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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SORLI v. TURKEY - 78727/16 (Judgment : No Article 3 - Prohibition of torture : Second Section Committee) French Text [2022] ECHR 305 (05 April 2022)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2022/305.html
Cite as: [2022] ECHR 305

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DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ŞORLİ c. TURQUIE

(Requête no 78727/16)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

5 avril 2022

 

 

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Şorli c. Turquie,


La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

          Branko Lubarda, président,
          Jovan Ilievski,
          Diana Sârcu, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,

Vu :


la requête (no 78727/16) contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet État, M. Bilal Şorli et M. Vedat Şorli (« les requérants ») nés en 1991 et 1989 et résidant à Istanbul, représentés par Me İ. Akmeşe, avocat à Istanbul, ont saisi la Cour le 23 novembre 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),


la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. Hacı Ali Açıkgül, Chef du service des droits de l’homme au ministère de la Justice de Turquie,


les observations des parties,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 mars 2022,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE


1.  La requête concerne des allégations de mauvais traitements subis par les requérants lors de leur arrestation et leur placement en garde à vue. Ils invoquent une violation de l’article 3 de la Convention.


2.  Le 13 décembre 2013 vers 13 heures, une altercation survint entre les requérants et trois policiers qui voulurent procéder à un contrôle d’identité et une fouille corporelle des intéressés. L’un des requérants avait un canif sur lui. Après l’altercation, les requérants furent placés en garde à vue dans les locaux de la police. La police utilisa du gaz lacrymogène pour immobiliser les requérants. Les requérants furent remis en liberté le même jour à 17 h 30.


3.  Le rapport médical établi le 13 décembre 2013 à 14 h 54 au nom de B.Ş. lors de son placement en garde à vue indiqua qu’il avait une ecchymose sur la partie pariétale de l’œil gauche, un hématome sur le sourcil gauche, des enflures sur les joues, une sensibilité sur l’épaule droite.


4.  Le 13 décembre 2013 à 22 heures après s’être évanoui à son domicile B.Ş. se rendit à l’hôpital où un rapport médical fut établi. Il y était indiqué qu’il avait une abrasion superficielle sur l’avant du thorax gauche, une sensibilité sur l’épaule droite, une sensibilité sur la région frontale de la tête, une abrasion superficielle sur les mains, un œdème sur la gauche de la mandibule.


5.  Le rapport médical établi le 13 décembre 2013 à 14 h 53 au nom de V.Ş. lors de son placement en garde à vue indiqua un gonflement et un œdème de 1 x 1 cm sur la zone pariétale droite, une ecchymose de 1,5 x 0,3 cm sur la zone frontale gauche, une ecchymose de couleur pâle de 0,4 cm au milieu du front, une ecchymose de 0,5 cm sur la paupière droite, une ecchymose à l’œil droite, des ecchymoses sur les deux poignets en raison du port des menottes.


6.  Le 13 décembre 2013 à 22 heures sur demande de V.Ş. l’hôpital établi un autre rapport médical : il avait déclaré avoir des maux de tête ; il avait un œdème de 1 x 1 cm sur la zone temporale droite, une égratignure de 1 cm sur le genou gauche ; et il avait des ecchymoses sur le dos ainsi que sur les mains.


7.  Le 31 janvier 2014, le procureur de la République rendit un non-lieu à poursuivre qui fut confirmé par la cour d’assises.


8.  Le 13 juillet 2016, la Cour constitutionnelle constata, pour ce qui était des conditions de l’arrestation des requérants, l’absence d’élément de preuve permettant de conclure que l’intervention des agents de police avait dépassé les limites légales de la force coercitive applicable en la matière. Elle ne se prononça pas sur les griefs des requérants tirés des mauvais traitements subis pendant leur garde à vue. Elle jugea que l’enquête menée par le procureur de la République fut prompte et effective.

L’APPRÉCIATION DE LA COUR

I.        SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION


9.  Les principes généraux concernant l’article 3 de la Convention ont été résumés dans l’arrêt Bouyid c. Belgique ([GC], no 23380/09, § 100 et 101, CEDH 2015 et les références qui y sont citées).

A.    Sur le volet matériel du grief

1.     Les mauvais traitements survenus lors de l’altercation


10.  La Cour relève que l’arrestation des requérants était spontanée. Lors de leur arrestation, les intéressés ont refusé d’obtempérer aux injonctions des agents de police de présenter leurs pièces d’identité et de subir une fouille corporelle. L’un des requérants fut en possession d’un canif. Dans ce contexte, la Cour a déjà admis que, en présence d’une résistance physique ou d’un risque de comportements violents de la part de personnes contrôlées, une forme de contrainte de la part des forces de l’ordre était justifiée (Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, § 30, série A no 269, Sarigiannis c. Italie, no 14569/05, § 61, 5 avril 2011, et Nasrettin Aslan et Zeki Aslan c. Turquie, no 17850/11, § 41, 30 août 2016).


