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You are here: BAILII >> Databases >> European Court of Human Rights >> ECODEFENCE AND OTHERS v RUSSIA - 9988/13 (Art. 11 (read in the light of Art. 10) - Freedom of association - Application of the Foreign Agents Act to applicant NGOs and their leaders, neither provided for by law nor necessary in a democratic society - Concepts of "political activity" and "foreign funding" : Third Section Committee) [2024] ECHR 768 (24 September 2024) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/ECHR/2024/768.html Cite as: [2024] ECHR 768 |
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TROISIÈME SECTION
AFFAIRE ECODÉFENSE ET AUTRES c. RUSSIE
(Requête no 9988/13 et 60 autres - voir liste en annexe)
Art. 11 (lu à la lumière de l'art. 10) • Liberté d'association • Application ni prévue par la loi ni nécessaire dans une société démocratique, aux ONG requérantes et à leurs dirigeants, de la loi sur les agents étrangers • Notions d'« activité politique » et de « financement étranger » étant insuffisamment prévisibles et dépourvues de garanties suffisantes contre les abus • Aucune raison pertinente et suffisante de créer un statut spécial pour les « agents étrangers » imposant des exigences ou des restrictions supplémentaires aux organisations enregistrées comme telles et réprimant les infractions de façon imprévisible et disproportionnée • Régime juridique ayant un effet dissuasif important sur le choix de solliciter ou d'accepter toute somme tirée d'un financement étranger, en particulier dans le cadre d'activités touchant des sujets sensibles ou impopulaires sur le plan national
Art. 34 • Entrave à l'exercice du droit de recours individuel • Exécution de décisions de dissolution contre des ONG constitutive d'un manquement à la mesure provisoire indiquée par la Cour
ARRÊT
STRASBOURG
14 juin 2022
FINAL
10/10/2022
Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Ecodéfense et autres c. Russie,
La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Georges Ravarani, président,
Georgios A. Serghides,
Darian Pavli,
Anja Seibert-Fohr,
Peeter Roosma,
Andreas Zünd,
Frédéric Krenc, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,
Vu les soixante et une requêtes introduites contre la Fédération de Russie devant la Cour, en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »), aux dates indiquées en annexe au présent arrêt, par soixante-treize organisations non gouvernementales russes et leurs dirigeants (« les requérants ») ;
Vu la décision de communiquer au gouvernement russe (« le Gouvernement ») les griefs tirés de restrictions des droits des requérants à la liberté d'expression et d'association et d'atteintes à la protection contre la discrimination, ainsi que de pressions injustifiées dont ils auraient fait l'objet, et de déclarer les requêtes irrecevables pour le surplus ;
Vu les observations produites par le gouvernement défendeur et les observations produites en réponse par les requérants ;
Vu les observations produites par le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe (« le Commissaire » ; article 36 § 3 de la Convention) ;
Vu les observations présentées par les tiers intervenants suivants, autorisés à intervenir par le président de la section (article 36 § 2 de la Convention) : Institute for Law and Public Policy (« ILPP ») ; la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l'homme (« la Rapporteuse spéciale ») ; International Service for Human Rights (ISHR) ; la Commission internationale de juristes (CIJ) ; Amnesty International; un groupe d'organisations non gouvernementales hongroises, dont le Comité Helsinki en Hongrie, Hungarian Civil Liberties Union, Transparency International en Hongrie, Atlatszo.hu et l'Institut politique Eötvös Károly (« les ONG hongroises ») ; la Fondation Helsinki pour les droits de l'homme (Pologne) ; et Media Legal Defence Initiative ;
Vu la décision par laquelle le président de la chambre a désigné le juge Serghides pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 29 § 2 b) du règlement de la Cour ; « le règlement »), M. Mikhaïl Lobov, juge élu au titre de la Russie, s'étant déporté dans l'affaire (article 28 § 3 du règlement) et aucune des trois personnes désignées par le Gouvernement comme aptes à exercer les fonctions de juge ad hoc n'étant à la disposition de la Cour (article 29 §§ 1 c) et 5 du règlement) ;
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 mai 2022,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. Les présentes affaires concernent des restrictions à la liberté d'expression et d'association d'organisations non gouvernementales (ONG) russes qui étaient qualifiées d'« agents étrangers » financés par des « sources étrangères » et se livrant à des « activités politiques ».
EN FAIT
2. Les requérants sont des ONG russes et, dans certains cas, leurs dirigeants. Les noms des requérants et de leurs représentants sont indiqués en annexe au présent arrêt.
3. Le Gouvernement a été représenté tout d'abord par M. A. Fedorov et M. M. Galperin, anciens représentants de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l'homme, puis par leur successeur à cette fonction, M. M. Vinogradov.
4. Les ONG requérantes opéraient depuis longtemps sous le même régime juridique que toutes les autres ONG russes. Elles conduisaient leurs activités dans des domaines touchant la société civile, les droits de l'homme, la protection de l'environnement et du patrimoine culturel, l'éducation, la sécurité sociale et les migrations.
5. En 2012, la nouvelle loi sur les agents étrangers fut promulguée (pour plus de détails, voir la partie suivante). Elle imposait aux ONG russes considérées comme se livrant à des « activités politiques » et comme ayant reçu un « financement étranger » de demander leur enregistrement en tant qu'« agents étrangers », sous peine de sanctions administratives et pénales. Ces ONG étaient également tenues d'inclure dans leurs publications des mentions indiquant que celles-ci provenaient d'organisations d'« agents étrangers », de mettre en ligne des renseignements sur leurs activités et de se soumettre à des exigences plus strictes en matière de comptabilité et de déclarations.
6. Depuis 2012, la loi sur les agents étrangers a été mise à jour à plusieurs reprises. En juin 2014, le ministère de la Justice se vit attribuer le pouvoir d'inscrire à sa seule discrétion des organisations au registre des agents étrangers. En 2016, la loi sur les agents étrangers fut mise à jour, avec une nouvelle définition de l'« activité politique ».
7. Une fois cette loi entrée en vigueur, les parquets et les institutions judiciaires locales imposèrent aux organisations requérantes et à leurs dirigeants de produire des documents aux fins d'une inspection. Ils examinèrent ces documents et conclurent que les organisations requérantes répondaient à la définition d'« agent étranger ». Le ministère de la Justice inscrivit la plupart des organisations requérantes au registre des agents étrangers. Les faits spécifiques à chaque cas d'espèce sont exposés en annexe au présent arrêt.
8. Les requérants contestèrent devant les tribunaux internes les décisions prononcées par les institutions judiciaires et les parquets, en vain.
9. L'application de la loi sur les agents étrangers entraîna pour les organisations requérantes l'imposition d'amendes administratives, le paiement de frais et des restrictions dans leurs activités, ainsi que l'ouverture de poursuites pénales contre le dirigeant de l'une d'elles. De nombreuses organisations requérantes furent liquidées pour manquement aux obligations applicables aux « agents étrangers » ou durent se liquider elles-mêmes parce qu'elles n'étaient pas en mesure de payer les amendes ou qu'elles voulaient éviter de nouvelles sanctions.
