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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> M.D. v. FRANCE - 50376/13 (Judgment : No Article 3 - Prohibition of torture : Fifth Section) French Text [2019] ECHR 721 (10 October 2019) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/721.html Cite as: [2019] ECHR 721 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE M.D. c. FRANCE
(Requête no 50376/13)
ARRÊT
STRASBOURG
10 octobre 2019
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire M.D. c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Angelika Nußberger,
présidente,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Lәtif Hüseynov, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 septembre 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50376/13) dirigée contre la République française et dont un ressortissant guinéen, M. M.D. (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 août 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).
2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me F. Pollono, avocate à Nantes. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
3. Le requérant allègue en particulier qu’il y a eu en sa cause violation de l’article 3 de la Convention en raison de son abandon par les autorités françaises dans une situation matérielle précaire alors qu’il était un mineur isolé étranger.
4. Le 6 août 2013, le requérant a déposé une demande d’application de l’article 39 du règlement de la Cour. Il demandait à être protégé en tant que mineur isolé étranger, afin notamment de permettre son hospitalisation pour subir une intervention chirurgicale. Le 8 août 2013, la Cour a décidé de ne pas indiquer au Gouvernement les mesures provisoires sollicitées.
5. Le même jour, la requête a été communiquée au Gouvernement. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l’affaire.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Le requérant est un ressortissant guinéen, originaire de Conakry. Arrivé en France le 23 septembre 2012, le requérant se présenta le lendemain à la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile (AIDA), afin de solliciter l’asile. Le requérant se déclarant né le 15 octobre 1996 et donc mineur, l’AIDA saisit immédiatement le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes (ci-après le tribunal de grande instance), qui fit procéder à des tests osseux. Le 25 septembre 2012, ces tests conclurent que le requérant était majeur et âgé de dix-neuf ans.
7. Le requérant saisit parallèlement les juridictions judiciaires pour obtenir des mesures de protection liées à son état de minorité. Par une ordonnance du 28 septembre 2012, le juge des tutelles du tribunal de grande instance, le considérant mineur, ouvrit à son bénéfice une tutelle d’État. Le requérant fut en conséquence pris en charge par les autorités françaises du 28 septembre 2012 au 4 juin 2013. À cette date, la cour d’appel de Rennes (ci-après la cour d’appel), sur appel du président du Conseil général de Loire-Atlantique (ci-après le président du Conseil général), infirma l’ordonnance, jugeant le requérant majeur. De ce fait, les mesures de protection et de prise du charge du requérant prirent fin.
8. Parallèlement, le 25 septembre 2012, le préfet de Loire-Atlantique (ci‑après le préfet), prenant acte des conclusions des tests osseux subis par le requérant, prit à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai de départ volontaire. Le requérant exerça un recours contre cet arrêté devant les juridictions administratives.
9. À compter du 4 juin 2013, le requérant engagea des démarches auprès des autorités guinéennes pour, dans un premier temps, faire authentifier son acte de naissance puis, dans un second temps, obtenir un passeport. Se prévalant de ces pièces, il poursuivit certains de ses recours devant les juridictions judiciaires comme administratives et en exerça de nouveaux (voir paragraphes 10 à 37 ci-dessous). Dans le cadre de ces différentes instances, la délivrance par les autorités guinéennes d’un passeport au requérant le 15 novembre 2013 fut déterminante pour qu’il soit finalement jugé mineur le 31 juillet 2014 (voir paragraphe 22 ci-dessous).
A. Les procédures relatives à la minorité du requérant
1. La demande d’ouverture d’une tutelle d’État
10. Le 26 septembre 2012, le requérant, se prévalant de sa minorité, saisit le juge des tutelles des mineurs du tribunal de grande instance afin qu’il prononce à son égard une mesure de protection. Par ordonnance du 28 septembre suivant, le juge ouvrit à son bénéfice une tutelle d’État, la confia au président du Conseil général et, en raison de l’urgence, ordonna l’exécution provisoire de la décision. L’ordonnance était ainsi rédigée :
« Attendu qu’à l’issue d’un examen médical, il est apparu que [M. D.] présentait un âge osseux de 19 ans ;
Attendu que la fiabilité des tests osseux reste relative s’agissant d’apprécier l’âge à la frontière de la majorité (entre 16 et 18 ans) ; que l’incertitude est moindre au-delà de cet âge ; que par conséquent il n’est pas exclu que [M. D.] soit âgé de 19 ans, ne pouvant bénéficier du régime de tutelle ;
Attendu cependant que l’examen médical ne constitue pas le seul critère d’appréciation déterminant l’âge ; que [M. D.] justifie d’un extrait d’acte de naissance émanant des autorités guinéennes qui mentionne que [M. D.] est né le 15 octobre 1996 et donc âgé de 15 ans ; qu’en l’état, aucun élément ne permet d’établir qu’il s’agisse d’un document falsifié (...) »
11. Pris en charge par le président du Conseil général en qualité de tuteur à compter de cette ordonnance, le requérant intégra en septembre 2012 le lycée professionnel Jules Michelet à Nantes (ci-après le lycée), en première année de certificat d’aptitude professionnelle (CAP) en préparation et réalisation d’ouvrages électriques. Il vécut alors au foyer « At Home », géré par l’association Saint-Benoit Labre, où il partageait un appartement avec un autre mineur sous tutelle.
12. Le 4 octobre 2012, le président du Conseil général fit appel de l’ordonnance du 28 septembre 2012. La prise en charge du requérant se poursuivit pendant l’instruction du dossier par la cour d’appel.
13. Cette dernière infirma l’ordonnance du 28 septembre 2012 par un arrêt du 4 juin 2013 ainsi motivé :
« Dès lors que [M. D.] présente un document d’état civil étranger faisant apparaître sa minorité, cette pièce fait foi jusqu’à preuve du contraire et il appartient au ministère public et au Conseil général qui contestent la validité de ce document, d’en rapporter la preuve contraire.
En l’espèce, [M. D.] se prévaut de deux extraits d’acte de naissance, l’un établi en Guinée et l’autre au consulat de Guinée en France.
Le premier extrait, contesté par le ministère public et par le Conseil général, produit de surcroît en photocopie, n’a pas force probante à défaut de contenir la mention de légalisation.
En effet, une telle formalité est impérative en l’espèce, à défaut de dispense conventionnelle entre la France et la Guinée.
En ce qui concerne le second, il n’a pas davantage de force probante dans la mesure où l’original de l’acte de naissance n’est pas conservé au consulat en France.
L’intéressé produit également la photocopie d’une carte d’identité consulaire obtenue auprès de l’ambassade de Guinée.
Ce document fait foi de la nationalité guinéenne de [M. D.] mais est en revanche insuffisant à établir que les mentions relatives à sa naissance sont authentiques.
