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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MEHDI TANRIKULU v. TURKEY - 9735/12 (Judgment : Freedom of expression-{general} : Second Section) French Text [2020] ECHR 303 (05 May 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/303.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2020:0505JUD000973512, CE:ECHR:2020:0505JUD000973512, [2020] ECHR 303

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DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MEHDİ TANRIKULU c. TURQUIE

(Requête no 9735/12)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

Art 10 • Liberté d’expression • Condamnation pénale de l’éditeur d’un livre pour propagande en faveur d’une organisation terroriste • Défaut de motifs pertinents et suffisants

 

STRASBOURG

5 mai 2020

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Mehdi Tanrıkulu c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :

          Robert Spano, président,
          Marko Bošnjak,
          Valeriu Griţco,
          Egidijus Kūris,
          Arnfinn Bårdsen,
          Darian Pavli,
          Saadet Yüksel, juges,
et de Hasan Bak
ırcı, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 mars 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 9735/12) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet État, M. Mehdi Tanrıkulu (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 janvier 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant a été représenté par Me İ. Akmeşe, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3.  Le requérant alléguait une atteinte à son droit à la liberté d’expression en raison de la procédure pénale diligentée à son encontre pour propagande en faveur d’une organisation terroriste.

4.  Le 18 janvier 2017, le grief concernant l’atteinte qui aurait été portée au droit du requérant à la liberté d’expression a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1965 et réside à Istanbul.

6.  À l’époque des faits, il était le propriétaire et l’éditeur de la maison d’édition TEVN.

7.  Par un acte d’accusation du 17 novembre 2006, le procureur de la République d’Istanbul inculpa le requérant de l’infraction de propagande en faveur d’une organisation terroriste en raison du contenu d’un livre, intitulé Le rôle du mouvement de libération kurde et du PKK dans le processus impérialiste du capitalisme, publié par la maison d’édition de l’intéressé en octobre 2006. Le procureur soutint à cet égard que certains passages situés aux pages 11, 69, 82, 85, 87, 88, 89, 90, 97 et 103 du livre précité constituaient un éloge du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation illégale armée) et de la propagande en faveur de cette organisation.

Les paragraphes du livre dans lesquels les passages visés par l’acte d’accusation se situent peuvent se lire comme suit :

« Page 11 : [Dans ce livre] seront analysés et caractérisés : (...) l’existence historique du peuple kurde jusqu’à l’ère impérialiste du capitalisme (...) ; la partition du peuple kurde par des puissances impérialistes dans la phase impérialiste du capitalisme, notamment la situation du peuple kurde demeurant dans la République de Turquie ; le fait que les rébellions et les résistances du peuple kurde se sont sans cesse poursuivies ; le fait que, en particulier par cette dernière guerre de résistance, appelée la 29e, le PKK représente les désirs et les vœux de la majorité du peuple kurde dans le mouvement de libération kurde ; le fait que le PKK porte et exprime la volonté politique principale de ce mouvement ; son rôle porteur et précurseur dans le mouvement ; sa lutte armée ; l’attitude officielle des puissances dominantes hostiles en Turquie et de l’État envers le mouvement de libération kurde ; la qualification de ce mouvement de terroriste (...) ; les objectifs principaux et le fonctionnement en pratique des politiques anti-terreur des États impérialiste et de l’État turc ; les acteurs du terrorisme et son fonctionnement ; l’inutilité objective d’éviter la solution [pour] les responsables de Turquie ; le fait que la négation du peuple kurde causée par la guerre est une erreur historique et une destruction pour les deux parties, surtout pour le peuple entier de Turquie ; l’inévitabilité de la solution démocratique ; les probabilités positives et négatives d’une solution pour les deux parties dans les conditions actuelles en suivant une méthode dialectique, historique et matérialiste ; les structures objectives et subjectives et les conditions des parties menant la guerre ; cette guerre sale et sanglante ».

« Page 69 : Un autre fait à observer ici est (...) que les conditions objectives et subjectives du peuple kurde à l’époque ne laissaient aucune chance de succès à un mouvement de libération du peuple kurde. Ainsi, la seule voie alternative pour le peuple kurde est soit d’arriver, par une lutte politique démocratique, à une intégration (...) avec les peuples de l’État dans lequel il se trouve avec sa propre identité et des droits égaux ; soit, si ladite [situation] est rejetée par les foyers de pouvoir de la classe dominante et que la voie démocratique n’est pas développée, c’est-à-dire, lorsque cette intégration attendue est empêchée et rendue impossible par les foyers de pouvoir, de passer à nouveau à la résistance et à la guerre pour la liberté. Le peuple kurde poursuit cette dernière [voie] aujourd’hui dans la pratique, avec le PKK et son président A. Öcalan. »

