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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BARDALI v. SWITZERLAND - 31623/17 (Judgment : No Prohibition of torture : Third Section) French Text [2020] ECHR 836 (24 November 2020)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2020/836.html
Cite as: [2020] ECHR 836, CE:ECHR:2020:1124JUD003162317, ECLI:CE:ECHR:2020:1124JUD003162317

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TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BARDALI c. SUISSE

(Requête no 31623/17)

 

 

 

ARRÊT

Art 3 (matériel) • Traitement dégradant • Conditions convenables de détention d’un détenu en prison malgré la surpopulation • Espace personnel supérieur à 3 m2 mais inférieur à la norme de 4 m2 énoncée par le CPT • Bon état de l’hygiène et de l’aération, de l’approvisionnement en eau et en nourriture, du chauffage et de la lumière • Promenade quotidienne à l’air libre et autres activités hors cellule • Soins médicaux appropriés • Détenu non soumis à une détresse ou à une épreuve d’une intensité excédant le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention

 

STRASBOURG

24 novembre 2020

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Bardali c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

          Paul Lemmens, président,
          Georgios A. Serghides,
          Helen Keller,
          Georges Ravarani,
          María Elósegui,
          Darian Pavli,
          Peeter Roosma, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,

Vu :

la requête (no 31623/17) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant iraquien, M. Akram Bardali (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 20 avril 2017,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement suisse (« le  Gouvernement ») le grief concernant les conditions de détention subies par le requérant dans la prison de Champ-Dollon,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 novembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1.  La présente affaire concerne les conditions de détention du requérant dans la prison de Champ-Dollon.

EN FAIT

2.  Le requérant est né en 1984. Au moment de l’introduction de la requête il était détenu dans l’établissement de La Brenaz à Puplinge. Il a été représenté devant la Cour par Me B. Lachat, avocat exerçant à Genève.

3.  Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. A. Chablais, de l’Office fédéral de la justice.

4.  Par le jugement du 15 avril 2015, le Tribunal correctionnel du canton de Genève déclara le requérant coupable de tentative de lésions corporelles graves et d’entrée illégale en Suisse et le condamna à une peine privative de liberté de 36 mois.

5.  Le 2 mai 2015, le requérant entama une grève de la faim et de la soif. Selon la lettre qu’il écrivit au directeur de la prison et qui fut notifiée à la direction le 7 mai 2015, il entendait ainsi protester contre sa condamnation injuste ; selon le tampon apposé sur la lettre, le service médical fut avisé le 8  mai 2015. À cette dernière date, le requérant fit une tentative de suicide et fut amené en urgence aux Hôpitaux universitaires de Genève. Il ressort du rapport établi lors de son hospitalisation qu’il s’était rendu le matin même au service médical de la prison pour une prise de sang ; il se déclara frustré en raison de l’arrêt de son traitement anxiolytique et de ses problèmes avec la justice. Le 9 mai 2015, le requérant fut transféré à l’Unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire située à proximité de la prison de Champ-Dollon. Il retourna en prison le 11 mai 2015.

6.  Le 9 juillet 2015, le requérant fit appel du jugement du Tribunal correctionnel et saisit la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice du canton de Genève d’une requête en vérification de la licéité des conditions de détention. Il se plaignit d’avoir été détenu dans l’aile Nord/Sud de la prison de Champ-Dollon depuis le 9 novembre 2014, et ce notamment dans des cellules nos 271 et 279 présentant une surface brute au sol de 10,18 mètres carrés (m2) mais qui, partagées par trois détenus, ne laissaient à chacun d’eux qu’un espace brut de 3,39 m2. Il fit valoir que l’espace réellement libre à l’intérieur de ces cellules était encore inférieur puisque la surface brute était entravée par divers meubles, chaque détenu disposant donc d’une surface nette réelle de 1,59 m2 qui fondait jusqu’à 1,11  m2 par détenu lorsque le lit d’appoint était rabattu. Le requérant soutint dès lors que, se trouvant dans l’impossibilité de se mouvoir dans la cellule, il était contraint de passer l’essentiel de son temps au lit et qu’il était confiné en cellule 23 heures sur 24. Il observa que le manque d’intimité engendré par la surpopulation carcérale était aggravé par le fait que les détenus se douchaient à plusieurs dans des douches collectives et que les repas étaient pris en cellule.

7.  Dans son rapport sur les conditions de détention du requérant, adressé à la Chambre pénale d’appel et de révision le 25 août 2015, le directeur de la prison de Champ-Dollon fournit un parcours cellulaire détaillé du requérant. Il nota que les cellules individuelles des unités Nord/Sud étaient dotées de trois lits par cellule, que les douches étaient situées à l’extérieur de la cellule, que tous les détenus bénéficiaient d’une heure de promenade quotidienne à l’air libre (sachant qu’usuellement, entre le moment de l’ouverture de la porte de la cellule et le retour en cellule après la promenade, une durée d’environ une heure et quart pouvait être prise en considération), que le requérant avait pu bénéficier d’une heure de sport hebdomadaire du 17 novembre 2014 au 19 août 2015, qu’il avait reçu dix visites depuis le 9 novembre 2014 et qu’un de ses codétenus avait pour la plupart du temps exercé l’activité de nettoyeur de tables.

