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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> IGNATOV v. BULGARIA - 50494/19 (Judgment : Article 3 - Prohibition of torture : Fourth Section Committee) French Text [2022] ECHR 344 (03 May 2022)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2022/344.html
Cite as: ECLI:CE:ECHR:2022:0503JUD005049419, [2022] ECHR 344, CE:ECHR:2022:0503JUD005049419

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QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE IGNATOV c. BULGARIE

(Requête no 50494/19)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

3 mai 2022

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Ignatov c. Bulgarie,


La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :

          Iulia Antoanella Motoc, présidente,
          Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
          Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Ludmila Milanova, greffière adjointe de section f.f.,


Vu :


la requête (no 50494/19) contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. Venelin Nikolaev Ignatov (« le requérant »), né en 1989 et résidant à Sofia, représenté par Me N. Atanasov, avocat à Sofia, a saisi la Cour le 13 septembre 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),


la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement bulgare (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme R. Nikolova, du ministère de la Justice,


les observations des parties,


la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 mars 2022,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE


1.  La présente requête concerne, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, les allégations du requérant selon lesquelles il a été maltraité au cours d’une opération de police, ainsi que l’absence alléguée d’une enquête effective à cet égard.


2.  Le 20 novembre 2017, entre 7 h 30 et 11 heures, la police de Sofia mena une opération à la station de lavage d’automobiles où travaillait le requérant.


3.  D’après le requérant, il fut attaqué par deux hommes inconnus en tenue civile, qui le sortirent de force du véhicule d’un client qu’il essayait de déplacer, le mirent par terre et lui portèrent plusieurs coups de matraque. Plus tard, il aurait été amené à l’intérieur du bâtiment de la station de lavage, jeté au sol et battu. C’est alors qu’il aurait appris que les hommes étaient des policiers. Il aurait été questionné, et sa tête aurait été frappée contre le mur.


4.  D’après les déclarations des deux agents de police impliqués, le véhicule dans lequel se trouvait le requérant était répertorié comme volé. Le requérant aurait opposé de la résistance aux policiers. Ils auraient alors employé des techniques spéciales - des clés de bras - pour le maîtriser, le mettre au sol et le menotter. Les policiers nièrent avoir frappé le requérant et avoir utilisé des matraques.


5.  Le même jour, le requérant fut examiné par un médecin légiste qui lui délivra un certificat médical attestant plusieurs blessures sur son dos, son bras droit et son front. Ensuite, il porta plainte contre les policiers.


6.  Pendant l’enquête préliminaire ouverte à cet égard, les enquêteurs recueillirent les dépositions écrites des deux policiers, de leurs collègues et d’un certain nombre d’autres témoins et rassemblèrent des preuves documentaires. Après un renvoi du dossier pour un complément d’enquête, le 21 janvier 2019, le parquet de district de Sofia refusa d’ouvrir des poursuites pénales contre les deux policiers en raison de l’absence de données suffisantes pour constater une infraction pénale. En s’appuyant sur les dépositions écrites de ces mêmes policiers, et en écartant les dépositions du requérant et des autres témoins oculaires, le parquet conclut que le requérant avait attaqué les agents, ce qui avait rendu nécessaire d’utiliser la force physique et les menottes pour le maîtriser. Le parquet estima qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments permettant de conclure que les lésions constatées sur le corps du requérant avaient été causées par les policiers à cette occasion. Par une ordonnance du 11 mars 2019, réceptionnée par l’avocat du requérant le 16 mars 2019, le parquet de la ville de Sofia confirma l’ordonnance de non-lieu du parquet inférieur en souscrivant pleinement à ses motifs.


7.  Tous les recours hiérarchiques subséquents du requérant furent rejetés par les procureurs supérieurs.

APPRÉCIATION DE LA COUR

SUR Les VIOLATIONs ALLÉGUÉEs DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

A.    Sur la recevabilité


8.  Il y a lieu de rejeter les objections d’irrecevabilité soulevées par le Gouvernement. En premier lieu, le requérant ayant exercé le recours pénal normalement disponible et effectif en droit bulgare pour se plaindre des agissements violents des policiers, il n’était pas obligé de demander par la suite une réparation en introduisant une action en dommages et intérêts (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 86, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII). En deuxième lieu, le fait que le requérant a exposé en l’espèce une version différente de celle des policiers concernant des éléments factuels contentieux ne saurait être considéré comme un abus du droit de recours individuel (Hoti c. Croatie, no 63311/14, §§ 92 et 94, 26 avril 2018).


