BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
European Court of Human Rights |
||
You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> PANJU v. BELGIUM (No. 2) - 49072/21 (Judgment : No Article 13+6-1 - Right to an effective remedy : Second Section) French Text [2023] ECHR 429 (23 May 2023) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2023/429.html Cite as: CE:ECHR:2023:0523JUD004907221, [2023] ECHR 429, ECLI:CE:ECHR:2023:0523JUD004907221 |
[New search] [Contents list] [Help]
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE PANJU c. BELGIQUE (No 2)
(Requête no 49072/21)
ARRÊT
Art 13 (+ Art 6 § 1) • Recours effectif • Refus d’indemnisation pour la durée excessive de la procédure pénale, constatée par la Cour européenne, le dommage moral ayant été réparé par la décision ultérieure d’irrecevabilité des poursuites • Reconnaissance d’une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable • Arrêt définitif des poursuites et de la longueur dénoncée • Absence d’indemnisation complémentaire en raison de l’absence de preuve d’un préjudice, conformément au droit national, que l’irrecevabilité des poursuites n’a pas suffisamment réparé • Dommage matériel ne résultant pas de la longueur de l’instruction pénale
STRASBOURG
23 mai 2023
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Panju c. Belgique (no 2),
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une Chambre composée de :
Arnfinn Bårdsen, président,
Jovan Ilievski,
Egidijus Kūris,
Pauliine Koskelo,
Saadet Yüksel,
Frédéric Krenc,
Diana Sârcu, juges,
et de Hasan Bakırcı, greffier de section,
Vu :
la requête (no 49072/21) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant canadien, M. Zulfikarali Panju (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 29 septembre 2021.
la décision de porter à la connaissance du gouvernement belge (« le Gouvernement ») le grief concernant l’article 13 combiné à l’article 6 § 1 de la Convention et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 mai 2023,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La présente affaire concerne une procédure civile en indemnisation de la durée excessive de la procédure pénale menée contre le requérant. Celui-ci se plaint que le recours en responsabilité contre l’État n’a pas été effectif car il n’a pas été indemnisé du dommage moral et matériel subi. Il invoque l’article 13 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1943 et réside à Bukavu. Il a été représenté par Me M. Grégoire, avocate.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.
I. LE CONTEXTE DE L’AFFAIRE : L’ARRÊT PANJU C. BELGIQUE, NO 18393/09, 28 OCTOBRE 2014
4. Le requérant fut placé sous mandat d’arrêt le 19 novembre 2002 pour des soupçons de trafic illégal d’or et d’infraction à la loi sur le blanchiment de capitaux. Les 50 kilogrammes d’or qu’il transportait furent confisqués et ses comptes bancaires belges furent bloqués. Il fut mis en liberté sous condition et, courant 2002, cinq autres personnes furent inculpées dans la même affaire.
5. En 2005 et 2007, le requérant introduisit plusieurs requêtes auprès de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles pour se plaindre de la longueur de la procédure. Après avoir d’abord estimé que le délai n’était pas anormal eu égard à l’ampleur et à la complexité de l’affaire, la chambre des mises en accusation reconnut que le requérant se plaignait à juste titre des lenteurs de la procédure. Toutefois, elle souligna que, malgré sa compétence de contrôle du bon déroulement des instructions, elle était sans pouvoir pour demander au parquet de prendre des réquisitions. Elle prit en outre note que le procureur général, après avoir décrit des conditions de travail difficiles au parquet de Bruxelles, avait regretté le retard que connaissait cette procédure et s’était engagé à un règlement dans les plus brefs délais.
6. En 2007, le requérant engagea une procédure afin d’obtenir la levée des saisies opérées au motif, notamment, que le délai raisonnable prévu par l’article 6 § 1 de la Convention avait été dépassé. Il en fut débouté par la chambre des mises en accusation qui considéra que, du fait de la participation, par le dépôt de multiples requêtes, du requérant au retard qu’il dénonçait, il était malvenu de se plaindre des lenteurs de procédure. Elle réitéra cette observation dans des arrêts ultérieurs.
7. Le 27 mars 2009, le requérant saisit la Cour de la requête no 18393/09.
8. Le 29 mars 2010, la cour d’appel de Bruxelles récusa le juge d’instruction en charge de l’affaire.
9. Le 10 mai 2011, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles prononça la nullité de l’ensemble des devoirs d’enquête réalisés après le 18 novembre 2002, avec pour conséquence l’annulation du blocage des comptes bancaires du requérant et de la saisie de l’or lui appartenant.
10. Dans son arrêt du 28 octobre 2014, considérant que le Gouvernement n’avait pas démontré que les recours qu’il invoquait constituaient des recours effectifs disponibles en théorie et en pratique pour se plaindre du dépassement du délai raisonnable, la Cour conclut à une violation de l’article 13 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention. Elle constata également une violation de l’article 6 § 1 en raison du dépassement du délai raisonnable dans le cadre de l’instruction pénale initiée en 2002 à l’endroit du requérant.
II. FAITS À L’ORIGINE DE LA PRÉSENTE ESPÈCE
11. Entre-temps, les comptes bancaires belges du requérant furent libérés en janvier 2013 et l’or lui fut restitué en mars 2013.
12. Le 25 juin 2014, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles constata que, malgré la complexité du dossier, les poursuites pénales prises dans leur ensemble dépassaient le délai raisonnable et que tout nouveau devoir d’enquête serait vain.
