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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> KUZNETSOVA v. RUSSIA - 60946/14 (Judgment : Right to life : Third Section Committee) [2021] ECHR 146 (16 February 2021)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2021/146.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2021:0216JUD006094614, [2021] ECHR 146, CE:ECHR:2021:0216JUD006094614

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TROISIÈME SECTION

AFFAIRE KUZNETSOVA c. RUSSIE

(Requête no 60946/14)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

STRASBOURG

16 février 2021

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Kuznetsova c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :

          Darian Pavli, président,
          Dmitry Dedov,
          Peeter Roosma, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,

Vu la requête (no 60946/14) dirigée contre la Fédération de Russie et dont une ressortissante de cet État, Mme Natalya Yevgenyevna Kuznetsova (« la requérante »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 24 août 2014,

Vu la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement russe (« le Gouvernement »),

Vu les observations des parties,

Vu la non-opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 janvier 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1.  La présente affaire concerne une enquête pénale relative au décès accidentel du fils de la requérante. Est en jeu l’article 2 de la Convention.

EN FAIT

2.  La requérante est née en 1974 et réside à Ostachkov (région de Tver). Elle a été représentée par Me N.I. Dobryden, avocat.

3.  Le Gouvernement a été représenté par M. M. Galperine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

I.        LE CONTEXTE DU DÉCÈS DU FILS DE LA REQUÉRANTE

4.  Le 22 octobre 2010, Tch., l’électricien d’une société privée exploitante du réseau de distribution d’électricité à Ostachkov, prépara un acte d’inspection (лист обхода) des lignes câblées aériennes de 1 000 volts de tension passant par certaines rues d’Ostachkov. Cet acte certifiait que Tch. s’était livré à une inspection des lignes mais ne mentionnait pas s’il avait procédé à un examen visuel de celles-ci.

5.  À une date non précisée dans le dossier, L., l’électricien en chef de la société précitée, valida (согласовал) l’acte du 22 octobre 2010. Or, comme il fut établi ultérieurement, des câbles électriques dénudés étaient posés sur le toit d’un garage dans l’une des rues inspectées par Tch., dans une zone résidentielle où habitaient la requérante et son fils, S. Ces câbles pendaient librement en l’air à une hauteur accessible à toute personne depuis le sol (paragraphe 14 ci-dessous).

6.  Le 2 juillet 2011, S., âgé de dix ans, toucha ces câbles dénudés, fut électrocuté et décéda sur le coup.

II.     L’ENQUÊTE PÉNALE

7.  Par une décision du 16 septembre 2011, l’enquêteur du département d’instruction d’Ostachkov refusa d’ouvrir une enquête pénale relative au décès de S. La requérante se plaignit alors au procureur d’Ostachkov, qui, le 7 octobre 2011, annula cette décision.

8.  Le 24 octobre 2011, une enquête pénale pour négligence professionnelle ayant entraîné mort d’homme (délit pénal prévu par l’article 293 § 2 du code pénal) fut ouverte contre Tch. et L. Quelques jours plus tard, la requérante se vit reconnaître la qualité de victime.

9.  Entre octobre 2011 et novembre 2012, le dossier de l’enquête fut transféré à quatre reprises à différents enquêteurs.

10.  Dans l’intervalle, le 15 août 2012, pour des raisons non précisées dans le dossier, les chefs d’accusation furent requalifiés en homicide involontaire du fait d’une négligence professionnelle (délit pénal prévu par l’article 109 § 2 du code pénal). En octobre 2012, Tch. et L. furent mis en examen (предьявлено обвинение).

11.  Le 6 novembre 2012, l’enquêteur alors en charge de l’affaire renvoya le dossier de l’enquête pénale au procureur pour préparation de l’acte réquisitoire. Cependant, le 19 novembre 2012, le procureur considéra que le dossier était incomplet et enjoignit à l’enquêteur d’effectuer des mesures d’instruction complémentaires. Les recours de celui-ci contre la décision du procureur furent rejetés. Finalement, le 21 février 2013, l’enquêteur reprit le dossier de l’enquête.

