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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> COTORA v. ROMANIA - 30745/18 (Judgment : No Article 6 - Right to a fair trial : Fourth Section) French Text [2023] ECHR 54 (17 January 2023)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2023/54.html
Cite as: CE:ECHR:2023:0117JUD003074518, [2023] ECHR 54, ECLI:CE:ECHR:2023:0117JUD003074518

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QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE COTORA c. ROUMANIE

(Requête no 30745/18)

 

 

ARRÊT

Art 6 § 1 (civil) • Procès équitable • Sanction disciplinaire d’une juge rendue équitablement par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et objet d’un contrôle suffisant par la Haute Cour de cassation et de justice (Haute Cour) • Section disciplinaire pour juges du CSM constituant un « organe judiciaire doté de la pleine juridiction », impartial et indépendant • Procédure entourée des garanties procédurales et ayant permis à la requérante de présenter des éléments pour sa défense • Étendue suffisante du contrôle par la Haute Cour analysé au regard des critères établis dans l’arrêt Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC]

 

STRASBOURG

17 janvier 2023

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 


En l’affaire Cotora c. Roumanie,


La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

          Gabriele Kucsko-Stadlmayer, présidente,
          Tim Eicke,
          Faris Vehabović,
          Iulia Antoanella Motoc,
          Armen Harutyunyan,
          Anja Seibert-Fohr,
          Ana Maria Guerra Martins, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,


Vu la requête (no 30745/18) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Mihaela-Elisabeta Cotora (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 21 juin 2018,


Vu la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement ») le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,


Vu les observations des parties,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 décembre 2022,


Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION


1.  La requête concerne les poursuites disciplinaires menées contre la requérante, juge dans une cour d’appel et présidente de la même institution, qui ont abouti à une sanction disciplinaire ayant consisté en une réduction de salaire. Elle porte sur l’étendue du contrôle juridictionnel de la sanction disciplinaire infligée à la requérante en l’espèce et sur l’équité de la procédure disciplinaire (article 6 § 1 de la Convention).

EN FAIT


2.  La requérante est née en 1960 et réside à Craiova. Elle a été représentée par Me Diculescu-Șova, avocate.


3.  Le Gouvernement a été représenté par son co-agent, M. S.‑A. Purza, du ministère des Affaires étrangères.

I.        les poursuites disciplinaires contre la requÉrante et la dÉcision du Conseil supérieur de la magistrature (« le csm »)

A.    La saisine du CSM par la direction nationale anticorruption (« la DNA »)


4.  Le 7 octobre 2015, un procureur de la DNA adressa au CSM une lettre sous forme de note d’information exposant une série de faits tendant à indiquer l’implication de la requérante, présidente d’une cour d’appel, dans la procédure de sélection de deux vice-présidents de la cour d’appel où elle était en exercice. Cette lettre parvint le 14 octobre 2015 à l’inspection judiciaire du CSM (« l’inspection judiciaire »). Selon les informations fournies par la DNA, la requérante avait pris connaissance de la composition de la commission de sélection constituée pour un concours et avait contacté, directement ou par le biais de C.I. et de C.P. - deux de ses collègues juges – certains membres de ladite commission dans le but de favoriser certaines candidatures. La DNA, qui enquêtait sur la requérante pour utilisation d’informations confidentielles, suggérait au CSM de se pencher sur les faits supposément commis par l’intéressée et par les juges C.I. et C.P. dans l’exercice de leurs fonctions. L’enquête pénale visant la requérante se solda par une ordonnance de classement sans suite au motif que les faits qui lui étaient reprochés ne relevaient pas du domaine pénal, mais plutôt du domaine disciplinaire.

B.    L’enquête disciplinaire menée par l’inspection judiciaire


5.  Le 20 octobre 2015, le juge M.P., de l’inspection judiciaire du CSM, ouvrit à l’égard de la requérante une enquête disciplinaire préalable des chefs suivants : attitude non professionnelle dans l’exercice de ses fonctions (article 99, alinéa c) de la loi no 303/2004), immixtion dans l’activité professionnelle d’un autre juge (article 99, alinéa l) de la loi no 303/2004 - paragraphe 25 ci‑dessous) et utilisation de ses fonctions dans le but d’obtenir un avantage (article 99, alinéa n) de la loi no 303/2004). Cette décision reposait sur une analyse des éléments fournis par la DNA (transcriptions de conversations téléphoniques, enregistrements audios et déclarations). Les juges C.I. et C.P. firent l’objet d’une enquête des mêmes chefs, dans le cadre de la même procédure.


6.  L’enquête disciplinaire préalable se déroula du 22 au 27 octobre 2015. L’inspection judiciaire entendit la requérante et quinze témoins, mit le dossier d’enquête à la disposition de l’intéressée, accueillit une demande de preuves documentaires formée par celle-ci et sollicita la DNA pour obtenir copie des enregistrements téléphoniques et audios. L’inspection judiciaire rejeta trois demandes de preuves formulées par la requérante, estimant celles-ci inutiles. Ces demandes concernaient notamment l’acquisition :


–  de certaines décisions rendues en 2010 par une section de direction (Colegiul de conducere), censées prouver que ce type de décisions étaient adoptées à l’unanimité (selon l’inspection, ces pièces ne présentaient pas d’intérêt eu égard à l’objet de l’enquête disciplinaire menée en l’espèce) ;


–  des témoignages des juges C.B. et I.D., censés permettre d’établir les circonstances de la présence de la requérante à Bucarest, au siège du CSM, le 5 novembre 2013 (selon l’inspection judiciaire, la requérante avait déjà étayé par d’autres éléments de preuve sa thèse relative au but de son déplacement) ;


–  des témoignages des juges B.A., A.S. et H.D., censés permettre de déterminer les circonstances dans lesquelles l’ordre du jour de la réunion du CSM avait été modifié (selon l’inspection judiciaire, le mode d’établissement des ordres du jour du CSM était expressément prévu par la loi).


7.  Le 4 novembre 2015, deux juges de l’inspection judiciaire demandèrent au CSM d’ouvrir à l’égard de la requérante une procédure disciplinaire pour immixtion dans l’activité professionnelle d’un autre juge (l’article 99, alinéa l), de la loi no 303/2004 - paragraphe 25 ci-dessous) ; ils rejetèrent l’action disciplinaire relativement aux autres chefs. Selon les conclusions de l’enquête disciplinaire, en octobre 2013 la requérante avait profité de l’organisation d’un évènement par la cour d’appel dont elle était présidente pour contacter, directement ou par l’intermédiaire de ses collègues C.I. et C.P., certains membres ou suppléants (notamment H.C. et E.R.) de la commission de sélection, afin de leur laisser entrevoir sa préférence pour certains candidats aux fonctions vacantes au sein de la cour d’appel dont elle assurait la présidence. Selon les mêmes conclusions, une partie des faits avaient eu lieu le 5 novembre 2013, lors d’un déplacement de la requérante à Bucarest. L’inspection judiciaire constata également que, fin novembre 2013, l’intéressée avait tenté de faire invalider les résultats de la procédure de sélection par l’intermédiaire de D.S., l’un de ses collègues qui assurait la vice‑présidence d’une association de protection des droits des magistrats. La section disciplinaire du CSM compétente pour les juges fut chargée d’instruire l’affaire.


