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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SCI LE CHATEAU DU FRANCPORT v. FRANCE - 3269/18 (Judgment : Article 1 of Protocol No. 1 - Protection of property : Fifth Section) French Text [2022] ECHR 561 (07 July 2022) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2022/561.html Cite as: [2022] ECHR 561, CE:ECHR:2022:0707JUD000326918, ECLI:CE:ECHR:2022:0707JUD000326918 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE SCI LE CHÂTEAU DU FRANCPORT c. FRANCE
(Requête no 3269/18)
ARRÊT
Art 1 P1 • Réglementer l’usage des biens • Rejet des juridictions internes de la demande en réparation, suite à la saisie, lors d’une instruction pénale, d’un château, restitué dans un état dégradé quatre ans plus tard, faute pour la société requérante d’avoir rapporté la preuve que le préjudice résultait d’une faute lourde de l’État • Charge de la preuve incombant au service public de la justice responsable de la conservation des biens
STRASBOURG
7 juillet 2022
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire SCI Le Château du Francport c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :
Síofra O’Leary, présidente,
Mārtiņš Mits,
Ganna Yudkivska,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Ivana Jelić,
Arnfinn Bårdsen,
Mattias Guyomar, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,
Vu :
la requête (no 3269/18) dirigée contre la République française et dont une personne morale de droit français, la Société Civile Immobilière Le Château du Francport (« la société requérante »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 8 janvier 2018,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») les griefs concernant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 juin 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La présente affaire concerne la saisie, dans le cadre d’une instruction pénale, d’un château appartenant à la requérante, sa restitution dans un état dégradé quatre ans plus tard et le rejet de la demande en réparation formée par la requérante, faute pour elle d’avoir rapporté la preuve que le préjudice résultait d’une faute lourde de l’État (articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1).
2. La requérante a été créée en 2000 et a son siège social à Paris. Elle a été représentée par Me S. Margulis, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
4. En mai 2000, le château du Francport fut vendu par une société irlandaise à la société requérante. Des anomalies furent ensuite constatées dans la gestion d’une société de droit français, en lien avec la société requérante, la SA Château du Francport ; cette société avait notamment pris en charge les frais, dont les émoluments versés au notaire, relatifs à la constitution de la société requérante et à l’acquisition du château et aurait également financé des travaux de rénovation du château réalisés par la société requérante. Une information fut donc ouverte le 5 juin 2002, notamment des chefs de blanchiment, abus de biens sociaux, banqueroute, à l’encontre, notamment, de R.P., promoteur immobilier de nationalité britannique, qui était président du conseil d’administration de la SA Château du Francport et gérant de la société requérante.
5. Le 27 août 2002, le juge d’instruction ordonna la saisie et le placement sous scellés du château. Le « procès-verbal de transport sur les lieux, de saisie et de placement sous scellés » mentionne les personnes mises en examen au visa notamment de l’article 324-9 du code pénal (paragraphe 15 ci-dessous) et se réfère également à l’article 92 du code de procédure pénale (« CPP ») (paragraphe 16 ci-dessous). Les extraits concernés sont ainsi rédigés :
« Mentionnons que notre transport sur les lieux a pour but de procéder à la saisie matérielle du château de Francport ; qu’en effet, la saisie dudit château apparaît d’une part, utile à la manifestation de la vérité, que de surcroît, l’origine des fonds ayant permis la réalisation des travaux, voire l’acquisition du château, font l’objet de la présente enquête et permette de penser, en l’état d’avancement de l’instruction, que lesdits fonds proviennent des délits d’abus de biens sociaux, de banqueroute et de blanchiment ; qu’en conséquence, la saisie du château s’avère indispensable à ce stade de l’instruction et ce afin notamment de préserver l’intégrité du château, d’une dissipation par changement de propriétaire de manière frauduleuse ;
(..)
Mentionnons que nous donnons pour instruction d’apposer des verrous sur l’ensemble des portes permettant l’accès au château, à l’exception de la porte principale et ce afin de préserver les lieux et que nous faisons apposer une bande Police autour de la totalité du château ;
(...)
Mentionnons que nous faisons placer sur la porte principale du château un verrou extérieur par le serrurier, verrou dont nous saisissons les clefs que nous plaçons sous scellé (...) »
6. Par une lettre du 5 novembre 2004, le conseil de R.P. signala au juge d’instruction que :
« (...) la situation du Château de Francport est dramatique. Il a été placé sous scellés judiciaires depuis deux ans alors que rien n’a été prévu pour sa protection. Selon les renseignements que j’ai obtenus, il est « squatté », n’est pas entretenu ni assuré, et peut dans ces conditions représenter un danger pour l’ordre public, un incendie ou un accident pouvant intervenir. Il subit en outre une importante dépréciation financière. »
Dans sa lettre du 11 février 2005, il ajouta que :
« (...) le château (...) serait habité périodiquement par des « squatters ». N’étant pas entretenu, il peut dans ces conditions représenter un danger pour l’ordre public (...). Même si j’ai conscience que le règlement de cette situation est conditionné par la régularisation de celle de [R.P.] sur le plan pénal, il me semble que des mesures doivent être prises pour protéger cet édifice, ou qu’à défaut son propriétaire soit autorisé à les faire prendre lui-même. »
Dans sa lettre du 28 mars 2006, le conseil de R.P. indiqua qu’aucune mesure n’avait été prise pour remédier à la situation décrite dans ses lettres précédentes et qu’il avait été informé récemment par une voisine des déprédations de plus en plus graves, appelant l’attention du juge d’instruction sur le fait que la responsabilité de l’État pourrait être engagée.