12.  Il ressort du dossier que, entre janvier et mai 2013, aucune mesure d’instruction n’a été accomplie en l’affaire. En avril et mai 2013, le dossier fut transféré à deux reprises à différents enquêteurs.

13.  Dans le cadre de l’enquête, les mesures d’instruction suivantes furent effectuées : plusieurs inspections de la scène de l’incident ; deux expertises post mortem de S. ; deux expertises électrotechniques (dont la dernière datant du 28 mai 2013) ; des interrogatoires de trente personnes en tant que témoins (la teneur des témoignages livrés par ces personnes ne ressort pas du dossier), de la requérante ainsi que de deux experts (le dernier interrogatoire ayant eu lieu le 4 juin 2013).

14.  Selon l’expertise du 28 mai 2013, l’état du câblage électrique dans la zone inspectée par Tch. était « insatisfaisant » et non conforme aux différentes normes techniques, et les câbles présentaient un défaut d’isolation obligatoire et se situaient à une distance du sol telle que toute personne pouvait les toucher, en violation de plusieurs dispositions de différents règlements techniques.

15.  L’interrogatoire du 4 juin 2013 (paragraphe 13 ci-dessus) fut le dernier acte accompli dans le cadre de l’enquête. Le 13 juin 2013, pour des raisons non précisées, le délai de l’enquête pénale fut prorogé de trois mois.

16.  Par une lettre du 14 juin 2013, le Comité d’instruction rappela à l’enquêteur en chef du département de l’instruction de la région de Tver qu’il avait déjà précédemment constaté plusieurs périodes d’inactivité injustifiées dans l’enquête en question, ce qui pour lui s’analysait en une « bureaucratie paperassière » (волокита) et violait la loi procédurale.

17.  Le 16 juillet 2013, Tch. et L. demandèrent à l’enquêteur en charge de l’affaire d’abandonner les poursuites au motif que l’action publique se trouvait prescrite depuis le 11 juillet 2013, plus de deux ans s’étant écoulés depuis la commission du délit d’homicide involontaire (paragraphes 23 et 24 ci‑dessous).

18.  Le 15 août 2013, l’enquêteur rendit une décision d’abandon des poursuites en raison de la prescription de l’action publique, par application de l’article 24 § 1 point 3) du code de procédure pénale (le CPP ; paragraphe 24 ci-dessous). Dans cette décision, il considérait que Tch., ayant omis de procéder à un examen visuel des câbles électriques et ayant ainsi omis de relever et de réparer les défauts de ceux-ci (paragraphe 14 ci‑dessus), avait violé plusieurs dispositions des règlements techniques, sa fiche de fonction (должностная инструкция) et les ordres de l’électricien en chef L., et que, à son tour, L. avait omis de contrôler le respect par Tch. de ses obligations professionnelles. L’enquêteur concluait que les violations par ces techniciens de leurs obligations professionnelles avaient directement causé le décès de S. Enfin, il indiquait à la requérante une possibilité d’introduire une action au civil.

19.  La requérante contesta cette décision en justice, arguant, entre autres, qu’elle n’avait pas reçu de notification l’informant de l’achèvement de l’instruction (окончание следственных действий) et que l’extinction de l’action publique avait été artificiellement causée par des retards et des périodes d’inactivité injustifiés dans la conduite de l’enquête.

20.  Par une décision du 10 décembre 2013, le tribunal du district Tsentralny de Tver rejeta le recours de l’intéressée, considérant qu’il n’était pas compétent pour donner une appréciation sur les délais dans lesquels les enquêteurs conduisaient l’enquête et que le consentement de la victime à l’abandon des poursuites n’était pas requis par la loi dans ce genre de situation. Le 24 février 2014, la cour régionale de Tver confirma cette décision en appel en faisant siennes les conclusions du tribunal de district.