10. Les 28 et 29 décembre 2021, respectivement, la Cour suprême de la Fédération de Russie et la Cour de Moscou firent droit aux demandes du procureur tendant à la liquidation d'International Memorial et du Centre des droits de l'homme Memorial, deux organisations requérantes, ainsi que de leurs bureaux sur le terrain. Elles jugèrent établi que les organisations - que le ministère de la Justice avait inscrites au registre des « agents étrangers » - avaient commis des violations « flagrantes et répétitives » de la législation sur les « agents étrangers » en omettant de mentionner dans leurs publications en ligne, par exemple sur Facebook, Twitter, YouTube, et Instagram, qu'elles provenaient d'une organisation d'« agents étrangers ». Elles jugèrent qu'en « dissimulant [leur] qualité d'agent étranger », les organisations avaient manqué à assurer « la transparence de [leurs] activités », avaient empêché « un contrôle public adéquat de [leurs activités] » et enfreint « le droit des citoyens à recevoir des informations fiables sur [leurs] activités », au mépris manifeste du droit russe.
11. Le 29 décembre 2021, en vertu de l'article 39 de son règlement, la Cour européenne des droits de l'homme indiqua au Gouvernement que, dans l'intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure conduite devant elle, l'exécution des décisions portant dissolution des deux organisations requérantes devait être suspendue pendant la durée nécessaire à la Cour pour examiner la présente affaire.
12. Le 28 février et le 5 avril 2022, respectivement, la chambre d'appel de la Cour suprême et la première cour d'appel rejetèrent les recours que les deux organisations avaient formés contre les ordonnances de dissolution.
13. International Memorial demanda à la Cour suprême le sursis à l'exécution de la décision de dissolution, conformément à ce qu'avait indiqué la mesure provisoire. Le 22 mars 2022, la Cour suprême rejeta la demande au motif que l'exécution de la décision de dissolution n'avait pas « empêché l'organisation d'exercer ses droits en vertu de l'article 34 de la Convention », n'avait pas « créé de risque d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique d'autrui, ni causé de dommage irréparable à l'organisation ou à ses membres » et n'était pas « contraire au droit constitutionnel à la liberté d'association ».
14. Le 5 avril 2022, la décision de dissolution fut exécutée et International Memorial fut rayée du registre national des personnes morales.
LE cadre et LES éléments juridiques pertinents
I. LA LOI SUR LES AGENTS ÉTRANGERS
A. L'adoption de la loi sur les agents étrangers
1. Définitions
15. En 2012, les autorités russes apportèrent à la législation sur les ONG une série de modifications globalement connue sous le nom de loi sur les agents étrangers (loi no 121-FZ du 13 juillet 2012). La loi a introduit la notion d'« agent étranger » à l'article 2(6) de la loi no 7-FZ du 12 janvier 1996 sur les organisations à but non lucratif (« la loi sur les OBNL »), définissant ainsi l'agent étranger :
« (...) une organisation russe à but non lucratif recevant des fonds et d'autres biens d'États étrangers, de leurs organes gouvernementaux, d'organisations internationales et étrangères, de ressortissants étrangers, d'apatrides ou de personnes autorisées par [l'une quelconque des entités ci-dessus], ou de personnes morales de droit russe recevant des fonds et d'autres biens provenant des sources susmentionnées (...) (les « sources étrangères ») et se livrant à une activité politique, y compris lorsqu'elle est menée dans l'intérêt de bailleurs de fonds étrangers, sur le territoire de la Fédération de Russie. »
16. La notion d'« activité politique » était ainsi définie :
« Une organisation à but non lucratif, à l'exception des partis politiques, est réputée exercer une activité politique si, quels que soient les buts et objectifs énoncés dans son statut, elle participe (y compris financièrement) à l'organisation et à l'exécution d'actions politiques afin d'influencer le processus décisionnel des pouvoirs publics touchant la politique de l'État et l'opinion publique.
Sont exclues du champ de l'« activité politique» les activités exercées dans les domaines suivants : la science, la culture, les arts, la santé, la prévention des maladies et la protection de la santé, la sécurité sociale, la protection de la maternité et de l'enfance, le soutien social aux personnes handicapées, la promotion d'un mode de vie sain, du bien-être physique et du sport, la protection de la flore et de la faune, les activités caritatives et le soutien aux associations caritatives et associatives. »
2. Obligations supplémentaires applicables aux « agents étrangers »
a) Obligation d'enregistrement
17. Toutes les organisations considérées comme répondant à la définition d'« agent étranger » étaient tenues de déposer auprès du ministère de la Justice une demande tendant à ce qu'elles fussent inscrites au registre des agents étrangers (article 32(7) de la loi sur les OBNL et article 29 de la loi fédérale no 82-FZ du 19 mai 1995 sur les associations publiques).
b) Inspections inopinées
18. Les « agents étrangers » pouvaient faire l'objet d'inspections régulières, au moins une fois par an, et d'inspections inopinées conduites par le ministère de la Justice dans les conditions énoncées à l'article 32(4.2) de la loi sur les OBNL, en particulier s'il avait reçu d'une personne physique ou morale ou d'une autorité de l'État des renseignements indiquant que l'ONG en question était engagée dans une activité politique et était financée depuis l'étranger mais n'avait pas été enregistrée en tant qu'« agent étranger », et si une organisation « d'agent étranger » avait demandé à être rayée du registre des agents étrangers.
c) Mentions obligatoires
19. Les « agents étrangers » étaient tenus d'inclure dans toutes les publications qu'ils produisaient ou distribuaient une mention indiquant qu'elles provenaient d'une organisation qualifiée d'« agent étranger » (article 24 de la loi sur les OBNL).
d) Obligations en matière de tenue et de vérification des comptes
20. La loi sur les agents étrangers a posé aussi de nouvelles obligations en matière de tenue et de vérification des comptes. Les relevés financiers des organisations à but non lucratif exerçant des activités d'« agent étranger » étaient soumis à des audits obligatoires. Ces organisations étaient tenues de conserver un état distinct des recettes ou des dépenses tirées de sources étrangères (article 32(1) de la loi sur les OBNL) :
« 3. (...) les organisations à but non lucratif exerçant des activités d'agent étranger doivent présenter un état des comptes accompagné des justificatifs susmentionnés. En outre, les justificatifs soumis par les organisations à but non lucratif exerçant des activités d'agent étranger doivent donner des renseignements sur l'affectation des fonds et l'usage des autres biens de sources étrangères, ainsi que sur leurs dépenses et sur l'usage réel des biens (...)
Les organisations à but non lucratif exerçant des activités d'agent étranger doivent soumettre tous les six mois à un organe compétent [le ministère de la Justice] un compte rendu sur leurs activités et sur les membres de leurs organes de direction ; tous les trois mois, elles doivent produire des justificatifs donnant des renseignements sur l'affectation des fonds et l'usage d'autres biens, y compris les fonds et les biens venant de sources étrangères, et un état des comptes doit être soumis chaque année. »
e) Obligation de déclarations
21. Les « agents étrangers » étaient tenus de publier des comptes rendus semestriels et annuels :
« 3.2. (...) une fois par an, les organisations à but non lucratif exerçant des activités d'agent étranger doivent publier en ligne un compte rendu de leurs activités contenant les mêmes renseignements que ceux soumis à l'organisme compétent [le ministère de la Justice] ou à son service local ; et tous les six mois, elles doivent fournir ce même compte rendu aux fins d'une publication dans les médias. »
22. L'arrêté gouvernemental no 212 du 15 avril 2006 portant exécution de certaines dispositions des lois fédérales relatives aux organisations non gouvernementales imposait aux ONG russes de soumettre chaque année des comptes rendus sur leurs activités et sur la composition de leurs organes de direction, ainsi que des justificatifs concernant leurs dépenses et leurs biens (paragraphe 2 a)).
