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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BADOIU v. ROMANIA - 5365/16 (Judgment : Article 3 - Prohibition of torture : Fourth Section Committee) French Text [2019] ECHR 489 (25 June 2019) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/489.html Cite as: [2019] ECHR 489 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE BĂDOIU c. ROUMANIE
( Requête n o 5365/16 )
ARRÊT
STRASBOURG
25 juin 2019
Cet arrêt est définitif . Il peut subir des retouches de forme.
En l ' affaire Bădoiu c. Roumanie ,
La Cour européenne des droits de l ' homme ( quatrième section ), siégeant en un comité composé de :
Faris Vehabović,
président,
Iulia Antoanella Motoc,
Péter Paczolay,
juges,
et de
Andrea Tamietti
,
greffier adjoint
d
e section
,
PROCÉDURE
1. À l ' origine de l ' affaire se trouve une requête (n o 5365/16) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. George Vichente Bădoiu (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 janvier 2016 en vertu de l ' article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l ' homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Le requérant a été représenté par M e F. David, avocat à Arad. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, M me C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères. 3. Le 24 février 2016 , les griefs formulés par le requérant sous l ' angle de l ' article 3 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l ' article 54 § 3 du règlement de la Cour.EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L ' ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1983 et réside à Arad.A. Le contrôle de police
5. Le 8 novembre 2010 vers 23 heures, alors que le requérant se trouvait sur la voie publique en compagnie de plusieurs amis, une voiture de patrouille de la police s ' arrêta à proximité de leur groupe et une équipe formée de trois policiers procéda à un contrôle d ' identité. 6. Les versions du Gouvernement et du requérant divergent quant aux circonstances du contrôle.1. La version du Gouvernement
7 . Le Gouvernement affirme que le requérant avait consommé de l ' alcool, qu ' il avait refusé de se soumettre au contrôle et qu ' il avait eu une attitude provocatrice et violente à l ' égard des policiers. Selon le Gouvernement, les policiers avaient été obligés d ' employer la force et de menotter le requérant pour le faire monter dans leur voiture et l ' amener au poste de police en vue de son identification. Au cours du transport, le requérant n ' aurait subi aucune violence.
8 . Après son arrivée au poste de police, le requérant se serait jeté par terre et frappé la tête contre le grillage métallique de la porte d ' entrée. Ce ne serait qu ' ensuite qu ' il aurait présenté sa carte d ' identité. Les policiers auraient dressé un procès-verbal de contravention pour refus d ' obtempérer et auraient alors relâché le requérant. Celui-ci aurait quitté seul le poste.
2. La version du requérant
9. Le requérant affirme qu ' il n ' avait pas consommé d ' alcool et que le groupe d ' amis négociait la vente d ' une voiture. Il indique qu ' il ne s ' opposa pas au contrôle et reconnaît que, alors qu ' il attendait son tour pour présenter sa carte d ' identité, il avait voulu faire une blague et avait apposé un autocollant sur la voiture de la police, ce qui aurait déclenché la colère des policiers.10 . Il ne se serait pas montré violent à l ' égard des policiers. Il aurait montré sa pièce d ' identité et serait ensuite monté sans opposition dans la voiture de police. L ' agression aurait eu lieu dans la voiture de police, où les policiers l ' auraient frappé à la tête, et se serait poursuivie au poste de police, où les trois policiers lui auraient donné des coups de poing, de pied et de bâton pendant environ dix minutes. Il aurait réussi à répondre à l ' appel téléphonique d ' un ami, I.V.V., et l ' agression aurait alors pris fin. Cet ami serait ensuite venu le chercher au poste de police.
3. Le procès-verbal d ' intervention
11 . Les policiers rédigèrent le 9 novembre 2010 un procès-verbal d ' intervention. Il y était indiqué que le contrôle avait eu lieu à 0 h 30 et qu ' à cette occasion le requérant avait refusé de présenter sa carte d ' identité, qu ' il était devenu violent et avait agressé un policier. Les policiers auraient été contraints d ' employer la force pour menotter le requérant et le faire monter dans leur voiture. À leur arrivée au poste de police, les policiers auraient procédé à son identification et lui auraient infligé une amende pour refus de se soumettre au contrôle.