« Page 82 : Comme la voie démocratique de la lutte de liberté du peuple kurde, dont les résistances n’ont pas eu de succès jusqu’aujourd’hui (on dit qu’il y a eu plus de 28 résistances à partir de la [proclamation de la] République), est obstruée et que le peuple kurde ne veut pas rester turc [sans mot dire], la seule [possibilité] qui lui reste est la résistance permanente. Il pourrait théoriquement l’exécuter de deux façons : (...) il pourrait poursuivre le mouvement de libération par la voie politique démocratique avec la classe prolétaire et toutes les puissances démocratiques de Turquie ; cette voie a été fondamentalement bloquée par la junte de Kenan Evren. La deuxième [voie] est la voie de la guérilla, que la majorité du peuple kurde [semble] avoir choisi (...) sous le leadership du PKK. »

« Pages 84 et 85 : Un groupe idéologique sous le leadership d’A. Öcalan, qui s’appelait au début « Apoistes », a fondé le PKK en 1978. Lorsqu’en 1980 la junte de Kenan Evren, avec sa pratique fascisante, ne lui a laissé aucune possibilité de lutte démocratique, le PKK a commencé la guérilla en 1984.

Cette organisation, qui était un petit groupe auparavant, a gagné du terrain et grandi avec le temps, et (...) est devenu, en 1999, dans les circonstances du processus de lutte armée, le PKK, qui détient le [centre de gravité] du mouvement de libération kurde et qui possède le soutien de la majorité du peuple kurde. »

« Page 87 : On peut dire que Monsieur A. Öcalan, avec son attitude à l’audience de [son] procès, ses propositions de solution pacifique et démocratique, ses (...) déclarations selon lesquelles les résistances devaient se poursuivre dans la démocratie et (...) les Kurdes vivre avec les peuples avec lesquels ils se trouvent dans quatre endroits et développer la démocratie et l’égalité des droits ensemble, et avec l’expérience accumulée par le PKK, a mis en place une stratégie réaliste.

Cette voie proposant une solution démocratique, notamment la proposition d’un confédéralisme démocratique et les thèses de la démocratisation de la République, a répondu aux vœux de tout le peuple kurde. Maintenant, presque tout le peuple kurde s’est mis d’accord sur ces thèses. Le [statut de] porteur du mouvement de libération du PKK a fusionné avec le mouvement de libération kurde que toutes les autres organisations et institutions légales et illégales kurdes et les individus kurdes voulaient porter. La démocratisation (« halka mal edilmesi ») du mouvement démontre objectivement, c’est-à-dire même si l’on ne le veut pas, qu’A. Öcalan, qui est le fondateur et le leader du PKK, est naturellement devenu, aux yeux du peuple kurde, le leader de tout le peuple kurde. Désormais le peuple kurde, malgré les pressions et obstacles, poursuit ses manifestations ouvertement et sans crainte [en disant] « Öcalan est ma volonté politique » et célèbre son Newroz glorieux avec une large participation. Selon [la chaîne de télévision] Roj TV, la pétition « Öcalan est ma volonté politique » a [recueilli] trois millions de signatures. Comme l’ont démontré cette situation et cet événement et comme il a été constaté [en tous cas] dans [les faits], le PKK, avec ses opinions de solution démocratique qu’il prépare sans cesse, a fusionné avec son peuple qui partage les mêmes idées, et a préparé le mûrissement d’une solution démocratique. Reste l’attitude des parties adverses, c’est-à-dire des puissances dominantes de Turquie, de l’Occident et surtout des États-Unis. »