III.  LES RECOURS INTENTÉS PAR LA REQUÉRANTE EN DEHORS DE L’ENQUÊTE PÉNALE

21.  Le 24 janvier 2013, la requérante forma un recours sur le fondement de la loi sur l’indemnisation pour violation du droit à un « délai raisonnable » de la procédure. Par une décision du même jour, la cour régionale de Tver rejeta ce recours sans examen au motif que ladite loi ne s’appliquait qu’aux procédures durant plus de quatre ans.

22.  À une date non précisée, la requérante forma un recours devant la Cour constitutionnelle en arguant d’une inconstitutionnalité des articles 24 et 27 du CPP (paragraphe 24 ci-dessous). Par une décision du 25 septembre 2014, la Cour constitutionnelle rejeta ce recours en réitérant sa position établie selon laquelle, lorsqu’un tribunal statuait sur la question de l’abandon des poursuites, il devait recueillir l’avis des parties, y compris de la victime, à cet égard.

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

23.  Selon les articles 24, 78, 109 § 2 et 293 § 2 du code pénal, le délai de prescription de l’action publique est :

- de deux ans révolus à compter de la commission du délit d’homicide involontaire du fait d’une négligence professionnelle ;

- de six ans révolus à compter de la commission du délit de négligence professionnelle ayant entraîné mort d’homme.

24.  Selon l’article 24 § 1 point 3) du CPP, les poursuites pénales doivent être abandonnées si l’action publique se trouve éteinte par prescription. Selon l’article 27 du CPP, l’abandon des poursuites dans pareille situation requiert le consentement de la personne mise en examen.

EN DROIT

I.        SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

25.  Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, la requérante se plaint que l’enquête pénale relative au décès de son fils ait été excessivement longue et ineffective. Maîtresse de la qualification juridique à donner aux faits, la Cour estime qu’il convient d’examiner le grief sous l’angle du volet procédural de l’article 2 de la Convention (Sinim c. Turquie, no 9441/10, §§ 48-49, 6 juin 2017), qui est ainsi libellé en sa partie pertinente en l’espèce :

« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »

A.    Sur la recevabilité

1.     Thèses des parties

26.  Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non‑épuisement des voies de recours internes. À cet égard, il argue que la requérante n’a pas engagé une action civile en réparation de son préjudice alors que, selon lui, rien ne l’empêchait de le faire.

27.  La requérante combat cette thèse. Elle plaide que la voie pénale exercée par elle était une voie procédurale appropriée et ayant des chances raisonnables de succès. Concernant la voie civile évoquée par le Gouvernement, elle indique, en particulier, que Tch. et L. étaient les employés d’une société en liquidation judiciaire et estime, par conséquent, que cette voie était vouée à l’échec.

2.     Appréciation de la Cour

28.  La Cour observe qu’il n’a jamais été allégué que la mort de S. ait été infligée intentionnellement, mais qu’il s’agissait d’un accident, et que l’enquête pénale relative à ce décès a été abandonnée pour prescription de l’action publique. Elle rappelle à cet égard que, même si la Convention ne garantit pas en soi un droit à l’ouverture de poursuites pénales contre des tiers, dans certaines circonstances exceptionnelles il peut être nécessaire aux fins de l’article 2 qu’une enquête pénale effective soit menée, même en cas d’atteinte involontaire au droit à la vie. Il peut en être ainsi, par exemple, lorsqu’un particulier a délibérément et inconsidérément transgressé les obligations qui lui incombaient en vertu de la législation applicable (Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, §§ 158-160, 25 juin 2019, et les références qui y sont citées).

29.  En l’espèce, il a été établi que les électriciens de la société exploitante du réseau électrique municipal ont laissé les câbles de haute tension dénudés et accessibles à tous, et qu’ils ont omis de relever et de réparer les défauts des câblages aériens (paragraphes 5, 14 et 18 ci-dessus). La Cour considère que ces manquements constituent une violation directe et grave des obligations professionnelles consistant à assurer la sécurité de l’exploitation dudit réseau et qu’ils s’analysent en une conduite grossièrement irréfléchie qui exposait toutes les personnes passant à côté du garage en cause à un risque élevé et évident de blessure et de mort. Elle ne peut que conclure qu’il s’agissait d’une transgression des obligations dans le domaine des câblages électriques, allant largement au-delà d’une simple erreur de jugement ou d’une imprudence, et rendant nécessaire la mise en œuvre d’un mécanisme de répression pénale (voir, mutatis mutandis, Sinim, précité, §§ 62-63).

