BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> VASILOPOULOS v. GREECE - 18106/12 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : First Section Committee) French Text [2020] ECHR 369 (28 May 2020) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/369.html Cite as: [2020] ECHR 369, CE:ECHR:2020:0528JUD001810612, ECLI:CE:ECHR:2020:0528JUD001810612 |
[New search] [Contents list] [Help]
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE VASILOPOULOS c. GRÈCE
(Requête no 18106/12)
ARRÊT
STRASBOURG
28 mai 2020
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Vasilopoulos c. Grèce,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en un comité composé de :
Aleš Pejchal, président,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Jovan Ilievski, juges,
et de Renata Degener, greffière adjointe de section,
la requête susmentionnée (no 18106/12) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet État, M. Fotios Vasilopoulos (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 12 mars 2012,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 6 § 1 (accès à un tribunal) et 13 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour,
les observations des parties,
la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité.
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 avril 2020,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. L’affaire concerne le refus de l’administration de se conformer à un arrêt de la Cour des comptes qui reconnaissait que le requérant avait droit à percevoir un supplément de sa pension de retraite pour certaines périodes (articles 6 § 1 et 13 de la Convention et article 1 du Protocole no 1 à la Convention).
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1920 et réside à Athènes. Il a été représenté par Me N. Kondylis, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par la déléguée de son agente, Mme G. Papadaki, assesseure au Conseil juridique de l’État.
4. Le requérant est un officier de gendarmerie à la retraite. Par la décision no 7547/1975, la Comptabilité générale de l’État fixa le montant de sa pension de retraite, qu’elle réajusta par la suite par les décisions no 40735/1978 et no 28360/1987, conformément aux dispositions des lois no 787/1978 et no 1643/1986 respectivement.
5. Le 1er novembre 2005, le requérant demanda à la Comptabilité générale de l’État de réajuster et d’augmenter rétroactivement le montant de sa pension sur le fondement des lois no 2838/2000 et no 3016/2002 à compter de leur entrée en vigueur respective. Par une décision du 21 décembre 2005, qui ne fut pas notifiée au requérant, comme le releva la Cour des comptes dans son arrêt no 2563/2010 (paragraphe 11 ci-dessous), la Comptabilité générale de l’État rejeta la demande de l’intéressé au motif que, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 3408/2005, les augmentations de salaire prévues par les lois no 2838/2000 et no 3016/2002 s’appliquaient également aux pensions des personnes qui étaient parties à la retraite avant l’entrée en vigueur de ces lois, mais seulement à compter du 1er octobre 2005.
6. Le 3 avril 2006, le requérant forma devant la Commission du contrôle de la fixation des pensions de retraite de la Comptabilité générale de l’État des objections (ένσταση) contre la décision non notifiée de la Comptabilité générale de l’État de rejet de sa demande du 1er novembre 2005.
7. Par la décision no 45423 du 31 août 2006, la Comptabilité générale de l’État réajusta, à compter du 1er octobre 2005, le montant de la pension de retraite du requérant sur le fondement de l’article 8 de la loi no 3408/2005.
8. Le 15 septembre 2006, l’intéressé saisit la Cour des comptes d’un recours contre le rejet tacite de la Comptabilité générale de l’État quant aux objections susmentionnées et contre la décision de rejet du 21 décembre 2005.
9. Par l’arrêt no 2563/2010 du 15 octobre 2010, la Cour des comptes donna gain de cause au requérant et renvoya l’affaire à l’administration afin que celle-ci se prononçât sur le réajustement de sa pension.
10. Plus précisément, elle considéra que l’intéressé avait qualité pour agir car, en dépit de la décision no 45423 qui avait réajusté sa pension sur le fondement de l’article 8 de la loi no 3408/2005, sa prétention n’avait pas été pleinement satisfaite : la différence entre la pension qu’il recevait initialement et la pension réajustée ne lui avait pas été versée rétroactivement à compter de l’entrée en vigueur respective des lois invoquées, mais seulement à compter du 1er octobre 2005.