13. Le 28 août 2014, le juge d’instruction prononça une ordonnance de soit-communiqué.
14. Le 27 janvier 2015, le procureur du Roi requit la fin des poursuites dirigées contre le requérant.
15. Le 24 juin 2015, statuant sur le règlement de la procédure, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles prononça l’irrecevabilité des poursuites en ces termes :
« L’appréciation du dépassement éventuel [du délai raisonnable] dès avant le règlement de la procédure ressortit au contrôle de la régularité de celle-ci au sens de l’article 235bis du code d’instruction criminelle. Lorsqu’elle constate que le dépassement du délai raisonnable a pour effet de rendre impossible l’exercice des droits de la défense et/ou l’administration de la preuve sont devenus, entretemps, impossible et qu’il en résulte une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable, la chambre des mises en accusation doit, dans ce cas, déclarer les poursuites irrecevables.
Le 25 juin 2014, la (...) chambre des mises en accusation a constaté qu’en l’espèce, les poursuites pénales, prises dans leur ensemble, dépassaient le délai raisonnable au sens de l’article 21ter du titre préliminaire du code d’instruction criminelle.
Aujourd’hui près d’un an après ledit arrêt, la présente cour (...) constate que ce dépassement du délai raisonnable a pour effet de rendre impossible l’exercice des droits de la défense et qu’il en résulte une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable justifiant de déclarer, dès à présent, les poursuites irrecevables.
En effet, le 10 mai 2011, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles prononça la nullité de l’ensemble des devoirs d’enquête réalisés après le 18 novembre 2002 et aucun devoir d’enquête ne fut réalisé ensuite de cette ordonnance.
Et les inculpés n’ont plus la possibilité près de treize ans après le dernier devoir d’enquête, de faire valoir des moyens de défense et de présenter des demandes utiles au jugement de la cause, plus spécialement des éléments de preuve à décharge, totalement absents de ce qui subsiste de l’enquête réalisée. »
16. Enfin, dans le même arrêt, la chambre des mises en accusation confirma que les éventuelles saisies qui subsisteraient devaient être levées et que les éventuels produits de la vente de valeurs ou de biens appartenant aux inculpés devaient leur être restitués.
17. Se référant notamment aux constats de l’arrêt de la Cour du 28 octobre 2014 et de l’arrêt de la chambre des mises en accusation du 24 juin 2015 (paragraphes 10 et 15 ci-dessus), le requérant cita le 18 mai 2016 l’État belge devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles en réparation du préjudice moral résultant des lenteurs de la procédure et du préjudice matériel subi en raison du blocage des avoirs financiers et de l’or.
18. Le 6 avril 2017, le tribunal rejeta l’exception de prescription invoquée par l’État belge. Il estima la faute résultant du dépassement du délai raisonnable établie. Il désigna un expert pour évaluer le dommage matériel. Quant au dommage moral, il le jugea établi du fait de l’incertitude dans laquelle le requérant avait été maintenu pour la période du 10 novembre 2011 au 24 juin 2015. Estimant que la décision d’irrecevabilité des poursuites pénales du 24 juin 2015 n’avait pu, à elle seule, compenser le dommage moral subi in concreto, le tribunal considéra que le dommage moral résiduel serait par conséquent indemnisé par un montant fixé ex aequo et bono à 1 000 euros (« EUR »).
19. Le requérant interjeta appel de ce jugement le 31 mai 2017. Il réclamait des montants plus élevés tant pour le dommage moral résultant notamment des lenteurs de la justice que pour le dommage matériel. L’État belge forma appel incident au motif que c’était à tort, selon lui, que le tribunal de première instance n’avait pas déclaré l’action en responsabilité prescrite.
20. Dans un arrêt du 12 mars 2020, la cour d’appel de Bruxelles débouta le requérant de son appel. Elle rappela d’abord que la prescription quinquennale de l’action en responsabilité résultant de la violation du délai raisonnable du requérant n’avait commencé à courir qu’à partir de l’arrêt de la chambre des mises en accusation du 25 juin 2015 qui avait déclaré les poursuites irrecevables.
21. La cour d’appel de Bruxelles jugea que le dommage moral devait être attribué pour partie au comportement procédural du requérant ainsi que l’avait reconnu la Cour (Panju précité, § 86) et que, pour la totalité, il avait trouvé sa réparation dans l’irrecevabilité des poursuites. En effet, il ne ressortait d’aucune pièce que si l’affaire avait été instruite dans des délais raisonnables, la situation du requérant aurait été meilleure. Quant au dommage matériel, elle souligna que le requérant en cherchait la cause non pas dans les lenteurs de la justice mais dans la tardiveté des restitutions de l’or saisi et de la libération de ses comptes. À cet égard, la cour d’appel jugea que le requérant était fondé à critiquer la libération et la restitution tardives dans la mesure où la chambre du conseil avait constaté l’irrégularité de la procédure dans son ordonnance du 10 mai 2011 (paragraphe 9 ci-dessus) et que rien ne justifiait donc qu’il eut encore dû saisir la chambre des mises en accusation pour obtenir la libération de ses comptes et la levée de la saisie. Cela étant, les juges d’appel jugèrent que le requérant était resté en défaut d’apporter des pièces justificatives à l’appui de l’existence du dommage matériel qu’il invoquait. En particulier, le requérant n’établissait pas qu’il aurait mieux ou autrement placé l’argent qui avait été bloqué ni qu’il avait récupéré une quantité moindre d’or ou que celui-ci aurait perdu de sa valeur.