30.  D’autre part, le choix de la voie pénale adopté par la requérante dans ces circonstances n’apparaît pas déraisonnable et il n’est pas apparu comme tel aux yeux des autorités internes, qui ont, bien que non immédiatement, jugé qu’il y avait lieu de mener une enquête pénale. Par ailleurs, la voie pénale permettait à la requérante de se constituer partie civile à tout moment de la procédure et de faire examiner de manière conjointe la responsabilité pénale et la responsabilité civile découlant du même comportement fautif, ce qui facilitait une protection procédurale d’ensemble des droits en jeu. La Cour ne voit aucune raison de considérer que la requérante a agi de manière inappropriée lorsqu’elle a choisi de poursuivre cette voie, et le fait que l’intéressée n’a pas engagé une action civile distincte ne saurait être retenu contre elle dans l’appréciation du point de savoir si elle a épuisé les voies de recours internes (Korogodina c. Russie, no 33512/04, § 59, 30 septembre 2010, Elena Cojocaru c. Roumanie, no 74114/12, § 122, 22 mars 2016, et, récemment, Nicolae Virgiliu Tănase, précité, §§ 175-178 ; voir, pour un cas contraire, Dumpe c. Lettonie (déc.), no 71506/13, 16 octobre 2018, où le décès du fils de la requérante a été causé par une multitude de facteurs et où il convenait d’examiner la possibilité d’une responsabilité collective, ce qui dépassait la portée du recours pénal et rendait donc la voie civile plus appropriée).

31.  Il s’ensuit que l’exception du Gouvernement doit être rejetée. Constatant que le grief de la requérante n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

B.     Sur le fond

1.     Thèses des parties

32.  La requérante argue que l’enquête a été d’une durée excessivement longue par rapport à sa complexité, que le dossier avait été transféré, sans aucune raison, plusieurs fois à différents enquêteurs qui seraient tous restés inactifs, et que l’enquêteur en charge de l’affaire en dernier lieu avait sciemment attendu la prescription de l’action publique. Selon elle, tout cela a conduit à l’abandon artificiel des poursuites, alors qu’il y avait une possibilité réelle de conclure l’affaire par un jugement de condamnation.

33.  La requérante se plaint également qu’elle n’ait eu aucune possibilité légale, en tant que victime d’un délit, de s’opposer à l’abandon des poursuites à raison de la prescription de l’action publique et que son avis sur cette question n’ait jamais été recueilli.

34.  Le Gouvernement n’a pas présenté d’observations sur le fond.

2.     Appréciation de la Cour

35.  La Cour relève d’emblée que la requérante n’allègue pas, même en substance, une violation du volet matériel de l’article 2 de la Convention. Autrement dit, l’intéressée ne soutient pas que l’État est responsable du décès de son fils. Son grief est tiré seulement d’une violation du volet procédural de l’article précité.

36.  S’agissant des obligations procédurales imposées par l’article 2 de la Convention aux États membres, la Cour rappelle que les principes généraux y relatifs sont exposés dans l’arrêt précité Nicolae Virgiliu Tănase (§§ 137‑138, 157 et 164-168). Elle rappelle également que, dans l’examen des allégations de violation du volet procédural de l’article 2, sa tâche consiste à vérifier si et dans quelle mesure les instances nationales peuvent passer pour avoir soumis le cas devant elles à l’examen scrupuleux que demande cet article, pour que la force de dissuasion du système judiciaire mis en place et l’importance du rôle que celui-ci se doit de jouer dans la prévention des violations du droit à la vie ne soient pas amoindries, mais que sa mission ne consiste pas à rendre des verdicts de culpabilité ou d’innocence au sens du droit pénal (Asma c. Turquie, no 47933/09, §§ 76‑77, 20 novembre 2018).