En l’absence de document fiable permettant de déterminer l’âge de [M. D.], il convient d’examiner l’expertise osseuse, contestée par l’intéressé au motif d’un prétendu manque de fiabilité. »
La cour d’appel se prononça ensuite sur l’examen médical par lequel le médecin légiste avait déterminé que le requérant était âgé de dix-neuf ans (voir paragraphe 6 ci-dessus). S’appuyant sur le rapport de l’Académie de médecine de janvier 2007, selon lequel cette méthode demeurait la plus simple et la plus fiable et qu’aucune différence raciale n’avait été démontrée, la cour d’appel en déduisit qu’aucun élément n’empêchait de retenir cet examen, qui concluait à la majorité du requérant à cette date, à défaut de production par ce dernier d’actes d’état civil ou d’identité rapportant la preuve de sa minorité ou encore d’observations médicales en sens contraire.
14. La notification de l’arrêt du 4 juin 2013 intervint le 24 juin suivant. Le requérant ne forma pas de pourvoi en cassation.
2. Les procédures diligentées par le requérant postérieurement à la décision de la cour d’appel du 4 juin 2013
15. Le requérant s’adressa à l’ambassade de Guinée pour faire authentifier son acte de naissance et en obtint la légalisation le 3 juillet 2013.
16. Soutenant avoir été expulsé de son appartement du foyer « At Home » le 5 juillet 2013 et être de ce fait sans abri, le requérant saisit la présidente du tribunal d’instance par requête du 9 juillet suivant, pour obtenir l’autorisation d’assigner d’heure à heure le Conseil général afin que soit ordonnée sa réintégration dans cet appartement. Le 11 juillet 2013, la présidente du tribunal lui refusa cette autorisation, au motif qu’un mineur ne pouvait ester seul en justice.
17. Le 23 juillet 2013, le requérant, faisant état de sa situation de mineur isolé étranger, sans domicile ni protection, saisit le juge des enfants du tribunal de grande instance afin qu’il prenne en urgence une mesure de placement. Le requérant soutenait que sa majorité interviendrait le 15 octobre 2014 et se prévalait d’un extrait d’acte de naissance portant au dos la mention « vu pour légalisation » du consulat de la République de Guinée, signé le 3 juillet 2013. Le 6 septembre 2013, le juge rejeta cette demande dans les termes suivants :
« Attendu [que le requérant] ne produit aucune autre pièce officielle portant sa photo (pièce d’identité, ou passeport) ;
Attendu que le juge des enfants a demandé au parquet de bien vouloir faire vérifier par les services compétents de la police de l’air et des frontières l’authenticité de ce document ;
Attendu que par courrier en date du 2 septembre 2013, le défenseur des droits a attiré l’attention du juge des enfants sur la situation de ce jeune homme qui se trouve sans domicile fixe et qui présente un problème de santé nécessitant une intervention chirurgicale ;
Attendu que le procureur de la République, ce jour, communique au juge des enfants le résultat de cette vérification ;
Attendu que le spécialiste en fraude des services de la [police de l’air et des frontières] indique que ce document est clairement un faux, qu’en effet le document présenté est daté du 23 octobre 1996, or le formalisme de ce document n’est plus valable après 1991, qu’il s’agit en conséquence d’un faux sans contestation possible ;
Vu que la cour d’appel de Rennes a statué le 4 juin 2013 en infirmant une ordonnance du juge des tutelles du 18 septembre 2012 et en constatant que l’intéressé était majeur ;
Attendu, qu’en conséquence, il n’y a pas lieu de considérer que le demandeur soit mineur comme il le revendique et qu’il convient donc de se déclarer incompétent au motif qu’il n’est pas mineur. »
18. La cour d’appel rendit le 2 juillet 2014 un arrêt confirmatif, au motif que le requérant ne rapportait pas la preuve de son état de minorité.
3. Les procédures diligentées par le requérant postérieurement à la délivrance, le 15 novembre 2013, d’un passeport par les autorités guinéennes
19. Le 3 juin 2014, le requérant saisit le juge des enfants afin de voir ordonner à son égard une mesure de placement du fait de sa situation de mineur isolé étranger. Il produisit à l’appui de sa requête son passeport guinéen, sa carte d’identité consulaire ainsi qu’un extrait de naissance.
20. Par un jugement du 17 juillet 2014, le juge des enfants fit droit à sa demande et décida de confier le requérant au Conseil général « à compter du 17 octobre 2014 et jusqu’à la majorité de [M. D.] soit le 15 octobre 2014 ». Ce jugement était entaché d’une erreur matérielle, dès lors que la date indiquée pour la prise en charge du requérant était le 17 octobre 2014, postérieure à celle indiquée pour la fin de cette mesure. Dans les motifs de ce jugement, il était mentionné que la mesure d’assistance éducative était ouverte au profit du requérant dans l’attente d’une analyse de son passeport afin de l’authentifier et de pouvoir conclure, le cas échéant, à sa minorité.
21. Le Conseil général interjeta appel le 18 juillet 2014. En raison de l’effet dévolutif de l’appel, le requérant ne put saisir le juge des enfants d’une requête en rectification d’erreur matérielle. Le 19 juillet 2014, il forma donc une nouvelle requête afin de voir ordonner une mesure de placement à son égard.
22. Le 31 juillet 2014, le juge des enfants décida de confier le requérant au Conseil général à compter du même jour et jusqu’à sa majorité, soit le 15 octobre 2014. Le juge retint également ce qui suit :
« Un examen technique confié à la police aux frontières dans le cadre de la procédure d’assistance éducative déjà suivie a conclu à l’authenticité du passeport du mineur. [M. D.] avait en effet produit un passeport de la république de Guinée sur lequel il est inscrit qu’il est né le 15 octobre 1996.
Si un passeport délivré par une autorité étrangère ne saurait être considéré comme un acte d’état civil au sens de l’article 47 du Code civil, avec la force probatoire en résultant, mais seulement comme un titre d’identité, il n’en demeure pas moins qu’il a un effet probatoire sur l’identité du requérant et, par conséquent sur son âge. »
23. Le Conseil général interjeta également appel de ce jugement.
24. Par deux arrêts du 1er octobre 2014, la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel constata le désistement du Conseil général dans les deux instances et lui en donna acte.
B. Les plaintes pénales déposées par le requérant
25. Le 8 juillet 2013, le requérant porta plainte auprès du procureur de la République pour violation de son domicile par les services du Conseil général. Dans sa plainte, le requérant indiqua que, lors de l’entretien avec le service « Cellule mineurs isolés étrangers » du Conseil général auquel il avait été convoqué le 5 juillet 2013, il fut sommé de rendre immédiatement les clefs de son logement. Devant son refus, les représentants du Conseil général donnèrent par téléphone l’ordre de procéder au changement de serrure. Cet ordre, impliquant de pénétrer dans son appartement où se trouvaient en outre ses affaires, fut immédiatement exécuté et ce, hors de sa présence.
