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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> R v. FRANCE - 49857/20 (Judgment : Article 3 - Prohibition of torture : Fifth Section) French Text [2022] ECHR 637 (30 August 2022) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2022/637.html Cite as: [2022] ECHR 637, CE:ECHR:2022:0830JUD004985720, ECLI:CE:ECHR:2022:0830JUD004985720 |
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CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE R c. FRANCE
(Requête no 49857/20)
ARRÊT
Art 3 • Expulsion d’un ressortissant russe d’origine tchétchène vers la Russie ayant conservé la qualité de réfugié en France, en dépit de la révocation de son statut • Arrêté d’expulsion ne faisant aucune mention expresse de la conservation de sa qualité de réfugié • Tribunal administratif ayant rejeté le référé suspension, la veille de l’éloignement effectif, sans indiquer expressément les motifs • Impossible contrôle de savoir si l’analyse des risques a été effectuée en temps utile • Évaluation approfondie de la situation du requérant par le tribunal administratif après son expulsion ne saurant remédier aux insuffisances de l’analyse des risques
STRASBOURG
30 août 2022
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire R c. France,
La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :
Síofra O’Leary, présidente,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Arnfinn Bårdsen,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková,
Mykola Gnatovskyy, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,
Vu :
la requête (no 49857/20) dirigée contre la République française et dont un ressortissant russe, M. R a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 11 mai 2021,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») les griefs concernant les articles 2, 3 et 8 de la Convention,
la décision de ne pas communiquer la présente requête à la Fédération de Russie eu égard aux conclusions de la Cour dans l’affaire I c. Suède (no 61204/09, §§ 40‑46, 5 septembre 2013),
la décision de ne pas dévoiler l’identité du requérant (article 47 § 4 du règlement de la Cour),
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 juillet 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La requête concerne l’expulsion du requérant, ressortissant russe d’origine tchétchène, mise à exécution vers la Russie alors qu’il avait conservé la qualité de réfugié. Invoquant l’article 2 de la Convention, le requérant fait valoir qu’au moment de son expulsion il existait des risques qu’il fasse l’objet d’une disparition forcée en Russie. Sous l’angle de l’article 3 de la Convention, il soutient qu’il avait invoqué des risques de subir des actes de torture et de traitements inhumains et dégradants, qui n’ont pas correctement été appréciés par les autorités françaises, et allègue que ses craintes se sont confirmées depuis son arrivée en Russie. Soulevant l’article 8 de la Convention, il fait valoir que son expulsion a porté atteinte à sa vie privée et familiale notamment au motif que sa conjointe, de nationalité russe et réfugiée, ainsi que leurs enfants mineurs, résident en France.
2. Le requérant est né en 1988 à Grozny. Il a été représenté par Me F. Zind, avocat.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des Affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
I. Les faits SURVENUS en France
4. Monsieur R est un ressortissant russe d’origine tchétchène. Il aurait quitté la Russie avec sa mère et son frère en 2002. Il est entré sur le territoire français en 2004.
5. À leur arrivée, sa mère se vit accorder le statut de réfugié par une décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (ci-après OFPRA). Le requérant, qui était mineur, fut alors placé sous la protection de cet office en vertu du principe de l’unité de famille. Son père, arrivé quatre années plus tard sur le territoire français, obtint également le statut de réfugié par décision de l’OFPRA.
6. Il ressort des récits fournis par les parents du requérant à l’OFPRA que le père de l’intéressé, peintre, a notamment, lorsqu’il vivait en Russie, réalisé des bannières lors de manifestations et s’est engagé contre les troupes russes lors de la première guerre de Tchétchénie. Il fut arrêté en janvier 1996 et subit des tortures telles que les doigts de ses deux mains durent être amputés. Il travailla quelques mois au gouvernement de la République de Tchétchénie entre les deux guerres, au sein du comité des droits de l’homme. En janvier 2004, il fut enlevé puis interrogé sous la torture par des personnes qui souhaitaient connaître les modalités de sa participation durant la guerre. Ayant fui, il arriva en France. Quant à la mère du requérant, elle travailla dans une colonie de redressement par le travail auprès du ministère de la sécurité nationale entre les deux guerres. Elle fut menacée de mort au motif que les femmes musulmanes n’avaient pas le droit de travailler. Son frère fut torturé et tué par des « fédéraux ». Sa famille fut poursuivie par ces derniers qui forcèrent son fils à dire où ses parents travaillaient. Elle fuit puis arriva en France. Les deux parents font état du décès de leur fille, en bas-âge, en décembre 1999 lors de bombardements, alors qu’elle était seule avec son frère R.
7. En 2008, M. R se fit délivrer un passeport par les autorités russes.
8. Par la suite, alors qu’il était majeur, il sollicita le maintien de la protection de réfugié auprès des autorités françaises, ce qui lui fut accordé par décision de l’OFPRA en 2009. La Cour nationale du droit d’asile (ci-après CNDA) précisa ultérieurement que ce maintien avait été effectué sur le fondement des dispositions du 2 du A de l’article 1er de la Convention de Genève.
9. Le requérant eut deux enfants, nés en 2013 et 2019, avec une ressortissante russe, laquelle est entrée en France en 2011, selon lui, et bénéficie depuis 2012 du statut de réfugié par décision de l’OFPRA. Il affirme être en concubinage avec cette dernière depuis 2014.
10. Le requérant fut condamné à deux reprises en 2014 par le tribunal correctionnel, d’une part, à une peine de trois mois d’emprisonnement avec sursis pour des faits de menace de crime ou délit sur personne dépositaire de l’autorité publique, outrage ou rébellion, et, d’autre part, à une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis pour des faits de vol en réunion.
11. À la fin de l’année 2015, son domicile fit l’objet d’une perquisition administrative dans le cadre de l’état d’urgence instauré en France après les attentats du 13 novembre 2015. À cette occasion, des éléments en lien avec l’organisation terroriste Daesh furent trouvés à son domicile.
12. Peu après, le requérant fit l’objet d’un arrêté portant assignation à résidence, également pris dans le cadre de l’état d’urgence, aux motifs qu’il était l’administrateur d’un site internet pro-djihad et qu’il avait manifesté l’intention de rallier la Syrie, afin de rejoindre un groupe de combattants de Daesh.
13. Il fut interpellé par la suite et placé en garde-à-vue. Au cours de celle-ci, il admit être l’auteur de deux vidéos, l’une sur laquelle il proférait des menaces de mort à l’encontre de policiers, qu’il indiqua avoir publiée sur Internet, et l’autre dans laquelle il prêtait allégeance à l’État islamique avec l’intention de la transmettre à un membre de cette organisation, dans la perspective de rallier ses rangs en Tchétchénie.
14. Placé en détention provisoire à la suite de cette garde à vue, le requérant fut condamné par le tribunal correctionnel au début de l’année 2017 pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte terroriste à une peine de six ans d’emprisonnement et à une interdiction définitive du territoire français.
15. Les extraits de cette décision, issus d’une note de renseignements élaborée par les autorités françaises, rendent compte :
« de la personnalité complexe et fragile de [R], de la nature particulière des faits, de sa dangerosité potentielle, en partie liée à son histoire personnelle et sa fascination pour le djihad combattant, de ses antécédents judiciaires, des risques persistants de passage à l’acte si l’on s’en tient à ses fréquentations en maison d’arrêt, sa responsabilité éludée tout au long de la procédure et lors de l’audience qui traduit une absence totale de réelle remise en cause ».
16. Selon cette note, le jugement s’appuie particulièrement sur :
« la révélation des deux vidéos réalisées par [R] qui dépassent le cadre d’une simple adhésion idéologique, voire une forme de fascination virtuelle pour l’État islamique. Elles manifestent surtout clairement les prémisses d’un engagement réel et des velléités d’action particulièrement inquiétantes. On se rappellera d’une part des propos appelant aux meurtres de policiers échangés avec un tiers sur un forum de discussion à l’occasion du premier film mis en ligne [en] 2015. On retiendra surtout la signification particulière de la vidéo d’allégeance prêtée par l’intéressé à l’organisation État islamique, précise, méthodique, solennelle et dépourvue d’ambiguïté, et qu’il aurait enregistré[e] fin novembre 2015.
(...)
Pour tenir compte de sa dangerosité potentielle et du fait qu’il a failli gravement à ses obligations de réfugié politique, trahissant son pays d’accueil dont manifestement il ne partage pas les valeurs républicaines et démocratiques, il sera également condamné à une interdiction définitive du territoire français, mesure indispensable pour prévenir le renouvellement toujours possible des faits malgré la particularité de sa situation familiale avec un enfant né en France ».
17. Ce jugement fut confirmé en appel le 16 janvier 2018, la cour d’appel ajoutant que la peine d’emprisonnement serait assortie d’une peine de sûreté des deux tiers. Cette cour retint que :
« la nature des faits, leur gravité et les éléments de personnalité recueillis sur le prévenu rendent nécessaire le prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme afin de sanctionner de façon appropriée le délit commis à l’exclusion de toute autre sanction qui serait manifestement inadéquate dès lors que [R] a intégré une organisation terroriste particulièrement active et dangereuse [...] ; que s’il est indéniable que [R] a subi, dans son enfance, un traumatisme extrêmement grave, les experts qui l’ont examiné n’ont pas noté de pathologie mentale même s’il est relevé qu’il souffre d’un syndrome post-traumatique.
Cet état psychologique ne saurait diminuer la responsabilité de [R] et la gravité intrinsèque des faits qui lui sont reprochés. Il convient de prendre en considération le comportement de [R] en détention démontrant qu’il ne semble pas avoir évolué puisqu’il a en utilisant un téléphone portable illégalement pris contact avec un individu connu des services de renseignement et a sollicité de partager sa cellule avec un détenu auquel il est reproché des faits d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
[...]
La cour confirmera l’interdiction définitive du territoire français prononcée considérant en l’espèce que cette peine ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit [a]u respect de la vie privée et familiale de [R] et n’est pas contraire aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à la Convention internationale des droits de l’enfant eu égard au fait qu’il est poursuivi pour des faits d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ; qu’ainsi la gravité des faits sanctionnés rend l’ingérence de l’autorité publique dans l’exercice de ce droit nécessaire à la défense de l’ordre public, de la sécurité publique, à la prévention des infractions pénales ; que la gravité de ces faits ainsi que le fait que [R] a trahi la confiance que la France, pays d’accueil, avait placée en lui en lui accordant le statut de réfugié politique, statut qui n’exclut d’ailleurs pas le prononcé d’une telle interdiction, justifie son prononcé et ce d’autant que le parcours de [R] en détention ne démontre pas d’évolution dans ses convictions ou dans sa volonté d’insertion. »
18. La Cour de cassation rejeta le pourvoi en cassation formé à l’encontre de cet arrêt le 19 février 2019.
19. Au début de l’année 2017, le tribunal correctionnel condamna le requérant à une peine de trois mois d’emprisonnement pour recel de bien provenant d’un délit puni d’une peine n’excédant pas cinq ans d’emprisonnement, faits s’étant produits alors que l’intéressé était en détention.
20. Le 20 février 2017, l’OFPRA, estimant que la présence du requérant en France constituait une menace grave pour la sûreté de l’État, mit fin à son statut de réfugié en application des dispositions du 1o de l’article L. 711-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (ci-après CESEDA). Cette décision fut confirmée le 8 janvier 2019 par la CNDA. Le 30 septembre 2019, le Conseil d’État n’admit pas le pourvoi en cassation du requérant.
21. Par la suite, la commission administrative d’expulsion, qui se réunit à la demande de l’autorité administrative et rend un avis sur l’expulsion (L. 522-1 CESEDA dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce), émit un avis favorable à l’expulsion du requérant, à la fin de l’année 2019, retenant notamment que :
« [si R] affirme devant la commission avoir pris ses distances avec le fondamentalisme islamique et l’islam politique, son ancrage ancien et caractérisé dans une croyance et une pratique militante, son rapprochement spontané en détention avec diverses personnes condamnées ou mises en cause pour infractions en lien avec le terrorisme, ne permettent pas d’écarter une adhésion persistante à l’idéologie islamiste. »
22. À cette même période, la cousine de la mère du requérant, résidant en Russie, rédigea une attestation faisant état de ce que des individus en civil, russophones, l’avaient interrogée sur la situation du requérant.
