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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> MORALES v. SWITZERLAND - 69212/17 (Judgment : Article 6 - Right to a fair trial : Third Section Committee) French Text [2023] ECHR 392 (09 May 2023)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2023/392.html
Cite as: [2023] ECHR 392, ECLI:CE:ECHR:2023:0509JUD006921217, CE:ECHR:2023:0509JUD006921217

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TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MORALES c. SUISSE

(Requête no 69212/17)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

9 mai 2023

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Morales c. Suisse,


La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un comité composé de :

          Yonko Grozev, président,
          Ioannis Ktistakis,
          Andreas Zünd, juges,
et de Olga Chernishova, greffière adjointe de section,


Vu :


la requête (no 69212/17) contre la Confédération suisse et dont un ressortissant espagnol, M. Gabriel Morales (« le requérant »), né en 1977 et résidant à Zuchwil, représenté par Me R. Giebenrath, avocat à Strasbourg, a saisi la Cour le 13 septembre 2017 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la  Convention »),


la décision de porter à la connaissance du gouvernement suisse (« le  Gouvernement »), représenté par son agent, M. A. Chablais, le grief tiré de l’article 6 de la Convention relatif à l’absence d’audience et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,


le fait que le gouvernement espagnol, informé de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention), n’a pas souhaité s’en prévaloir,


les observations des parties,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 avril 2023,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE


1.  L’affaire concerne, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, l’absence d’audience devant les tribunaux nationaux dans une procédure de retrait de l’autorité parentale.


2.  Le requérant et sa compagne eurent un enfant en 2010. En vertu du droit applicable à l’époque aux parents non mariés, l’enfant fut placé sous l’autorité parentale exclusive de sa mère.


3.  Après la séparation des parents en 2011, la garde de l’enfant fut accordée à la mère et le requérant obtint un droit de visite.


4.  À la suite d’une réforme du Code civil instaurant le principe de l’autorité parentale conjointe, l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte du canton de Berne (APEA) accorda au requérant l’autorité parentale conjointe par décision du 3 décembre 2014.


5.  Le 5 octobre 2015, en raison d’un conflit persistant entre les parents, l’APEA mandata l’établissement d’une expertise relative au bien de l’enfant et aux capacités éducatives des parents.


6.  Par expertise du 31 mars 2016, le Service psychologique pour enfants et adolescents du canton de Berne recommanda l’attribution de l’autorité parentale exclusive à la mère au motif que l’enfant souffrait d’un conflit de loyauté résultant du comportement du requérant. Les experts précisèrent que les capacités éducatives du requérant n’avaient pas pu être évaluées de manière approfondie faute de collaboration de celui-ci.


7. Par décision du 6 juillet 2016, l’APEA attribua l’autorité parentale exclusive à la mère.


8.  Le 16 août 2016, le requérant recourut contre cette décision auprès du Tribunal de protection de l’enfant et l’adulte du canton de Berne (TPEA), demandant l’octroi de l’autorité parentale conjointe. Il sollicita une audience publique afin d’être entendu oralement.


9.  Par jugement du 17 novembre 2016, le TPEA rejeta le recours. Concernant la demande du requérant, qui invoquait l’article 6 de la Convention, d’être entendu oralement lors d’une audience, le TPEA considéra que l’article 6 de la Convention ne garantissait pas un droit à s’expliquer oralement dans le cadre d’une audience. En l’espèce, il était justifié de se dispenser d’une telle audience car le requérant s’était largement exprimé par écrit durant la procédure. Quant à la demande d’une audience publique, le TPEA releva qu’il ne s’agissait pas d’un droit absolu et qu’il était notamment possible d’y renoncer lorsque la protection de la vie privée des parties l’exigeait. En l’occurrence, une audience publique n’était pas compatible avec la nécessité de préserver le développement de l’enfant, de sorte qu’il était justifié d’y renoncer.


10.  Par recours du 7 janvier 2017 devant le Tribunal fédéral, le requérant conclut à l’annulation du jugement du TPEA et à l’octroi de l’autorité parentale conjointe. Invoquant l’article 6 de la Convention, il sollicita une audience devant le Tribunal fédéral afin d’exprimer oralement ses arguments et se plaignit de ne pas avoir été entendu oralement par le TPEA.


11.  Par arrêt du 15 mars 2017, le Tribunal fédéral rejeta le recours, confirmant ainsi l’attribution de l’autorité parentale exclusive à la mère. S’agissant de la demande d’audience formulée en vertu de l’article 6 de la Convention, le Tribunal fédéral la rejeta au motif que le requérant n’avait pas suffisamment motivé en quoi une audience s’avérait nécessaire devant le Tribunal fédéral. Le Tribunal fédéral ne répondit pas explicitement à l’argument relatif à l’absence d’audience devant le TPEA.