26. Cette plainte étant restée sans réponse, le requérant déposa plainte avec constitution de partie civile le 3 octobre 2014 pour les mêmes motifs auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance.
27. Le 13 janvier 2017, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non‑lieu, au motif que les éléments matériels et intentionnels de l’infraction n’étaient pas caractérisés.
28. La chambre de l’instruction de la cour d’appel confirma cette ordonnance le 24 novembre 2017, aux motifs suivants :
« En l’espèce, il résulte du dossier que le 5 juillet 2013, [M. D.] a été avisé, lors d’une rencontre avec son éducatrice et un représentant du conseil départemental, de la décision de la cour d’appel de Rennes du 4 juin 2013 qui concluait à sa majorité, contrairement à ce qu’il soutenait et aux documents qu’il avait produits lesquels ont été analysés par les services spécialisés de la police des airs et des frontières et considérés falsifiés. Il lui a été expliqué que cet arrêt mettait donc fin à la prise en charge précédemment organisée dans le foyer d’accueil spécifiquement réservé aux mineurs et à l’issue de cet entretien, son éducatrice, a organisé un rendez-vous avec le « 115 » prévu le jour même. Dans le cadre de cet hébergement d’urgence, il a été conduit au foyer situé rue de la Tannerie à Nantes.
La situation est particulière et il ne peut être considéré qu’à partir de ce moment il avait toujours son domicile ou résidait de manière effective au 35, rue de la Baugerie à Saint-Sébastien sur Loire.
L’élément matériel de l’infraction n’apparaît donc pas suffisamment caractérisé.
Surtout il ne peut être ignoré que l’occupation des lieux par le jeune homme trouvait sa légitimité dans le cadre des prises en charge des jeunes mineurs isolés, mission relevant du conseil départemental et que la condition de minorité étant le fondement de ce droit. À la suite de l’arrêt précité [M. D.] ne relevait plus de cette prise en charge et le conseil départemental, sauf à ne pas respecter cette décision et ses missions, se devait de l’amener à libérer la place pour en faire bénéficier un autre mineur et protéger celui qui résidait également dans les lieux.
Ainsi il s’avère que le changement de serrure est intervenu alors qu’un hébergement d’urgence avait été trouvé pour l’intéressé dans le cadre des prises en charge pour les majeurs sans domicile fixe, une poursuite de l’accompagnement sur les autres versants que le logement (notamment médical) lui a été proposée et a été organisée, la récupération de ses affaires mise en place.
C’est donc dans le cadre prévu par le code de l’action sociale et des familles pour la cessation de l’accompagnement des mineurs étrangers isolés et uniquement à cette fin sans aucune intention infractionnelle qu’il a été procédé au changement de serrure de l’appartement en raison du refus de [M. D.] d’en restituer les clés.
(...)
Dans ce contexte l’infraction de violation de domicile n’est caractérisée ni dans son élément matériel ni dans son élément moral.
L’ordonnance de non-lieu sera dès lors confirmée. »
C. Les procédures devant les juridictions administratives
1. Le recours en annulation dirigé contre l’arrêté du 25 septembre 2012 portant obligation de quitter le territoire français
a) Le jugement du tribunal administratif
29. Le 25 septembre 2012, le préfet, considérant le requérant comme majeur et relevant qu’il n’avait pas effectué de démarches pour solliciter le statut de réfugié, prit à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai de départ volontaire et fixant le pays à destination duquel il serait, le cas échéant, reconduit (voir paragraphe 8 ci‑dessus).
30. Le 27 septembre 2012, le requérant forma devant le tribunal administratif de Nantes (ci-après le tribunal administratif) un recours pour excès de pouvoir contre l’OQTF en vue de l’annulation de cette mesure d’éloignement et de la délivrance d’un titre de séjour en qualité de demandeur d’asile. Il se prévalait d’une erreur de droit au regard de l’article L. 511-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), qui dispose qu’un étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet d’une OQTF (paragraphe 59 ci-dessous). Le requérant alléguait notamment que les tests osseux n’étaient pas probants et il produisait un acte de naissance pour établir sa minorité.
31. Le 31 décembre 2012, le tribunal administratif rejeta ce recours. Le tribunal écarta le moyen tiré de l’erreur de droit. Il jugea notamment que le préfet avait légalement pu se fonder sur les résultats des deux examens osseux subis par le requérant qui concluaient à un âge osseux de 19 ans, dès lors que les actes d’état civil présentés par ce dernier ne permettaient d’établir ni son identité ni son âge.
b) L’arrêt de la cour administrative d’appel
32. Le 27 mai 2013, le requérant interjeta appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Nantes (ci-après la cour administrative d’appel). En cours de procédure, il produisit la copie du passeport qui lui avait été délivré le 15 novembre 2013 par les autorités guinéennes.
Par un arrêt du 24 juillet 2014, la cour administrative d’appel infirma le jugement avec la motivation suivante :
« Considérant qu’en produisant, pour la première fois en appel, la copie de son passeport, dont l’authenticité n’est pas contestée par le préfet, [M. D.] justifie de son identité et de sa minorité à la date à laquelle les décisions contestées ont été prises ; qu’il suit de là que, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, [M. D.], représenté par le président du Conseil général de Loire-Atlantique à qui la tutelle d’État de l’intéressé a été confiée par le juge des tutelles des mineurs du tribunal de grande instance de Nantes le 28 septembre 2012, est fondé à soutenir que l’arrêté du préfet de la Loire-Atlantique en date du 25 septembre 2012 a été pris en méconnaissance du 1o de l’article L. 511-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et doit être en conséquence annulé (...) »
2. Le recours en annulation dirigé contre l’arrêté préfectoral du 2 juillet 2013 refusant d’admettre le requérant au séjour au titre de l’asile
33. À la suite de la décision de la cour d’appel du 4 juin 2013 mettant fin aux mesures de protection et de prise en charge dont il bénéficiait depuis le 28 septembre 2012 (paragraphe 13 ci-dessus), le requérant se présenta le 19 juin 2013 à la préfecture de Loire-Atlantique (ci-après la préfecture) pour déposer une demande d’asile. Par un arrêté du 2 juillet 2013, le préfet rejeta sa demande d’admission provisoire au séjour au titre de l’asile et enregistra sa demande d’asile selon la procédure prioritaire en application du 4o de l’article L. 741-4 du CESEDA (paragraphe 60 ci-dessous).
34. Le requérant forma un recours pour excès de pouvoir contre cette décision devant le tribunal administratif.
35. Le 2 octobre 2014, le requérant sollicita auprès du préfet une carte de séjour temporaire mention « vie privée et familiale ». Cette carte, valable du 20 novembre 2014 au 19 novembre 2015 et portant autorisation de travailler lui fut délivrée le 28 novembre 2014. Le 4 novembre 2015, le tribunal administratif jugea qu’en conséquence de cette décision de délivrance postérieure à l’introduction de l’instance, il n’y avait plus lieu de statuer sur le recours du requérant dirigé contre l’arrêté du 2 juillet 2013.
