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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> VERMEERSCH v. BELGIUM - 49652/10 (Judgment : Right to a fair trial : Third Section) French Text [2021] ECHR 142 (16 February 2021) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2021/142.html Cite as: CE:ECHR:2021:0216JUD004965210, [2021] ECHR 142, ECLI:CE:ECHR:2021:0216JUD004965210 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE VERMEERSCH c. BELGIQUE
(Requête no 49652/10)
ARRÊT
Art 6 (civil) • Accès à un tribunal • Irrecevabilité pour prescription d’une demande de dommages et intérêts contre une autorité publique • Formalisme devant la Cour de cassation • Règles relatives à la recevabilité des pourvois en cassation, des mémoires ampliatifs et des moyens en cassation • Lacune non comblée par la Cour de Cassation • Règles ayant cessé de servir les buts de la « sécurité juridique » et de la « bonne administration de la justice »
STRASBOURG
16 février 2021
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Vermeersch c. Belgique,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :
Georgios A. Serghides, président,
Paul Lemmens,
Georges Ravarani,
María Elósegui,
Darian Pavli,
Anja Seibert-Fohr,
Peeter Roosma, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,
la requête susmentionnée (no 49652/10) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Frank Vermeersch (« le requérant ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 12 août 2010,
les observations des parties,
Notant que le 26 janvier 2018, la requête a été communiquée au Gouvernement,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 novembre 2020 et le 26 janvier 2021,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne l’absence alléguée de clarté et de prévisibilité, au moment des faits de l’espèce, du droit et de la jurisprudence internes en matière de prescription des créances à charge de l’État dont l’application a abouti à l’irrecevabilité pour prescription de la demande en dommages et intérêts introduite par le requérant. Elle a également trait à une allégation de formalisme excessif de la Cour de cassation. Le requérant invoque des violations du droit d’accès à un tribunal tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.
EN FAIT
2. Le requérant réside à Hooglede. Il est représenté par Me M. Denys, avocat.
3. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.
I. Le contexte de l’affaire
4. Le requérant est un exploitant agricole. Le 23 août 1991, il demanda un permis afin d’étendre son élevage de porcs.
5. Le 26 novembre 1992, la députation permanente de la province de Flandre occidentale ne fit que partiellement droit à sa demande et rejeta le restant de celle-ci. Cette décision fut confirmée en tous points par le ministre flamand de l’environnement le 30 juillet 1996.
6. Le 22 octobre 1996, le requérant introduisit un recours en annulation de l’arrêté ministériel du 30 juillet 1996 devant le Conseil d’État.
7. Par un arrêt du 30 septembre 2004, le Conseil d’État accueillit le recours et annula l’arrêté ministériel attaqué.
II. L’action en indemnisation litigieuse
8. Le 12 janvier 2005, le requérant cita la Région flamande en responsabilité devant le tribunal de première instance de Courtrai en vue d’obtenir, sur le fondement de l’article 1382 du code civil, l’indemnisation du dommage résultant de l’acte illégal annulé par le Conseil d’État. Il évalua provisoirement son dommage à la somme de 368 470 euros (EUR).
9. Le 27 février 2006, le tribunal de première instance déclara la demande du requérant irrecevable, estimant que celle-ci était prescrite en application tant de l’article 2262bis du code civil que de l’article 100 des lois sur la comptabilité de l’État, coordonnées par l’arrêté royal du 17 juillet 1991 (paragraphe 16 ci‑dessous). Le tribunal précisa que l’introduction d’un recours en annulation devant le Conseil d’État n’avait ni un effet interruptif ni un effet suspensif de la prescription conformément aux articles 2246 à 2250 du code civil. Il était de surcroît de jurisprudence constante qu’il ne fallait en aucun cas attendre le résultat d’un recours en annulation avant d’introduire une action en indemnisation sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle.
10. Le 22 juin 2007, la cour d’appel de Gand confirma le jugement de première instance, en se fondant toutefois sur le seul article 100 des lois sur la comptabilité de l’État. La prescription était d’ordre public du fait de la nécessité pour l’État ou, en l’occurrence, la Région flamande, compte tenu de son administration plus lourde, de pouvoir clôturer avec certitude ses comptes dans un délai qui ne soit pas trop long afin d’assurer une bonne comptabilité. La cour d’appel considéra qu’en l’espèce le dommage allégué par le requérant résultait de l’arrêté ministériel du 30 juillet 1996. Le délai de prescription de cinq ans avait dès lors commencé à courir le 1er janvier 1996. L’introduction d’un recours en annulation devant le Conseil d’État n’avait ni d’effet interruptif ni d’effet suspensif de la prescription. La citation introduite le 12 janvier 2005 était donc tardive.
11. Le 29 mai 2008, le requérant se pourvut en cassation. À l’appui de son pourvoi, il invoqua un moyen unique tiré de la violation des articles 100 et 101 des lois sur la comptabilité de l’État, 1382, 1383 et 2244 du code civil et 6 de la Convention, ainsi que des principes de sécurité juridique et de respect de la confiance légitime. Il allégua, dans une première branche, que l’arrêt de la cour d’appel avait violé les dispositions invoquées en refusant de reconnaître un effet interruptif ou suspensif à l’introduction du recours en annulation devant le Conseil d’État, ce qui découlait selon lui de l’article 101 des lois sur la comptabilité de l’État. Dans une seconde branche, le requérant allégua que l’arrêt de la cour d’appel violait les dispositions invoquées en ce qu’il déclarait la demande prescrite sur le fondement d’une interprétation adoptée par la Cour de cassation dans des arrêts du 16 février 2006 (paragraphe 20 ci-dessous) alors que ces arrêts étaient postérieurs aux faits de l’espèce et que la cour d’appel avait appliqué au requérant une disposition qui n’était pas suffisamment précise. Enfin, il rappela qu’une proposition de loi était en cours d’examen par le parlement et visait à donner à l’introduction d’un recours en annulation devant le Conseil d’État un effet suspensif du délai de prescription. Il indiqua qu’il se réservait le droit de demander l’application de la loi qui résulterait de cette proposition, si celle-ci entrait en vigueur au cours de la procédure devant la Cour de cassation.
12. Le 1er septembre 2008, la loi du 25 juillet 2008 modifiant les règles en matière d’interruption du délai de prescription des créances à charge de l’État entra en vigueur (paragraphes 24-27 ci-dessous).
13. Le 10 octobre 2008, le requérant déposa un mémoire ampliatif. Il invoqua un moyen additionnel tiré de la violation des mêmes dispositions que celles mentionnées dans sa requête en cassation, étant entendu que l’article 2244 du code civil y était invoqué dans sa version telle qu’il avait été modifié par l’article 2 de la loi du 25 juillet 2008. Il se référa à l’effet rétroactif de cette loi en vertu de l’article 4 de celle-ci. Il fit valoir qu’en vertu de l’application rétroactive de l’article 2244 nouveau du code civil, son action, introduite moins d’un an après le prononcé de l’arrêt du Conseil d’État, devait être déclarée recevable et que l’arrêt de la cour d’appel devait être cassé. Il soutint que son mémoire ampliatif devait être déclaré recevable compte tenu de l’application rétroactive de la loi du 25 juillet 2008, des droits de la défense et du droit d’accès à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.