11. La Cour des comptes jugea que les lois no 2838/2000 et no 3016/2002 s’appliquaient dans le cas du requérant, qui avait été mis à la retraite avant leur entrée en vigueur. Elle considéra que la demande d’augmentation de sa pension conformément aux dispositions de ces lois que l’intéressé avait formé le 1er novembre 2005 était fondée et aurait dû être examinée par la Comptabilité générale de l’État qui s’était trompée en la rejetant. La Cour des comptes releva par ailleurs qu’aucune preuve de notification au requérant de la décision du 21 décembre 2005 n’avait été versée au dossier.
12. Le 22 octobre 2011, l’arrêt de la Cour des comptes devint définitif et non susceptible de pourvoi en cassation.
13. Entre-temps, le 17 février 2011, le comité de trois membres de la Cour des comptes chargé de surveiller l’exécution des arrêts de celle-ci (« le comité de trois membres »), saisi par le requérant, constata que trois mois s’étaient écoulés depuis la notification de l’arrêt no 2563/2010 à la Comptabilité générale de l’État et que celle-ci ne s’y était toujours pas conformée. Il lui accorda un délai d’un mois pour qu’elle indiquât pourquoi elle refusait de se conformer à l’arrêt précité.
14. La Comptabilité générale de l’État répondit au comité de trois membres le 18 mai 2011 et indiqua qu’elle n’était pas obligée de se conformer aux arrêts définitifs (τελεσίδικες) de la Cour des comptes. Dans sa réponse, elle se fondait sur l’article 122 du décret no 1225/1981 qui prévoyait que l’administration ne devait se conformer qu’aux arrêts qui n’étaient plus susceptibles de recours (αμετάκλητες). Elle soutenait que cette disposition s’appliquait en l’espèce, car il s’agissait d’une lex specialis par rapport à l’article 61 du décret no 774/1980 qui établissait le caractère exécutoire des arrêts définitifs de la Cour des comptes. Elle ajoutait que l’article 122 du décret no 1225/1981 visait, d’une part, à éviter l’incertitude que créait pour les services et les finances de l’État l’exécution de décisions judiciaires qui risquaient d’être infirmées en cas d’issue favorable d’un pourvoi en cassation, et, d’autre part, à épargner aux finances publiques la surcharge imprévue que pourrait provoquer l’exécution d’un grand nombre d’arrêts donnant gain de cause à une multitude de retraités. Enfin, elle considérait que les demandes des retraités étaient satisfaites par le versement d’une pension réajustée selon les dispositions de la loi no 3408/2005.
15. Le 23 mai 2011, la Comptabilité générale de l’État décida que la pension de retraite du requérant serait réajustée à compter du 1er mai 2008, mais que son montant ne serait pas modifié, car le réajustement avait déjà eu lieu à compter du 1er janvier 2008 par application des dispositions des articles 6 de la loi no 2838/2000, 37 § 2 de la loi no 3016/02, 60 du décret no 169/2007 et 8 de la loi no 3408/2005.
16. La Comptabilité générale de l’État notifia sa décision au requérant par une lettre du 26 mai 2011. L’intéressé soutient que cette décision ne lui fut pas notifiée et qu’elle ne le fut pas non plus au comité de trois membres.
17. Le 14 juin 2011, le comité de trois membres délibéra une deuxième fois dans l’affaire du requérant. Il considéra que le refus de la Comptabilité générale de l’État de se conformer à l’arrêt no 2536/2010 de la Cour des comptes était injustifié et l’invita à exécuter l’arrêt dans un délai de trois mois. Plus précisément, il indiqua que l’article 122 du décret no 1225/1981 était contraire tant à la législation nationale qu’au droit communautaire et que les dispositions de la loi no 3408/2005 ne s’appliquaient pas à ceux qui avaient obtenu des décisions judiciaires favorables et qui avaient droit à ce qu’elles soient exécutées.