D. La procédure d’asile devant l’OFPFRA
36. La demande d’asile du requérant, présentée à la préfecture le 19 juin 2013 et enregistrée par ses services le 3 juillet suivant, fut rejetée le 22 janvier 2015 pour les motifs suivants :
« (...) les seules déclarations écrites de l’intéressé, qui ne s’est pas présenté à sa convocation adressée par l’Office pour le 13 janvier 2015 et qui n’a présenté aucun document valable pour justifier son absence, sont insuffisantes à établir la réalité des faits invoqués. L’Office ne peut dès lors conclure au bien-fondé de craintes de persécution ou à l’existence de menaces graves, au sens des dispositions des articles L. 711-1, L. 712-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) susvisé. »
37. Notifié au requérant le 31 janvier suivant à l’adresse à laquelle il résidait au moment de l’enregistrement de sa demande par l’OFPRA, soit le 9 août 2013, le pli contenant la décision de rejet fut retourné à l’Office comme « non réclamé ».
E. Les conditions de vie du requérant
38. Il ressort du dossier que le 5 juillet 2013, une rencontre entre le requérant, son éducatrice et un représentant du Conseil général fut organisée pour lui expliquer les conséquences sur sa prise en charge de l’arrêt rendu par la cour d’appel le 4 juin 2013. Cette prise en charge au titre de l’hébergement par le Conseil général prit effectivement fin le 5 juillet 2013. Le jour même, les autorités lui trouvèrent un hébergement d’urgence dans le cadre de la prise en charge pour les majeurs sans domicile fixe (voir paragraphe 28 ci-dessus) et l’y conduisirent. Le requérant y passa deux nuits. Par ailleurs, une poursuite de l’accompagnement, notamment sur le plan médical, fut proposée au requérant et la récupération de ses affaires restées dans le logement qu’il avait partagé avec un mineur, organisée.
39. Pendant la période du 5 juillet au 4 novembre 2013, le requérant fut hébergé par le service d’hébergement d’urgence (le « 115 ») durant 75 nuits sur un total de 122 nuits. Il dit être resté sans solution et à la rue pendant 40 nuits, sans donner plus de détails. La Cour ne dispose pas d’éléments précis sur la situation du requérant pendant ce différentiel de 5 nuits.
40. À compter du mois de septembre 2013, il poursuivit sa scolarité en classe de terminale au lycée. Le requérant indique que, pendant le premier mois de cours, il dormit dans le hall du centre hospitalier universitaire (CHU) dont l’accès lui fut refusé à partir du mois d’octobre.
41. Entre le mois de novembre 2013 et le mois de juillet 2014, le requérant fut interne dans ce même lycée. Le Gouvernement précise que l’admission du requérant à l’internat a été financée par une subvention exceptionnelle du Conseil régional des Pays-de-la-Loire (ci-après « le Conseil régional »), ce qui ressort d’une attestation produite par le requérant. Le Gouvernement ajoute en outre que le requérant n’a plus sollicité le « 115 » après le 4 novembre 2013 et, qu’une famille d’accueil l’a hébergé durant les week-ends et les vacances scolaires. Le requérant affirme que c’est l’action d’un réseau associatif qui a été à l’origine de son admission au lycée à la rentrée de septembre 2013, ce qui ressort d’une attestation de la CIMADE. Il souligne en outre qu’il n’a pas pu être hébergé systématiquement par une famille pendant les fermetures de l’internat et qu’il a dû alors recourir au « 115 » et a passé plusieurs nuits à la rue.
42. Par ailleurs, le 9 octobre 2013, le requérant, qui se présenta comme majeur, subit l’intervention chirurgicale nécessaire pour soigner sa jambe gauche.
43. Après l’annulation de l’arrêté préfectoral du 25 septembre 2012 portant OQTF par la cour administrative d’appel (voir paragraphe 32 ci‑dessus), une première carte de séjour fut délivrée au requérant (voir paragraphe 35 ci-dessus). Ce titre de séjour fut renouvelé pour des périodes successives d’un an, en dernier lieu jusqu’au 19 novembre 2017. Le 7 février 2018, une carte de séjour pluriannuelle mention « vie privée et familiale », valable du 20 novembre 2017 au 19 novembre 2021 et autorisant le requérant à travailler lui fut remise.
44. Enfin, le requérant obtint à la fin de l’année 2014 le CAP en préparation et réalisation d’ouvrages électriques qu’il préparait depuis la rentrée 2012. Il intégra ensuite le centre de formation par apprentissage (CFA) André Martello de Nantes mais il ne valida pas le brevet professionnel en électricité. Il fut embauché par une entreprise nantaise en contrat à durée déterminée et travaille depuis le 14 mai 2018 sous couvert d’un contrat à durée indéterminée.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET EUROPEENS PERTINENTS
A. Droit français
1. La protection de l’enfance
45. Le dispositif français de la protection de l’enfance est historiquement fondé sur une double protection : administrative d’une part, sous la responsabilité des conseils départementaux (anciennement généraux), et judiciaire, d’autre part, sous la responsabilité du procureur de la République et du juge des enfants.
46. L’article L. 111-2 du code de l’action sociale et des familles est ainsi libellé :
« Les personnes de nationalité étrangère bénéficient dans les conditions propres à chacune de ces prestations : 1o Des prestations d’aide sociale à l’enfance (...) »
47. Les articles L. 112-3 et L. 112-4 du code de l’action sociale et des familles, dans leur version issue de la loi no 2007-293 du 5 mars 2007, sont rédigés comme suit :
Article L. 112-3
« (...) La protection de l’enfance a également pour but de prévenir les difficultés que peuvent rencontrer les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et d’assurer leur prise en charge ».
Article L. 112-4
« L’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant. »
48. Cette protection, dans son volet administratif, est notamment mise en œuvre par le service de l’aide sociale à l’enfance (ASE). En vertu de l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles, ce service relève de la compétence du département.
49. L’ASE est placée sous l’autorité et la responsabilité du président du conseil départemental (article L. 221-2 du même code).
50. Les mineurs isolés étrangers peuvent être pris en charge par l’ASE. Ce service a pour mission de protéger ces mineurs et de leur apporter notamment un soutien matériel (hébergement) et un soutien éducatif (scolarisation, accès à une formation professionnelle).
2. Les mesures visant à protéger les mineurs isolés étrangers
51. Il existe à ce titre deux mesures, qui sont la tutelle départementale et la procédure d’assistance éducative, relevant respectivement de la compétence du juge des tutelles des mineurs et du juge des enfants. En application de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 relative à la loi applicable en matière de protection des mineurs, elles peuvent être prononcées à l’égard de tout mineur résidant en France, même si ce mineur est originaire d’un État dont la législation ne prévoit pas une telle possibilité et même si cet État n’est pas partie à cette convention.