9.  Constatant par ailleurs que les griefs soulevés ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.

B.    Sur le fond

1.     Sur les mauvais traitements allégués


10.  Les principes généraux concernant l’application de l’article 3, dans son volet matériel, en cas d’allégations de mauvais traitements subis aux mains de la police ont été résumés dans l’arrêt Bouyid c. Belgique ([GC], no 23380/09, §§ 83-88 et 100-101, CEDH 2015).


11.  En l’occurrence, le certificat médical présenté par le requérant (paragraphe 5 ci-dessus) atteste qu’il a reçu des coups d’objets contondants le matin du 20 novembre 2017, ce qui correspond avec sa version des faits selon laquelle il avait été battu par les policiers (paragraphe 3 ci-dessus). Ceci est corroboré par les déclarations de plusieurs autres témoins oculaires interrogés au cours de l’enquête. L’explication donnée par les autorités sur l’origine de ces blessures (paragraphe 4 ci-dessus) n’est pas convaincante. En particulier, ni le recours à des techniques d’immobilisation telles que des clés de bras, ni l’utilisation des menottes ne peut expliquer les blessures spécifiques constatées sur le dos et le bras droit du requérant. Au vu des circonstances spécifiques de l’espèce, et même en acceptant qu’il aurait pu opposer une certaine résistance aux policiers sous l’effet de la surprise, la Cour n’est pas convaincue que l’intensité de la force employée à son encontre était proportionnée et nécessaire (comparer avec Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 76, CEDH 2000-XII et Mikiashvili c. Géorgie, no 18996/06, §§ 76 et 77, 9 octobre 2012). Il s’ensuit que le requérant a été soumis à un traitement inhumain.


12.  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, dans son volet matériel.

2.     Sur la caractère effectif de l’enquête


13.  Les principes généraux concernant l’obligation, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, de mener une enquête effective en cas d’allégations de mauvais traitements subis aux mains de la police ont été résumés dans l’arrêt Labita c. Italie ([GC], no 26772/95, § 131, CEDH 2000‑IV).


14.  La Cour constate que l’enquête préliminaire menée en l’espèce n’a pas été suffisamment approfondie. En particulier, aucun effort n’a été fait pour expliquer l’origine des blessures constatées sur le corps du requérant (paragraphe 5 ci-dessus) et pour vérifier de manière approfondie les deux versions contradictoires des faits exposées par les policiers et par le requérant (paragraphes 3 et 4 ci-dessus). Dans les circonstances particulières de l’espèce, il était nécessaire d’effectuer plusieurs autres mesures d’instruction – confrontation de témoins, inspection des lieux, perquisitions et fouilles, expertises médicales, pour établir les faits pertinents et pour vérifier la véracité des deux versions des faits. En l’absence de telles mesures, et d’une explication convaincante de l’origine des blessures du requérant (paragraphe 11 ci-dessus), les conclusions des procureurs sur l’absence d’une infraction pénale en l’occurrence (paragraphe 6 ci-dessus) apparaissent comme hâtives et peu convaincantes.


15.  Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans son volet procédural.

APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


16.  Le requérant demande 10 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi et 2 000 levs bulgares au titre des frais et dépens qu’il dit avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour. Il demande que cette dernière somme soit transférée sur le compte de son représentant.


17.  Le Gouvernement estime que ces prétentions sont exagérées et injustifiées.


18.  La Cour octroie au requérant 10 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.


19.  Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour juge également raisonnable d’allouer au requérant la totalité de sa demande au titre des frais et dépens, soit 1 022,58 EUR, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, à transférer sur le compte du représentant du requérant.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans son volet matériel ;

3.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans son volet procédural ;

4.      Dit,

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 1 022,58 EUR (mille vingt-deux euros et cinquante-huit centimes), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à transférer directement sur le compte de son représentant ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 mai 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

                       

         Ludmila Milanova                                          Iulia Antoanella Motoc
       Greffière adjointe f.f.                                                  Présidente


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