Enfin, selon une attestation établie en mai 2006, le maire de la commune avait également alerté les autorités compétentes de l’existence de pillages et de dégradations du château, ce qui était confirmé par des rapports adressés au tribunal par la gendarmerie.
7. Le 12 janvier 2006, le juge d’instruction rejeta la demande de restitution du château formée par la société requérante en décembre 2005, après avoir relevé que la confiscation était prévue à titre de peine complémentaire de l’infraction de blanchiment, conformément à l’article 324-9 du code pénal.
8. Le 26 juillet 2006, le juge d’instruction décida de la levée des scellés apposés sur le château, ce qui amena la société requérante à se désister de son appel contre l’ordonnance du 12 janvier 2006. Lors de la levée effective des scellés intervenue le 14 septembre 2006, un huissier de justice dressa un procès-verbal concernant l’état du château, constatant de nombreuses dégradations à l’extérieur comme à l’intérieur, dues notamment à l’humidité, à la fumée et à des actes de vandalisme.
9. Le 12 mars 2010, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu partiel (du chef de blanchiment) et de renvoi devant le tribunal correctionnel de Compiègne. Le 17 mai 2011, ce dernier relaxa tous les prévenus, dont R.P. poursuivi des chefs de banqueroute par détournement d’actifs ainsi que par tenue d’une compatibilité fictive et d’abus de biens sociaux.
10. Sur appel du procureur de la République, par un arrêt du 15 mars 2013, la cour d’appel d’Amiens déclara R.P., en sa qualité de président-directeur général de la SA Château du Francport, coupable de banqueroute par détournement d’actifs au préjudice de cette société ; selon la cour d’appel, l’élément intentionnel du délit résultait de l’extrême désinvolture dont R.P. avait fait montre en laissant facturer les travaux au nom de la société anonyme sans prendre la peine de s’assurer de leur affectation comptable aux apporteurs de fonds. De ce chef, R.P. fut condamné à trois mois de prison avec sursis ainsi qu’au paiement d’une amende de 5 000 euros (EUR) ; sa relaxe des chefs de banqueroute par tenue d’une compatibilité fictive et d’abus des biens sociaux fut confirmée.
11. Le 13 septembre 2010, la requérante engagea la responsabilité de l’État, sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, réclamant la réparation d’un préjudice évalué à 5 534 075,14 EUR, au motif que le service de la justice avait commis une faute lourde en raison d’un manque de protection du château durant la période de placement sous scellés.
12. Le 7 janvier 2015, le tribunal de grande instance de Paris rejeta la demande pour défaut de qualité à agir, en raison du caractère fictif de la requérante.
13. Par un arrêt du 3 mai 2016, la cour d’appel de Paris infirma ce jugement et débouta la requérante de ses demandes. Après avoir constaté que la requérante était propriétaire du château et avait donc intérêt à agir, celle-ci considéra notamment que :
« Ces dispositions [détaillées dans le procès-verbal du 27 août 2002] étaient de nature à assurer une sécurité suffisante du bâtiment constituant le château du Francport et il ne peut être retenu de dysfonctionnement du service public à ce stade. Il ressort en outre de ce procès-verbal que l’apposition des scellés n’a été effectuée que sur les portes du bâtiment principal et non pas sur l’accès au parc ni à la maison de gardien de sorte que la S.C.I. qui savait que la propriété n’était pas couverte par une assurance, pouvait prendre les mesures nécessaires en vue d’en faire assurer le gardiennage. (...) Néanmoins il ressort suffisamment des trois lettres adressées par le conseil de [R.P.] entre novembre 2004 et mars 2006 que le juge d’instruction a été informé des dégradations affectant le bâtiment sur lequel il avait fait apposer les scellés de sorte qu’il lui appartenait de prendre des dispositions pour faire assurer sa conservation (...). (...) il sera retenu qu’entre le 5 novembre 2004 et fin mars 2006, le service public de la justice n’a pas réagi aux signalements qu’il a reçus alors qu’il lui appartenant d’assurer la conservation du bâtiment sur lequel il avait fait apposer des scellés et qu’il avait donc rendu inaccessible à son propriétaire. (...) Il y a donc lieu de retenir que la responsabilité de l’État se trouve engagée par l’inertie du service public de la justice pendant la période susvisée. (...) Le préjudice indemnisable est celui qui est en relation directe avec la faute lourde retenue, c’est-à-dire les dégradations commises à l’intérieur du château entre novembre 2004 et début avril 2006. Or d’une part l’état intérieur du château au moment de l’apposition des scellés n’est que partiellement connu alors l’album photographique des gendarmes révèle des travaux inachevés ; d’autre part, il y a lieu de relever que des dégradations ont été commises entre juillet 2002 et novembre 2004 ainsi que le signalait la lettre du 5 novembre 2004 alors que l’inertie totale de la S.C.I. pendant cette période pour assurer la conservation de son patrimoine est