23. À la suite de l’avis de la commission d’expulsion, au mois de février 2020, le requérant fit l’objet d’un arrêté préfectoral d’expulsion puis, au mois de mars 2020, d’un arrêté préfectoral fixant la Russie comme pays à destination duquel il pourra être reconduit, ce dernier arrêté précisant que :
« l’OFPRA a mis fin au statut de réfugié de M. [R], [...] décision [...] confirmée par la CNDA [...] ;
[...] M. [R] a été mis à même de présenter ses observations devant la commission d’expulsion ; que même si l’intéressé a déclaré être en danger dans son pays d’origine, il n’en a apporté aucune justification ni aucune précision ; qu’il est arrivé en France en 2004 alors qu’il était encore mineur ; qu’il a été placé sous la protection de l’OFPRA au titre du principe de l’unité de famille [en] 2004 ; qu’à sa majorité, il a sollicité l’asile en France [en] 2009 ; qu’il s’est vu, [en] 2009, maintenu dans son statut de réfugié ; qu’un passeport russe lui a été délivré par la mairie de Grozny en Russie [en] 2008, soit postérieurement à son arrivée en France, et alors même qu’il était à ce moment sous le statut de réfugié en France ; qu’il n’est donc pas établi qu’il serait exposé à un risque personnel, réel et sérieux de subir des peines ou traitements contraires à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en cas de retour dans son pays d’origine ».
24. Au mois de juin 2020, la mère du requérant rédigea une attestation mentionnant que sa sœur, sa belle-sœur et son neveu l’avaient informée que le service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (ci-après FSB) s’intéressait à son fils.
25. Par deux requêtes en référé suspension, le requérant sollicita auprès du tribunal administratif la suspension de l’exécution de la décision d’expulsion ainsi que la suspension de la décision fixant la Russie comme pays de destination.
26. Par deux ordonnances du 12 novembre 2020, le tribunal administratif, après audience publique, rejeta ces requêtes en référé, considérant qu’aucun des moyens soulevés par M. R contre les décisions prononçant son expulsion et fixant la Russie comme pays de destination n’était propre à créer un doute sérieux sur la légalité de ces décisions.
27. Le vendredi 13 novembre 2020, l’avocat du requérant saisit la Cour, par fax, d’une demande de mesure provisoire tendant à la suspension de l’éloignement du requérant vers la Fédération de Russie. Cette demande parvint au greffe de la Cour à 17 h 24 et seules quatre pages, sur les quarante‑cinq que comportait l’envoi, furent réceptionnées. À cette même date, le greffe de la Cour informa l’avocat du requérant que la Cour n’était pas en mesure d’examiner la demande en raison de l’heure tardive à laquelle elle l’avait reçue et du caractère incomplet de sa demande. Ce même jour, le requérant fut éloigné à destination de la Fédération de Russie.
28. Dans un courrier du 16 novembre 2020, l’avocat du requérant saisit de nouveau la Cour d’une demande de mesure provisoire en mentionnant que son client avait été expulsé vers la Fédération de Russie. La Cour lui indiqua qu’en raison de cet évènement elle ne pouvait plus utilement accueillir sa demande, celle-ci étant dirigée contre la France, et la considéra comme tardive.
II. les faits postérieurs au renvoi en russie
29. Selon un document présenté comme un rapport du centre de lutte contre l’extrémisme rattaché au ministère de l’intérieur de la Tchétchénie en date du 12 novembre 2020, fourni par le requérant postérieurement à son expulsion, ce dernier se serait rendu en Syrie au cours de l’année 2014 afin de rejoindre un groupe armé combattant les autorités syriennes, contre les intérêts de la Fédération de Russie, faits réprimés par la deuxième partie de l’article 208 du code pénal de la Fédération de Russie. Il aurait été placé en détention quelques jours après son arrivée en Russie en novembre 2020.
30. Par deux décisions du mois de février 2021, le tribunal administratif rejeta les recours en annulation introduits contre l’arrêté d’expulsion et la décision fixant la Russie comme pays de destination. Concernant les moyens soulevés par M. R sur le fondement des articles 2 et 3 de la Convention, le tribunal considéra que :
« En l’espèce, le requérant fait valoir qu’il a la qualité de réfugié en France et qu’eu égard à sa conception de l’islam, en cas de retour en Russie, il est susceptible de perdre la vie et court des risques de traitements inhumains et dégradants. Toutefois, la Russie est partie à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et s’est ainsi engagée à respecter les stipulations de cette convention. Aussi, il appartient au requérant d’apporter un faisceau d’indices suffisant permettant de démontrer que les autorités russes, en violation des engagements internationaux pris, risquent de porter atteinte à sa vie ou de lui faire subir des traitements inhumains et dégradants. En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le requérant était mineur lorsqu’il est entré en France, qu’il a obtenu le statut de réfugié, non en raison de risques qu’il courait personnellement dans son pays d’origine, mais simplement en qualité d’enfant mineur d’un réfugié. Par ailleurs, il n’est pas contesté que le requérant a obtenu en 2008 à Grozny (Russie), alors qu’il était majeur, un passeport des autorités russes et qu’il s’est ainsi librement et volontairement placé sous l’autorité du pays dont il a la nationalité. Il n’a d’ailleurs pas informé l’Office français de protection des réfugiés et apatrides de cette démarche lorsqu’il a présenté, en tant que majeur, une demande tendant à obtenir le statut de réfugié en 2009. En se bornant à produire des rapports à caractère général sur la situation en Tchétchénie, sans lien avec sa situation individuelle, il n’apporte pas d’éléments suffisamment probants de nature à établir qu’il courrait personnellement des risques pour sa vie ou des risques de mauvais traitements, en cas de retour dans son pays d’origine, en raison notamment de sa conception de la religion. Les attestations produites de certains membres de sa famille résidant encore en Tchétchénie, eu égard à leurs termes, sont insuffisantes pour justifier des risques allégués. Enfin, la légalité d’une décision s’appréciant à la date à laquelle elle est adoptée, le requérant ne peut utilement se prévaloir de faits postérieurs à cette décision. En tout état de cause, les pièces produites concernant la situation de l’intéressé, postérieurement à l’exécution de la décision en litige, sont insuffisantes pour établir les risques invoqués. Il s’ensuit que, dans les circonstances de l’espèce, au vu des éléments produits, le requérant n’est pas fondé à soutenir que la décision attaquée a été prise en méconnaissance des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. »
31. Concernant le moyen soulevé par le requérant au regard des dispositions de l’article 8 de la Convention, le tribunal considéra que :
« Le requérant fait valoir qu’il vit en France depuis un grand nombre d’années, que ses parents, son épouse et ses enfants résident régulièrement sur le territoire français et bénéficient du statut de réfugié. Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, eu égard à la nature et la gravité des actes commis par le requérant et à la menace qu’il représente, la mesure d’expulsion prise à son encontre n’a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts de défense de l’ordre public en vue desquels cette mesure a été prise. Au demeurant, le requérant n’est pas dépourvu de toute attache dans son pays d’origine où résident notamment des tantes et des cousins avec lesquels il a conservé des liens, certains d’entre eux ayant produit des attestations dans le cadre de la présente procédure. Il s’ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut pas être accueilli ».
32. À la suite d’une visite en détention en mai 2021, l’avocat du requérant en Russie transmit au représentant de ce dernier dans la présente procédure deux témoignages rédigés par M. R. Son avocat devant la Cour précise que son confrère prit de grands risques en transmettant ces pièces.
33. Dans le premier témoignage daté de janvier 2021, le requérant explique avoir été enlevé, à son arrivée à Moscou, par des inconnus se présentant comme des officiers du FSB, lesquels l’ont emmené en Tchétchénie, sur une base militaire. Il décrit des conditions de vie qu’il qualifie d’inhumaines. Il indique avoir été torturé avec des décharges électriques dans l’optique de lui extorquer des aveux d’appartenance à l’organisation terroriste ISIS et de participation au conflit syrien. Il mentionne des murs éclaboussés de sang et des menaces de mort et de torture à son encontre et à l’encontre de sa famille. Il indique avoir été obligé de signer des documents alors qu’il n’en était pas capable. Il soutient avoir été remis à un enquêteur de la direction de l’administration russe du MIA pour la ville de Grozny, en précisant qu’il s’agit du département de police no 2 du district Oktyabrsky de Grozny. Il fait valoir avoir dû renoncer à l’avocat de son choix et avoir voulu refuser, en vain, un avocat qui lui était imposé et qui avait travaillé comme employé de ce département de police auparavant. Il souligne enfin que les poursuites ont été initiées en Russie la veille de son éloignement de la France pour un crime qu’il n’a pas commis.
34. Dans le second témoignage daté de mai 2021, le requérant atteste de différents faits. Il indique notamment les conditions de son expulsion : il a été transféré de sa cellule vers l’aéroport de Paris dans la nuit, l’autorisation de téléphoner lui a été refusée, il n’a pu le faire qu’une fois dans l’avion ; arrivé en Russie, il a été accueilli par le FSB qui a mis un sac sur sa tête, ils ont roulé jusqu’à une base militaire russe où il a subi des actes de torture dans le but de lui extorquer des aveux de participation à la guerre en Syrie ; il indique avoir refusé de signer. Il décrit avoir été torturé à l’électricité, avoir été frappé, avoir entendu qu’il devait être tué car il ne voulait pas signer. Il mentionne que des personnes lui ont indiqué que s’il ne signait pas sa famille allait être tuée. Il décrit des menaces de torture avec le pied d’une chaise en bois. Il ajoute avoir finalement signé et être en prison en Tchétchénie, y être frappé, recevoir presque quotidiennement des menaces de mort. Il clame son innocence et dit ne raconter qu’une partie de ce qui se passe, n’ayant plus de mots pour décrire le reste.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
I. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES
A. Le droit interne relatif à la décision prise sur une demande d’asile par l’OFPRA
35. L’article L. 723-3-1 du CESEDA, dans sa version applicable à la date du maintien du statut de réfugié du requérant, dispose que :
« L’office notifie par écrit sa décision au demandeur d’asile. Toute décision de rejet est motivée en fait et en droit [...]. »
B. Le droit interne relatif à la révocation du statut de réfugié sur le fondement de l’article L. 711‑6 du CESEDA
1. Les textes
36. L’article L. 711-6 du CESEDA, dans sa version applicable au moment des faits, dispose que :
« Le statut de réfugié peut être refusé ou il peut être mis fin à ce statut lorsque :
1o Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l’Etat ; [...] »
2. La jurisprudence interne relative aux incidences de la révocation du statut de réfugié
37. Il est renvoyé à l’arrêt K.I. c. France (no 5560/19, §§ 61-62, 15 avril 2021) concernant la jurisprudence du Conseil d’État relative à la révocation du statut de réfugié rendue jusqu’au 19 juin 2020.
38. Dans un arrêt du 9 novembre 2021 (no 439891), le Conseil d’État a précisé l’office de la CNDA quant à la vérification de la qualité de réfugié d’un requérant dans le cadre d’un refus ou d’une fin de statut :
« Dès lors que la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d’y mettre fin, en application de l’article L. 711-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est sans incidence sur le fait que l’intéressé a ou conserve la qualité de réfugié, il n’appartient pas à la Cour nationale du droit d’asile, lorsqu’elle est seulement saisie d’un recours dirigé contre une décision mettant fin au statut de réfugié prise sur le fondement dudit article L. 711-6 sans que l’OFPRA ne remette en cause devant elle la qualité de réfugié de l’intéressé, de vérifier d’office que ce dernier remplit les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il en va autrement lorsque, dans le cadre d’un recours dirigé contre la décision mettant fin au statut de réfugié d’un demandeur d’asile, la cour est saisie par l’OFPRA, en cours d’instance, de conclusions visant à ce que soit remise en cause la qualité de réfugié de l’intéressé. »
39. Dans un arrêt du 28 mars 2022 (no 450618), le Conseil d’État a par ailleurs précisé le contrôle attendu de l’administration sur la situation d’un étranger ayant conservé la qualité de réfugié et faisant l’objet d’une mesure d’éloignement :
« Il appartient à l’étranger qui conteste son éloignement de démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Toutefois, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 15 avril 2021 de la Cour européenne des droits de l’homme K.I. contre France (no 5560/19), le fait que la personne ait la qualité de réfugié est un élément qui doit être particulièrement pris en compte par les autorités. Dès lors, la personne à qui le statut de réfugié a été retiré, mais qui a conservé la qualité de réfugié, ne peut être éloignée que si l’administration, au terme d’un examen approfondi de sa situation personnelle prenant particulièrement en compte cette qualité, conclut à l’absence de risque pour l’intéressé de subir un traitement prohibé par les stipulations précitées dans le pays de destination. »
C. Les avis émis par la CNDA au titre de l’article L. 731-3 du CESEDA
40. La CNDA peut être saisie au titre de l’article L. 731‑3 du CESEDA, dans sa rédaction applicable aux faits de l’espèce, d’une demande d’avis sur le maintien ou l’annulation d’une mesure d’éloignement d’un requérant privé de son statut de réfugié au motif que sa présence en France constitue une menace grave pour la sûreté de l’État (article L. 711‑6 du CESEDA). L’article L. 731-3 du CESEDA, dans sa version applicable au moment des faits, dispose que :
« La Cour nationale du droit d’asile examine les requêtes qui lui sont adressées par les réfugiés visés par l’une des mesures prévues par les articles 31, 32 et 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et formule un avis quant au maintien ou à l’annulation de ces mesures. En cette matière, le recours est suspensif d’exécution. Dans ce cas, le droit au recours doit être exercé dans le délai d’une semaine dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. »
41. Par ailleurs, le second alinéa de l’article R. 733-40 du CESEDA, dans sa version applicable au moment des faits, dispose que :
« La formation collégiale formule un avis motivé sur le maintien ou l’annulation de la mesure dont l’intéressé fait l’objet. Cet avis est transmis sans délai au ministre de l’intérieur et au ministre chargé de l’asile. »
42. L’article L. 521-1 du CESEDA, dans sa version applicable au moment des faits, dispose que :
« Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l’expulsion peut être prononcée si la présence en France d’un étranger constitue une menace grave pour l’ordre public. »
43. Certaines catégories d’étrangers, présentant des liens particuliers avec la France, bénéficient d’une protection renforcée contre l’expulsion (articles L. 521‑2 et L. 521-3 du CESEDA, dans leur version applicable au moment des faits).