11.  La Cour note que les requérants et le Gouvernement ne contestent pas l’altercation survenue entre les différents protagonistes qui ont causé des lésions sur les corps des requérants et des trois policiers. Elle partage l’analyse des faits de la cause et les conclusions de la Cour constitutionnelle selon lesquelles les lésions constatées sur le corps des requérants sont la conséquence de leur résistance et de leur agressivité face aux policiers au moment de leur arrestation pour conclure à l’absence d’une méconnaissance de l’article 3 de la Convention. La Cour conclut également que les lésions relevées sur les corps des requérants sont le résultat de l’altercation survenue entre ces derniers et les forces de l’ordre. La force utilisée par les trois agents de police pour maitriser les requérants, lors de leur arrestation, étaient nécessaire et proportionnée à la contrainte et résistance physique des requérants.


12.  La Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention de ce chef.

2.     Les mauvais traitements survenus lors de la garde à vue


13.  Cela étant posé, la Cour relève que les constats établis dans les rapports médicaux au nom des requérants lors de leur placement en garde à vue diffèrent des constats relevés par les rapports médicaux établis par les médecins après la fin de la garde à vue. Dans ce contexte, la Cour rappelle que, lorsqu’une personne est blessée au cours d’une garde à vue, alors qu’elle se trouvait entièrement sous le contrôle de fonctionnaires de police, toute blessure survenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions de fait (Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000-VII). Il appartient donc au Gouvernement de fournir une explication plausible sur les origines de ces blessures et de produire des preuves établissant des faits qui font peser un doute sur les allégations de la victime, notamment si celles-ci sont étayées par des pièces médicales (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 87, CEDH 1999‑V, et Sonkaya c. Turquie, no 11261/03, § 25, 12 février 2008).


14.  La Cour constate que la Cour constitutionnelle n’a pas examiné l’allégation des requérants selon laquelle ils avaient été soumis à des mauvais traitements lors de leur garde à vue. De plus, ni la Cour constitutionnelle ni le Gouvernement ne donnent pas d’explication, d’une part, sur les discordances entre les différents rapports médicaux obtenus au début et à la fin de la garde à vue et, d’autre part, sur les séquelles constatées sur les corps des requérants après la fin de leur garde à vue.


15.  Partant, la Cour conclut à une violation du volet substantiel de l’article 3 de la Convention, en raison des mauvais traitements subis par les requérants pendant la garde à vue.

B.    Sur le volet procédural du grief


16.  La Cour relève qu’à la fin de la garde à vue les requérants n’ont pas été examinés par un médecin. Les requérants se sont rendus par leur propre moyen à l’hôpital pour obtenir chacun respectivement un rapport médical. En particulier, le requérant B.Ş. s’était évanoui en raison des coups qu’il avait reçu manifestement soit lors de son arrestation soit pendant la garde à vue. Elle note que les constats établis dans les rapports médicaux des requérants lors de leur placement en garde à vue diffèrent des constats relevés par les rapports médicaux établis par les médecins après la fin de la garde à vue. À cet égard, aucune enquête n’a été menée par les autorités internes compétentes au sujet des allégations des requérants selon lesquelles ils avaient subi des mauvais traitements pendant la garde à vue. Dans ce contexte, la Cour rappelle le rôle que jouent les procureurs de la République dans l’engagement des poursuites, sous le contrôle de la Cour constitutionnelle qui est la clé de voûte du principe de subsidiarité pour remédier à tout manquement de l’État défendeur à ses obligations découlant de la Convention.


17.  Partant, il y a eu violation du volet procédural de l’article 3 de la Convention.

L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


18.  Les requérants demandent chacun 20 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’ils estiment avoir subi et environ 2 600 EUR (16 068 livres turques (TRY) dont 1 200 TRY pour les frais de secrétariat et traductions) au titre des frais et dépens qu’ils disent avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour.


19.   Le Gouvernement conteste les prétentions des requérants.


20.  La Cour octroie respectivement à chaque requérant 12 500 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.


21.  Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour juge raisonnable d’allouer conjointement aux requérants la somme de 1 600 EUR pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.


22.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il n’y a pas eu une violation de l’article 3 de la Convention à la suite des mauvais traitements survenus lors de l’arrestation ;

3.      Dit qu’il y a eu une violation des volets substantiel et procédural de l’article 3 de la Convention ;

4.      Dit,

a)     que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 12 500 EUR (douze mille cinq cents euros) respectivement à chaque requérant, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 1 600 EUR (mille six cents euros) conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 avril 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

                       

             Hasan Bakırcı                                                   Branko Lubarda
           Greffier adjoint                                                        Président


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