« Pages 88-90 : Pour autant qu’il se dévoile [au public] et vu les images de tous ses actes connus de l’opinion publique, c’est-à-dire, si la presse interne et externe, notamment en Europe, ainsi que différents actes du peuple kurde sont (...) considérés et analysés, le PKK, en tant que parti et compte tenu de son influence sur ses sympathisants et sur d’autres organisations menant le mouvement de libération du peuple kurde (...), de son leadership volontaire parmi tous les mouvements de libération kurdes, de son activité de meneur, de son [statut déterminant], de sa conscience de guerrier pour la liberté lorsqu’il entraîne [les gens] à agir, de sa capacité à modifier ses tactiques et ses stratégies par rapport aux conditions permanentes et de se renouveler, malgré des défauts et des erreurs, poursuit [ses activités] d’une manière déterminée et réaliste dans le temps. Le PKK, depuis sa fondation jusqu’à aujourd’hui, se restructure continuellement en fonction des conditions de son organisation interne, de la Turquie, du Moyen-Orient et des États occidentaux et effectue son renouvellement du point de vue de son organisation et de son action, malgré de grandes erreurs et des pertes. Par exemple, pour autant qu’il est extériorisé dans la pratique, vu les développements en cours et compte tenu des déclarations d’Öcalan en défense, (...) de son autocritique dans sa défense et de ses déclarations faites à İmralı, le fait que le PKK n’a pas éclaté, comme le prévoyaient ses détracteurs, en l’absence d’Öcalan, à l’exception de ruptures et de conflits de moindre importance, le fait que des conflits n’ont pas éclaté entre ses équipes, à l’exception de certains petits groupes, le fait qu’il a pu poursuivre, en se tournant vers le peuple, le mouvement kurde en agissant de plus en plus, le fait qu’il s’est restructuré (...) en fonction des nouvelles conditions et qu’il a survécu, (...) résistant et déterminé, et le fait qu’il n’a pas remplacé Öcalan par un autre président et qu’il a gardé ce dernier [en le présentant] comme la volonté et le président irremplaçable du PKK montrent le pouvoir précurseur et subjectif et la détermination du PKK dans cette guerre.

Le PKK n’a pas cédé aux efforts permanents des États-Unis et de la Turquie [visant à] le déstabiliser, à le désintégrer et à mettre en conflit ses dirigeants, et notamment aux tactiques visant à exclure A. Öcalan du mouvement ; au contraire, le PKK a maintenu son président en tant que fondateur, créateur et président naturel, et ne l’a pas démis de ses fonctions.

(...)

La première règle du facteur subjectif est que, pour qu’un mouvement de libération réussisse, l’organisation qui porte ce mouvement doit être quantitativement et qualitativement consciencieuse et de bonne qualité et doit pouvoir inclure les foules. Le PKK, pour autant qu’il apparaisse dans sa pratique, semble avoir cette capacité. Deuxièmement, [cette organisation] doit bien évaluer les conditions objectives et subjectives propres à son adversaire et aux puissances externes soutenant son adversaire, et poursuivre son action. Troisièmement, elle doit gagner les couches qui pourront toujours la soutenir, ou au moins, les neutraliser sans qu’elles ne lui deviennent hostiles. Sans pouvoir faire une vraie évaluation (car il s’agit toujours d’une organisation illégale), vu son apparence extérieure (actes dans les faits) et les défenses présentées par A. Öcalan, on pourrait dire que, malgré tous ses défauts et ses erreurs, le PKK est toujours capable d’entraîner la majorité des Kurdes dans cette guerre de libération. Même les partis [politiques] menant le mouvement de libération kurde d’une manière démocratique et légale peuvent recueillir dans ces conditions de pression actuelles environ deux millions de voix. On dit que le PKK a au moins cinq mille guérilléros dans les montagnes. On dit que le nombre des Kurdes tués dépasse 30 000 ; si chaque décédé a en moyenne quatre sympathisants dans sa famille (...), les partisans du PKK dépassent les cent mille. À une manifestation de Kurdes dans n’importe quelle ville en Europe participent des dizaines de milliers de pro-PKK et de tenants du mouvement de libération kurde. Si ses soutiens passifs et invisibles sont aussi pris en compte, le PKK est un sujet puissant et possède un facteur subjectif suffisant dans le mouvement de libération kurde. Dans la guerre qu’il mène pour le succès du mouvement de libération avec ces principes et d’autres règles, malgré certains défauts, le PKK est arrivé jusqu’à aujourd’hui. Du reste, s’il n’avait pas cet état de puissance, sa résistance de vingt ans aurait déjà été terminée. »

« Page 97 : La Turquie imagine encore pouvoir mettre un terme au PKK et résoudre le problème [grâce à sa position de] puissance dominante et même avec l’aide des États-Unis et de l’Union européenne. Or le fait est que le PKK est aujourd’hui le reflet d’une majorité du peuple kurde. Si on regarde objectivement, il apparaît clairement que, sans le PKK, d’autres organisations qui défendent des courants kurdes anti-PKK disparaîtront. Ils ne peuvent pas voir que, même s’ils peuvent désintégrer le PKK, le peuple kurde peut créer dans de nouvelles conditions une nouvelle organisation comme le PKK ou une organisation encore plus puissante. Par ailleurs, en vérité, le PKK n’est plus susceptible d’être vaincu par une intervention des États-Unis ou de la Turquie. Dans la pratique, une telle intervention entraînerait une guerre civile. Alors, la Turquie serait dans un bourbier impérialiste (...) et dans (...) une impasse. »

