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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> CONSOCIVIL S.A. v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 25795/07 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Second Section Committee) [2019] ECHR 873 (03 December 2019) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/873.html Cite as: CE:ECHR:2019:1203JUD002579507, [2019] ECHR 873, ECLI:CE:ECHR:2019:1203JUD002579507 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE CONSOCIVIL S.A. c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA
(Requête no 25795/07)
ARRÊT
STRASBOURG
3 décembre 2019
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Consocivil S.A. c. République de Moldova,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
Egidijus Kūris, président,
Valeriu Griţco,
Darian Pavli, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 novembre 2019,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25795/07) dirigée contre la République de Moldova et dont la société Consocivil S.A. (« la société requérante ») a saisi la Cour le 7 mai 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. La société requérante a été représentée par Me I. Mandîş, avocat à Chişinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. L. Apostol.
3. La société requérante se plaignait de décisions de justice qu’elle estimait arbitraires et, dès lors, contraires à l’article 6 § 1 de la Convention. Sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, elle alléguait être victime d’une ingérence injustifiée dans son droit au respect de ses biens. Enfin, elle se plaignait de ne pas avoir disposé d’un recours interne effectif, au sens de l’article 13 de la Convention.
4. Le 16 septembre 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
5. La société requérante, Consocivil S.A., est une société de droit moldave ayant son siège à Chişinău.
A. La genèse de l’affaire
6. Le 3 juillet 1987 et le 1er juillet 1993, la mairie de Chişinău attribua à l’Université d’État d’éducation physique et sportive (Universitatea de Stat de Educație Fizică și Sport, « l’UEEPS ») la jouissance économique (administrare economica) d’un terrain à bâtir de 1 770 m2, tout en conservant la propriété. Le bénéficiaire d’un droit de jouissance économique peut user du bien, en percevoir les fruits et en disposer dans les limites fixées par le propriétaire ou par la loi.
7. Le 20 juin 2000, l’UEEPS donna ce terrain en location à la société F. Celle-ci devait y construire un complexe de tennis de 1 045 mètres carrés (m2), un parking de 505 m2 et un vestiaire de 218 m2. Le contrat, qui était conclu pour une durée de vingt ans, prévoyait que le coût des travaux serait à la charge de la société F. mais serait déduit du loyer. Il stipulait également que le bien ne pourrait pas être sous-loué sans l’accord de l’UEEPS.
8. Il ressort du dossier qu’en décembre 2001, l’UEEPS, en qualité de bénéficiaire, et la société F., en qualité d’entrepreneur, signèrent le procès‑verbal de réception définitive du complexe de tennis et du parking.
B. L’enregistrement du droit de propriété de la société requérante sur le complexe sportif
9. Le 30 octobre 2000, l’UEEPS donna son accord pour que la mairie de Chişinău louât 280 m2 du terrain à la société requérante, chargée d’achever la construction du vestiaire.
10. Le 25 janvier 2001, la mairie de Chişinău adopta la décision de location de la parcelle de terrain susmentionnée à la société requérante. Cette décision prévoyait que la construction serait édifiée conformément au certificat d’urbanisme no 975 du 5 juillet 2000 et au permis de construire no 142/00 du 28 juillet 2000.
11. Le 5 février 2001, la société requérante conclut avec la mairie de Chişinău le contrat de bail en vertu duquel elle devait construire le vestiaire et l’exploiter.
12. Le 3 mars 2003, la mairie de Chişinău et la société requérante signèrent le procès-verbal de réception définitive des travaux du vestiaire. Dans le procès-verbal, ce vestiaire était dénommé « complexe sportif », désignation qui resta utilisée par la suite dans tous les documents.
13. Le 31 mars 2003, sur la base du procès-verbal de réception définitive et du contrat de bail du 5 février 2001, la société requérante fit procéder à l’inscription au registre des biens immeubles de son droit de propriété sur le complexe sportif.