14. Par un arrêt du 25 février 2010 (C.08.0228.N), la Cour de cassation rejeta son pourvoi. Elle déclara le mémoire ampliatif déposé le 10 octobre 2008 irrecevable pour avoir été déposé en dehors du délai de quinze jours à partir de la signification de la requête en cassation, prévu par l’article 1087 du code judiciaire. Ni les droits de la défense ni le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention ne justifiaient de s’écarter des dispositions réglant la procédure en cassation, plus particulièrement celles relatives à la recevabilité du pourvoi en cassation, des mémoires et des moyens.
En ce qui concernait le moyen invoqué par le requérant dans sa requête, la Cour de cassation releva que l’article 101 des lois sur la comptabilité de l’État, tel qu’applicable au moment de l’introduction du pourvoi, ne prévoyait l’interruption de la prescription au profit de l’État que par exploit d’huissier de justice ou par une reconnaissance de dette par l’État. Il ressortait de cette disposition que le recours en annulation formé devant le Conseil d’État contre un acte administratif dont l’illégalité engagerait la responsabilité de l’État, n’interrompait ni ne suspendait la prescription. La première branche du moyen, fondée sur une conception juridique différente, manquait en droit.
Ensuite, contrairement à ce qu’alléguait le requérant, il ne ressortait pas de l’arrêt de la cour d’appel que celle-ci avait « fait application » d’une « décision » de la Cour de cassation du 16 février 2006. Le fait que la Cour de cassation avait, dans ledit arrêt, considéré pour la première fois qu’un recours en annulation formé devant le Conseil d’État n’interrompait pas la prescription n’impliquait pas qu’auparavant l’article 101 des lois coordonnées sur la comptabilité de l’État n’était pas suffisamment clair ou que son application n’était pas prévisible. Partant, la deuxième branche du moyen ne pouvait être accueillie.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
I. La prescription des créances à charge de l’état
15. À l’époque des faits, le Conseil d’État n’était pas compétent pour octroyer une indemnité réparatrice en cas de constat d’illégalité d’un acte administratif. Dès lors, deux contentieux distincts coexistaient : le contentieux « objectif » qui avait pour point de départ l’introduction d’un recours en annulation devant le Conseil d’État en vue d’obtenir l’annulation de l’acte administratif attaqué conformément à l’article 14 § 1er des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, et le contentieux « subjectif » qui avait pour point de départ une citation devant les juridictions judiciaires en vue d’obtenir la réparation des dommages causés par toute personne, en ce compris une personne de droit public, sur le fondement des articles 1382 et suivants du code civil.
A. Les dispositions applicables au moment de l’introduction par le requérant de son recours en annulation devant le Conseil d’État
16. L’article 100, alinéa 1er, 1o, des lois sur la comptabilité de l’État, coordonnées par l’arrêté royal du 17 juillet 1991 (ci-après « les lois sur la comptabilité de l’État »), prévoit que les créances à charge de l’État sont prescrites et définitivement éteintes si elles n’ont pas été produites dans le délai de cinq ans à partir du premier janvier de l’année budgétaire au cours de laquelle elles sont nées.
17. Avant sa modification par la loi du 25 juillet 2008 (paragraphe 24 ci‑dessous), l’article 101, alinéa 1er, des lois sur la comptabilité de l’État prévoyait deux causes d’interruption de la prescription : le simple exploit d’huissier et la reconnaissance de dette faite par l’État. L’article 101, alinéa 2, prévoyait également une cause de suspension de la prescription : « l’intentement d’une action en justice ». Ce dernier suspendait la prescription jusqu’au prononcé d’une décision définitive.
18. En vertu de l’article 71 § 1 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions, les dispositions précitées sont applicables aux communautés et aux régions, dont la Région flamande.
19. Tant en jurisprudence qu’en doctrine, la question se posait de savoir si l’introduction d’un recours en annulation devant le Conseil d’État devait être considérée comme « l’intentement d’une action en justice » suspendant la prescription au sens de l’article 101 alinéa 2 des lois sur la comptabilité de l’État.
20. Par deux arrêts du 16 février 2006 (C.05.0022.N et C.05.0050.N), la Cour de cassation s’exprima sur cette question. Elle considéra que le recours en annulation formé contre un acte administratif devant le Conseil d’État n’interrompait ni ne suspendait la prescription du droit de réclamer une indemnisation devant un tribunal civil en se fondant sur un acte illicite des autorités.
21. Ces arrêts ont été confirmés par plusieurs autres arrêts de la Cour de cassation (par exemple, C.05.0255.N du 25 octobre 2007 (non publié), C.08.0343.F du 2 avril 2009, et C.08.0228.N du 25 février 2010 (dans la cause du requérant)).
B. La modification des règles sur la prescription par la loi du 25 juillet 2008
22. Le 25 juillet 2008 fut promulguée la loi modifiant le code civil et les lois coordonnées du 17 juillet 1991 sur la comptabilité de l’État en vue d’interrompre la prescription de l’action en dommages et intérêts à la suite d’un recours en annulation devant le Conseil d’État. Cette loi est entrée en vigueur le 1er septembre 2008.
1. Les travaux préparatoires
23. L’objectif de la loi du 25 juillet 2008 fut explicité dans les développements de la proposition de loi qui était à son origine. Compte tenu des règles de prescription applicables et de l’ampleur de l’arriéré du Conseil d’État, il y avait une forte probabilité, selon ses auteurs, qu’une action en réparation du dommage causé par un acte administratif se prescrive au cours de la procédure en annulation de cet acte. Beaucoup d’avocats conseillaient partant à leurs clients d’engager une action civile immédiatement après l’introduction du recours en annulation ou au cours de la procédure devant le Conseil d’État. Cette façon de procéder encombrait les rôles des tribunaux civils d’affaires qui n’étaient pas en état d’être jugées et constituait un coût supplémentaire inutile à charge du citoyen. Cette pratique juridique née du mauvais fonctionnement du Conseil d’État n’était pas une bonne chose dans la mesure où elle rejetait entièrement sur le citoyen le risque de la perte du droit à des dommages et intérêts (proposition de loi déposée par les sénateurs Vandenberghe et Van Parys, Documents parlementaires, Sénat, session extraordinaire 2007, no 4-10/1, pp. 1-3). Au sein de la commission compétente du sénat, un des auteurs de la proposition de loi précisa qu’à cela s’ajoutait le fait que les arrêts de la Cour de cassation du 16 février 2006 étaient venus infirmer la thèse « admise jusqu’alors » selon laquelle une procédure administrative devant le Conseil d’État interrompait ou suspendait la prescription du dédommagement civil, par analogie avec l’article 2244 du code civil (exposé du sénateur Vandenberghe, Documents parlementaires, Sénat, 2007-2008, no 4‑10/3, p. 3).
2. Les dispositions de la loi du 25 juillet 2008
24. La loi du 25 juillet 2008 est une loi modificative. Les dispositions modifiées sont l’article 2244 du code civil et l’article 101 des lois sur la comptabilité de l’État. L’article 2244 du code civil contient des règles de droit commun en matière de prescription de créances. Avant sa modification par la loi du 25 juillet 2008, l’article 101 des lois sur la comptabilité de l’État contenait des règles spécifiques concernant la prescription des créances à charge de l’État et, par extension, des communautés et des régions.