8.  Le 2 décembre 2015, la requérante déposa devant le CSM un mémoire en défense dans lequel elle invoquait les points suivants :


–  la prescription de la responsabilité disciplinaire (la requérante plaidait que l’enquête disciplinaire s’était soldée par une ordonnance en date du 4 novembre 2015 alors que le concours de sélection en question s’était déroulé du 18 octobre au 24 novembre 2013) ;


–  l’illégalité de l’enquête disciplinaire (absence de procès-verbal attestant la fin des vérifications préalables ; mise à disposition du dossier d’enquête, qui comportait 394 pages, le jour de l’audience ; rejet par les inspecteurs judiciaires des demandes de preuves de la requérante ; absence de preuves directes confirmant l’existence d’une quelconque faute disciplinaire) ;


–  l’illégalité de l’accusation de faute disciplinaire dont elle faisait l’objet (selon la requérante, la tentative d’immixtion dans l’activité d’un juge ne représentait pas une faute disciplinaire et ne pouvait pas donner lieu à une sanction disciplinaire) ;


–  le fait que, à ses yeux, il ne s’agissait pas d’une immixtion dans l’activité judiciaire d’un juge ;


–  le fait, selon l’intéressée, que les discussions qu’elle avait eues avec les membres de la commission de sélection n’avaient pas porté sur l’organisation du concours en question et que, contrairement aux juges C.I. et C.P., elle‑même n’avait pas été présente lors des échanges du 5 novembre 2013.

C.    La procédure disciplinaire devant le CSM


9.  Le 13 janvier 2016 eut lieu une audience devant la section disciplinaire pour juges du CSM. La requérante, présente et assistée par un avocat qu’elle avait choisi, développa les arguments contenus dans son mémoire en défense (paragraphe 8 ci-dessus). Elle souleva une exception d’inconstitutionnalité relative à l’absence d’un délai de prescription en matière de discipline des magistrats (article 46 § 7 de la loi no 317/2004 - paragraphe 24 ci-dessous).


10.  Par un jugement avant-dire droit du 13 janvier 2016, le CSM, réuni en une formation composée de sept juges, rejeta tout d’abord les exceptions soulevées par la requérante, considérant que, pour ce qui était de la thèse relative à la prescription, l’action disciplinaire avait été engagée le 4 novembre 2015, soit dans le délai de deux ans à compter de la commission des faits qui est prévu par l’article 46 § 7 de la loi no 317/2004 pour l’exercice d’une action disciplinaire (paragraphe 24 ci-dessous), délai qui, tel que l’entendait le CSM, ne représentait pas un délai de prescription en matière de discipline des magistrats. Selon les sept membres du CSM, ce délai de deux ans marquait la fin de la possibilité d’exercer une action disciplinaire, et non la limite temporelle dans laquelle une action disciplinaire devait être tranchée. Le CSM constata ensuite qu’il n’y avait eu aucune irrégularité lors de l’enquête disciplinaire, dès lors, indiqua-t-il, que la requérante n’avait formulé aucune critique visant la légalité de l’enquête avant la fin de celle-ci, qu’elle avait été entendue en personne, qu’elle avait eu accès au dossier d’enquête, qu’elle n’avait sollicité aucun ajournement afin de bénéficier de plus de temps pour préparer sa défense, qu’elle avait obtenu l’examen d’une partie des preuves proposées par elle, que vingt-et-un témoins avaient été entendus, que des documents avaient été analysés et que l’intéressée avait signé le procès-verbal de fin d’enquête, confirmant qu’elle n’avait pas d’objections quant à la manière dont l’enquête s’était déroulée. Le CSM décida de joindre au fond de l’affaire l’exception portant sur l’existence ou non d’une sanction pour la faute disciplinaire en question. Par le même jugement avant dire-droit, le CSM décida de surseoir à statuer sur le fond de l’affaire, afin de permettre aux parties de formuler leurs observations sur la question relative à l’opportunité de saisir la Cour Constitutionnelle de l’exception soulevée par la requérante (paragraphe 9 in fine ci-dessus).


11.  Lors d’une audience qui eut lieu le 26 janvier 2016, l’avocat de la requérante plaida en faveur de la saisine de la Cour constitutionnelle au sujet de la prétendue absence d’un délai de prescription en matière de discipline des magistrats. Le CSM entendit la requérante en personne, qui versa au dossier des preuves documentaires supplémentaires tendant à établir les motifs de ses déplacements à Bucarest, pria la section disciplinaire de l’autoriser à verser au dossier copie de contrats liant des membres des commissions de sélection afin de mettre en lumière les obligations et les sanctions qui pesaient sur eux, et sollicita l’audition de six nouveaux témoins. Elle demanda également une copie du procès-verbal de l’audience du 13 janvier 2016, qu’elle reçut lors de l’audience du 26 janvier 2016. Le CSM accueillit toutes ces demandes de preuves formulées par la requérante.


12.  Le CSM examina ensuite la recevabilité de la demande de saisine de la Cour constitutionnelle formée par la requérante. Il jugea que l’article 46 § 7 de la loi no 317/2004 (paragraphe 24 ci-dessous) avait un lien direct avec l’objet de la procédure disciplinaire, constata que l’exception avait été soulevée devant le CSM, lequel, selon la Constitution et l’article 44 de la loi no 317/2004, remplissait aussi le rôle de tribunal en matière de discipline des magistrats, avec toutes les garanties du droit à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. À la majorité des voix, le CSM décida de saisir la Cour constitutionnelle de l’exception formulée par la requérante.


13.  Le 26 octobre 2016, la requérante, assistée par son avocat, versa au dossier ses conclusions écrites. Elle estimait que le contenu des témoignages montrait qu’il n’y avait eu aucune faute disciplinaire de sa part, puisqu’elle n’avait jamais tenté d’intervenir auprès de la commission en question pour peser sur les résultats de la procédure de sélection et qu’en tout état de cause les membres de la commission n’avaient pas été influencés à cet égard. Elle confirmait avoir indiqué à deux des membres de la commission de sélection qu’elle s’entendait bien avec les candidats hommes, avec lesquels elle faisait bonne équipe, mais précisait que cela concernait uniquement les programmes de formation professionnelle qu’elle avait mis en place avec eux, et non la procédure de sélection. Selon la requérante, il s’agissait plutôt de suppositions faites par deux membres de la commission de sélection, qui à son avis avaient perçu ses actes comme des tentatives d’immixtion dans la procédure de sélection. De plus, d’après la requérante, la tentative, pour une faute disciplinaire telle que celle en cause, n’était pas réprimée par le droit interne. Le représentant de l’inspection judiciaire souligna que l’enquête disciplinaire ne concernait pas une tentative, mais bien la faute disciplinaire visée à l’article 99, alinéa l) de la loi no 303/2004 (paragraphe 25 ci-dessous). Le CSM décida de surseoir à statuer et reporta l’audience au 31 octobre 2016.


14.  Entre-temps, par un arrêt du 27 octobre 2016, la Cour constitutionnelle déclara irrecevable l’exception d’inconstitutionnalité que la requérante avait formulée. Elle confirma que le CSM était une juridiction en matière disciplinaire, mais jugea qu’il n’était qu’une instance extrajudiciaire dont les décisions pouvaient faire l’objet d’un recours devant la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour »), et que devant celle-ci les exceptions d’inconstitutionnalité ne pouvaient toutefois pas être soulevées.


15.  Par une décision du 31 octobre 2016, le CSM, à la majorité des voix (quatre voix contre trois), accueillit l’action disciplinaire engagée par l’inspection judiciaire à l’encontre de la requérante, jugea que celle-ci avait commis la faute disciplinaire visée à l’article 99, alinéa l) de la loi no 303/2004 (paragraphe 25 ci-dessous) et ordonna que son salaire fût réduit de 20 % pendant une période de trois mois. Concernant C.I. et C.P., les deux autres juges mis en cause, le CSM rejeta l’action disciplinaire pour défaut de fondement.