B. Responsabilité pénale et responsabilité administrative
23. La loi sur les agents étrangers a également créé une nouvelle infraction pénale : le manquement malveillant à l'obligation de présenter les justificatifs requis pour l'enregistrement d'une organisation en tant qu'« agent étranger », qui était passible d'une amende d'un montant maximal de 300 000 roubles russes (RUB) ou d'une privation de liberté d'une durée maximale de deux ans (article 330.1 du code pénal). Le 30 décembre 2020, la durée maximale d'emprisonnement prévue par cette disposition fut allongée à cinq ans (loi no 525-FZ).
24. Le 12 novembre 2012, les sanctions en cas de violation de la loi sur les agents étrangers furent insérées dans le code des infractions administratives (« ci-après le CIAD »). Le nouvel article 19.7.5-2 de ce code prévoyait une amende d'un montant allant de 100 000 à 300 000 RUB (soit 2 490 à 7 470 euros (EUR) au taux de change en vigueur à la date de promulgation) dont étaient passibles les organisations d'« agent étranger » ayant soumis aux pouvoirs publics des informations incomplètes, inexactes ou tardives. Le nouvel article 19.34 punissait ces organisations pour avoir organisé leurs activités sans être inscrites au registre des « agents étrangers » (paragraphe 1) ou pour avoir omis de mentionner dans leurs publications que celles-ci provenaient d'une organisation « d'agent étranger » (paragraphe 2). Le montant minimal de l'amende pour ces infractions fut fixé à 300 000 RUB et le montant maximal à 500 000 RUB (12 450 EUR).
25. Le 31 décembre 2014, le CIAD fut modifié à la suite d'une décision de la Cour constitutionnelle (paragraphe 40 ci-dessous). En particulier, conformément à son article 4.1, paragraphes 2.2 et 3.2 modifiés, à titre exceptionnel, lorsque la nature et les conséquences d'une infraction administrative, ou la personnalité ou la situation financière du contrevenant l'exigeaient, le montant de l'amende pouvait être fixé en deçà du montant minimal prévu par les dispositions pertinentes du CIAD, c'est-à-dire à au moins 10 000 RUB pour les particuliers, 50 000 RUB pour les fonctionnaires et 100 000 RUB pour les personnes morales. Le montant de l'amende ne pouvait être inférieur à la moitié du montant minimal de l'amende prévu par les dispositions pertinentes du CIAD. Le 3 novembre 2015, le délai de prescription en cas de non-respect de la législation sur les « agents étrangers » fut allongé de trois mois à un an (loi no 304-FZ).
C. Délégation au ministre de la Justice du pouvoir d'ajouter des organisations sur la liste
26. Le 4 juin 2014, la loi sur les OBNL fut modifiée de manière à donner au ministère de la Justice le pouvoir d'ajouter au registre des agents étrangers toute organisation à but non lucratif dont il estimait qu'elle répondait aux critères énoncés dans la loi (article 32(7)).
D. Procédure de radiation d'une organisation de la liste
27. Le 8 mars 2015, une procédure de radiation d'une organisation du registre des agents étrangers fut insérée dans la loi sur les OBNL (article 32(7.1)). La radiation pouvait être prononcée notamment si l'organisation en cause avait été liquidée ou restructurée, ou si une inspection extraordinaire avait établi qu'elle n'avait pas reçu de financement étranger ni exercé d'activité politique en Russie pendant une durée d'au moins un an avant le dépôt de la demande de radiation.
E. Définition mise à jour de l'« activité politique »
28. Le 2 juin 2016, la définition de l'activité politique fut mise à jour ainsi :
« Une organisation à but non lucratif, à l'exception d'un parti politique, est réputée exercer une activité politique sur le territoire russe si, quels que soient les buts et objectifs énoncés dans son statut, elle se livre à des activités touchant les domaines suivants : l'administration publique, la protection du système constitutionnel russe, le fédéralisme, la protection de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la Fédération de Russie, la prééminence du droit, la sûreté publique, la sécurité nationale et la défense, la politique extérieure, le développement social, économique et national de la Fédération de Russie, la réforme du système politique, la structure des autorités étatiques et locales, [ou] les droits de l'homme, dans le but d'avoir une influence sur la politique de l'État, la structure des autorités étatiques et locales, ou leurs décisions et actions.
Les activités susmentionnées peuvent être exercées selon les modalités suivantes :
– organisation et tenue d'événements publics tels que des réunions, des rassemblements, des manifestations, des marches ou des piquets de grève, ou toute combinaison de ceux-ci, et organisation et tenue de débats, discussions ou discours publics ;
– démarches tendant à obtenir des résultats précis lors d'élections ou de référendums, actions en tant qu'observateur d'élections ou de référendums, création de commissions électorales ou référendaires, engagement dans des activités de partis politiques ;
– présentation de pétitions publiques aux autorités et agents de l'État et locaux, et autres démarches visant [ces autorités et agents publics], y compris actions encourageant l'adoption, la modification ou l'abrogation de lois ou d'autres textes ;
– diffusion, notamment via les réseaux d'information, d'opinions sur les décisions et la politique des pouvoirs publics ;
– influence de l'opinion sur des questions sociales et politiques, notamment en organisant des sondages d'opinion et en en publiant les résultats, ou en menant des recherches sociologiques ;
– association de citoyens, y compris de mineurs, aux activités ci-dessus ;
Sont exclues du champ d'application de « l'activité politique » les activités conduites dans les domaines suivants : la science, la culture, les arts, les soins médicaux, la prévention des maladies et la protection de la santé, la sécurité sociale, la protection de la maternité et de l'enfance, l'aide sociale aux personnes handicapées, la promotion d'un mode de vie sain, du bien-être physique et du sport, la protection de la flore et de la faune, les œuvres caritatives. »
F. Restrictions applicables aux organisations d'« agent étranger »
29. Le 4 novembre 2014, la loi no 344-FZ a instauré une forme simplifiée de comptabilité à l'usage de toutes les organisations à but non lucratif, à l'exception des organisations « d'agent étranger » (articles 6(4)(2) et 6(5)(12) de la loi no 402-FZ du 6 décembre 2011 sur la comptabilité).
30. Le 24 novembre 2014, la loi no 355-FZ a modifié la loi sur les partis politiques (loi no 95-FZ du 11 juillet 2001) de manière à leur interdire de recevoir des dons ou de conclure des transactions avec des organisations russes « d'agent étranger » (articles 30(3) et 31(4.1)).
