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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> POSZLER v. ROMANIA - 57038/16 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Fourth Section Committee) French Text [2022] ECHR 999 (15 November 2022) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2022/999.html Cite as: CE:ECHR:2022:1115JUD005703816, [2022] ECHR 999, ECLI:CE:ECHR:2022:1115JUD005703816 |
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QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE POSZLER c. ROUMANIE
(Requête no 57038/16)
ARRÊT
STRASBOURG
15 novembre 2022
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Poszler c. Roumanie,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en un comité composé de :
Yonko Grozev, président,
Iulia Antoanella Motoc,
Pere Pastor Vilanova, juges,
et de Crina Kaufman, greffière adjointe de section f.f.,
Vu la requête (no 57038/16) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Magdalena Ileana Poszler (« la requérante »), née en 1967 et résidant à Oradea, représentée par Me D.C. Rusu, avocat à Oradea, a saisi la Cour le 19 septembre 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement »), représenté par son agente, Mme O.-F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères,
les observations des parties,
la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen de la requête par un comité,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 octobre 2022,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
OBJET DE L’AFFAIRE
1. Par une décision du 15 avril 2014, la direction régionale des finances publiques de Cluj-Napoca, qui employait la requérante, ordonna la cessation des fonctions de cheffe de bureau que l’intéressée occupait et lui notifia une liste de postes relevant de la fonction publique à pourvoir au sein de cette direction. La cessation était justifiée par une réorganisation de l’institution, laquelle avait été décidée par le président de l’Agence nationale d’administration fiscale.
2. Après avoir engagé au préalable une procédure administrative qui se révéla infructueuse, la requérante saisit les tribunaux pour demander sa réintégration dans le poste de cheffe de bureau et la réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi en raison de la cessation de ses fonctions.
3. Par un jugement du 3 juin 2015, le tribunal départemental de Bihor fit droit à ladite demande, considérant que la réorganisation qui avait motivé la cessation des fonctions que l’intéressée occupait n’avait pas été suffisante pour justifier cette mesure.
4. L’employeur forma un recours contre ce jugement, arguant principalement de la réalité de la réorganisation des services en question et plaidant le défaut de qualité de victime de la requérante, celle-ci ayant eu la possibilité, dont elle avait fait usage, de choisir un autre poste dans la fonction publique.
5. Par un arrêt définitif du 10 février 2016, mis au net le 10 mars 2016 et communiqué à la requérante le 21 mars 2016, la cour d’appel d’Oradea fit droit au recours de l’employeur et rejeta l’action de la requérante, au motif que celle-ci n’avait pas demandé, dans son action introductive d’instance, l’annulation de la décision de son employeur du 15 avril 2014 portant cessation de ses fonctions. À cet égard, la cour d’appel se fonda sur l’article 8 § 1 de la loi no 554/2004 sur le contentieux administratif, selon lequel « quiconque estime qu’un acte administratif porte atteinte à ses droits légaux ou à ses intérêts légitimes, [et] n’est pas satisfait de la suite donnée à une plainte portée par lui [devant les autorités compétentes] (...) peut saisir les juridictions administratives pour demander l’annulation totale ou partielle de l’acte, la réparation du préjudice causé et, le cas échéant, une réparation pour préjudice moral ». Or, de l’avis de la cour d’appel, l’action en réintégration de la requérante et en réparation de dommages constituait une demande accessoire, qui ne pouvait être accueillie en l’absence d’une demande principale d’annulation de l’acte administratif portant cessation des fonctions de l’intéressée.
6. La requérante exerça une voie de recours extraordinaire (contestaţie în anulare) contre ledit arrêt, estimant que le rejet de son action était fondé sur un motif nouveau qui, selon elle, avait été soulevé d’office par la juridiction d’appel et n’avait jamais fait l’objet d’un débat entre les parties. Par un arrêt définitif du 3 juin 2016, la cour d’appel d’Oradea rejeta ce recours comme étant irrecevable, considérant que la requérante demandait en réalité le réexamen d’une affaire définitivement tranchée.
7. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, la requérante expose que son action a été rejetée par la cour d’appel d’Oradea sur le fondement d’un motif nouveau dont elle n’aurait eu connaissance qu’après la rédaction de l’arrêt définitif, et elle soutient que le principe du contradictoire a de ce fait été méconnu. Elle affirme que ce motif n’avait pas été évoqué par la partie défenderesse dans son recours, et explique que la cour d’appel ne l’a pas informée de ce qu’elle l’avait soulevé d’office, la privant ainsi de toute possibilité de présenter des arguments s’y rapportant.