16.  Après avoir analysé les éléments de preuve (notamment les déclarations de la requérante, celles de C.I. et de C.P., plusieurs témoignages et documents, les transcriptions des enregistrements téléphoniques), le CSM constata d’abord que, pendant la période du 13 septembre au 4 décembre 2013, un concours avait eu lieu pour des postes de direction dans différentes juridictions (dont deux postes de vice-président à la cour d’appel de Craiova). Le CSM considéra ensuite que, les 23 et 24 octobre 2013, lors d’une conversation téléphonique entre la requérante et V.C., membre de la commission de sélection, au sujet d’un projet de formation professionnelle, la requérante avait fait savoir à son interlocutrice qu’elle préférait travailler avec des hommes, et qu’à la fin octobre 2013 une discussion similaire avait eu lieu entre la requérante et C.H., membre et président de la commission. Selon le CSM, il s’agissait là des premières démarches entreprises par la requérante pour entrer en contact avec des membres de la commission de sélection, mais l’exercice de l’action disciplinaire pour ces faits se trouvait prescrit eu égard au délai de deux ans prévu à l’article 46 § 7 de la loi no 317/2004 (paragraphe 24 ci-dessous). Après avoir pris connaissance de la composition de la commission de sélection, la requérante s’était rendue à Bucarest (le 5 novembre 2013), accompagnée par les juges C.I. et C.P., dans le but de rencontrer les juges C.H. et E.R., membres de la commission de sélection, et de demander à ceux-ci de favoriser les candidats hommes qu’elle souhaitait voir désigner pour les fonctions de vice-président. Pour le CSM, C.I. et C.P. avaient eu pour mission de faciliter l’obtention pour la requérante d’un rendez-vous avec ces deux juges ou, à défaut, de communiquer ses préférences à ces derniers, ce qu’ils auraient fait. Selon le CSM, C.H. et E.R. avaient refusé de rencontrer la requérante en personne parce qu’ils connaissaient son souhait de favoriser certains candidats, mais ce point ne changeait rien à la conclusion relative à des actes d’immixtion dans l’activité d’un autre juge, faute disciplinaire visée à l’article 99, alinéa l) de la loi no 303/2004 (paragraphe 25 ci-dessous). Pour le CSM, l’immixtion dans l’activité des deux juges membres de la commission de sélection s’était produite lorsque la requérante avait fait part à ceux-ci de son souhait de les rencontrer afin de favoriser les candidats hommes, et cette situation était du reste confirmée par les témoignages de E.R., L.S., C.H., C.P. et C.I.


17.  D’après le CSM, l’activité professionnelle d’un juge ne se limitait pas à l’exercice de fonctions judiciaires mais englobait également la participation à des commissions de sélection pour des postes de direction dans différentes juridictions, ce qui, contrairement à ce que la requérante affirmait, faisait entrer en jeu en l’espèce la faute disciplinaire visée à l’article 99, alinéa l) de la loi no 303/2004 (paragraphe 25 ci-dessous).


18.  Trois juges de la formation de jugement de la section disciplinaire pour juges signèrent une opinion dissidente qui mettait l’accent sur l’absence d’indices suffisants propres à confirmer une intention de la requérante d’influer sur l’activité des membres de la commission de sélection.

II.     Le recours devant la Haute Cour


19.  La requérante saisit la Haute Cour d’un recours contre cette décision. Elle s’appuya sur le cas de cassation prévu à l’article 488 § 1, point 8, du code de procédure civile (paragraphe 23 ci-dessous), soutint la thèse de la prescription de l’action disciplinaire et d’une interprétation erronée par le CSM des dispositions de l’article 99, alinéa l) de la loi no 303/2004 (paragraphe 25 ci-dessous), et allégua que la décision disciplinaire litigieuse était illégale et mal fondée. La requérante estimait que la prétendue immixtion dans l’activité des juges C.H. et E.R. concernait l’activité de ces derniers en tant que membres d’une commission de sélection et non en tant que juges. Elle exposa de plus que, bien que cela n’eût pas constitué une information confidentielle, elle ignorait la composition de la commission de sélection avant le concours en question, que lors de sa conversation téléphonique avec V.C. elle ne savait pas que celle-ci faisait partie de la commission de sélection, et que ses discussions avec H.C. n’avaient pas porté sur le concours. Elle ajouta que, si les juges C.H. et E.R., contactés par ses collègues C.I. et C.P., avaient déclaré l’avoir soupçonnée de vouloir les rencontrer pour discuter du concours, cet élément n’était pas de nature à justifier la décision du CSM. Devant la Haute Cour, la requérante, qui était représentée par un avocat choisi par elle, versa également au dossier ses conclusions écrites.


20.  Par un arrêt du 23 octobre 2017, la Haute Cour confirma la légalité et le bien-fondé de la décision du CSM et rejeta le recours de la requérante pour défaut de fondement. La Haute Cour jugea d’abord que le délai de deux ans prévu à l’article 46 § 7 de la loi no 317/2004 (paragraphe 24 ci-dessous) correspondait au délai dans lequel une action disciplinaire devait être engagée et non à celui dans lequel une telle action devait être tranchée par le prononcé d’une décision disciplinaire. Elle remarqua qu’en l’espèce les derniers faits imputés à la requérante dataient du 5 novembre 2013 et que la section disciplinaire pour juges du CSM avait été saisie le 5 novembre 2015, soit dans le délai légal prévu à l’article 46 § 7 de la loi no 317/2004. Elle ajouta que, concernant les faits antérieurs au 5 novembre 2013, le CSM n’avait pas omis d’appliquer le délai de prescription de deux ans puisqu’il avait constaté que, pour les faits datant des 23 et 24 octobre 2013, l’exercice de l’action disciplinaire était prescrit (paragraphe 16 ci-dessus). La Haute Cour jugea ensuite que, contrairement à ce que la requérante affirmait, l’acte d’immixtion dans l’activité d’un juge représentait une faute disciplinaire même si l’auteur de cet acte n’avait pas atteint le but poursuivi, et que l’activité de membre d’une commission de sélection, bien que n’étant pas une activité judiciaire proprement dite, n’était pas exclue du champ d’application de la faute disciplinaire visée à l’article 99, alinéa l) de la loi no 303/2004 (paragraphe 25 ci-dessous).


21.  S’agissant de la faute disciplinaire retenue par le CSM, la Haute Cour constata qu’il ressortait des preuves examinées en l’espèce que la requérante avait tenté d’amener certains membres de la commission de sélection à favoriser certains candidats au concours pour les fonctions de vice-présidents de la cour d’appel dont elle assurait la présidence. La Haute Cour indiqua que la préférence de la requérante pour certains candidats se trouvait confirmée par quatre conversations téléphoniques postérieures au 5 novembre 2013 et que les démarches entreprises par l’intéressée lors de son déplacement à Bucarest avec les juges C.I. et C.P., dans le but de rencontrer en personne certains membres de la commission de sélection ou de leur communiquer, par l’intermédiaire de C.I. et C.P., son souhait de voir sélectionner certains candidats, étaient corroborées par des conversations téléphoniques et des témoignages. Selon la haute juridiction, l’acte d’immixtion avait été perçu comme tel par les membres de la commission de sélection C.H. et E.R., contactés par la requérante, situation que ne pouvaient infirmer ni les témoignages des intermédiaires C.I. et C.P., ni le but officiel du déplacement à Bucarest déclaré par la requérante. D’après la Haute Cour, le CSM avait correctement établi la situation de fait et jugé que la requérante avait entrepris des démarches auprès de certains membres de la commission de sélection afin de favoriser certains candidats. S’agissant de l’élément subjectif, la Haute Cour confirma que le CSM avait correctement examiné les éléments de preuve qui renforçaient la thèse selon laquelle la requérante avait admis que, par ses démarches, elle était intervenue dans les activités d’un autre juge. Selon la Haute Cour, un élément important de cette analyse résidait dans le fait que les juges visés par les agissements de la requérante avaient perçu une ingérence dans leur activité. Cet arrêt fut notifié à la requérante le 25 janvier 2018.

LE CADRE JURIDIQUE PERTINENT

I.        La constitution


22.  Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent comme suit :

Le [CSM]

Article 133

Le rôle et la structure

« 1.  Le [CSM] est le garant de l’indépendance de la justice.