25. Les articles 1 à 3 de la loi du 25 juillet 2008 se lisent comme suit :
« Article 1. La présente loi règle une matière visée à l’article 78 de la Constitution.
Article 2. L’article 2244 du Code civil est complété par deux alinéas rédigés comme suit :
« Une citation en justice interrompt la prescription jusqu’au prononcé d’une décision définitive.
Pour l’application de la présente section, un recours en annulation d’un acte administratif devant le Conseil d’État a, à l’égard de l’action en réparation du dommage causé par l’acte administratif annulé, les mêmes effets qu’une citation en justice. »
Article 3. L’article 101 des lois coordonnées du 17 juillet 1991 sur la comptabilité de l’État est remplacé par ce qui suit :
« Art. 101. La prescription est interrompue conformément aux règles du droit commun. » »
Par la combinaison des articles 2244 du code civil et 101 des lois sur la comptabilité de l’État, la prescription des créances à charge de l’État, les communautés et les régions est désormais interrompue par un recours en annulation contre l’acte administratif litigieux devant le Conseil d’État.
26. Quant à l’application de la loi du 25 juillet 2008 dans le temps, son article 4 prévoit ce qui suit :
« La présente loi est applicable aux recours en annulation introduits devant le Conseil d’État avant son entrée en vigueur.
Elle n’est toutefois pas applicable lorsque l’action en dommages et intérêts a été déclarée prescrite par une décision passée en force de chose jugée avant son entrée en vigueur et contre laquelle un recours en cassation n’est pas introduit. »
27. La loi du 25 juillet 2008 permettait ainsi aux justiciables ayant obtenu un arrêt d’annulation d’encore saisir le juge civil d’une action en responsabilité, dans un délai de cinq ans à compter du prononcé de l’arrêt du Conseil d’État, pour autant qu’aucune action en dommages et intérêts n’ait déjà été déclarée prescrite par une décision passée en force de chose jugée (notamment une décision rendue par une juridiction siégeant en appel) avant le 1er septembre 2008, et pour autant qu’un pourvoi en cassation n’ait pas été introduit contre cette décision.
3. La jurisprudence postérieure
28. Dans plusieurs arrêts rendus après l’entrée en vigueur de la loi du 25 juillet 2008 (voir, notamment, arrêt no 202/2009 du 23 décembre 2009 et arrêt no 31/2010 du 30 mars 2010), la Cour constitutionnelle constata qu’avant les deux arrêts de la Cour de cassation du 16 février 2006, la question de savoir si la prescription du droit de demander des dommages et intérêts devant un tribunal civil fondé sur un acte illicite des autorités était interrompue par un recours en annulation devant le Conseil d’État était controversée en doctrine et en jurisprudence. Cette « insécurité juridique » constituait une circonstance particulière pouvant justifier la rétroactivité du régime mis en place par la loi du 25 juillet 2008. La Cour constitutionnelle conclut que le législateur avait pu estimer, sans méconnaître la Constitution, que la rétroactivité de la loi du 25 juillet 2008 était conforme à l’intérêt général et nécessaire pour restaurer la sécurité juridique.
29. La Cour constitutionnelle dit également explicitement que la loi du 25 juillet 2008 s’appliquait aux litiges pendants devant la Cour de cassation (voir, par exemple, arrêt no 151/2009 du 30 septembre 2009, arrêt no 202/2009 du 23 décembre 2009, et arrêt no 31/2010 du 30 mars 2010). Elle considéra que lorsqu’un pourvoi en cassation était pendant, il n’y avait pas encore de décision judiciaire devenue définitive.
30. Par un arrêt du 3 septembre 2010 (C.09.0339.N), la Cour de cassation considéra qu’un moyen qui invoquait la violation d’une disposition légale qui n’était pas encore en vigueur au moment du prononcé de la décision attaquée n’était en principe pas recevable. L’article 4 de la loi du 25 juillet 2008 ne dérogeait pas à ce principe. En effet, cette disposition impliquait uniquement que la nouvelle règle de prescription s’appliquait dans le cas où la décision attaquée devant la Cour de cassation perdait son autorité de chose jugée en raison d’une cassation fondée sur la violation d’une disposition applicable au moment du prononcé de cette décision et où la cause devait, dès lors, être examinée à nouveau par le juge du fond.
31. La rédaction de l’article 2244 du code civil tel que modifié par la loi du 25 juillet 2008 impliquait que seuls les arrêts du Conseil d’État annulant l’acte attaqué étaient interruptifs de la prescription. Afin de pallier l’incertitude du justiciable quant à l’issue de la procédure devant le Conseil d’État et eu égard à l’objectif du législateur, la Cour constitutionnelle annula le terme « annulé » dans la disposition litigieuse (arrêt no 40/2019 du 28 février 2019 ; voir aussi les arrêts no 148/2018 du 8 novembre 2018 et no 175/2018 du 6 décembre 2018). Elle rappela qu’il ressortait des travaux préparatoires que l’objectif du législateur avait été, d’une part, d’éviter que l’action en réparation du dommage devant le juge civil soit prescrite si le justiciable obtenait l’annulation de l’acte administratif attaqué plus de cinq ans après avoir introduit un recours auprès du Conseil d’État et, d’autre part, d’éviter que le justiciable soit tenu d’introduire une action devant le juge civil à titre conservatoire, ce qui impliquait des coûts supplémentaires et pouvait par la suite s’avérer inutile. Le législateur avait donc recherché l’économie procédurale à laquelle le terme « annulé » de l’article 2244 modifié du code civil faisait échec.
II. éléments de La procédure en cassation
32. Aux termes de l’article 1073 alinéa 1er du code judiciaire, le délai pour introduire un pourvoi en cassation est de trois mois à partir du jour de la signification de la décision attaquée ou de la notification de celle-ci.
33. L’article 1079 du même code dispose que le pourvoi est introduit par la remise au greffe de la Cour de cassation d’une requête qui, le cas échéant, est préalablement signifiée à la partie contre laquelle le pourvoi est dirigé.
34. L’article 1087 du même code autorise le demandeur à joindre à sa requête ou à produire dans les 15 jours de la signification de celle-ci, à peine de déchéance, un mémoire ampliatif, préalablement signifié à la partie défenderesse, et contenant un exposé des faits et le développement des moyens de cassation.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
35. Le requérant allègue que le manque d’accessibilité et de prévisibilité des règles applicables en matière de prescription des créances à charge de l’État ainsi que le formalisme excessif de la Cour de cassation à l’égard de la recevabilité de son mémoire ampliatif ont méconnu son droit d’accès à un tribunal. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »
A. Sur la recevabilité
36. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
i. Sur la prescription de l’action en dommages et intérêts contre la Région flamande
37. Le requérant soutient que l’éclatement incompréhensible des règles en vigueur concernant la prescription des créances à charge des autorités publiques combiné au revirement jurisprudentiel opéré par la Cour de cassation (arrêts du 16 février 2006) et à l’arriéré du Conseil d’État ont eu pour conséquence l’irrecevabilité pour prescription de sa demande d’indemnisation.