APPRÉCIATION DE LA COUR
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
A. Sur la recevabilité
8. Le Gouvernement soulève l’exception de non-respect de la règle de six mois, qui était applicable à l’époque de l’introduction de la requête. Il expose que la décision définitive en l’espèce a été rendue le 10 février 2016 et mise au net le 10 mars 2016, alors que la requête a été introduite le 19 septembre 2016, soit plus de six mois après chacune des deux dates. La Cour note que la décision définitive de la cour d’appel d’Oradea a été communiquée à la requérante le 21 mars 2016. Compte tenu de la date de l’introduction de la requête et de sa jurisprudence en la matière (Akif Hasanov c. Azerbaïdjan, no 7268/10, § 27, 19 septembre 2019), elle estime que l’exception du Gouvernement doit être rejetée.
9. Le Gouvernement soutient en outre que la requérante demande en réalité à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de l’affaire, c’est‑à‑dire de s’ériger en juge de « quatrième instance ». La Cour note que l’intéressée se limite à mettre en cause le respect du principe du contradictoire dans la procédure engagée par elle devant les tribunaux internes et estime que les considérations du Gouvernement sont liées au fond de l’affaire qu’elle examinera ci-dessous.
10. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour aucun autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
11. Les principes généraux concernant le respect du principe du contradictoire ont été résumés dans Čepek c. République tchèque (no 9815/10, §§ 44-48, 5 septembre 2013).
12. En l’espèce, la Cour observe que si la juridiction de première instance a accueilli l’action de la requérante par un jugement du 3 juin 2015, la cour d’appel d’Oradea a annulé ce jugement, rejetant l’action de l’intéressée au motif que celle-ci avait omis de demander expressément l’annulation de la décision du 15 avril 2014 portant cessation de ses fonctions. La Cour n’entend se prononcer ni sur la technique de substitution de motifs en tant que telle, ni sur la question de savoir si la juridiction de dernière instance s’est fondée sur des motifs arbitraires ou manifestement déraisonnables pour appliquer la loi, mais elle examinera le seul point de savoir si le fait pour la cour d’appel d’Oradea d’avoir retenu d’office un nouveau motif pour rejeter l’action en cause a porté atteinte, dans les circonstances de l’espèce, au droit de la requérante à une procédure contradictoire.
13. À cet égard, il apparaît que le motif invoqué par la cour d’appel - à savoir que la requérante n’avait pas sollicité, préalablement à sa demande de réintégration et d’indemnisation, l’annulation de la décision portant cessation de ses fonctions - s’appuyait sur des éléments de fait et de droit qui n’avaient pas été abordés dans le débat, lequel aurait permis à la requérante de discuter le bien-fondé du nouveau motif et, conséquemment, de ne pas être prise au dépourvu. En effet, l’absence de cette prétention, qui ne constituait pas un élément de la défense de l’employeur, ne lui avait été reprochée à aucun moment au cours de la procédure devant le tribunal départemental. La Cour n’a pas à apprécier le bien-fondé des observations que la requérante aurait pu soumettre relativement au motif soulevé par la cour d’appel, mais elle est d’avis que l’intéressée devait se voir offrir la possibilité d’y répliquer avant que la juridiction ne statue. Dès lors, la requérante a été, en l’espèce, privée de la possibilité de présenter ses arguments sur le nouveau motif retenu par la cour d’appel pour rejeter sa requête et a ainsi été privée d’un procès équitable.
14. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
15. La requérante demande pour dommage moral une indemnité de 7 000 euros (EUR) - sans autre précision - et de 14 000 EUR - pour la cessation, selon elle illégale et abusive, des fonctions de direction qu’elle occupait et le caractère inéquitable à ses yeux de la procédure suivie pour l’examen de la contestation de cette cessation. Elle ne réclame aucune somme au titre des frais et dépens.
16. Le Gouvernement estime qu’un constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention constituerait en soi une réparation équitable satisfaisante. À titre subsidiaire, il considère que les sommes demandées sont excessives.
17. La Cour ne saurait spéculer sur ce qu’aurait été l’issue du procès si les garanties de l’article 6 § 1 de la Convention avaient été respectées. Elle estime toutefois qu’il n’est pas déraisonnable de penser que l’intéressée a subi un préjudice moral réel dans le cadre dudit procès (Alexe c. Roumanie, no 66522/09, § 50, 3 mai 2016). En conséquence, elle accorde à la requérante 1 500 EUR à ce titre.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans un délai de trois mois, 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 novembre 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Crina Kaufman Yonko Grozev
Greffière adjointe f.f. Président