité d ' occupation.

14 .     Le 26 février 2003, la communauté de montagne interjeta appel de ce jugement devant la cour d ' appel de Naples.

15 .     Le 8 novembre 2006 , la cour d ' appel de Naples déclara irrecevable l ' appel formé par la communauté de montagne et le rejeta .

B.     La procédure «   Pinto   »

16 .     Le 17   avril   2002, se fondant sur la loi n o 89 du 24 mars 2001, dite «   loi Pinto   », le requérant saisit la cour d ' appel de Rome d ' une demande en réparation du préjudice qu ' il disait avoir subi à cause de la durée de la procédure devant le tribunal de Bénévent .

17 .     Il sollicita la somme de 18   550 EUR pour dommage mora l et patrimonia l .

18 .     Par une décision du 24 janvier 2003, la cour d ' appel de Rome accorda au requérant la somme de 600 EUR pour dommage moral.

19 .     Il ressort du dossier que cette décision fut notifiée à l ' a dministration le 24 avril 2003 et acqui t force de chose jugée le 24 juin 2003.

II.     LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

20 .     Pour ce qui est du droit et de la pratique interne s pertinent s relatif s à l ' expropriation indirecte , la Cour renvoie à l ' arrêt Messana c.   Italie ( n o   26128/04, §§   17-20, 9 février 2017 ) .

21 .     Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi n o 89 du 2 4   mars 2001, dite «   loi Pinto   » , sont décrits dans l ' arrêt Cocchiarella c.   Italie ( [GC], n o 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006 - V ) .

EN DROIT

I.     SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ' ARTICLE 1 DU PROTOCOLE N o 1 À LA CONVENTION

22 .     Le requérant soutient qu ' il a été privé de son terrain d ' une manière incompatible avec l ' article 1 du Protocole n o 1 à la Convention, ainsi libellé   :

«   Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d ' utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les É tats de mettre en vigueur les lois qu ' ils jugent nécessaires pour réglementer l ' usage des biens conformément à l ' intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d ' autres contributions ou des amendes.   »

23 .     Le Gouvernement conteste cette thèse.

A.     Sur la recevabilité

24 .     Le Gouvernement estime que le requérant ne peut plus se prétendre «   victime   » de la violation alléguée . À l ' appui de s a thèse , il soutient que le dédommagement obtenu par le requérant au niveau interne a été calculé sur la base de la valeur vénale du terrain , qu ' aucun e réduction n ' a été appliqué e , et que la somme octroyée était assortie d ' intérêts .

25 .     Le requérant demande le rejet de cette exception.

26 .     La Cour rappelle d ' emblée qu ' il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser une violation alléguée de la Convention. À cet égard, la question de savoir si un requérant peut se prétendre victime du manquement allégué se pose à tous les stades de la procédure au regard de la Convention ( Bourdov c. Russie , n o 59498/00, § 30, CEDH 2002-III).

27 .     La Cour rappelle ensuite sa jurisprudence selon laquelle il lui appartient de vérifier, d ' une part, s ' il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d ' une violation d ' un droit protégé par la Convention et, d ' autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant ( Cocchiarella , précité, § 84 ) .

28 .     L a Cour estime qu ' il n ' est pas nécessaire qu ' elle se prononce sur la première condition, à savoir le constat de violation par les autorités nationales. En effet, elle considère que , dans tou s les cas, le requérant peut encore se prétendre «   victime   » , pour les motifs exposés ci-dessous .

29 .     Quant à la seconde condition, à savoir un redressement approprié et suffisant, l a Cour n ' est pas persuadé e qu ' elle a été remplie dan s le cas d ' espèce . La Cour rappelle que dans l ' affaire Guiso-Gallisay c.   Italie ( ( satisfaction équitable ) [GC], n o 58858/00 , § 105 , 22 décembre 2009 ) elle a défini les critères d ' indemnisation dans les affaires d ' expropriation indirecte et a précisé que le montant de l ' indemni à octroyer d evait correspondre à la valeur vénale du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu ' établie par l ' expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois déduite la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l ' inflation et assorti d ' intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui s ' est écoulé depuis la dépossession d u terrain. En l ' espèce, l a C our observe que le tribunal de Bénévent a condamn é l ' a dministration à verser au requérant une indemnité correspondant à la valeur vénale du terrain, augmentée des intérêts à partir de la date de transformation irréversible du terrain exproprié, mais est resté en défaut d ' actualis er la somme pour compenser les effets de l ' inflation ( paragraphe 13 ci-dessus ). Par conséquent , la Cour considère que le redressement accordé par cette juridiction ne constitue pas un redressement approprié et suffisant.