38. Le sens à donner à la notion « d’intentement d’une action en justice » de l’article 101 des lois sur la comptabilité de l’État, dans sa version antérieure à la loi du 25 juillet 2008, a donné lieu à des divergences jurisprudentielles, tel que cela ressort de plusieurs arrêts de la Cour constitutionnelle ainsi que de la doctrine, y compris des articles présentés par le Gouvernement à l’appui de ses observations. Le requérant en déduit que le capharnaüm des règles en matière de prescription de créances à charge de l’État, et en particulier le mode d’interruption du délai, ne remplissaient pas l’exigence de clarté et de prévisibilité de la loi requise par l’article 6 § 1 de la Convention. Le revirement jurisprudentiel opéré par la Cour de cassation dans ses arrêts du 16 février 2006 a eu pour effet de priver le requérant, de façon imprévisible tant à l’époque des faits litigieux qu’à l’époque de l’introduction de son recours en annulation devant le Conseil d’État, de la faculté d’introduire de manière effective une action en indemnisation. Il en a résulté qu’un grand nombre de justiciables, dont le requérant, qui avaient obtenu un arrêt d’annulation du Conseil d’État au terme d’une procédure qui avait duré plus de cinq ans du fait de l’arriéré de cette juridiction, virent leur demande civile introduite ultérieurement devant le juge judiciaire rejetée pour prescription, ce qui constitue une injustice flagrante.
39. Le fait que le requérant était assisté d’un avocat n’énerve en rien ce constat. En effet, les restrictions au droit d’accès à un tribunal, tels des délais de prescription, ne sont admissibles que si le fondement juridique sur lequel elles reposent et l’application qui en est faite satisfont à un impératif de clarté et de prévisibilité. L’impossibilité de saisir une juridiction qui ne serait attestée que par un revirement ou une innovation de jurisprudence postérieure aux faits litigieux ne satisfait pas aux exigences de l’article 6 de la Convention.
40. Dans ces conditions, le requérant ne peut admettre le raisonnement du Gouvernement consistant à dire qu’il aurait dû savoir qu’il devait, fût-ce à titre conservatoire, intenter une action civile sans attendre l’issue de son recours devant le Conseil d’État. L’exigence de clarté et de prévisibilité ne saurait avoir pour effet que les justiciables soient obligés de devoir diligenter des procédures à titre conservatoire dans le seul but de se réserver leur droit d’accès à un tribunal, ni les contraindre à devoir lire par des sous‑entendus et a contrario des arrêts techniques de la Cour constitutionnelle, en l’espèce un arrêt du 21 juin 2001. Le simple fait que le législateur ait dû voter la loi du 25 juillet 2008 avec un effet rétroactif constituerait l’aveu de ce que la situation antérieure était hautement problématique.
41. Enfin, le requérant indique que, contrairement à ce qu’allègue le Gouvernement, il ne pouvait pas diligenter une nouvelle action en réparation après l’entrée en vigueur de la loi du 25 juillet 2008 puisqu’une procédure était encore pendante devant la Cour de cassation. S’il avait procédé de la sorte, la Région flamande lui aurait opposé, à juste titre, l’autorité de chose jugée de l’arrêt de la cour d’appel.
ii. Sur l’irrecevabilité du mémoire ampliatif déposé dans la procédure devant la Cour de cassation et sur la non-application par la Cour de cassation de la loi du 25 juillet 2008
42. Le requérant allègue que le refus de la Cour de cassation de prendre en compte le moyen et les arguments invoqués par lui dans son mémoire ampliatif, ainsi que la non-application par la Cour de cassation de la loi du 25 juillet 2008, contre la volonté du législateur, ont constitué une violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Les principes de la prééminence du droit et de la sécurité juridique auraient dû prendre le pas sur l’article 1087 du code judiciaire. En agissant ainsi, la Cour de cassation a fait preuve d’un formalisme excessif ayant eu pour conséquence que le requérant n’a pas pu soumettre sa cause à l’examen d’un tribunal.
43. Le législateur est intervenu par la loi du 25 juillet 2008 pour remédier aux conséquences injustes des arrêts de la Cour de cassation du 16 février 2006. Par l’article 4 de cette loi, la volonté du législateur était précisément de permettre aux justiciables dont l’action en responsabilité était toujours pendante d’éviter la prescription de leur demande. La nouvelle loi avait ainsi pour but de s’appliquer immédiatement à tous les litiges pendants devant les juridictions du fond ou devant la Cour de cassation, y compris celui du requérant.
44. Il ne saurait être reproché au requérant de ne pas s’être prévalu de la nouvelle loi dans son pourvoi puisqu’elle n’était pas encore adoptée à ce moment-là. Nonobstant cela, il avait déjà fait mention dans sa requête en cassation de la proposition de loi en cours d’examen par le parlement, et moins d’un mois après l’entrée en vigueur de la loi, il s’en est explicitement prévalu dans un mémoire ampliatif. Il a donc fait preuve de diligence.
45. Le Gouvernement n’est pas justifié à se réfugier derrière l’application rigoriste de la procédure en cassation. On ne saurait admettre, comme le prétend le Gouvernement, que la seule solution pour le justiciable soit de devoir se désister de sa procédure pour en diligenter une nouvelle. Une telle multiplication à l’envi des procédures impliquerait des coûts conséquents pour le justiciable.
b) Le Gouvernement
i. Sur la prescription de l’action en dommages et intérêts contre la Région flamande
46. Le Gouvernement soutient qu’avant la loi du 25 juillet 2008, il a toujours été considéré par une jurisprudence et une doctrine majoritaire qu’un recours en annulation introduit devant le Conseil d’État ne suspendait ni n’interrompait le délai de prescription de l’action en responsabilité contre l’autorité publique concernée. Les arrêts de la Cour de cassation du 16 février 2006 ne constituaient donc pas un revirement de jurisprudence imprévisible comme l’allègue le requérant. En 2001 déjà, il pouvait être inféré de l’arrêt no 85/2001 de la Cour constitutionnelle du 21 juin 2001 qu’un recours en annulation n’avait pas d’effet suspensif ou interruptif. Dans cet arrêt, la Cour constitutionnelle avait considéré qu’une personne préjudiciée par un acte administratif pouvait agir immédiatement contre l’autorité susceptible d’être déclarée responsable, sans qu’elle dût attendre que le Conseil d’État ait statué sur son recours contre cet acte. Il était acquis, d’après le Gouvernement, qu’en vue d’interrompre la prescription de l’action en responsabilité, tout justiciable normalement prudent et diligent devait citer le pouvoir public concerné par le recours en annulation devant les cours et tribunaux judiciaires, avant l’issue du recours devant le Conseil d’État. Cette démarche devait être opérée, fût-ce à titre conservatoire. Tous les praticiens du droit et avocats le savaient. Le requérant était assisté d’un conseil tout au long de la procédure, il ne pouvait ignorer les règles applicables.