22. Le 30 juin 2020, le requérant introduisit un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Soulevant un moyen tiré notamment d’une violation de l’article 13 combiné à l’article 6 de la Convention, il alléguait que l’arrêt de la cour d’appel n’était pas légalement justifié ou, à tout le moins, régulièrement motivé. Il reprochait à la cour d’appel d’avoir considéré que l’irrecevabilité des poursuites assurait la réparation intégrale du dommage subi sans indiquer de quel élément il aurait bénéficié, autre que l’irrecevabilité, de nature à réparer le préjudice subi. Selon le requérant, la mesure prononcée était de nature procédurale et ne pouvait en aucun cas assurer la réparation intégrale du dommage résultant d’avoir été maintenu dans l’attente d’une décision de justice pendant un laps de temps jugé déraisonnable. Par principe, sa situation se trouvait dégradée sans qu’il faille le démontrer sur le plan moral comme au plan matériel. Le requérant reprochait également aux juges d’appel de ne pas avoir procédé à une évaluation in concreto du dommage matériel subi.
23. Le 1er avril 2021, sur les conclusions contraires du parquet, la Cour de cassation rejeta le pourvoi et écarta le moyen précité en ces termes :
« (...) Le juge apprécie en fait si l’irrecevabilité des poursuites pénales répare intégralement le dommage résultant pour la personne poursuivie de ce qu’elle a été maintenue dans l’attente d’une décision de justice pendant un délai déraisonnable.
Le moyen, qui, en cette branche, repose tout entier sur le soutènement que l’irrecevabilité des poursuites ne peut en aucun cas assurer la réparation intégrale de ce dommage, manque en droit.
(...) Dans la mesure où il est déduit du grief vainement allégué dans la première branche du moyen, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
Pour le surplus, le juge n’est pas tenu d’évaluer un dommage qu’il considère avoir été réparé en nature ».
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
I. LE DROIT INTERNE
24. Le droit belge prévoit plusieurs mesures en cas de dépassement du délai raisonnable d’une procédure pénale. Celles-ci sont énoncées en détail dans J.R. c. Belgique (no 56367/09, §§ 27-32, 24 janvier 2017). La Cour rappelle ci-après les éléments issus de la législation et de la jurisprudence utiles pour les besoins de la présente affaire.
A. Le code d’instruction criminelle
25. En application de l’article 235bis du code d’instruction criminelle, lors de la clôture de l’instruction (soit le règlement de procédure) et dans tous les cas de saisine, la chambre des mises en accusation peut contrôler d’office ou doit contrôler sur la réquisition du ministère public ou à la requête d’une des parties, la régularité de la procédure qui lui est soumise, y compris le dépassement éventuel du délai raisonnable (Cass. 8 avril 2008, P.07.1903.N).
26. Lorsqu’elle constate que le dépassement du délai raisonnable a pour effet que l’exercice des droits de la défense et/ou l’administration de la preuve sont devenus, entre-temps, impossibles et qu’il en résulte une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable, la juridiction d’instruction doit déclarer l’action publique ou les poursuites irrecevables ou ordonner le non-lieu selon le cas (Cass. 6 octobre 2010, P.10.0729.F, avec concl. av. gén. Vandermeersch ; voir également : Cass. 6 mars 2013, P.12.1980.F).
27. Lorsqu’elle constate que le dépassement du délai raisonnable ne met pas en péril l’administration de la preuve et les droits de défense de l’inculpé, la juridiction d’instruction décide de manière souveraine quelle est la réparation en droit adéquate (Cass. 5 juin 2012, P.12.0018.N ; Cass. 19 février 2013, P.12.0867.N ; Cass. 10 décembre 2013, P.13.0691.N).
B. Le titre préliminaire du code de procédure pénale
28. L’article 21ter de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du code de procédure pénale prévoit que si la durée des poursuites pénales dépasse le délai raisonnable, le juge peut prononcer la condamnation par simple déclaration de culpabilité ou prononcer une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi.
C. Le code civil et l’action en responsabilité pour faute
29. Une action en responsabilité civile extracontractuelle pour dépassement du délai raisonnable d’une procédure judiciaire peut être introduite sur la base des dispositions suivantes du code civil :
Article 1382
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par lequel il est arrivé, à le réparer. »
Article 1383
« Chacun est responsable du dommage qu’il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
30. Dans le cadre d’une affaire mettant en cause l’arriéré dans l’arrondissement judiciaire de Bruxelles devant les cours et tribunaux de la cour d’appel de Bruxelles, la Cour de cassation a jugé qu’en déclarant l’État responsable en raison de la faute, au sens des articles 1382 et 1383 du code civil, consistant à avoir « omis de légiférer afin de donner au pouvoir judiciaire les moyens nécessaires pour lui permettre d’assurer efficacement le service public de la justice, dans le respect notamment de l’article 6 § 1 de la Convention », l’arrêt attaqué de la cour d’appel de Bruxelles n’avait méconnu aucune disposition de droit interne ou international (Cass. 28 septembre 2006, C.02.05.70.F).