2.  Le [CSM] est composé de dix-neuf membres dont :

a)  quatorze sont élus par les assemblées générales des magistrats et confirmés par le Sénat ; ceux-ci font partie de deux sections, l’une pour les juges et l’autre pour les procureurs, la première étant composée de neuf juges et la deuxième de cinq procureurs ;

b)  deux représentants de la société civile, spécialistes des droits de l’homme, jouissant d’une haute réputation professionnelle et morale, élus par le Sénat ; ceux-ci ne participent qu’aux séances plénières ;

c)  le ministre de la Justice, le président de la Haute Cour de cassation et de justice et le procureur général près la Haute Cour de cassation et de justice.

3.  Le président du [CSM] est élu pour un mandat d’un an, non renouvelable, parmi les magistrats mentionnés au point 2 a).

4.  La durée du mandat des membres du [CSM] est de six ans.

5.  Les décisions du [CSM] sont adoptées par vote secret.

6.  Le Président de la Roumanie préside les réunions du [CSM], auxquelles il participe.

7.  Les décisions du [CSM] sont définitives et irrévocables, à l’exception de celles visées à l’article 134 § 2. »

Article 134

Les attributions

« 1.  Le [CSM] propose au Président de la Roumanie la nomination des juges et des procureurs, exception faite des stagiaires, dans les conditions établies par la loi.

2.  Par l’intermédiaire de ses sections, le [CSM] remplit le rôle de juridiction en matière de responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs, conformément à la procédure établie par sa loi organique. Dans ce contexte, le ministre de la Justice, le président de la Haute Cour de cassation et de justice et le procureur général près la Haute Cour de cassation et de justice n’ont pas de droit de vote.

3.  Les décisions du [CSM] en matière disciplinaire peuvent être contestées devant la Haute Cour de cassation et de justice (...)

4.  Le [CSM] exerce également d’autres attributions établies par sa loi organique, dans l’accomplissement de sa mission de garant de l’indépendance de la justice. »

II.     le code de procÉdure civile


23.  Les dispositions pertinentes du code de procédure civile, tel qu’applicable au moment des faits de la présente espèce, se lisent comme suit :

Article 488

Les motifs de cassation

« 1) La cassation d’une décision ne peut être sollicitée que pour l’un des motifs d’illégalité suivants :

(...)

8.  La décision a été prononcée en méconnaissance des normes de droit matériel ou à partir d’une application erronée de celles-ci. »

Article 492

Nouvelles preuves dans le cadre d’un recours

« 1. Aucune nouvelle preuve ne peut être produite devant la juridiction de recours, à l’exception de nouveaux documents (...)

2.  Si le recours doit être examiné en audience publique, de nouveaux documents peuvent être produits avant le début de la première audience. »

Article 497

Décisions pouvant être rendues par la Haute Cour de cassation et de justice

« 1.  En cas de cassation d’une décision, la Haute Cour renvoie l’affaire, une seule fois pendant la procédure, devant la juridiction d’appel ayant prononcé la décision cassée ou, le cas échéant (...), devant la juridiction de première instance dont la décision est cassée. Lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice l’exige, l’affaire peut être renvoyée devant toute autre juridiction du même degré ou devant un autre organe ayant une activité juridictionnelle (...) »

III.   la loi no. 317/2004


24.  Les parties pertinentes des dispositions de la loi no 317/2004, sur le CSM, telles qu’applicables au moment des faits de la présente espèce, se lisaient comme suit :

Les attributions du [CSM] en matière de discipline des magistrats

Article 44

« 1.   Par l’intermédiaire de ses sections disciplinaires, le [CSM] remplit le rôle de juridiction dans le domaine de la responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs, pour les faits visés dans la loi no 303/2004, telle que modifiée.

2.  La section disciplinaire pour juges remplit son rôle de juridiction également à l’égard des magistrats-assistants de la Haute Cour de cassation et de justice (...)

3.  L’action disciplinaire, en cas de faute commise par un juge, est exercée par l’inspection judiciaire, par l’intermédiaire d’un inspecteur judiciaire (...)

6.  Pour qu’une action disciplinaire puisse être engagée, une enquête préalable doit avoir été effectuée par l’inspection judiciaire (...) »

Article 45

« 1.  Dans le cas où il est à l’origine de l’action disciplinaire, le ministre de la Justice, le président de la Haute Cour de cassation et de justice ou le procureur général près la Haute Cour de cassation et de justice peut saisir l’inspection judiciaire au sujet d’une faute disciplinaire commise par un juge ou par un procureur.

2.  Dans le cas où l’inspection judiciaire est à l’origine de l’action disciplinaire, elle peut se saisir d’office ou être saisie par écrit par toute personne intéressée, y compris par le [CSM], au sujet d’une faute disciplinaire commise par un juge ou par un procureur.

3.  Les inspecteurs judiciaires de l’inspection judiciaire procèdent à une vérification préalable des faits qui sont à l’origine des procédures prévues aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus, afin de déterminer s’il subsiste des éléments indiquant l’existence d’une quelconque faute disciplinaire. Les vérifications ont lieu dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date de la demande formulée par la personne à l’origine de l’action disciplinaire lorsqu’il s’agit de la procédure prévue au paragraphe 1, ou à compter de la date de la saisine de l’inspection judiciaire lorsqu’il s’agit de la procédure prévue au paragraphe 2. Si des raisons objectives le justifient, l’inspecteur en chef peut ordonner la prolongation du délai de vérification préalable, pour une durée maximale de quarante-cinq jours.

4. Si, à l’issue des vérifications préalables, il est constaté qu’aucun élément n’indique l’existence d’une faute disciplinaire :

a) Dans un délai de dix jours après la fin des vérifications, l’inspecteur judiciaire adresse au ministre de la Justice, au président de la Haute Cour de cassation et de justice ou, le cas échéant, au procureur général près la Haute Cour de cassation et de justice, une proposition de classement sans suite, si l’inspection judiciaire a été saisie dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 1 ;

b)  L’affaire est classée sans suite et la conclusion est communiquée à la personne qui est à l’origine de la saisine ainsi qu’à la personne visée par la saisine, si l’inspection judiciaire a suivi la procédure prévue au paragraphe 2 (...)

6.  S’il est constaté que des éléments indiquent l’existence d’une faute disciplinaire, l’inspecteur judiciaire :

a)  adresse à l’auteur de la saisine, dans un délai de sept jours après la fin des vérifications préalables, la proposition d’ouvrir l’enquête disciplinaire préalable, si l’inspection judiciaire a été saisie dans les conditions prévues au paragraphe 1 ;

b)  ordonne, au moyen d’une résolution, l’ouverture de l’enquête disciplinaire préalable, si l’inspection a été saisie dans les conditions prévues au paragraphe 2 (...) »

Article 46

« 1.  Lors de l’enquête disciplinaire sont établis les faits et leurs conséquences, les circonstances ayant entouré les faits, ainsi que toute autre information pertinente susceptible de contribuer à déterminer si une faute a été commise. Sont obligatoires l’audition de la personne visée par l’enquête et l’examen de la défense présentée par [elle] (...)

(...)

7. L’action disciplinaire peut être exercée dans un délai de trente jours à compter de la fin de l’enquête disciplinaire, et au plus tard deux ans après la commission des faits. »

Article 47

« 1.  En cas de saisine fondée sur l’article 45 § 2, l’inspecteur judiciaire peut ordonner, par une résolution écrite motivée :

a)  d’accepter la saisine, d’engager l’action disciplinaire et de saisir la section disciplinaire concernée du [CSM] ;

b) de classer la demande sans suite, si elle n’est pas signée ou ne contient pas d’informations sur son auteur ou d’indications relatives aux faits (...) ;

c) de rejeter la saisine, s’il est constaté à l’issue de l’enquête préalable que les conditions requises pour l’exercice d’une action disciplinaire ne sont pas remplies. »

Article 49

« 1.  Lors d’une procédure disciplinaire devant le [CSM], une notification est obligatoirement adressée au juge ou au procureur visé par l’action disciplinaire (...) Le juge ou le procureur concerné peut se faire représenter par un autre juge ou par un autre procureur, ou se faire assister ou représenter par un avocat de son choix. Le refus du juge ou du procureur concerné de comparaître lors de cette procédure n’empêche pas celle-ci de se poursuivre.

