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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> LAUREUX v. FRANCE - 60506/13 (Judgment : Right to a fair trial : Fifth Section Committee) French Text [2019] ECHR 892 (05 December 2019)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2019/892.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2019:1205JUD006050613, CE:ECHR:2019:1205JUD006050613, [2019] ECHR 892

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CINQUIÈME SECTION

 

AFFAIRE LAUREUX c. FRANCE

(Requête no 60506/13)

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

STRASBOURG

5 décembre 2019

 

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Laureux c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en un comité composé de :

          Mārtiņš Mits, président,
          André Potocki,
          Lәtif Hüseynov, juges,

et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 novembre 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60506/13) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Jean‑Pierre Laureux (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 septembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me P. Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

3.  Le 14 janvier 2015, les griefs tirés de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, concernant le défaut de notification de son droit au silence et l’absence, dès le début de la mesure de garde à vue et durant chacun des interrogatoires, d’assistance effective d’un avocat, ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

4.  Le requérant est né en 1955 et réside à Toulouse.

5.  Le 14 novembre 2010, A.M. déposa plainte pour dénoncer des faits d’attouchements sexuels commis la veille sur son fils, J., par le père d’un camarade chez qui il passait la nuit.

6.  Arrêté, le requérant fut placé en garde à vue le 21 mars 2011. Il fut informé de ses droits, notamment de la possibilité de s’entretenir avec un avocat pour une durée n’excédant pas trente minutes, conformément au droit alors en vigueur. Le requérant demanda à faire prévenir son ex-épouse, mais il ne souhaita pas bénéficier d’un entretien avec un avocat au début de la garde à vue et lors de la prolongation de celle-ci.

7.  Durant sa garde à vue, il fut auditionné à trois reprises : le 21 mars 2011 de 10 h 50 à 12 h 40 et de 17 h 15 à 18 heures, ainsi que le 22 mars 2011, après prolongation de la garde à vue, de 8 h 45 à 9 h 40. Le requérant fut examiné par le médecin de permanence. Il contesta les faits reprochés lors des deux premières auditions avant de les reconnaître lors de la dernière, le 22 mars. Il donna des précisions et confirma les allégations de J., concluant ses déclarations en présentant ses excuses à l’enfant et à sa mère. Le même jour, il fut ensuite examiné par un psychiatre. Devant ce dernier, il confirma ses déclarations, tout en déclarant trouver son geste écœurant. La garde à vue prit fin le 23 mars 2011 à 8 h 15.

8.  Le requérant réitéra ses aveux devant le représentant du ministère public, qui les reprit dans le procès-verbal de convocation devant le tribunal correctionnel. Par ailleurs, le requérant fut placé sous contrôle judiciaire, pour avoir, le 13 novembre 2010, en procédant à un attouchement de nature sexuelle, commis une atteinte sexuelle avec violence, contrainte, menace ou surprise sur la personne de J., mineur de moins de quinze ans, avec cette circonstance qu’il avait autorité sur la victime confiée par sa mère.

9.  Par un jugement du 29 juin 2011, le tribunal correctionnel de Toulouse rejeta les exceptions soulevées in limine litis par le requérant, estimant que ce dernier n’avait pas voulu bénéficier d’un entretien avec un avocat et qu’il avait fait usage de son droit de ne pas s’auto-incriminer durant les deux premiers interrogatoires. En revanche, le tribunal ordonna l’annulation et la cancellation des propos tenus par le requérant en l’absence de son avocat et recueillis par le représentant du ministère public dans le procès-verbal de convocation devant le tribunal. Toutefois, il n’annula pas le procès-verbal de convocation lui-même.

10.  Sur le fond, le tribunal déclara le requérant coupable des faits reprochés, se fondant notamment « sur la reconnaissance intégrale des faits par le prévenu (3ème audition) ». Il le condamna à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis, assortie d’une mise à l’épreuve pendant trois ans avec une obligation de soins et d’indemnisation de la victime. Il accorda à cette dernière 2 500 EUR de dommages-intérêts pour son préjudice moral. Le requérant, le procureur de la République et la partie civile interjetèrent appel du jugement.