31. La Cour de cassation reconnaît explicitement que la réparation à laquelle l’inculpé peut prétendre en vertu des articles 6 et 13 de la Convention dans le cas d’un dépassement du délai raisonnable pendant l’instruction d’une affaire pénale constaté par les juridictions d’instruction dans le cadre du règlement de la procédure, peut consister en des dommages et intérêts à demander devant le tribunal civil (Cass. 14 avril 2015, P.14.1146.N ; Cass. 1er mars 2016, P.15.1272.N).
32. Le Gouvernement a produit dans le cadre de la présente affaire plusieurs décisions qui illustrent, selon lui, que le recours indemnitaire permet d’obtenir, dans un délai raisonnable, un redressement approprié et suffisant du préjudice résultant d’un délai excessif d’une procédure civile ou pénale conforme aux critères établis par la Cour (paragraphe 63 ci-dessous).
33. Dans une première affaire citée, la cour d’appel de Liège, dans un arrêt du 18 novembre 2010, a retenu une faute dans le chef de l’État belge, la durée de l’instruction ayant dépassé de vingt-et-un mois les limites du délai raisonnable. Elle a accordé à chaque partie la somme d’un EUR à titre de dommage moral. La cour d’appel a exposé que le dommage moral était largement compensé par la circonstance que les appelants ne s’étaient vu infliger aucune condamnation et que les poursuites à leur encontre ne pourraient être rouvertes dans l’avenir à cause de la prescription de l’action publique. Pour la cour d’appel, le dommage moral était purement symbolique et l’angoisse des appelants devait être générée par le risque bien réel d’être condamnés par le tribunal correctionnel plus que par celui de la longueur de la procédure. Quant au dommage matériel, la cour d’appel a estimé que les requérants étaient restés en défaut de prouver leur préjudice et l’existence d’un quelconque lien causal entre ce dommage et les vingt-et-un mois de retard dans le traitement du dossier.
34. Un autre exemple concerne les suites données au niveau interne à l’arrêt De Clerck c. Belgique (no 34316/02, 25 septembre 2007) dans lequel la Cour avait conclu à une violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention en raison de la durée excessive de l’instruction, ainsi qu’à l’affaire H.K. c. Belgique ((déc.), no 22738/08, 12 janvier 2010), dans laquelle le requérant était co-inculpé du premier et dont la requête devant la Cour avait été déclarée irrecevable pour non-épuisement de la voie de recours indemnitaire. Dans ces affaires, le tribunal de première instance de Courtrai, dans un jugement du 28 juin 2011, a accordé 22 500 euros (EUR) au premier et 15 000 EUR au second pour dommage moral résultant du dépassement du délai raisonnable de l’instruction. Le jugement concernant le second a été confirmé en appel en 2012.
35. Le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, dans un jugement du 14 décembre 2012, a condamné l’État belge à indemniser les demandeurs à 10 000 EUR chacun pour le dommage moral subi du fait du dépassement du délai raisonnable de la procédure civile qui avait duré quatre ans et représenté un enjeu important pour la santé de l’un des demandeurs. Par un arrêt du 10 février 2017, la cour d’appel de Bruxelles a confirmé le jugement de première instance.
36. Le tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, dans un jugement du 12 février 2015, a constaté le dépassement du délai raisonnable s’agissant d’une procédure pénale mais a débouté le demandeur de son action dès lors que la preuve n’était pas rapportée de l’existence d’un dommage.
37. Le tribunal de première instance francophone Bruxelles, dans un jugement du 11 juin 2015, a condamné l’État belge à indemniser chacun des demandeurs à concurrence de 5 000 EUR pour le préjudice moral subi du fait de la lenteur d’une procédure pénale. La procédure avait duré dix ans mais seul un délai de cinq ans a été retenu, les premiers cinq ans étant couverts par la prescription. Par son arrêt du 12 avril 2018, la cour d’appel de Bruxelles a confirmé ce jugement.
38. Le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, dans un jugement du 26 avril 2016, a condamné l’État belge à indemniser les demandeurs à concurrence d’une indemnité forfaitaire de 1 000 EUR par année de procédure pour le dommage moral subi du fait du dépassement du délai raisonnable dans le traitement de leurs demandes, alors qu’elles étaient parties civiles dans le cadre d’une procédure pénale. La procédure avait duré quatorze ans.
39. Le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, dans un jugement du 13 janvier 2021, a constaté que la faute de l’État (retard à mener le premier acte d’enquête) n’était pas à l’origine du dommage moral allégué mais décida de d’indemniser les demandeurs à concurrence de 500 EUR pour le dommage moral résultant du sentiment de ne pas avoir été pris en considération.
40. Le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, dans un jugement du 13 octobre 2021, a condamné l’État belge à indemniser le demandeur à concurrence d’une somme de 6 500 EUR pour le dommage moral subi par le fait du dépassement du délai raisonnable d’une procédure pénale qui avait duré sept ans et cinq mois.
41. Dans une affaire où aucun devoir d’instruction n’avait été ordonné pendant cinq ans et qui s’était terminée par l’extinction de l’action publique par prescription, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, dans un jugement du 8 décembre 2021, a condamné l’État belge à indemniser le demandeur à 1 500 EUR par année de retard due à l’inactivité de l’État.
