BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?

No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!



BAILII [Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback]

European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BABIUC v. ROMANIA - 55958/15 (Judgment : Article 3 - Prohibition of torture : Fourth Section Committee) French Text [2019] ECHR 865 (03 December 2019)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/865.html
Cite as: [2019] ECHR 865, CE:ECHR:2019:1203JUD005595815, ECLI:CE:ECHR:2019:1203JUD005595815

[New search] [Contents list] [Help]


 

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE BABIUC c. ROUMANIE

(Requête no 55958/15)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

3 décembre 2019

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Babiuc c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

          Faris Vehabović, président,
          Iulia Antoanella Motoc,
          Carlo Ranzoni, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 novembre 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 55958/15) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Constantin-Gavril Babiuc (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 novembre 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Mes L.A. Criste et G. Mateut, avocats à Cluj-Napoca et à Arad respectivement. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3.  Le 30 mars 2017, les griefs concernant les conditions de détention du requérant et la publication dans la presse des extraits du dossier des poursuites ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

4.  Le Gouvernement s’oppose à l’examen de la requête par un Comité. Après avoir examiné l’objection du Gouvernement, la Cour la rejette.

EN FAIT

5.  Le requérant est né en 1972. Il réside à Rădăuţi.

6.  Le 23 juin 2014, il fut arrêté et placé en détention provisoire dans le cadre d’une enquête concernant des faits de corruption.

7.  Il fut détenu successivement dans les dépôts de la police de Bucarest et de Cluj-Napoca et dans la prison de Gherla.

8.  Le Gouvernement fournit les informations suivantes à ce sujet. Le requérant a été détenu au dépôt de la police de Bucarest dans une cellule de 13,59 m2 avec sept autres détenus. Au dépôt de la police de Cluj-Napoca, il a été détenu dans une cellule de 9,63 m2 avec trois autres détenus. À la prison de Gherla, il a été détenu pendant environ un mois dans des cellules où il a disposé d’un espace individuel compris entre 2,29 m2 et 2,88 m2. Pendant environ cinq mois, il a été détenu dans deux cellules de 55 m2 et 57 m2 qu’il partageait avec sept ou huit autres détenus en moyenne. Ces cellules étaient équipées de mobilier et de lits pour accueillir respectivement 27 et 30 détenus.

9.  Le 6 mai 2015, le requérant fut remis en liberté sous contrôle judiciaire. L’enquête est toujours en cours devant le parquet.

10.  Entre les 23 juin et 2 juillet 2014, la presse locale et plusieurs portails d’actualités sur Internet publièrent des articles concernant l’arrestation du requérant. Certains articles contenaient des extraits du dossier des poursuites, dont des fragments de la transcription des écoutes téléphoniques des conversations entre le requérant et plusieurs personnes.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

11.  Le requérant se plaint de mauvaises conditions de détention et en particulier de la surpopulation carcérale et de mauvaises conditions d’hygiène. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A.    Recevabilité

12.  Le Gouvernement soutient que le requérant a disposé, pendant environ cinq mois de sa détention à la prison de Gherla, d’un espace personnel compris entre 6 m2 et 7 m2. Il avance également que les autorités internes ont déployé des efforts pour améliorer les conditions de détention.

13.  La Cour renvoie aux principes bien établis dans sa jurisprudence en matière de conditions matérielles de détention (voir, par exemple, Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, §§ 96-101, 20 octobre 2016). Elle rappelle en particulier qu’un grave manque d’espace dans une cellule pénitentiaire, pris soit seul soit combiné à d’autres lacunes, est un facteur à prendre en compte pour la détermination du caractère « dégradant » au sens de l’article 3 de la Convention des conditions de détention décrites et pour la constatation d’une violation de cet article (ibid., §§ 122-141, et Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, §§ 149-159, 10 janvier 2012).

14.  La Cour examinera tout d’abord la période d’environ cinq mois pendant laquelle le requérant a été détenu dans la prison de Gherla dans des cellules de 55 m2 et 57m2 avec environ sept ou huit autres détenus (paragraphe 8 ci-dessus), la Cour observe que le requérant a disposé d’un espace individuel de plus de 6 m2. Le requérant n’a pas contesté ces informations fournies par le Gouvernement.

15.  La Cour rappelle que lorsqu’un détenu dispose de plus de 4 m2 d’espace personnel en cellule collective, cet aspect de ses conditions matérielles de détention ne pose pas de problème (Muršić, précité, § 140).

16.  Dans ces circonstances, et en l’absence d’autres éléments de nature à démontrer que les conditions générales de la détention du requérant à la prison de Gherla pendant la période en question étaient inadéquates ou autrement contraires à l’article 3 de la Convention, la Cour ne saurait conclure que le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de cette disposition ait été atteint.

17.  Il s’ensuit que la partie du grief concernant les cinq mois environ pendant lesquels le requérant a disposé de plus de 6 m² d’espace individuel est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

18.  Pour ce qui est du restant de la détention du requérant, la Cour constate que le grief tiré de l’article 3 n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient dès lors de le déclarer recevable.

B.     Fond

19.   La Cour note qu’il n’est pas contesté par le Gouvernement que le requérant a disposé pendant sa détention dans les dépôts de la police de Bucarest et de Cluj-Napoca et pendant environ un mois dans la prison de Gherla d’un espace personnel inférieur à 3 m2 (paragraphe 8 ci-dessus).