11.  Par un arrêt du 21 février 2012, la cour d’appel de Toulouse rejeta les demandes de nullité présentées par le requérant, estimant notamment qu’il avait renoncé à son droit de s’entretenir avec un avocat durant sa garde à vue, le droit à un avocat ne pouvant par ailleurs être compris comme une obligation. Elle confirma cependant la cancellation des propos du requérant repris par le représentant du ministère public dans le procès-verbal de convocation devant le tribunal. Sur le fond, la cour d’appel confirma la déclaration de culpabilité et la peine, tout en infirmant le jugement s’agissant des obligations complémentaires. Dans sa motivation, après un rappel des faits, elle se fonda sur les éléments suivants : la nature et la crédibilité des déclarations faites par J., qui avait subi un examen psychologique et était depuis suivi par un psychiatre, relevant notamment qu’elles étaient précises et circonstanciées, sans avoir varié dans le temps durant les auditions successives ; un certificat de la directrice de l’école où J. était scolarisé, indiquant que ce dernier avait parlé de son agression à son enseignant ; les déclarations de différents témoins, à savoir du fils et de l’ex-épouse du requérant, d’un autre copain du fils présent le jour des faits et de ses parents, qui tous indiquèrent l’absence de crainte à l’égard du requérant ou de problème dans le passé ; les déclarations du requérant lors de la garde à vue, en particulier lors du troisième interrogatoire au cours duquel il avait reconnu les faits ; les conclusions du psychiatre qui avait examiné le requérant durant la garde à vue et à qui ce dernier avait confirmé son geste tout en le qualifiant d’écœurant. La cour d’appel ajouta, en conclusion de son examen de la culpabilité, que si le requérant était revenu sur ses aveux au cours des débats devant elle, les expliquant par la difficulté à vivre la garde à vue, elle considérait au contraire que, durant la garde à vue, « les détails donnés sur les faits par [le requérant], qui souligne leur brièveté, associés à l’expression d’un écœurement et de ses excuses sont le reflet de la réalité (...), les déclarations faites devant les enquêteurs [étant] confortées par les indications données à l’expert psychiatre (...) ».

12.  Par ailleurs, la cour d’appel accorda également 2 500 EUR à la victime à titre de dommages-intérêts. Enfin, elle constata l’inscription de plein droit du requérant au Fichier national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIS).

13.  Le requérant forma un pourvoi en cassation. Dans son mémoire ampliatif, il souleva plusieurs moyens, en particulier pour contester le rejet de sa demande de nullité de la mesure de garde à vue. Il soutient à cet égard que la renonciation au seul droit de s’entretenir avec un avocat pendant trente minutes ne pouvait valoir renonciation ni au droit de se taire et d’avoir notification d’un tel droit ni à la possibilité d’une assistance pleine et entière d’un avocat durant toute la garde à vue. Relevant la référence à ses déclarations durant la garde à vue dans la décision de condamnation, il invoqua l’article 6 de la Convention.

14.  Le 20 mars 2013, la Cour de cassation rejeta son pourvoi. S’agissant de la garde à vue, elle jugea que pour retenir la culpabilité du requérant les juges ne s’étaient fondés ni exclusivement ni essentiellement sur les déclarations recueillies au cours de la garde à vue.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 et 3 c) DE LA CONVENTION

15.  Le requérant allègue une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

3.  Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c)  se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

(...) »

16.  Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A.    Sur la recevabilité

17.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B.     Sur le fond

1.    Arguments des parties

18.  Le requérant rappelle que les exigences de l’article 6 § 1 ont été méconnues, puisqu’il a été condamné sur le fondement d’éléments recueillis durant sa garde à vue sans assistance d’un avocat ni notification du droit au silence. Il estime qu’il suffit que ses déclarations incriminantes faites en garde à vue soient utilisées, serait-ce parmi d’autres éléments, pour qu’il y ait violation de l’article 6, sans avoir besoin de rechercher si ces éléments ont constitué l’unique ou le principal fondement de la décision de condamnation. Il estime que la prise en compte de ses déclarations réalisées durant la garde à vue ne fait aucun doute, en particulier devant la cour d’appel qui y fait expressément référence à plusieurs reprises.

19.  Le Gouvernement ne conteste pas, d’une part, que le requérant a été placé en garde à vue sans que lui ait été notifié son droit au silence et, d’autre part, qu’il n’a pas bénéficié de l’assistance effective d’un avocat pendant ses interrogatoires de garde à vue. Il relève cependant que le requérant a refusé de s’entretenir avec un avocat lors de son placement en garde à vue et de la prolongation de celle-ci, pour une durée n’excédant pas trente minutes, conformément au droit alors en vigueur.

20.  Il estime que le droit français présentait d’autres garanties procédurales : le requérant a pu faire prévenir son ex-épouse, il a été examiné par un médecin à plusieurs reprises, et sa garde à vue s’est déroulée sous le contrôle du procureur de la République. Il considère en outre que le requérant a pu contester la valeur probante des pièces de la procédure devant les juridictions du fond. Il estime que la cour d’appel de Toulouse s’est notamment fondée sur les déclarations de la victime et des témoins, les constatations matérielles et les expertises médico-légales, ainsi que sur les expertises psychiatriques de la victime et du prévenu. Il note que la Cour de cassation a d’ailleurs relevé que les juges ne s’étaient fondés ni exclusivement ni même essentiellement sur les déclarations recueillies au cours de la garde à vue.