44. L’arrêté prononçant l’expulsion d’un étranger peut être exécuté d’office par l’administration (L. 523-1 du CESEDA, dans sa version applicable au moment des faits).
45. Un recours en annulation contre l’arrêté d’expulsion est possible devant le tribunal administratif. Le recours n’a pas de caractère suspensif et n’autorise pas l’étranger concerné à rester en France.
46. Le pays de renvoi d’un étranger faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion est fixé par une décision distincte (L. 513‑3 et L. 523‑2 du CESEDA, dans leur version applicable au moment des faits) dont l’annulation peut être sollicitée dans les conditions de droit commun (R. 421-1 du code de justice administrative).
47. L’article L. 523-2 du CESEDA, dans sa version applicable au moment des faits, dispose que :
« Le pays de renvoi d’un étranger faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion est déterminé dans les conditions prévues à l’article L. 513-2. »
48. L’article L. 513-2 du CESEDA, dans sa version applicable au moment des faits, dispose quant à lui que :
« L’étranger qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement est éloigné :
1o A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s’il n’a pas encore été statué sur sa demande d’asile ;
2o Ou, en application d’un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ;
3o Ou, avec son accord, à destination d’un autre pays dans lequel il est légalement admissible.
Un étranger ne peut être éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. »
E. Le référé suspension et le référé liberté
49. Le premier alinéa de l’article L. 512-1 du code de justice administrative dispose que :
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. »
50. L’article L. 512-2 du code de justice administrative dispose quant à lui que :
« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »
II. LE DROIT DE L’UE ET LA JURISPRUDENCE DE LA CJUE
51. Il est renvoyé à l’arrêt K.I. c. France (précité, §§ 71-79) concernant le droit et la jurisprudence pertinents de l’Union européenne et de la Cour de justice de l’Union européenne.
III. AUTRES TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX
A. La Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés
52. L’article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés dispose que :
« Article 1 - Définition du terme « réfugié »
A. Aux fins de la présente Convention, le terme “réfugié” s’appliquera à toute personne :
1) Qui a été considérée comme réfugiée en application des Arrangements du 12 mai 1926 et du 30 juin 1928, ou en application des Conventions du 28 octobre 1933 et du 10 février 1938 et du Protocole du 14 septembre 1939, ou encore en application de la Constitution de l’Organisation internationale pour les réfugiés ;
(...)
2) Qui, par suite d’événements survenus avant le 1er janvier 1951 et craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.
(...)
C. Cette Convention cessera, dans les cas ci-après, d’être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci-dessus :
1) Si elle s’est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité ; ou
2) Si, ayant perdu sa nationalité, elle l’a volontairement recouvrée ; ou
3) Si elle a acquis une nouvelle nationalité et jouit de la protection du pays dont elle a acquis la nationalité ; ou
4) Si elle est retournée volontairement s’établir dans le pays qu’elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d’être persécutée; ou
5) Si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d’exister, elle ne peut plus continuer à refuser de se réclamer de la protection du pays dont elle a la nationalité ;
Etant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s’appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures.
6) S’agissant d’une personne qui n’a pas de nationalité, si, les circonstances à la suite desquelles elle a été reconnue comme réfugiée ayant cessé d’exister, elle est en mesure de retourner dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle ;
Etant entendu, toutefois, que les dispositions du présent paragraphe ne s’appliqueront pas à tout réfugié visé au paragraphe 1 de la section A du présent article qui peut invoquer, pour refuser de retourner dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures.
(...)
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :
a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;
b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiées ;
c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. »
53. Il est renvoyé à l’arrêt K.I. c. France (précité, §§ 80-81) concernant les autres dispositions pertinentes de cette convention pour le présent arrêt.
B. Traités du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre le terrorisme
54. Il est renvoyé à l’arrêt K.I. c. France (précité, §§ 82-84) concernant les traités du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre le terrorisme.
C. Documents internationaux concernant la situation dans la région du Caucase du Nord
55. Il est renvoyé à l’arrêt K.I. c. France (précité, §§ 85-91) pour les passages pertinents de rapports internationaux relatifs à la situation dans la région du Caucase du Nord. Des rapports et informations complémentaires sont présentés ci-dessous.
56. Ainsi qu’il ressort du paragraphe 120, lorsqu’un requérant a déjà été expulsé, c’est à la date de l’éloignement effectif qu’il convient de se placer, à savoir en l’espèce le 13 novembre 2020. À cette date, la Fédération de Russie était encore membre du Conseil de l’Europe et une Haute Partie Contractante à la Convention, facteur pris en compte par les juridictions internes dans leur analyse des risques allégués par le requérant (paragraphe 30 ci-dessus).
1. L’accès à l’information
57. Selon le classement mondial de la liberté de la presse pour l’année 2022 élaboré par Reporters sans frontières (RSF), la Fédération de Russie est à la 155ème place sur 180 [1]. Pour l’année 2021, cet État se trouvait à la 150ème place [2]. Dans l’analyse Europe-Asie centrale de ce classement pour l’année 2020, RSF qualifie la Tchétchénie de « véritable trou noir de l’information » [3].
58. Le 18 mars 2021, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe déclarait que les atteintes aux droits de l’homme en Tchétchénie devraient faire l’objet d’une enquête, et non d’une dissimulation [4]. Elle concluait cette déclaration par :
« Les autorités russes ont bien conscience des lacunes en matière de protection des droits de l’homme en Tchétchénie. Comme je l’ai déjà indiqué, l’impunité en cas de violation grave des droits de l’homme est caractéristique de la situation dans la région, et des informations alarmantes concernant des enlèvements, des cas de détention illégale, des actes de torture et d’autres atteintes aux droits de l’homme qui s’y produisent continuent de nous parvenir régulièrement. Les autorités russes se sont engagées à respecter l’esprit et la lettre des normes internationales en matière de droits de l’homme. Il est temps qu’elles comblent l’écart entre cette promesse et la sombre réalité en Tchétchénie. »
59. Le 13 février 2019, la Commissaire avait déjà constaté que le recours abusif à la législation anti-terroriste en Fédération de Russie restreignait la liberté des médias et la liberté d’expression [5]. En 2016, cette institution déclarait annuler sa visite en Russie en raison de restrictions inacceptables imposées à son programme [6].
2. La situation relative aux droits de l’Homme dans la région du Caucase du Nord
60. Le service danois d’immigration relève, dans un rapport du mois de janvier 2015 [7] :
« According to Mairbek Vatchagaev, editor of the Caucasus Survey, most jihadists are killed when the Chechen security structures succeed in infiltrating the jihadist groups. »
61. Dans un rapport au gouvernement de la Fédération de Russie relatif à la visite effectuée par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (ci-après CPT) dans la République tchétchène de la Fédération de Russie du 28 novembre au 4 décembre 2017, sont mentionnés les faits suivants [8] :
« 12. The allegations of ill-treatment came from a wide range of persons, interviewed independently of each other, and were fully consistent as regards the particular types of ill-treatment in question. As regards more specifically the allegations of the infliction of electric shocks, several persons gave very detailed descriptions of the devices used and the manner in which the electric shocks had been administered to them: field telephones with a crank and two bare wires which were usually fastened around the fingers, toes or genitals, or attached to the ear lobes with a kind of clip. In this context, it should be noted that the delegation found half a dozen examples of such Soviet-era army field telephones (model “TA-57”) in a room located next to three windowless cells in the basement at Police Division No. 2 in Grozny [...]. »
62. Dans un rapport du rapporteur de l’OSCE de 2018[9], la première recommandation formulée pour la République de Tchétchénie est la suivante :
« If combatting terrorism and crime, stay within the rule of law and respect human rights obligations. »
63. Dans son rapport sur les droits humains dans le monde de 2019[10], Human Rights Watch indique :
« Les autorités en Tchétchénie ont arrêté arbitrairement, torturé et fait disparaître des suspects de djihadisme et des dissidents locaux, et infligé des punitions collectives à leurs familles. »
64. Le commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, administration fédérale belge indépendante, mentionne, dans un rapport sur la situation sécuritaire en Tchétchénie, mis à jour le 24 juillet 2019 et relatif à la situation observée du mois de juin 2018 au mois de juin 2019, les informations suivantes :
« En 2014, l’OSW et Memorial observaient une lente mutation idéologique chez les rebelles ces dernières années. L’idée de la création d’un Émirat du Caucase (Imarat Kavkaz) a été repoussée à l’arrière-plan et de plus en plus de rebelles du Caucase considèrent aujourd’hui qu’ils sont engagés dans un djihad mondialisé. » [11]
« Le Ambtsbericht des Pays-Bas de 2014, le rapport des instances d’asile danoises de 2015, le rapport de l’USDOS pour l’année 2018 et celui du Conflict Analysis and Prevention Center pour 2019 signalent que les forces de l’ordre proches de Kadyrov opèrent dans un climat caractérisé par l’illégalité79. L’ICG rapportait en 2015 que, d’après les militants des droits de l’homme en Tchétchénie, les forces de l’ordre n’y travaillent pas conformément à la législation russe, mais qu’elles suivent au premier chef les ordres de Ramzan Kadyrov80. Kadyrov intervient aussi personnellement dans les opérations antiterroristes. Plusieurs fois par mois, il se réunit avec les chefs des différents services chargés du maintien de l’ordre et leur donne personnellement des ordres81. » [12]
« En 2018, Memorial observe que l’on procède de plus en plus aux arrestations de membres, avérés ou présumés, du mouvement rebelle, au lieu de les mettre à mort. Memorial ajoute que, dans ce contexte, il est cependant toujours question d’arrestations illégales, de tortures et de disparitions116. »
« En 2013, le Conseil de l’Europe a publié un rapport sur une visite de travail que le Comité européen pour la prévention de la torture avait effectuée en Tchétchénie en 2011. Le Comité a constaté plusieurs cas de torture physique et psychologique sur des détenus, dont certains se trouvaient dans des lieux de détention illégaux. Selon le Comité, la torture se pratique surtout dans des affaires liées au terrorisme et au mouvement rebelle. En outre, le Comité a relevé des éléments indiquant clairement que les autorités ne prennent pas les mesures nécessaires quand elles constatent des cas possibles de torture120. Dans un rapport de suivi de 2016, le Conseil de l’Europe signale que les forces de l’ordre se rendent toujours coupables de tortures121. »
« Dans un rapport de 2015, Memorial note encore qu’il y a toujours un risque d’arrestation illégale en Tchétchénie. La personne arrêtée sera souvent détenue au secret et torturée pour la pousser aux aveux. Si elle passe aux aveux, elle sera présentée devant un tribunal et condamnée. Dans le cas contraire, elle risque d’être tuée en détention et de disparaître sans laisser de traces ou bien son corps sera présenté comme celui d’un combattant tué au combat par les forces de l’ordre124. » [13]
« Dans un rapport spécial de décembre 2018, le rapporteur de l’OSCE, Wolfgang Benedek, écrit que l’on procède toujours à des détentions illégales en Tchétchénie, dans le cadre desquelles la majorité des victimes sont détenues dans un bâtiment de la police, de l’armée, ou dans un endroit isolé. Elles peuvent être détenues pendant des semaines sans contact avec leurs proches, sans avoir accès à un avocat, ni à un juge. Les détenus sont soumis à la torture à l’électricité et frappés à coups de bâton pour les forcer à livrer des aveux. Souvent, ils sont privés d’eau et de nourriture. Selon l’OSCE, l’on fait aussi mention de rançons payées pour la libération des détenus. Enfin, l’OSCE observe que, lors d’arrestation illégales, l’on signale également des cas d’exécutions arbitraires125. » [14]
« Les membres de la famille d’un combattant (présumé ou avéré) sont tenus collectivement responsables des agissements de celui-ci140. Les autorités tchétchènes ont régulièrement adressé des mises en garde aux familles : elles feraient l’objet de représailles si elles ne décidaient pas leurs fils à déposer les armes. Ces représailles peuvent prendre plusieurs formes : maison incendiée, exclusion de la communauté, voire des poursuites judiciaires. Plusieurs sources en font le constat, dont l’International Crisis Group, l’USDOS, l’OSCE, l’EASO ainsi que des analystes et militants des droits de l’homme, comme Ekaterina Sokiryanskaya et Oleg Orlov141. » [15]
65. Dans une déclaration publique sur la Fédération de Russie relative à la République tchétchène et autres républiques de la région du Caucase du Nord du 11 mars 2019 [16] , le CPT demande aux autorités russes de :
« prendre des mesures déterminantes visant à éliminer le phénomène des mauvais traitements imputables à des membres des forces de l’ordre en République tchétchène et ailleurs dans la région du Caucase du Nord de la Fédération de Russie ».