8.  Dans son arrêt du 2 octobre 2015, la Cour de justice reconnut le requérant coupable d’agression et confirma la peine imposée. Quant à la violation de l’article 3 de la Convention invoquée par le requérant, la cour, se référant à la jurisprudence du Tribunal fédéral, releva dans le rapport de la prison que le requérant avait séjourné à deux reprises dans une cellule ne lui offrant qu’un espace individuel net de 3,39 m2, en compagnie de deux autres détenus. Toutefois, ces périodes n’avaient duré respectivement que 20 et 78 jours, soit à peine plus longtemps que le seuil critique de 90 jours, alors qu’entre-temps, et à raison de 5 et 18 jours, le requérant avait pu bénéficier d’un espace individuel net bien supérieur au seuil minimal de 4 m2 toléré par la jurisprudence. Par ailleurs, le requérant n’avait pas demandé à bénéficier d’une place de travail, alors qu’un tel travail lui aurait permis de passer davantage de temps hors de sa cellule. Au vu de ces éléments, la cour conclut que le requérant n’avait pas été détenu dans des conditions contraires à la dignité humaine et que, partant, aucune réduction de peine ne lui serait octroyée.

9.  Le 17 décembre 2015, le requérant forma un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral. Il réclama une réduction de peine au motif que ses conditions de détention à la prison de Champ-Dollon étaient illicites et contraires à l’article 3 de la Convention. Il contesta les constatations de la cour cantonale et soutint avoir été détenu de manière ininterrompue entre le 18 avril 2015 et le 28 juillet 2015, soit durant 98 jours consécutifs, dans une cellule n’offrant pas un espace individuel conforme aux standards applicables en la matière. À cela s’ajoutait qu’il n’avait pas disposé d’une surface suffisante durant 62 jours entre le 9 novembre 2014 et le 13 janvier 2015, période entrecoupée d’un et deux jours durant lesquels il avait bénéficié d’une surface suffisante.

10.  Dans son arrêt 6B_1314/2015 du 10 octobre 2016, le Tribunal fédéral constata que le requérant avait en effet été détenu durant 98 jours consécutifs, entre le 18 avril 2015 et le 28 juillet 2015, dans une cellule individuelle occupée par trois détenus, ne lui offrant de ce fait qu’un espace individuel de 3,39 m2. Cependant, il considéra que le délai de trois mois fixé par la jurisprudence interne - au-delà duquel les conditions de détention similaires ne sont plus tolérables et sont contraires à la dignité humaine - était une durée indicative à prendre en compte dans l’appréciation globale de toutes les conditions concrètes de détention, comprenant notamment l’état d’hygiène et d’aération, l’approvisionnement en eau et en nourriture, le chauffage et la lumière. Le Tribunal fédéral releva que, en l’espèce, ces conditions étaient convenables, que le requérant avait pu recevoir des visites et qu’un de ses codétenus avait exercé l’activité de nettoyeur de tables. Au vu de l’ensemble de ces circonstances et compte tenu du fait que la détention litigieuse n’avait dépassé que très faiblement le seuil critique de trois mois, le Tribunal fédéral conclut que le requérant n’avait pas été détenu dans des conditions contraires à la dignité humaine.

11.  Le requérant quitta la prison de Champ-Dollon le 6 mars 2017, date à laquelle il fut transféré à la prison de La Brenaz où il finit de purger sa peine le 5 mars 2018. Selon le Gouvernement, rien n’indique que le requérant se trouverait encore en Suisse.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I. DROIT INTERNE PERTINENT

A.    Règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP ; F 1 50.04)

12.  Selon l’article 14 concernant les locaux de détention, chaque cellule est équipée de manière à permettre une vie décente et conforme aux exigences de la salubrité.

13.  L’article 18, consacré aux promenades et exercices physiques, dispose que, en règle générale, les détenus bénéficient d’une heure de promenade par jour dans les cours réservées à cet usage et que, dans les limites déterminées, ils peuvent se livrer à des exercices physiques.