52. En principe, le mineur est traditionnellement frappé, en droit français, d’une incapacité d’agir en justice. Cette incapacité d’exercice lui interdit de faire valoir directement en justice les droits dont il est titulaire et lui impose de se faire représenter à l’action (article 388-1-1 du code civil).
53. Par exception à ce principe, un mineur peut saisir lui-même, aux fins de protection, le juge des enfants, sans l’intervention de ses parents ni d’un administrateur ad hoc. Il en est de même en matière de tutelle des mineurs.
a) Le juge des tutelles peut ouvrir une tutelle départementale
54. La tutelle départementale relève de la compétence du juge aux affaires familiales qui exerce les fonctions de juge des tutelles des mineurs (article L. 213-3-1 du code de l’organisation judiciaire).
55. L’ouverture d’une tutelle au bénéfice d’un mineur isolé étranger résulte de l’application combinée des articles 373 et 390 du Code civil, ainsi libellés :
Article 373
« Est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »
Article 390
« La tutelle s’ouvre lorsque le père et la mère sont tous deux décédés ou se trouvent privés de l’exercice de l’autorité parentale.
(...)
Il n’est pas dérogé aux lois particulières qui régissent le service de l’aide sociale à l’enfance. »
56. La tutelle départementale n’est confiée au président du conseil départemental (anciennement général), chef du service de l’aide sociale à l’enfance, que si elle est vacante, le mineur n’ayant ni parents ni alliés aptes à en exercer les charges. L’article 411 du code civil est rédigé comme suit :
Article 411
« Si la tutelle reste vacante, le juge des tutelles la défère à la collectivité publique compétente en matière d’aide sociale à l’enfance.
En ce cas, la tutelle ne comporte ni conseil de famille ni subrogé tuteur.
La personne désignée pour exercer cette tutelle a, sur les biens du mineur, les pouvoirs d’un administrateur légal sous contrôle judiciaire. ».
57. Lorsque la tutelle est vacante, les frais d’entretien et d’éducation du mineur sont donc pris en charge par l’ASE du siège de la juridiction ayant prononcé la mesure.
b) Le juge des enfants est compétent pour assurer la protection de l’enfant en danger dans le cadre de la procédure d’assistance éducative
58. La finalité de la procédure d’assistance éducative est de protéger les enfants en situation de danger. La qualification du danger par le juge doit reposer sur des faits précis, qu’ils soient d’ordre matériel, physique ou psychologique. Les manifestations du danger, qui doit être imminent et certain, peuvent être d’ordre matériel (par exemple : absence de logement et errance), d’ordre physique ou psychologique.
L’article 375 du code civil dispose :
« Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (...)
La décision fixe la durée de la mesure sans que celle-ci puisse, lorsqu’il s’agit d’une mesure éducative exercée par un service ou une institution, excéder deux ans. La mesure peut être renouvelée par décision motivée (...) »
3. Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile
59. L’article L. 511-4 de ce code est ainsi libellé :
« Ne peuvent faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français :
1o L’étranger mineur de dix-huit ans (...) »
60. L’article L. 741-4 de ce code est rédigé de la sorte :
« Sous réserve du respect des stipulations de l’article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, l’admission en France d’un étranger qui demande à bénéficier de l’asile ne peut être refusée que si :
(...)
4o La demande d’asile repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d’asile ou n’est présentée qu’en vue de faire échec à une mesure d’éloignement prononcée ou imminente (...) Constitue une demande d’asile reposant sur une fraude délibérée la demande présentée par un étranger qui fournit de fausses indications, dissimule des informations concernant son identité, sa nationalité ou les modalités de son entrée en France afin d’induire en erreur les autorités. »
4. Code de procédure civile
61. L’article 31 est rédigé comme suit :
« L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »
62. L’article 609 est ainsi libellé :
« Toute partie qui y a intérêt est recevable à se pourvoir en cassation même si la disposition qui lui est défavorable ne profite pas à son adversaire. »
63. Ce dernier article reprend, s’agissant de la saisine de la Cour de cassation, le principe traditionnel selon lequel « pas d’intérêt, pas d’action ».
64. La recevabilité d’un pourvoi en cassation ne tient toutefois pas qu’à la seule démonstration de l’intérêt à agir : il est indispensable que le demandeur ait également la qualité pour agir et la capacité d’ester en justice.
65. La Cour de cassation a jugé, s’agissant d’un majeur, que « l’incapacité d’ester en justice qui résulte d’un jugement de mise sous tutelle ne peut avoir pour effet de priver la personne protégée du droit de former seule un pourvoi en cassation contre la décision qui a ouvert sa tutelle » (1re Civ. 11 juillet 2006, Bull. 2006, I, no 370, nos 05-10.945 et 04‑18.064).
B. Droit de l’Union européenne
66. Pour une présentation de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, dite « directive Accueil », il est renvoyé aux paragraphes 22 à 25 de l’arrêt N.T.P. et autres c. France (no 68862/13, 24 mai 2018).
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE l’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
67. Le requérant allègue avoir été abandonné par les autorités internes dans une situation matérielle précaire, alors qu’en sa qualité de mineur isolé étranger, plus aucun recours ne lui était ouvert. Il invoque les articles 3 et 13 de la Convention, qui sont ainsi rédigés :
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions. »
68. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
69. La Cour, rappelant qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits et constatant, eu égard aux échanges d’observations entre les parties, que ces griefs se confondent, juge approprié d’examiner les allégations du requérant sous l’angle de l’article 3 de la Convention uniquement (voir, par exemple, Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, § 55, CEDH 2015). Elle s’attachera en conséquence à rechercher si l’État défendeur a manqué aux obligations résultant de cette disposition à l’égard du requérant.
A. Sur la recevabilité
70. Le Gouvernement soulève des exceptions d’irrecevabilité tenant au caractère abusif de la requête et au non-épuisement des voies de recours internes.
1. Sur le caractère abusif de la requête
71. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter la présente requête comme abusive. Il reproche au requérant de n’avoir informé la Cour ni de son admission à l’internat du lycée, ni de ce que cette admission avait été financée par une subvention exceptionnelle votée par le Conseil général. Le Gouvernement lui reproche également de ne pas expliquer les raisons pour lesquelles il a omis d’informer la Cour, d’une part, de ce qu’entre le 5 juillet et le 4 novembre 2013, le service d’hébergement d’urgence du « 115 » a pris en charge son hébergement durant 75 nuits et, d’autre part, de ce qu’il n’a plus sollicité ce service après le 4 novembre 2013.
72. Le requérant conteste la thèse du Gouvernement. Il indique avoir divulgué à la Cour toutes les informations pertinentes et, qu’en tout état de cause, son admission comme interne au lycée est postérieure à la l’introduction de sa requête, date à laquelle les violations commises doivent être appréciées.