31. Elle a également modifié la loi no 67-FZ du 12 juin 2002 sur les élections et les référendums de manière à préciser que les ONG russes qualifiées d'« agents étrangers » ne pouvaient pas prendre part à des campagnes électorales ou à des référendums sous quelque forme que ce soit, de même que les personnes physiques ou morales étrangères. Elle a expressément interdit à ces organisations de promouvoir ou de contester des candidats ou des listes de candidats à une élection, d'initier un référendum ou de faire campagne pour un référendum, d'œuvrer en faveur de tel ou tel résultat lors d'une élection ou de participer à l'observation d'une élection ou d'un référendum, sauf en qualité d'« observateur étranger (international) » (article 3.6). Il était également interdit aux organisations russes « d'agent étranger », de même qu'aux personnes physiques ou morales étrangères, de contribuer au fonds électoral d'un candidat à une élection ou au financement d'un référendum.
32. La loi no 20-FZ du 22 février 2014 sur l'élection de la Douma d'État et la loi no 19-FZ du 10 janvier 2003 sur l'élection présidentielle ont été alignées sur la loi sur les élections et les référendums de manière à interdire aux organisations russes d'« agent étranger » de participer de quelque manière que ce soit à la préparation d'une élection, à la campagne électorale ou au financement d'une élection.
33. Le 3 juillet 2016, la loi no 287-FZ a créé une nouvelle catégorie d'organisations à but non lucratif : les « prestataires de services utiles pour la société ». Ces organisations à but non lucratif peuvent bénéficier d'un financement prioritaire aux niveaux fédéral et régional (article 31.1 de la loi sur les OBNL). L'article 2(2.2) de la loi sur les OBNL dispose expressément que les organisations « d'agent étranger » ne peuvent pas être reconnues comme des « prestataires de services utiles pour la société ».
34. La loi no 203-FZ du 19 juillet 2018 a modifié l'article 10(3) de la loi no 76-FZ du 10 juin 2008 sur les commissions publiques de surveillance (établissements pénitentiaires) de manière à interdire aux organisations d'« agents étrangers » de nommer des candidats au sein de ces commissions.
35. La loi no 362-FZ du 11 octobre 2018 a ajouté l'article 5(1.1) à la loi no 172-FZ du 17 juillet 2009 sur l'évaluation de la lutte contre la corruption de manière à exclure les organisations russes ayant le statut d'« agent étranger » de la liste des institutions de la société civile habilitées à conduire une évaluation indépendante des projets de loi anticorruption.
II. la Cour Constitutionnelle
36. Le 8 avril 2014 (arrêt no 10-P), la Cour constitutionnelle jugea constitutionnelles les dispositions de la loi sur les agents étrangers et livra son interprétation de la notion d'« agent étranger ».
37. Premièrement, elle précisa quelles circonstances devaient être prises en compte pour déterminer si une organisation était financée depuis l'étranger :
« (...) Il n'y a aucun risque d'interprétation et d'application arbitraires des dispositions relatives au financement étranger car la durée, le montant et la forme de ce financement ne font aucune différence. Toutefois, il est important de garder à l'esprit que les fonds et autres biens concernés doivent non seulement être transférés (remis) à l'organisation à but non lucratif, mais également reçus par elle ; si elle refuse de les recevoir et les restitue à la source étrangère, notamment avant d'entamer une activité politique, l'organisation n'est pas tenue de déposer une demande d'enregistrement en tant qu'agent étranger (...) »
38. Elle précisa en outre quelles actions devaient selon elle être considérées comme constitutives d'une activité politique :
« Les formes de l'activité politique peuvent être diverses. Outre les réunions, les rassemblements, les manifestations, les marches et les piquets de grève, les actions politiques peuvent englober : les campagnes électorales et référendaires ; les appels publics aux organes de l'État ; la diffusion, y compris via les réseaux d'information, d'opinions sur les décisions prises et la politique menée par les organes de l'État ; et d'autres activités qui ne peuvent être énumérées limitativement. Lorsqu'on qualifie d'actions politiques certaines activités organisées et exécutées avec le concours d'organisations à but non lucratif (...), il est important de déterminer de quelle manière elles sont susceptibles d'affecter (que ce soit directement ou en influençant l'opinion publique) le processus décisionnel des pouvoirs publics et la politique de l'État, mais aussi de déclencher une réaction du public et d'attirer l'attention des pouvoirs publics ou de la société civile.
Les activités d'une organisation à but non lucratif dans des domaines tels que la science, la culture, les arts, la santé publique, les soins préventifs et les soins médicaux, l'aide et la protection sociales, la protection de la maternité et de l'enfance, l'accompagnement social des personnes handicapées, la promotion d'un mode de vie sain, l'exercice physique et le sport, la protection de la flore et de la faune, les activités caritatives et l'aide aux œuvres caritatives et aux organisations bénévoles ne sont pas considérées comme des activités politiques (...) quand bien même leur but serait d'influencer le processus décisionnel des pouvoirs publics et la politique de l'État, pour autant que ce but reste dans les limites du domaine concerné (...) »
39. Pour déterminer si une organisation entend mener des activités politiques, il faut prendre en compte les éléments suivants :
« [S]i [les membres d'une organisation à but non lucratif] participent à une activité politique pour leur propre compte et de leur propre initiative, notamment en violation des instructions données par cette organisation (ses organes de direction ou ses responsables), [les dispositions] de la loi sur les agents étrangers ne s'appliquent pas (...)
L'intention de participer à une activité politique sur le territoire de la Fédération de Russie peut être confirmée par : les statuts, la déclaration de mission ou d'autres documents officiels de l'organisation à but non lucratif en question ; les déclarations publiques de ses dirigeants portant appel à l'adoption, la modification ou l'annulation de certaines décisions des pouvoirs publics ; les convocations à des rassemblements, des réunions, des manifestations, des marches ou des piquets de grève adressées par un organisme à but non lucratif à un organe exécutif régional ou municipal ; la préparation et la présentation d'initiatives législatives ; et d'autres activités publiques montrant objectivement que l'organisation à but non lucratif a l'intention d'organiser et de tenir des événements politiques afin d'influencer le processus décisionnel des pouvoirs publics et la politique de l'État. »
40. La Cour constitutionnelle a jugé les sanctions imposées par le CIAD conformes à la Constitution, à l'exception de la disposition fixant les montants minimaux des amendes à l'article 19.34 du même code, dans la mesure où elle empêchait les tribunaux de prendre dûment en considération la nature de l'infraction, le degré de responsabilité du contrevenant dans la perpétration de celle-ci, la situation patrimoniale et financière du contrevenant, ainsi que d'autres éléments utiles à l'imposition d'une sanction personnalisée :
« 4.2. (...) Il devient extrêmement difficile, voire parfois impossible, de personnaliser, comme l'exige la Constitution, l'imposition d'une amende administrative dont le montant minimum est de 100 000 roubles pour les dirigeants et de 300 000 roubles pour les personnes morales, notamment parce qu'aucune alternative n'est prévue.
(...) Dès lors, la disposition (...) qui fixe le montant minimal de l'amende administrative (...) n'est pas conforme à la Constitution de la Fédération de Russie (...)
5. [En attendant les modifications qui s'imposent (...), le tribunal peut réduire le montant de l'amende en dessous du montant minimal (...) si le montant de l'amende prévu par [le CIAD] n'est pas conforme à l'objectif visé par la sanction administrative et aboutit manifestement à une atteinte excessive au droit de propriété du contrevenant.
