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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> NATALIA LUNGU v. THE REPUBLIC OF MOLDOVA - 68490/14 (Judgment : Article 2 - Right to life : Second Section Committee) French Text [2022] ECHR 76 (18 January 2022)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2022/76.html
Cite as: CE:ECHR:2022:0113JUD005508016, ECLI:CE:ECHR:2022:0118JUD006849014, CE:ECHR:2022:0118JUD006849014, ECLI:CE:ECHR:2022:0113JUD005508016, [2022] ECHR 76

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DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE NATALIA LUNGU c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 68490/14)

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

18 janvier 2022

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Natalia Lungu c. République de Moldova,


La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comitécomposé de :

          Branko Lubarda, président,
          Pauliine Koskelo,
          Marko Bošnjak, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section,


Vu :


la requête (no 68490/14) contre la République de Moldova et dont une ressortissante de cet État, Mme Natalia Lungu (« la requérante»), née en 1966 et résidant à Cobusca Nouă, représentée par Me V. Tănase, avocat à Chișinău, a saisi la Cour le 8 octobre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),


la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement moldave (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. O. Rotari,


les observations des parties,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 décembre 2021,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE


1.  La présente requête porte principalement sur un non-respect par les autorités étatiques de leur obligation de mettre en œuvre les peines d’emprisonnement prononcées contre les responsables de la mort du mari de la requérante.


2.  Le 2 août 2010, celui-ci décéda après avoir eu le veille une altercation violente avec deux individus, A.C. et N.G.


3.  Le jour même du décès, les autorités ouvrirent une enquête pénale pour coups et blessures graves ayant entraîné la mort. Par la suite, elles effectuèrent plusieurs mesures d’investigation. En particulier, elles auditionnèrent les agresseurs présumés, la requérante, ainsi qu’une vingtaine de témoins. Elles ordonnèrent également plusieurs expertises médicolégales qui firent état de blessures graves ayant causé le décès du mari de la requérante, à savoir une fracture du crâne associée à des hémorragies intracrâniennes et des fractures bilatérales des côtes associées à un hémothorax bilatéral. Environ cinq mois après les faits, l’autorité de poursuite déféra l’affaire à un tribunal.


4.  Le tribunal de première instance estima qu’il n’avait pas été établi que les lésions létales avaient été infligées par les deux accusés. Il jugea toutefois ceux-ci coupables de trouble à l’ordre public accompagné de coups et blessures légers, et condamna chacun à trois ans d’emprisonnement avec sursis. Il les plaça sous contrôle judiciaire jusqu’à l’adoption d’une décision exécutoire dans l’affaire.


5.  Le 26 décembre 2013, la cour d’appel infirma le jugement en question et condamna A.C. et N.G. à huit ans d’emprisonnement chacun pour coups et blessures graves ayant entraîné la mort. Elle alloua également 200 000 lei moldaves (environ 11 170 euros selon le taux de change en vigueur à ce moment-là) pour dommage moral, à payer solidairement par les deux accusés. Cette décision était exécutoire, mais A.C. et N.G. ne furent pas incarcérés, car ils avaient pris la fuite avant le prononcé.


6.  Par une décision définitive du 9 avril 2014, la Cour suprême de justice confirma la décision de la cour d’appel.


7.  Entre-temps, le 28 février 2014, la police avait lancé des avis de recherche à l’encontre de A.C. et N.G. Ayant établi que le premier était sorti du pays le 24 août 2013, elle avait lancé le 26 mars 2014 un avis de recherche au nom de celui-ci au sein des États membres de la Communauté des États indépendants. Par la suite, A.C. fut localisé en Fédération de Russie et, le 21 octobre 2014, les autorités moldaves demandèrent son extradition. Le 11 novembre 2014, le Parquet général russe les informa que le lieu où A.C. se trouvait n’était pas connu et que la demande d’extradition serait traitée après son éventuelle capture.