avérée. S’agissant des dégradations ayant pu être commises entre novembre 2004 et début avril 2006, il convient de relever que la lettre du 11 février 2005 ne fait mention d’aucun élément précis, indiquant seulement au conditionnel que le château serait habité périodiquement par des squatters. La lettre du 28 mars 2006 indique qu’une voisine avait fait part de dégradations de plus en plus graves (...). Néanmoins le rédacteur de l’acte ne fait que rapporter les propos d’un tiers et ceux-ci ne peuvent donc être retenus comme constituant une preuve certaines des faits allégués. Ainsi [la requérante] ne rapporte pas la preuve du préjudice directement imputable au dysfonctionnement du service public de la justice et une expertise ne serait pas une mesure efficace alors que le château, selon les déclarations de l’appelante, a été remis en état. »
14. Par un arrêt du 12 juillet 2017, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par la requérante, au motif que le moyen de cassation invoqué à l’encontre de la décision attaquée n’était manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT
I. LE CODE PÉNAL (DISPOSITIONS applicableS au moment des faits)
15. L’article 324-9 dudit code était rédigé comme suit :
« Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 324-1 et 324-2 [blanchiment simple et aggravé]. Les peines encourues par les personnes morales sont :
1. L’amende, suivant les modalités prévues par l’article 131-38 ;
2. Les peines mentionnées à l’article 131-39 [dont la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit].
(...) »
II. LE Code de procÉdure pÉnale (DISPOSITIONS applicableS au moment des faits)
16. L’article 92 du CPP disposait ainsi :
« Le juge d’instruction peut se transporter sur les lieux pour y effectuer toutes constatations utiles ou procéder à des perquisitions. Il en donne avis au procureur de la République, qui a la faculté de l’accompagner.
Le juge d’instruction est toujours assisté d’un greffier.
Il dresse un procès-verbal de ses opérations. »
17. L’article 97 était libellé comme suit :
« Lorsqu’il y a lieu, en cours d’information, de rechercher des documents et sous réserve des nécessités de l’information et du respect, le cas échéant, de l’obligation stipulée par l’alinéa 3 de l’article précédent, le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire par lui commis a seul le droit d’en prendre connaissance avant de procéder à la saisie.
Tous les objets et documents placés sous main de justice sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés. Cependant, si leur inventaire sur place présente des difficultés, l’officier de police judiciaire procède comme il est dit au quatrième alinéa de l’article 56.
Avec l’accord du juge d’instruction, l’officier de police judiciaire ne maintient que la saisie des objets et documents utiles à la manifestation de la vérité.
(...) »
18. L’article 99 du CPP disposait ainsi :
« Au cours de l’information, le juge d’instruction est compétent pour décider de la restitution des objets placés sous main de justice.
Il statue, par ordonnance motivée, soit sur réquisitions du procureur de la République, soit, après avis de ce dernier, d’office ou sur requête de la personne mise en examen, de la partie civile ou de toute autre personne qui prétend avoir droit sur l’objet.
(...) »
III. LA LOI no 2010-768 du 9 Juillet 2010
20. Les travaux préparatoires de cette loi préconisaient (i) que le champ des biens susceptibles d’être saisis puis confisqués soit précisé et étendu au-delà des instruments et produits de l’infraction, (ii) que les procédure civiles d’exécution soient remplacées par une procédure pénale de saisie (les dispositions du code pénal étant jusqu’alors principalement conçues pour permettre l’appréhension matérielle de biens meubles corporels et peu adaptées aux saisies d’immeubles ou de meubles incorporels, ainsi qu’aux saisies n’impliquant pas dépossession), et (iii) que la gestion des biens saisis soit améliorée et que, pour pallier l’absence de politique d’ensemble de gestion, une agence de gestion des biens saisis soit créée et chargée de l’administration des biens, de leur gestion et de leur entretien (Rapport no 1689 par M. Guy Geoffroy, député à l’Assemblée nationale, fait au nom de la commission des lois, déposé le 20 mai 2009). Le rapporteur indiquait notamment ce qui suit :
« En cas d’ouverture d’une information judiciaire, l’article 94 du code dispose que les ‘perquisitions sont effectuées dans tous les lieux où peuvent se trouver des objets ou des données informatiques dont la découverte serait utile à la manifestation de la vérité » tandis que l’article 97 vise les seuls biens utiles à l’enquête (documents, données personnelles, etc.). L’article 81, alinéa 1er, quant à lui, prévoit que « le juge d’instruction procède à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité’. Il faut considérer que les biens susceptibles d’être saisis en application de ces dispositions sont, comme en matière d’enquête préliminaire et d’enquête de flagrance, les instruments et produits du crime.