II. PRATIQUE INTERNE PERTINENTE

A.    Jurisprudence du Tribunal fédéral

14.  Dans l’arrêt 1B_369/2013 du 26 février 2014, concernant les conditions de détention au sein de la prison de Champ-Dollon, le Tribunal fédéral a estimé que l’occupation d’une cellule dite triple par six détenus avec une surface individuelle de 3,83m2 – restreinte encore par le mobilier - peut constituer une violation de l’article 3 si elle s’étend sur une longue période et si elle s’accompagne d’autres mauvaises conditions de détention. Le Tribunal fédéral a dès lors établi une durée de référence de trois mois consécutifs apparaissant comme la limite au-delà de laquelle les conditions de détention susmentionnées ne peuvent plus être tolérées, précisant que ce délai ne pouvait pas être compris comme un délai au sens strict du terme mais comme une durée indicative à prendre en compte dans le cadre de l’appréciation globale de toutes les conditions concrètes de détention. D’après le Tribunal fédéral, la durée très limitée des périodes que le détenu était autorisé à passer hors de la cellule (une heure de promenade en plein air par jour) aggravait encore la situation. Le Tribunal fédéral a donc estimé que l’effet cumulé de l’espace individuel inférieur à 3,83 m2, du nombre de 157 jours consécutifs passés dans ces conditions de détention difficiles et surtout du confinement en cellule 23 heures sur 24 s’apparentait à un traitement dégradant. Ces conditions de détention ne satisfaisaient donc pas aux exigences de l’article 3.

15.  Dans son arrêt 1B-239/2015 du 29 septembre 2015, concernant la prison de Champ-Dollon, le Tribunal fédéral a jugé que deux périodes de 184 et 149 jours de détention dans un espace individuel de 3,39 m2, séparés par 14 jours durant lesquels l’intéressé avait disposé d’un espace nettement supérieur, contrevenaient à l’article 3 de la Convention.

16.  Dans son arrêt 6B-456/2015 du 21 mars 2016, le Tribunal fédéral a estimé que, s’agissant d’une surface disponible par détenu de 3,99 m2, encore réduite par le mobilier et la présence notamment d’une douche, les conditions de détention étaient illicites, compte tenu de la période de détention de 140 jours et du confinement quotidien de 23 heures sur 24.

17.  Dans l’arrêt 6B_794/2015 du 15 août 2016, la mise à disposition d’un espace individuel net, restreint par le mobilier, de 3,39 m2 dans une cellule pendant 71 jours consécutifs, avec un confinement en cellule 23 heures sur 24, a été également considéré comme illicite par le Tribunal fédéral.

18.  Dans l’arrêt 6B_71/2016 du 5 avril 2017, le Tribunal fédéral a jugé qu’une détention à Champ-Dollon d’une durée de 99 jours (supérieure à la durée de l’ordre de trois mois considérée comme susceptible de constituer une violation de l’article 3 de la Convention) dans un espace de 3,99 m2, restreint encore de la douche et du mobilier, avec un confinement en cellule 23 heures sur 24, n’était pas conforme aux exigences de l’article 3.

19.  Très récemment, le Tribunal fédéral a conclu dans son arrêt  6B_169/2020 du 18 mai 2020, concernant également la prison de Champ-Dollon, que le requérant qui a été confiné 22 heures à 23 heures sur 24 (hormis une heure quotidienne pendant 8 jours) dans une cellule occupée par trois détenus n’offrant pas plus de 3,7 m2 de surface individuelle sur une durée de près de huit mois a subi des conditions de détention contraires à la dignité humaine au sens de l’ article 3 de la Convention.

B.     Rapports de la Commission Nationale de Prévention de la Torture

20.  Dans son rapport au Conseil d’État concernant sa visite à la prison de Champ-Dollon les 19-21 juin 2012, la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) a noté que l’établissement atteignait un taux d’occupation de presque 200 %, et ceci de manière chronique depuis plusieurs années, et que les efforts incontestables pour remédier à ce problème n’étaient manifestement pas suffisants.

21.  Dans son rapport concernant les visites de suivi effectuées le 23 octobre 2013 et le 8 décembre 2014, la CNPT a réitéré ses préoccupations au sujet de l’augmentation constante du nombre de détenus, faisant référence à l’arrêt du Tribunal fédéral du 26 février 2014 et notant que l’établissement atteignait un taux d’occupation de plus de 200 % avec des conditions matérielles de détention ne cessant de se détériorer.

III. Rapport au Conseil fédéral suisse relatif à la visite effectuée en Suisse par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 13 au 24 avril 2015 (CPT/Inf(2016)18)

22.  Dans ce rapport, le CPT a déploré que l’établissement pénitentiaire de Champ-Dollon continuait à connaître un problème de surpopulation. Le taux d’occupation y était plus de deux fois supérieure à sa capacité officielle au moment de la visite. Il a donc recommandé aux autorités genevoises de prendre des mesures, notamment en développant les alternatives à l’incarcération. Quant à l’infrastructure à la prison de Champ-Dollon, le CPT a considéré qu’elle est demeurée d’un bon niveau dans l’ensemble et que les cellules étaient généralement propres et correctement entretenues. Néanmoins, en raison de la surpopulation, des détenus disposaient de moins de 4 m² d’espace de vie dans certaines cellules collectives. La surpopulation engendrait également des problèmes d’aération des cellules ainsi que l’impossibilité pour les détenus de disposer chacun d’un endroit où s’asseoir et s’attabler. Le CPT a donc recommandé que des mesures soient prises immédiatement afin qu’un maximum de deux personnes soient détenues dans les cellules dites « individuelles » et de cinq personnes dans les cellules dites « triples », et que des mesures soient prises pour permettre la bonne aération des cellules, notamment à l’aile Est de la prison.