73. La Cour se réfère aux principes généraux concernant l’abus du droit de recours individuel tels qu’exposés dans l’arrêt Gross c. Suisse [GC] (no 67810/10, § 28, CEDH 2014).
74. En l’espèce, s’il est regrettable que les informations transmises par le requérant l’aient parfois été de façon parcellaire et avec retard, la Cour n’estime cependant pas établie avec suffisamment de certitude l’intention de celui-ci d’induire la Cour en erreur (voir a contrario Gross c. Suisse, précité, § 28).
75. Il y a donc lieu de rejeter cette exception.
2. Sur l’épuisement des voies de recours internes
76. Le Gouvernement considère que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il souligne que ce dernier ne s’est pas pourvu en cassation contre l’arrêt rendu le 4 juin 2013 par la cour d’appel (voir paragraphe 13 ci-dessus) alors qu’en application de l’article 609 du code de procédure civile (voir paragraphes 62 à 64 ci-dessus), cette voie de recours lui était ouverte. Le Gouvernement se réfère sur ce point à l’arrêt rendu le 11 juillet 2006 par la Cour de cassation (voir paragraphe 65 ci‑dessus).
77. Par ailleurs, le Gouvernement fait valoir que le requérant pouvait, après s’être vu refuser le 11 juillet 2013 l’autorisation d’assigner d’heure à heure le Conseil général (voir paragraphe 16 ci-dessus), saisir le tribunal d’instance par assignation simple. En outre, le Gouvernement constate que le requérant a saisi la Cour le 6 août 2013 sans attendre que le juge des enfants se prononce sur sa requête aux fins d’assistance éducative (voir paragraphe 17 ci-dessus).
78. Le requérant conteste la thèse du Gouvernement.
79. La Cour se réfère aux principes généraux tels qu’exposés dans l’arrêt Vučković et autres c. Serbie (no 7153/11 et 29 autres, §§ 69 à 75, 28 août 2012). Par ailleurs, elle rappelle qu’un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne saurait se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999‑III).
80. En l’espèce, la Cour constate que le requérant ne s’est pas pourvu en cassation contre l’arrêt du 4 juin 2013. Elle relève que le Gouvernement se prévaut des dispositions de l’article 609 du code de procédure civile (voir paragraphes 62 à 64). La Cour note ensuite que l’arrêt cité par le Gouvernement pour asseoir sa démonstration selon laquelle le recours dont il s’agit était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits concerne la possibilité pour un majeur placé sous le régime de la tutelle par le juge des tutelles de former un pourvoi en cassation et ne concerne pas, comme en l’espèce, un mineur (voir paragraphe 65 ci-dessus). La Cour en conclut que dans ces circonstances, le Gouvernement ne démontre pas que le recours en cassation était un recours accessible au requérant.
81. S’agissant de la possibilité pour le requérant de saisir le tribunal d’instance, la Cour observe que celui-ci a fait usage de l’une des voies de droit qui lui étaient ouvertes pour obtenir la protection des autorités françaises, à savoir la saisine du juge des tutelles des mineurs (voir paragraphe 10 et paragraphes 51 à 57 ci-dessus). La Cour estime que l’on ne saurait reprocher au requérant d’avoir poursuivi un seul type de recours et de n’avoir saisi le juge des enfants que quelques jours avant l’introduction de la présente requête. La Cour considère en effet qu’il ne lui appartient pas d’affirmer qu’une voie de droit serait, à l’égard du requérant, plus opportune qu’une autre dès lors que la voie de recours poursuivie par ce dernier était effective, à savoir que, s’agissant d’un mineur isolé étranger, elle permettait à l’État de remédier à sa situation précaire sur le territoire, en lui nommant un tuteur chargé de le protéger et d’assurer, le cas échéant, la gestion de ses biens.
82. Au vu de ce qui précède la Cour considère que l’exception tenant au non‑épuisement des voies de recours internes doit également être rejetée.
3. Conclusion
83. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
a) Le requérant
84. Le requérant allègue avoir été abandonné par les autorités internes dans une situation matérielle précaire malgré sa situation de mineur isolé étranger.
85. Il indique qu’après l’infirmation, le 4 juin 2013, par la cour d’appel de l’ordonnance du 28 septembre 2012 confiant sa tutelle au président du Conseil général, il a été expulsé le 5 juillet 2013 de l’appartement dans lequel il était hébergé et que la formation professionnelle qu’il suivait a pris fin. À compter du 5 juillet 2013, il a été contraint plusieurs fois de dormir à la rue, ne pouvant pas être hébergé quotidiennement par le « 115 » du fait du manque de place.
86. En réponse aux arguments du Gouvernement, le requérant affirme que l’ensemble des violations qu’il a subies et dont il se plaint ont été commises alors qu’il était mineur. Il souligne d’ailleurs qu’aucun doute n’est permis sur ce point depuis la décision du 31 juillet 2014 rendue par le juge des enfants (voir paragraphe 22 ci-dessus).
87. Le requérant soutient que les autorités françaises ne peuvent tirer avantage de la circonstance qu’elles ont effectué pour son compte, le 19 juin 2013, une demande d’admission au séjour au titre de l’asile. Il estime, en effet, qu’il était encore sous la tutelle du président du Conseil général, l’arrêt du 4 juin 2013 (voir paragraphes 13 et 14 ci-dessus) ne lui ayant pas encore été notifié et, qu’en conséquence, les autorités n’ont fait que se conformer à leurs obligations à son encontre. Le requérant précise également que le code du travail exclut les mineurs du champ des bénéficiaires de l’allocation temporaire d’attente (ATA). Enfin, il affirme que le 5 juillet 2013, il a été sommé de quitter l’appartement qu’il occupait au foyer. Devant son refus d’en rendre les clefs, les serrures ont été changées hors de sa présence, violant ainsi son domicile et rendant difficile la récupération de ses effets personnels.
Expulsé de son logement, sans aucune solution d’hébergement, il n’a bénéficié d’aucun accompagnement social même à titre transitoire. Mineur isolé étranger, il a ainsi été livré à lui-même sans protection et il a été contraint pour être hébergé de recourir quotidiennement au « 115 » ainsi qu’à l’aide d’un réseau associatif. Le requérant précise que son admission au lycée résulte de l’action de ce réseau. Il souligne que, pendant le premier mois de cours, en septembre 2013, il a été contraint de dormir dans le hall du CHU dont l’accès lui a été ensuite refusé. Bien qu’admis à l’internat, il a été dans l’obligation de faire appel au « 115 » et à un réseau associatif pour ne pas dormir à la rue certains week-ends et pendant les vacances scolaires. Cette situation d’extrême précarité lui a été d’autant plus préjudiciable que son état de santé nécessitait une opération chirurgicale à la jambe gauche qu’il a finalement pu subir le 9 octobre 2013 en devant toutefois se faire passer pour majeur.
