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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> SEDAT BAYRAM v. TURKIYE - 54611/11 (Judgment : Article 11 - Freedom of assembly and association : Second Section Committee) French Text [2023] ECHR 42 (17 January 2023) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2023/42.html Cite as: ECLI:CE:ECHR:2023:0117JUD005461111, CE:ECHR:2023:0117JUD005461111, [2023] ECHR 42 |
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DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE SEDAT BAYRAM c. TÜRKİYE
(Requête n o 54611/11)
ARRÊT
STRASBOURG
17 janvier 2023
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Sedat Bayram c. Türkiye,
La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :
Egidijus Kūris
, président
,
Pauliine Koskelo,
Frédéric Krenc
, juges
,
et de Dorothee von Arnim,
greffière adjointe
de section
,
Vu la requête n o 54611/11, dirigée contre la République de Türkiye et dont un ressortissant de cet État, M. Sedat Bayram (« le requérant »), né en 1986 et résidant à Istanbul, représenté par Me M. Erbil et Me N. Selcuk, avocats à Istanbul, a saisi la Cour le 12 juillet 2011 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement turc (« le Gouvernement »), représenté par son agent, M. Hacı Ali Açıkgül, Chef du service des droits de l'homme au ministère de la Justice de Türkiye, les griefs formulés sur le terrain des articles 10 et 11 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
Vu les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 décembre 2022,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
OBJET DE L'AFFAIRE
1. La requête concerne une condamnation que le requérant s'est vu infliger pour avoir pris part, dans un palais de justice, à une manifestation au cours de laquelle les participants avaient scandé des slogans, déployé une pancarte, jeté des tracts et s'étaient enfermés dans l'un des couloirs de l'édifice, entravant ainsi le déroulement des audiences. L'intéressé y voit une violation de son droit à la liberté d'expression et à la liberté de réunion telles que garanties par les articles 10 et 11 de la Convention.
2. À l'époque des faits, le requérant était un mineur âgé de dix-sept ans.
3. Le 18 novembre 2003 vers 10 h 50, une vingtaine de personnes, dont le requérant, participèrent à une manifestation au palais de justice de Sultanahmet, à Istanbul, pour protester notamment contre les conditions de détention d'Abdullah Öcalan, le chef du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation illégale armée).
4. Le requérant et les autres manifestants furent arrêtés vers 11 h 50, après que la police eut fait irruption dans le couloir qu'ils avaient bloqué (pour un exposé détaillé des circonstances de l'affaire et du contenu des messages scandés, de la pancarte affichée et des tracts jetés par les manifestants, la Cour renvoie à l'affaire Ekrem Can et autres c. Turquie (n o 10613/10, §§ 5-8, 8 mars 2022).
5. Le 19 novembre 2003, le procureur près le tribunal pour mineurs d'Istanbul entendit le requérant, dont il requit le placement en détention provisoire. Le même jour, le juge de paix ordonna le placement du requérant en détention provisoire.
6. Par un acte d'accusation du 21 novembre 2003, le procureur requit la condamnation pénale du requérant pour menace et, en application de l'article 169 du code pénal n o 765 tel qu'il était en vigueur à l'époque des faits, pour aide et assistance à une bande armée séparatiste.
7. Le 2 août 2004, la cour d'assises ordonna la mise en liberté provisoire du requérant.
8. Le 20 décembre 2006, la cour d'assises condamna le requérant à une peine de trois ans et neuf mois d'emprisonnement en application des dispositions du code pénal susmentionnées. Elle le condamna de surcroît à une peine d'un an et huit mois d'emprisonnement pour entrave à l'activité publique.
9. Le 18 mars 2009, la Cour de cassation censura le jugement au motif que pour déterminer la peine à infliger au requérant la cour d'assises n'avait pas pris en considération le fait que l'intéressé était mineur au moment des faits.
10. Le 30 juin 2010, la cour d'assises d'Istanbul condamna le requérant à une peine de deux ans et six mois d'emprisonnement pour aide et assistance à une bande armée séparatiste. Elle lui infligea en outre une peine de dix mois d'emprisonnement pour entrave aux activités d'un établissement public, qu'elle commua en une amende d'un montant de 6 000 livres turques (près de 3 100 euros à l'époque du jugement).