42. Le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, dans un jugement du 5 juillet 2022, a indemnisé le demandeur à concurrence d’un montant forfaitaire de 2 000 EUR pour les quinze mois d’allongement de la procédure imputable à l’État qui avaient entraîné l’absence de relations entre le père et l’enfant pendant deux ans et demi.
II. LES DOCUMENTS DU COMITÉ DES MINISTRES
43. La Recommandation CM/Rec(2010)3 du Comité des Ministres sur des recours effectifs face à la durée excessive des procédures adoptée le 24 février 2010, lors de la 1077e réunion des Délégués des Ministres, recommande aux États membres :
« 10. d’examiner la possibilité de prévoir des formes spécifiques de réparation non financières, telles que, le cas échéant, la réduction des sanctions ou l’abandon des poursuites, dans les procédures pénales ou administratives qui ont été excessivement longues. »
44. Le 17 juin 2017, le Comité des Ministres a clôturé l’examen de l’arrêt Panju précité (Résolution CM/ResDH(2017)149). Il s’est exprimé en ces termes :
« (...) Rappelant l’obligation de l’Etat défendeur, en vertu de l’article 46, paragraphe 1, de la Convention, de se conformer aux arrêts définitifs dans les litiges auxquels il est partie et que cette obligation implique, outre le paiement de la satisfaction équitable octroyée par la Cour, l’adoption par les autorités de l’Etat défendeur, si nécessaire :
- de mesures générales permettant de prévenir des violations semblables ;
Ayant invité le gouvernement de l’Etat défendeur à informer le Comité des mesures prises pour se conformer à l’obligation susmentionnée ;
Ayant examiné le bilan d’action fourni par le gouvernement indiquant les mesures adoptées afin d’exécuter les arrêts, y compris les informations fournies en ce qui concerne le paiement de la satisfaction équitable octroyée par la Cour (voir document DH-DD(2017)537) ;
Notant que les mesures générales adoptées par les autorités ont eu un impact positif sur la durée des instructions pénales, notamment dans le ressort de la Cour d’appel de Bruxelles ;
Relevant en outre que le droit belge offre un recours indemnitaire effectif en matière pénale, ainsi que la Cour européenne l’a reconnu dans son arrêt Hiernaux c. Belgique (28022/15) du 24 janvier 2017 ;
S’étant assuré que toutes les mesures requises par l’article 46, paragraphe 1, ont été adoptées,
DECLARE qu’il a rempli ses fonctions en vertu de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention dans ces affaires et
DECIDE d’en clore l’examen. »
45. En juin 2021, le Comité des Ministres a adopté une Résolution intérimaire dans le cadre du groupe d’affaires Bell (CM/ResDH(2021)103) concernant la durée excessive de procédures civiles et a demandé des informations concernant le fonctionnement en pratique du recours interne indemnitaire (en particulier, délais de traitement, prescription et réparations octroyées) pour se plaindre de la durée excessive de procédures judiciaires. Un plan d’action a été transmis par le Gouvernement belge en juin 2022 (DH‑DD(2022)698) qui indique que les recours indemnitaires du fait d’une durée excessive de procédure, civile ou pénale, ne sont pas spécifiquement enregistrés. À cet égard, le Gouvernement a fourni des décisions rendues entre 2010 et 2021 (dont six concernent l’arrondissement judiciaire de Bruxelles) qui illustreraient que ce recours permet d’obtenir, dans un délai raisonnable, un redressement approprié et suffisant du préjudice allégué.
46. Lors de leur 1443e réunion (20-22 septembre 2022) les délégués des ministres ont décidé de transférer le groupe d’affaires Abboud (no 29119/13, 2 juillet 2019) concernant la durée excessive de procédure pénale en surveillance soutenue (problème complexe). Ils ont invité les autorités à leur fournir des informations actualisées, d’ici juin 2023, sur toutes les questions en suspens et décidé de réexaminer ces affaires au plus tard lors de leur réunion de décembre 2023.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 combiné avec l’article 6 § 1 DE LA CONVENTION
47. Le requérant se plaint que le recours indemnitaire qu’il a introduit devant les juridictions civiles en raison de la durée excessive de l’instruction menée contre lui n’a pas été effectif en pratique. Il invoque l’article 13 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention, qui sont ainsi libellés :
Article 6 § 1
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »
A. Sur la recevabilité
48. La Cour constate que la procédure tranchée par la cour d’appel de Bruxelles dans son arrêt du 12 mars 2020 et qui s’est terminée avec l’arrêt de la Cour de cassation du 1er avril 2021 s’inscrit dans le cadre de l’exécution de son arrêt du 28 octobre 2014. Elle note à cet égard que le Comité des Ministres a clôturé l’examen de l’arrêt Panju, considérant que les mesures individuelles et générales requises par l’article 46 § 1 de la Convention ont été adoptées par les autorités belges (paragraphe 44 ci‑dessus). Eu égard à ces éléments, la Cour estime qu’elle doit s’interroger propriu motu sur le point de savoir si la présente requête a pour seul objet l’exécution de son arrêt du 28 octobre 2014, auquel cas l’article 46 de la Convention ferait, en principe, obstacle à son examen.
49. La Cour rappelle en effet qu’elle n’a pas compétence pour examiner si un état contractant s’est conformé aux obligations que lui impose un arrêt rendu à son égard. Toutefois, rien n’empêche la Cour de connaître d’une requête ultérieure soulevant un problème nouveau, non tranché par l’arrêt en question (les principes généraux sont énoncés dans Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 35, CEDH 2015 et Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, §§ 47-48, 11 juillet 2017).