2.    Appréciation de la Cour

21.  La Cour renvoie aux principes généraux maintes fois réaffirmés par elle (Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 56 et 61-62, CEDH 2008, Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08, 50571/08, 50573/08 et 40351/09, 13 septembre 2016, et Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, 12 mai 2017 (extraits)), et rappelés récemment dans l’affaire Beuze c. Belgique ([GC], no 71409/10, §§ 119 et s., 9 novembre 2018), ainsi que dans les arrêts Olivieri c. France (no 62313/12, 11 juillet 2019) et Bloise c. France (no 30828/13, 11 juillet 2019).

22.  En l’espèce, la Cour note tout d’abord que si le requérant aurait pu s’entretenir avec un avocat durant sa garde à vue, la loi l’y autorisant pour une durée de trente minutes, et ce de nouveau lors de la prolongation de la mesure, il n’a pu bénéficier ni de l’assistance d’un avocat pendant les interrogatoires ni de la notification du droit au silence. Le Gouvernement le reconnaît. Dans ces conditions, la question d’une éventuelle renonciation au droit à l’assistance d’un avocat, au motif que le requérant a renoncé au bénéfice d’un simple entretien d’une durée légale ne pouvant excéder trente minutes, est sans objet (Navone et autres c. Monaco, nos 62880/11, 62892/11 et 62899/11, § 83, 24 octobre 2013).

23.  Elle relève ensuite qu’aucune raison impérieuse ne justifiait les restrictions susmentionnées en l’espèce (Olivieri, précité, § 32, et Bloise, précité, § 51).

24.  La Cour doit dès lors évaluer l’équité de la procédure en opérant un contrôle très strict et ce, à plus forte raison, dans le cas de restrictions d’origine législative ayant une portée générale et obligatoire (Olivieri, précité, § 33, et Bloise, précité, § 52).

25.  Examinant, dans la mesure où ils sont pertinents en l’espèce, les différents facteurs découlant de sa jurisprudence tels qu’ils ressortent des arrêts Ibrahim et autres, Simeonovi et Beuze (précités, respectivement §§ 274, 120 et 150), la Cour note en premier lieu l’absence tant de vulnérabilité particulière du requérant que de coercition exercée sur lui durant la garde à vue. Elle estime ensuite que des considérations d’intérêt public justifiaient la poursuite du requérant, celle-ci ayant pour objet des faits d’agression sexuelle sur un mineur.

26.  En outre, la Cour constate que le requérant, assisté cette fois d’un avocat, a pu faire valoir ses arguments devant les juridictions du fond, notamment pour discuter des différents éléments de preuve, en première instance comme en appel, dans le cadre du recours qui lui était ouvert et qu’il a pu exercer, puis devant la Cour de cassation, qui était saisie de son pourvoi.

27.  Elle rappelle cependant que, le 29 juin 2011, le tribunal correctionnel de Toulouse a rejeté les exceptions de nullité du requérant, aux motifs qu’il n’avait pas voulu bénéficier d’un entretien avec un avocat et qu’il avait fait usage de son droit de ne pas s’auto-incriminer durant les deux premiers interrogatoires (paragraphe 9 ci-dessus). Dans son arrêt du 21 février 2012, la cour d’appel de Toulouse a quant à elle rejeté les demandes de nullité présentées par le requérant, aux motifs que le requérant avait renoncé à son droit de s’entretenir avec un avocat durant sa garde à vue et que le droit à un avocat ne pouvait être compris comme une obligation (paragraphe 11 ci‑dessus). Elle note que la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant, en jugeant que la motivation retenue par la cour d’appel ne se fondait ni exclusivement ni essentiellement sur les déclarations recueillies au cours de la garde à vue (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour rappelle que des dispositions légales susceptibles d’être invoquées par le Gouvernement et prévoyant in abstracto certaines garanties qui auraient pu assurer, à elles seules, l’équité globale de la procédure, ne suffisent pas : la Cour doit examiner si l’application de ces dispositions légales au cas d’espèce a eu concrètement un effet compensatoire rendant la procédure équitable dans son ensemble (Beuze, précité, § 161), en particulier si les juridictions internes ont procédé à l’analyse nécessaire de l’incidence de l’absence d’un avocat à un moment crucial de la procédure (ibidem, §§ 174 et 176, et Olivieri, précité, § 36). Si, en l’espèce, la Cour de cassation a apprécié la portée des déclarations faites au cours de la garde à vue, dans le cadre d’un examen limité aux questions de droit, tel n’a pas été le cas s’agissant des juridictions du fond puisque la notification du droit au silence et à l’assistance d’un avocat pendant la garde à vue n’étaient pas encore consacrées en droit français (Bloise, précité, §§ 38-40).