« Page 103 : Alors que le militarisme de la Turquie réunit toutes les conditions subjectives, trois conditions objectives sont en sa défaveur à long terme : la mondialisation et l’intégration du monde (...), l’obligation pour la Turquie de se démocratiser, comme l’exige le processus d’intégration à l’Union européenne, et le fait qu’il n’y a plus face à elle seulement le PKK d’il y a vingt ans et ses guérilléros, mais aussi la majorité du peuple kurde qui s’identifie (...) à la volonté du PKK, autrement dit le peuple kurde lui-même puisque les vœux du PKK et ceux du peuple kurde se confondent. Comme cette situation a déjà été expliquée, elle est ici abordée seulement pour le thème des conditions. Les conditions positives et négatives de deux parties qui évoluent et se développent sans cesse imposent d’une manière chaque jour croissante une solution pacifique, démocratique et humaine du problème kurde de la Turquie. »

8.  Le 23 juin 2008, la cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises ») reconnut le requérant coupable de l’infraction qui lui était reprochée et le condamna à une peine d’emprisonnement d’un an et six mois en application de l’article 7 § 2 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme.

Dans sa motivation, elle exposa d’abord qu’aux pages 11, 69, 82, 85, 87, 88, 89, 90, 97 et 103 du livre en question il était indiqué que le PKK représentait le désir et la volonté de la majorité du peuple kurde ; qu’il jouait un rôle pionnier ; que le mouvement avait lancé une guerre sous le leadership d’Abdullah Öcalan, qui était leur chef ; que la seule voie possible pour l’organisation était le combat ; que l’organisation avait une stratégie réaliste et avait fusionné avec le peuple ; que le chef de l’organisation était le leader du peuple kurde ; qu’il agissait habilement pour mener à bien ses tactiques et ses stratégies et développer la conscience guerrière ; que, selon les déclarations d’Abdullah Öcalan, la majorité des Kurdes pouvait être entraînée dans une guerre pour la liberté au nom du PKK ; que des dizaines de milliers de Kurdes pro-PKK participaient à des manifestations en Europe et que le PKK et le peuple kurde se confondaient.

La cour d’assises estima ensuite que ces passages, qui, selon elle, n’étaient pas atténués par le reste du livre, glorifiaient clairement les méthodes de violence et de terrorisme du PKK, encourageaient le recours à ces méthodes, qu’ils ne pouvaient être considérés comme des appels à la résistance sans violence, comme des expressions d’opinion dans un style acerbe, comme des expressions dans un style hostile ou comme des déclarations choquantes dans le cadre de la liberté d’expression prévue à l’article 10 de la Convention et qu’ils constituaient ainsi l’infraction de propagande en faveur d’une organisation terroriste.

9.  Le 10 janvier 2012, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en cassation formé par le requérant et confirma la condamnation de l’intéressé pour propagande en faveur d’une organisation terroriste, au motif que le jugement de la cour d’assises était pertinent compte tenu du dossier.

10.  Le 30 janvier 2013, la cour d’assises, prenant acte de l’entrée en vigueur de la loi no 6352 (paragraphe 14 ci-dessous), décida, en application de l’article 1 provisoire de celle-ci, de surseoir à l’exécution de la peine infligée au requérant pendant une période de trois ans, avant que celui-ci ne commence à purger cette peine.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A.    L’article 7 § 2 de la loi no 3713

11.  L’article 7 § 2 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, entrée en vigueur le 12 avril 1991, se lisait comme suit :

« Quiconque apporte une assistance aux organisations mentionnées [à l’alinéa ci‑dessus] et fait de la propagande en leur faveur sera condamné à une peine de un an à cinq ans d’emprisonnement ainsi qu’à une peine d’amende de 50 millions à 100 millions de livres (...) »

12.  Après avoir été modifié par la loi no 5532, entrée en vigueur le 18 juillet 2006, l’article 7 § 2 de la loi no 3713 disposait ce qui suit :

« Quiconque fait de la propagande en faveur d’une organisation terroriste sera condamné à une peine de un an à cinq ans d’emprisonnement (...) »

13.  Depuis la modification opérée par la loi no 6459, entrée en vigueur le 30 avril 2013, cette disposition est ainsi libellée :

« Quiconque fait de la propagande en faveur d’une organisation terroriste en légitimant les méthodes de contrainte, de violence ou de menace de ce type d’organisations, en faisant leur apologie ou en incitant à leur utilisation sera condamné à une peine de un an à cinq ans d’emprisonnement (...) »

