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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> DURRU MAZHAR CEVIK AND MUNIRE ASUMAN CEVIK DAGDELEN v. TURKEY - 2705/05 (Judgment : Struck out of the list : Second Section) French Text [2019] ECHR 781 (29 October 2019)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/781.html
Cite as: [2019] ECHR 781

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DEUXIÈME SECTION

 

AFFAIRE DÜRRÜ MAZHAR ÇEVİK ET MÜNİRE ASUMAN ÇEVİK DAĞDELEN c. TURQUIE

(Requête no 2705/05)

 

 

 

ARRÊT
(Satisfaction équitable)

 

Art 41 • Radiation du rôle • Nouvelle voie interne d’indemnisation • Poursuite de l’examen non justifiée

 

STRASBOURG

29 octobre 2019

 

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Dürrü MazharÇevik et Münire Asuman Çevik Dağdelen c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :

          Robert Spano, président,
          Marko Bošnjak,
          Julia Laffranque,
          Egidijus Kūris,
          Arnfinn Bårdsen,
          Darian Pavli,
          Saadet Yüksel, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 octobre 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 2705/05) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants turcs, M. Dürrü Mazhar Çevik et Mme Münire Asuman Çevik Dağdelen (« les requérants »), ont saisi la Cour le 23 décembre 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Par un arrêt du 14 avril 2015 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’annulation des titres de propriété des requérants (Dürrü Mazhar Çevik et Münire Asuman Çevik Dağdelen c. Turquie, no 2705/05, § 38, 14 avril 2015).

3.  La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 41, et point 3 du dispositif).

4.  Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations. Aucun accord permettant d’aboutir à un règlement amiable n’a été trouvé entre les parties.

EN DROIT

5.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage

6.  Les requérants réclament 5 586 188 euros (EUR) au titre du dommage matériel et se réfèrent, à ce titre, à un rapport d’expertise du 17 avril 2009, établi par une société anonyme spécialisée en évaluation immobilière. Ils demandent également 2 380 952 EUR pour le préjudice moral qu’ils auraient subi.

7.  Le Gouvernement juge injustifiées les sommes réclamées par les requérants. Il invite également la Cour à conclure à la radiation de la requête sur le fondement de l’article 37 § 1 c) de la Convention au motif qu’un recours d’indemnisation a été instauré au niveau national avec l’entrée en vigueur de l’ordonnance présidentielle no 809.

8.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 1999‑II). Les États contractants parties dans une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle‑même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000-I, et Guiso‑Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, § 90, 22 décembre 2009).

9.  La Cour observe que les requérants ont présenté une demande au titre du dommage matériel, correspondant, selon eux, à la valeur marchande des biens objets du présent litige, et qu’ils ont produit un rapport émanant d’experts privés afin de justifier leur demande.

10.  La Cour estime qu’elle ne dispose pas d’éléments suffisants pour déterminer de manière objective la perte pécuniaire des requérants.

11.  Elle note que le Gouvernement vient de porter à sa connaissance que, le 8 mars 2019, l’ordonnance présidentielle no 809 est entrée en vigueur. Cette disposition élargit la compétence de la commission d’indemnisation créée en janvier 2013 et énonce les principes et la procédure à suivre relativement à l’indemnisation dans les affaires où la Cour a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 mais ne s’est pas prononcée sur les demandes de dommages au titre de l’article 41 de la Convention ou a décidé de réserver la question de l’application de cet article. La Cour observe que la présente espèce rentre dans la deuxième catégorie d’affaires, à savoir celles dans lesquelles elle a réservé la question de l’application de l’article 41 de la Convention.

12.  Par ailleurs, dans les affaires Turgut et autres c. Turquie ((déc.), no 4860/09, 26 mars 2013) et Demiroğlu c. Turquie ((déc.), no 56125/10, 4 juin 2013), la Cour a procédé à un examen détaillé du fonctionnement de la commission d’indemnisation. Elle a estimé que les requérants devaient au préalable s’adresser à celle-ci dans la mesure où elle offrait un nouveau recours interne accessible et susceptible de donner réparation à leurs griefs (voir aussi Yıldız et Yanak c. Turquie (déc.), no 44013/07, 27 mai 2014, Bozkurt c. Turquie (déc.), no 38674/07, 10 mars 2015, Çelik c. Turquie (déc.), no 23772/13, 16 juin 2015, et Özbil c. Turquie (déc.), no 45601/09, 29 septembre 2015). La Cour observe également que la commission d’indemnisation est compétente pour indemniser tous les individus conformément à sa pratique (Turgut et autres et Demiroğlu, décisions précitées). Les indemnités accordées par cette instance sont versées par le ministère de la Justice dans les trois mois suivant la date à laquelle la décision est devenue définitive et sont exonérées de tout impôt ou charge. Par ailleurs, la décision de cette commission peut faire l’objet d’un recours devant les tribunaux administratifs, qui doivent statuer dans les trois mois. Les requérants peuvent également saisir la Cour constitutionnelle d’une requête individuelle contre les décisions des tribunaux administratifs (Ahmet Erol c. Turquie (déc.), no 73290/13, 6 mai 2014, et Sayan c. Turquie (déc.), no 49460/11, § 19, 14 juin 2016).