23.  Le CPT a également noté que les violences entre certains groupes ethniques à la prison de Champ-Dollon avaient disparu au moment de sa visite mais qu’un problème sérieux de violences en cellule semblait perdurer. Par ailleurs, la plupart des détenus passaient en général 23 heures par jour en cellule sans autres activités que regarder la télévision ou lire. Le rapport constate que des activités avaient été supprimées à la prison de Champ-Dollon suite à des incidents violents survenus en février 2014 et qu’une « situation de crise » permanente s’était installée. Pour le Comité, il n’était pas acceptable de laisser des détenus sans activités pendant des périodes prolongées.

24.  Le CPT a enfin considéré inacceptable que les personnes en détention avant jugement se voyaient priver de contacts avec le monde extérieur (visites, appels téléphoniques) souvent pour des périodes de plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Il a également recommandé que des mesures soient prises pour permettre à chaque détenu de la prison de Champ-Dollon d’avoir accès au téléphone au moins une fois par semaine.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

25.  Le requérant se plaint que, pendant sa détention dans la prison de Champ-Dollon, il a disposé durant 98 jours consécutifs (entre le 18  avril  2015 et le 28 juillet 2015) d’une surface individuelle s’élevant seulement à 3,39 m2, voire à 1,59 m2 après le retranchement de l’espace occupé par le mobilier. Bien que ce fait à lui seul soit selon lui contraire à la jurisprudence de la Cour, le requérant se plaint également de n’avoir bénéficié que d’une heure de promenade quotidienne à l’air libre, ayant donc été confiné en cellule 23 heures par jour, et d’avoir pris tous ses repas en cellule. De plus, il avait déjà eu à subir, entre le 17 novembre 2014 et le 13 janvier 2015, 57 jours consécutifs de détention durant lesquels il avait bénéficié d’une surface analogue, nettement insuffisante.

Le requérant invoque à cet égard l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A.    Sur la recevabilité

26.  Le Gouvernement note (paragraphes 39-40 ci-dessous) que certaines déficiences alléguées par le requérant le sont pour la première fois dans ses observations devant la Cour. De l’avis de la Cour, il convient d’interpréter cet argument comme une exception de non-épuisement des voies de recours internes que le Gouvernement entendrait de soulever. Il ressort en effet du dossier que, devant les instances nationales (paragraphes 6 et 9 ci-dessus), le requérant se plaignait du manque d’espace personnel, du fait d’avoir été confiné dans sa cellule 23 heures par jour et d’une promiscuité accrue résultant du fait que les douches étaient collectives et que les repas étaient pris en cellule. Dans sa requête devant la Cour (paragraphe 25 ci-dessus), il a réitéré ses doléances concernant l’espace personnel insuffisant, l’impossibilité de quitter sa cellule pendant plus d’une heure par jour et le fait que les repas étaient servis dans la cellule.

27.  Il en résulte que, pour ce qui est des arguments tirés du manque d’activités sociales ou récréatives, de la température et des moisissures dans la cellule et d’une mauvaise aération de celle-ci, de l’impossibilité de prendre une douche tous les jours et des restrictions quant aux visites et appels téléphoniques (paragraphes 32 et 35 ci-dessous), le requérant ne les a soulevés ni dans sa requête en vérification de la licéité des conditions de détention ni dans son recours auprès du Tribunal fédéral. Il n’a donc pas offert aux juridictions nationales l’occasion d’examiner ces doléances.

28.  Il s’ensuit que ces griefs doivent être rejetés pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Nikitin et autres c. Estonie, nos  23226/16 et 6 autres, §§ 132-134, 29 janvier 2019).

29.  Constatant que le restant de la requête n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

30.  Par ailleurs, bien que, selon le Gouvernement (paragraphe 11 ci-dessus), le requérant ne se trouve probablement plus en Suisse, rien ne permet à la Cour de constater qu’il ne serait plus en contact avec son représentant devant la Cour.

B.     Sur le fond

1.    Thèses des parties

a)      Le requérant

31.  Faisant valoir que, selon la jurisprudence de la Cour, le fait qu’un détenu dispose d’un espace de vie individuel de moins de 3 m2 peut à lui seul enfreindre l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint qu’il ne disposait dans la prison de Champ-Dollon que d’une surface individuelle de 3,39 m2, surface dont devait encore être retranché l’espace occupé par le mobilier. Ainsi la surface réelle à sa disposition aurait été de 1,59 m2, et même de 1,11 m2 lorsque le lit d’appoint était rabattu. Ayant partagé la cellule avec deux autres personnes pendant 96 % de son temps, il n’avait donc d’autre choix que de rester assis ou couché sur son lit.