18. La décision du comité de trois membres fut notifiée à la Comptabilité générale de l’État le 20 juillet 2011.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
19. L’article 60 § 1 du code des retraites, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, se lisait ainsi :
« En aucun cas il n’est permis de reconnaître rétroactivement à l’encontre de l’État des droits économiques découlant des pensions de retraite pour une période antérieure de plus de trois ans au premier jour du mois au cours duquel la décision relative à la pension de retraite a été prise. »
20. L’article 8 § 1 de la loi no 3408/2005 dispose que :
« Les pensions de retraite des militaires dont la décision de mise à la retraite a été prise avant le 30 juin 2002 inclus sont réajustées d’office à compter du 1er octobre 2005 par les directions compétentes de la Comptabilité générale de l’État, conformément aux dispositions des articles 5 et 6 de la loi no 2838/2000 et 37 de la loi no 2016/2002 (...) »
21. Par son arrêt no 887/2016, la Cour des comptes, siégeant en formation plénière, a indiqué que, dans ses arrêts nos 26/2010, 166/2010, 963/2010, 1587/2011, 3023/2012, 4319/2013 et 2234/2014, rendus à la lumière de la jurisprudence de la Cour, elle avait déjà affirmé que, en cas d’annulation d’une décision de l’administration fixant ou réajustant des pensions de retraite, le point de départ (dies a quo) de la rétroactivité triennale mentionnée à l’article 60 § 1 du code des retraites était le premier jour du mois au cours duquel la décision annulée avait été adoptée et non la date de l’adoption de l’arrêt de la Cour des comptes.
22. La Cour des comptes a aussi exposé que, lorsque l’administration réajustait la pension de retraite d’un militaire dans le cadre de l’exécution d’un arrêt de la Cour des comptes par lequel celle-ci a) avait annulé le refus initial de l’administration d’appliquer les modifications salariales prévues par les lois no 2838/2000 et no 3016/2002 à des militaires déjà mis à la retraite à la date d’entrée en vigueur de ces lois et b) avait renvoyé l’affaire à l’administration pour que celle-ci appréciât les conditions de fond du droit à pension, le point de départ de la rétroactivité triennale du réajustement devait être la date de l’adoption de la décision initiale qui avait rejeté la demande de l’intéressé tendant à l’application à son profit des lois précitées.
23. L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :
« L’État est tenu de réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission a eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »
24. Selon les arrêts nos 1505/2005 et 1506/2005 rendus par la formation plénière de la Cour des comptes, l’action en indemnisation fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil avait un caractère purement indemnitaire, ne portait pas sur des droits à pension et n’était donc pas concernée par la prescription prévue par l’article 60 du décret présidentiel no 166/2000. Toujours selon ces arrêts, les personnes qui s’étaient vu refuser de manière illégale le réajustement de leur pension pouvaient demander une indemnisation pour le dommage subi à ce titre. Par l’arrêt no 2405/2005 de sa formation plénière, confirmé par la suite par l’arrêt no 756/2006, la Cour des comptes a conditionné la possibilité d’une indemnisation au constat préalable de l’illégalité du comportement des autorités administratives. Il ressort du dossier qu’il n’existe pas à ce jour d’arrêt rendu par la Cour des comptes allouant aux intéressés des sommes à ce titre.
EN DROIT
I. SUR LE DéCÈS DU requérant
25. La Cour prend acte du décès du requérant survenu le 15 mars 2017 et du souhait exprimé par sa fille, Mme Vassiliki Vasilopoulou, de poursuivre la procédure engagée.
26. La Cour rappelle que, lorsqu’un requérant décède durant l’examen de l’affaire, ses héritiers ou proches parents peuvent en principe maintenir la requête en son nom (voir Ječius c. Lituanie, no 34578/97, § 41, CEDH 2000-IX et, plus précisément, en matière de non-exécution d’arrêts, Shiryayeva c. Russie, no 21417/04, § 8, 13 juillet 2006, et Shvedov c. Russie, no 69306/01, 20 octobre 2005).
27. En l’espèce, la Cour estime que la fille du requérant, qui produit à la demande du Gouvernement un certificat récent de non-refus d’héritage (πιστοποιητικό μη αποποίησης κληρονομιάς), possède un intérêt légitime à maintenir la requête au nom du défunt.
28. Le requérant se plaint du refus de la Comptabilité générale de l’État de se conformer à l’arrêt no 2536/2010 de la Cour des comptes et de l’impossibilité dans laquelle il dit s’être trouvé de percevoir le complément de sa pension de retraite, complément qui serait résulté du calcul de celle-ci selon les considérants de cet arrêt. Il allègue des violations de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, qui sont ainsi libellés en leurs parties pertinentes en l’espèce :
Article 6 § 1de la Convention
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
Article 1 du Protocole no 1 à la Convention
« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
1. Arguments des parties
29. En premier lieu, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour non-respect du délai de six mois, la requête ayant été introduite devant la Cour plus de six mois après la décision rendue le 16 avril 2011 par le comité de trois membres de la Cour des comptes.