De telles saisies ne constituent ainsi pas à proprement parler des saisies réalisées à des fins conservatoires mais davantage des actes utiles à la manifestation de la vérité.
(...)
Dans l’attente du procès pénal qui décidera soit de la confiscation soit de la restitution des biens saisis au cours de l’enquête, ceux-ci peuvent être conservés, aliénés, détruits ou restitués.
La question de la gestion des avoirs saisis tant qu’un jugement définitif ne s’est pas prononcé sur leur devenir est cruciale : par respect du principe de la présomption d’innocence, le propriétaire des biens, s’il est innocenté, doit pouvoir retrouver ceux-ci en bon état ou du moins leur équivalent monétaire à la date de la saisie, ce qui suppose que les biens ne se déprécient pas. Dans le cas où les biens seraient confisqués, il est de la même manière de l’intérêt de l’État, au bénéfice duquel s’effectue le transfert de propriété, que ces biens aient conservé toute leur valeur. Or force est de constater que du fait de l’absence de politique de gestion des biens saisis, ceux-ci se déprécient souvent rapidement.
Aujourd’hui, l’administration des biens saisis reste à la charge des parquets qui se trouvent confrontés à des contraintes nombreuses (difficultés de stockage dans les sous-sols des tribunaux, problèmes de conservation, suivi des mesures conservatoires ordonnées (...)
(...)
En matière immobilière, se pose la question de la sécurisation des immeubles saisis pour éviter les pillages et autres exactions qui pourraient dégrader ces biens. Or il ressort des auditions menées qu’aucune politique d’ensemble de gestion de ces biens n’est conduite, chaque saisie étant réglée au cas par cas par le magistrat instructeur, le cas échéant avec l’appui précieux de la PIAC [plateforme d’identification des avoirs d’origine criminelle]. »
21. Le nouvel article 706-143 du CPP, inchangé depuis 2010, est ainsi libellé :
« Jusqu’à la mainlevée de la saisie ou la confiscation du bien saisi, le propriétaire ou, à défaut, le détenteur du bien est responsable de son entretien et de sa conservation. Il en supporte la charge, à l’exception des frais qui peuvent être à la charge de l’État.
En cas de défaillance ou d’indisponibilité du propriétaire ou du détenteur du bien, et sous réserve des droits des tiers de bonne foi, le procureur de la République ou le juge d’instruction peuvent autoriser la remise à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués du bien saisi dont la vente par anticipation n’est pas envisagée afin que cette agence réalise, dans la limite du mandat qui lui est confié, tous les actes juridiques et matériels nécessaires à la conservation, l’entretien et la valorisation de ce bien.
(...) »
22. Le nouvel article 706-150 du CPP était rédigé comme suit :
« Au cours de (...) l’enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête du procureur de la République, peut autoriser par ordonnance motivée la saisie, aux frais avancés du Trésor, des immeubles dont la confiscation est prévue par l’article 131-21 du code pénal. Le juge d’instruction peut, au cours de l’information, ordonner cette saisie dans les mêmes conditions.
(...) »
23. Le nouvel article 706-158 du CPP disposait ainsi :
« Au cours (...) de l’enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête du procureur de la République, peut autoriser par ordonnance motivée la saisie, aux frais avancés du Trésor, des biens dont la confiscation est prévue par l’article 131-21 du code pénal sans en dessaisir le propriétaire ou le détenteur. Le juge d’instruction peut, au cours de l’information, ordonner cette saisie dans les mêmes conditions.
(...)
Le magistrat qui autorise la saisie sans dépossession désigne la personne à laquelle la garde du bien est confiée et qui doit en assurer l’entretien et la conservation, aux frais le cas échéant du propriétaire ou du détenteur du bien qui en est redevable conformément à l’article 706-143 du présent code.
En dehors des actes d’entretien et de conservation, le gardien du bien saisi ne peut en user que si la décision de saisie le prévoit expressément. »
24. Le 1er février 2011, la loi no 2010-768 a été accompagnée par le décret no 2011-134 relatif à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, dont la création a été prévue par ladite loi et qui vise à améliorer la gestion des avoirs saisis et confisqués par la justice.
IV. Le code de l’organisation judiciaire
25. L’article L. 141-1 dudit code dispose comme suit :
« L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.
Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. »
V. LE Code de Procédure civile
26. L’article 9 de ce code est ainsi rédigé :
« Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 du Protocole No 1
27. La requérante se plaint que sa demande en réparation a été rejetée, faute pour elle d’avoir rapporté une preuve du préjudice directement imputable à l’État, et ce alors qu’aucune mesure efficace de protection ou de conservation n’a été prise par les autorités internes responsables de l’entretien et de la conservation du château tout au long de la saisie de celui-ci. Elle invoque l’article 1 du Protocole no 1, qui est ainsi libellé :
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »
A. Sur la recevabilité
28. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, rappelant que la société requérante n’a demandé la restitution du château qu’en décembre 2005, soit plus de trois ans après le placement sous scellés. Il soutient également qu’elle a manqué de faire appel contre l’ordonnance du 12 janvier 2006 rejetant sa demande de restitution.