32.  Selon le requérant, les photographies non datées fournies par le Gouvernement attestent du fait que la cellule était vétuste, comme le démontrent des fissures et moisissures apparentes, qu’elle a été conçue afin d’accueillir un seul détenu et que, lorsque le lit d’appoint était rabaissé, et il l’a été quasiment en permanence, et que trois détenus occupaient la cellule avec leurs effets personnels, ils n’ont manifestement pas eu la possibilité de se mouvoir normalement dans la cellule.

33.  Le requérant relève également que, même si le Gouvernement met l’accent sur la période entre le 18 avril et le 28 juillet 2015, il ne conteste pas qu’il a été détenu dans des conditions identiques pendant 57 jours supplémentaires (du 17 novembre 2014 au 13 janvier 2015). Cela confirme selon le requérant qu’il a bénéficié d’un espace significativement inférieur à 4 m2 pendant plus de cinq mois.

34.  De l’avis du requérant, il existe ainsi une forte présomption que les conditions de sa détention étaient constitutives d’un traitement dégradant (voir Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, § 148, 10  janvier 2012), et cette présomption n’est pas en l’espèce réfutée par les autres effets cumulés des conditions de détention (voir Muršić c. Croatie ([GC], no  7334/13, § 138, 20 octobre 2016). Il souligne à cet égard la durée pendant laquelle son espace personnel a été réduit par rapport au minimum requis, le fait qu’il a passé 23 heures par jour dans sa cellule et que quasiment aucune activité hors cellule ne lui a été proposée, à part la promenade quotidienne qui n’excédait pas la durée réglementaire d’une heure.

35.  Quant aux conditions générales de détention, le requérant se réfère notamment au rapport du CPT relatif à sa visite effectuée en Suisse du 13  au  24 avril 2015 (paragraphes 22-24 ci-dessus) et à l’arrêt du Tribunal fédéral du 26 février 2014 (paragraphe 14 ci-dessus). Il soutient que le manque d’espace personnel s’accompagnait d’autres déficiences contraires à l’article 3 de la Convention, tel le fait que les repas étaient pris en cellule, que les possibilités d’activités sociales, récréatives et éducatives étaient quasiment nulles, et qu’il régnait dans la prison un climat de tension extrême lié à un conflit ethnique. Il allègue également que durant une partie significative de la période soumise à l’examen de la Cour, la température moyenne de sa cellule était supérieure à 30oC, ce qui était dû à des problèmes d’aération ainsi qu’à la canicule exceptionnelle de 2015. Le requérant conteste par ailleurs avoir pu se doucher sur demande une fois par jour et affirme qu’à de nombreuses reprises, cette possibilité lui a été refusée en raison des tensions à caractère ethnique. Il soutient qu’il n’a reçu aucune visite de proches durant la période litigieuse, que les visites des avocats étaient limitées à une par mois et qu’il n’a pratiquement pas eu accès au téléphone.

36.  Contestant l’allégation du Gouvernement selon laquelle le délai pour obtenir une place de travail était de six mois environ, le requérant affirme qu’il n’a pas travaillé durant la période litigieuse.

37.  Il allègue enfin que sa décision d’entamer une grève de la faim et de la soif dès le 2 mai 2015 ainsi que sa tentative de suicide ne découlaient pas exclusivement de sa condamnation par le Tribunal correctionnel mais aussi des conditions de détention subies. Ces actes, qui témoigneraient de son état de détresse, exigeaient des autorités la prise de mesures particulières. Tel ne fut cependant pas le cas puisque le service médical n’a été « avisé » que le 8  mai 2015 et ne lui a pas prodigué un suivi médical et psychiatrique.

b)      Le Gouvernement

38.  Le Gouvernement observe qu’il ressort du parcours cellulaire du requérant quil a occupé la cellule no 271, de type C1, au sein de lunité Nord de la prison de Champ-Dollon du 13 février au 19 octobre 2015. Entre le 18 avril et le 28 juillet 2015 (98 jours, les trois jours d’hospitalisation étant déduits), il a partagé cette cellule avec deux codétenus. La surface brute de la cellule étant de 11,95 m2 et la surface nette (sans compter les sanitaires) de 10,18 m2, chacun des trois occupants de la cellule disposait, durant cette période, dune surface individuelle nette de 3,39 m2. Dans la requête, la surface occupée par les meubles a été, à tort, retranchée de la surface individuelle disponible ; de ce fait, la surface alléguée de 1,59 m2, respectivement de 1,11 m2 (avec le lit dappoint rabattu) a été calculée par le requérant de façon incorrecte au regard de la jurisprudence de la Cour et des normes du CPT. Étant donné que la surface individuelle dont disposait le requérant dans sa cellule était bien de 3,39 m2 et n’était pas inférieure à 3 m2, le requérant ne s’est pas trouvé dans une situation de surpopulation carcérale grave au sens de la jurisprudence de la Cour. En effet, l’espace individuel de 3,39 m2 ne constitue une violation de l’article 3 que s’il s’accompagne d’autres déficiences dans les conditions matérielles de la détention. De plus, contrairement au Tribunal fédéral, la Cour n’a pas fixé de délai indicatif au-delà duquel un espace personnel entre 3 et 4 m2 serait contraire à l’article 3 de la Convention. En l’absence de déficiences substantielles dans les autres conditions matérielles de la détention, la Cour a considéré comme compatibles avec la Convention des périodes sensiblement plus longues que celle en cause en l’espèce, pouvant s’étendre sur plusieurs années (voir Koureas et autres c. Grèce, no 30030/15, 18  janvier 2018).