30. En deuxième lieu, il soutient que le requérant ne peut pas se prétendre victime des violations qu’il allègue : à la date de l’introduction de la requête, la Comptabilité générale de l’État s’était conformée à l’arrêt no 2563/2010 de la Cour des comptes en réajustant sa pension par la décision du 23 mai 2011.
31. En troisième lieu, il plaide que l’intéressé n’a pas épuisé les voies de recours internes : d’une part, il n’a pas introduit d’action en dommages‑intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil et, d’autre part, il n’a pas introduit devant la Cour des comptes un recours en annulation de la décision du 23 mai 2011, qui aurait donné à cette juridiction la possibilité de se prononcer sur le point de départ du versement rétroactif du supplément de pension.
32. Le requérant soutient que sa requête a été introduite dans un délai de six mois à compter soit de la date à laquelle le délai de trois mois accordé à la Comptabilité générale de l’État par le comité de trois membres a expiré (le 20 octobre 2011), soit de la date à laquelle l’arrêt no 2563/2010 de la Cour des comptes est devenu définitif (le 22 octobre 2011).
33. Il argue en outre qu’il a toujours le statut de victime au sens de l’article 34 de la Convention, exposant à cet égard que la décision du 23 mai 2011, qui n’a selon lui pas du tout augmenté sa pension, a fait fi de l’arrêt de la Cour des comptes et de la décision du comité de trois membres.
34. Il plaide enfin qu’il a épuisé les voies de recours internes. Il estime que le Gouvernement ne saurait tirer prétexte du refus de l’administration d’exécuter l’arrêt de la Cour des comptes pour lui reprocher de ne pas avoir saisi une nouvelle fois les juridictions nationales pour faire valoir ses droits, alors que ceux-ci avaient déjà été reconnus par un arrêt définitif.
2. Appréciation de la Cour
35. En ce qui concerne la première exception, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire en l’espèce de décider si le délai de six mois commence à courir à compter du prononcé de l’arrêt no 2563/2010, ou de la date à laquelle celui-ci est devenu insusceptible de voie de recours, ou encore de la date à laquelle expirait le délai accordé à l’administration par le comité de trois membres. Il lui suffit de constater, d’une part, que le comité de trois membres a considéré que cet arrêt n’avait pas été exécuté et, d’autre part, que le requérant n’a pas reçu les sommes qui auraient dû lui être accordées en application de l’arrêt no 2563/2010. Il s’agit donc là d’une situation continue qui perdure. La Cour rappelle que, lorsque le grief porte sur une situation continue contre laquelle il n’existe aucun recours, le délai de six mois commence à courir à partir de la fin de cette situation. Tant que celle‑ci perdure, la règle des six mois ne trouve pas à s’appliquer (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 35, Recueil des arrêts et décisions 1997-II, Marikanos c. Grèce (déc.), no 49282/99, 29 mars 2001, Doğan et autres c. Turquie, nos 8803‑8811/02, 8813/02 et 8815-8819/02, § 113, CEDH 2004‑VI (extraits), et Iordache c. Roumanie, no 6817/02, § 50, 14 octobre 2008).
36. En ce qui concerne la deuxième exception, la Cour note que la Comptabilité générale de l’État n’a réajusté la pension du requérant qu’à compter du 1er octobre 2005 et non pour les périodes couvertes par les lois no 2838/2000 et no 3016/2002 comme elle était censé le faire à la suite de l’arrêt no 2563/2010 de la Cour des comptes. Dans ces circonstances, on ne saurait nier que le requérant continue à avoir le statut de victime de la violation alléguée.