B.     La loi no 6352

14.  La loi no 6352, intitulée « loi portant modification de diverses lois aux fins de l’optimisation de l’efficacité des services judiciaires et de la suspension des procès et des peines imposées dans les affaires concernant les infractions commises par le biais de la presse et des médias », est entrée en vigueur le 5 juillet 2012. Elle prévoit en son article 1 provisoire, alinéas 1 c) et 3, qu’il sera sursis pendant une période de trois ans à l’exécution de toute peine devenue définitive consistant en une amende ou en un emprisonnement inférieur à cinq ans, infligée pour la commission d’une infraction réalisée par le biais de la presse, des médias ou d’autres moyens de communication de la pensée et de l’opinion, à la condition que l’infraction sanctionnée par une telle peine ait été commise avant le 31 décembre 2011.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

15.  Le requérant allègue que la procédure pénale diligentée à son encontre pour la publication d’un livre par sa maison d’édition constitue une atteinte à l’exercice de son droit à la liberté d’expression prévu par l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2.  L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

A.    Sur la recevabilité

16.  Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité. Estimant que le contenu du livre litigieux publié par le requérant allait à l’encontre du texte et de l’esprit de la Convention au sens de son article 17, le Gouvernement invite la Cour à déclarer la requête irrecevable pour incompatibilité ratione materiae en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

17.  Le requérant ne se prononce pas sur l’exception du Gouvernement.

18.  La Cour estime que l’exception soulève des questions étroitement liées à la substance du grief tiré de l’article 10 de la Convention. Partant, elle décide de la joindre au fond.

19.  Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B.     Sur le fond

1.    Arguments des parties

20.  Le requérant considère que sa condamnation pénale pour propagande en faveur d’une organisation terroriste en raison du contenu d’un livre publié par sa maison d’édition constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression, que cette ingérence ne poursuivait aucun but légitime au sens de l’article 10 § 2 de la Convention et n’était pas nécessaire dans une société démocratique et qu’elle constituait ainsi une violation de l’article 10 de la Convention.

21.  Le Gouvernement soutient que, dès lors que le requérant n’a pas purgé la peine de prison à laquelle il a été condamné, il n’y a pas eu ingérence dans son droit à la liberté d’expression. Si l’existence d’une ingérence devait être reconnue par la Cour, il argue que cette ingérence était prévue par l’article 7 § 2 de la loi no 3713 et poursuivait les buts légitimes que constituent la protection de la sécurité nationale et de la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention du crime. Considérant que le contenu du livre publié par la maison d’édition du requérant faisait l’éloge du PKK et de son leader et incitait clairement et ouvertement le public à recourir aux méthodes violentes de cette organisation en légitimant ses activités armées, il soutient par ailleurs que l’ingérence litigieuse était nécessaire dans une société démocratique et proportionnée aux buts légitimes poursuivis.

2.    Appréciation de la Cour

22.  La Cour note qu’en l’espèce le requérant, propriétaire et éditeur d’une maison d’édition à l’époque des faits, a été condamné à un an et six mois d’emprisonnement à l’issue d’une procédure pénale engagée à son encontre pour l’infraction de propagande en faveur d’une organisation terroriste en raison du contenu d’un livre publié par sa maison d’édition (paragraphes 7-9 ci-dessus) et qu’il a par la suite été sursis à l’exécution de cette peine (paragraphe 10 ci-dessus).

23.  Elle considère que, compte tenu de l’effet dissuasif que la procédure pénale engagée à l’encontre du requérant, qui a duré environ cinq ans et deux mois, la condamnation à une peine d’emprisonnement d’un an et six mois prononcée à son encontre à l’issue de cette procédure ainsi que la décision de sursis à l’exécution de la peine, qui a soumis l’intéressé à une période de sursis de trois ans, ont pu provoquer, celles-ci s’analysent en une ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression (Erdoğdu c. Turquie, no 25723/94, § 72, CEDH 2000VI, Dilipak c. Turquie, no 29680/05, § 51, 15 septembre 2015, Ergündoğan c. Turquie, no 48979/10, § 26, 17 avril 2018, et Selahattin Demirtaş c. Turquie (no 3), no 8732/11, § 26, 9 juillet 2019 ; voir aussi, a contrario, Otegi Mondragon c. Espagne, no 2034/07, § 60, CEDH 2011). Par conséquent, elle rejette l’exception tirée de l’incompatibilité ratione materiae de la requête avec les dispositions de la Convention.