B. Les documents médicaux
12. Après avoir quitté le poste de police, le requérant et I.V.V. retournèrent dans la rue où le contrôle avait eu lieu. Le requérant appela le 112, le centre d ' appels d ' urgence. 13. Les ambulanciers dépêchés sur place le prirent en charge, lui prodiguèrent les premiers soins et le transportèrent au service d ' urgences de l ' hôpital départemental. Le requérant y fut admis à 0 h 29. Le lendemain, il fut transféré au service de neurochirurgie de l ' hôpital.14 . Le requérant demeura hospitalisé jusqu ' au 11 novembre 2010. Il subit des examens médicaux, qui permirent de constater qu ' il souffrait d ' un traumatisme crânien, de contusions au thorax, au dos, au pelvis et au visage, notamment au front, aux mâchoires, aux dents et au menton, qu ' il présentait en outre des ecchymoses sur les mains, les bras, les cuisses et les vertèbres, et qu ' il avait à la langue une plaie qui était infectée.
15 . Le 12 novembre 2010, le requérant fut examiné par un médecin légiste. Celui-ci rédigea un rapport, qui mentionnait 17 plaies et ecchymoses qui avaient été causées le 8 novembre 2010 par des coups portés avec ou contre des objets durs. Il estima que les blessures nécessitaient huit ou neuf jours de soins.
16 . Les 15 et 16 novembre 2010, des examens d ' Oto-rhino-laryngologie (« ORL ») permirent d ' identifier une plaie au conduit auditif, sans lésion du tympan.
C. Les procédures judiciaires
1. La plainte pénale pour violences
17. Le requérant porta plainte contre les trois policiers qui auraient commis l ' agression. 18. La police judiciaire interrogea le requérant, sa mère, les policiers mis en cause, les amis du requérant et un témoin, H.A.N., qui affirma avoir été présent à proximité du lieu où la police avait procédé au contrôle d ' identité.19 . Le 6 décembre 2010, les policiers déclarèrent que le requérant avait refusé de présenter sa carte d ' identité lors du contrôle de police. Selon eux, l ' intéressé s ' était montré « coopératif » pour monter dans leur voiture. Pendant le trajet vers le poste de police, il serait néanmoins devenu violent et, une fois arrivé, il aurait agressé un policier devant le poste de police. Les policiers auraient employé la force pour maîtriser et menotter le requérant, qui aurait ensuite accepté de présenter sa carte d ' identité. Ils auraient infligé une amende contraventionnelle au requérant et l ' auraient relâché.
20 . Le témoin H.A.N. affirma que lors du contrôle le requérant avait agressé un policier et qu ' il avait été menotté avant de monter dans la voiture de police.
21 . Le requérant et ses amis nièrent toute violence à l ' égard des policiers. Le requérant contesta également la présence de H.A.N. sur les lieux du contrôle et accusa ce dernier d ' avoir livré un faux témoignage à l ' instigation des policiers. Le témoin I.V.V., qui affirmait être venu chercher le requérant au poste de police, déclara qu ' il avait vu des taches de sang dans une pièce du poste de police et sur les vêtements et le visage du requérant.
22 . Interrogés une deuxième fois par la police judiciaire le 14 janvier 2011, les policiers réitérèrent la version des faits qu ' ils avaient présentée dans leurs premières déclarations (paragraphe 19 ci-dessus). Le 26 janvier 2011, ils maintinrent de nouveau leurs déclarations.
23 . Le parquet près le tribunal d ' Arad ouvrit des poursuites contre les policiers et ordonna la réalisation de deux expertises médicolégales aux fins de l ' établissement du nombre de jours de soins nécessaires et de la cause des blessures. Les deux expertises réalisées par l ' institut de médecine légale d ' Arad et par celui de Timisoara le 14 septembre 2012 et le 16 juin 2013 respectivement confirmèrent les conclusions du premier examen médicolégal du 12 novembre 2010 (paragraphe 15 ci-dessus), à savoir que les blessures du requérant avaient nécessité huit ou neuf jours de soins et qu ' elles avaient été provoquées par des coups portés avec ou contre des objets durs.
24 . Le 5 septembre 2012, le parquet interrogea les policiers. Ceux-ci présentèrent une autre version des faits. Ils affirmèrent que le requérant était devenu violent et qu ' il avait agressé un policier lors du contrôle, ce qui les aurait obligés à le menotter pour le faire monter dans leur voiture et l ' amener au poste de police. Ils déclarèrent qu ' à l ' arrivée au poste le requérant s ' était arraché des bras des deux policiers qui essayaient de le maîtriser, qu ' il s ' était jeté par terre et qu ' ensuite il s ' était plusieurs fois cogné volontairement la tête contre le grillage métallique de la porte d ' entrée du poste de police.