2.  L’action disciplinaire devant une section disciplinaire est menée par l’inspecteur judiciaire qui l’a engagée ou, uniquement en cas d’impossibilité pour celui-ci d’être présent, par un inspecteur judiciaire que l’inspecteur en chef aura désigné (...)

4.  Les parties ont le droit de prendre connaissance de tous les documents versés au dossier et de demander à produire des preuves (...) ;

6.  Si l’action est fondée, la section disciplinaire du [CSM] prononce l’une des sanctions disciplinaires prévues par la loi, en fonction de la gravité de la faute commise par le juge ou le procureur et de la situation personnelle de celui-ci.

7.  Les dispositions de la présente loi sont complétées par celles du code procédure civile. »

Article 50

« 1.  Les sections disciplinaires du [CSM] statuent sur l’action disciplinaire par une décision qui comprend principalement :

a)  une description des faits constitutifs de la faute disciplinaire et le cadre juridique pertinent ;

b)  la base légale de la sanction concernée ;

c)  les motifs pour lesquels la défense du juge ou du procureur a été écartée ;

d)  la sanction prononcée ainsi que les motifs qui l’ont justifiée ;

e)  la voie de recours au moyen de laquelle la décision peut être contestée et le délai associé à son exercice ;

f)  la juridiction chargée de statuer sur la contestation. »

Article 51

« 1.   La décision d’une section disciplinaire du [CSM] statuant sur une action disciplinaire doit obligatoirement être rédigée dans un délai de vingt jours et être aussitôt communiquée au juge ou au procureur en cause, ainsi qu’à l’inspection judiciaire ou, le cas échéant, à [la personne ou l’entité] qui est à l’origine de l’action disciplinaire. La procédure de communication est assurée par le secrétariat général du [CSM].

2.  Le membre du [CSM] à l’encontre duquel s’exerce l’action disciplinaire ne peut pas participer aux réunions de la section disciplinaire appelée à statuer sur cette action.

3.  Le juge ou le procureur qui a été sanctionné peut former un recours contre une décisions visée au paragraphe 1 dans un délai de quinze jours à compter de la date de la notification de la décision en question. Le cas échéant, l’inspection judiciaire ou [la personne ou l’entité] qui est à l’origine de l’action disciplinaire peut également former un recours. Une formation de cinq juges de la Haute Cour de cassation et de justice statue sur le recours. Les membres ayant le droit de vote au sein du [CSM] ne peuvent pas faire partie de cette formation.

4.  Le recours suspend l’exécution de la décision disciplinaire rendue par la section du [CSM].

5.  La décision par laquelle il est statué sur ce recours est définitive (...) ».

Le statut des membres du [CSM]

 

Article 54

« 1.  Les membres du [CSM] effectuent un mandat de six ans, non renouvelable. Les juges et les procureurs membres du [CSM] sont assimilés à des dignitaires.

2.  Un membre du [CSM] qui est un représentant de la société civile ne peut pas être en même temps parlementaire, élu local, fonctionnaire, juge ou procureur en exercice, notaire, avocat, conseiller juridique, ou huissier de justice en exercice (...)

(...)

4.  La qualité de membre du [CSM] prend fin à la date d’expiration du mandat ou en cas de démission, de révocation, de manquement à résoudre une situation d’incompatibilité dans un délai de quinze jours après la nomination comme membre du [CSM], de non-respect des dispositions de l’article 7 de la loi no 303/2004, telle que modifiée [1], d’impossibilité pour l’intéressé d’exercer ses fonctions pendant une période supérieure à trois mois, ainsi qu’en cas de décès.

5.  La qualité de membre du [CSM] est suspendue de plein droit pour les motifs prévus à l’article 62 de la loi no 303/2004, telle que modifiée [2]. »

Article 55

« 1.  La révocation d’un membre du [CSM] est proposée par le président ou par le vice-président du [CSM], ou par un tiers des membres du [CSM], si la personne en cause ne remplit plus les conditions requises pour être membre du [CSM], en raison du non-exercice ou d’un exercice inadéquat de son rôle de membre ou en cas de sanction disciplinaire.

2.  Saisie dans les conditions visées au paragraphe 1, la plénière du [CSM] peut ordonner la révocation du mandat d’un membre du [CSM].

3.  La révocation du mandat de membre du [CSM] doit être proposée par un tiers des membres du [CSM] (...)

(...)

7.  La procédure de révocation peut être déclenchée par toute assemblée générale établie au niveau de la juridiction ou du parquet dont relève le membre du [CSM] visé par la demande de révocation, ainsi que par une organisation professionnelle de juges et de procureurs.

8.  L’assemblée générale qui est à l’origine de la procédure, ou la première assemblée générale saisie par une organisation de juges et de procureurs, comptabilise les voix. »

Article 56

« 1.  Les membres du [CSM] sont des juges ou des procureurs. Ils engagent leur responsabilité civile, disciplinaire et pénale au regard de la loi.

2.  Les articles 45 à 49 trouvent également application.

3.  Le membre du [CSM] contre lequel s’exerce l’action disciplinaire ne peut pas participer aux réunions de la section qui est appelée à statuer sur cette action. »

Article 57

« 1.  En cas de cessation de la qualité de membre du [CSM] avant l’expiration du mandat, il est procédé à des élections pour le poste à pourvoir, selon la procédure prévue par la loi.

2.  Jusqu’à l’élection d’un nouveau membre, le juge ou le procureur ayant obtenu le plus de voix à l’issue d’une élection organisée conformément à l’article 8 § 3 ou à l’article 13, ou, le cas échéant, à l’article 19, occupera le poste par intérim. »

Article 58

« Les conjoints ou parents jusqu’au quatrième degré inclus ne peuvent pas être membres du [CSM] pendant le même mandat. »

IV.  LA LOI No. 303/2004


25.  Les dispositions pertinentes de la loi no 303/2004 sur le statut des juges et des procureurs se lisent comme suit :

Article 99

« Constitue une faute disciplinaire :

(...)

l) l’immixtion dans l’activité d’un juge ou d’un procureur (...) »

V.     La pratique interne pertinente


26.  Par un arrêt du 3 mai 2018, la Cour Constitutionnelle, qui avait été saisie d’une exception d’inconstitutionnalité relative à l’article 51 § 3 de la loi no 317/2004 (paragraphe 24 ci-dessus), jugea que les dispositions de cet article n’étaient conformes à la Constitution que dans la mesure où le recours contre une décision du CSM prononcée en matière disciplinaire représentait une voie dévolutive, garantissant ainsi un droit d’accès à un tribunal compétent à prendre en considération tous les aspects de l’affaire et à contrôler la légalité et le bien‑fondé de la décision contestée.

VI.  ÉTUde de droit comparÉ


27.  La Cour a procédé à une étude comparative du droit et de la pratique internes de trente-cinq États parties à la Convention (l’Albanie, l’Allemagne, Andorre, l’Autriche, l’Azerbaïdjan, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l’Espagne, l’Estonie, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, la Macédoine du Nord, Malte, la Moldova, le Monténégro, la Norvège, les Pays‑Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, le Royaume-Uni, Saint-Marin, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède et la Turquie) sur la question de l’étendue du contrôle d’une sanction disciplinaire infligée à un magistrat.