47. Certes, les arrêts de la Cour de cassation du 16 février 2006 sont les premiers dans lesquels cette cour s’est prononcée sur la problématique, mais elle a simplement confirmé une position déjà prise de longue date par la jurisprudence, notamment la Cour constitutionnelle, et la doctrine. L’interprétation retenue de la notion « d’action en justice » apparaît d’ailleurs rigoureusement correcte d’un point de vue juridique.
48. À supposer qu’il puisse être considéré que la jurisprudence était divisée sur la question litigieuse, quod non, ces divergences de jurisprudence n’étaient en tout cas pas profondes et persistantes au sens de la jurisprudence de la Cour et ne portaient dès lors pas atteinte au droit d’accès à un tribunal. Ce droit a été concret et effectif puisque les règles sur la prescription n’ont pas empêché le requérant d’agir devant les tribunaux.
49. Contrairement à ce qu’allègue le requérant, la loi du 25 juillet 2008 a pour origine le problème lié à l’arriéré intenable du Conseil d’État, et non pas un quelconque problème de clarté ou de prévisibilité des règles antérieures. La modification législative visait à remédier à la multiplication des cas où, en raison de l’allongement de la procédure devant le Conseil d’État, la prescription pouvait être opposée par l’État à l’action en dommages et intérêts introduite tardivement par un justiciable mal informé.
50. Quoi qu’il en soit, dès l’entrée en vigueur de la loi du 25 juillet 2008, le requérant aurait pu faire valoir ses droits en citant de nouveau la Région flamande devant les tribunaux de l’ordre judiciaire afin d’obtenir réparation pour la faute alléguée des pouvoirs publics. Il s’est toutefois abstenu de toute initiative procédurale, perdant définitivement l’occasion de faire valoir ses droits à l’égard de la Région flamande.
ii. Sur l’irrecevabilité du mémoire ampliatif déposé dans la procédure devant la Cour de cassation et sur la non-application par la Cour de cassation de la loi du 25 juillet 2008
51. Le Gouvernement rappelle que le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire dont la procédure est essentiellement écrite. Chaque partie doit concentrer toute son argumentation dans le seul écrit qu’il est autorisé à déposer. Ainsi, tous les moyens dont le demandeur entend se prévaloir doivent être contenus dans la requête. Le mémoire ampliatif, dont l’usage est rare, est irrecevable dans la mesure où il tend à compléter l’exposé des moyens dans la requête, soit en formulant des griefs qui n’ont pas été allégués dans la requête, soit en palliant l’imprécision ou l’insuffisance des griefs qui y sont formulés.
52. Le Gouvernement affirme que le requérant, assisté par un avocat à la Cour de cassation, ne pouvait ignorer que son mémoire ampliatif serait écarté comme tardif. L’irrecevabilité de son mémoire conformément à l’article 1087 du code judiciaire était proportionnée compte tenu des exigences de la procédure en cassation. Une telle sanction correspond en effet à la volonté du législateur de concentration et de célérité de l’échange des écritures des parties et de garantie de l’exercice effectif des droits de la défense de la partie défenderesse. L’article 4 de la loi du 25 juillet 2008 ne se substituait pas aux dispositions d’ordre public qui règlent la procédure devant la Cour de cassation. L’application rétroactive de la loi du 25 juillet 2008 supposait que soient respectées les dispositions du code judiciaire relatives à la procédure en cassation. Il ne saurait donc être reproché à la Cour de cassation de ne pas avoir appliqué l’article 2244 du code civil tel qu’il avait été modifié par la loi du 25 juillet 2008. C’est de manière tout à fait prévisible au regard des règles du code judiciaire et en se conformant aux principes de la prééminence du droit et de la sécurité juridique que la Cour de cassation a déclaré irrecevable le mémoire ampliatif du requérant. Cette décision a eu pour conséquence que la Cour de cassation n’était pas saisie d’un moyen invoquant la violation du nouvel article 2244 du code civil et qu’elle n’a dès lors pas pu se prononcer sur l’application de cette disposition puisqu’en matière civile, la Cour de cassation ne soulève pas de moyen d’office.
53. Le Gouvernement fait encore valoir que, l’arrêt de la cour d’appel du 22 juin 2007 ne semblant pas avoir été signifié par la Région flamande au requérant, ce dernier, plutôt que de déposer un mémoire ampliatif voué à l’irrecevabilité, aurait pu se désister de sa requête en cassation en vue de former un nouveau pourvoi à l’appui duquel il aurait pu invoquer un moyen pris de la violation des dispositions de la loi du 25 juillet 2008.
54. Le Gouvernement rappelle enfin que la Cour de cassation n’apprécie la légalité de la décision attaquée qu’à l’aune des lois en vigueur au moment où cette décision a été rendue. L’arrêt du 3 septembre 2010 (paragraphe 30 ci-dessus), dans lequel la Cour de cassation a interprété l’article 4 de la loi du 25 juillet 2008, se conforme à ce principe. Selon cet arrêt, si un pourvoi en cassation était pendant au moment où la loi du 25 juillet 2008 entrait en vigueur, la nouvelle règle de prescription ne s’appliquerait qu’au cas où une cassation intervenait fondée sur la violation d’une disposition applicable au moment de la prononciation de la décision attaquée et que l’affaire était examinée à nouveau par le juge du fond. Si le requérant dans la présente espèce avait valablement présenté un moyen pris de la violation des dispositions de la loi du 25 juillet 2008, la Cour de cassation aurait vraisemblablement statué dans le même sens.
55. Le Gouvernement conclut que la décision de déclarer prescrite la demande en dommages et intérêts introduite par le requérant n’a pas porté atteinte à son droit d’accès à un tribunal tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux applicables
57. En particulier, la Cour rappelle que le droit d’accès à un tribunal doit être concret et effectif et non pas théorique et illusoire. L’effectivité de l’accès au juge suppose qu’un individu jouisse d’une possibilité claire et concrète de contester un acte constituant une ingérence dans ses droits (Paroisse gréco‑catholique Lupeni et autres, précité, § 86).
59. Le droit d’accès aux tribunaux n’étant toutefois pas absolu, il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation. S’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention, elle n’a pas qualité pour substituer à l’appréciation des autorités nationales une autre appréciation de ce que pourrait être la meilleure politique en la matière. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres, précité, § 89, et Zubac, précité, § 78).
60. La Cour rappelle enfin que c’est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne. Sauf si l’interprétation retenue est arbitraire ou manifestement déraisonnable, le rôle de la Cour se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 149, 19 décembre 2018). Cela est particulièrement vrai s’agissant de l’interprétation par les tribunaux des règles de nature procédurale telles que les délais régissant le dépôt des documents ou l’introduction de recours. La Cour estime par ailleurs que la réglementation relative aux formalités et aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer la bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent s’attendre à ce que ces règles soient appliquées (Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII, et Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, § 60, CEDH 2002‑IX).
b) Application au cas d’espèce
61. Le requérant allègue que les dispositions relatives à la prescription des créances à charge de l’État n’étaient pas claires et prévisibles lorsqu’il a introduit son recours en annulation devant le Conseil d’État. Cela a eu pour conséquence que son action en indemnisation a été déclarée irrecevable car prescrite, le requérant ayant attendu l’issue de la procédure devant le Conseil d’État avant d’introduire son action civile. Il soutient ensuite que l’arrêt de la Cour de cassation, en particulier le fait par celle-ci d’avoir rejeté son mémoire ampliatif et de n’avoir pas appliqué l’article 2244 du code civil tel que modifié par la loi du 25 juillet 2008, a constitué un formalisme excessif ayant porté atteinte à son droit d’accès à un tribunal. Il allègue, en somme, que l’application des règles procédurales relatives à l’introduction d’un pourvoi en cassation l’ont empêché de bénéficier de la loi nouvelle du 25 juillet 2008 qui lui était favorable.