37.  Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe que, en dépit de l’obligation de l’État défendeur d’ouvrir d’office et rapidement une enquête pénale relativement au décès de S. (Al-Skeini et autres c. Royaume‑Uni [GC], no 55721/07, § 165, CEDH 2011, et les références qui y sont citées ; voir aussi paragraphe 30 ci-dessus), l’enquête n’a été ouverte que trois mois et demi après l’accident tragique et l’initiative de l’ouverture de celle-ci a été laissée à la requérante. En témoigne une décision de refus d’ouvrir l’enquête adoptée le 16 septembre 2011 et contestée par l’intéressée.

38.  Par ailleurs, le chef d’accusation retenu initialement était une négligence professionnelle ayant entraîné mort d’homme, un délit se prescrivant par six ans. Ce n’est que plus d’un an après les faits que les manquements de Tch. et L. ont été requalifiés en homicide involontaire, un délit de moindre gravité se prescrivant par deux ans (paragraphe 23 ci‑dessus). Certes, il n’appartient pas à la Cour de donner une appréciation in abstracto ni aux délais de prescription existant dans l’État défendeur ni aux qualifications juridiques des manquements délictueux en droit interne. Cela étant, la Cour ne peut pas s’empêcher de relever en l’espèce qu’après la requalification du délit en homicide involontaire en août 2012, il restait moins d’un an avant la prescription de l’action publique. Dans ces circonstances, de l’avis de la Cour, les autorités devaient faire preuve de diligence particulière et déployer des efforts pour se prononcer sur l’affaire avant l’acquisition de la prescription.

39.  Or il apparaît que les autorités n’ont pas fait preuve de diligence et de célérité. Au contraire, plusieurs transferts inexpliqués du dossier d’un enquêteur à un autre et plusieurs périodes d’inactivité également inexpliquées ont eu lieu au cours de l’enquête, ce qui a en outre été relevé par le Comité d’instruction (paragraphes 9, 12, 15 et 16 ci-dessus). Par ailleurs, en l’absence de complexité particulière de l’affaire et de toute contribution de la requérante au rallongement des délais de l’enquête, et compte tenu du fait que les auteurs du délit étaient bien connus et n’étaient pas en fuite, la Cour comprend mal pour quelle raison il s’est avéré impossible pour les autorités de clore l’instruction avant l’acquisition de la prescription.

40.  Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l’enquête pénale n’a pas progressé avec la célérité nécessaire et que les autorités qui en étaient en charge n’ont pas fait montre de la diligence requise pour faire aboutir l’action publique avant qu’elle ne fût prescrite.

41.  Enfin, et subsidiairement, la Cour note que la décision d’abandonner les poursuites a été rendue plus d’un mois après l’accomplissement du dernier acte d’instruction, de façon automatique, et ce sans que l’avis de la requérante ait été recueilli, en dépit des indications contraires de la Cour Constitutionnelle à ce sujet, et sans qu’aucune juridiction ait examiné les arguments de l’intéressée quant aux retards dans le traitement de l’affaire (paragraphes 19-22 ci‑dessus).

42.  Il ressort de tout ce qui précède qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

43.  Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

44.  La requérante demande 10 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi. Le Gouvernement indique que, si la Cour devait trouver une violation de l’article 2 de la Convention, la satisfaction équitable devrait être déterminée conformément à sa jurisprudence.

45.  La Cour, statuant en application du principe ne ultra petita, octroie à la requérante le montant demandé, soit 10 000 EUR, pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

46.  Elle juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare, la requête recevable ;

2.      Dit, qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention sous son volet procédural ;

3.      Dit,

a)     que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois, 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement,

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 février 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Olga Chernishova                                                                    Darian Pavli
Greffière adjointe                                                                       Président


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