28.  Selon les conclusions de cette étude, vingt-cinq pays ont un droit interne qui prévoit un recours permettant aux juridictions saisies de statuer à nouveau en fait et en droit sur tous les points qui sont critiqués dans la décision disciplinaire contestée (l’Albanie, l’Allemagne, Andorre, l’Autriche, la Belgique, la Croatie, l’Espagne, l’Estonie, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Islande, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, Malte, la Moldova, le Monténégro, la Pologne, le Portugal, Saint-Marin, la Serbie, la Slovénie, la Suède et la Turquie). Dans les autres États membres étudiés, le droit interne ne prévoit aucun recours ou ne permet un recours qu’en cas de révocation (la Bosnie-Herzégovine, le Luxembourg, les Pays-Bas, la République tchèque et la Slovaquie), ou bien prévoit un recours qui se limite au contrôle de la légalité de la décision disciplinaire contestée (l’Azerbaïdjan, l’Italie, la Macédoine du Nord, la Norvège et le Royaume-Uni).

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION


29.  La requérante allègue que la Haute Cour n’a pas procédé à un « contrôle suffisant » pour remédier aux défauts de la procédure disciplinaire dans laquelle la section disciplinaire pour juges du CSM a statué le 31 octobre 2016. En outre, la section disciplinaire pour juges du CSM a refusé d’examiner une partie de ses offres de preuves.


Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui, en ses parties pertinentes, est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A.         Sur la recevabilité

 


31.  Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

B.          Sur le fond

1.     Thèses des parties

a)      La requérante


32.  La requérante soutient que la Haute Cour n’a pas réexaminé les preuves analysées par l’inspection judiciaire ou par la section disciplinaire pour juges du CSM, mais s’est bornée à confirmer la légalité de la décision disciplinaire, loin des conclusions formulées dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 mai 2018 (paragraphe 26 ci-dessus). D’après la requérante, la Haute Cour a considéré à tort qu’elle ne contestait pas la situation de fait et, de la même manière, a confirmé la légalité de l’enquête disciplinaire sans procéder à une analyse des circonstances factuelles de la cause. La requérante estime que la Haute Cour a validé une situation de fait établie de manière erronée par la section disciplinaire pour juges du CSM, laquelle à ses yeux n’était pas un « tribunal » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, mais seulement un organe extrajudiciaire. D’après elle, ni l’inspection judiciaire, ni la section disciplinaire pour juges du CSM, ni la Haute Cour n’ont examiné de preuves autres que celles produites par la DNA. Dans ces conditions, la requérante considère qu’un simple contrôle de légalité est insuffisant au regard de l’article 6 § 1 de la Convention.

b)      Le Gouvernement


33 .  Le Gouvernement rappelle que le droit d’accès à un tribunal n’est pas un droit absolu et que les États disposent d’une certaine marge d’appréciation en la matière. Il expose que le CSM assume le rôle de juridiction dans le domaine de la responsabilité disciplinaire des juges et des procureurs (paragraphe 22 ci-dessus), sans être un tribunal au sens de la loi no 304/2004 sur l’organisation judiciaire, mais plutôt un organe administratif juridictionnel. Il indique qu’un pourvoi devant la Haute Cour contre une décision du CSM doit prendre la forme d’un recours dévolutif dans le cadre duquel sont examinés la légalité et le bien-fondé de la décision en cause, ce qui a été le cas en l’espèce (il cite, a contrario, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, §§ 204-206). Le Gouvernement considère que la Haute Cour a examiné en détail les critiques formulées par la requérante quant à la décision du CSM et que, après avoir étudié les preuves versées au dossier, il a confirmé l’existence de la faute disciplinaire qui était reprochée à l’intéressée. Il ajoute que si, dans le cadre du même contrôle, la Haute Cour avait la possibilité de procéder à un réexamen des preuves et de prononcer une nouvelle décision à l’égard de la requérante, elle a choisi de vérifier si la base factuelle présentée par le CSM était suffisante et assez solide pour justifier le constat relatif à la faute disciplinaire. Le Gouvernement considère que toutes les garanties procédurales offertes par l’article 6 § 1 de la Convention ont été respectées, tant lors de la procédure disciplinaire menée devant le CSM que lors du contrôle effectué par la Haute Cour.

2.     Appréciation de la Cour

a)      Sur la question de savoir si la procédure devant la section disciplinaire pour juges du CSM était conforme à l’article 6 § 1 de la Convention


34.  La Cour note d’emblée que la présente affaire se distingue des affaires dans lesquelles elle avait critiqué l’absence de contrôle, par un organe indépendant, de la légalité de mesures disciplinaires ou des mesures ayant une conséquence directe sur le mandat, adoptées contre des magistrats ou des procureurs (voir, à titre d’exemple, Kövesi c. Roumanie, (no 3594/19, §§ 18‑54, 67 et 148-157, 5 mai 2020), où l’intéressée avait été révoquée de sa fonction de procureur général à la suite d’une décision du ministre de la Justice, validée par la Cour constitutionnelle et suivie d’un décret présidentiel, qui ne pouvaient pas faire l’objet d’un recours, et Baka c. Hongrie ([GC], no 20261/12, §§ 24-37 et 121, 23 juin 2016), où l’intéressé, ancien président de la Cour suprême, n’avait pas pu contester la cessation prématurée de son mandat en raison d’un texte de loi). En effet, la requérante en la présente espèce s’est vue infliger une sanction disciplinaire à la suite d’une procédure qui s’est déroulée devant la section disciplinaire pour juges du CSM, organe qui avait la compétence de statuer sur les fautes disciplinaires commises par les juges (paragraphe 22 ci-dessus) et qui était tenu à respecter une procédure spécifique (paragraphe 24 ci-dessus).


35.  De ce fait, la Cour estime nécessaire avant tout de rechercher si la procédure devant la section disciplinaire pour juges du CSM a été conforme aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. Lors de cette analyse, elle ne va pas tenir compte des conclusions de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») appelée à se prononcer sur la compatibilité avec le droit de l’Union européenne (« UE ») de l’application de l’ordonnance no 77/2018 du gouvernement, portant modification de la loi no 317/2004 sur le CSM (arrêt de la Grande Chambre du 18 mai 2021, affaires jointes C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, pts. 186-207), car ladite ordonnance est entrée en vigueur le 5 septembre 2018, soit après les faits dans la présente affaire.

i.        La section disciplinaire pour juges du CSM était-elle un « tribunal » au sens de l’article 6 § 1 ?


36.  La Cour rappelle que sa jurisprudence n’entend pas nécessairement, par le terme « tribunal », une juridiction de type classique, intégrée aux structures judiciaires ordinaires du pays (Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, § 76, série A no 80). Aux fins de la Convention, une autorité peut s’analyser en un « tribunal », au sens matériel du terme, lorsqu’il lui appartient de trancher, sur la base de normes de droit, avec plénitude de juridiction et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence (Argyrou et autres c. Grèce, no 10468/04, § 24, 15 janvier 2009, et Di Giovanni, précité, § 52 ; voir aussi, mutatis mutandis, Kamenos c. Chypre, no 147/07, §§ 85-87, 31 octobre 2017). En outre, le fait de confier à des juridictions ordinales le soin de statuer sur d’éventuelles fautes disciplinaires n’enfreint pas en soi la Convention (Di Giovanni, précité, § 52).