66. Dans son rapport sur les droits humains dans le monde de 2021 [17], Human Rights Watch indique, concernant la lutte antiterroriste en Russie :
« Courts issued guilty verdicts in several terrorism or extremism cases marred by allegations of torture, dubious expert analysis, and reliance on secret witnesses ».
67. Dans ses rapports sur les pratiques des pays en matière de droits de la personne publiés le 12 avril 2022, le département d’État américain écrit, en ce qui concerne la Russie [18] :
“c. Torture and Other Cruel, Inhuman, or Degrading Treatment or Punishment
Although the constitution prohibits such practices, numerous credible reports indicated law enforcement officers engaged in torture, abuse, and violence to coerce confessions from suspects, and authorities only occasionally held officials accountable for such actions.
There were reports of deaths because of torture (see section 1.a., above).
Physical abuse of suspects by police officers was reportedly systemic and usually occurred within the first few days of arrest in pretrial detention facilities. Reports from human rights groups and former police officers indicated that police most often used electric shocks, suffocation, and stretching or applying pressure to joints and ligaments because those methods were considered less likely to leave visible marks. The problem was especially acute in the North Caucasus. According to the Civic Assistance Committee, prisoners in the North Caucasus complained of mistreatment, unreasonable punishment, religious and ethnic harassment, and inadequate provision of medical care. [19]
(...)
There were reports of the FSB using torture against young “anarchists and antifascist activists” who were allegedly involved in several “terrorism” and “extremism” cases.
In the North Caucasus region, there were widespread reports that security forces abused and tortured both alleged militants and civilians in detention facilities. [20]
(...)
f. Arbitrary or Unlawful Interference with Privacy, Family, Home, or Correspondence
(...)
The law requires relatives of terrorists to pay the cost of damages caused by an attack, which human rights advocates criticized as collective punishment. Chechen Republic authorities reportedly routinely imposed collective punishment on the relatives of alleged terrorists, including by expelling them from the republic. [21]”
68. Dans son rapport annuel 2021/22 sur la situation des droits humains dans le monde, Amnesty International, association non gouvernementale s’intéressant aux droits humains, mentionne, concernant la Fédération de Russie [22] :
« TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
La torture et les autres mauvais traitements en détention constituaient toujours des pratiques endémiques et il était rare que les responsables de tels actes soient traduits en justice.
(...)
Les frères Salekh Magamadov et Ismaïl Issaïev ont été enlevés par la police en février, à Nijni Novgorod, pour être ensuite conduits en Tchétchénie, où ils ont été placés en détention provisoire sur la foi d’accusations mensongères d’assistance à groupe armé. Tous deux se sont plaints d’avoir été torturés et, plus généralement, maltraités, mais les autorités tchétchènes ont refusé d’ouvrir une enquête judiciaire sur leurs allégations.
En octobre, Maxime Ivankine, condamné à 13 ans d’emprisonnement pour participation aux activités d’une organisation « terroriste » fictive baptisée « le Réseau », a confié à ses avocats avoir « avoué » sous la torture un double meurtre, pendant son transfert vers un pénitencier situé dans une autre région.
(...)
DISPARITIONS FORCÉES
De nouvelles informations ont fait état de disparitions forcées, en particulier en Tchétchénie. On ignorait notamment ce qu’était devenu Salman Tepsourkaïev, modérateur de 1ADAT, une chaîne Telegram. Critique à l’égard des autorités, cet homme avait disparu en 2020. Une vidéo publiée plus tard par une source anonyme l’a montré en train d’être torturé. »
69. Ce même rapport indique, pour la France [23] :
« DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Cette année encore, les autorités ont renvoyé de force des personnes tchétchènes en Russie alors qu’elles risquaient fortement d’y subir de graves violations des droits humains. En avril, la police tchétchène a enlevé Magomed Gadaïev, réfugié et témoin clé dans une enquête très médiatisée sur une affaire de torture visant les autorités tchétchènes, deux jours après son expulsion vers la Russie par la France. Son renvoi forcé avait eu lieu malgré une décision de la Cour nationale du droit d’asile, rendue en mars, qui s’opposait à cette mesure. »
70. Dans une synthèse des préoccupations concernant le renvoi de demandeurs d’asile tchétchènes vers la Russie, Amnesty International rapporte, en janvier 2022 [24] :
« SITUATION DES DROITS HUMAINS DANS LE CAUCASE DU NORD
Amnesty International reçoit régulièrement des informations faisant état de disparitions forcées et de cas de torture et autres mauvais traitements dans le Caucase du Nord, et en particulier en Tchétchénie. L’organisation a documenté plusieurs de ces cas au cours des dernières années. De plus, de nombreux cas d’enlèvements, d’exécutions extrajudiciaires et de torture présumés, dont notamment le cas dit des 275, ont été révélés par des médias indépendants russes et par des blogueurs6. Ces violations des droits humains s’inscrivent souvent - mais pas uniquement - dans le cadre d’activités prétendument antiterroristes menées par des agents chargés de l’application des lois dans le Caucase du Nord. Amnesty International a reçu à plusieurs reprises des informations provenant de toute la région et indiquant que certaines personnes avaient été visées en raison de leur appartenance présumée à des groupes armés. Selon des allégations crédibles, les preuves retenues contre elles reposaient sur des « aveux » ou des témoignages incriminants d’autres personnes extorqués sous la torture et les mauvais traitements.
Le recours à la torture est fréquent, continuel et répandu en Tchétchénie et dans toute la Fédération de Russie, et les victimes ne bénéficient pour l’instant d’aucun recours effectif.
De nombreux prévenus dénoncent auprès des tribunaux des actes de torture ou d’autres mauvais traitements et reviennent sur leurs déclarations. Néanmoins, les tribunaux rejettent généralement les recours formés par la défense en vue d’obtenir que ces preuves soient déclarées irrecevables. Aux termes de la loi (article 235 du Code de procédure pénale russe), dans le contexte d’une procédure pénale, il appartient au procureur de prouver l’irrecevabilité d’allégations étayées. Cependant, en pratique, il semble que les allégations de torture présentées par le prévenu n’ont aucun poids si elles n’ont pas été confirmées dans le cadre d’une procédure pénale distincte.
Face aux nombreux obstacles juridiques et pratiques rencontrés, il s’avère quasiment impossible pour une personne en détention d’engager une telle procédure. Dans de nombreux cas signalés à Amnesty International dans le cadre desquels une contribution symbolique avait été accordée en lien avec des allégations de torture présentées par des prévenus, dont certaines étaient étayées par des preuves solides et crédibles, soit le parquet avait refusé d’engager des poursuites pénales, soit l’affaire avait été rapidement classée sans suite en raison d’un « manque de preuves » ou de « l’absence d’infraction en flagrant délit ».
Il est presque impossible pour les personnes en détention d’étayer leurs allégations de torture par des preuves car elles disposent d’un accès très limité à des professionnels de la santé, voire en sont totalement privées. Amnesty International a également reçu des informations indiquant que des agents chargés de l’application des lois avaient soumis des professionnels du corps médical à des manœuvres d’intimidation et de harcèlement en vue de les empêcher de constater des blessures qu’ils avaient infligées. Les professionnels du corps médical qui travaillent dans les institutions pénitentiaires sont affiliés à l’administration pénitentiaire et manquent dès lors d’indépendance. Ils n’ont souvent pas non plus les qualifications requises pour pouvoir documenter la torture et les autres mauvais traitements.
Dans ses Observations finales concernant le sixième rapport périodique de la Fédération de Russie, le Comité des Nations unies contre la torture a également constaté « l’absence d’enquête efficace » sur les graves violations des droits humains en Tchétchénie et dans la région du Caucase du Nord, notamment les cas de torture, d’enlèvements, de disparitions forcées, de détention arbitraire et d’exécutions extrajudiciaires commis par des représentants de l’Etat, citant en exemple l’affaire de l’exécution extrajudiciaire de 27 hommes à Grozny7. Il a également souligné que sur plus d’une centaine d’affaires de disparitions forcées en Tchétchénie entre 2012 et 2015 sur lesquelles la Cour européenne des droits de l’homme a rendu des arrêts, seulement deux affaires ont fait l’objet d’investigations à ce jour8.
Présenté le 20 décembre 2018, le rapport du Rapporteur de l’OSCE désigné en vertu du mécanisme de Moscou pour enquêter sur les violations des droits humains et l’impunité en République tchétchène de la République de Russie met en lumière le même schéma généralisé de violations des droits humains.