30 .     Dans ces c onditions, la Cour estime que le requérant peut encore se prétendre victime de la violation alléguée. Par conséquent, elle rejette l ' exception soulevée par le Gouvernement .

31 .     Constatant que le grief du requérant n ' est pas manifestement mal fondé au sens de l ' article 35 § 3 de la Convention et qu ' il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d ' irrecevabilité , la Cour le déclare recevable .

B.     Sur le fond

1.     Arguments des parties

a)     Le requérant

32 .     Le requérant indique qu ' il a été privé de son bien en application du principe de l ' expropriation indirecte, un mécanisme qui permet trait à l ' autorité publique d ' acquérir un bien en toute illégalité . Il estime que cette pratique est inadmissible dans un État de droit.

33 .     Il soutient qu ' il n ' a eu la certitude d ' avoir perdu la propriété de son bien en application du principe de l ' expropriation indirecte qu ' avec l ' arrêt de la Cour de c assation.

b)     Le Gouvernement

34 .     Le Gouvernement prend acte de ce que la jurisprudence de la Cour, désormais consolidée, conclut à une incompatibilité du mécanisme de l ' expropriation indirecte avec le principe de légalité. Toutefois, eu égard aux arrêts des juridictions internes qui, indique-t-il, déclarent qu ' un transfert de propriété avait eu lieu et qu e celui-ci était assimilable à un acte formel d ' expropriation, il plaide que l ' expropriation en question ne p eut plus être considér é e comme incompatible avec le droit au respect des biens et le principe de prééminence du droit.

2.     Appréciation de la Cour

a)     Sur l ' existence d ' une ingérence

35 .     La Cour renvoie à sa jurisprudence constante relative à la structure de l ' article 1 du Protocole n o 1 à la Convention et aux trois normes distinctes que cette disposition contient (voir, parmi beaucoup d ' autres, Spo rrong et Lönnroth c. Suède , 23 septembre 1982, § 61, série A n o   52, Iatridis c.   Grèce [GC], n o 31107/96, § 55, CEDH 1999 II, Immobiliare Saffi c.   Italie [GC], n o 22774/93, § 44, CEDH 1999 V, Broniowski c.   Pologne [GC], n o 31443/96, § 134, CEDH 2004 V, et Vistiņš et Perepjolkins c .   Lettonie [GC], n o 71243/01, § 93, 25 octobre 2012).

36 .     Elle constate que les parties s ' accordent pour dire qu ' il y a eu une «   privation   » de propriété au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de l ' article 1 du Protocole n o 1.

37 .     Elle doit donc rechercher si la privation dénoncée se justifie sous l ' angle de cette disposition.

b)     Sur le respect du principe de légalité

38 .     La Cour rappelle que l ' article 1 du Protocole n o   1 exige, avant tout et surtout, qu ' une ingérence de l ' autorité publique dans la jouissance du droit au respect de s biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article n ' autorise une privation de propriété que «   dans les conditions prévues par la loi   »   ; le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer l ' usage des biens en mettant en vigueur des «   lois   ». De plus, la prééminence du droit, l ' un des principes fondamentaux d ' une société démocratique, est inhérente à l ' ensemble des articles de la Convention ( Amuur c. France , 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1996 - III, et Iatridis , précité, § 58).

39 .     La Cour renvoie ensuite à sa jurisprudence en matière d ' expropriation indirecte (voir, parmi d ' autres, Belvedere Alberghiera S.r.l. c.   Italie , n o 31524/96, CEDH 2000-VI ) pour une récapitulation des principes pertinents, notamment sur la question du respect du principe de légalité dans ce type d ' affaires.