62. Le requérant soulève ainsi au regard de l’article 6 § 1 de la Convention deux griefs relatifs à la procédure civile qu’il a intentée en vue d’obtenir une indemnisation pour le dommage causé par un acte administratif annulé par le Conseil d’État. La Cour procédera à l’examen conjoint de ces griefs.
63. La Cour note d’abord que si le requérant n’était pas tenu d’introduire un recours en annulation devant le Conseil d’État avant de saisir le juge civil pour obtenir des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité civile extracontractuelle de l’État, ce recours pouvait néanmoins s’avérer utile. En effet, l’éventuelle annulation de l’acte administratif litigieux démontrait son illégalité, et donc, en principe, la faute de l’autorité concernée au sens de l’article 1382 du code civil. En revanche, le recours devant le Conseil d’État ne permettait pas, à l’époque des faits, d’obtenir une indemnisation pour le dommage subi du fait de l’acte administratif illégal (voir, sur ce point, paragraphe 15 ci-dessus). C’est pour cela que les deux recours coexistaient et se complétaient. Il ne peut donc pas être affirmé que ces deux voies de recours avaient pratiquement le même but (a contrario, Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 177, 25 juin 2019, et S.A. Bio d’Ardennes c. Belgique, no 44457/11, § 36, 12 novembre 2019).
64. En l’espèce, le requérant a attendu que le Conseil d’État se prononce sur son recours en annulation avant d’introduire son action en indemnisation. En raison de l’arriéré du Conseil d’État, celui-ci a rendu son arrêt huit ans après avoir été saisi par le requérant. L’action civile du requérant a dès lors été déclarée prescrite, le recours en annulation n’ayant, selon les juridictions internes, ni suspendu ni interrompu le délai de prescription.
65. La question se pose ainsi de savoir si, compte tenu de la loi en vigueur et de la jurisprudence des tribunaux, le requérant savait ou devait raisonnablement savoir que le délai de prescription de cinq ans pour l’introduction d’une action en réparation ne serait pas suspendu ou interrompu par la procédure devant le Conseil d’État lors de l’introduction de son recours en annulation en octobre 1996.
66. Au moment des faits litigieux, l’article 101 alinéa 2 des lois sur la comptabilité de l’État prévoyait que l’introduction d’une action en justice suspendait le délai de prescription des créances à charge de l’État (paragraphe 17 ci-dessus). Il ne précisait cependant pas quelles actions tombaient sous la notion « d’intentement d’une action en justice ». L’interprétation de cette disposition, et notamment la question de savoir si l’introduction d’un recours en annulation devant le Conseil d’État était considérée comme tel, était laissée aux juridictions.
67. La Cour ne partage pas l’avis du Gouvernement lorsqu’il affirme que sur cette question la loi et la jurisprudence étaient claires et prévisibles. Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle (paragraphe 28 ci-dessus) et des travaux préparatoires de la loi du 25 juillet 2008 (paragraphe 23 ci-dessus) qu’il existait une certaine incertitude sur la prescription de la créance à charge de l’autorité administrative en cause lorsque le requérant a introduit un recours en annulation devant le Conseil d’État avant d’introduire une action en dommages et intérêts devant le juge civil. C’est d’ailleurs pour cela que beaucoup d’avocats conseillaient à leurs clients d’engager une action civile à titre conservatoire sans attendre l’issue de la procédure devant le Conseil d’État et en prenant le risque que cette action devienne inutile en cas de rejet de leur recours en annulation (paragraphe 23 ci-dessus).
68. La Cour relève que le fait que la jurisprudence n’était pas encore consolidée n’a pas été pris en compte par les juridictions ayant statué en la cause du requérant.
69. Les dispositions des lois sur la comptabilité de l’État telles qu’interprétées par les juridictions civiles inférieures à l’époque des faits n’empêchaient ainsi pas la survenance de malentendus quant aux modalités de l’exercice combiné des deux recours, respectivement en annulation et en dommages et intérêts, offerts par le droit belge.
70. La Cour note toutefois que l’incertitude sur l’état du droit ne portait pas sur le calcul du délai pour l’introduction d’une action en dommages et intérêts contre une personne de droit public comme la Région flamande en tant que tel, mais seulement sur les actes pouvant mener à la suspension ou l’interruption de ce délai et, en particulier, sur la notion « d’intentement d’une action en justice ».
71. La Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur cette question dans des arrêts du 16 février 2006 (paragraphe 20 ci‑dessus), mettant fin à l’incertitude juridique. Il ne s’agissait pas d’un revirement de jurisprudence, tel que l’allègue le requérant, puisque c’était la première fois que la Cour de cassation était appelée à se prononcer sur la question de savoir si l’introduction d’un recours en annulation devant le Conseil d’État suspendait ou interrompait le délai de prescription pour l’introduction d’une demande en indemnisation sur le fondement de l’article 1382 du code civil. Or le rôle d’une juridiction suprême est précisément de régler les éventuelles contradictions ou incertitudes résultant d’arrêts contenant des interprétations divergentes (Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres, précité, § 123, et les affaires qui y sont citées).
72. Compte tenu, d’une part, de la clarté du délai de prescription de cinq ans, et d’autre part, des divergences dans la jurisprudence des juridictions civiles inférieures au sujet de la suspension ou de l’interruption éventuelle de ce délai par l’introduction d’un recours en annulation devant le Conseil d’État, la Cour estime que le requérant ne pouvait pas partir du principe que les juridictions civiles déclareraient recevable une demande introduite plus de cinq ans après le 1er janvier 1996 (voir et comparer avec Allègre c. France, no 22008/12, § 60, 12 juillet 2018).
73. La Cour note ensuite que la position prise par la Cour de cassation dans ses arrêts du 16 février 2006, défavorable aux justiciables qui étaient victimes de la longueur des procédures devant le Conseil d’État, a amené le législateur à modifier le droit applicable (paragraphes 24 et suivants ci‑dessus).
74. Les dispositions de cette loi prévoient explicitement qu’un recours en annulation d’un acte administratif devant le Conseil d’État a, à l’égard de l’action en réparation du dommage causé par l’acte administratif dont l’annulation est demandée, les mêmes effets interruptifs de la prescription qu’une citation en justice devant les juridictions de l’ordre judiciaire (paragraphes 24 et 25 ci-dessus). Le législateur souhaitait ainsi se départir de la position adoptée par la Cour de cassation dans ses arrêts du 16 février 2006, position qui était également celle adoptée par les juridictions du fond dans l’affaire du requérant.
75. La Cour note enfin que la loi du 25 juillet 2008 est entrée en vigueur alors que le pourvoi en cassation du requérant était pendant devant la Cour de cassation (paragraphe 12 ci-dessus).