50. Le grief du requérant concerne le rejet, par la cour d’appel de Bruxelles dans son arrêt du 12 mars 2020, de sa demande d’indemnisation du préjudice moral et matériel prétendument subi du fait de la durée excessive de la procédure pénale, constatée notamment par la Cour le 28 octobre 2014. Il s’ensuit que le manque d’effectivité allégué de ce recours introduit postérieurement à l’arrêt de la Cour du 28 octobre 2014 constitue un élément nouveau par rapport à celui-ci.
51. Partant, la Cour estime que l’article 46 de la Convention ne fait pas obstacle à l’examen par elle du grief nouveau tiré de l’article 13 combiné avec l’article 6 de la Convention.
52. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
B. Sur le fond
1. Thèses des parties
53. Le requérant se plaint qu’il n’a pas été indemnisé ni du dommage moral ni du préjudice matériel subis.
54. En ce qui concerne tout d’abord le dommage matériel, le requérant estime que rien ne justifiait la décision de la cour d’appel de cantonner le préjudice subi du fait de la tardiveté de la restitution de l’or et de la libération des comptes à la période postérieure au 10 mai 2011 quand les saisies ont été annulées. S’agissant de la demande relative au dommage résultant du dépassement du délai raisonnable, la cour d’appel aurait dû rechercher et déterminer la date à partir de laquelle ce délai avait été dépassé. De plus, le degré de certitude de l’existence du dommage matériel exigé par la cour d’appel combiné à sa carence à chercher à établir in concreto, par exemple au moyen d’une expertise, le dommage réellement subi l’a privé de toute réparation. Enfin, rien n’empêchait la cour d’appel de déterminer le dommage matériel ex aequo et bono.
55. En ce qui concerne ensuite le dommage moral, le requérant fait valoir que l’irrecevabilité des poursuites sans aucune autre forme de réparation du dommage subi ne peut passer pour un redressement approprié. De plus, la motivation de la cour d’appel consistant à dire qu’il n’était pas établi que si l’affaire avait été instruite dans un délai raisonnable, la situation du requérant aurait été meilleure alors qu’il était établi qu’il avait contribué à la lenteur de la procédure, ne saurait renverser la présomption de la Cour selon laquelle la durée excessive d’une procédure occasionne un dommage moral à la victime.
56. Le Gouvernement estime, pour sa part, que la procédure menée par le requérant est un exemple d’effectivité du recours indemnitaire en cas de dépassement du délai raisonnable d’une procédure pénale. La circonstance que la cour d’appel l’ait en définitive débouté de ses demandes d’indemnisation ne signifie pas qu’il aurait été privé d’un recours effectif. Les juridictions internes ont agi avec diligence, ont reconnu le caractère excessif de la durée de la procédure et y ont remédié en prononçant l’irrecevabilité des poursuites.
57. Le Gouvernement rejette l’argument du requérant selon lequel en cas de dépassement du délai raisonnable, il ne devrait pas démontrer son préjudice. Selon le Gouvernement, le demandeur doit démontrer l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre les deux. Il n’existe pas de responsabilité civile sans dommage. Un dommage hypothétique n’est pas indemnisable, celui-ci devant être, au contraire, certain. C’est en application de ces principes que la cour d’appel a jugé que le requérant ne rapportait pas la preuve du dommage allégué. Le fait que le requérant n’ait, en définitive, pas obtenu une indemnisation résulte non d’une violation de la Convention mais du manquement du requérant à démontrer l’existence même de ses dommages.
2. Appréciation de la Cour
a) Rappel de la jurisprudence pertinente
58. La Cour rappelle que les recours dont un justiciable dispose au plan interne pour se plaindre de la durée d’une procédure sont « effectifs », au sens de l’article 13 de la Convention, dès lors qu’ils permettent soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés. L’article 13 ouvre donc une option en la matière (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 159, CEDH 2000‑XI, Mifsud c. France [GC], (déc.), no 57220/00, § 17, CEDH 2002‑VIII, Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 99, CEDH 2006‑VII, et McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 108, 10 septembre 2010). Néanmoins, il est évident que, pour les pays où existent déjà des violations liées à la durée de procédures, un recours tendant uniquement à accélérer la procédure, s’il serait souhaitable pour l’avenir, peut ne pas être suffisant pour redresser une situation où il est manifeste que la procédure s’est déjà étendue sur une période excessive (Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, § 76, CEDH 2006‑V).
59. La Cour a considéré que le prononcé d’une peine plus clémente ou d’une réduction de peine en raison de la durée excessive de la procédure pouvait constituer une reconnaissance et une réparation adéquates, pour autant que la réduction de la peine soit octroyée de façon expresse et mesurable. Si tel est le cas, il convient de conclure à la perte de qualité de victime des requérants au sens de l’article 34 de la Convention (voir, parmi d’autres, Chiarello c. Allemagne, no 497/17, §§ 54-59, 20 juin 2019 et les références citées). La Cour a ainsi constaté à plusieurs reprises que la violation de l’article 6 § 1 avait pu être adéquatement réparée par les juridictions belges faisant application de l’article 21ter du titre préliminaire du code de procédure pénale (Beheyt c. Belgique (déc.), no 41881/02, 9 octobre 2007, Ullens de Schooten et Rezabek c. Belgique, nos 3989/07 et 38353/07, § 72, 20 septembre 2011, G.S. c. Belgique (déc.), no 79267/16, § 30, 5 septembre 2017, et Losfeld c. Belgique (déc.) no 39304/11, § 25, 5 septembre 2017).