39.  En ce qui concerne les conditions de la détention du requérant durant la période litigieuse, le Gouvernement souligne notamment que la cellule était munie d’une baie vitrée et disposait ainsi de la lumière naturelle ; elle était également pourvue d’un apport direct d’air frais, d’une extraction d’air mécanique et d’un ventilateur afin de minimiser les effets de la chaleur en été ; le WC et le lavabo disponibles dans la cellule étaient entièrement cloisonnés. Selon les informations du Gouvernement, et contrairement à ce que le requérant soutient pour la première fois dans ses observations, ce dernier pouvait se doucher, sur demande, une fois par jour dans des douches collectives situées à l’extérieur de la cellule.

40.  De l’avis du Gouvernement, il ressort de ce qui précède que les conditions de détention du requérant correspondaient à tous les égards aux exigences développées par la Cour concernant un espace personnel restreint (entre 3 et 4 m2) en cellule commune puisque le requérant disposait d’une couchette individuelle, d’un espace personnel supérieur à 3 m2 et pouvait se déplacer librement dans la cellule. Les photographies à l’appui, le Gouvernement soutient que même lorsque le lit d’appoint était abaissé, il restait suffisamment de place pour que les détenus puissent se déplacer sans peine. Par ailleurs, les photos jointes par le requérant à ses observations montrent selon le Gouvernement que la peinture est défraîchie à certains endroits mais ne font pas apparaître de moisissures, alléguées par le requérant pour la première fois devant la Cour.

41.  Quant au grief du requérant selon lequel il aurait passé 23 heures par jour dans sa cellule, le Gouvernement note que, même s’il n’existe aucun document sur la durée effective des promenades, le requérant bénéficiait en principe d’une heure de promenade quotidienne à l’air libre (ce qui correspond au minimum requis par la jurisprudence). Il a pu aussi bénéficier d’une heure de sport hebdomadaire dans une salle de gymnastique et quitter la cellule pour la prière du vendredi toutes les deux semaines ainsi qu’en cas de visite. Il ressort du rapport de la prison que durant l’ensemble de son incarcération à Champ‑Dollon, le requérant a reçu sept visites de proches et vingt-trois visites de ses différents avocats.

42.  Le Gouvernement observe également que, s’il en avait fait la demande plus rapidement (vu que le délai pour obtenir une place de travail à Champ-Dollon était de six mois), le requérant aurait eu la possibilité de travailler environ à partir de mi-mai 2015, donc durant une grande partie de la période litigieuse, ce qui lui aurait permis de passer davantage de temps hors de sa cellule. N’ayant demandé à bénéficier d’une place de travail que le 25 septembre 2015, il a travaillé au sein de l’atelier cuisine entre le 15 février 2016 et le 27 octobre 2016, ce qui l’occupait tous les jours pendant 3 heures à 5 heures et 45 minutes. En outre, pendant la période de détention pertinente, un de ses codétenus a exercé l’activité de nettoyeur de table et quittait la cellule durant une heure par jour à cette fin.

43.  Le Gouvernement observe enfin que, durant sa détention à Champ‑Dollon, le requérant a été à maintes reprises sanctionné en raison de son comportement agressif. Le 2 mai 2015, il a entamé une grève de la faim et de la soif et, le 8 mai 2015, il a fait une tentative de suicide. Selon la lettre qu’il a écrite au directeur de la prison et d’après le rapport établi lors de son hospitalisation, il a ainsi voulu protester contre sa condamnation en première instance, et non contre les conditions de détention comme il allègue dans ses observations devant la Cour. À son retour de l’hôpital le 11 mai 2015, il a été pris en charge au niveau psychiatrique et rien ne permet de constater que ce suivi aurait été insuffisant.

2.    Appréciation de la Cour

a)      Rappel des principes

44.  La Cour a réitéré les principes pertinents concernant la prohibition de la torture et des traitements inhumains et dégradants et la protection des personnes privées de liberté contre des traitements contraires à l’article 3 de la Convention dans l’arrêt Muršić (précité, §§ 96-100), et plus récemment dans l’arrêt Rezmiveș et autres c. Roumanie (nos 61467/12 et 3 autres, §§  71‑73, 25 avril 2017).