40 .     Dans la présente affaire, la Cour relève qu e, en appliquant le principe de l ' expropriation indirecte, les juridictions internes ont considéré que le requérant avait été privé de son bien par l ' effet de la transformation irréversible de celui-ci . Or elle estime qu ' e n l ' absence d ' un acte formel d ' expropriation cette situation ne saurait passer p o ur «   prévisible   » . En effet, ce n ' est que par la décision judiciaire définitive que le principe de l ' expropriation indirecte a été effectivement appliqué et que le transfert de propriété du terrain au bénéfice des pouvoirs publics a été entériné .

41 .     La Cour observe ensuite que la situation en cause a permis à l ' administration de tirer parti d ' une occupation de terrain illégale. En d ' autres termes, l ' administration a pu s ' approprier le terrain au mépris des règles d ' expropriation et, entre autres, sans accorder d ' indemnité à l ' intéressé .

42 .     À la lumière de ces considérations, la Cour estime que l ' atteinte litigieuse n ' est pas compatible avec le principe de légalité et qu ' elle a donc emporté violation du droit du requérant au respect de se s biens.

43 .     Dès lors, elle conclut qu ' il y a eu violation de l ' article 1 du Protocole   n o 1.

II .     SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ' ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

44 .     Le requérant allègue que la procédure civile a connu une durée excessive et que le redressement qu ' il a obtenu dans le cadre du recours «   Pinto   » est insuffisant .

45 .     L ' article 6 § 1, en ses passages pertinents en l ' espèce , est ainsi libellé   :

«   Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...)   »

46 .     Le Gouvernement conteste cette thèse.

A.     Sur la recevabilité

1.     Sur le n on-épuisement des voies de recours internes

47 .     Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes. Il indique que le requérant ne s ' est pas pourvu en cassation contre la décision de la cour d ' appel de Rome.

48 .     L a Cour relève que la décision de la cour d ' appel de Rome est devenue définitive le 24 juin 2003 . À la lumière de sa jurisprudence ( Di   Sante c.   Italie (déc.), n o 56079/00, 24 juin 2004 ), elle considère que le requérant était dispensé d ' utiliser la voie de la cassation, qui n ' a acquis un degré de certitude juridique suffisant qu ' à compter du 26 juillet 2004.

49 .     Il s ' ensuit que l ' exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenu e .

2.     Sur la q ualité de victime

50 .     Le Gouvernement argue que le requérant ne peut plus se prétendre «   victime   » d ' une violation de l ' article 6 § 1, la cour d ' appel de Rome a yant constat é une violation et fourni à l ' intéressé un redressement approprié et suffisant au regard de l ' enjeu du litige .

51 .     Le requérant soutient que l ' exception soulevée par le Gouvernement doit être rejetée, estimant que le montant accordé par la cour d ' appel ne permet pas de considérer le redressement offert en l ' occurrence comme suffisant pour la réparation de la violation alléguée.

52 .     La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle il lui appartient de vérifier, d ' une part, s ' il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d ' une violation d ' un droit protégé par la Convention et, d ' autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant ( Cocchiarella, précité, § 84) .

53 .     En l ' espèce, l a première condition, à savoir le constat par les autorités nationales d ' une violation, ne prête pas à controverse puisque la cour d ' appel de Rome a expressément constaté une violation .

54 .     Quant à la seconde condition, la Cour renvoie à l ' arrêt Cocchiarella (précité, §§ 86-107) en ce qui concerne les caractéristiques que doit présenter un recours interne pour fournir un redressement approprié et suffisant . Elle rappelle que , pour évaluer le montant de l ' indemnité allouée par la juridiction nationale , elle examine, sur la base des éléments dont elle dispose, la somme qu ' elle aurait accordé e dans la même situation pour la période prise en considération par la juridiction interne.

55 .     En l ' espèce, l a Cour estime qu ' en n ' octroy ant au requérant qu ' une somme de 600   EUR pour dommage moral, la cour d ' appel de Rome n ' a pas réparé la violation en cause de manière appropriée et suffisante. Se référant aux principes qui se dégagent de sa jurisprudence (voir, entre autres , Cocchiarella , précité, §§ 69-98), la Cour relève en effet que la somme en question ne représente guère plus de 15   % du montant qu ' elle octroie généralement dans des affaires similaires dirigé e s contre l ' Italie.