13.  La Cour prend note de cette initiative du Gouvernement turc et observe que ce développement renforce le caractère subsidiaire du mécanisme de protection des droits de l’homme instauré par la Convention et facilite pour la Cour et le Comité des Ministres l’accomplissement des tâches que leur confient respectivement l’article 41 et l’article 46 de la Convention (Broniowski c. Pologne (règlement amiable) [GC], no 31443/96, § 36, CEDH 2005‑IX).

14.  Dans ces conditions, la Cour estime qu’un recours devant la commission d’indemnisation dans un délai d’un mois à compter de la date de la notification de son arrêt final est susceptible de donner lieu à l’indemnisation par l’administration et que ce recours représente un moyen approprié de redresser la violation constatée au regard de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 et, récemment, Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, §§ 48-50, 11 juillet 2017 ; voir aussi, mutatis mutandis, Gümrükçüler et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 9580/03, § 34, 7 février 2017, et Keçecioğlu et autres c. Turquie (satisfaction équitable), no 37546/02, § 18, 20 juillet 2010).

15.  Après ce constat, la Cour rappelle qu’elle peut rechercher si la requête se prête à l’application de l’article 37 de la Convention (Gümrükçüler et autres, précité, § 37). En effet, elle peut décider de rayer une requête du rôle dans le cadre de article 37 § 1 c) de la Convention lorsqu’il est établi que la possibilité concrète d’indemniser les requérants existe au niveau national où les organes adéquates, qui sont sur place et ont accès aux biens, registres et archives, ainsi qu’à tous les autres moyens pratiques, sont certainement mieux placés pour statuer sur des questions complexes de propriété et d’évaluation et pour fixer une indemnisation, comme dans le cas des requérants (ibidem, § 29).

16.  La Cour estime que les instances nationales sont sans conteste les mieux placées pour évaluer le préjudice subi et disposent de moyens juridiques et techniques adéquats pour mettre un terme à une violation de la Convention et d’en effacer les conséquences, notamment, comme dans le cas d’espèce, lorsqu’il s’agit de déterminer la valeur des biens immobiliers dans un État contractant à une date donnée. En effet, pour la Cour, comme elle l’a constaté dans de nombreuses affaires contre la Turquie relative au droit de propriété, une telle évaluation est presque objectivement impossible dans la mesure où elle est très étroitement liée aux contextes nationaux, voire locaux, et les experts et juridictions nationaux sont les mieux placés pour la réaliser (voir, à titre d’exemple, Keçecioğlu et autres, précité, § 18).

17.  À la lumière de ce qui précède, s’agissant du dommage matériel allégué, la Cour conclut que le droit national permet dorénavant d’effacer les conséquences de la violation constatée et estime dès lors qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la demande présentée par les requérants à ce titre. Elle estime par conséquent qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention). Elle est en outre d’avis qu’il n’existe en l’espèce pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine). Par ailleurs, pour parvenir à cette conclusion, elle a tenu compte de sa compétence en vertu de l’article 37 § 2 de la Convention pour réinscrire la requête lorsqu’elle estime que les circonstances justifient une telle procédure (Gümrükçüler et autres, précité, § 42).

18.  En conclusion, il y a lieu de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention, concernant la demande du dommage matériel en raison de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir dans le même sens, Kaynar et autres c. Turquie, nos 21104/06, § 78, 7 mai 2019).

19.  La Cour observe aussi que, en vertu de l’ordonnance présidentielle précitée, la commission d’indemnisation est également compétente pour examiner les demandes de dommages pour préjudice moral et statuer sur celles-ci. Par conséquent, à la lumière de ses conclusions au regard du préjudice matériel, il y a lieu également de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention, concernant la demande du dommage moral en raison de la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

B.    Frais et dépens

20.  Les requérants réclament 3 970 livres turques (environ 1 880 EUR) pour les frais et dépens engagés devant la Cour et les instances nationales. Il fournit des justificatifs relatifs à des frais d’expertises et de traduction.

21.  Le Gouvernement conteste ces prétentions.

22.  En l’espèce, eu égard aux documents dont elle dispose et à sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme demandée par les requérants pour frais et dépens et la leur accorde conjointement.

C.    Intérêts moratoires

23.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Décide de rayer du rôle la partie de l’affaire relative à la question de l’article 41 de la Convention, concernant la demande du dommage matériel et moral;

2.      Dit,

a)      que l’État défendeur doit verser aux requérants conjointement, au titre des frais et dépens, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 1 880 EUR (mille huit cent quatre-vingt euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3.      Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 octobre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley Naismith                                                                    Robert Spano
        Greffier                                                                               Président


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