C. La sous-location du terrain
14. Entretemps, par un contrat du 30 octobre 2002, la société F. avait sous-loué l’intégralité du terrain à la société requérante.
15. Se prévalant du contrat susmentionné, cette dernière obtint un certificat d’urbanisme (no 2807) et un permis de construire (no 567) l’autorisant à ériger sur le complexe de tennis un toit et un entrepôt. Il ressort du dossier qu’un certificat d’urbanisme portant le même numéro et la même date que celui obtenu par la société requérante fut délivré par la mairie à l’UEEPS.
16. À une date non précisée dans le dossier, l’UEEPS sollicita en justice la résiliation du contrat de bail qu’elle avait conclu avec la société F. ainsi que l’expulsion de cette dernière.
17. Par une décision du 27 octobre 2004, le tribunal économique de Chişinău admit l’action de l’UEEPS, prononça la résiliation du contrat de bail du 20 juin 2000 au motif que la société F. avait sous-loué le bien en violation des stipulations contractuelles, et ordonna l’expulsion de la société. Le 27 octobre 2005, la Cour suprême de justice confirma cette décision.
18. Entretemps, par une décision du 20 mai 2005, la cour d’appel de Chişinău, saisie d’un recours de l’UEEPS, avait annulé le certificat d’urbanisme no 2807 et le permis de construire no 567 délivrés à la société requérante pour la construction du toit et de l’entrepôt sur le complexe de tennis, constatant qu’ils avaient été obtenus illégalement. Par la même décision, elle avait reconnu la validité du certificat d’urbanisme délivré à l’UEEPS. Le 20 juillet 2005, la Cour suprême de justice confirma cette décision.
D. L’expulsion de la société requérante
19. Le 31 mars 2006, un huissier de justice entama la procédure d’exécution de la décision du 27 octobre 2005 confirmant l’expulsion de la société F. Le 5 avril 2006, il constata que les lieux étaient occupés par la société requérante et suspendit la procédure d’exécution.
20. Le 14 avril 2006, l’huissier de justice reprit la procédure. Il expulsa la société requérante du complexe sportif et du complexe de tennis, et fit débarrasser les immeubles de tous les biens qui s’y trouvaient. La société requérante introduisit une contestation, indiquant qu’elle occupait les lieux en vertu du titre de propriété en date du 31 mars 2003. Il ressort du procès-verbal d’expulsion qu’elle n’avait pas répondu à l’huissier de justice lorsque celui-ci lui avait demandé où déposer les biens évacués. Ces biens avaient donc été remis à l’UEEPS pour conservation. Il semble que la société requérante n’en ait pas demandé la restitution.
21. Le 22 mai 2006, la société requérante contesta en justice les actions entreprises par l’huissier. Elle soutenait que celui-ci l’avait expulsée en l’absence de toute base légale. À l’appui de cette thèse, elle produisait un extrait cadastral ainsi que des relevés fiscaux confirmant son droit de propriété sur le complexe sportif et sur les biens qui en avaient été débarrassés. Elle précisait qu’elle n’avait été partie ni au litige ayant donné lieu à la décision du 27 octobre 2005 ni à la procédure d’exécution correspondante.
22. Le 2 octobre 2006, le tribunal de première instance de Buiucani rejeta l’action de la société requérante. Il constata que le contrat de location conclu entre l’UEEPS et la société F. et le contrat de sous-location conclu entre la société F. et la société requérante avaient été résiliés et qu’aucun autre document confirmant le droit de propriété de la société requérante n’avait été produit. Il ne répondit pas à l’argument avancé par la société requérante quant à son droit de propriété sur le complexe sportif. La société requérante forma un recours contre cette décision, en répétant les mêmes arguments que devant le tribunal de première instance.
23. Le 28 novembre 2006, la cour d’appel de Chişinău débouta la société requérante de son recours, sans se prononcer sur les arguments qu’elle avait avancés.