37.   Tout d’abord, la Cour note que le CSM est un organe établi par la loi, à savoir par la Constitution et par la loi no 317/2004 sur le CSM (paragraphes  22 et 24 ci-dessus). Elle constate également que la lecture des textes de loi en question fait apparaître que le CSM a pleine compétence pour effectuer une enquête préalable par l’intermédiaire de l’inspection judiciaire (article 44 §§ 3 et 6 de la loi no 317/2004, cité au paragraphe 24 ci‑dessus) et pour, ensuite, statuer sur l’action disciplinaire engagée à l’égard d’un juge et rendre une décision disciplinaire (article 47 § 1, alinéa a), et articles 49-51 de la loi no 317/2004). Lors de cette procédure, la section disciplinaire pour juges du CSM établit et apprécie les faits et les conséquences juridiques qui en découlent, après avoir examiné les preuves (articles 49 § 4 et 50 de la loi no 317/2004). En outre, le magistrat poursuivi, qui peut se faire représenter ou assister par un magistrat ou par un avocat de son choix, a la possibilité de produire un mémoire en défense, est entendu et a le droit de prendre connaissance de tous les documents versés au dossier et de demander à produire des preuves en défense (articles 46 § 1 et 49 §§ 1 et 4 de la loi no 317/2004). De plus, les dispositions légales relatives à la procédure disciplinaire menée devant la section disciplinaire pour juges du CSM sont complétées par les règles générales de procédure contenues dans le code de procédure civile (article 49 § 7 de la loi no 317/2004). Dans ces conditions, la Cour estime, contrairement à la requérante (paragraphe 32 ci-dessus), que la section disciplinaire pour juges du CSM constitue bien un « organe judiciaire doté de la pleine juridiction » auquel les garanties de l’article 6 trouvent à s’appliquer (voir, a contrario, Donev, précité, § 85, et, mutatis‑mutandis, Olujić c. Croatie, no 22330/05, §§ 41-43, 5 février 2009, et Di Giovanni, précité, § 53).

ii.      La section disciplinaire pour juges du CSM, était-elle « indépendante » et « impartiale » ?


38.  S’agissant ensuite du point de savoir si la section disciplinaire pour juges du CSM était « indépendante » et « impartiale » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour renvoie aux principes jurisprudentiels en la matière qui ont été énoncés dans l’arrêt Denisov c. Ukraine ([GC], no 76639/11, §§ 68-71, 25 septembre 2018). Elle ne relève aucun élément susceptible de prouver la partialité, ou de mettre en doute l’impartialité subjective, des membres de la section disciplinaire pour juges du CSM. Elle se placera donc sur le terrain de l’impartialité objective de ceux-ci. En outre, les notions d’indépendance et d’impartialité objective étant étroitement liées, la Cour les examinera ensemble dans la présente affaire (Grieves c. Royaume‑Uni [GC], no 57067/00, § 69, CEDH 2003-XII (extraits)).


39.  La Cour constate que les membres de la section disciplinaire pour juges du CSM étaient des juges élus par les assemblées générales des magistrats et appartenaient au corps judiciaire (article 133 § 2, alinéa a), de la Constitution, cité au paragraphe 22 ci-dessus), ce qui en soi ne porte pas atteinte au principe d’indépendance judiciaire, qu’ils effectuaient un mandat de six ans non renouvelable (article 133 § 4 de la Constitution, et article 54 § 1 de la loi no 317/2004, cité au paragraphe 24 ci‑dessus), qu’ils ne pouvaient être révoqués que sous certaines conditions expressément définies par la loi (articles 54 § 4 et 55 de la loi no 317/2004) et qu’ils étaient indépendants hiérarchiquement (voir les dispositions pertinentes de la Constitution et de la loi no 317/2004, citées paragraphes 22 et 24 ci-dessus). La Cour n´a relevé aucun élément susceptible de prouver la partialité des membres du CSM concernés ou de mettre en doute leur indépendance (voir, mutatis mutandis, Di Giovanni, précité, §§ 56-59 ; voir également, a contrario et mutatis mutandis, Luka c. Roumanie, no 34197/02, §§ 46-48, 21 juillet 2009 et, a contrario, Denisov, précité, §§ 68-72). De plus, elle ne voit aucune raison de douter de leur impartialité objective dans le cas d’espèce.

iii.    La procédure devant la section disciplinaire pour juges du CSM, a-t-elle été équitable » ?


40.  S’agissant de l’équité de la procédure menée devant la section disciplinaire pour juges du CSM, la Cour rappelle que la loi prévoyait des garanties procédurales précises (paragraphe 37 ci-dessus) et que les décisions adoptées par le CSM pouvaient faire l’objet d’un contrôle par la Haute Cour (article 51 § 3 de la loi no 317/2004, cité au paragraphe 24 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour est prête à admettre que la procédure menée devant la section disciplinaire pour juges du CSM a permis à la requérante de présenter des éléments pour sa défense.


41.  Ainsi, l’inspection judiciaire du CSM a mis tous les éléments du dossier d’enquête disciplinaire à la disposition de la requérante, celle-ci a été entendue en personne, quinze témoins ont également été entendus et l’intéressée a pu verser au dossier des preuves documentaires pour sa défense (paragraphe 6 ci-dessus). Le rejet d’une partie des demandes de preuves a été motivé de manière détaillée par les inspecteurs judiciaires (paragraphe 6 ci‑dessus), qui ont ensuite procédé à l’établissement des faits sur la base des preuves versées au dossier (paragraphe 7 ci-dessus).


42.  Après la saisine de la section disciplinaire pour juges par l’inspection judiciaire, la requérante a eu la possibilité de participer, assistée par un avocat de son choix, à toutes les audiences organisées par ladite section, d’exposer oralement sa défense (paragraphes 9 et 11 ci-dessus), d’obtenir l’audition de témoins (paragraphe 11 ci-dessus ; voir, a contrario, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 198, et Olujić, précité, §§ 83-84), de verser au dossier son mémoire en défense (paragraphes 8-9 ci-dessus), de faire examiner toutes les exceptions qu’elle avait soulevées (paragraphes 10 et 12 ci-dessus), de verser au dossier des éléments de preuve supplémentaires (paragraphe 11 ci-dessus) et de déposer ses conclusions écrites (paragraphe 13 ci-dessus).


43.  Après avoir examiné toutes les preuves versées au dossier et avoir répondu aux principaux arguments soulevés par la requérante ainsi qu’à ses demandes de preuves, la section disciplinaire pour juges du CSM a constaté que l’intéressée avait commis la faute disciplinaire d’immixtion dans l’activité d’autres juges, dans le but de favoriser certains candidats pour les postes de vice‑président de la cour d’appel dont elle assurait la présidence (paragraphes 16 et 25 ci-dessus). Tout en rappelant que l’article 6 ne réglemente pas l’admissibilité des preuves ou leur appréciation, matière qui relève au premier chef du droit interne et des juridictions nationales (voir, parmi d’autres, Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 61, CEDH 2015), la Cour constate que l’appréciation livrée en l’espèce par la section disciplinaire pour juges du CSM n’apparaît ni arbitraire ni manifestement déraisonnable et que la procédure disciplinaire ne saurait passer pour « inéquitable » au sens de l’article 6 § 1.

iv.     Conclusion


44.  À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la procédure devant la section disciplinaire pour juges du CSM a satisfait aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.

b)      Sur la question de savoir si le « contrôle ultérieur » par la Haute Cour présentait les garanties voulues par l’article 6 § 1 de la Convention


45.  La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours de cassation en matière de procédures civiles, y compris de procédures disciplinaires, comme celle en l’espèce, mais que si de telles juridictions existent, les garanties de l’article 6 doivent être respectées devant une telle juridiction (voir, Zubac c. Croatie ([GC], no 40160/12, § 80, 5 avril 2018). Elle note également qu’en l’espèce la requérante a bénéficié d’une procédure conforme aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention devant la section disciplinaire pour juges du CSM (paragraphe 44 ci-dessus). Cela étant, puisque la requérante critique le contrôle ultérieur par la Haute Cour et qu’une telle voie de recours est prévue par le droit interne (paragraphes 24 et 40 ci-dessus), la Cour estime nécessaire de se pencher également sur cette garantie supplémentaire qui a été offerte à la requérante.


46.  À cet égard, la Cour rappelle qu’une telle possibilité pourrait constituer une garantie suffisante même pour les cas où, à la différence de la présente espèce, l’autorité chargée d’examiner des contestations portant sur des « droits et obligations de caractère civil » ne remplissait pas toutes les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention. En effet, la Cour a eu l’occasion de préciser qu’il n’y a pas violation de la Convention si la procédure devant cet organe peut faire l’objet du « contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article », c’est-à-dire si des défauts structurels ou de nature procédurale identifiés dans la procédure sont corrigés dans le cadre du contrôle ultérieur par un organe judiciaire doté de la pleine juridiction (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 132, et les affaires qui y sont citées, et Donev c. Bulgarie, no 72437/11, § 86, 26 octobre 2021).