6. Les décisions de justice dans les affaires concernant le [Centre de soutien aux initiatives publiques] et M. Zamaryanov (...) seront réexaminées si (...) elles sont fondées sur l'article 19.34 § 1 du CIAD (...) »
III. LES textes invoqués par les PARTIES
41. Dans cette partie sont exposés des extraits de textes auxquels les parties font référence dans leurs observations.
A. Principes fondamentaux sur le statut des organisations non gouvernementales en Europe (« les Principes fondamentaux ») et mémoire explicatif, Strasbourg, 13 novembre 2002, et Recommandation CM/Rec(2007)14 du Comité des Ministres aux États membres sur le statut juridique des organisations non gouvernementales en Europe (« la recommandation du Comité des Ministres »)
42. Les ONG peuvent solliciter et recevoir des contributions - dons en espèces ou en nature - d'un autre pays, d'organismes multilatéraux ou d'un donateur institutionnel ou individuel, sous réserve de la législation généralement applicable en matière de changes et de douanes (point 50 des Principes fondamentaux et point 50 de la recommandation du Comité des Ministres). La possibilité pour les ONG de solliciter des dons en espèces ou en nature est un principe fondamental, une conséquence naturelle de leur caractère non lucratif. Ces contributions, ainsi que les recettes tirées de toute activité économique, constituent un moyen essentiel pour une ONG de financer la poursuite de ses objectifs. Toutefois, cette possibilité pour les ONG de collecter des fonds n'est pas absolue et peut faire l'objet d'une réglementation, dans un souci de protection du public ciblé (point 56 du rapport explicatif).
43. Dans un souci de transparence et de responsabilité, les ONG devraient soumettre un rapport annuel à leurs membres et directeurs. De tels rapports peuvent également être obligatoirement soumis à un organisme de contrôle désigné, dès lors que des privilèges fiscaux ou toute autre aide publique ont été accordés aux ONG concernées. En particulier, les livres comptables, registres et activités pertinents des ONG peuvent, lorsque la loi ou un contrat le stipule, être soumis à l'inspection d'un organisme de contrôle. Les ONG devraient généralement faire vérifier leurs comptes par une institution ou une personne indépendante de leurs organes directeurs (points 60 à 65 des Principes fondamentaux et points 62 à 66 de la Recommandation du Comité des Ministres).
B. La loi des États-Unis d'Amérique sur l'enregistrement des agents étrangers
44. Le Foreign Agents Registration Act (« le FARA ») de 1938 (52 Stat. 631-33), une loi américaine modifiée en 1942 et 1966 (22 U.S.C. §§ 611-621), avait été adopté à l'origine pour exiger des agents représentant les intérêts des puissances étrangères « à titre politique ou quasi politique » qu'ils divulguent leurs relations avec le gouvernement étranger, de manière à permettre au « gouvernement et au peuple américain » d'apprécier « les déclarations et les activités de ces personnes ». En 1966, la loi fut modifiée de façon à cibler les agents œuvrant de facto avec des puissances étrangères en vue d'obtenir un avantage économique ou politique en influençant la prise de décision des pouvoirs publics. Par ces modifications, l'objet de la loi, auparavant axé sur la propagande, fut réorienté vers le lobbying politique et l'expression « agent étranger » fut entendue dans un sens plus strict. Le texte actuel prévoit :
« § 611. Définitions
Tel qu'employé dans et aux fins du présent paragraphe :
(...)
b) L'expression « mandant étranger » s'entend notamment par :
1) le gouvernement d'un pays étranger ou un parti politique étranger ;
2) une personne en dehors des États-Unis (...) ; et
3) une société de personnes, une association, une société, une personne morale ou tout autre regroupement de personnes organisées en vertu des lois d'un pays étranger ou ayant son principal lieu d'activité dans un pays étranger.
c) Sauf dans les cas prévus au paragraphe d) du présent paragraphe, l'expression « agent d'un mandant étranger » signifie :
1) toute personne agissant en qualité d'agent, de représentant, d'employé ou de préposé, ou toute personne agissant à tout autre titre sur ordre, demande, ou sous la direction ou le contrôle, d'un mandant étranger ou d'une personne dont les activités sont directement ou indirectement supervisées, dirigées, contrôlées, financées ou subventionnées en totalité ou en majeure partie par un mandant étranger, et qui, directement ou par l'intermédiaire de toute autre personne :
i. se livre aux États-Unis à des activités politiques pour ou dans les intérêts de ce mandant étranger ;
ii. exerce aux États-Unis la fonction de conseiller en relations publiques, d'agent de publicité, d'employé des services d'information ou de consultant politique pour ou dans les intérêts de ce mandant étranger ;
iii. sollicite, collecte, débourse ou distribue aux États-Unis des contributions, des prêts, de l'argent ou d'autres biens de valeur pour ou dans l'intérêt de ce mandant étranger ; ou
iv. aux États-Unis, représente les intérêts de ce mandant étranger devant tout service ou agent du gouvernement des États-Unis ; et
2) toute personne qui, que ce soit ou non en vertu d'une relation contractuelle, accepte de, consent à, suppose ou prétend faire fonction, ou qui est ou se présente comme faisant fonction d'agent d'un mandant étranger tel que défini à l'alinéa 1) du présent paragraphe.
(...)
o) L'expression « activités politiques » désigne toute activité qui, selon la personne qui l'exerce, influence ou vise à influencer de quelque manière que ce soit, un service ou un agent du gouvernement des États-Unis ou une partie du public au sein du pays en vue de définir, adopter ou modifier la politique intérieure ou étrangère des États-Unis ou de défendre les intérêts, politiques ou relations politiques ou publics du gouvernement d'un pays étranger ou d'un parti politique étranger (...) »
C. La loi hongroise sur la transparence
45. La loi hongroise no LXXVI de 2017 sur la transparence des organisations financées depuis l'étranger (« la loi sur la transparence ») imposait aux associations et fondations (à l'exception des associations à caractère sportif ou religieux), aux partis politiques et aux associations de minorités ethniques de demander leur inscription sur un registre spécial si la part de financement étrangère de leur budget dépassait 7 200 000 forints hongrois ((HUF) - soit environ 22 100 EUR) par an, sous peine d'amendes ou de dissolution. Les organisations financées depuis l'étranger étaient soumises à des obligations additionnelles en matière de mentions et de déclarations.
46. La loi fut abrogée en avril 2021 à la suite d'un constat de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) selon lequel elle était contraire au droit de l'Union (arrêt du 18 juin 2020 (Grande Chambre), Commission c. Hongrie (transparence associative), C‑78/18, UE:C:2020:476). La CJUE avait notamment jugé que l'objectif d'accroissement de la transparence du financement associatif, pour légitime qu'il fût, ne pouvait justifier une législation d'un État membre qui se fonde sur une présomption de principe et indifférenciée selon laquelle toute aide financière versée par une personne physique ou morale établie dans un autre État membre ou dans un pays tiers et toute organisation de la société civile recevant une telle aide financière étaient, en elles-mêmes, susceptibles de mettre en péril les intérêts politiques et économiques du premier de ces États membres ainsi que le fonctionnement sans ingérence de ses institutions (ibidem, § 86). Sur les motifs d'ordre public ou de sécurité publique, elle a relevé que les seuils financiers déclenchant l'application des obligations mises en place par la loi sur la transparence avaient été fixés à des montants qui n'apparaissaient manifestement pas correspondre à l'hypothèse d'une menace suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société, que ces obligations étaient censées prévenir (ibidem, § 94).