29. La société requérante estime que le Gouvernement n’a nullement démontré que des requêtes en restitution présentées plus tôt auraient pu être efficaces, et qu’on ne saurait lui reprocher de ne pas avoir multiplié des demandes. Elle soutient à cet égard que, étant donné le motif avancé par le tribunal pour lui refuser la restitution du château en janvier 2006, à savoir le fait que la confiscation était prévue à titre de peine complémentaire (voir paragraphe 7 ci-dessus), d’éventuelles demandes formulées à un stade moins avancé de l’information auraient été vaines.
Pour ce qui est de l’appel contre l’ordonnance de refus de restitution, la société requérante affirme, d’une part, que cet appel n’était pas susceptible de faire disparaître les dégradations matérielles déjà caractérisées et, d’autre part, qu’un tel appel a bien été interjeté mais qu’il est devenu sans objet du fait de la restitution du château quelques jours avant la date de l’audience (voir paragraphe 8 ci-dessus).
30. La Cour observe que la société requérante ne se plaint pas de la saisie du château en tant que telle, mais de sa dégradation durant la saisie et du refus des juridictions nationales de lui accorder une indemnisation à ce titre. Dans ces conditions, on ne saurait conclure qu’une demande de restitution du château, eût-elle été introduite avant décembre 2005, aurait été à même de prévenir ou de redresser les violations invoquées dans le cadre de la présente requête. Dès lors, la Cour rejette l’exception du Gouvernement.
31. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
1. Thèses des parties
a) La requérante
32. La société requérante soutient que les conditions de légalité, de légitimité du but visé et de proportionnalité de l’ingérence dans son droit de propriété n’ont pas été respectées.
33. Pour ce qui est du fondement légal de la saisie et du placement du château sous scellés, elle relève que l’ordonnance du 27 août 2002 ne précise pas en vertu de quelle disposition le juge d’instruction aurait été autorisé à déposséder de sa propriété une personne tierce à la procédure pénale. En effet, l’ordonnance se réfère uniquement à l’article 92 du code de procédure pénale (paragraphe 16 ci-dessus), qui vise exclusivement les transports sur les lieux pour y effectuer toutes constatations utiles ou procéder à des perquisitions, ainsi qu’aux dispositions du code pénal relatives à la peine de confiscation encourue par les personnes mises en examen, ce qui ne pouvait la concerner puisqu’elle n’a jamais été mise en cause. Par ailleurs, le château n’était pas l’objet, l’instrument ou le produit d’une infraction pénale, et la seule condamnation prononcée l’a été contre R.P. pour une infraction à la législation sur les sociétés (paragraphe 9 ci-dessus).
34. La société requérante soutient ensuite que si l’ordonnance du 27 août 2002 indiquait que la saisie était utile à la manifestation de la vérité, le juge d’instruction n’en a pas explicité les motifs et aucune investigation n’a été diligentée dans l’enceinte du bâtiment pendant toute la durée de la saisie. Pour ce qui est de l’objectif poursuivi par la saisie, à savoir la préservation de l’intégrité du château afin de garantir l’exécution effective d’une éventuelle peine de confiscation, la société requérante affirme qu’une saisie sans dépossession aurait parfaitement pu être envisagée, conformément à la pratique établie à cet égard avant même l’adoption de la loi no 2010-768.
35. Se référant à l’arrêt Tendam c. Espagne (no 25720/05, §§ 51-57, 13 juillet 2010), la société requérante soutient également qu’entre le 27 août 2002 et le 14 septembre 2006, il pesait incontestablement sur le service public de la justice une obligation de prendre les mesures nécessaires à la conservation du château, ce que la cour d’appel de Paris a du reste admis (paragraphe 12 ci-dessus). Or, aucun inventaire n’a été dressé lors de la saisie et aucune mesure de protection ou de conservation n’a été prise durant les quatre années suivantes. De plus, le service public de la justice n’a pas fait assurer le bâtiment, ce que la société requérante ne pouvait faire elle-même tant que le château n’était pas sécurisé ; il n’a pas non plus donné suite aux alertes de R.P. ni à ses propositions visant la mise en place des mesures nécessaires à ses propres frais (paragraphe 6 ci-dessus). La société requérante soutient enfin qu’aucune inertie fautive ne saurait lui être reprochée, d’autant plus que l’accès au château lui était interdit du fait de son placement sous scellés, qu’elle ne pouvait donc y avoir opéré la moindre constatation personnelle et qu’elle ignorait tout de son état avant d’être alertée par le voisinage.