E. L’annulation du droit de propriété de la société requérante sur le complexe sportif
24. Le 4 juin 2007, l’UEEPS introduisit une action en justice contre la mairie, l’office territorial cadastral et la société requérante. Elle demandait l’annulation du procès-verbal de réception définitive daté du 3 mars 2003, la radiation du droit de propriété de la société requérante et l’enregistrement de son propre droit de propriété sur le complexe sportif. Elle arguait que le procès-verbal de réception des travaux avait été établi sur le fondement du certificat d’urbanisme no 2807 et du permis de construire no 567/02 et que ces documents avaient été annulés par la Cour suprême de justice le 20 juillet 2005 (paragraphe 18 ci-dessus). Elle soutenait également que le procès-verbal de réception avait été falsifié par le dirigeant de la société requérante, qui avait selon elle modifié la dénomination du vestiaire en « complexe sportif ».
25. Dans son mémoire en défense, la société requérante sollicita le rejet de l’action pour tardiveté et défaut de fondement. Elle arguait notamment que le délai pour introduire un recours administratif contentieux était de trente jours. Elle ajoutait qu’en tout état de cause, le délai de prescription extinctive de trois ans applicable en droit commun était écoulé depuis 2006. Elle indiquait également que le certificat d’urbanisme et le permis de construire cités par l’UEEPS concernaient un autre immeuble, à savoir le toit et l’entrepôt du complexe de tennis, et que le complexe sportif avait été construit en vertu du certificat d’urbanisme no 975 et de l’autorisation de construction no 142/00, documents qui étaient mentionnés dans la décision de la mairie du 25 janvier 2001(paragraphe 10 ci-dessus).
26. Le 23 octobre 2007, la cour d’appel de Chişinău accueillit partiellement l’action de l’UEEPS : elle annula le procès-verbal de réception du 3 mars 2003 et ordonna la radiation du droit de propriété de la société requérante ; elle rejeta la demande de reconnaissance du droit de propriété de l’UEEPS sur le complexe sportif au motif que l’intéressée n’avait pas produit les documents nécessaires, et elle jugea que l’enregistrement du droit de propriété de la société requérante était entaché de nullité puisque les documents sur lesquels il reposait avaient été annulés. Elle ne se prononça pas sur le bien-fondé des moyens de la société requérante. Celle-ci forma contre cette décision un recours dans lequel elle répétait les mêmes arguments que précédemment.
27. Le 23 janvier 2008, la Cour suprême de justice confirma l’arrêt du 23 octobre 2007, sans se prononcer sur la tardiveté alléguée de l’action ni sur l’existence d’un autre certificat d’urbanisme et d’un autre permis de construire.
28. Le Procureur général introduisit une action au nom de l’État. Le 23 octobre 2008, le tribunal économique de circonscription accueillit cette action et reconnut le droit de propriété de l’UEEPS sur le complexe sportif et sur le toit du complexe de tennis.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
29. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 793 relative au contentieux administratif, en vigueur à l’époque des faits, se lisaient comme suit :
Article 17. Délai d’introduction d’un recours administratif contentieux
« 1. Le délai d’introduction d’un recours aux fins de l’annulation d’un acte administratif ou de la reconnaissance d’un droit est de trente jours.
(...)
4. Le délai de trente jours [visé au paragraphe 1] est un délai de prescription.
5. Une personne ayant agi hors du délai de prescription et justifiant de motifs pertinents peut être relevée de la forclusion.
(...) »
30. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code civil du 6 juin 2002, en vigueur à l’époque des faits, se lisaient comme suit :
Article 267. Le délai de prescription extinctive de droit commun
« Le délai à l’intérieur duquel une personne peut faire valoir ses droits en introduisant une action en justice est de trois ans.
(...) »
31. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de l’exécution du 24 décembre 2004, en vigueur à l’époque des faits, se lisaient comme suit :
Article 72. Adaptation des modalités de l’exécution et modification de l’ordonnance correspondante
« 1. S’il existe des circonstances rendant l’exécution d’une décision de justice difficile ou impossible, l’huissier ou les parties peuvent déposer auprès du tribunal qui a délivré le titre exécutoire une demande d’adaptation des modalités de l’exécution et de modification de l’ordonnance correspondante.