47. La CJUE a ajouté que les obligations mises en place par la loi sur la transparence constituaient des limitations au droit à la liberté d'association, notamment en ce qu'elles rendaient significativement plus difficiles l'action et le fonctionnement des associations ciblées en raison de l'effet dissuasif de telles obligations et des sanctions attachées à leur non-respect (ibidem, §§ 115-116). Elle a jugé par ailleurs que les obligations systématiques imposées aux associations et fondations de s'enregistrer et de se présenter sous l'appellation « organisation recevant de l'aide de l'étranger » étaient susceptibles aussi d'avoir un effet dissuasif sur la participation de donateurs non nationaux au financement de la société civile et, de cette manière, d'entraver les activités de ces organisations ainsi que la réalisation des objectifs qu'elles poursuivent. Elle a estimé que ces obligations étaient de nature à créer, en Hongrie, un climat de défiance généralisée envers les associations et les fondations en cause ainsi qu'à les stigmatiser (ibidem, §§ 118-119). Elle a rappelé sa conclusion ci-dessus selon laquelle rien ne justifiait l'introduction de ces obligations additionnelles (ibidem, § 140).
D. La loi israélienne sur la divulgation
48. La loi israélienne sur les obligations de divulgation pour les bénéficiaires du soutien d'une entité étatique étrangère (Livre des lois 5771-2011, 2 mars 2011) dispose qu'une organisation ayant reçu plus de 50 % de son financement d'un État étranger ou d'une organisation interétatique doit soumettre au ministère de la Justice un formulaire en ligne précisant l'identité du donateur, le montant de la somme reçue et l'affectation de celle-ci, ainsi que les conditions dans lesquelles cette somme a été accordée, y compris les engagements pris envers l'entité étatique étrangère par le bénéficiaire de la somme. De plus, toute ONG ayant reçu un don d'une entité étrangère dans le but de financer une campagne publicitaire spéciale doit rendre public, dans le cadre de sa campagne, le fait qu'elle a reçu le don.
IV. ÉLÉMENTS DE DROIT PERTINENTS
49. Dans cette partie sont exposées des analyses juridiques de la loi sur les agents étrangers et de ses conséquences sur les ONG russes.
A. Organisations intergouvernementales et organes consultatifs
1. La Commission de Venise
50. Le 27 juin 2014, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (la « Commission de Venise ») est parvenue aux conclusions suivantes concernant la loi sur les agents étrangers (avis sur la loi fédérale no 121-FZ sur les organisations à but non lucratif (« la loi sur les agents étrangers »), sur les lois fédérales no 18-FZ et no 147-FZ et sur la loi fédérale no 190-FZ portant modification du code pénal (la « loi sur la trahison ») de la Fédération de Russie, CDL-AD(2014)025). [Traduction du greffe]
« 132. (...) L'emploi de l'expression « agent étranger » est particulièrement controversé. Reprenant la terminologie utilisée pendant la période communiste, cette expression stigmatise les ONG auxquelles elle s'applique, ternissant leur réputation et entravant sérieusement leurs activités. La Commission de Venise recommande donc d'abandonner cette expression.
133. La Commission de Venise considère en outre que l'objectif légitime d'assurer la transparence des OBNL recevant des financements de l'étranger ne peut justifier des mesures qui entravent les activités des OBNL opérant dans le domaine des droits de l'homme, de la démocratie et de la prééminence du droit. Elle recommande donc de revenir sur la création d'un régime spécial prévoyant un enregistrement autonome, un registre spécial et une pléthore d'obligations juridiques supplémentaires.
134. Si ce régime juridique spécifique devait être maintenu, le pouvoir permettant aux autorités de procéder à l'enregistrement d'une OBNL en tant qu'« agent étranger » (ou toute autre expression) sans le consentement de celle-ci devrait être supprimé (...)
135. Selon la loi examinée, le statut juridique d'agent étranger présuppose non seulement qu'une OBNL reçoive des financements étrangers mais également qu'elle participe à des « activités politiques ». Or cette expression est assez large et vague et la pratique des pouvoirs publics dans son interprétation a été jusqu'à présent assez cacophonique, en sus des incertitudes quant au sens de l'expression. La Commission de Venise appelle donc les autorités russes à œuvrer vers une clarification de la définition de la notion d'« activité politique » (...)
136. Outre son texte, la mise en œuvre en pratique de la loi sur les organisations à but non lucratif suscite également des inquiétudes. Selon certains rapports, les OBNL ont été soumises à de nombreuses inspections extraordinaires, dont le fondement juridique restait flou et qui variaient considérablement quant à l'étendue des justificatifs requis lors de leur conduite. »
2. Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe
51. Le 15 juillet 2013, le Commissaire a publié un avis sur la législation de la Fédération de Russie relative aux organisations à but non lucratif à la lumière des normes du Conseil de l'Europe (CommDH(2013)15). Il a dit que l'expression « agent étranger » était synonyme d'ostracisme ou de stigmatisation, que la définition de la notion d'« activité politique » était large et vague et que la législation régissant les activités des ONG en Russie devait être révisée, en vue d'établir un régime clair, logique et cohérent, conforme aux normes internationales applicables. Il a ajouté que les obligations en matière de déclarations et de comptabilité devaient être les mêmes pour toutes les ONG, quelle que soit la source de leurs revenus, et qu'elles devaient être transparentes et cohérentes et ne pas nuire aux travaux en cours des ONG. Il a précisé qu'il ne devait y avoir qu'un seul organe gouvernemental chargé de questions telles que l'enregistrement, les déclarations, la réglementation et le contrôle des travaux des ONG. Les autres services ne devraient selon lui exercer leurs pouvoirs de contrôle que dans les cas où il existe des motifs raisonnables et objectifs de croire que l'organisation en question a manqué à ses obligations légales.