36. Dès lors, la société requérante se dit convaincue qu’en lui demandant de rapporter la preuve d’un préjudice directement imputable à l’État et en lui refusant une juste réparation au titre de la non-conservation des biens saisis, la cour d’appel a fait peser sur elle une charge disproportionnée et excessive.
b) Le Gouvernement
37. Admettant que la société requérante a subi une ingérence dans son droit de propriété suite au placement sous scellés du château en question, le Gouvernement affirme que cette mesure a été ordonnée par le juge d’instruction en application de l’article 97 du CPP (paragraphe 17 ci-dessus). L’ordonnance était bien intitulée « procès-verbal de transport sur les lieux, de saisie et de placement sous scellés » et mentionnait notamment les faits pour lesquels les personnes impliquées étaient mises en examen, ainsi que l’article 324-9 du code pénal (paragraphe 15 ci-dessus) qui prévoyait la peine complémentaire de confiscation.
38. Selon le Gouvernement, cette ingérence poursuivait un but d’intérêt général, à savoir la lutte contre la délinquance financière, le château ayant été acquis pour la réalisation d’une infraction et étant, en cas de condamnation, voué à la peine de confiscation. Dans ce contexte, il rappelle que le gérant de la société requérante a été condamné à une peine de trois mois de prison avec sursis, ainsi qu’au paiement d’une amende de 5 000 EUR pour délit de banqueroute par détournement d’actifs (paragraphe 9 ci-dessus). En effet, la société requérante n’avait pas honoré le paiement du prix d’acquisition du château et elle avait fait procéder à d’importants travaux grâce au détournement de sommes provenant des revenus d’activité d’hôtellerie de la SA Château du Francport.
40. Le Gouvernement soutient ensuite que les autorités nationales ont pris toutes les mesures de conservation entre 2002 et 2004 (paragraphe 5 ci‑dessus), alors même que la société requérante n’avait rien entrepris pour assurer le gardiennage extérieur et n’avait fait part d’aucune difficulté au juge d’instruction. Il souligne également que si l’article 706-143 du CPP (paragraphe 20 ci-dessus) ne s’appliquait pas encore à l’époque des faits, il reflétait la pratique des juridictions internes en la matière. Dès lors, les autorités nationales ne sauraient être tenues responsables de la dégradation du château intervenue entre 2002 et 2004.
41. En revanche, le Gouvernement reconnaît que la cour d’appel de Paris a relevé l’absence de mesures de conservation prises entre 2004, date à laquelle le juge a été informé des actes de vandalisme, et 2006, date de la mainlevée des scellés, ce qui a conduit à la reconnaissance d’une faute lourde de l’État sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire (paragraphe 25 ci-dessus). Or il considère que, n’ayant pas rapporté la preuve du lien de causalité entre la faute lourde de l’État et le préjudice allégué, alors que la charge de la preuve pesait sur elle en application de l’article 9 du code de procédure civile (paragraphe 26 ci-dessus), la société requérante a été à juste titre déboutée de sa demande d’indemnisation.
2. Appréciation de la Cour
43. La Cour constate qu’en l’espèce, la saisie cherchait non pas à priver la société requérante de son bien de manière définitive, mais seulement à l’empêcher d’en user de façon temporaire ou de le dissiper par changement de propriétaire, dans l’attente de l’issue de la procédure pénale.
44. Pour ce qui est de la base légale, la Cour observe que le procès-verbal (paragraphe 5 ci‑dessus) se réfère notamment à l’article 92 du CPP, relatif au transport sur les lieux de la saisie, et non à l’article 97 invoqué par le Gouvernement (paragraphe 37 ci-dessus). Elle relève également que selon le rapport préparatoire à la loi no 2010-768 (paragraphe 20 ci-dessus), le droit français présentait des lacunes à l’époque des faits s’agissant des saisies immobilières prises à des fins conservatoires. En effet, les dispositions existantes étaient conçues principalement pour permettre l’appréhension matérielle de biens meubles corporels et étaient peu adaptées aux saisies d’immeubles ou de meubles incorporels, ainsi qu’aux saisies n’impliquant pas dépossession, l’article 97 ne visant que les biens utiles à l’enquête. Dans ce contexte, la société requérante a soutenu, sans que le Gouvernement le conteste, qu’en pratique les juridictions internes avaient eu recours à des saisies sans dépossession avant même l’adoption de la loi no 2010-768 (paragraphe 34 in fine ci-dessus).
45. Les parties ne s’accordent non plus sur la question de savoir si le château en question était ou non l’instrument de l’infraction pour laquelle R.P, le gérant de la requérante, a finalement été condamné, et si la saisie poursuivait effectivement le but de lutter contre le détournement d’actifs. La Cour note sur ce point que les poursuites de R.P. pour le délit de blanchiment se sont terminées par un non-lieu (paragraphe 9 ci-dessus) et que ce dernier n’a été condamné que pour le délit de détournement d’actifs dû à de la simple négligence de sa part et non pas à la mise en place de montages et d’opérations poursuivant un objectif frauduleux (paragraphe 10 ci-dessus). Cela permet de conclure que le château en question n’a pas été le produit d’une entreprise « criminelle » de grande envergure.