56 .     Au vu de ce qui précède et eu égard à l ' insuffisance du redressement fourni , la Cour considère que le requérant peut toujours se prétendre «   victime   » au sens de l ' article 34 de la Convention.

57 .     La Cour constate que ce grief n ' est pas manifestement mal fondé au sens de l ' article 35 § 3 de la Convention et qu ' il ne se heurte à aucun autre motif d ' irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.     Sur le fond

58 .     La Cour constate que la procédure principale, qui a débuté le 27   mars 1992 pour se terminer le 15 octobre 2002 , a duré plus de dix ans pour un degré de juridiction.

59 .     La Cour a traité à maintes reprises de requêtes soulevant des questions semblables à celle du cas d ' espèce et , eu égard aux critères qui se dégagent de sa jurisprudence bien établie en la matière (voir, en premier lieu, Cocchiarella , précité), a constaté une méconnaissance de l ' exigence du «   délai raisonnable   » . N ' apercevant rien qui puisse l ' amener à une conclusion différente dans la présente affaire, la Cour estime qu ' il y a lieu de conclure à la violation de l ' article 6 § 1.

III.     SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ' ARTICLE 13 DE LA CONVENTION À RAISON D ' UN MANQUE D ' EFF ECTIVIT É DU RECOURS PRÉVU PAR LA «   LOI PINTO   »

60 .     Invoquant l ' article 13, le requérant soutient que le montant de l ' indemnité qui lui a été allouée était insuffisant et que le recours introduit par la loi «   Pinto   » était donc ineffectif .

61 .     Eu égard à la jurisprudence Delle Cave et Corrado c.   Italie ( n o   14626/03, § 43-46, 5 juin 2007 ) , et Simaldone c. Italie ( n o   22644/03, §   71-72, 31 mars 2009), la Cour estime qu ' en l ' espèce l ' insuffisance de l ' indemnisation ne remet pas en cause l ' effectivité d u recours «   Pinto   » .

62 .     Partant, il y a lieu de déclarer ce grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement au sens de l ' article 35 §§ 3a) et 4 de la Convention.

IV .     SUR L ' APPLICATION DE L ' ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

63 .     Aux termes de l ' article 41 de la Convention,

«   Si la Cour déclare qu ' il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d ' effacer qu ' imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s ' il y a lieu, une satisfaction équitable.   »

A.     Dommage matériel

64 .     Le requérant demande un dédommagement correspondant à la valeu r vénale du terrain en 2004, et non à la date de la perte de propriété. Il chiffre cette prétention à 109   592 EUR . Il sollicite en outre la somme de 350   000   EUR, qu ' il estim e sur la base de la plus-value qu ' aurait apportée l ' ouvrage d ' utilité publique au terrain. Enfin, il demande 212   756,80   EUR pour perte de son activité agricole et 74   160 EUR pour perte de jouissance du terrain.

65 .     Le Gouvernement conteste ces demandes et indique que le requérant a obtenu un dédommagement qui correspond rait à la valeur vénale du terrain et qui serait en conformité avec les critères se dégageant de la jurisprudence de la Cour.

66 .     La Cour rappelle qu ' un arrêt constatant une violation entraîne pour l ' État défendeur l ' obligation de mettre un terme à la violation et d ' en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci ( Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], nº   31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

67 .     Elle rappelle également que , dans l ' affaire Guiso-Gallisay ( précité e , §   105 ) , elle a modifié s a jurisprudence concernant les critères d ' indemnisation dans les affaires d ' expropriation indirecte. En particulier, elle a décidé d ' écarter les prétentions des requérants dans la mesure où elles étaient fondées sur la valeur des terrains à la date de son arrêt et de ne plus tenir compte, pour évaluer le dommage matériel, du coût de construction des immeubles bâtis par l ' État sur les terrains en cause .