25
.
Le 20 janvier 2014, les policiers réitérèrent devant le parquet leurs déclarations du 5 septembre 2012. Ils ajoutèrent que le requérant avait saigné au poste de police en raison des blessures qu
'
il s
'
était infligées
lui-même.
26 . Le 22 janvier 2014, le parquet classa la plainte au motif que les blessures du requérant résultaient d ' un emploi justifié et proportionné de la force, ainsi que d ' actes d ' auto-agression. Sur contestation du requérant, le tribunal d ' Arad et la cour d ' appel de Timisoara ordonnèrent la réouverture de l ' enquête. Ces juridictions estimèrent que l ' enquête n ' avait pas satisfait aux critères de l ' article 3 de la Convention.
27 . Le dossier fut alors transféré au parquet militaire de Timisoara au motif qu ' un des trois policiers avait le statut de militaire. Le parquet militaire interrogea à nouveau les trois policiers, qui réitérèrent leurs déclarations du 5 septembre 2012 (paragraphe 24 ci-dessus). Le 30 avril 2015, le parquet militaire classa la plainte.
28 . Le parquet militaire estima que les blessures avaient été occasionnées au cours du contrôle d ' identité, mais il considéra que les policiers avaient utilisé une force proportionnée au comportement violent du requérant. Il estima également que certaines blessures avaient été causées par auto-agression. Le 14 septembre 2015, le tribunal d ' Arad rejeta la contestation du requérant.
2. La plainte pénale déposée contre les policiers pour faux en écriture
29. Le requérant porta plainte contre les trois policiers, qu ' il accusait de subornation du témoin H.A.N. (paragraphes 20-21 ci-dessus) et de présentation de faits controuvés dans le procès-verbal d ' intervention. 30. Le 10 octobre 2014, le parquet militaire de Timisoara classa la plainte sans suite. La contestation du requérant fut rejetée par le tribunal d ' Arad.3. La contestation de l ' amende contraventionnelle infligée pour refus de se soumettre au contrôle d ' identité
31. Le 8 novembre 2010, les policiers infligèrent au requérant une amende de 100 lei roumains (RON - environ 20 euros (EUR) à l ' époque des faits) pour refus de se soumettre au contrôle d ' identité.32 . Par un jugement devenu définitif le 11 avril 2011, le tribunal de première instance d ' Arad accueillit la contestation du requérant et annula l ' amende. Il estima que le requérant avait été victime de mauvais traitements de la part des policiers, alors qu ' il ne s ' était pas soustrait au contrôle et qu ' il leur avait présenté sa pièce d ' identité.
4. La contestation de l ' amende pénale infligée pour outrage aux forces de l ' ordre
33. Le parquet infligea au requérant une amende pénale de 300 RON (environ 60 EUR à l ' époque des faits) pour outrage aux forces de l ' ordre commis lors du contrôle du 8 novembre 2010. 34. Par un jugement devenu définitif le 28 mars 2012, le tribunal de première instance d ' Arad rejeta la contestation du requérant. Il estima qu ' il ressortait des pièces du dossier que le requérant avait adressé des injures aux policiers.EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L ' ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
35. Le requérant se plaint d ' avoir été soumis à des mauvais traitements lors du contrôle de police du 8 novembre 2010. Il allègue également que les autorités internes n ' ont pas conduit une enquête effective sur ses allégations de mauvais traitements. Il invoque l ' article 3 de la Convention, ainsi libellé :« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
36. Constatant que la requête n ' est pas manifestement mal fondée au sens de l ' article 35 § 3 a) de la Convention et qu ' elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d ' irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.B. Sur le fond
1. Sur les allégations de mauvais traitements
a) Arguments des parties
37. Le Gouvernement renvoie aux conclusions de l ' enquête interne, qui aurait établi que les policiers avaient utilisé une force proportionnée au comportement violent du requérant et que certaines blessures avaient été causées par auto-agression. 38. Le requérant maintient avoir été maltraité dans la voiture de police ainsi qu ' au poste de police lors du contrôle d ' identité. Il expose les contradictions qui, selon lui, entachaient la version des faits présentée par les policiers.b) Appréciation de la Cour