76. Tel que cela ressort du texte de l’article 4 de la loi du 25 juillet 2008 (paragraphe 26 ci-dessus) et de l’interprétation donnée à cette disposition par la Cour constitutionnelle (paragraphes 28 et 29 ci-dessus), les dispositions modifiées par la loi du 25 juillet 2008 avaient vocation à s’appliquer de manière rétroactive aux situations telles que celles du requérant pourvu qu’il n’y ait pas encore de décision définitive déclarant l’action civile prescrite.
77. Dans le cas d’espèce, la Cour de cassation était la seule juridiction compétente pour encore se prononcer sur la demande du requérant après l’entrée en vigueur de la loi du 25 juillet 2008 et, le cas échéant, appliquer cette loi qui était favorable au requérant (a contrario, Levages Prestations Services c. France, 23 octobre 1996, § 48, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, Mohr c. Luxembourg (déc.), no 29236/95, 20 avril 1999, Papaioannou c. Grèce, no 18880/15, 2 juin 2016, et Zubac, précité, § 125).
78. Or il apparaît qu’alors que l’intention du législateur était de rendre la loi du 25 juillet 2008 immédiatement applicable aux affaires en cours, y compris les affaires telles que la présente dans laquelle un pourvoi en cassation était encore pendant, cet objectif n’a pas pu être réalisé en pratique en raison des règles procédurales applicables à l’introduction d’un pourvoi en cassation.
79. Sur ce point, la Cour rappelle que l’observation de règles formelles de procédure civile, qui permettent aux parties de faire trancher un litige, est utile et importante, car elle est susceptible de limiter le pouvoir discrétionnaire, d’assurer l’égalité des armes, de prévenir l’arbitraire, de permettre qu’un litige soit tranché et jugé de manière effective et dans un délai raisonnable, et de garantir la sécurité juridique et le respect envers le tribunal (Zubac, précité, § 96). Toutefois, le droit d’accès à un tribunal peut se trouver atteint dans sa substance lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente (Zubac, précité, § 98).
80. En l’espèce, la Cour de cassation a rejeté le mémoire ampliatif du requérant au motif que celui-ci avait été déposé en dehors du délai prévu par l’article 1087 du code judiciaire (paragraphe 14 ci-dessus). Ce faisant, la Cour de cassation a appliqué le code judiciaire qui prévoit que tous les moyens en cassation doivent être invoqués dans la requête ou dans un mémoire ampliatif lequel doit être déposé au plus tard 15 jours après la signification du pourvoi en cassation (paragraphe 34 ci-dessus).
81. Les règles de procédure devant la Cour de cassation telles que prévues par le code judiciaire étaient claires et prévisibles, ce qui n’a d’ailleurs pas été contesté par le requérant. La Cour considère en outre que ces règles visent en général la bonne administration de la justice dans la mesure où, tel que l’explique le Gouvernement, elles visent la concentration et la célérité de l’échange des écritures des parties.
82. Toutefois, il apparaît qu’aucune disposition du code judiciaire ne permettait à un demandeur en cassation de faire valoir un moyen nouveau tiré de la violation d’une disposition légale applicable aux litiges en cours si cette disposition était entrée en vigueur alors que son pourvoi était pendant devant la Cour de cassation et que le délai pour la soumission d’un mémoire ampliatif avait expiré, et cela, même s’il s’agissait de donner effet à une loi rétroactive.
83. Or en l’espèce, la Cour est d’avis que le requérant a fait ce qu’il pouvait dans le cadre de la procédure devant la Cour de cassation compte tenu des règles procédurales en vigueur. En effet, dans sa requête en cassation, il avait déjà fait mention de la proposition de loi qui était en cours d’examen par le parlement et il s’était réservé la possibilité d’invoquer un moyen nouveau si la loi proposée entrait en vigueur en cours de procédure (paragraphe 11 ci‑dessus). Puis, environ un mois après l’entrée en vigueur de la loi du 25 juillet 2008, il a déposé un mémoire ampliatif dans lequel il a explicitement demandé que les dispositions de la loi nouvelle lui soient appliquées et argué que ce mémoire devait être déclaré recevable en l’espèce, malgré l’expiration du délai prévu par l’article 1087 du code judiciaire (paragraphe 13 ci-dessus). Le requérant a ainsi fait preuve de diligence (voir, dans le même sens, Gil Sanjuan c. Espagne, no 48297/15, § 43, 26 mai 2020 et, a contrario, Rodriguez Valin c. Espagne, no 47792/99, § 28, 11 octobre 2001).
84. Le Gouvernement allègue que le requérant aurait pu se désister de son pourvoi en cassation pour introduire un nouveau pourvoi à l’appui duquel il aurait pu invoquer les dispositions de la loi du 25 juillet 2008 (paragraphe 53 ci-dessus). La Cour estime toutefois qu’on ne saurait reprocher au requérant de ne pas avoir procédé de cette façon. En effet, le désistement du pourvoi déjà introduit et l’introduction d’un nouveau pourvoi lui auraient fait perdre l’avantage du premier pourvoi et l’auraient obligé à supporter des frais supplémentaires. La Cour note par ailleurs que la démarche suggérée n’était en tout cas possible qu’aussi longtemps que le délai de trois mois pour se pourvoir en cassation (paragraphe 32 ci-dessus) n’avait pas expiré, d’où il suit qu’elle dépendait entièrement de la signification ou non de l’arrêt de la cour d’appel, à la requête de la Région flamande.
85. La Cour estime que le droit d’accès à un tribunal exigeait, dans les circonstances particulières de l’espèce, que le requérant pût inviter la Cour de cassation à se prononcer sur l’incidence de l’entrée en vigueur de la loi du 25 juillet 2008 sur la légalité de l’arrêt qu’il avait attaqué devant elle. Il en était ainsi eu égard au fait que les dispositions de cette loi avaient un effet rétroactif et étaient d’application dans les litiges en cours, sauf s’il y avait déjà eu une décision passée en force de chose jugée (comme une décision rendue par une instance d’appel) et contre laquelle un pourvoi en cassation n’avait pas été introduit.
86. Ainsi, à la lumière des considérations qui précèdent, la Cour conclut que la présente affaire a fait apparaître une lacune dans les règles relatives à la recevabilité des pourvois en cassation, des mémoires ampliatifs et des moyens en cassation, règles qui ne sont pas en soi contraires à l’article 6 § 1. Il peut en effet y avoir des cas exceptionnels où, alors qu’un pourvoi en cassation est pendant, une loi entre en vigueur qui est immédiatement applicable aux instances en cassation et dont le demandeur en cassation peut de manière défendable faire valoir qu’elle a des conséquences pour la solution du litige devant la Cour de cassation.
88. Dans ces circonstances, la Cour estime que la réglementation a cessé de servir les buts de la « sécurité juridique » et de la « bonne administration de la justice ». Combinée à l’incertitude juridique relative à la suspension et l’interruption du délai de prescription par l’introduction d’un recours en annulation telle qu’elle existait à l’époque des faits, cette réglementation a constitué une sorte de barrière qui a empêché le requérant de voir son litige tranché au fond. Son droit d’accès à un tribunal s’est donc trouvé atteint dans sa substance même.