En particulier, le Rapporteur a déclaré que « ces éléments apportent une confirmation claire quant aux allégations de violations très graves des droits humains en République tchétchène. Cela concerne en particulier les allégations de harcèlement et de persécution, d’arrestation et de détention arbitraire ou illégale, de torture, de disparition forcée et d’exécution extrajudiciaire. » Le Rapporteur a ajouté : « Non seulement aucun progrès n’a été constaté en ce qui concerne la situation juridique relative aux recours utiles et par conséquent le problème de l’impunité, mais la situation s’est aggravée, tandis que le climat d’intimidation s’est imposé à tel point que presque personne en Tchétchénie ne se sent désormais libre d’évoquer les questions de droits humains. Les organisations de défense des droits humains et les médias d’investigation, au lieu d’être protégés, font face à diverses formes de harcèlement et d’attaques qui ne font l’objet d’aucune enquête. Cela confirme le sentiment général de non-droit et l’impression selon laquelle l’appareil d’État répressif dispose d’une liberté totale d’action car il est protégé par l’impunité9 ». »
71. Cette synthèse fait état de plusieurs cas de personnes expulsées de pays européens, dont la France, vers la Russie, victimes de disparition forcée et torturées à leur arrivée en Tchétchénie. L’association indique notamment :
« Amnesty International reçoit régulièrement des informations faisant état d’affaires pénales forgées de toutes pièces en Tchétchénie, notamment en vertu de l’article 208 du Code pénal de la Fédération de Russie (« organisation ou participation aux activités d’un groupe illégal armé »), de l’article 222 (« acquisition, transfert, distribution, stockage, transport ou possession illégale d’armes à feu, pièces ou munitions ») et de l’article 222.1 (« acquisition, transfert, distribution, stockage, transport ou possession illégale d’explosifs »). A plusieurs reprises, des personnes originaires de Tchétchénie ayant passé plusieurs années en dehors de la Fédération de Russie ont fait l’objet d’arrestations arbitraires, de torture et autres mauvais traitements et ont été emprisonnées à l’issue d’un procès inéquitable à leur retour (généralement, un renvoi forcé) en Russie. Dans certains cas, tels que celui d’Azamat Baïdouïev et de Magomed Gadaev évoqués ci-dessus, il s’agissait de personnes qui avaient quitté la Russie pour solliciter une protection internationale. » [25]
« Amnesty International a eu connaissance de plusieurs cas de personnes originaires du Caucase du Nord qui s’étaient installées ailleurs en Fédération de Russie, souvent dans des zones éloignées, et avaient par la suite été arrêtées et transférées dans le Caucase du Nord où elles avaient été placées en détention et accusées d’appartenir à un groupe armé illégal ou de posséder des armes. Elles auraient été victimes de torture et d’autres mauvais traitements au cours de l’enquête. Tel que mentionné ci-dessus, selon des informations crédibles, ces accusations sont souvent fondées sur des « aveux » ou des témoignages incriminants d’autres personnes extorqués sous la torture ou d’autres mauvais traitements. De même, dans plusieurs cas signalés, des personnes ont été victimes brièvement de disparition forcée dans le Caucase du Nord avant que les autorités ne signalent leur placement en détention à Moscou en tant que membres présumés de groupes armés illégaux. Pendant cette période, leurs familles ne disposaient d’aucune information relative à leur sort et ces personnes auraient été soumises à des interrogatoires sans avoir pu consulter un avocat. » [26]
3. L’obtention potentielle d’informations par le régime tchétchène
72. Auditionné par la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale française en mai 2016, le directeur général de la sécurité intérieure en France indiquait [27] :
« Sur le plan international la coopération est très forte. Nous nous reposons bien sûr sur les grands services et force est de constater que les plus gros pourvoyeurs de renseignement sont les services américains. Mais nous coopérons également avec les services russes. Quelque 7 à 8 % des individus concernés par les filières syro-irakiennes étant des Tchétchènes, il est bien évident que nous travaillons avec le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB) et que nous cherchons avec lui tous les moyens d’identifier les individus en question, de connaître les actions qu’ils ont l’intention de commettre, et les réseaux auxquels ils sont susceptibles d’appartenir. »
73. Le ministère des affaires étrangères des Pays-Bas souligne, dans un rapport sur la fédération de Russie d’avril 2021 [28], que :
« According to researchers, Kadyrov has ordered social media surveillance of members of the Chechen diaspora to check whether they are critical of his leadership. He is calling on asylum seekers and political refugees to return to Chechnya. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
74. Le requérant considère que son éloignement vers la Fédération de Russie l’exposait à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention et que ces risques se sont réalisés postérieurement à son expulsion intervenue le 13 novembre 2020. Il invoque l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
A. Sur la recevabilité
1. Arguments des parties
75. Le Gouvernement soutient que le grief relatif à l’article 3 de la Convention doit être déclaré irrecevable en raison d’un défaut d’épuisement des voies de recours internes. Il fait valoir, d’une part, que le requérant aurait dû faire usage des dispositions de l’article L. 731-3 du CESEDA, relatives à la procédure d’avis devant la CNDA, qui a un effet suspensif de la procédure d’éloignement (paragraphe 40 ci-dessus), d’autre part, qu’il aurait dû former un référé liberté sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative plutôt qu’un référé suspension sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 de ce même code dès lors qu’en pratique, les autorités françaises suspendent la mesure jusqu’à ce que le juge du référé liberté statue sur la demande du requérant. Il soutient qu’au demeurant le référé suspension du requérant était manifestement mal fondé. Il indique enfin que l’épuisement des voies de recours internes relativement à la condamnation pénale d’interdiction définitive du territoire ne saurait pallier le défaut d’épuisement de ces voies de recours concernant la décision fixant la Russie comme pays de destination.
76. Le requérant soutient que la procédure instituée par les dispositions de l’article L. 731-3 du CESEDA, qui n’aboutit pas à une décision juridictionnelle, n’avait pas à être épuisée avant l’introduction de sa requête devant la Cour dès lors que la reconnaissance d’une violation des droits garantis par la Convention puis sa réparation ne relèvent pas de la compétence de l’OFPRA, ni de la CNDA, cette cour ne formulant qu’un avis facultatif quant au maintien ou à l’annulation d’une mesure d’éloignement. Le requérant ajoute qu’à la date à laquelle la CNDA s’est prononcée sur le retrait du statut de réfugié, elle ne pouvait donner d’avis sur son éventuelle expulsion.
77. Le requérant soutient également qu’il a choisi la voie de droit la plus effective au regard de sa situation et qu’il n’était pas tenu d’emprunter toutes les voies de droit disponibles alors au demeurant que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, ce dernier ne suspend pas l’exécution des mesures d’éloignement dans l’attente du contrôle effectué par les juridictions. Il souligne que l’issue du référé suspension qu’il avait formé était indifférente au regard de la question de l’épuisement des voies de recours internes.
78. Il indique enfin que la question de l’épuisement des voies de recours internes relativement à sa condamnation pénale est évoquée de manière surabondante et inopérante par le Gouvernement.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
79. La Cour a déjà eu l’occasion de rappeler que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt, et c’est primordial, un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. La Cour a la charge de surveiller le respect par les États contractants de leurs obligations découlant de la Convention. La règle de l’épuisement des recours internes se fonde sur l’hypothèse, reflétée dans l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Elle est donc une partie indispensable du fonctionnement de ce mécanisme de protection (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 69, 25 mars 2014).
80. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci (Vučković et autres, précité, § 70). Cette obligation impose aux requérants de faire un usage normal des recours disponibles et suffisants pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Vučković et autres, précité, § 71). Cependant rien n’impose d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs (Vučković et autres, précité, § 73).
81. Pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation incriminée et présenter des perspectives raisonnables de succès. Cependant, le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison propre à justifier la non-utilisation du recours en question (Vučković et autres, précité, § 74).
82. Cela étant, la Cour a fréquemment souligné qu’il faut appliquer la règle de l’épuisement des recours internes avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (Vučković et autres, précité, § 76). Elle a de plus admis que cette règle ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de l’Etat contractant concerné, mais également du contexte dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle du requérant. Il lui faut dès lors examiner si, compte tenu de l’ensemble des circonstances de la cause, le requérant a fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre de lui pour épuiser les voies de recours internes (D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 116, CEDH 2007‑IV).
83. En particulier, lorsqu’il s’agit d’un grief selon lequel l’expulsion de l’intéressé l’exposera à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, compte tenu de l’importance que la Cour attache à cette disposition et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale, un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 ainsi qu’une célérité particulière. Dans ce cas, l’effectivité requiert également que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif (De Souza Ribeiro c. France [GC], no 22689/07, § 82, CEDH 2012). Lorsqu’un tel recours existe, le requérant est normalement appelé à l’épuiser (A.M. c. France, no 12148/18, § 64, 29 avril 2019).
84. La Cour rappelle que l’obligation pour un requérant d’épuiser les voies de recours internes s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant la Cour. Cependant, il ressort d’une jurisprudence bien établie que la Cour tolère que le dernier échelon d’un recours soit atteint après le dépôt de la requête mais avant qu’elle se prononce sur la recevabilité de celle-ci (Selahattin Demirtaş c. Turquie (no 2) [GC], no 14305/17, § 193, 22 décembre 2020).
85. La Cour a déjà retenu, dans une affaire relative à l’expulsion d’un requérant vers son pays d’origine, dans laquelle l’intéressé invoquait une violation de l’article 3 de la Convention, que si la saisine de l’OFPRA ne constituait certes pas le dernier échelon de la voie de recours offerte par la demande d’asile, elle en constituait toutefois, dans le cas du requérant, le premier et dernier échelon ayant un effet suspensif. Dans les circonstances très particulières de l’espèce, la Cour a regardé les voies de recours internes comme épuisées (A.M. c. France, précité, §§ 68-83).
b) Application des principes en l’espèce
86. En premier lieu, la Cour relève que la procédure d’avis instituée par les dispositions de l’article L. 731-3 du CESEDA dans leur rédaction applicable en l’espèce a certes un effet suspensif de l’éloignement mais que cet effet ne perdure toutefois que jusqu’au moment où la CNDA rend son avis. Ainsi que l’indiquent les dispositions de l’article R. 733-40 du CESEDA, l’avis est transmis sans délai au ministre de l’intérieur et au ministre chargé de l’asile. L’administration n’est toutefois pas liée par cet avis et peut décider de mettre à exécution la décision d’éloignement. Il en résulte que cette procédure ne peut être regardée comme ayant pour effet direct d’empêcher l’exécution d’une décision d’expulsion vers un pays donné. Elle ne peut donc être considérée comme présentant l’effectivité requise qui impliquerait d’imposer son épuisement au requérant avant toute saisine de la Cour.
87. En deuxième lieu, ainsi que cela a été rappelé précédemment, le droit français applicable au moment des faits, s’il prévoit un recours permettant d’obtenir l’annulation d’un arrêté d’expulsion et de l’arrêté subséquent fixant le pays de destination, ne prévoit ni d’effet suspensif à un tel recours, ni de délai de jugement contraint pour les juridictions (paragraphes 42 à 46 ci‑dessus).
88. La Cour en déduit que l’on ne saurait reprocher au requérant de ne pas avoir épuisé les voies de recours internes contre les deux arrêtés en litige concernant le grief relatif à l’article 3 de la Convention.
89. Au demeurant, en l’espèce, le requérant a introduit un référé‑suspension que le tribunal administratif a rejeté le 12 novembre 2020. L’expulsion a été exécutée le lendemain. Quand bien même cette voie de droit n’avait pas en elle-même d’effet suspensif, elle a permis au requérant d’obtenir une réponse juridictionnelle à son recours avant l’exécution des décisions litigieuses, notamment concernant l’article 3 de la Convention. Il s’ensuit que l’argument du Gouvernement selon lequel le requérant aurait dû user d’une autre voie de droit, à savoir le référé liberté, ne convainc pas la Cour. Par ailleurs, l’on ne saurait reprocher au requérant le rejet de ce référé suspension par les juridictions internes.
90. En troisième lieu, la Cour constate que le requérant était assisté d’un avocat pour la défense de ses intérêts dans le cadre des référés suspension et des recours au fond ainsi que pour l’introduction de sa requête devant la Cour le 11 mai 2021. Toutefois, la Cour relève aussi que la décision d’expulsion a été exécutée le 13 novembre 2020, le lendemain du rejet des référés suspension, et que le requérant a rencontré des difficultés à régulariser la signature de sa requête devant la Cour en raison, selon lui, de son placement en détention en Russie.
91. Dans ces circonstances particulières, il serait excessif d’imposer au requérant d’épuiser plus avant les voies de recours internes. Il doit donc être regardé comme ayant satisfait à l’exigence d’épuisement de ces voies de recours concernant le grief relatif à l’article 3 de la Convention et les exceptions préliminaires opposées par le Gouvernement doivent être rejetées.
92. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
1. Arguments des parties
a) Le requérant
93. Concernant, en premier lieu, la méthode suivie par les autorités internes quant à l’analyse des risques d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, le requérant soutient que cet examen doit être mené compte-tenu de la situation générale du pays de renvoi et des circonstances propres à l’intéressé. Il souligne que l’exigence d’un exposé étayé des risques est amoindrie lorsque l’individu fait partie d’un groupe systématiquement exposé à une pratique de mauvais traitements.
94. Il fait valoir que les autorités françaises n’ont pas procédé à une analyse actualisée des risques auxquels il était exposé, le tribunal administratif ayant ignoré sa situation postérieure à la décision d’expulsion puis postérieure à l’exécution de cette mesure. Il souligne que dans sa décision confirmant le retrait du statut, la CNDA ne s’est pas prononcée sur les risques qu’il encourait en cas de retour en Russie et que ni sa qualité de réfugié ni la situation des membres de sa famille n’ont été prises en considération par les autorités internes.
95. Concernant en deuxième lieu, la nature et l’intensité des risques auxquels était exposé le requérant, ce dernier soutient qu’il ressort de différents rapports que les personnes soupçonnées de djihadisme ou de « sympathies islamistes » en Tchétchénie risquent de mourir, de disparaître ou de subir des actes de torture ou de traitements inhumains ou dégradants. Il ajoute que le Gouvernement prend en compte certains rapports qui ne sont plus pertinents.
96. Il soutient avoir invoqué avant son expulsion des craintes de mauvais traitements liées à sa qualité de réfugié, à la protection internationale dont bénéficient les membres de sa famille en France et en Belgique, à ses liens supposés par les autorités russes avec des opposants tchétchènes radicalisés et enfin à sa condamnation en France pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme. À cet égard, il indique avoir produit deux témoignages avant son expulsion faisant état de l’intérêt que les autorités locales lui portent en Tchétchénie.