39. La Cour renvoie aux principes généraux applicables quant au volet matériel de l ' article 3 de la Convention, qu ' elle a réitérés dans l ' arrêt Bouyid c. Belgique ([GC], n o 23380/09, §§ 81-90, CEDH 2015). Elle rappelle plus particulièrement que lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure survenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions de fait. La charge de la preuve pèse alors sur le Gouvernement : il lui incombe de fournir une explication satisfaisante et convaincante en produisant des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur le récit de la victime. En l ' absence d ' une telle explication, la Cour est en droit de tirer des conclusions pouvant être défavorables au Gouvernement. Cela est justifié par le fait que les personnes placées en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et que les autorités ont le devoir de les protéger ( Bouyid , précité, § 83). 40. En l ' espèce, la Cour constate d ' abord qu ' il ressort des documents médicaux versés au dossier que, le 8 novembre 2010, le requérant a subi des blessures qui ont nécessité huit ou neuf jours de soins médicaux (paragraphes 15 et 23 ci-dessus). Il ne fait pas de doute que ces blessures étaient d ' une gravité suffisante pour tomber sous le coup de l ' article 3 de la Convention. 41. La Cour note ensuite que les parties sont en désaccord quant à l ' origine de ces blessures. Le requérant accuse les policiers d ' avoir employé la force à son égard, sans aucune justification. Le Gouvernement soutient quant à lui qu ' une partie des lésions ont été occasionnées par les policiers à la suite d ' un usage de la force qui, selon lui, était nécessaire et proportionné eu égard au comportement violent du requérant. De surcroît, d ' après le Gouvernement, le requérant s ' est ensuite infligé lui-même d ' autres blessures (paragraphes 7-8 et 10 ci-dessus). 42. En ce qui concerne l ' argument selon lequel le requérant a eu un comportement violent, la Cour note que, dans leurs premières déclarations, en date du 6 décembre 2010 (paragraphe 19 ci-dessus), qui ont ensuite été réitérées les 14 et 26 janvier 2011 (paragraphe 22 ci-dessus), les policiers indiquèrent que l ' intéressé s ' était montré « coopératif » et qu ' ils n ' avaient employé ni la force ni les menottes pour le faire monter dans leur voiture. 43. La Cour observe que le rapport d ' incident donne des faits une description différente dont il ressort que le requérant était devenu violent pendant le contrôle (paragraphe 11 ci-dessus). Elle note que les policiers eux-mêmes modifièrent leurs déclarations le 5 septembre 2012 et qu ' ils déclarèrent qu ' ils avaient menotté le requérant pour le faire monter dans leur voiture (paragraphe 24 ci - dessus). Néanmoins, à supposer même qu ' il fût nécessaire d ' utiliser la force pour maîtriser le requérant et le conduire au poste de police, la Cour estime que les multiples traumatismes et lésions présents sur tout le corps du requérant n ' étaient pas compatibles avec des simples mesures d ' immobilisation. À cet égard, elle note que, selon le certificat médicolégal versé au dossier, ces blessures ont été infligées par des coups répétés portés avec ou contre des corps durs (paragraphes 14, 15 et 16 ci - dessus). 44. La Cour note ensuite que les policiers ont affirmé que le requérant s ' était livré à des actes d ' automutilation au poste de police. Il se serait jeté de façon répétée à terre et contre le grillage métallique de la porte d ' entrée du poste de police, et il se serait ainsi infligé lui-même certaines blessures (paragraphe 24 ci-dessus). 45. La Cour émet de sérieux doutes quant à la fiabilité de ces déclarations. Elle constate que dans leurs déclarations initiales du 6 décembre 2010, réitérées les 14 et 26 janvier 2011, les policiers n ' ont nullement fait état d ' actes d ' auto-agression (paragraphes 19 et 22 ci-dessus). 46. La Cour note de surcroît que le procès-verbal d ' incident ne comportait aucune indication sur les circonstances dans lesquelles le requérant, qui se trouvait menotté et sous le contrôle des policiers dans les locaux de la police, se serait infligé lui-même ces blessures, ni aucune description, fût-elle sommaire, des blessures occasionnées (paragraphe 11 ci-dessus). 