47.  La Cour rappelle à cet égard que, selon sa jurisprudence, afin d’évaluer si, dans un cas donné, les juridictions internes ont effectué un contrôle d’une étendue suffisante, elle doit prendre en considération les compétences attribuées à la juridiction en question et des éléments tels que : a) l’objet de la décision attaquée, plus particulièrement si celle-ci a trait à un domaine spécifique exigeant des connaissances spécialisées ou si, et dans quelle mesure, elle implique l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration ; b) la méthode suivie pour parvenir à cette décision et, en particulier, les garanties procédurales existant dans le cadre de la procédure devant l’autorité administrative ; et c) la teneur du litige, y compris les moyens de recours, tant souhaités que réellement développés (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, §§ 177-179, Tsanova-Gecheva c. Bulgarie, no 43800/12, § 98, 15 septembre 2015, et Sigma Radio Television Ltd c. Chypre, nos 32181/04 et 35122/05, § 154, 21 juillet 2011). Le point de savoir si un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante a été effectué dépendra donc des circonstances de chaque affaire : la Cour doit dès lors se borner autant que possible à examiner la question soulevée par la requête dont elle est saisie et à déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, le contrôle opéré était adéquat (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 181).


48.  Concernant tout d’abord l’objet de la décision attaquée, c’est-à-dire le point de savoir si la requérante avait manqué à ses obligations professionnelles, compte tenu des compétences que la législation nationale attribuait au CSM (la gestion autonome de la magistrature, dans l’objectif plus général de garantir l’indépendance de la justice - voir, en ce sens, l’article 133 § 1 de la Constitution, cité au paragraphe 22 ci‑dessus), il est évident que pour répondre à cette question le CSM devait exercer son pouvoir discrétionnaire. Cependant, il ne s’agissait pas d’un exercice classique du pouvoir discrétionnaire administratif dans un domaine spécialisé du droit (voir, mutatis mutandis, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 195).


49.  Quant à la méthode suivie par le CSM et aux garanties procédurales offertes par la procédure disciplinaire, la Cour renvoie à l’analyse développée aux paragraphes 37-43 ci-dessus et rappelle que la décision disciplinaire a été adoptée à l’issue d’une procédure qui présentait des garanties procédurales remplissant les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphe 44 ci-dessus : voir, a contrario, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 198).


50.  Pour ce qui est de la teneur du litige et des moyens de recours, il convient de rappeler que la tâche de la Cour consiste uniquement à vérifier si un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante a été opéré et qu’il ne lui appartient pas de rechercher si la décision du CSM de sanctionner la requérante était régulière en droit interne (voir, mutatis mutandis, Tsanova‑Gecheva, précité, § 91).


51.  Au vu de la législation en vigueur à l’époque des faits, la Cour note que les recours devant la Haute Cour étaient en principe limités aux seuls motifs de légalité expressément prévus dans le code de procédure civile (paragraphe 23 ci-dessus). Ce constat a été corroboré par la Cour Constitutionnelle, qui a jugé que les recours formés sur le fondement de l’article 51 § 3 de la loi no 317/2004 (paragraphe 24 ci-dessus) n’étaient conformes à la Constitution que s’ils avaient un effet dévolutif, par la prise en considération de tous les aspects de l’affaire et par la vérification de la légalité et du bien‑fondé de la décision contestée (paragraphe 26 ci-dessus).


52.  Or il ressort du contenu de l’arrêt du 23 octobre 2017 que, contrairement à ce que la requérante affirme (paragraphe 32 ci-dessus), la Haute Cour a analysé tant la légalité que le bien-fondé de la décision disciplinaire (paragraphes 20-21 ci-dessus), dans l’esprit de la décision de la Cour constitutionnelle (paragraphe 26 ci‑dessus) et de la majorité des ordres juridiques des États membres (paragraphes 27-28 ci-dessus). La Haute Cour a répondu aux arguments soulevés par la requérante à l’appui de ses motifs de cassation : tout d’abord, elle a jugé que le CSM avait rejeté à juste titre l’exception visant la prescription de deux ans prévue à l’article 46 § 7 de la loi no 317/2004 au motif qu’il s’agissait du délai dans lequel une action disciplinaire devait être engagée ; ensuite, la Haute Cour a répondu aux critiques formulées par la requérante quant à l’interprétation de la notion d’immixtion dans l’activité d’un autre juge, exposant qu’elle n’impliquait pas forcément la réalisation du but poursuivi et ne nécessitait pas une activité judiciaire proprement dite de la part des juges C.H. et E.R. (paragraphe 20 ci‑dessus).


53.  À l’instar du Gouvernement, la Cour observe également que la Haute Cour a procédé à une nouvelle analyse des faits reprochés à la requérante en se rapportant aux preuves versées au dossier (témoignages et transcriptions de conversations téléphoniques), avant de conclure que l’intéressée avait voulu communiquer à C.H. et E.R., membres de la commission de sélection, son souhait de voir désigner certains candidats pour les postes de vice‑président de la cour d’appel dont elle assurait la présidence. La haute juridiction a accordé du poids aux déclarations de C.H. et E.R., qui ont dit avoir senti qu’à travers ses démarches la requérante souhaitait influer sur leur décision à l’issue du concours, et elle a jugé que le CSM avait correctement établi la situation de fait en concluant que l’intéressée avait commis la faute disciplinaire visée à l’article 99, alinéa l) de la loi no 303/2004 (paragraphes 21 et 25 ci-dessus).


54.  En somme, la Cour constate qu’en l’espèce la Haute Cour a montré qu’elle était compétente pour examiner les questions de fait qu’elle jugeait pertinentes, ainsi que la qualification juridique de faute disciplinaire donnée aux actes reprochés à la requérante. Il ressort des dispositions légales que, si elle avait estimé fondés les moyens exposés par l’intéressée, la Haute Cour aurait eu le pouvoir d’annuler la décision du CSM et de renvoyer l’affaire devant le même organe pour un nouvel examen (voir l’article 497 § 1 du code de procédure civile, cité au paragraphe 23 ci-dessus).


55.  Certes, la Haute Cour n’était pas compétente pour déterminer la sanction appropriée, question qui, si elle ne peut être considérée comme exigeant des connaissances spécialisées, implique indéniablement l’exercice du pouvoir discrétionnaire accordé au CSM en matière disciplinaire. Aux yeux de la Cour, un tel pouvoir se justifie au regard du rôle spécifique et très important que la Constitution confère à cette autorité, à savoir celui d’assurer la gestion autonome de l’institution judiciaire, dans l’objectif de garantir l’indépendance de la justice (voir les dispositions internes pertinentes, citées aux paragraphes 22 et 24 ci-dessus ; voir aussi, mutatis mutandis, Tsanova‑Gecheva, précité, § 100).


56.  Il apparaît, dès lors, que, à la lumière des principes résumés au paragraphe 44 ci-dessus et eu égard aux circonstances en l’espèce, la Haute Cour a opéré en l’espèce un contrôle d’une étendue suffisante (voir, mutatis‑mutandis, Donev, précité, §§ 88-90).

c)       Conclusion


57.  Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’il n’y pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en l’espèce.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Déclare la requête recevable ;

2.      Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 janvier 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

                       

             Ilse Freiwirth                                         Gabriele Kucsko-Stadlmayer
          Greffière adjointe                                                     Présidente

 



[1] Cet article a institué une interdiction pour les juges, les procureurs et les magistrats-assistants d’être agents des services de renseignements pendant l’exercice de leurs fonctions.

[2] Cet article prévoit les cas de suspension des fonctions des juges et des procureurs.


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