37. En ce qui concerne la troisième exception, la Cour rappelle que celui qui a exercé un recours de nature à remédier directement à la situation litigieuse - et non de façon détournée - n’est pas tenu d’en engager d’autres qui lui eussent été ouverts, mais dont l’efficacité eût été improbable (Manoussakis et autres c. Grèce, 26 septembre 1996, § 33, Recueil 1996‑IV). Dès lors, elle considère en l’espèce que le requérant ne saurait se voir imposer l’obligation de saisir à nouveau les juridictions, en l’occurrence pour demander des dommages-intérêts sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, ou pour faire déterminer le point de départ de la rétroactivité triennale (qui a, du reste, fait l’objet d’une décision de la formation plénière de la Cour des comptes postérieurement aux faits de la cause), alors que la Cour des comptes ainsi que son comité de trois membres se sont déjà vu offrir l’occasion de porter directement remède à la situation litigieuse.
38. En conclusion, constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Arguments des parties
39. Le requérant expose que la Comptabilité générale de l’État a seulement réajusté sa pension pour la forme sans tenir compte des motifs par lesquels la Cour des comptes lui avait donné gain de cause. Il soutient par conséquent que l’adoption de la décision du 23 mai 2011 ne saurait être considérée comme une exécution de l’arrêt de la Cour des comptes. Eu égard à l’affirmation de la Cour des comptes selon laquelle il avait droit à percevoir la différence qui existait entre le montant de la pension qu’il recevait et celui qu’il aurait dû recevoir si les lois no 2838/2000 et no 3016/2002 lui avaient été appliquées, il considère que l’on ne saurait nier qu’il disposait d’un « bien » au sens de la première phrase de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
40. Le Gouvernement soutient qu’en adoptant la décision du 23 mai 2011 la Comptabilité générale de l’État s’est totalement conformée à l’arrêt no 2563/2010 de la Cour des comptes. En outre, il argue que le requérant n’avait pas une prétention suffisamment fondée en droit interne : en effet, il considère que la disposition pertinente en l’espèce du code des retraites ne prévoyait pas de rétroactivité du versement au-delà de trois ans au jour de l’adoption de la décision de la Comptabilité générale de l’État, que cette question n’avait pas fait l’objet d’un recours du requérant devant la Cour des comptes et que le droit de l’intéressé à percevoir un supplément de pension pour la période antérieure au 1er octobre 2005 n’avait pas été reconnu par la Cour des comptes ni par le comité de trois membres.
41. Le Gouvernement considère que, avant la décision adoptée par la formation plénière de la Cour des comptes le 24 mars 2015, l’obligation faite à la Comptabilité générale de l’État de se conformer à un arrêt de la Cour des comptes qui reconnaissait, comme en l’espèce, que les dispositions des lois no 2838/2000 et no 3016/2002 s’appliquaient aux retraités ne lui imposait pas de déterminer le point de départ de la rétroactivité triennale. Il estime que la détermination de ce point de départ devait être faite par la Cour des comptes saisie d’un nouveau recours de l’intéressé et qu’elle ne relevait pas de la compétence du comité de trois membres.
2. Appréciation de la Cour
42. La Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie (Buyan et autres c. Grèce, no 28644/08, § 33, 3 juillet 2012). L’exécution d’un jugement, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6. La Cour a déjà reconnu que la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent l’obligation pour la Comptabilité générale de l’État de se plier à un jugement ou arrêt prononcé par la plus haute juridiction administrative de l’État en la matière (voir, notamment, Hornsby, précité, § 40).
43. En l’espèce, la Cour note que le requérant, officier de gendarmerie à la retraite, a demandé à la Comptabilité générale de l’État de réajuster et d’augmenter rétroactivement le montant de sa pension sur le fondement des lois no 2838/2000 et no 3016/2002 à compter de leur entrée en vigueur respective. La Comptabilité générale de l’État a rejeté sa demande au motif qu’à la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 3408/2005 le réajustement de la pension ne pouvait avoir lieu qu’à compter du 1er octobre 2005, réajustement auquel elle a d’ailleurs procédé par la décision no 45423 du 31 août 2006. Saisie par le requérant, la Cour des comptes a considéré que celui-ci avait le droit de bénéficier des dispositions des lois no 2838/2000 et no 3016/2002, et donc d’une augmentation de sa pension, à compter de l’entrée en vigueur de ces lois, et elle a renvoyé l’affaire à la Comptabilité générale de l’État pour qu’elle effectuât le calcul adéquat (paragraphes 10‑11 ci-dessus). Comme trois mois s’étaient écoulés sans que la Comptabilité générale de l’État ne se soit conformée à l’arrêt de la Cour des comptes, le comité de trois membres l’a invitée à indiquer les motifs de son refus de s’y conformer (paragraphe 13 ci-dessus), ce à quoi la Comptabilité générale de l’État a répondu que, pour les raisons qu’elle exposait dans sa réponse (paragraphe 14 ci-dessus), elle n’y était pas obligée. Réuni une deuxième fois le 14 juin 2011, le comité de trois membres a considéré que le refus opposé par la Comptabilité générale de l’État de se conformer à l’arrêt no 2536/2010 de la Cour des comptes était injustifié et l’a invitée à exécuter l’arrêt dans un délai de trois mois (paragraphe 17 ci-dessus). Toutefois, la Comptabilité générale de l’État ne s’y est toujours pas conformée.