45.  En ce qui concerne les conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant. En particulier, le temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important à considérer (Ananyev et autres, précité, § 142, Muršić, précité, § 101, et Rezmiveș et autres, précité, § 74).

46.  Lorsque le surpeuplement atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 (Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09 et 6 autres, § 68, 8 janvier 2013). En effet, l’exiguïté extrême dans une cellule de prison est un aspect particulièrement important qui doit être pris en compte afin d’établir si les conditions de détention litigieuses étaient « dégradantes » au sens de l’article 3 de la Convention (Muršić, précité, § 104).

47.  La Cour a confirmé que l’exigence de 3 m² de surface au sol par détenu (incluant l’espace occupé par les meubles, mais non celui occupé par les sanitaires) dans une cellule collective doit demeurer la norme minimale pertinente aux fins de l’appréciation des conditions de détention au regard de l’article 3 de la Convention (Muršić, précité, §§ 110 et 114). Elle a également précisé qu’un espace personnel inférieur à 3 m² dans une cellule collective fait naître une présomption, forte mais non irréfutable, de violation de cette disposition. La présomption en question peut notamment être réfutée par les effets cumulés des autres aspects des conditions de détention, de nature à compenser de manière adéquate le manque d’espace personnel ; à cet égard, la Cour tient compte de facteurs tels que la durée et l’ampleur de la restriction, le degré de liberté de circulation et l’offre d’activités hors cellule, et le caractère généralement décent ou non des conditions de détention dans l’établissement en question (Muršić, précité, §§ 122-138, et Rezmiveș et autres, précité, § 77).

48.  En revanche, dans des affaires où le surpeuplement n’était pas important au point de soulever à lui seul un problème sous l’angle de l’article 3, la Cour a noté que d’autres aspects des conditions de détention étaient à prendre en compte dans l’examen du respect de cette disposition. Parmi ces éléments figurent la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base. Comme la Cour l’a précisé dans son arrêt Muršić (précité, § 139), lorsqu’un détenu dispose dans la cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids dans l’appréciation du caractère adéquat ou non des conditions de détention. Aussi, dans pareilles affaires, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 dès lors que le manque d’espace s’accompagnait d’autres mauvaises conditions matérielles de détention, telles qu’un manque de ventilation et de lumière (Torreggiani et autres, précité, § 69 ; voir également Moisseiev c. Russie, no 62936/00, §§ 124-127, 9 octobre 2008), un accès limité à la promenade en plein air (István  Gábor  Kovács c. Hongrie, no 15707/10, § 26, 17 janvier 2012, Efremidze c. Grèce, no 33225/08, § 38, 21 juin 2011, et Gladkiy c. Russie, no  3242/03, § 69, 21 décembre 2010) ou un manque total d’intimité dans les cellules (Szafransky c. Pologne, no 17249/12, §§ 39-41, 15 décembre 2015, Veniosov c. Ukraine, no 30634/05, § 36, 15 décembre 2011, et Khoudoyorov c. Russie, no 6847/02, §§ 106-107, CEDH 2005-X (extraits)).

b)      Application de ces principes au cas d’espèce

49.  Faisant application de ces principes en l’espèce, la Cour note que le requérant se plaint du surpeuplement cumulé notamment avec un confinement en cellule pendant 23 heures par jour.

50.  Il ressort du parcours cellulaire du requérant que, entre le 18  avril  2015 et le 28 juillet 2015, à l’exception de trois jours d’hospitalisation entre le 8 et le 11 mai 2015, il a été détenu avec deux autres personnes dans la cellule individuelle no 271 située dans l’aile Nord de la prison de Champ‑Dollon, dont la superficie était de 10,18 m2, sanitaires exclus. Ainsi, le requérant disposait d’un espace individuel de 3,39 m2 durant cette période, de même que pendant la période entre le 17  novembre 2014 et le 12 janvier  2015 lorsqu’il partageait avec deux autres personnes soit la cellule no 271 soit la cellule individuelle no 279.

51.  La Cour constate donc que, pendant ces deux périodes non consécutives, le requérant a disposé d’un espace personnel supérieur à 3 m2 mais inférieur à la norme de 4 m2 énoncée par le CPT dans ses recommandations. Dans son rapport CPT/Inf(2016)18 (paragraphe 22 ci‑dessus), le CPT a par ailleurs confirmé que la prison de Champ-Dollon était confrontée à un problème de surpeuplement. Il ressort cependant du parcours cellulaire du requérant que, en dehors des périodes litigieuses, à savoir pendant une majeure partie de sa détention à la prison de Champ‑Dollon, il a disposé de plus de 4 m² d’espace personnel.