89. Ce constat suffit à conclure qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
90. La Cour est consciente du fait que, par un arrêt rendu le 3 septembre 2010, c’est-à-dire postérieurement au prononcé de l’arrêt rendu dans l’affaire du requérant, la Cour de cassation a examiné un moyen alléguant la violation des dispositions modifiées par la loi du 25 juillet 2008 par un arrêt rendu avant l’entrée en vigueur de celle-ci (paragraphe 30 ci-dessus). La Cour de cassation y a précisé que la loi nouvelle n’avait pas d’incidence sur la légalité de la décision judiciaire rendue sous l’empire de la loi ancienne. Il est très probable que si le moyen invoqué par le requérant dans son mémoire ampliatif avait été examiné par la Cour de cassation, il aurait été rejeté pour le même motif. Une telle décision aurait pu soulever d’autres questions sous l’angle du droit d’accès à un tribunal. Toutefois, comme cette hypothèse ne s’est pas présentée en l’espèce, la Cour estime qu’il ne lui incombe pas de se prononcer sur celle-ci.
II. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 46 ET 41 DE LA CONVENTION
91. L’article 46 de la Convention est ainsi libellé :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. (....) »
92. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Sur les demandes de mesures d’exécution et de réparation pécuniaire
1. Thèses des parties
a) Le requérant
93. À titre principal, le requérant demande, en vertu de l’article 46 de la Convention, que la Cour ordonne la réouverture des débats parce que le droit belge ne prévoit pas la réouverture d’une procédure en matière civile après un arrêt de la Cour constatant une violation de l’article 6 de la Convention. Une telle mesure permettrait la restitutio in integrum voulue par la Convention.
94. À titre subsidiaire, il sollicite l’octroi d’une juste indemnité pour le dommage matériel subi. Il rappelle que dans sa citation originaire du 12 janvier 2005 devant le tribunal de première instance il avait demandé une indemnisation pour le manque à gagner de 368 470 EUR (paragraphe 8 ci-dessus), à majorer des intérêts compensatoires depuis le 30 juillet 1996. Le requérant évalue son dommage sur base de la perte de revenus pour les années 1996 à 2004 calculée en fonction du bénéfice qu’il aurait pu obtenir chaque année pour les 354 porcs qu’il aurait pu élever si le permis litigieux lui avait été accordé.
b) Le Gouvernement
95. Le Gouvernement soutient qu’en application du principe de subsidiarité, l’article 46 de la Convention ne permet pas à la Cour d’ordonner à un État défendeur la réouverture des débats dans son ordre juridique interne. L’État dispose du choix des mesures générales ou individuelles à adopter pour exécuter un arrêt constatant une violation de la Convention. La seule mesure que la Cour peut ordonner à un État selon les termes de la Convention est une satisfaction équitable en vertu de l’article 41 de la Convention. De surcroît, l’arsenal législatif belge ne prévoit aucun dispositif permettant le réexamen de l’affaire ou la réouverture de la procédure en matière civile à la suite d’un arrêt de la Cour.
96. S’agissant de la demande subsidiaire du requérant, le Gouvernement indique, d’une part, que le préjudice matériel allégué ne trouve pas sa cause dans la violation constatée, à savoir le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention et, d’autre part, que la réalité du dommage n’est pas démontrée par le requérant. Le Gouvernement estime ainsi que les prétentions du requérant sont excessives et vont à l’encontre de la ratio legis de l’article 41 de la Convention.
2. Appréciation de la Cour
a) Sur la réouverture de la procédure nationale
97. En vertu de l’article 46 de la Convention, l’État défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est tenu de se conformer à la décision de la Cour. Il est tenu non seulement de verser au requérant les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi de prendre des mesures individuelles et/ou, le cas échéant, générales dans son ordre juridique interne, afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer les conséquences, l’objectif étant de placer le requérant, autant que possible, dans une situation équivalente à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention (voir, par exemple, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 137, CEDH 2013, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 158, CEDH 2014, Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan (recours en manquement) [GC], no 15172/13, § 150, 29 mai 2019).
98. En général il appartient au premier chef à l’État en cause, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens à utiliser pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Del Río Prada, précité, § 138, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité, § 158, et Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan (recours en manquement), précité, § 148). Toutefois, dans certaines situations particulières, pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46, la Cour peut chercher à indiquer le type de mesures, individuelles et/ou générales, qui pourraient être prises pour mettre un terme à la situation ayant donné lieu à un constat de violation (Del Río Prada, précité, § 138, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité, § 159).
99. En l’espèce, la Cour estime qu’il ne lui appartient pas d’ordonner la réouverture de la procédure nationale dans la mesure où, comme l’indiquent les parties, le droit belge ne prévoit pas la possibilité de demander la réouverture d’une procédure civile lorsque la Cour a constaté la violation des droits d’un requérant au regard de la Convention.
b) Sur l’indemnisation du préjudice allégué
100. Selon l’article 41 de la Convention, si le droit interne ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences d’une violation constatée par la Cour, celle-ci accorde, s’il y a lieu, une satisfaction équitable.
101. La base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans le fait que le requérant n’a pas pu jouir devant la Cour de cassation du droit d’accès à un tribunal en ce qui concerne le moyen fondé sur la loi du 25 juillet 2008 (voir, mutatis mutandis, Ronald Vermeulen c. Belgique, no 5475/06, § 63, 17 juillet 2018, et la jurisprudence qui y est citée). La Cour rappelle qu’une réparation pour dommage matériel ne peut être octroyée que s’il existe un lien de causalité entre la perte ou le préjudice allégué et la violation constatée (Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 111, CEDH 2009 ; voir également Kingsley c. Royaume-Uni [GC], no 35605/97, § 40, CEDH 2002‑IV, et Kurić et autres c. Slovénie (satisfaction équitable) [GC], no 26828/06, § 81, CEDH 2014).
103. Quant au dommage moral, elle relève que le requérant n’a formulé aucune demande à ce titre.
B. Sur les frais et dépens
104. Le requérant réclame 6 149,84 EUR au titre d’honoraires et frais qu’il a engagés au cours de la procédure menée devant les juridictions internes dans le cadre de l’action en réparation intentée sur le fondement de l’article 1382 du code civil et 2 500 EUR au titre d’honoraires aux fins de la procédure menée devant la Cour.
105. Le Gouvernement allègue que le requérant n’a fourni aucune pièce justificative démontrant le paiement effectif des honoraires invoqués (4 169,08 EUR) pour les procédures internes. Il demande le rejet de cette partie de la demande.
106. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Les pièces fournies par le requérant démontrent qu’il se trouvait dans l’obligation légale de payer les honoraires indiqués pour les procédures internes. Ainsi, compte tenu des documents en sa possession, la Cour estime raisonnable de lui allouer la totalité de la somme demandée, soit 8 649,84 EUR.
C. Intérêts moratoires
107. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii. 8 649,84 EUR (huit mille six cent quarante-neuf euros et quatre‑vingt-quatre centimes), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 février 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Milan Blaško Georgios A. Serghides
Greffier Président