97. Il précise que l’obtention du passeport en 2008 n’est pas un élément pertinent ni déterminant à lui seul dans l’appréciation des risques qu’il encourait alors que le maintien de la protection internationale en 2009 et sa condamnation pénale pour terrorisme sont postérieurs à cet évènement.
98. Concernant, en troisième lieu, les évènements intervenus postérieurement à l’exécution de l’expulsion, le requérant soutient que ses craintes se sont confirmées à son arrivée en Russie. Il fait valoir y avoir été interpelé par le FSB, avoir été renvoyé en Tchétchénie où il a subi des actes de tortures et des mauvais traitements et a dû procéder à des aveux sous la contrainte. Il indique verser au dossier un rapport du chef du centre de lutte contre l’extrémisme du ministère de l’intérieur de Tchétchénie daté du 12 novembre 2020 le mettant en cause dans des faits de participation à un groupement armé en Syrie et fait valoir que son avocat n’a pu accéder au dossier pour assurer sa défense.
b) Le Gouvernement
99. Concernant, en premier lieu, la méthode suivie par les autorités internes quant à l’analyse des risques d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, le Gouvernement soutient que la situation du requérant et les risques qu’il encourait ont été examinés par les juridictions en tenant compte de sa qualité de réfugié, des attestations qu’il avait produites et des pièces postérieures à l’exécution de l’expulsion.
100. Il souligne que le requérant n’a apporté, ni devant les juridictions nationales, ni devant la Cour, d’élément étayé suffisamment probant permettant d’établir l’existence d’un risque réel et avéré pour sa vie ou sa sécurité en Russie, la circonstance qu’il soit lié à la mouvance islamiste radicale n’excluant pas par principe son renvoi en Russie. Il mentionne en particulier que le requérant, s’étant borné à invoquer des risques liés à sa « conception de l’islam », ne s’est pas prévalu, devant les juridictions internes, de craintes de mauvais traitements en rapport avec son soutien à l’idéologie djihadiste ou sa condamnation en France pour ce motif. Il ajoute que le travail de l’OFPRA et de la CNDA est limité à l’examen du bien-fondé de la demande de protection internationale et qu’il ne leur appartient pas d’examiner les risques auquel serait exposé le requérant en cas d’exécution d’une mesure d’éloignement.
101. Concernant en deuxième lieu, la nature et l’intensité des risques auxquels était exposé le requérant, le Gouvernement fait valoir que l’intéressé a obtenu le statut de réfugié en application du principe de l’unité familiale et qu’il n’a fait valoir aucune crainte à titre individuel. Il souligne qu’alors que le bénéfice du statut de réfugié lui faisait interdiction de demander un tel document aux autorités russes et qu’il aurait pu obtenir un document de voyage auprès des autorités françaises, un passeport lui a été délivré par la mairie de Grozny en 2008, ce qui impliquait sa présence à cet endroit et l’indication d’informations sur sa résidence. À cet égard, le Gouvernement indique que l’intéressé n’a pas, dans ce cadre, été inquiété par les autorités russes et n’apporte pas d’explications sur cet évènement. Le Gouvernement souligne enfin que cette démarche a été dissimulée à l’OFPRA lors de la présentation, en tant que majeur, d’une demande tendant à obtenir le maintien du statut de réfugié.
102. Le Gouvernement fait valoir que la Fédération de Russie ne présente pas une situation générale de violence telle que tout renvoi vers cet État serait prohibé. Il ajoute qu’au regard des rapports internationaux disponibles, si les personnes ayant eu des liens avec une mouvance terroriste peuvent attirer l’attention des autorités russes, ainsi que cela est le cas dans tout autre État, il n’en ressort toutefois pas qu’elles seraient susceptibles d’être exposées de manière quasi-systématique à de mauvais traitements. Il soutient qu’il en va de même pour les personnes ayant eu des liens avec les insurgés ou ayant bénéficié d’une protection à l’étranger.
103. Le Gouvernement souligne les incohérences du requérant quant aux fondements des risques qu’il invoque, parfois liés à sa qualité de réfugié, parfois liés à sa condamnation en France pour des faits de terrorisme.
104. Le Gouvernement expose que les attestations versées devant la Cour ne sont pas suffisamment circonstanciées, il met en doute leur authenticité et souligne que deux d’entre elles ne concernent pas le requérant. Il mentionne également que les autorités françaises n’ont pas entretenu de contact particulier avec les autorités russes en dehors de la procédure administrative de demande de réadmission nécessaire pour la délivrance d’un laissez-passer consulaire.
105. Concernant, en troisième lieu, les évènements intervenus postérieurement à l’exécution de l’expulsion, le Gouvernement soutient qu’il ne dispose pas d’informations concernant l’arrestation du requérant en Russie ou l’engagement de procédures judiciaires à son encontre. Il fait au demeurant valoir que la seule circonstance que le requérant fasse l’objet de poursuites pénales et soit placé en détention pour des motifs liés à la lutte contre le terrorisme ne révèle pas par elle-même l’existence de traitements inhumains ou dégradants.
106. Le Gouvernement met en doute l’authenticité du rapport du 12 novembre 2020 versé par le requérant ainsi que de la décision de justice ordonnant son placement en détention provisoire. Il soutient que le requérant n’a pas été en mesure d’indiquer dans quelles circonstances il avait pu se procurer ces documents internes à l’administration russe. Le Gouvernement indique qu’à supposer ces documents authentiques, ils ne révèlent pas l’existence de traitements inhumains et dégradants alors que l’avocat du requérant ne fait pas état de tels traitements dans son attestation et que le requérant peut communiquer avec lui par courriers fermés. Il souligne enfin que le requérant n’a apporté aucun élément permettant d’établir la réalité de ses craintes ou des mauvais traitements auxquels il prétend avoir été soumis à son retour en Russie ni aucune explication sur les incohérences des documents versés au soutien de sa requête devant la Cour.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
i. L’application de l’article 3 dans les affaires d’expulsion et le caractère absolu des obligations en découlant
107. La Cour entend rappeler que les États contractants ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non‑nationaux. Cependant, l’expulsion d’un étranger par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (F.G. c. Suède [GC], no 43611/11, § 111, 23 mars 2016, et A.M. c. France, précité, § 113).
108. La Cour souligne qu’elle a une conscience aiguë de l’ampleur du danger que représente le terrorisme pour la collectivité et, par conséquent, de l’importance des enjeux de la lutte antiterroriste. Elle est de même parfaitement consciente des énormes difficultés que rencontrent actuellement les États pour protéger leur population de la violence terroriste (Chahal c. Royaume‑Uni, 15 novembre 1996, Recueil 1996‑V, p. 1855, § 79, Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 137, CEDH 2008, et A.M. c. France, précité, § 112). Devant une telle menace, elle considère qu’il est légitime que les États contractants fassent preuve d’une grande fermeté à l’égard de ceux qui contribuent à des actes de terrorisme, qu’elle ne saurait en aucun cas cautionner (Daoudi c. France, no 19576/08, § 65, 3 décembre 2009, Boutagni c. France, no 42360/08, § 45, 18 novembre 2010, Auad c. Bulgarie, no 46390/10, § 95, 11 octobre 2011, A.M. c. France, précité, § 112, et O.D. c. Bulgarie, no 34016/18, § 46, 10 octobre 2019).
109. Il convient toutefois de rappeler que la protection offerte par l’article 3 de la Convention présente un caractère absolu. Pour qu’un éloignement forcé envisagé soit contraire à la Convention, la condition nécessaire - et suffisante - est que le risque pour la personne concernée de subir dans le pays de destination des traitements interdits par l’article 3 soit réel et fondé sur des motifs sérieux et avérés, même lorsqu’elle est considérée comme présentant une menace pour la sécurité nationale pour l’État contractant (Saadi, précité, §§ 140‑141, Auad, précité, § 100, et O.D. c. Bulgarie, précité, § 46). En effet, l’article 3 ne prévoit pas de restrictions, en quoi il contraste avec la majorité des clauses normatives de la Convention et des Protocoles nos 1 et 4, et d’après l’article 15 § 2 il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 95, CEDH 1999‑V, et J.K. et autres c. Suède [GC], no 59166/12, § 77, 23 août 2016). Il en est de même y compris dans l’hypothèse, où comme en l’espèce, le requérant a eu des liens avec une organisation terroriste (A.M. c. France, précité).
ii. Le principe de subsidiarité
110. Lorsqu’il y a eu une procédure interne portant sur les faits litigieux, il n’entre pas dans les attributions de la Cour de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux. Dans les affaires mettant en cause l’expulsion d’un réfugié, la Cour se garde d’examiner elle‑même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les États remplissent leurs obligations découlant de la Convention relative au statut des réfugiés (F.G. c. Suède, précité, § 117). En règle générale, les autorités nationales sont les mieux placées pour apprécier non seulement les faits mais, plus particulièrement, la crédibilité de témoins, car ce sont elles qui ont eu la possibilité de voir, examiner et évaluer le comportement de la personne concernée (A.M. c. France, précité, § 116). La Cour doit estimer établi que l’appréciation livrée par les autorités de l’État contractant est adéquate et suffisamment étayée par les données internes et par celles provenant d’autres sources fiables et objectives, par exemple d’autres États contractants ou des États tiers, des organes des Nations unies et des organisations non gouvernementales réputées pour leur sérieux (Khasanov et Rakhmanov c. Russie [GC], nos 28492/15 et 49975/15, § 103, 29 avril 2022).
iii. L’articulation entre le droit de la Convention, le droit de l’UE et la Convention de Genève
111. La Cour note que le droit de l’UE consacre au niveau du droit primaire le droit d’asile et le droit à la protection internationale (article 78 du TFUE et article 18 de la Charte, K.I. c. France, précité, §§ 71-72). Par ailleurs, en vertu de l’article 14 §§ 4 ou 5 de la directive 2011/95 (K.I. c. France, précité, § 73), le bénéfice du principe de non‑refoulement et de certains droits consacrés par le droit de l’UE à la suite de la Convention de Genève (K.I. c. France, précité, §§ 80-81) est accordé, contrairement aux autres droits énumérés dans ces deux instruments, à toute personne qui, se trouvant sur le territoire d’un État membre, remplit les conditions matérielles pour être considérée comme réfugié, même si elle n’a pas formellement obtenu le statut de réfugié ou se l’est vu retirer (N.D. et N.T. c. Espagne [GC], nos 8675/15 et 8697/15, § 183, 13 février 2020, et K.I. c. France, précité, §§ 74-76).
112. La Cour souligne toutefois qu’aux termes des articles 19 et 32 § 1 de la Convention, elle n’est pas compétente pour appliquer les règles de l’Union européenne ou pour en examiner les violations alléguées, sauf si et dans la mesure où ces violations pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. En outre, statuant dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, tel que celui relatif à la question du maintien de la qualité de réfugié à la suite de la révocation de ce statut, la Cour de justice de l’Union européenne, à la différence des juridictions nationales et de la Cour, est parfois invitée à se prononcer sur la validité in abstracto des possibilités offertes par les dispositions du droit de l’UE (K.I. c. France, précité, § 79). D’une manière plus générale, il appartient au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne, si nécessaire en conformité avec le droit de l’UE, le rôle de la Cour se bornant à déterminer si les effets de leurs décisions dans un cas concret sont compatibles avec la Convention (N.H. et autres c. France, nos 28820/13 et 2 autres, § 166, 2 juillet 2020). La Cour souligne que ni la Convention ni ses Protocoles ne protègent en tant que tel le droit d’asile. La protection qu’ils offrent se limite aux droits qui y sont consacrés, ce qui inclut, en particulier, ceux garantis par l’article 3 de la Convention tels que rappelés ci‑dessus. À cet égard, l’article 3 de la Convention englobe l’interdiction du refoulement au sens de la convention de Genève (N.D. et N.T. c. Espagne, précité, § 188).
iv. L’appréciation de l’existence d’un risque réel
113. L’appréciation du risque doit se concentrer sur les conséquences prévisibles du renvoi de la personne concernée vers le pays de destination. Il faut rechercher si, eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Si l’existence d’un tel risque est établie, le renvoi du requérant emporterait nécessairement violation de l’article 3, que le risque émane d’une situation générale de violence, d’une caractéristique propre à l’intéressé, ou d’une combinaison des deux (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 95).