88. Le requérant conclut dès lors, qu’en sa double qualité de demandeur d’asile et de mineur isolé étranger, il s’est trouvé dans une situation comparable à celle des requérants dans les arrêts M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, CEDH 2011 et Rahimi c. Grèce, no 8687/08, 5 avril 2011).
b) Le Gouvernement
89. Dans ses observations, le Gouvernement indique qu’en l’espèce, aucune des conditions posées par les arrêts M.S.S. c. Belgique et Grèce et Rahimi c. Grèce précités n’est remplie. En effet, l’état de minorité du requérant n’était pas avéré et, par ailleurs, les autorités n’ont manifesté ni désintérêt ni passivité à l’égard de sa situation.
90. Le Gouvernement souligne que pour prouver sa minorité, le requérant aurait pu et dû solliciter immédiatement la délivrance d’un passeport, rien ne s’opposant à une telle demande.
91. Le Gouvernement souligne également que les autorités françaises ne se sont pas désintéressées de la situation du requérant. En effet, il a été accueilli à titre provisoire dès le 24 septembre 2012 par l’ASE puis, à compter de l’ordonnance rendue par le juge des tutelles le 28 septembre suivant, il a bénéficié d’un logement et d’une inscription à une formation lui permettant d’obtenir un diplôme (voir paragraphe 11 ci-dessus).
92. Le Gouvernement conteste l’affirmation du requérant selon laquelle il s’est trouvé dans une situation de grande précarité matérielle après le 4 juin 2013. En effet, les services de l’ASE ont notamment formé pour son compte une demande d’asile déposée à la préfecture le 19 juin suivant. Cette démarche a ouvert au requérant, en sa qualité de majeur, le droit au bénéfice des prestations répondant aux exigences de la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003, dite « directive Accueil » (voir paragraphe 66 ci-dessus). Le Gouvernement remarque également que, postérieurement à l’arrêt du 4 juin 2013 le jugeant majeur, le requérant a pu poursuivre sa scolarité au lycée. Admis à l’internat, grâce à une subvention du Conseil régional, il n’a plus sollicité le « 115 » à partir du 4 novembre 2013 et une famille d’accueil l’a hébergé durant les week-ends et les vacances scolaires.
2. Appréciation de la Cour
93. La Cour a dit à de nombreuses reprises que pour tomber sous le coup de l’interdiction contenue à l’article 3 de la Convention, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (M.S.S. c. Belgique et Grèce précité, § 219, Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, § 114, 17 juillet 2014 et Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, § 94, CEDH 2014 (extraits).
94. Par ailleurs, la Cour rappelle que dans les affaires relatives à l’accueil d’étrangers mineurs, accompagnés ou non accompagnés, il convient de garder à l’esprit que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal (voir, par exemple, Rahimi c. Grèce, précité, N.T.P. et autres c. France, no 68862/13, § 44, 24 mai 2018 et la jurisprudence citée et Khan c. France, no 12267/16, § 73 à 75, 28 février 2019).
95. Enfin, la Cour a admis que les autorités nationales se trouvent devant une tâche délicate lorsqu’elles doivent évaluer l’authenticité d’actes d’état civil, en raison des difficultés résultant parfois du dysfonctionnement des services de l’état civil de certains pays d’origine des migrants et des risques de fraude qui y sont associés. Les autorités nationales sont en principe mieux placées pour établir les faits sur la base des preuves recueillies par elle ou produites devant elles et il faut donc leur réserver un certain pouvoir d’appréciation à cet égard. Il en est de même à l’égard de la décision de pratiquer un examen médical des enfants (voir sur ces points, Mugenzi c. France, no 52701/09, § 51, 10 juillet 2014).
96. En l’espèce, la Cour relève que le 28 septembre 2012, le juge des tutelles, relevant la fiabilité relative des tests osseux pour apprécier les âges à la frontière de la majorité, a ouvert au bénéfice du requérant une tutelle d’État avec effet immédiat sur la seule foi de l’extrait d’acte de naissance guinéen présenté par lui, aucun élément ne permettant en l’état d’établir qu’il s’agissait d’un document falsifié (voir paragraphe 10 ci-dessus). La cour d’appel a infirmé cette ordonnance le 4 juin 2013, au motif que le ministère public et le Conseil général étaient fondés à contester l’authenticité des pièces présentées par le requérant pour attester de sa minorité (voir paragraphe 13 ci-dessus). Par la suite, l’examen technique de ces documents puis du passeport de l’intéressé a été confié à la police aux frontières par les magistrats judiciaires saisis par le requérant de demandes de protection pour qu’elle les authentifie avant qu’ils ne rendent une décision définitive. La Cour note d’ailleurs que le 17 juillet 2014, le juge des enfants a ouvert une mesure d’assistance éducative au bénéfice du requérant dans l’attente des résultats de l’examen technique sollicité (voir paragraphe 20 ci-dessus).
97. La Cour ne voit donc aucune raison de mettre en cause l’appréciation des juridictions internes ou, sur la base de son propre examen du dossier, de conclure différemment d’elles.
98. La Cour considère par conséquent que les faits de l’espèce appellent à examiner les étapes successives de la situation du requérant dans le temps afin de déterminer, pour chacune d’entre elles, si, au regard des critères jurisprudentiels précédemment rappelés, les dispositions de l’article 3 de la Convention ont été violées.
a) La situation du requérant pendant la période où, malgré les doutes existant quant à son âge, il a été regardé comme mineur
99. À la suite de l’ordonnance du 28 septembre 2012 (voir paragraphe 10 ci-dessus), le requérant, reconnu mineur, a été immédiatement confié à la tutelle du président du Conseil général et ce, jusqu’à l’infirmation de cette décision par la cour d’appel le 4 juin 2013. A cette date, le requérant a été jugé majeur.
100. La Cour relève donc que, dès l’instant où les juridictions françaises ont considéré le requérant comme mineur, il a bénéficié d’une prise en charge complète qui s’est traduite par la désignation d’un représentant légal, la mise à disposition d’un hébergement et sa scolarisation dans une filière lui offrant la possibilité d’acquérir une compétence professionnelle.
101. Par conséquent, la Cour note que les autorités, qui ont exécuté la décision du 28 septembre 2012, ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour répondre à l’obligation de prise en charge et de protection du requérant qui pesait sur l’État défendeur s’agissant d’un mineur isolé étranger en situation irrégulière, c’est-à-dire d’un individu relevant de la catégorie des personnes les plus vulnérables de la société (voir par exemple, N.T.P. et autres c. France, précité, § 44, ainsi que les arrêts auxquels il renvoie, et Rahimi c. Grèce, précité, § 87). La Cour ne saurait donc assimiler la situation du requérant à celle de l’arrêt Rahimi c. Grèce précité.