24.  Elle observe ensuite qu’il ne prête pas à controverse entre les parties que cette ingérence était prévue par la loi, plus précisément par l’article 7 § 2 de la loi no 3713 (paragraphes 11-13 ci-dessus). Elle peut accepter en outre que l’ingérence litigieuse poursuivait des buts légitimes au regard de l’article 10 § 2 de la Convention, à savoir la protection de la sécurité nationale et de la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention du crime.

25.  Quant à la nécessité de l’ingérence, la Cour renvoie aux principes découlant de sa jurisprudence en matière de liberté d’expression, lesquels sont résumés notamment dans les arrêts Bédat c. Suisse ([GC], no 56925/08, § 48, 29 mars 2016), Perinçek c. Suisse ([GC], no 27510/08, § 204-208, CEDH 2015 (extraits)), Faruk Temel c. Turquie (no 16853/05, §§ 53-57, 1er février 2011) et Belge c. Turquie (no 50171/09, §§ 31, 34 et 35, 6 décembre 2016).

26.  Elle rappelle que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou des questions d’intérêt général (Wingrove c. RoyaumeUni, 25 novembre 1996, § 58, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, et Seher Karataş c. Turquie, no 33179/96, § 37, 9 juillet 2002). À cet égard, lorsque de telles opinions n’incitent pas à la violence - autrement dit, lorsqu’elles ne préconisent pas le recours à des procédés violents ou à une vengeance sanglante, qu’elles ne justifient pas la commission d’actes terroristes en vue de la réalisation des objectifs de leurs partisans, et qu’elles ne peuvent être interprétées comme susceptibles d’inciter à la violence par la haine profonde et irrationnelle qu’elles manifesteraient envers des personnes identifiées –, les États contractants ne peuvent restreindre le droit du public à en être informé, même en se prévalant des buts énoncés au paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention, à savoir la protection de l’intégrité territoriale, de la sécurité nationale, de la défense de l’ordre ou de la prévention du crime (Sürek c. Turquie (no 4) [GC], no 24762/94, § 60, 8 juillet 1999, Nedim Şener c. Turquie, no 38270/11, § 116, 8 juillet 2014, Şık c. Turquie, no 53413/11, § 105, 8 juillet 2014, et Selahattin Demirtaş (no 3), précité, § 30).

27.  La Cour note que les passages incriminés du livre faisant l’objet de la présente affaire, pour la publication duquel le requérant a été condamné, exprimaient les opinions de l’auteur du livre sur les raisons historiques ayant conduit à la création du PKK ; la relation de cette organisation avec le peuple kurde, le soutien populaire dont il bénéficie et sa représentativité dans le mouvement de libération kurde ; la structure, le fonctionnement et les stratégies de l’organisation ; le rôle de son chef au sein de l’organisation et son statut de leader pour le peuple kurde ; les motifs sous-tendant le recours à la violence par le PKK et les circonstances entourant les conflits armés entre les parties du conflit. Dans un de ces passages, l’auteur constate que la poursuite de la guerre entre les deux parties était déraisonnable et une solution pacifique et démocratique au problème kurde était la seule issue possible du conflit (paragraphe 7 ci-dessus).

28.  La Cour considère dès lors que les passages litigieux du livre portaient incontestablement sur une question d’intérêt général, à savoir les origines et la nature du conflit entre le PKK et les autorités turques et le rôle et les stratégies du PKK qu’il prétend assumer au nom du peuple kurde.

29.  La Cour relève que, dans ses passages incriminés, tels que retenus par les autorités nationales à l’appui de la condamnation du requérant, le livre en question, qui se présente comme un travail sur le rôle du PKK tel qu’exposé dans le livre, contient des remarques plutôt élogieuses quant aux stratégies et politiques adoptées par cette organisation et son leader et concernant leur rapport au peuple kurde. Elle note aussi que les passages litigieux du livre semblent considérer que le recours à la violence par le PKK est justifié, au motif que la possibilité d’une lutte démocratique et politique pour la libération du peuple kurde aurait été bloquée par les autorités à une certaine période, tout en considérant qu’un règlement pacifique du problème kurde est inévitable (paragraphe 7 ci-dessus). Elle observe que se posent ainsi les questions de savoir si, compte tenu de certains passages du livre contenant notamment les remarques susmentionnées, du contexte dans lequel ces écrits ont été publiés, de leur capacité de nuire et des circonstances de l’affaire, ces passages peuvent être considérés comme renfermant une incitation à l’usage de la violence, ce qui est à ses yeux l’élément essentiel à prendre en considération (Sürek, précité, § 58) et si la condamnation pénale du requérant à raison de la publication de ce livre était nécessaire dans une société démocratique et proportionnée aux buts légitimes visés.