44. La Cour relève que, selon le Gouvernement, la Comptabilité générale de l’État s’est conformée à l’arrêt précité, puisque le 23 mai 2011 elle a pris une décision qui précisait que la pension de retraite du requérant serait réajustée à compter du 1er mai 2008, mais que le montant de celle-ci ne serait pas modifié, car un réajustement avait déjà eu lieu à compter du 1er janvier 2008.
45. Toutefois, la Cour considère que le réajustement mentionné par le Gouvernement ne correspondait pas à celui qui avait été sollicité par le requérant dans sa demande à laquelle la Cour des comptes avait fait droit et que la Comptabilité générale de l’État refusait d’exécuter, comme l’avait constaté le comité de trois membres. Il ressort de la formulation utilisée tant par la Cour des comptes que par le comité de trois membres que le réajustement de la pension de l’intéressé aurait dû être effectué en tenant compte également de la période comprise entre le 1er juillet 2000 et le 30 septembre 2005.
46. La Cour note par ailleurs que, selon le Gouvernement, avant le 24 mars 2015 (paragraphe 36 ci-dessus) l’obligation de la Comptabilité générale de l’État de se conformer à une décision comme l’arrêt no 2563/2010 qui concernait le requérant n’incluait pas celle de se prononcer sur le point de départ de la rétroactivité triennale, question qui devait faire l’objet d’un nouveau recours devant la Cour des comptes. Toutefois, elle relève que cette décision de la formation plénière de la Cour des comptes était postérieure aux faits de la cause, à l’arrêt no 2563/2010 de la Cour des comptes ainsi qu’aux délibérations du comité de trois membres relatives à l’exécution de cet arrêt.
47. Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour estime que le requérant est fondé à soutenir que les autorités nationales ont refusé de se conformer à l’arrêt no 2536/2010 de la Cour des comptes, privant ainsi l’article 6 § 1 de la Convention de tout effet utile.
48. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
49. Le requérant se plaint de ne pas avoir disposé d’un recours effectif afin de contester le refus de la Comptabilité générale de l’État de se conformer à l’arrêt no 2536/2010 rendu par la Cour des comptes. Il allègue une violation de l’article 13 de la Convention, qui se lit ainsi :
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
50. Le Gouvernement soutient que la saisine par le requérant de la Cour des comptes et du comité de trois membres a constitué un moyen de pression efficace pour obliger la Comptabilité générale de l’État à se conformer à l’arrêt no 2563/2010 par l’adoption de la décision du 23 mai 2011.
51. Dans le cas d’espèce, en suivant le même raisonnement que celui ayant conduit au rejet de l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement (paragraphe 36 ci-dessus), la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention à raison de l’absence en droit interne d’un recours qui eût permis au requérant d’obtenir l’exécution de l’arrêt no 2536/2010 de la Cour des comptes (voir, mutatis mutandis, Kanellopoulos c. Grèce, no 11325/06, § 33, 21 février 2008).
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
52. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
53. Le requérant réclame 27 845,12 euros (EUR) au titre du dommage matériel qu’il estime avoir subi. Il expose que cette somme correspond à celle qu’il aurait dû recevoir si l’arrêt no 2563/2010 avait été exécuté. Il demande à la Cour d’inviter le Gouvernement à fournir le calcul exact de la somme due, arguant que seule la Comptabilité générale de l’État peut fixer le montant avec la précision nécessaire. Il sollicite en outre 20 000 EUR pour dommage moral.