28.  S’agissant du droit du requérant de ne pas s’incriminer lui-même et de l’utilisation des différents éléments de preuve du dossier, la Cour relève l’existence de déclarations et de réponses faites aux enquêteurs qui ont manifestement affecté sa position de manière substantielle dans la procédure. Ainsi, durant la garde à vue, le requérant a dans un premier temps nié les faits, avant de les reconnaître lors de son troisième interrogatoire, le deuxième jour de sa garde à vue (paragraphe 7 ci-dessus). La Cour note que le tribunal correctionnel s’est notamment fondé sur ces déclarations pour le déclarer coupable (paragraphe 10 ci-dessus). Surtout, elle constate que la cour d’appel a largement fondé sa motivation sur les déclarations incriminantes faites par le requérant au cours de sa garde à vue, notamment sur les aveux faits durant le troisième interrogatoire et les déclarations faites au psychiatre qui l’a examiné ultérieurement dans la même journée. De plus, à la fin de sa motivation sur la culpabilité, en guise de conclusion, elle s’est uniquement fondée sur ces déclarations en retenant que si le requérant était revenu sur ses aveux au cours des débats, elle considérait au contraire que, durant la garde à vue, « les détails donnés sur les faits par [le requérant], qui souligne leur brièveté, associés à l’expression d’un écœurement et de ses excuses sont le reflet de la réalité (...), les déclarations faites devant les enquêteurs [étant] confortées par les indications données à l’expert psychiatre (...) » (paragraphe 11 ci-dessus). La Cour ne peut dès lors que constater que les déclarations litigieuses faites par le requérant en garde à vue ont manifestement affecté sa position de manière substantielle dans la procédure (Beuze, précité, §§ 178-179, et Olivieri, précité, § 37) et qu’elles constituaient à l’évidence une partie intégrante et importante des preuves sur lesquelles reposait sa condamnation (Beuze, précité, § 193, et, a contrario, Bloise, précité, § 58).

29.  En conséquence, rappelant qu’en l’absence de raisons impérieuses justifiant les restrictions constatées, elle est appelée à opérer un contrôle très strict, la Cour considère que ces éléments doivent peser lourdement dans son appréciation de l’équité de la procédure dans son ensemble (Beuze, précité, §§ 178-179). Il en va d’autant plus ainsi en l’espèce que le requérant a été privé à la fois du droit de bénéficier de la présence physique de son avocat durant les interrogatoires menés par la police et de la notification de son droit à garder le silence, ce qui rend encore plus difficile, pour le Gouvernement, de démontrer que le procès a été équitable (Ibrahim et autres, précité, § 273, Beuze, précité, § 146, et Olivieri, précité, § 38).

30.  Enfin, s’agissant de l’existence éventuelle d’autres garanties procédurales, la Cour estime que les mesures évoquées à ce titre par le Gouvernement, à savoir le fait que le requérant ait pu faire prévenir son ex-épouse et qu’il ait été examiné par un médecin à plusieurs reprises, ne sont pas, malgré leur importance, de nature à compenser l’absence d’assistance d’un avocat et le défaut de notification du droit de garder le silence durant la garde à vue (Olivieri, précité, § 39).

31.  Compte tenu de ce qui précède et du contrôle auquel elle doit procéder en l’absence de raisons impérieuses, la Cour estime que la procédure pénale menée à l’égard du requérant, considérée dans son ensemble, n’a pas permis de remédier aux lacunes procédurales survenues durant la garde à vue.

32.  Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

33.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage

34.  Le requérant réclame 5 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi.

35.  Le Gouvernement considère que le constat d’une violation constituerait, en soi, une satisfaction équitable suffisante.

36.  Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime qu’une constatation de violation suffit et elle rejette dès lors la demande du requérant (Olivieri, précité, § 45).

B.     Frais et dépens

37.  Le requérant demande 9 588 EUR pour les frais et dépens engagés devant, soit 3 588 EUR pour les frais engagés devant la Cour de cassation et 6 000 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

38.  Le Gouvernement indique qu’il pourra être fait droit à la demande du requérant.

39.  Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 9 588 EUR demandée par le requérant et la lui accorde.

C.    Intérêts moratoires

40.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.    Déclare la requête recevable ;

2.        Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention ;

3.        Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

4.   Dit

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, la somme de 9 588 EUR (neuf mille cinq cent quatre-vingt-huit euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.   Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 décembre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

    Milan Blaško                                                                       Mārtiņš Mits
  Greffier adjoint                                                                        
Président

 


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