46. Dans ces conditions, la Cour reste dubitative quant à la légalité de l’ingérence litigeuse ainsi qu’à la légitimité du but poursuivi par celle-ci. Elle estime toutefois qu’il n’est pas nécessaire en l’espèce de trancher ces questions dès lors que cette ingérence méconnaît l’article 1 du Protocole no 1 pour d’autres raisons exposées ci-après.
47. La Cour rappelle qu’il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre le moyen employé et le but poursuivi par les mesures appliquées par l’État, y compris celles destinées à contrôler l’usage de la propriété individuelle. Cette exigence s’exprime dans la notion de « juste équilibre » à ménager entre les impératifs de l’intérêt général de la communauté d’une part et les exigences de la protection des droits fondamentaux de l’individu d’autre part (Smirnov c. Russie, précité, § 57). Par ailleurs, malgré le silence de l’article 1 du Protocole no 1 en matière d’exigences procédurales, les règles applicables en la matière doivent aussi offrir à la personne ayant subi une ingérence dans la jouissance de ses biens une occasion de faire valoir sa cause devant les autorités compétentes. Elle doit notamment avoir la possibilité de contester de manière effective les mesures portant atteinte aux droits garantis par l’article 1 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, Tendam, précité, § 49).
48. La Cour rappelle en outre que c’est aux autorités qu’il incombait en l’espèce de prendre les mesures raisonnables et nécessaires à la protection et à la conservation en bon état du bien en question et de dresser un inventaire de celui-ci au moment de la saisie ainsi que lors de sa restitution, comme l’exige sa jurisprudence citée au paragraphe 42 ci-dessus. Or, il n’est pas contesté en l’occurrence que le château a subi, pendant la période de la saisie et de placement sous scellés, d’importantes dégradations allant manifestement au-delà des altérations inévitables dues à l’usure ou à des événements imprévisibles (paragraphe 8 in fine ci-dessus). Il semblerait en outre qu’un inventaire complet de l’état du bien n’ait pas été effectué au moment de sa saisie puisque, selon la cour d’appel de Paris, l’intérieur du château au moment de l’apposition des scellés n’était que partiellement connu.
49. La Cour relève également que, selon la cour d’appel, il appartenait au service public de la justice d’assurer la conservation du bâtiment sur lequel il avait fait apposer des scellés et qu’il avait donc rendu inaccessible à la société requérante. Malgré ce constat, la cour d’appel a néanmoins reproché à cette dernière de ne pas avoir assuré le gardiennage du château entre août 2002 et novembre 2004 et n’a retenu aucune responsabilité de l’État pendant cette période. Sur ce point, la Cour observe pourtant que l’article 706-143 du CPP, selon lequel le propriétaire est responsable, à sa charge, de l’entretien et de la conservation du bien saisi jusqu’à la mainlevée, n’a été introduit dans le CPP qu’en juillet 2010, soit plusieurs années après la restitution du château à la requérante. Bien que le Gouvernement ait indiqué que cette disposition traduisait la pratique judiciaire telle qu’elle existait avant cet amendement (paragraphe 40 ci-dessus), aucun exemple d’une telle pratique n’a été fourni à la Cour. Le rapport préparatoire à la réforme législative intervenue ultérieurement reconnaît d’ailleurs expressément qu’aucune politique d’ensemble de gestion de ces biens n’était conduite jusqu’alors, que la sécurisation des biens saisis était problématique et que l’administration de ces biens restait à la charge des parquets (paragraphe 20 ci-dessus).
50. Puis, en ce qui concerne les dégradations ayant pu être commises entre novembre 2004 et avril 2006, la cour d’appel de Paris a admis que celles-ci ont été signalées par la requérante au juge d’instruction et a constaté qu’il y avait eu une inertie fautive du service public de la justice pendant cette période, qui trouve son origine dans l’absence de réaction du juge d’instruction, ce qui a engagé la responsabilité de l’État. La cour d’appel a cependant débouté la société requérante de sa demande en réparation, au motif que ses lettres d’avertissement ne mentionnaient aucun élément précis et n’auraient donc pas apporté une preuve certaine du préjudice directement imputable au dysfonctionnement du service public de la justice (paragraphe 13 ci-dessus).
51. La Cour estime néanmoins que l’absence d’un inventaire complet effectué au moment de la pose des scellés ainsi que l’absence totale de suite donnée aux différentes alertes de la part de la société requérante, qui restait privée d’accès au château pendant toute la durée de la saisie, ont fait obstacle à ce que celle-ci puisse établir un lien de causalité entre le dysfonctionnement du service public de la justice constaté et le préjudice subi.