52.  En ce qui concerne la période de 98 jours consécutifs, voire de 155  jours non consécutifs, au cours de laquelle le requérant disposait d’un espace personnel compris entre 3 m² et 4 m², la Cour estime qu’il s’agit d’une période non négligeable. Pour se prononcer sur le respect de l’article  3 de la Convention, la Cour doit donc examiner le caractère suffisant ou insuffisant des autres aspects des conditions matérielles de détention du requérant, afin de déterminer si ce manque d’espace s’accompagnait d’autres déficiences, notamment d’un défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturels, d’une mauvaise aération, d’une température insuffisante ou trop élevée dans les locaux, d’une absence d’intimité aux toilettes ou de mauvaises conditions sanitaires et hygiéniques (voir, notamment, Muršić, précité, § 139).

53.  À cet égard, la Cour observe d’abord qu’il n’est pas contesté entre les parties que les sanitaires de la cellule étaient séparés du reste de la pièce et que le requérant a pu utiliser ces installations librement et de manière privée. Le requérant ne dément non plus l’allégation du Gouvernement (paragraphe 39 ci-dessus) selon laquelle la cellule était munie d’une baie vitrée et disposait ainsi de la lumière naturelle, puis qu’elle était pourvue d’un apport direct d’air frais, d’une extraction d’air mécanique et d’un ventilateur afin de minimiser les effets de la chaleur en été. Le requérant avait donc un accès non obstrué à l’air et à la lumière naturels ainsi qu’à l’eau potable. Il ne ressort pas non plus du dossier qu’il n’aurait pas disposé d’un lit individuel.

54. Il convient de noter dans ce contexte que, de l’avis du Tribunal fédéral, les conditions concrètes de la détention du requérant, comprenant notamment l’état d’hygiène et d’aération, l’approvisionnement en eau et en nourriture, le chauffage et la lumière, étaient convenables (paragraphe 10 ci‑dessus).

55.  Ensuite, constatant que le requérant n’a pas soumis une liste détaillée et cohérente de ses doléances, n’ayant notamment pas mentionné les dates ou des circonstances plus précises des restrictions dont il se plaint (voir, entre autres, Podeschi c. Saint-Marin, no 66357/14, § 112, 13 avril 2017), et que le dossier ne fait pas apparaître une dégradation de son état physique ou un risque pour sa santé (voir, a contrario, Modarca c. Moldova, no  14437/05, §§ 11, 28 et 64, 10 mai 2007), la Cour relève dans le rapport du directeur de la prison (paragraphe 7 ci-dessus) et dans les observations du Gouvernement (paragraphes 39 et 41 ci-dessus) que l’intéressé a pu bénéficier d’une heure de promenade quotidienne à l’air libre et, entre le 17  novembre 2014 et le 19 août 2015, d’une heure de sport hebdomadaire dans une salle de gymnastique. Le Gouvernement a ajouté que le requérant avait travaillé au sein de l’atelier cuisine entre le 15 février 2016 et le 27  octobre 2016, ce qui l’occupait tous les jours pendant 3 heures à 5 heures et 45 minutes, et qu’il pouvait également quitter sa cellule en cas de visite et pour la prière du vendredi toutes les deux semaines.

56.  Pour ce qui est des autres éléments soulevés par le requérant dans ses observations adressées à la Cour, à savoir le manque d’activités sociales ou récréatives, la température élevée et des moisissures dans la cellule ainsi qu’une mauvaise aération de celle-ci, l’impossibilité de prendre une douche tous les jours et des restrictions quant aux visites et appels téléphoniques, il y a lieu de noter que ces griefs n’ont pas été valablement soumis aux juridictions internes (paragraphe 27 ci-dessus) et ne sauraient donc être pris en considération par la Cour (voir, mutatis mutandis, Nikitin et autres, précité, §§  132-133, 147).

57.  En ce qui concerne enfin la grève de la faim mentionnée par le requérant (paragraphe 37 ci-dessus), il ressort des documents soumis par le Gouvernement que, dans sa lettre adressée au directeur de la prison et reçue par ce dernier le 7 mai 2015, le requérant contestait sa condamnation et se plaignait d’une injustice, sans évoquer les conditions de sa détention. Le service médical a été avisé le 8 mai 2015. Lors de son hospitalisation à cette dernière date, le requérant a également déclaré qu’il entendait contester sa condamnation et qu’il était frustré en raison de ses problèmes avec la justice. Le rapport de l’hôpital fait apparaître que le matin même du 8  mai  2015, le requérant s’était rendu au service médical de la prison pour une prise de sang et que son traitement anxiolytique avait été arrêté quelques jours avant en raison de sa grève et des malaises en résultant. Rien ne permet donc de constater que le requérant n’aurait pas bénéficié de soins médicaux appropriés, ni de réfuter l’allégation du Gouvernement (paragraphe 43 ci-dessus) selon laquelle il a été pris en charge par un psychiatre à sa sortie de l’hôpital.

58.  Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que les conditions de sa détention dans la prison de Champ-Dollon n’ont pas soumis le requérant à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

59.  Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare les griefs du requérant concernant le manque d’espace personnel et le confinement en cellule recevables et le surplus de la requête irrecevable ;

2.      Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 novembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

    Milan Blaško                                                                      Paul Lemmens
        Greffier                                                                               Président

 


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