47. À cet égard, elle réitère l ' importance de consigner par écrit toutes les informations permettant d ' éclairer ultérieurement, en cas de besoin, les circonstances relatives à la présence de personnes au poste de police, telles que les blessures visibles sur la personne appréhendée, et de fournir une explication plausible de ce qui s ' est passé dans les locaux de la police . La non-consignation de ces informations s ' analyse en une défaillance grave, de nature à permettre aux forces de police d ' échapper à leur responsabilité en ce qui concerne le sort de la personne se trouvant sous leur contrôle (voir, mutatis mutandis , Iambor c. Roumanie (n o 1), n o 64536/01, § 168, 24 juin 2008, et Timurtaş c. Turquie , n o 23531/94, § 105, CEDH 2000 - VI). En l ' occurrence, cette défaillance était d ' autant plus grave que les policiers auraient constaté que le requérant était blessé et qu ' il saignait (paragraphe 25 ci-dessus). 48. À la lumière de ce qui précède, la Cour constate que le requérant a été blessé alors qu ' il se trouvait totalement sous le contrôle des policiers, et que le Gouvernement n ' a fourni aucune explication plausible à ce sujet. Ce constat suffit pour permettre à la Cour de conclure que la responsabilité de l ' État se trouve engagée. 49. Partant, il y a eu violation de l ' article 3 de la Convention sous son volet matériel.2. Sur l ' allégation d ' insuffisance de l ' enquête
a) Arguments des parties
50. Le Gouvernement considère que les autorités internes ont mené une enquête effective sur les allégations du requérant. 51. Le requérant estime quant à lui que l ' enquête pénale n ' a pas été effective.b) Appréciation de la Cour
52. S ' agissant de l ' obligation pour les autorités nationales d ' ouvrir une enquête et de mener des investigations effectives, la Cour se réfère aux principes qui se dégagent de sa jurisprudence ( El-Masri c. l ' ex - République yougoslave de Macédoine [GC], n o 39630/09, §§ 182-185, CEDH 2012 ; Bouyid , précité, §§ 115-123 ; et Alpar c. Turquie , n o 22643/07, §§ 44 - 47, 26 janvier 2016). 53. En l ' espèce, il n ' est pas contesté que les allégations de mauvais traitements étaient « défendables » au sens de la jurisprudence précitée. Une enquête ayant bien eu lieu dans la présente affaire, il reste à apprécier son caractère effectif.54 . La Cour constate que le 22 janvier 2014 le parquet a mis fin à l ' enquête en décidant de classer la plainte du requérant sans suite (paragraphe 26 ci-dessus). Elle note que, ce faisant, le parquet a pris en compte la thèse avancée par les policiers selon laquelle les blessures du requérant résultaient d ' un emploi justifié et proportionné de la force ainsi que d ' actes d ' auto-agression.
55. La Cour note d ' emblée que le parquet ne s ' est pas penché sur le fait que les policiers avaient modifié leurs déclarations, alors même qu ' aucune explication n ' avait été fournie pour justifier ces modifications. Elle relève qu ' au cours des premiers interrogatoires les policiers affirmèrent que le requérant avait été « coopératif » (paragraphe 19 ci-dessus), qu ' ils modifièrent leurs déclarations un an et dix mois après les faits et, surtout, qu ' ils invoquèrent pour la première fois l ' argument de l ' auto-agression, laquelle, selon eux, était à l ' origine des nombreuses blessures constatées (paragraphe 24 ci-dessus). 56. La Cour note également que les experts désignés dans le cadre des deux expertises ordonnées par le parquet n ' ont pas procédé à un examen médical approfondi des blessures, mais qu ' ils ont simplement confirmé les conclusions du certificat médicolégal produit par le requérant (paragraphe 23 ci-dessus). Or un examen de chaque lésion, plaie, hématome, ecchymose et contusion constatés sur le corps du requérant aurait pu être déterminant pour accréditer les dires des policiers concernant le lien de causalité entre, d ' une part, ces blessures et, d ' autre part, les manœuvres d ' immobilisation et les actes d ' auto-agression allégués, ce qui aurait donné davantage de poids au classement de la plainte. 57. Enfin, la Cour observe que le tribunal d ' Arad et la cour d ' appel de Timisoara ont estimé que l ' enquête du parquet qui avait abouti à l ' ordonnance de classement du 22 janvier 2014 ne répondait pas aux exigences de l ' article 3 de la Convention (paragraphe 26 ci-dessus). De surcroît, le tribunal d ' Arad jugea que le requérant avait été victime de mauvais traitements de la part des policiers (paragraphe 32 ci-dessus). 58. Cependant, malgré ces décisions judiciaires et les contradictions évidentes entre les deux versions des faits présentées par les policiers, le parquet militaire se borna à interroger à nouveau les trois policiers, qui réitérèrent simplement leurs déclarations du 5 septembre 2012 (paragraphe 27 ci-dessus), sans essayer d ' obtenir de nouvelles preuves relatives aux faits en question, le cas échéant, au moyen d ' une reconstitution des faits ou d ' une confrontation de tous les protagonistes de l ' affaire. Sur la base de ces seules déclarations, le parquet militaire décida de ne pas rouvrir l ' enquête et classa la plainte une seconde fois (paragraphe 27 ci-dessus). 