54. Le Gouvernement soutient que, si la Cour conclut à la violation de la Convention, la détermination du montant dû pour dommage matériel relèverait de la compétence de la Comptabilité générale de l’État. Il argue aussi que, en raison de son comportement, à savoir l’omission d’user des possibilités offertes par l’ordre juridique interne pour faire réajuster sa pension, le requérant n’a droit à aucune indemnité pour dommage moral.
55. La Cour relève que dans son arrêt no 2563/2010 la Cour des comptes n’a indiqué ni le montant de la pension supplémentaire qu’aurait dû percevoir le requérant ni la méthode de calcul de celle-ci. La Cour des comptes a seulement considéré que les dispositions pertinentes des lois no 2838/2000 et no 3016/2002 (relatives aux augmentations salariales) devaient également s’appliquer au cas du requérant et a renvoyé l’affaire à la Comptabilité générale de l’État pour le calcul du montant. Par la suite, le comité de trois membres a estimé que la Comptabilité générale de l’État ne s’était pas conformée à l’arrêt susmentionné.
56. La Cour note que pour dommage matériel, le requérant réclame une somme qu’il explique de manière concrète dans ses observations. Elle note aussi que le Gouvernement, de son côté, ne l’éclaire pas quant au montant qui serait effectivement dû au requérant à la suite de l’arrêt de la Cour des comptes et n’a pas non plus demandé à la Comptabilité générale de l’État d’effectuer le calcul approprié à cet effet. La Cour ne saurait par elle‑même spéculer sur le montant exact de la somme due au requérant mais faute d’éclairage de la part du Gouvernement à cet égard, elle s’estime en droit de tirer des conclusions de cette attitude du Gouvernement. Statuant en équité, comme le permet l’article 41, et sur la base des éléments du dossier, elle accorde au requérant 20 000 EUR tous dommages confondus, et ne considère pas qu’il soit nécessaire de demander à l’État de prendre d’autres mesures individuelles en vue de l’exécution du présent arrêt.
B. Frais et dépens
57. Le requérant réclame 1 300 EUR au titre des frais et dépens qu’il dit avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour des comptes et le comité de trois membres. Sa fille, qui continue la procédure devant la Cour, indique qu’en raison du décès du requérant elle n’a pas été en mesure de trouver les factures correspondantes, sauf une, d’un montant de 120 EUR. Il expose que le montant minimum des honoraires pour un recours devant la Cour des comptes s’élève à 452 EUR. Il ajoute que le même montant est dû pour un recours devant le comité de trois membres.
Le requérant réclame aussi 4 595,56 EUR au titre des frais et dépens qu’il dit avoir engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour. Pour cette dernière, il indique que la somme demandée correspond à 57 heures de travail de son avocat et que, selon l’article 59 de la loi no 4194/2013, le taux horaire minimum des honoraires d’avocat s’élève à 80 EUR.
58. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter les prétentions du requérant à ce titre. D’une part, il considère que les frais engagés devant les juridictions internes n’ont pas de lien de causalité avec les violations alléguées. D’autre part, il estime que le requérant ne produit aucun justificatif tant en ce qui concerne ces frais que ceux engagés devant la Cour.
59. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, pour avoir droit à l’allocation de frais et dépens, le requérant doit les avoir supportés dans le but de prévenir ou de faire corriger une violation de la Convention. En l’espèce, la Cour considère qu’en saisissant le comité de trois membres de la Cour des comptes le requérant a tenté de faire corriger une violation de la Convention au sens de la jurisprudence de la Cour et estime approprié de lui accorder 452 EUR à ce titre. En revanche, elle constate que la fille du requérant ne produit aucun justificatif pour la procédure devant la Cour. Partant, elle estime qu’il n’y a lieu de lui accorder aucune somme à cet égard.
C. Intérêts moratoires
60. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit que la fille du requérant a qualité pour se substituer au requérant en l’espèce ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
6. Dit, à l’unanimité,
a) que l’État défendeur doit verser à la fille du requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :
i. 20 000 EUR (vingt mille euros), tous dommages confondus, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt ;
ii. 452 EUR (quatre cent cinquante-deux euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par la fille du requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
7. Rejette, à l’unanimité, le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 mai 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Renata Degener Aleš Pejchal
Greffière adjointe Président