30.  Elle estime à cet égard que, pour apprécier si la « nécessité » de l’atteinte portée au droit à la liberté d’expression du requérant est établie de manière convaincante en l’espèce, elle doit, conformément à sa jurisprudence, se déterminer essentiellement à la lumière de la motivation retenue par les juridictions nationales à l’appui de leur condamnation de l’intéressé (Gözel et Özer c. Turquie, nos 43453/04 et 31098/05, § 51, 6 juillet 2010).

31.  Procédant à une analyse de l’arrêt de condamnation rendu par la cour d’assises, la Cour observe que cette dernière juridiction a d’abord relevé certains passages du livre, qu’elle considérait problématiques et qui suggéraient, selon elle, ce qui suit : le PKK représentait le désir et la volonté de la majorité du peuple kurde ; il jouait un rôle pionnier ; le mouvement avait lancé une guerre sous le leadership d’Abdullah Öcalan, qui était leur chef ; la seule voie possible pour l’organisation était le combat ; l’organisation avait une stratégie réaliste et avait fusionné avec le peuple ; le chef de l’organisation était le leader du peuple kurde ; il agissait habilement pour mener à bien ses tactiques et ses stratégies et développer l’état d’esprit guerrier ; selon les déclarations d’Abdullah Öcalan, la majorité des Kurdes pouvait être entraînée dans une guerre pour la liberté au nom du PKK ; des dizaines de milliers de Kurdes pro-PKK participaient à des manifestations en Europe et le PKK et le peuple kurde se confondaient. La cour d’assises a ensuite estimé que ces passages, qui, selon elle, n’étaient pas atténués par l’ensemble du livre et qui ne pouvaient pas être considérés couverts par la liberté d’expression, glorifiaient clairement les méthodes de violence et de terrorisme du PKK et encourageaient le recours à ces méthodes, et que l’infraction de propagande en faveur d’une organisation terroriste était ainsi constituée (paragraphe 8 ci-dessus). La Cour de cassation, quant à elle, a confirmé l’arrêt de la cour d’assises en considérant qu’il était pertinent compte tenu du dossier (paragraphe 9 ci-dessus).

32.  La Cour constate que les décisions rendues par les autorités nationales en l’espèce n’apportent pas une explication suffisante sur la question de savoir pourquoi les passages incriminés, lus dans le contexte de l’ensemble du livre, devaient être interprétés comme légitimant et encourageant les méthodes de violence employées par le PKK dans le contexte de publication du livre. Elle relève en outre que ces décisions ne contiennent aucune analyse sur la question de savoir pourquoi ces passages ne pouvaient pas être considérés comme participant à un débat public sur des questions d’intérêt général relatives au conflit entre le PKK et les forces de l’ordre (voir, mutatis mutandis, Dilipak, précité, § 69). Elle rappelle à cet égard que, dans l’exercice de mise en balance d’intérêts concurrents, les autorités nationales doivent suffisamment tenir compte du droit du public de se voir informer d’une autre manière de considérer une situation conflictuelle, du point de vue de l’une des parties au conflit, aussi désagréable que cela puisse être pour elles (Gözel et Özer, précité, § 56).

33.  La Cour relève que l’examen effectué par les juridictions nationales en l’espèce ne semble pas avoir pris en compte tous les principes établis dans sa jurisprudence sous l’angle de l’article 10 de la Convention concernant les propos, verbaux ou écrits, présentés comme alimentant ou justifiant la violence, la haine ou l’intolérance (Perinçek, précité, § 208), dès lors qu’il ne répond pas à la question de savoir si les passages litigieux du livre pouvaient être considérés, eu égard à leur contenu, au contexte dans lequel ils s’inscrivaient et à leur capacité à nuire comme renfermant une incitation à l’usage de la violence, à la résistance armée ou au soulèvement, ou comme constituant un discours de haine (Mart et autres c. Turquie, no 57031/10, § 32, 19 mars 2019). Elle considère par conséquent que les autorités nationales n’ont pas procédé à une analyse appropriée au regard de tous les critères énoncés et mis en œuvre par elle dans les affaires relatives à la liberté d’expression (Gözel et Özer, précité, § 51).

34.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que, dans les circonstances de l’espèce, en condamnant le requérant du chef de propagande en faveur d’une organisation terroriste pour la publication par sa maison d’édition du livre en cause, les autorités nationales n’ont pas effectué une mise en balance adéquate et conforme aux critères établis par sa jurisprudence entre le droit de l’intéressé à la liberté d’expression et les buts légitimes poursuivis (Ergündoğan, précité, § 34, et Fatih Taş c. Turquie (no 5), no 6810/09, § 40, 4 septembre 2018).