68 .     L ' indemnisation doit donc correspondre à la valeur pleine et entière du terrain au moment de la perte de la propriété, telle qu ' établie par l ' expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne. Ensuite, une fois déduit e la somme éventuellement octroyée au niveau national, ce montant doit être actualisé pour compenser les effets de l ' inflation et assorti d ' intérêts susceptibles de compenser, au moins en partie, le long laps de temps qui peut s ' être écoulé depuis la dépossession des terrains (voir aussi paragraphe 29 ci-dessus) .

69 .     En l ' espèce, l a Cour observe que le requérant a reçu au niveau national une somme correspondant à la valeur vénale du terrain, assortie d ' intérêts à compter du 10 mai 1990, date de la prise du l ' arrêté d ' occupation d ' urgence (paragraphe 13 ci-dessus). Toutefois, la Cour constate que les juridictions nationales sont restées en défaut d ' actualiser la somme pour comp enser les effets de l ' inflation . En conséquence , l a Cour estime raisonnable d ' accorder au requérant une somme correspondant à la réévaluation monétaire à partir de la date de la perte de la propriété fixée par le s juridictions internes ( le 10 mai 1990 ) jusqu ' à la date du prononcé d u jugement du tribunal de Bénévent ( le 12 septembre 2002 ) . E lle considère donc qu ' il y a lieu d ' octroyer au requérant 22   55 0 EUR à ce titre.

B.     Dommage moral

70 .     Le requérant demande 179   000 EUR pour préjudice moral.

71 .     Le Gouvernement conteste cette demande.

72 .     La Cour estime que le sentiment d ' impuissance et de frustration que le requérant a dû éprouver face à la dépossession illégale de son bien ainsi que l a durée excessive de la procédure lui ont causé un préjudice moral qu ' il y a lieu de réparer de manière adéquate.

73 .     Se référant à s a jurisprudence ( Messana , précité , et Cocchiarella , précité) et statuant en équité, la Cour alloue au requérant 6   500 EUR pour préjudice moral.

C .     Frais et dépens

74 .     Le requérant demande également 141   355,54 EUR pour les frais et dépens qu ' il aurait engagés devant les juridictions nationales et devant la Cour .

75 .     Le Gouvernement conteste cette demande et estime que le montant réclamé est excessif.

76 .     La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux ( Can et autres c. Turquie , n o 29189/02, § 22, 24 janvier 2008).

77 .     En l ' espèce, l a Cour note que le requérant a déjà obtenu de la cour d ' appel de Naples le remboursement des frais de procédure engagés devant les juridictions internes (paragraphe 17 ci-dessus). La Cour ne doute pas de la nécessité d ' engager des frais, mais elle trouve excessif le total des honoraires revendiqué à ce titre. Elle considère dès lors qu ' il n ' y a lieu de les rembourser qu ' en partie.

78 .     Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour juge raisonnable d ' allouer un montant de 7   000 EUR pour l ' ensemble de s frais exposés.

D .     Intérêts moratoires

79 .     La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d ' intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR , À L ' UNANIMITÉ,

1.     Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l ' article 1 du Protocole n o 1 et de l ' article 6 § 1 de la Convention , et irrecevable pour le surplus   ;

 

2 .     Dit qu ' il y a eu violation de l ' article 1 du Protocole n o 1 à la Convention   ;

 

3 .     Dit qu ' il y a eu violation de l ' article 6 § 1 de la Convention   ;

 

4 .     Dit

a)     que l ' État défendeur doit verser au requérant , dans les trois mois, les sommes suivantes   :

i .     22   550 EUR ( vingt-deux mille cinq cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d ' impôt sur cette somme , pour dommage matériel   ;

ii .     6   500 EUR ( six mille cinq cent s euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d ' impôt sur cette somme , pour dommage moral   ;

iii .     7   000 EUR ( sept mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d ' impôt sur cette somme , pour frais et dépens   ;

b)     qu ' à compter de l ' expiration dudit délai et jusqu ' au versement, ces montants seront à majorer d ' un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage   ;

 

5 .     Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 6 juin 2019 , en application de l ' article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour .

              Renata Degener Aleš Pejchal
              Greffière adjointe Président


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