52. Le 9 juillet 2015, une mise à jour a été publiée, intitulée « La législation et la pratique en Fédération de Russie concernant les organisations à but non lucratif à la lumière des normes du Conseil de l'Europe : une mise à jour » (CommDH(2015)17). Le Commissaire a analysé la jurisprudence nationale et a constaté que les juridictions nationales en première instance et en appel avaient été saisies d'au moins 189 affaires relatives à l'application de la législation sur les « agents étrangers ». Il a dit que, dans au moins 28 de ces cas, des décisions de justice avaient été rendues en faveur des ONG concernées, tandis qu'au moins 121 décisions de justice avaient conclu que la loi avait été correctement appliquée contre les ONG. Il a relevé que, dans au moins 55 cas, les décisions de justice étaient déjà devenues exécutoires et que, à la suite de l'application de la législation sur les « agents étrangers », au moins 20 ONG avaient cessé leur activité soit en totalité (par exemple, en mettant fin volontairement à leurs activités ou en suspendant celles-ci), soit en partie (par exemple, en mettant fin à certains projets). Il a également constaté que les recommandations de l'avis précédent n'avaient pas été mises en œuvre et il a émis les recommandations suivantes [Traduction du greffe] :
« Le Commissaire invite les autorités russes à revoir la législation sur les organisations à but non lucratif de manière à établir un régime clair, cohérent et conforme aux normes européennes et internationales applicables (...) En particulier, la révision législative devrait :
• recourir à des définitions claires dans la législation de manière à pouvoir anticiper les conséquences juridiques de sa mise en œuvre ;
• éviter d'employer un langage stigmatisant tel que l'expression « agent étranger » à l'égard des OBNL ;
• user de dispositions juridiques non discriminatoires, notamment dans le domaine des déclarations et des sanctions contre les OBNL, quelles que soient les sources de leur financement ;
• retenir le critère du « besoin social impérieux » à toute ingérence de l'État dans les libertés d'association et d'expression, y compris l'imposition de sanctions ;
• limiter l'ingérence de l'État dans les activités des OBNL à la fixation de règles claires et impartiales en matière de transparence et de déclarations ;
• appliquer des sanctions uniquement en tant que mesure de dernier recours, dans le respect intégral du principe de proportionnalité ;
• abroger les dispositions prévoyant des poursuites pénales contre le personnel des OBNL dans les affaires qui relèvent en principe des procédures administratives. »
3. Nations unies
a) Le droit d'accès à un financement
53. La Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l'homme (résolution 53/144 de l'Assemblée générale du 8 mars 1999) dispose que « [c]hacun a le droit, individuellement ou en association avec d'autres, de solliciter, recevoir et utiliser des ressources dans le but exprès de promouvoir et protéger les droits de l'homme et les libertés fondamentales par des moyens pacifiques, conformément à l'article 3 de la présente Déclaration » (article 13). Le droit d'accès au financement doit s'exercer dans le cadre juridique de la législation nationale - à condition que celle-ci soit conforme aux instruments internationaux fondamentaux relatifs aux droits de l'homme.
54. La Déclaration des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction (résolution 36/55 de l'Assemblée générale du 25 novembre 1981) dit que le droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction implique, en particulier, la liberté « de solliciter et de recevoir des contributions volontaires, financières et autres, de particuliers et d'institutions ; » (article 6 f)).
55. La résolution 22/6 du Conseil des droits de l'homme sur la protection des défenseurs des droits de l'homme (21 mars 2013) enjoint aux États « de reconnaître publiquement la contribution importante et légitime apportée par les défenseurs des droits de l'homme (...) en respectant l'indépendance de leurs organisations et en évitant toute stigmatisation de leurs activités » et de faire en sorte « qu'aucune disposition législative ne criminalise ou discrédite les activités de défense des droits de l'homme au motif de l'origine de leur source de financement » (A/HRC/RES/22/6, §§ 5 et 9).
b) Analyse de la compatibilité de la loi sur les agents étrangers avec les obligations de la Russie découlant des traités de l'ONU
56. Dans ses observations finales concernant le septième rapport périodique de la Fédération de Russie sur le respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, datées du 31 mars 2015, le Comité des droits de l'homme a dit que la Fédération de Russie devait, « à tout le moins », supprimer de la loi les termes « agent étranger », préciser la définition très large qui y est donnée des « activités politiques », faire en sorte que la loi ne permette plus l'enregistrement d'organisations à but non lucratif sans leur consentement, et revoir les conditions procédurales et les sanctions applicables prévues par la loi de sorte à assurer qu'elles soient nécessaires et proportionnelles (CCPR/C/RUS/7/CO). Des préoccupations similaires ont été exprimées par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, à la suite de l'examen du sixième rapport périodique de la Fédération de Russie. Le Comité a appelé le gouvernement russe, entre autres, à abroger les dispositions législatives introduites par la loi sur les agents étrangers et à créer un cadre sûr et favorable aux ONG et aux défenseurs des droits de l'homme dans leur action (E/C.12/RUS/CO/ 6, §§ 7-8, 16 octobre 2017).
57. Dans ses observations finales concernant le sixième rapport périodique de la Fédération de Russie, datées du 28 août 2018, le Comité contre la torture a constaté que la législation sur les « agents étrangers » était souvent utilisée à des fins de harcèlement administratif pour contraindre les organisations de défense des droits de l'homme à réduire leurs activités et, à terme, à y renoncer (CAT/C/RUS/CO/6, paragraphe 28). Il s'est également dit préoccupé par la révision des règles de composition des commissions de surveillance des prisons, qui avait abouti à l'exclusion des observateurs indépendants (paragraphe 22).
B. Organisations non gouvernementales
1. Amnesty International
58. Un rapport publié par Amnesty International en novembre 2016, intitulé « Agents du peuple : quatre ans de loi sur les « agents étrangers » en Russie », a mis en lumière les conséquences négatives de la loi sur les agents étrangers pour les ONG russes indépendantes.
59. Amnesty International a noté que les autorités russes avaient mis en œuvre la loi sur les agents étrangers de telle manière que presque toutes les ONG qui recevaient des fonds étrangers étaient susceptibles d'être enregistrées en tant qu'« agents étrangers », quelles que soient leurs activités. Elle a estimé que cette loi servait à compromettre et discréditer des ONG authentiques et actives et qu'elle contribuait à créer un climat de suspicion et d'intolérance. Selon elle, de nombreuses organisations qui avaient apporté une contribution significative à la promotion des droits de l'homme, de la société civile et du bien-être ont été contraintes de mettre la clé sous la porte.
60. Selon le rapport, les ONG étaient confrontées à un choix difficile : accepter des fonds de l'étranger et être cataloguées comme des « agents étrangers », ou refuser les financements étrangers et s'appuyer exclusivement sur des sources russes, notamment les subventions de la présidence ou des autorités locales, au risque toutefois de devenir ainsi moins indépendantes et de s'autocensurer davantage.
61. Amnesty International a recommandé de suspendre puis d'abroger la loi sur les agents étrangers, de reconnaître publiquement l'importance des ONG dans la société civile, et de protéger les ONG et les défenseurs des droits de l'homme contre le harcèlement et les attaques.
2. Centre de ressources pour les droits de l'homme
62. Dans son rapport de recherche intitulé "Foreign Agents" : Mythical Enemies and Russian Society's Real Losses, publié en mars 2015, le Centre de ressources pour les droits de l'homme, une organisation d'information et de services juridiques pour les ONG russes de Saint-Pétersbourg, a examiné des cas dans lesquels des organisations avaient été inscrites contre leur gré au registre des agents étrangers. Elle a conclu que la législation sur les « agents étrangers » avait aggravé la situation des ONG. Les tribunaux nationaux auraient retenu une interprétation très large de la loi sur les agents étrangers en étendant l'expression « activité politique » aux activités utiles à la société, à la diffusion des informations et à la protection des droits de l'homme. Il en aurait résulté une attitude préjudiciable à l'égard des ONG occupant une place active dans la société et mettant en œuvre des projets contribuant à résoudre les problèmes sociaux, ainsi que des pressions exercées sur les responsables publics, entravant leurs activités et le travail quotidien des ONG.