8.  Invoquant les articles 2 et 8 de la Convention, la requérante se plaint de la clémence, excessive à ses yeux, du jugement de la première instance qui aurait permis aux deux agresseurs de prendre la fuite et de l’absence de mesures efficaces de la part des autorités moldaves pour trouver ceux-ci afin qu’ils exécutent les peines infligées par la cour d’appel. Sur le terrain de l’article 8 de la Convention, elle se plaint également du montant du dédommagement moral alloué par les tribunaux, qu’elle juge insuffisant.

L’APPRÉCIATION DE LA COUR

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION


9.  La Cour estime d’emblée que la requête doit être examinée sous le seul angle du volet procédural de l’article 2 de la Convention (voir, par exemple, Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 153, 25 juin 2019, et Soares Campos c. Portugal, no 30878/16, § 122, 14 janvier 2020).


10.  Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, elle la déclare recevable.

 


12.  En l’espèce, l’adéquation globale des mesures d’investigation ne saurait poser problème. En effet, les autorités ont atteint le but principal poursuivi par l’enquête, à savoir l’établissement des causes de la mort de la victime, l’identification des personnes responsables et l’infliction des peines d’emprisonnement ferme qui n’apparaissent pas comme déraisonnablement clémentes (comparer avec Dub c. République de Moldova (déc.), no 39374/09, §§ 30-31, 5 juin 2018). Le fait que le tribunal de première instance ait jugé les deux accusés coupables de coups et blessures légers, et qu’il leur ait appliqué des peines d’emprisonnement avec sursis n’a pas eu un impact négatif sur la qualité des résultats de la procédure pénale, notamment sur la capacité des instances hiérarchiques à élucider l’affaire (comparer avec Sarbyanova-Pashaliyska et Pashaliyska c. Bulgarie, no 3524/14, §§ 42-43, 12 janvier 2017, et Dub (déc.), précitée, § 32).


13.  En revanche, les mesures adoptées par les autorités moldaves pour trouver les deux agresseurs en fuite n’apparaissent pas comme suffisantes.


14.  Pour ce qui est d’abord de A.C., il est vrai que celui-ci a quitté le territoire de la République de Moldova avant l’adoption de la décision de condamnation de la cour d’appel. Cependant, le Gouvernement n’explique nullement pourquoi, après la lettre des autorités russes de novembre 2014 (paragraphe 7 ci-dessus), aucune mesure n’a été prise pour le trouver. Notamment, un avis de recherche international aurait pu être lancé. Or, rien dans le dossier n’explique pourquoi cette démarche n’a pas été effectuée par les autorités moldaves (comparer avec, sur le terrain des articles 3 et 8 de la Convention, E.G. c. République de Moldova, no 37882/13, § 48, 13 avril 2021).


15.  Quant à N.G., il ressort des éléments fournis à la Cour que, excepté l’avis de recherche interne lancé par la police en février 2014, rien n’a été entrepris non plus pour le rechercher. En effet et à la différence de la situation de A.C., le Gouvernement n’a pas précisé quelles ont été les mesures concrètes adoptées par les autorités pour rechercher N.G. sur le territoire de la Moldova. Il n’a pas non plus expliqué pourquoi des avis de recherche international ou au sein de la Communauté des États indépendants n’ont pas été lancés au nom de ce dernier.

 


17.  Partant, il y a eu violation du volet procédural de cette disposition.


18.  Eu égard à cette conclusion, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’argument de la requérante tiré d’un dédommagement moral insuffisant.

L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


19.  La requérante demande 15 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi et 1 000 EUR au titre des frais et dépens qu’elle dit avoir engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour. Elle fournit copie du contrat signé avec son représentant.


20.  Le Gouvernement conteste ces sommes.


21.  La Cour octroie à la requérante 12 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.


22.  Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante l’intégralité de la somme réclamée pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.


23.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation du volet procédural de l’article 2 de la Convention ;

3.      Dit

a)     que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 12 000 EUR (douze mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens,

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.      Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 janvier 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

                       

        Hasan Bakırcı                                                             Branko Lubarda
       Greffier adjoint                                                                 Président

 


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