60. Dans la même veine, la Cour a considéré que l’annulation de la peine pour cause de dépassement du délai raisonnable pouvait être considérée comme réparant adéquatement la violation alléguée de l’article 6 § 1 et entraînait, de la même manière, la perte de qualité de victime (Rautonen c. Finlande (déc.), no 26813/09, §§ 23-29, 15 mai 2012).
61. En revanche, l’extinction de l’action publique par l’effet de la prescription n’a pas été jugée comme une réparation adéquate du dépassement du délai raisonnable au sens de la jurisprudence de la Cour (Abboud, précité, §§ 31-32). En effet, les délais de prescription sont prévus par la loi et emportent d’office l’irrecevabilité. De plus, si la prescription est étroitement liée à l’écoulement du temps, elle n’emporte pas formellement la reconnaissance d’une violation du droit à une décision dans un délai raisonnable.
62. La Cour a également considéré que les États pouvaient choisir de ne créer qu’un recours indemnitaire pour réparer la durée excessive d’une procédure pénale sans que celui-ci puisse être considéré comme manquant d’effectivité au regard de l’article 13 de la Convention (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 187, CEDH 2006 V). Cette conclusion n’est valable que pour autant que l’action indemnitaire est elle-même un recours effectif permettant de sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire (Mifsud, précité, § 17).
63. La Cour a fixé plusieurs critères essentiels permettant de vérifier l’effectivité des recours indemnitaires en vue d’obtenir la réparation de la durée excessive des procédures judiciaires (Scordino no 1, précité, §§ 195 et 204 à 207, Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 99, CEDH 2009, McFarlane, précité, § 108, Valada Matos das Neves c. Portugal, no 73798/13, § 73, 29 octobre 2015, et Brudan c. Roumanie, no 75717/14, § 69, 10 avril 2018). Ces critères sont les suivants :
a) l’action en indemnisation doit elle-même être tranchée dans un délai raisonnable ;
b) les règles procédurales régissant l’action en indemnisation doivent être conformes aux principes d’équité tels que garantis par l’article 6 de la Convention ;
c) les règles en matière de frais de justice ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur les plaideurs dont l’action est fondée ;
d) le montant des indemnités ne doit pas être insuffisant par rapport aux sommes octroyées par la Cour dans des affaires similaires ;
e) l’indemnité doit être promptement versée, en principe au plus tard six mois après la date à laquelle la décision octroyant la somme est devenue exécutoire.
64. En ce qui concerne, plus spécialement, le dommage moral résultant du dépassement du délai raisonnable, il convient, selon la Cour, de partir de la présomption solide, quoique réfragable, selon laquelle la durée excessive d’une procédure occasionne un dommage moral. Elle admet toutefois que, dans certains cas, la durée de la procédure n’entraîne qu’un dommage moral minime, voire aucun dommage moral, pour autant que le juge national justifie sa décision sur ce point en la motivant suffisamment (Cocchiarella, précité, § 95, et Scordino no 1, précité, § 204).
65. La Cour a ainsi accepté qu’aucun dommage moral ne soit versé en raison du faible enjeu du litige pour le requérant (Nardone c. Italie (déc.), no 34368/02, 25 novembre 2004, et Šedý c. Slovaquie, no 72237/01, §§ 90-92, 19 décembre 2006). Elle a également accepté que soit pris en considération le recours abondant par le requérant à des procédures judiciaires comme ayant nécessairement affecté sa perception du préjudice découlant de la durée déraisonnable de la procédure (Žirovnický c. République tchèque, no 23661/03, §§ 117-118, 30 septembre 2010). Dans ces affaires, la Cour a considéré que les requérants concernés avaient perdu la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention.
66. En ce qui concerne le dommage matériel résultant du dépassement du délai raisonnable, la Cour a précisé qu’il consiste dans les pertes effectivement subies en conséquence directe de la violation alléguée (Comingersoll S.A., no 35382/97, § 29, 6 avril 2000) et qu’en cette matière, la juridiction interne est clairement plus à même de déterminer son existence ainsi que son montant (Scordino no 1, précité, § 203).
b) En l’espèce
67. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention n’exige un recours en droit interne que relativement à des griefs pouvant passer pour « défendables » au regard de la Convention (voir, entre autres, Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 27 avril 1988, § 52, série A no 131, et De Tommaso c. Italie [GC], no 43395/09, § 180, CEDH 2017 (extraits)).
68. En l’espèce, la Cour a constaté, dans son arrêt du 28 octobre 2014, que la durée de l’instruction avait dépassé le délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. La chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles déclara ensuite les poursuites menées contre le requérant irrecevables au motif que cette longueur excessive avait pour effet de rendre impossible l’exercice des droits de la défense et qu’il en résultait une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable (paragraphe 12 ci‑dessus). Le requérant avait donc un grief « défendable » au regard de l’article 13 de la Convention (voir Panju, précité, § 52).
69. La Cour observe qu’à la suite de l’arrêt de la Cour du 28 octobre 2014, le requérant a introduit un recours en responsabilité civile contre l’État belge sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil pour demander la réparation des préjudices subis du fait de la longueur excessive de la procédure.
