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European Court of Human Rights


You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> BARANSU v TURKIYE - 68309/16 (Violation of Article 5 - Right to liberty and security (Article 5-3 - Reasonableness of pre-trial detention)) Court (Second Section Committee) French Text [2023] ECHR 585 (11 Jul 2023)
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2023/585.html
Cite as: [2023] ECHR 585

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DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE BARANSU c. TÜRKİYE

(Requêtes nos 68309/16 et 41448/19)

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

STRASBOURG

11 juillet 2023

 

 

 

 

 

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Baransu c. Türkiye,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en un comité composé de :

          Jovan Ilievski, président,
          Lorraine Schembri Orland,
          Diana Sârcu, juges,
et de Dorothee von Arnim, greffière adjointe de section,

Vu :

les requêtes (nos 68309/16 et 41448/19) dirigées contre la République de Türkiye dont un ressortissant de cet État, M. Mehmet Baransu a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »), le 17 novembre 2016 et le 25 juillet 2019,

 

les observations des parties,

la décision par laquelle la Cour a rejeté l’opposition du Gouvernement à l’examen des requêtes par un comité,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 juin 2023,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

OBJET DE L’AFFAIRE

1.  L’affaire porte sur la mise et le maintien en détention provisoire du requérant. Elle pose problème au regard de l’article 5 § 3 de la Convention.

2.  Le 1er mars 2015, le requérant fut placé en garde à vue. Le lendemain, il fut traduit devant le juge de paix d’Istanbul, qui ordonna sa mise en détention provisoire pour avoir endommagé des documents relatifs à la sécurité de l’État, les avoir volés ou les avoir pris par ruse ou les avoir utilisés en dehors de leur destination et pour avoir obtenu des documents classifiés relatifs à la sécurité de l’État. Dans sa décision de placement en détention provisoire, le juge de paix releva qu’il existait des forts soupçons fondés sur des éléments de preuve concrets selon lesquels l’intéressé aurait commis les infractions reprochées. Eu égard aux limites inférieure et supérieure de la peine encourue, il estima qu’il existait un risque de fuite. Il nota également que l’article 100 du code de procédure pénale n’interdisait pas la mise en détention provisoire du requérant et que l’enquête pénale menée à son encontre était en cours. Il considéra en outre que la détention était une mesure proportionnée, compte tenue de la gravité de la peine encourue et qu’une mesure de contrôle judiciaire serait insuffisante.

3.  Les oppositions formées par le requérant à des différentes dates furent écartées et, à maintes reprises, la prolongation de la détention provisoire du requérant fut ordonnée pour des motifs similaires.

4.  Par un acte d’accusation du 7 juin 2016 déposé devant la cour d’assises d’Istanbul, le parquet d’Istanbul requit la condamnation du requérant pour les infractions suivantes : i) avoir endommagé des documents relatifs à la sécurité de l’État, les avoir volés ou les avoir pris par ruse ou les avoir utilisés en dehors de leur destination ; ii) avoir obtenu des documents classifiés relatifs à la sécurité de l’État ; iii) avoir divulgué des documents classifiés relatifs à la sécurité et aux intérêts politiques de l’État et ; iv) appartenance à une organisation terroriste.

 

 

7.  À une date inconnue, une autre action pénale fut diligentée contre le requérant devant la cour d’assises de Mersin pour appartenance à une organisation terroriste. Par un jugement du 17 juillet 2020, cette juridiction le condamna pour l’infraction reprochée.

8.  Le 4 mars 2022, la cour d’assises d’Istanbul condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de 6 ans pour avoir obtenu des documents classifiés relatifs à la sécurité de l’État et à une peine d’emprisonnement de 7 ans pour avoir divulgué des documents classifiés relatifs à la sécurité et aux intérêts politiques de l’État. S’agissant de l’infraction d’avoir endommagé des documents relatifs à la sécurité de l’État, les avoir volés ou les avoir pris par ruse ou les avoir utilisés en dehors de leur destination, elle acquitta l’intéressé. Enfin, compte tenu du jugement du 17 juillet 2020 rendu par la cour d’assises de Mersin, elle rejeta l’action pénale concernant l’infraction d’appartenance à une organisation terroriste. La procédure pénale est actuellement pendante devant les juridictions nationales.

 

10.  Le 28 octobre 2021, le requérant saisit la Cour constitutionnelle d’un nouveau recours individuel, dans lequel il dénonçait sa détention provisoire. Ce recours est actuellement pendant devant la haute juridiction.

APPRÉCIATION DE LA COUR

I.        JONCTION DES REQUÊTES

11.  Eu égard à la similitude de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique.

 

12.  Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire et du fait que les juridictions internes n’avaient pas suffisamment motivé leurs décisions.

13.  Le Gouvernement argue que la Cour doit rejeter les requêtes pour non‑épuisement des voies de recours internes étant donné que le requérant a saisi la Cour constitutionnelle d’un nouveau recours individuel, lequel est actuellement pendant. Il affirme en outre que les requêtes doivent être déclarées irrecevables pour défaut manifeste de fondement dans la mesure où le grief formulé par le requérant a été évalué par les juridictions internes, notamment la Cour constitutionnelle, qui ont rendu des décisions à l’issue d’un examen approfondi. Le Gouvernement demande aussi à la Cour de déclarer les requêtes irrecevables pour abus du droit de recours eu égard aux remarques déplaisantes faites par le requérant à l’égard de la Cour et des autorités nationales. Quant au bien-fondé, il estime qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 5 § 3 de la Convention. Il soutient en outre qu’il convient d’examiner les requêtes à la lumière de sa dérogation notifiée au titre de l’article 15 de la Convention (paragraphe 5 ci-dessus).

 

 

16.  Les requêtes n’étant ni manifestement mal fondées ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, il convient de les déclarer recevables.

17.  Les principes généraux relatifs à l’article 5 § 3 de la Convention, concernant la justification d’une détention, sont décrits notamment dans les arrêts Buzadji c. République de Moldova ([GC], no 23755/07, §§ 87-91, 5 juillet 2016) et Merabishvili c. Géorgie ([GC], no 72508/13, §§ 222-225, 28 novembre 2017).

 

 

20.  Quant à la dérogation de la Türkiye, la Cour observe que la détention provisoire du requérant a débuté avant l’état d’urgence et elle s’est terminée après la fin de celui-ci. Elle relève que la détention provisoire dénoncée dans la présente affaire a été ordonnée sur le fondement de la législation qui était applicable avant et après la déclaration de l’état d’urgence. Par conséquent, la détention ne saurait être considérée comme une mesure ayant respecté les conditions requises par l’article 15 de la Convention, puisque, finalement, aucune mesure dérogatoire ne s’est appliquée à la situation.

21.  Au vu de ce qui précède, il y a donc eu, en l’espèce, violation de l’article 5 § 3 de la Convention à raison de l’absence de motifs pertinents et suffisants pour placer et maintenir le requérant en détention provisoire.

APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.      Décide de joindre les requêtes ;

2.      Déclare les requêtes recevables ;

3.      Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

4.      Dit,

a)     que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

i. 7 800 EUR (sept mille huit cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b)     qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.      Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 juillet 2023, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

                       

       Dorothee von Arnim                                                Jovan Ilievski
          Greffière adjointe                                                      Président


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