(...) »
Article 144. L’expulsion
« 1. L’expulsion consiste à faire libérer les lieux concernés des personnes visées dans le titre exécutoire, et des biens appartenant à ces personnes.
(...)
4. S’il est impossible de procéder à l’expulsion, l’huissier de justice demande au tribunal de suspendre la procédure d’exécution.
(...)
5. L’expulsion s’applique à toutes les personnes mentionnées dans le titre exécutoire et aux biens leur appartenant, ou, si elle concerne des locaux non destinés à un usage locatif, aux biens qui se trouvent sur les lieux.
(...) »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
32. La société requérante se plaint que les tribunaux nationaux n’aient pas répondu aux principaux moyens qu’elle avait soulevés dans le cadre de la procédure d’expulsion et de la procédure d’annulation de son droit de propriété. Elle s’estime victime d’une atteinte au droit à un procès équitable et, partant, d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Les parties pertinentes en l’espèce de cet article se lisent ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
33. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité pour non‑épuisement des voies de recours internes. Il argue que la société requérante n’a pas plaidé la tardiveté de l’action de l’UEEPS devant la cour d’appel de Chişinău mais n’a soulevé ce moyen que dans son recours devant la Cour suprême de justice : celle-ci n’aurait alors plus eu la faculté de l’examiner.
34. La Cour constate que la société requérante a invoqué devant la cour d’appel la prescription de l’action de l’UEEPS tant dans son mémoire en défense que dans ses conclusions orales. Par conséquent, il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement à cet égard.
35. Sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, la société requérante se plaint également de son expulsion du complexe de tennis et de la conservation de ses biens par l’UEEPS.
36. En ce qui concerne les biens de la société requérante, la Cour constate qu’il ressort du procès-verbal d’expulsion que l’huissier de justice a demandé à l’intéressée de lui indiquer un endroit où les déposer et que, celle-ci ne lui ayant pas répondu, il les a remis pour conservation à l’UEEPS. Rien dans le dossier ne permet de dire que la société requérante ait demandé à l’UEEPS de lui restituer ces biens et que cette dernière ait refusé de le faire. Par conséquent, il y a lieu de rejeter cette partie du grief pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
37. La société requérante se plaint également de son expulsion. La Cour constate qu’au moment de l’expulsion, l’intéressée n’était titulaire d’aucun droit sur le complexe de tennis ni sur le toit qui y avait été construit. Le certificat d’urbanisme et le permis de construire délivrés pour la construction du toit et de l’entrepôt avaient été annulés pour avoir été obtenus illégalement (paragraphe 18 ci-dessus). De plus, il ressort du dossier que le complexe de tennis avait été remis à l’UEEPS, en tant que bénéficiaire, par la société F. en 2001 (paragraphe 8 ci-dessus). Par conséquent, cette partie du grief doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
38. Constatant que le reste du grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.
B. Sur le fond
39. La société requérante se plaint que les tribunaux nationaux aient accueilli, malgré son caractère tardif, l’action dirigée contre elle et qu’ils aient annulé son droit de propriété sans avancer aucune explication à cet égard. Elle ajoute que, dans le cadre de la procédure d’expulsion du complexe sportif, ils n’ont pas répondu aux arguments qu’elle avait avancés, d’une part quant à son droit de propriété sur le bien et d’autre part quant au fait qu’elle n’était pas la société visée par le titre exécutoire d’expulsion.
40. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse, arguant que la société requérante avait fait enregistrer son droit de propriété en produisant des documents qui ont ensuite été annulés par une décision de justice définitive. En ce qui concerne la procédure d’expulsion, il ne fait pas de commentaires.
41. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, les juridictions internes doivent motiver leurs décisions (Van de Hurk c. Pays‑Bas, 19 avril 1994, § 61, série A no 288). L’étendue du devoir de motivation peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce (Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, § 29, série A no 303‑A). Si l’article 6 § 1 de la Convention ne peut se comprendre comme exigeant des tribunaux qu’ils apportent une réponse détaillée à chaque argument soulevé, il doit néanmoins ressortir de la décision que les questions essentielles de la cause ont été traitées (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 91, CEDH 2010).
42. La Cour rappelle également que le respect des conditions de recevabilité pour l’exécution des actes de procédure constitue un aspect important du droit à un procès équitable (Dacia S.R.L. c. Moldova, no 3052/04, § 75, 18 mars 2008).
43. En l’espèce, elle constate que, le 3 mars 2003, la mairie de Chişinău et la société requérante ont signé le procès-verbal de réception définitive des travaux du complexe sportif et que, le 31 mars 2003, la société requérante a fait inscrire son droit de propriété au registre des biens immeubles. L’UEEPS a introduit son action en nullité le 4 juin 2007, soit après plus de quatre ans, sans demander à être relevée de la forclusion.
44. La Cour note ensuite que la loi prévoyait un délai de trente jours pour l’exercice d’un recours contre un acte administratif et que le délai de prescription extinctive de droit commun était de trois ans (paragraphes 29 et 30 ci-dessus). Elle relève également que, dans son mémoire en défense devant la cour d’appel de Chişinău ainsi que devant la Cour suprême de justice, la société requérante a exposé d’une manière claire et précise le moyen tiré de la prescription de l’action.
45. La Cour constate qu’en l’occurrence, le moyen tiré de la prescription de l’action était pertinent et décisif. S’il avait été jugé fondé, l’action aurait dû être rejetée. Or la cour d’appel de Chişinău et la Cour suprême de justice sont restées silencieuses sur ce point et, en l’absence d’une réponse explicite de leur part, il est impossible de savoir si elles ont simplement négligé ce moyen ou si elles ont voulu le rejeter ni, dans cette dernière hypothèse, quelles auraient été les raisons de ce rejet (Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, § 30, série A no 303‑A, et Lebedinschi c. République de Moldova, no 41971/11, § 35, 16 juin 2015).
46. La Cour constate également que les tribunaux nationaux ont annulé le droit de propriété de la société requérante principalement au motif que ce droit avait été enregistré sur la base de documents qu’une décision de justice avait ensuite annulés. Ni la cour d’appel de Chişinău ni la Cour suprême de justice n’ont examiné l’argument de la société requérante selon lequel les documents en question concernaient un autre bien.
47. Pour ce qui est de la procédure d’expulsion, la Cour constate qu’à la date de l’expulsion, la société requérante était la propriétaire du complexe sportif (paragraphe 13 ci-dessus). Elle relève ensuite que l’intéressée a opposé à la procédure d’expulsion un moyen tiré de son droit de propriété sur ce complexe, qu’elle a formulé ce moyen de manière claire et précise et qu’elle a produit à titre de preuve un certificat officiel.
48. La Cour observe encore qu’en vertu de l’article 144 du code de l’exécution, seuls les personnes et les biens visés dans le titre exécutoire pouvaient être expulsés des lieux. Or le titre exécutoire d’expulsion concernait une autre société, et le droit interne autorisait l’huissier de justice à suspendre la procédure d’exécution et à solliciter du tribunal la modification des modalités de l’exécution.
49. La Cour estime que l’argument que la société requérante tirait de son droit de propriété était pertinent et appelait une réponse spécifique et explicite. Or les tribunaux ont motivé leurs décisions en retenant que les contrats de location et de sous-location concernant le terrain en cause avaient été résiliés et ils ne se sont pas prononcés sur les arguments avancés par la société requérante.