11. Le 2 avril 2012 la Cour de cassation annula pour cause de prescription de l'infraction la peine prononcée relativement au délit d'aide et assistance à une bande armée séparatiste, et elle confirma les autres dispositions du jugement de la cour d'assises.
APPRÉCIATION DE LA COUR
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 11 DE LA CONVENTION
12. Invoquant les articles 10 et 11 de la Convention, le requérant soutient que l'intervention de la police et les procédures pénales qui ont été engagées contre lui s'analysent en une atteinte à son droit à la liberté d'expression ainsi qu'à son droit à la liberté de réunion.
13. La Cour estime qu'il convient d'examiner les griefs du requérant sous le seul angle de l'article 11, considéré toutefois à la lumière de l'article 10 ( Ekrem Can et autres , précité, § 68).
14. Le Gouvernement considère que les actes et activités du requérant relèvent de l'article 17 de la Convention, et il invite en conséquence la Cour à déclarer le grief irrecevable comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention.
15. La Cour observe qu'elle a déjà examiné et rejeté une exception préliminaire similaire dans l'affaire Ekrem Can et autres (arrêt précité, §§ 72 - 73 et 85). Faute en l'espèce d'une quelconque circonstance particulière qui exigerait qu'elle s'écarte de la conclusion formulée par elle à l'époque, elle rejette l'exception du Gouvernement.
16. Constatant que le grief n'est ni manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l'article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
17. La Cour estime tout d'abord que l'arrestation du requérant, son placement en détention et les poursuites engagées contre lui ainsi que sa condamnation à raison de sa participation à une manifestation dans les locaux du palais de justice de Sultanahmet s'analysent en une ingérence dans l'exercice par le requérant de son droit à la liberté de réunion.
18. Le requérant ne conteste pas que cette ingérence avait une base légale en droit interne et que la loi pertinente satisfaisait aux exigences de qualité imposées par la Convention. La Cour considère en outre que l'ingérence litigieuse poursuivait les buts légitimes que constituent la défense de l'ordre et la protection de la sûreté publique et des droits et libertés d'autrui.
19. Quant à la question de savoir si l'ingérence était nécessaire dans une société démocratique, la Cour rappelle qu'elle a estimé dans l'affaire Ekrem Can et autres que les États contractants ne jouissent pas d'un pouvoir discrétionnaire illimité pour prendre toute mesure qu'ils jugeraient appropriée, et qu'il lui appartient d'apprécier la nature et la sévérité des sanctions infligées relativement à des comportements impliquant un certain degré de trouble à l'ordre public ( ibidem , § 92). Une manifestation pacifique ne devrait pas, en principe, être passible d'une sanction pénale, surtout sous la forme d'une privation de liberté ( Akgöl et Göl c. Turquie , n os 28495/06et 28516/06, § 43, 17 mai 2011, et Taranenko c. Russie , n o 19554/05, § 87, 15 mai 2014).
20. En l'espèce, la Cour de cassation a annulé pour cause de prescription de l'infraction la condamnation pénale qui avait été prononcée contre le requérant pour le délit d'aide et assistance à une bande armée séparatiste, mais l'intéressé a été puni d'une amende pour entrave aux activités d'un établissement public. En plus, le requérant, bien que mineur à l'époque des faits, a été arrêté par la police et placé en détention provisoire, où il est resté pendant plus de huit mois, avant de faire l'objet d'une condamnation pénale. À la lumière de ces constatations, la Cour estime que l'ingérence litigieuse dans l'exercice par le requérant de son droit à la liberté de réunion, lu à la lumière de l'article 10 de la Convention, n'était pas « nécessaire dans une société démocratique ».
21. Partant, il y a eu violation de l'article 11 de la Convention.
APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
22. Le requérant demande 10 000 euros (EUR) pour dommage moral et 3 150 EUR au titre des frais et dépens qu'il dit avoir engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.
23. Le Gouvernement conteste les prétentions de l'intéressé.
24. La Cour considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 7 500 EUR pour préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme.
25. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour juge par ailleurs raisonnable d'allouer au requérant la somme de 1 000 EUR pour ses frais, tous chefs confondus, plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d'impôt sur cette somme.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l'État défendeur au taux applicable à la date du règlement :
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 janvier 2023, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Dorothee von Arnim
Egidijus Kūris
Greffière adjointe
Président