114. Le point de départ dans cette démarche est l’analyse de la situation générale dans le pays de destination. À cet égard, et s’il y a lieu, la Cour examinera s’il existe une situation générale de violence dans ce pays. Toutefois, une situation générale de violence n’est en principe pas à elle seule de nature à entraîner une violation de l’article 3 en cas d’expulsion vers le pays en question, sauf si la violence est d’une intensité telle que tout renvoi dans ce pays emporterait une pareille violation. La Cour n’adopterait pareille approche que dans les cas de violence générale les plus extrêmes où l’intéressé courrait un risque réel de subir des mauvais traitements du seul fait que son retour dans le pays en question l’exposerait à cette violence (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 96).
115. Dans les affaires où un requérant allègue faire partie d’un groupe systématiquement exposé à des mauvais traitements, la Cour considère que la protection de l’article 3 de la Convention entre en jeu lorsque l’intéressé démontre, éventuellement en s’appuyant sur les sources disponibles, qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la pratique en question existe et qu’il appartient au groupe visé (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 97).
116. Les allégations de cette nature ne s’apprécient pas de la même façon que, d’une part, celles se rapportant à une situation générale de violence dans tel ou tel pays et, d’autre part, celles se rapportant aux circonstances individuelles (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 98).
117. La première étape de cette démarche consiste à examiner si l’existence d’un groupe systématiquement exposé à des mauvais traitements a été établie, question qui relève du volet de l’analyse du risque consacré à la « situation générale ». Les requérants qui appartiendraient à un groupe vulnérable ciblé doivent évoquer non pas la situation générale mais l’existence d’une pratique ou d’un risque accru de mauvais traitements visant le groupe auquel ils disent appartenir. L’étape suivante consiste pour eux à établir qu’ils appartiennent chacun au groupe concerné, sans qu’ils aient besoin de faire état d’autres circonstances individuelles ou caractéristiques distinctives (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 99).
118. Dans les cas où, nonobstant l’existence d’une crainte de persécutions pouvant être bien fondée en raison de certaines circonstances aggravant les risques, on ne peut pas établir qu’un groupe est systématiquement exposé à des mauvais traitements, les requérants sont tenus de démontrer l’existence d’autres caractéristiques distinctives particulières qui les exposeraient à un risque réel de mauvais traitements, faute de quoi la Cour conclura à l’absence de violation de l’article 3 de la Convention (Khasanov et Rakhmanov, précité, § 100 mentionnant en exemple, A.S.N. et autres c. Pays-Bas, nos 68377/17 et 530/18, 25 février 2020, concernant les Sikhs en Afghanistan, A.S. c. France, précité, concernant les personnes liées au terrorisme en Algérie, et A. c. Suisse, no 60342/16, 19 décembre 2017, concernant les chrétiens en Iran).
119. Une évaluation complète et ex nunc est requise lorsqu’il faut prendre en compte des informations apparues après l’adoption par les autorités internes de la décision définitive (Chahal, précité, § 79, F.G. c. Suède, précité, § 115, A.M. c. France, précité, § 115, et D et autres c. Roumanie, no 75953/16, § 62, 14 janvier 2020).
120. Par ailleurs, lorsqu’un requérant a déjà été expulsé, c’est à la date de l’éloignement effectif qu’il convient de se placer pour apprécier s’il existait un risque réel qu’il soit soumis dans ce pays à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention (Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, §§ 69 et 74, CEDH 2005‑I). Toutefois, cela n’empêche pas la Cour de tenir compte de renseignements ultérieurs ; ils peuvent servir à confirmer ou infirmer la manière dont la Partie contractante concernée a jugé du bien-fondé des craintes d’un requérant (Cruz Varas et autres c. Suède, arrêt du 20 mars 1991, série A no201, pp. 29‑30, §§ 75-76, Vilvarajah et autres, précité, § 107, Mamatkoulov et Askarov, précité, § 69 et X c. Suisse, n o 16744/14, § 62, 26 janvier 2017).
b) Application des principes en l’espèce
i. Sur la situation générale prévalant dans la région du Caucase du Nord
122. La Cour estime que quand bien même il ressort des rapports précités que peuvent être particulièrement à risque certaines catégories de la population du Nord Caucase et plus spécialement de Tchétchénie, d’Ingouchie ou du Daghestan, telles que les membres de la lutte armée de la résistance tchétchène, les personnes considérées par les autorités comme tels, leurs proches, les personnes les ayant assistés d’une manière ou d’une autre, les civils contraints par les autorités à collaborer avec elles ainsi que les personnes soupçonnés ou condamnés pour des faits de terrorisme, elle n’est pas d’avis qu’il s’agirait de groupes systématiquement exposés à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, notamment pour la dernière catégorie évoquée.
123. En conséquence, l’appréciation du risque pour le requérant doit se faire sur une base individuelle tout en gardant à l’esprit le fait que les personnes présentant un profil correspondant à l’une des catégories susmentionnées peuvent être plus susceptibles que les autres d’attirer l’attention des autorités.
ii. Sur la situation personnelle du requérant
124. Ainsi que la Cour l’a rappelé précédemment (paragraphe 120 ci‑dessus), si, en contrôlant l’existence d’un risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3, il faut se référer par priorité aux circonstances dont l’État en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l’expulsion, cela n’empêche pas la Cour de tenir compte de renseignements ultérieurs lesquels peuvent servir à confirmer ou infirmer la manière dont la Partie contractante concernée a jugé du bien-fondé des craintes d’un requérant (Vilvarajah et autres, précité, § 107). Toutefois, les éléments postérieurs doivent être des faits ou circonstances dont l’État en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l’expulsion.
α) Analyse des faits survenus avant l’exécution de la mesure d’expulsion
125. En l’espèce, la Cour relève que, selon les déclarations du requérant devant elle, ses craintes, préalablement à l’exécution de la mesure d’expulsion, étaient fondées sur sa qualité de réfugié, la protection internationale dont bénéficient les membres de sa famille en France et en Belgique, ses liens supposés par les autorités russes avec des opposants tchétchènes radicalisés et enfin sa condamnation en France pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme (paragraphe 96 ci-dessus). Le Gouvernement souligne quant à lui que le requérant s’est borné à invoquer devant les instances nationales des risques liés à sa « conception de l’islam » (paragraphe 100 ci-dessus). La Cour relève à ce sujet que le requérant avait soulevé différents moyens devant le juge des référés du tribunal administratif concernant la décision fixant le pays de destination, parmi lesquels une méconnaissance de l’article 3 de la Convention, une méconnaissance de l’article 14 de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 ainsi que la circonstance qu’il bénéficiait de la qualité de réfugié. Elle ne peut donc totalement souscrire à l’analyse du Gouvernement.
127. La Cour relève que les parents du requérant ont obtenu le statut de réfugié à leur arrivée en France. Ces deux décisions n’étaient pas motivées dès lors qu’elles leur octroyaient ce statut. Toutefois les récits sur le fondement desquels il fut accordé sont versés au dossier et permettent d’analyser les craintes dont ils faisaient état (paragraphe 6 ci-dessus), lesquelles étaient liées à leur engagement dans la résistance au cours des guerres de Tchétchénie. La Cour constate que le requérant a quant à lui bénéficié de ce statut au cours de sa minorité en application du principe de l’unité familiale.
128. Il est certain que les proches des membres de la lutte armée de la résistance tchétchène ou des personnes considérées par les autorités comme tels peuvent craindre d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de retour en Russie (paragraphe 122 ci-dessus) et que, selon un rapport international précité (paragraphe 73 ci-dessus), le régime de Kadyrov contrôle étroitement les membres de la diaspora tchétchène à l’étranger tout en appelant au retour des réfugiés. Néanmoins, le requérant ne produit pas d’éléments laissant à penser que les activités de ses parents il y a près de vingt ans en Tchétchénie auraient engendré pour lui, au moment de son expulsion, un risque avéré de subir de mauvais traitements ou des actes de torture en cas de retour en Russie.
129. En particulier, la Cour note que le requérant s’est vu délivrer un passeport russe en 2008 par la mairie de Grozny, soit peu d’années après l’octroi du statut de réfugié (paragraphe 7 ci‑dessus). Le Gouvernement fait valoir, sans être contredit, que la délivrance d’un tel document nécessitait le déplacement de l’intéressé en République de Tchétchénie alors au demeurant qu’il n’était pas autorisé à en solliciter l’octroi en raison de son statut de réfugié. La Cour remarque que le requérant n’apporte aucune explication aux incohérences relevées dans son récit par le Gouvernement, n’indiquant pas comment, dans les circonstances qu’il prétend être les siennes depuis 2004, il a réussi à obtenir un passeport russe. La Cour rappelle que la délivrance d’un titre de voyage international à une personne dont les activités avaient déjà attiré l’attention des autorités russes paraît hautement improbable (K.Y. c. France (déc.), no 14875/09, 3 mai 2011, et R.K. et autres c. France, précité, § 54).
130. La Cour constate que si le statut de réfugié du requérant fut maintenu à sa majorité sur le fondement des dispositions du 2) du A de l’article 1er de la Convention de Genève, qui sont relatives à des craintes de persécutions établies (paragraphes 8 et 52 ci-dessus), ce maintien fut effectué alors que le requérant n’avait pas informé l’OFPRA de l’obtention du passeport russe en 2008. Cette reconnaissance des craintes dans le pays d’origine ne peut donc être regardée comme ayant été effective à la date du maintien du statut.
131. Toutefois, la Cour relève que l’OFPRA, ayant eu par la suite connaissance de l’obtention dudit passeport, n’a pas estimé utile, lors du retrait du statut de réfugié en 2017, de faire usage des clauses de cessation d’application de la Convention de Genève (paragraphe 52 ci-dessus). Cela a eu pour conséquence de faire perdurer le bénéfice, pour le requérant, de la qualité de réfugié. La CNDA, saisie d’un recours contre le retrait du statut, ne pouvait, quant à elle, remettre en cause d’office cette qualité de réfugié (paragraphe 38 ci-dessus).
132. La Cour en déduit que, dans ces circonstances, la qualité de réfugié du requérant ne pouvait à elle seule établir les risques invoqués par l’intéressé de subir des traitements prohibés par l’article 3 de la Convention en cas de retour en Russie à la date de son expulsion.
133. S’agissant, en deuxième lieu, de la connaissance qu’auraient eue, préalablement à son expulsion, les autorités russes et tchéchènes de sa condamnation pénale en France pour participation à une association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d’un acte de terrorisme, la Cour constate que si le Gouvernement indique ne pas avoir entretenu de contact particulier avec les autorités russes en dehors de la procédure administrative de demande de réadmission nécessaire pour la délivrance d’un laissez-passer consulaire (paragraphe 104 ci-dessus), elle ne peut pour autant totalement écarter l’hypothèse selon laquelle les autorités russes ont eu connaissance de la procédure judiciaire ayant conduit à cette condamnation.
134. La Cour remarque que si la Russie n’a jamais sollicité de la France l’extradition du requérant ou une copie des décisions de justice le condamnant pour des faits liés au terrorisme, le requérant verse néanmoins au dossier un rapport du chef du centre de lutte contre l’extrémisme du ministère de l’intérieur de la Tchétchénie daté du 12 novembre 2020, soit la veille de son éloignement. Le Gouvernement met en doute l’authenticité de ce document et souligne que le requérant n’a pas fourni d’explications sur la manière dont il a pu se le procurer alors qu’il s’agit d’un acte interne à l’administration russe. Le Gouvernement indique qu’à le supposer authentique, ce document ne révèle pas, par lui-même, l’existence de traitements contraires à l’article 3 de la Convention. La Cour note que le requérant n’apporte pas d’explications sur les circonstances dans lesquelles il a pu obtenir ce document alors qu’il indique dans son formulaire de requête qu’à la date d’introduction de ce dernier, et dudit document, son avocat n’avait pu accéder au dossier en Russie pour assurer sa défense. Toutefois, notamment eu égard à ce qui a été dit au paragraphe 72, s’agissant des contacts entretenus dans le passé entre le service de la sécurité intérieure français et les services russes, la Cour entend ne pas écarter ce rapport. Elle souligne néanmoins qu’il n’a été à disposition des autorités internes que postérieurement à l’expulsion de l’intéressé.
135. S’agissant, en troisième et dernier lieu, des preuves que le requérant fournit pour établir l’intérêt que lui portent les autorités de son pays d’origine, la Cour note que l’intéressé a produit tant devant les juridictions internes que devant la Cour les témoignages de sa mère et d’une cousine de celle-ci relatant des faits survenus en octobre et novembre 2019 selon lesquels sa famille aurait été interrogée par les autorités russes sur sa situation (paragraphes 22 et 24 ci-dessus). Le Gouvernement conteste la valeur probante de telles attestations dès lors qu’elles ne seraient pas rédigées de manière manuscrite, ni signées et qu’elles n’émaneraient que de membres de la famille.