52. De l’avis de la Cour, la charge de la preuve concernant les dégradations du bien saisi incombait donc au service public de la justice, responsable de la conservation des biens pendant toute la période de la saisie et du placement sous scellés (voir, mutatis mutandis, Tendam, précité, § 54), et non à la société requérante, qui s’est vu ainsi imposer « une preuve impossible », ce qui constitue une charge excessive incompatible avec le respect de l’article 1 du Protocole no 1.
53. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que les juridictions internes, qui ont examiné la demande de la société requérante, n’ont ni tenu compte de la responsabilité du service public de la justice ni permis à la société requérante d’obtenir réparation pour le préjudice résultant de la conservation défectueuse du bien saisi (voir, mutatis mutandis, Tendam, précité, § 55).
54. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
56. Le Gouvernement affirme que la société requérante a manqué de soulever ce grief, et ce même en substance, devant la Cour de cassation. La société requérante le conteste, soutenant qu’elle avait dans son pourvoi expressément critiqué la motivation retenue par la cour d’appel de Paris et le fait que celle-ci avait exigé une preuve impossible à rapporter.
57. Quant au fond, la société requérante affirme que, contrairement aux allégations du Gouvernement, l’agent judiciaire de l’État avait conclu devant la cour d’appel de Paris à l’absence de faute imputable à l’État, ainsi qu’à l’absence de tout lien de causalité entre la pose des scellés et le préjudice invoqué, mais ne lui avait pas reproché de ne pas avoir rapporté la preuve de la faute de l’État. Pour sa part, le Gouvernement relève que, dans ses conclusions produites devant la cour d’appel de Paris, l’agent judiciaire a défendu l’absence de lien de causalité direct et certain entre la pose des scellés et le préjudice subi par la requérante. En outre, en application de l’article 9 du code de procédure civile, il soutient qu’il appartenait à la société requérante de rapporteur la preuve d’une faute lourde, d’un préjudice direct et d’un lien de causalité entre les deux.
58. Dans les circonstances de la présente affaire, la Cour estime que la violation d’ordre procédural dont la société requérante estime avoir été victime a été suffisamment prise en compte dans le raisonnement par lequel elle a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphe 51 ci-dessus). Dès lors, elle estime qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner la recevabilité et le bien-fondé de ce grief (voir, mutatis mutandis, D c. Bulgarie, no 29447/17, § 139, 20 juillet 2021).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
59. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
A. Dommage
60. La société requérante estime qu’elle doit être placée dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si la violation invoquée ne s’était pas produite. Elle demande de se voir allouer la somme de 5 534 75,14 EUR au titre du dommage matériel, qui correspondrait au coût de la remise en l’état du Château du Francport effectuée après la levée des scellés. Elle soumet à l’appui de sa demande un compte définitif réalisé par un expert-comptable sur la base d’environ 150 factures.
Au titre du préjudice moral, elle demande une somme de 20 000 EUR pour une atteinte grave à sa réputation et le désarroi éprouvé lors de la restitution du château dévasté.
61. En ce qui concerne le dommage matériel, le Gouvernement estime d’abord que, comme l’ont relevé les juridictions internes, la requérante n’a pas apporté la preuve de l’imputabilité du préjudice allégué à l’État. Il précise ensuite que seuls les travaux effectués avant le placement sous scellés et ayant dû être effectués de nouveau pourraient donner à une indemnisation.
Quant au dommage moral, le Gouvernement soutient que la somme demandée est excessive et injustifiée et que l’indemnisation accordée à ce titre ne devrait pas excéder 1 000 EUR.
62. Dans les circonstances de la cause, la Cour juge que la question de l’application de l’article 41 de la Convention en ce qui concerne les dommages matériel et moral ne se trouve pas en état. Par conséquent, il y a lieu de la réserver et de fixer la suite de la procédure en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’État défendeur et la requérante (article 75 § 1 du règlement). Pour ce faire, la Cour accorde aux parties un délai de six mois.
B. Frais et dépens
63. La société requérante demande également 4 800 EUR TTC pour les frais et dépens exposés devant les juridictions internes et 19 100 EUR TTC pour les frais de sa représentation devant la Cour.
64. Pour ce qui est des frais qui pourraient être accordés à la requérante, le Gouvernement estime qu’ils ne devraient pas excéder 14 900 EUR.
65. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu de la nature des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer à la société requérante la somme de 19 000 EUR pour les frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure interne et devant la Cour, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.
C. Intérêts moratoires
66. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare le grief tiré de l’article 1er du Protocole no 1 recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité et le fond du grief formulé sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit qu’en ce qui concerne la somme à octroyer à la société requérante pour tout dommage matériel ou moral résultant de la violation constatée, la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ; en conséquence,
a) la réserve en entier ;
b) invite le Gouvernement et la société requérante à lui soumettre par écrit, dans les six mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur la question et, en particulier, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;
c) réserve la procédure ultérieure et délègue à la présidente de la Section le soin de la fixer au besoin ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser à la société requérante, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 19 000 EUR (dix-neuf mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par la société requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 juillet 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Victor Soloveytchik Síofra O’Leary
Greffier Présidente