20.  La Cour a déjà confirmé que la norme prédominante dans sa jurisprudence, à savoir 3 m² de surface au sol par détenu en cellule collective, était la norme minimale applicable au regard de l’article 3 de la Convention (Muršić, précité, § 136). Lorsque la surface au sol dont dispose un détenu en cellule collective est inférieure à 3 m², le manque d’espace personnel est considéré comme étant à ce point grave qu’il donne lieu à une forte présomption de violation de l’article 3. La charge de la preuve pèse alors sur le gouvernement défendeur, qui peut toutefois réfuter la présomption en démontrant la présence d’éléments propres à compenser cette circonstance de manière adéquate (ibid., §§ 137-138).

21.  Dans l’arrêt pilote Rezmiveș et autres c. Roumanie (nos 61467/12 et 3 autres, 25 avril 2017), la Cour a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention dans des circonstances de fait similaires à celles de la présente affaire.

22.  Ayant examiné tous les éléments qui lui ont été soumis par les parties, la Cour constate que le Gouvernement n’a pas présenté d’éléments susceptibles de renverser la présomption de violation de l’article 3 de la Convention. En outre, elle n’aperçoit aucun fait ou argument susceptible de la conduire en l’espèce à une conclusion différente de celle à laquelle elle est parvenue dans l’arrêt pilote Rezmiveș et autres (précité). Eu égard à sa jurisprudence en la matière, la Cour estime que les conditions de détention du requérant dans les dépôts de la police de Bucarest et de Cluj-Napoca et pendant environ un mois dans la prison de Gherla étaient contraires à l’article 3 de la Convention.

23.  Au vu de ces éléments, la Cour conclut à la violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention du requérant dans les dépôts de la police de Bucarest et de Cluj-Napoca et pendant la période d’environ un mois au cours de laquelle il a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel dans la prison de Gherla.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

24.  Le requérant dénonce une violation de son droit au respect de sa vie privée en raison de la publication dans la presse écrite et sur Internet d’extraits du dossier des poursuites. Il invoque l’article 8 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. »

25.  Le Gouvernement soulève d’emblée une exception tirée de la tardivité de ce grief. Il estime qu’en l’absence d’un recours efficace en droit interne pour remédier à la violation alléguée de l’article 8 de la Convention, le requérant aurait dû saisir la Cour dans un délai de six mois après la publication du dernier article litigieux, le 2 juillet 2014 (voir, mutatis mutandis, Mucea c. Roumanie (déc.), no 24591/07, §§ 38-40, 24 mai 2016).

26.  Le requérant considère que l’atteinte dénoncée s’analyse en une violation continue de son droit au respect de la vie privée tant que les articles litigieux sont accessibles au public et que la procédure pénale est en cours.

27.  La Cour rappelle que, en règle générale, le délai de six mois commence à courir à la date de la décision définitive intervenue dans le cadre du processus d’épuisement des voies de recours internes. Toutefois, lorsqu’il est clair d’emblée que le requérant ne dispose d’aucun recours effectif, le délai de six mois prend naissance à la date des actes ou mesures dénoncés ou à la date à laquelle l’intéressé en prend connaissance ou en ressent les effets ou le préjudice, et, lorsqu’il s’agit d’une situation continue, il court à partir de la fin de celle-ci (Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09 et 2 autres, § 259, CEDH 2014 (extraits)).

28.  La Cour rappelle également avoir déjà jugé qu’il n’y avait en droit interne aucun recours pour se plaindre de la fuite dans la presse des informations contenues dans le dossier des poursuites (Căşuneanu c. Roumanie, no 22018/10, §§ 68-72, 16 avril 2013).

29.  Par conséquent, elle considère que, en l’absence d’un recours effectif, le délai de six mois a commencé à courir en l’espèce à la date de la publication des articles litigieux, à savoir au plus tard le 2 juillet 2014 (paragraphe 10 ci-dessus). Or le requérant a introduit sa requête le 6 novembre 2015 (paragraphe 1 ci-dessus).

30. Il s’ensuit que le grief tiré de l’article 8 de la Convention est tardif et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Mucea, décision précitée, § 40).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

31.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage

32.  Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) pour dommage moral.

33.  Le Gouvernement considère que l’arrêt de la Cour pourrait constituer, en soi, une satisfaction équitable suffisante.

34.  Statuant en équité, comme l’exige l’article 41 de la Convention, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 1 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.     Frais et dépens

35.  Sans les quantifier ni fournir de justificatifs, le requérant demande le remboursement des frais et dépens qu’il dit avoir engagés devant la Cour.

36.  Le Gouvernement conteste cette demande.

37.  La Cour observe que le requérant n’a nullement étayé sa demande. En conséquence, elle décide de ne pas lui allouer de somme à ce titre.

C.    Intérêts moratoires

38.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention du requérant dans les dépôts de la police de Bucarest et de Cluj-Napoca et pendant la période d’environ un mois au cours de laquelle il a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel dans la prison de Gherla et irrecevable pour le surplus ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3.      Dit

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.      Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 décembre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Andrea Tamietti                                                                  Faris Vehabović
  Greffier adjoint                                                                        Président


BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/865.html