59. Au vu de ces défaillances, qui étaient exclusivement imputables aux autorités d ' enquête, la Cour estime que celles-ci n ' ont pas établi de manière suffisamment précise les faits qui se sont déroulés lors du contrôle de police et au poste de police afin d ' identifier l ' origine et les responsables des blessures litigieuses. 60. Par conséquent, la Cour juge qu ' il y a eu violation de l ' article 3 de la Convention sous son volet procédural.II. SUR L ' APPLICATION DE L ' ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
61. Aux termes de l ' article 41 de la Convention,« Si la Cour déclare qu ' il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d ' effacer qu ' imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s ' il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
62. Le requérant réclame 13 317 RON pour préjudice matériel. Il réclame également 30 000 euros (EUR) pour préjudice moral. 63. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il indique que la somme sollicitée pour préjudice matériel représente des frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Pour ce qui est du préjudice moral, il estime que la somme réclamée est excessive au regard de la jurisprudence de la Cour en la matière. 64. La Cour relève que la quasi-totalité de la somme réclamée pour préjudice matériel se rapporte aux frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Elle se penchera donc sur le caractère raisonnable de cette somme dans partie du présent arrêt dédiée aux frais et dépenses. Le requérant réclame également 150 RON pour des soins de physiothérapie qu ' il dit avoir reçus en 2012. La Cour note que le requérant fournit seulement une quittance attestant du paiement des soins de physiothérapie, sans préciser la nature des soins ou l ' éventuel lien avec les blessures infligées le 8 novembre 2010. Dès lors, la Cour n ' aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et ces soins. 65. Au vu des documents versés au dossier, la Cour estime qu ' aucune somme ne saurait être allouée au requérant pour un préjudice matériel qu ' il aurait subi en liaison directe avec la violation constatée de l ' article 3 de la Convention. En revanche, elle considère qu ' il y a lieu d ' octroyer au requérant 19 500 EUR pour préjudice moral.B. Frais et dépens
66. Le requérant demande 13 000 RON (environ 2 700 EUR) pour les frais de représentation par un avocat qu ' il affirme avoir engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Il sollicite également le remboursement de 63 RON, somme qui correspondrait au coût d ' une expertise médicolégale. Il demande de surcroît 56 RON pour les frais de correspondance avec la Cour et 42 RON pour les frais de photocopie. Il produit des justificatifs pour tous ces frais. 67. Le Gouvernement demande à la Cour d ' analyser le caractère raisonnable de ces frais, notamment des honoraires d ' avocat, dans la mesure où les justificatifs fournis n ' incluraient pas de récapitulatif des heures de travail facturées. 68. Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d ' accorder au requérant, tous frais confondus, la somme de 2 000 EUR.C. Intérêts moratoires
69. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d ' intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L ' UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu ' il y a eu violation de l ' article 3 de la Convention sous son volet matériel ;
3. Dit qu ' il y a eu violation de l ' article 3 de la Convention sous son volet procédural ;
4. Dit
a) que l ' État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l ' État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
i. 19 500 EUR (dix-neuf mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d ' impôt sur cette somme, pour dommage moral ;
ii. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d ' impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;
b) qu ' à compter de l ' expiration dudit délai et jusqu ' au versement, ces montants seront à majorer d ' un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 juin 2019 , en application de l ' article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Andrea Tamietti
Faris Vehabović
Greffier adjoint
Président