102. Dans ces conditions, la Cour considère que la situation du requérant, pendant cette période, ne constituait pas un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.
b) La situation du requérant pendant la période où il a été regardé comme majeur, faute pour lui de rapporter la preuve de sa minorité
103. La Cour note tout d’abord que la minorité est une condition d’accès au dispositif de protection de l’enfance (voir paragraphes 45 à 50 ci-dessus). La Cour remarque, par ailleurs, qu’en cas de majorité avérée d’un étranger s’étant présenté comme mineur isolé, les autorités françaises sont déliées de toute obligation spécifique de prise en charge et de protection attachée spécifiquement à l’état de minorité.
104. En l’espèce, la cour d’appel a jugé le 4 juin 2013 que le requérant était majeur. Les autorités françaises étaient donc fondées à le considérer comme majeur dès cette date. Pour ces dernières, cette situation a perduré jusqu’au 31 juillet 2014, date de l’ordonnance du juge des enfants (voir paragraphe 22 ci-dessus).
105. Concernant la période du 4 juin 2013 au 31 juillet 2014, le requérant se plaint essentiellement d’avoir été expulsé brutalement de son logement le 5 juillet 2013 sans avoir bénéficié du moindre accompagnement social, même à titre transitoire et d’avoir ainsi été placé dans une situation d’extrême précarité. Le requérant indique en effet avoir passé 40 nuits à la rue, seul et sans aucune protection.
106. La Cour constate qu’il ressort du dossier que le requérant, contrairement à ses allégations, n’a pas été brutalement expulsé de l’appartement qu’il occupait au foyer « At Home ». En effet, il a pu continuer d’y résider jusqu’au 5 juillet 2013, alors même que depuis le 4 juin 2013, les autorités françaises n’étaient plus tenues de le protéger en qualité de mineur isolé étranger. En outre, le 5 juillet 2013, une rencontre avec son éducatrice et un représentant du Conseil général a été organisée pour lui expliquer les conséquences de l’arrêt du 4 juin 2013 sur sa prise en charge. A l’issue de cet entretien, son éducatrice a organisé un rendez-vous avec le « 115 », rendez-vous prévu le jour même : le requérant a été conduit au centre d’hébergement d’urgence où il est resté deux nuits.
107. De plus, une poursuite de l’accompagnement sur les autres aspects – notamment médicaux – que le logement a été proposée au requérant et la récupération de ses affaires restées dans le logement qu’il avait partagé avec un mineur a été organisée. Le changement de serrure de l’appartement n’est d’ailleurs intervenu que dans le but de protéger les autres occupants du foyer (voir paragraphe 28 ci-dessus), le requérant ayant refusé de rendre les clefs dont il disposait. Enfin, la Cour note que les services de l’ASE ont formé le 19 juin 2013 une demande d’asile pour le compte du requérant. Certes enregistrée selon la procédure prioritaire, elle a été transmise par les services préfectoraux à l’OFPRA. Le requérant, arguant de sa minorité, n’a pas sollicité le bénéfice des conditions minimales d’accueil des demandeurs d’asile.
108. La Cour relève ensuite qu’entre le 5 juillet 2013 et le 4 novembre 2013, le requérant a sollicité à cinquante huit reprises le « 115 », qui a pris en charge son hébergement durant soixante quinze nuitées, le laissant sans solution durant quarante nuits (voir paragraphe 39 ci-dessus). Concernant cette situation préoccupante, la Cour observe que le requérant n’a pas donné d’élément précis quant à ses conditions effectives de vie pendant cette période (lieux éventuels d’hébergement, possibilité de se laver et de se nourrir, de se soigner). Il a toutefois indiqué qu’en septembre 2013, il avait dormi dans le hall du CHU avant que l’accès ne lui en soit refusé. La Cour retient par ailleurs que, le 9 octobre 2013, le requérant a subi, en se présentant comme majeur, l’opération chirurgicale dont il avait besoin. La Cour remarque en outre que, si à la rentrée du mois de septembre 2013, il a intégré le lycée pour y poursuivre sa formation grâce à l’action d’un réseau associatif, son admission à l’internat a été financée par une subvention exceptionnelle du Conseil régional.
109. La Cour constate que le Gouvernement indique que le requérant n’a plus sollicité le « 115 » à compter du 4 novembre 2013 et qu’il était hébergé sans discontinuité à l’internat. Si le requérant fait valoir que le réseau associatif qui le soutenait ne pouvait pas toujours le loger lors des fermetures de l’internat pendant les week-ends et les vacances scolaires, il apporte toutefois très peu de précisions et d’éléments probants quant à ses conditions de vie pendant ces périodes et ne fournit aucun élément concernant le mois précédant la décision du 31 juillet 2014, date à laquelle, jugé mineur, il a été à nouveau pris en charge en qualité de mineur isolé étranger.
110. Dans ces conditions, même si le requérant est resté sans solution pendant quarante nuits alors qu’il avait la qualité de demandeur d’asile majeur, la Cour conclut qu’il ne saurait être reproché aux autorités françaises d’être restées indifférentes à sa situation. Par ailleurs, hormis pour ces quarante nuits pour lesquelles il ne donne que peu de précisions si ce n’est qu’il en a passé certaines dans le hall du CHU, le requérant n’établit pas ne pas avoir été en mesure de faire face à ses besoins élémentaires (M.S.S c. Belgique et Grèce, précité, § 254, Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, nos 8319/07 et 11449/07, § 283, 28 juin 2011, F.H. c. Grèce, no 78456/11, § 107, 31 juillet 2014 et Amadou c. Grèce, no 37991/11, § 58, 4 février 2016). La Cour constate également que, contrairement à d’autres affaires (voir notamment M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 254‑263 et Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, précité, § 291), le requérant n’était pas dénué de perspective de voir sa situation s’améliorer.
111. Dans ces conditions, au regard de l’ensemble des éléments ci‑dessus, la Cour considère que la situation du requérant pour cette période, même si elle était difficile, ne constituait pas un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.
c) La situation du requérant pendant la période où il a été définitivement reconnu mineur jusquà sa majorité
112. Sur la foi du passeport délivré le 15 novembre 2013 par les autorités guinéennes au requérant, le juge des enfants a pris le 31 juillet 2014 une mesure de placement en sa faveur et l’a confié au Conseil général jusqu’à sa majorité, intervenue le 15 octobre 2014. La Cour remarque en outre que le requérant réside régulièrement en France depuis le 20 novembre 2014 et que, diplômé du CAP à la fin de l’année 2014, il est désormais professionnellement intégré (voir paragraphe 44 ci-dessus).
113. La Cour observe que, pour cette période, le requérant ne fait état d’aucun grief. Aussi, dans ces conditions, la situation du requérant ne constituait pas, pour cette période, un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.
d) Conclusion
114. Au regard des circonstances propres à chacune des périodes considérées depuis l’arrivée du requérant en France, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 octobre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Milan
Blaško Angelika Nußberger
Greffier adjoint Présidente