12.  Le requérant ne fut pas assisté par un avocat durant la procédure nationale.

APPRÉCIATION DE LA COUR

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


13.  Le requérant se plaint de ne pas avoir été entendu lors d’une audience publique devant le TPEA.


14.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes au motif que le requérant n’aurait pas soulevé ce grief devant le Tribunal fédéral.


15.  L’article 35 § 1 impose de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance, et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite devant la Cour (Mutu et Pechstein c. Suisse, nos 40575/10 et 67474/10, § 72, 2 octobre 2018).


16.  En l’occurrence, dans son mémoire de recours adressé au Tribunal fédéral, le requérant a conclu à l’annulation du jugement du TPEA, a explicitement soulevé l’article 6 de la Convention, a sollicité d’être entendu lors d’une audience et s’est plaint de ne pas avoir bénéficié d’une audience devant le TPEA pour exprimer oralement ses arguments. Dans ces circonstances, la Cour considère que le requérant a invoqué ce grief de manière suffisante devant les juridictions internes. L’exception du Gouvernement doit donc être rejetée.


17.  Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.


18.  Les principes généraux concernant le droit à une audience ont été résumés, entre autres, dans Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal ([GC], nos 55391/13 et 2 autres, §§ 187-192, 6 novembre 2018) et Göç c. Turquie ([GC], no 36590/97, §§ 47-51, CEDH 2002-V).


19.  Il ressort de ces principes que le droit de chacun à ce que sa cause soit « entendue publiquement », au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, implique le droit à une audience, sauf si des circonstances exceptionnelles justifient de s’en dispenser.


20.  En l’occurrence, aucune audience n’a été organisée devant les juridictions internes. Il n’est pourtant pas contesté que le requérant a dûment sollicité d’être entendu en personne lors d’une audience.


21.  La Cour doit donc d’examiner si des circonstances exceptionnelles justifiaient de se dispenser d’une audience en l’espèce.


22.  Il n’est pas contesté que le requérant s’est exprimé par écrit durant la procédure devant les autorités nationales. La Cour observe toutefois que le litige portait sur le retrait de l’autorité parentale conjointe au requérant (paragraphes 6-7 ci-dessus). L’objet du litige n’était donc pas de nature purement juridique ou technique mais, au contraire, imposait aux juridictions internes d’évaluer la personnalité du requérant et sa capacité à exercer ses droits parentaux (comparer avec Evers c. Allemagne, no 17895/14, § 98, 28 mai 2020). Il était donc important que l’intéressé puisse exposer ses arguments oralement lors d’une audience afin que les tribunaux puissent forger leur propre opinion sur ces questions (ibidem). La Cour relève en outre que les tribunaux nationaux se sont essentiellement fondés sur une expertise pour retirer l’autorité parentale au requérant. Or, cette expertise mentionnait expressément qu’il n’avait pas été possible d’évaluer de manière approfondie les capacités éducatives du requérant (paragraphe 6 ci-dessus), de sorte que cette question apparaissait comme nécessitant des éclaircissements supplémentaires (voir, mutatis mutandis, Miller c. Suède, no 55853/00, § 34, 8 février 2005).


23.  Au vu de ce qui précède, la Cour juge qu’il n’existait en l’espèce aucune circonstance exceptionnelle propre à justifier que les juridictions internes se dispensent d’entendre le requérant en personne. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à cet égard. En l’absence d’audience, le grief relatif à la publicité de l’audience s’avère sans objet.

APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION


24.  Le requérant sollicite l’octroi d’une satisfaction équitable non chiffrée au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi. Il réclame également l’octroi de 8 397,26 euros (EUR) au titre de frais et dépens engagés dans le cadre de la procédure menée devant les juridictions internes et devant la Cour.


25.  La Cour constate que, comme l’a relevé le Gouvernement, la demande de satisfaction équitable a été introduite le 15 juin 2021, soit hors du délai qui avait été imparti au requérant, fixé au 3 mai 2021. Elle rappelle qu’en vertu de l’article 60 § 2 du règlement, le requérant doit soumettre ses prétentions dans le délai qui lui a été imparti pour la présentation de ses observations sur le fond. Si le requérant ne respecte pas ces exigences, la Cour peut rejeter tout ou partie de ses prétentions selon l’article 60 § 3 du règlement (Abdi Ibrahim c. Norvège [GC], no 15379/16, §§ 167-170, 10 décembre 2021).


26.  En application de cette disposition, la Cour estime qu’il n’y a lieu d’allouer aucune somme au titre de satisfaction équitable en l’espèce.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention concernant l’absence d’audience recevable ;

2.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3.      Rejette la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 mai 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

                       

Olga Chernishova                                                           Yonko Grozev
Greffière adjointe                                                               Président


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