70. Elle note que la cour d’appel de Bruxelles a rejeté le recours du requérant (paragraphe 21 ci-dessus) et que le pourvoi dirigé contre cet arrêt de la cour d’appel a lui-même été rejeté (paragraphe 23 ci-dessus). Après avoir admis la faute de l’État belge du fait de cette longueur excessive, la cour d’appel de Bruxelles a estimé que le dommage moral invoqué par le requérant avait trouvé sa réparation dans l’irrecevabilité des poursuites (paragraphe 21 ci-dessus). Quant au dommage matériel invoqué par le requérant, la cour d’appel a jugé que celui-ci ne résultait pas de la longueur de l’instruction pénale mais procédait de la tardiveté des restitutions des avoirs et de l’or saisis à compter de l’ordonnance de la chambre du conseil du 10 mai 2011 constatant l’irrégularité de la procédure (paragraphe 9 ci-dessus).
71. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant, considérant que l’appréciation de la réparation du préjudice relevait de l’appréciation en fait du juge du fond et que le moyen fondé sur le postulat selon lequel l’irrecevabilité des poursuites ne pouvait assurer la réparation intégrale de ce préjudice, manquait en droit (paragraphe 23 ci-dessus).
72. La Cour estime, à la suite de la Cour de cassation, qu’au regard de l’article 13 de la Convention, l’irrecevabilité des poursuites peut constituer un mode de redressement adéquat du dépassement du délai raisonnable en ce qu’en droit belge, elle implique la reconnaissance d’une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable et met un terme définitif aux poursuites autant qu’à la longueur dénoncée (paragraphe 26 ci-dessus).
73. Dans le cas d’espèce, la Cour n’a pas de raisons de remettre en cause l’appréciation de la cour d’appel de Bruxelles selon laquelle l’irrecevabilité des poursuites a placé le requérant dans une situation au moins aussi favorable que si le dépassement du délai raisonnable n’avait pas été constaté.
74. Elle ne peut suivre le requérant quand il se plaint que les juridictions belges étaient tenues de lui accorder, en plus de l’irrecevabilité des poursuites, une réparation pécuniaire. En effet, une telle interprétation de l’article 13 de la Convention ne peut se déduire de la jurisprudence de la Cour qui repose sur une « option » (paragraphe 58 ci‑dessus).
75. En outre, la Cour rappelle avoir déjà jugé qu’une réduction significative de la peine (paragraphe 59 ci-dessus) ou l’annulation de celle-ci par la juridiction de jugement (paragraphe 60 ci-dessus) en raison du dépassement du délai raisonnable peut constituer un redressement adéquat et emporter la perte de la qualité de victime du droit à être jugé dans un délai raisonnable. Une même conclusion peut a fortiori s’imposer dans le cas d’une irrecevabilité des poursuites décidée par la juridiction d’instruction.
76. Par ailleurs, force est de constater que si le requérant n’a pas obtenu une indemnisation devant les juridictions nationales, cette absence d’indemnisation ne résultait pas d’une exclusion prévue par les règles du droit national en vigueur (paragraphes 25‑27 ci-dessus) mais de l’absence de démonstration d’un préjudice conformément à ces mêmes règles. La Cour de cassation a rappelé en l’espèce qu’il appartenait au juge saisi d’une demande fondée sur l’article 1382 du code civil de vérifier si l’irrecevabilité des poursuites réparait adéquatement le préjudice résultant du dépassement du délai raisonnable (paragraphe 23 ci-dessus). Il s’ensuit, en d’autres termes, que le droit belge ne s’oppose pas à l’octroi d’une indemnisation complémentaire à l’irrecevabilité des poursuites, pour autant que la preuve d’un préjudice que cette irrecevabilité n’aurait pas adéquatement réparé, soit apportée.
77. Enfin, le requérant reproche aux juges d’appel de ne pas avoir procédé à une évaluation in concreto du dommage matériel subi en raison de la restitution tardive des avoirs bloqués et de l’or saisi (paragraphe 54 ci‑dessus). La Cour note à l’examen de l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles que ce préjudice ne découle pas de la durée excessive de l’instruction pénale initiée à l’égard du requérant en 2002, mais résulte du retard à restituer les avoirs et l’or saisis à compter du constat de l’irrégularité de la procédure par la chambre du conseil le 10 mai 2011 (paragraphe 21 ci-dessus). La cour d’appel de Bruxelles a considéré que si le requérant était fondé à critiquer cette restitution tardive intervenue au début de l’année 2013 (paragraphe 11 ci-dessus), il était toutefois resté en défaut de prouver concrètement l’existence de son dommage, faute de produire des pièces de nature à en établir l’existence (paragraphe 21 ci-dessus).
78. Eu égard aux constats dressés par la cour d’appel de Bruxelles, contrôlés par la Cour de cassation, la Cour ne voit aucune raison de considérer que le requérant n’a pas bénéficié d’un recours effectif pour obtenir la réparation des préjudices allégués découlant du dépassement du délai raisonnable, tel que la Cour l’a constaté dans son arrêt du 28 octobre 2014.
79. Au vu de ce qui précède, il n’y a pas eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 6 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 mai 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Hasan Bakırcı Arnfinn Bårdsen
Greffier Président