50. À la lumière de ce qui précède, la Cour juge que les procédures relatives à l’annulation du droit de propriété de la société requérante et à l’expulsion de celle-ci du complexe sportif n’ont pas été équitables et que, par conséquent, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION
51. La société requérante voit dans l’annulation de son droit de propriété et dans son expulsion du complexe sportif une violation de son droit au respect de ses biens. Elle invoque l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. En son passage pertinent en l’espèce, cet article est ainsi libellé :
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens (...) »
52. Eu égard à ses conclusions sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphes 39-50 ci-dessus), la Cour ne saurait spéculer sur ce qu’eût été l’issue de l’action si les exigences du droit à un procès équitable avait été respectées devant les tribunaux internes.
53. Partant, elle estime qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le bien-fondé du grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Vlasia Grigore Vasilescu c. Roumanie, no 60868/00, §§ 50 et 51, 8 juin 2006).
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
54. La société requérante se plaint également de ne pas avoir disposé d’un recours interne effectif. Elle invoque l’article 13 de la Convention.
55. Eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner le point de savoir s’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 13 de la Convention (voir, entre autres, Popov c. République de Moldova (no 2), no 19960/04, § 55, 6 décembre 2005, et Iurii c. République de Moldova, no 24446/09, § 25, 13 décembre 2016).
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
56. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
57. À titre principal, la société requérante sollicite la restitution du complexe sportif et du toit du complexe de tennis. En cas de non-restitution, elle réclame la somme de 1 573 650 euros (EUR), correspondant à la valeur attribuée à ces biens dans un rapport d’évaluation daté du 2 mars 2015. Elle demande également 854 110,10 EUR à titre de compensation de la valeur des biens remis à l’UEEPS au moment de l’expulsion, du manque à gagner et des intérêts liés à l’inflation. Elle sollicite enfin 137 000 EUR au titre du préjudice moral qu’elle estime avoir subi.
58. Le Gouvernement considère que les sommes réclamées sont excessives. Il soutient que le dommage matériel allégué ne présente pas de lien de causalité avec la violation constatée.
59. La Cour ne saurait spéculer sur ce qu’aurait été l’issue de la procédure interne si la violation n’avait pas eu lieu (Hirvisaari c. Finlande, no 49684/99, § 37, 27 septembre 2001). Par conséquent, elle rejette la demande présentée au titre du préjudice matériel. À cet égard, elle relève que lorsque, comme en l’espèce, elle constate la violation des droits d’un requérant, celui-ci peut, en vertu de l’article 449 h) du code de procédure civile, obtenir la révision de son procès au niveau interne (Nichifor c. République de Moldova, no 52205/10, § 38, 20 septembre 2016). En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à la société requérante 2 000 EUR pour préjudice moral.
B. Frais et dépens
60. La société requérante demande 7 989 EUR pour les frais et dépens engagés aux fins des procédures menées devant les juridictions internes et 9 330 EUR pour ceux engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour. Elle sollicite également 343 EUR pour les frais de traduction et 484 EUR pour les frais d’établissement du rapport d’évaluation des biens et pour l’intervention de services d’audit.
61. Le Gouvernement conteste ces prétentions.
62. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où il est établi qu’ils ont été réellement exposés, qu’ils correspondaient à une nécessité et qu’ils sont d’un montant raisonnable (voir, parmi beaucoup d’autres, Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 171, 22 mars 2012). En l’espèce, eu égard aux documents dont elle dispose et à la complexité de l’affaire, la Cour juge raisonnable d’allouer à la société requérante 1 700 EUR.
C. Intérêts moratoires
63. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs formulés sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention relativement à l’expulsion de la société requérante et à l’annulation du droit de propriété de l’intéressée sur le complexe sportif, et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
4. Dit
(a) que l’État défendeur doit verser à la société requérante, dans les trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :
(i) 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;
(ii) 1 700 EUR (mille sept cents euros), plus tout montant pouvant être dû par la société requérante à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;
(b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 décembre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Hasan Bakırcı Egidijus Kūris
Greffier adjoint Président