β) Analyse des faits survenus postérieurement à l’exécution de la mesure d’expulsion
136. Le requérant verse plusieurs pièces devant la Cour. S’agissant tout d’abord de la décision de placement en détention en Russie, consécutive au rapport du chef du centre de lutte contre l’extrémisme du ministère de l’intérieur de la Tchétchénie du 12 novembre 2020, le Gouvernement émet à l’encontre de cette pièce les mêmes critiques que pour le rapport susmentionné (paragraphe 134 ci-dessus). La Cour porte sur ce document une appréciation identique à celle sur le rapport du 12 novembre 2020 et ne rend pas déterminante l’erreur matérielle de date relevée par le Gouvernement.
137. S’agissant du document rédigé par l’avocat du requérant en Russie attestant d’une poursuite pénale à l’encontre de M. R sur le fondement de la deuxième partie de l’article 208 du code pénal de la Fédération de Russie, la Cour relève qu’ainsi que l’a constaté le Gouvernement ce document se borne à décrire les poursuites pénales dont fait l’objet le requérant. Elle souligne néanmoins que certaines personnes poursuivies sur ce fondement ont fait l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la Convention (voir, par exemple, le paragraphe 71 ci-dessus).
138. S’agissant du courrier du 31 mai 2021 attestant de la transmission d’une lettre fermée à la maison d’arrêt no 1 de Grozny, la Cour estime qu’un tel document ne permet ni d’établir ni d’exclure que le requérant serait soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.
139. S’agissant enfin des témoignages du requérant des mois de janvier 2021 et mai 2021 (paragraphes 33 et 34 ci-dessus), le Gouvernement soutient qu’ils ne sauraient suffire à établir l’existence de mauvais traitements. La Cour estime quant à elle qu’ils font état de méthodes attestées par plusieurs rapports internationaux et que, quand bien même ils doivent être analysés avec prudence dès lors qu’il s’agit de témoignages rédigés par le requérant lui-même, ils constituent des éléments qui s’ajoutent au faisceau d’indices disponible. La Cour relève en particulier que le requérant mentionne avoir été « remis à l’enquêteur de la direction de l’administration russe du MIA pour la ville de Grozny (département de police no 2 du district Oktyabrsky de Grozny) » et qu’il s’agit d’un endroit au sein duquel des instruments de torture ont été découverts dans le cadre d’une mission du CPT en 2017 (paragraphe 61 ci-dessus).
iii. Conclusion
140. La Cour constate qu’en l’espèce le requérant a conservé, en dépit de la révocation de son statut sur le fondement de l’article L. 711-6 du CESEDA, la qualité de réfugié. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, confirmée par le Conseil d’Etat (paragraphe 39 ci-dessus), le fait que l’intéressé a la qualité de réfugié est un élément qui doit être particulièrement pris en compte par les autorités internes lorsqu’elles examinent la réalité du risque que celui-ci allègue subir en cas d’expulsion (K.I. c. France, précité, § 144 et Bivolaru et Moldovan c. France, nos 40324/16 et 12623/17, § 141, 25 mars 2021).
141. En premier lieu, la décision préfectorale fixant la Russie comme pays de destination, prise sur le fondement de l’arrêté d’expulsion, mentionne qu’il a été mis fin au statut de réfugié du requérant et qu’il n’a apporté aucune justification ni aucune précision sur les dangers invoqués en cas de retour dans son pays d’origine. En revanche, l’arrêté ne fait aucune mention expresse du fait que l’intéressé a conservé la qualité de réfugié.
142. En second lieu, le tribunal administratif a rejeté, la veille de son éloignement effectif, le référé suspension introduit par le requérant sans indiquer expressément les motifs ayant fondé son appréciation (paragraphe 26 ci-dessus). Le seul constat d’un défaut de doute sérieux sur la légalité de l’arrêté fixant le pays de destination ne permet pas à la Cour au regard, en particulier, de la motivation de cet arrêté relevée plus haut, de vérifier que le tribunal a bien pris en compte, d’une part, la qualité de réfugié du requérant, quand bien même le maintien de cette qualité pouvait in fine ne pas apparaître déterminant, et, d’autre part, les craintes engendrées par le fait qu’il pourrait être identifié comme appartenant à une catégorie ciblée en raison de ses activités en lien avec le terrorisme islamiste. La Cour estime donc qu’elle n’est pas en mesure de contrôler qu’il a été procédé en temps utile à l’analyse des risques attendue au regard de l’article 3 de la Convention, laquelle implique un examen, au besoin d’office, des risques connus ou pouvant être connus à la date de l’expulsion (paragraphe 124 ci-dessus).
143. La Cour remarque que par deux décisions du mois de février 2021, le tribunal administratif rejeta les recours en annulation du requérant introduits contre l’arrêté d’expulsion et la décision fixant la Russie comme pays de destination (paragraphe 30 ci-dessus). Concernant les moyens soulevés par M. R sur le fondement des articles 2 et 3 de la Convention, le tribunal considéra que « dans les circonstances de l’espèce, au vu des éléments produits, le requérant n’est pas fondé à soutenir que la décision attaquée a été prise en méconnaissance des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Ainsi que cela ressort du raisonnement du tribunal administratif, cette conclusion était fondée sur une évaluation approfondie de la situation de M. R. Cet examen ayant été effectué après l’expulsion du requérant vers la Russie, l’appréciation portée par le tribunal administratif en février 2021 ne saurait remédier aux insuffisances de l’analyse des risques que la Cour a déjà décrites (paragraphes 140 à 142 ci-dessus).
144. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.
II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 2 ET 8 DE LA CONVENTION
145. Le requérant se plaint, sous l’angle de l’article 2 § 1 de la Convention, du risque qu’il avait de faire l’objet d’une disparition forcée en Russie en cas d’exécution de la mesure d’éloignement. Il soutient également, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, que son expulsion a porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
146. Eu égard aux faits de l’espèce, aux arguments des parties et à la conclusion à laquelle la Cour est parvenue sur le terrain de l’article 3 de la Convention, elle estime avoir examiné la principale question juridique soulevée par la requête. La Cour en conclut qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur les autres griefs (Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014).
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
147. Aux termes de l’article 41 de la Convention :
A. Dommage
148. Le requérant demande 30 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi en raison de la violation des articles 2 et 3 de la Convention et 20 000 EUR au titre du préjudice moral subi en raison de la violation de l’article 8 de la Convention.
149. Le Gouvernement soutient que le préjudice moral n’est pas établi et qu’en tout état de cause le montant sollicité est excessif.
150. Eu égard aux constats auxquels est parvenue la Cour dans le présent arrêt, elle estime que le constat de violation de l’article 3 constitue une satisfaction équitable suffisante et décide, en conséquence, de ne pas allouer d’indemnité pour dommage moral.
B. Frais et dépens
151. Le requérant réclame 7 920 EUR toutes taxes comprises au titre des frais et dépens qu’il a engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour.
152. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.
153. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 7 920 EUR pour les frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare le grief relatif à l’article 3 recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs formulés sur le terrain des articles 2 et 8 de la Convention ;
4. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 7 920 EUR (sept mille neuf cent vingt euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 août 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Martina Keller Síofra O’Leary
Greffière adjointe Présidente
[1] Reporters sans frontières (RSF), Classement mondial de la liberté de la presse 2022 : la nouvelle ère de la polarisation | RSF, publié le 03.05.2022, consulté le 06.05.2022.
[2] RSF, Classement mondial de la liberté de la presse 2021 : le journalisme est un vaccin contre la désinformation, bloqué dans plus de 130 pays | RSF, publié le 20.04.2021, consulté le 06.05.2022.
[3] RSF, Classement RSF 2020 : Europe de l’Est et Asie centrale, la stabilité dans une région cadenassée | RSF, publié le 19.04.2020, consulté le 06.05.2022.
[4] Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Les atteintes aux droits de l’homme en Tchétchénie devraient faire l’objet d’une enquête, et non d’une dissimulation - View (coe.int), publié le 18.03.2021, consulté le 06.05.2022.
[5] Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Fédération de Russie : le recours abusif à la législation anti-terroriste restreint la liberté des médias et la liberté d’expression - View (coe.int), publié le 19.02.2019, consulté le 06.05.2022.
[6] Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Russie : le Commissaire annule sa visite dans le pays en raison de restrictions inacceptables imposées à son programme - View (coe.int), publié le 11.10.2016, consulté le 10.05.2022.
[7] Danish Immigration Service, Security and human rights in Chechnya and the situation of Chechens in the Russian Federation - residence registration, racism and false accusations, p. 30, January 2015, 1/2015 ENG, Refworld | Security and human rights in Chechnya and the situation of Chechens in the Russian Federation - residence registration, racism and false accusations
[8] Extraits du rapport au gouvernement de la Fédération de Russie relatif à la visite effectuée par le CPT dans la République tchétchène de la Fédération de Russie du 28 novembre au 4 décembre 2017 (adopté le 9 mars 2018) (en anglais seulement), disponible en annexe de la déclaration publique sur la Fédération de Russie relative à la République tchétchène et autres républiques de la région du Caucase du Nord faite le 11 mars 2019, rédigée par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), https://rm.coe.int/16809371ef, consulté le 17.05.2022
[9] Dr Wolfgang Benedek, OSCE Rapporteur’s Report under the Moscow Mechanism on alleged Human Rights Violations and Impunity in the Chechen Republic of the Russian Federation, 2018, Moscow Mechanism rapporteur reports to OSCE Permanent Council on alleged human rights violations in the Chechen Republic of the Russian Federation | OSCE, publié le 20.12.2018, consulté le 18.05.2022.
[10] Human Rights Watch, Rapport Mondial 2019 sur les évènements de 2018, Rapport mondial 2019: Russie | Human Rights Watch (hrw.org), consulté le 18.05.2022.
[11] Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, COI Focus, Tchétchénie, Situation sécuritaire, 24 juillet 2019, p. 7, URL https://www.cgra.be/sites/default/files/rapporten/coi_focus_tchetchenie._situation_securitaire_20190724.pdf, consulté le 19.04.2022.
[12] Idem, p.13
[13] Ibidem, p. 17
[14] Ibidem, p. 18
[15] Ibidem, p. 20
[16] CPT, Déclaration publique sur la Fédération de Russie relative à la République tchétchène et autres républiques de la région du Caucase du Nord faite le 11 mars 2019, https://rm.coe.int/16809371ef, consulté le 17.05.2022.
[17] Human Rights Watch, Rapport Mondial 2021 sur les évènements de 2020, World Report 2021: Russia | Human Rights Watch (hrw.org), publié le 13.01.2021, consulté le 18.05.2022.
[18] U.S.Department of State, Bureau of Democracy, Human rights and Labor, 2021 Country Reports on Human Rights Practices: Russia, Russia - United States Department of State, publié le 12.04.2022, consulté le 06.05.2022.
[19] Idem p. 7
[20] Ibidem p. 9
[21] Ibidem p. 27
[22] Amnesty International rapport 20211/22 « La situation des droits humains dans le monde », pp. 413/414, https://www.amnesty.org/en/location/europe-and-central-asia/russian-federation/report-russian-federation/, publié le 29.03.2022, consulté le 19.04.2022.
[23] Idem, pp. 217/218.
[24] Amnesty International, Synthèse des préoccupations d’Amnesty International concernant le renvoi de demandeurs d’asile tchétchènes vers la Russie, et notamment le risque de refoulement, janvier 2022, pp. 2-4 URL https://amnestyfr.cdn.prismic.io/amnestyfr/33137662-98b1-45ad-acc6-2b8be844be91_SYNTH%C3%88SE+DES+PR%C3%89OCCUPATIONS+D%E2%80%99AMNESTY+INTERNATIONAL+CONCERNANT+LE+RENVOI+DE+DEMANDEURS+D%E2%80%99ASILE+TCH%C3%89TCH%C3%88NES+VERS+LA+RUSSIE.pdf, publié en janvier 2022, consulté le 19.04.2022.
[25] Idem, p. 6
[26] Ibidem, p.7
[27] Commission de la défense nationale et des forces armées, 10.05.2016, Assemblée nationale ~ Compte rendu de réunion de la commission de la défense nationale et des forces armées (assemblee-nationale.fr), consulté le 17.05.2022.
[28] Ministère des affaires étrangères, General Country of Origin Information Report for the Russian Federation (April 2021), General Country of Origin Information Report for the Russian Federation (April 2021) | Report | Government.nl, publié le 12.04.2021, consulté le 17.05.2022.