35.  Elle estime dès lors que le Gouvernement n’a pas démontré que les motifs invoqués par les autorités nationales pour justifier la mesure incriminée étaient pertinents et suffisants et qu’elle était nécessaire dans une société démocratique.

36.  Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

37.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.    Dommage

38.  Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi.

39.  Le Gouvernement soutient que la demande présentée au titre du dommage moral est excessive et qu’elle ne correspond pas aux montants accordés dans la jurisprudence de la Cour.

40.  La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 2 000 EUR au titre du préjudice moral.

B.     Frais et dépens

41.  Le requérant demande également 6 785 livres turques (TRY) pour les frais d’avocat, 500 TRY pour les frais de traduction, 50 TRY pour les frais de fourniture et 50 TRY pour les frais de poste. Il ne présente aucun document à l’appui de ces prétentions et indique que son avocat atteste du caractère réel, raisonnable et nécessaire de ces frais.

42.  Le Gouvernement expose que le requérant n’a présenté aucun justificatif de paiement ou autre document pour étayer les frais allégués qui, selon lui, ne sont pas suffisamment détaillés.

43.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens faute pour le requérant d’avoir fourni de justificatif à cet égard.

C.    Intérêts moratoires

44.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.      Joint au fond, à l’unanimité, l’exception du Gouvernement relative à l’incompatibilité ratione materiae de la requête avec les dispositions de la Convention et la rejette ;

2.      Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

3.      Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

4.      Dit, par six voix contre une,

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement) :

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.      Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 mai 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

   Hasan Bakırcı                                                                      Robert Spano
  Greffier adjoint                                                                        Président

 

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées des juges Bosnjak et Yüksel.

R.S.
H.B.


OPINION COMMUNE EN PARTIE CONCORDANTE DES JUGES BOŠNJAK ET YÜKSEL

(Traduction)

 

1.  Nous souscrivons à la conclusion de la majorité selon laquelle il y a eu violation de l’article 10 de la Convention. À ce sujet, nous souhaitons souligner que cette violation est procédurale par nature. Ce constat transparaît correctement dans le paragraphe 34 de l’arrêt, où la Cour conclut que les autorités internes n’ont pas effectué une mise en balance adéquate entre le droit de l’intéressé à la liberté d’expression et le but légitime de l’ingérence. À cet égard, nous ne souhaitons pas spéculer sur l’issue qui aurait été donnée à cette affaire au niveau interne si les autorités s’étaient livrées à une mise en balance conforme aux critères établis par la jurisprudence de la Cour.

 

2.  Si nous écrivons cette opinion concordante, c’est pour exprimer notre désaccord quant à la formulation du paragraphe 27. Nos réserves à son égard sont doubles. D’une part, nous estimons qu’en essayant d’y résumer les passages pertinents, la majorité y propose un examen de la teneur du livre litigieux qui nous apparaît partiellement incomplet et, surtout, en grande partie incompatible avec la nature procédurale de la violation. D’autre part, le paragraphe en question est formulé de telle sorte que, bien que cela n’ait probablement pas été l’intention de la majorité, le lecteur pourrait penser que la Cour confère un caractère objectif à certains faits et circonstances qui sont uniquement des allégations formulées par le requérant dans son livre. Il renvoie notamment aux opinions formulées par le requérant à propos a) du soutien populaire dont le PKK bénéficie et sa représentativité dans le mouvement de libération kurde et b) du rôle du chef du PKK au sein de l’organisation et de son statut de leader pour le peuple kurde. Ainsi, en raison d’une formulation malheureuse, le soutien populaire dont le PKK bénéficie, la lutte du PKK pour la libération du peuple kurde et le statut de leader du peuple kurde de M. Öcalan peuvent être lus comme des faits objectifs sur lesquels le requérant aurait une opinion plutôt que comme de simples allégations à propos desquelles la Cour maintient une distance nécessaire. En bref, nous estimons que la suppression pure et simple de cette partie de l’arrêt serait bénéfique au raisonnement de la Cour.

 


 

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE YÜKSEL

Je suis en désaccord avec la décision de la majorité d’accorder 2 000 EUR au requérant pour dommage moral. J’estime que compte tenu de la nature purement procédurale de la violation de l’article 10 à laquelle la Cour a conclu, un constat de violation aurait fourni en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral éventuellement subi par le requérant (voir, mutatis mutandis, Cengiz et autres c. Turquie, nos 48226/10 et 14027/11, § 73, CEDH 2015 (extraits)).


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