63. Les chercheurs de cette ONG ont cerné soixante-dix motifs sur la base desquels des activités avaient été qualifiées de « politiques », en y incluant celles qui avaient été menées antérieurement à l'adoption de la loi sur les agents étrangers : organisation de campagnes éducatives, d'événements, de conférences et de séminaires ; publication en ligne d'informations sur un discours prononcé par le directeur d'une organisation d'« agent étranger » ; recueil de signatures ; signature de pétitions en soutien à un militant écologiste ; expression de l'intention de participer à des événements publics ; participation de membres d'une organisation « d'agent étranger » à des événements à l'étranger ; participation à titre personnel de dirigeants d'organisations d'« agents étrangers » aux travaux d'organismes publics de veille ; publication d'informations et préparation de rapports sur les droits de l'homme ; soutien à des ONG ; production d'un avis d'expert à la Cour constitutionnelle ; expertise de lois ; publication d'un rapport d'activités sur le site Internet d'une organisation « d'agent étranger » ; financement d'une ONG ; don de livres à une bibliothèque ; sortie de films ; distribution de prospectus ; mise en ligne d'informations sur des événements organisés par des ONG ; tenue d'événements par une ONG dans les bureaux d'une organisation « d'agent étranger » ; recommandations à des pouvoirs publics; participation à des activités d'ONG ; organisation d'une vidéoconférence entre Moscou et Tbilissi ; publication en ligne d'une analyse du droit russe et de critiques du droit et des autorités russes ; organisation de réunions avec des politiciens ; autorisation de tiers à prendre la parole lors d'un événement organisé par une organisation « d'agent étranger » ; partage d'informations à partir d'un compte personnel sur les réseaux sociaux ; fourniture d'une assistance juridique à des militants ; remise de prix ; travaux de recherche scientifique ; et publication sur le site Internet d'un tiers d'informations relatives à une organisation « d'agent étranger ». Les chercheurs ont conclu que, dans la plupart des cas, les activités n'avaient aucun rapport avec des questions politiques et que n'importe quelle activité d'ONG pouvait être qualifiée de politique. D'après eux, la réserve émise dans la loi sur les agents étrangers selon laquelle les activités des ONG dans les domaines de la science, de la protection de la flore et de la faune et dans d'autres domaines ne pouvaient pas être qualifiées d'activités politiques n'y changeait rien.
3. Centre for Economic and Political Reform
64. En décembre 2015, le Centre for Economic and Political Reform, une plateforme en ligne d'experts indépendants, a publié les résultats d'une recherche sur l'attribution des subventions présidentielles aux ONG. Il a constaté que le soutien financier aux ONG alignées sur l'État avait considérablement augmenté après la promulgation de la loi sur les agents étrangers. Entre 2013 et 2015, les plus grands bénéficiaires des subventions présidentielles auraient été l'Église orthodoxe russe et ses organisations affiliées ; les partisans de « l'eurasisme » - une idéologie de « troisième voie » développée au niveau national avec de fortes connotations anti‑occidentales ; des organisations de jeunesse alignées sur le Kremlin, telles que l'Union de la jeunesse russe (RSM) ; diverses ONG actives dans la région annexée de Crimée ; et les « projets favoris » des dirigeants de l'État, par exemple l'Association des avocats de Russie du Premier ministre, M. Medvedev, la Ligue de hockey nocturne du président, M. Poutine, ainsi qu'un club de motards que celui-ci parrainait. Le rapport concluait que le système de soutien financier servait les intérêts de l'État plutôt que ceux de la société civile. Il ajoutait que les organisations en question n'étant astreintes à aucune obligation de déclaration, la plupart des projets, notamment ceux en ligne, n'avaient jamais été mis en œuvre.
EN DROIT
I. questions de PROCéDURE
A. Sur la jonction des requêtes
65. Eu égard à la similarité de l'objet des requêtes, la Cour juge approprié de les examiner conjointement dans un seul arrêt.
B. Sur la succession dans la procédure des organisations requérantes qui ont cessé d'exister
66. Afin d'examiner la question de la succession pour ce qui est des organisations requérantes ayant cessé d'exister, la Cour a demandé aux requérants de préciser si leur intention de poursuivre la procédure avait été exprimée par l'intermédiaire de personnes physiques ou morales. Les requérants ont fourni des informations sur les fondateurs, les anciens directeurs, les membres et les participants des organisations requérantes dissoutes ou liquidées qui avaient exprimé le souhait de poursuivre la procédure à la place de ces dernières. Ces renseignements ont été communiqués au Gouvernement pour observation et inclus dans les parties pertinentes de l'annexe ci-jointe.
67. Le Gouvernement soutient que le fait que certaines organisations requérantes se soient volontairement dissoutes en raison de leurs « réticences à s'adapter aux réalités juridiques existantes » de la législation sur les agents étrangers ne peut s'analyser en un motif valable pour reconnaître une violation de leurs droits ou pour poursuivre la procédure devant la Cour postérieurement à leur dissolution. Il dit que d'autres organisations requérantes ont été liquidées pour non-respect de la législation sur les organisations à but non lucratif, notamment pour manquement aux exigences en matière de déclarations et de comptabilité et que leur liquidation n'a été le fruit d'aucune pression de la part des pouvoirs publics.
68. Lorsqu'elle examine la question de la succession procédurale, la Cour n'est pas appelée à statuer sur l'existence d'une ingérence dans les droits des requérants garantis par la Convention qui serait imputable à l'État ni sur la justification d'une telle ingérence. Cette question est limitée en ce que la Cour se borne à rechercher si les personnes qui ont exprimé le souhait de poursuivre la procédure devant elle dans le cadre des requêtes introduites par les associations requérantes qui ont cessé d'exister ont qualité pour poursuivre la procédure à leur place. La Cour rappelle que pour trancher cette question, le point déterminant est de savoir non pas si les droits dont il est question sont transférables aux personnes souhaitant poursuivre la procédure, mais si celles-ci peuvent en principe invoquer un intérêt légitime à lui demander de connaître de l'affaire, en prenant pour base le souhait des requérants d'exercer leur droit de la saisir d'un recours individuel. En outre, l es affaires relevant du domaine des droits de l'homme portées devant la Cour présentent généralement une dimension morale, qui doit être prise en compte lorsqu'il s'agit pour la Cour de décider si l'examen d'une requête doit se poursuivre après que le requérant a disparu. Tel est a fortiori le cas lorsque les questions soulevées par la cause dépassent la personne et les intérêts du requérant, les arrêts de la Cour servant non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements souscrits par eux (Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, §§ 78-79, CEDH 2005-XII).
69. La Cour rappelle que la dissolution d'une association affecte aussi bien l'association elle-même que ses présidents, fondateurs et membres (Les témoins de Jéhovah de Moscou et autres c. Russie, no 302/02, § 101, 10 juin 2010, avec d'autres références). Il s'ensuit que les anciens dirigeants et membres d'une association requérante dissoute ou liquidée ont un intérêt personnel légitime à demander à la Cour d'examiner le grief tiré par cette association de ce que sa liquidation ou dissolution aurait été le résultat de pressions exercées par les pouvoirs publics. En outre, les questions soulevées dans la présente affaire dépassent les intérêts des requérants individuels car elles touchent la capacité fondamentale des ONG à fonctionner sans ingérence injustifiée des pouvoirs publics. L'un des principaux griefs formulés en l'espèce est qu'en introduisant de nouvelles mesures restrictives et de lourdes exigences, les pouvoirs publics auraient cherché à rendre difficile, voire impossible, la poursuite par les associations requérantes de leur travail de « chiens de garde ». Ne pas examiner le bien-fondé de ces griefs au seul motif que les associations requérantes auraient cessé d'exister par l'effet d'une dissolution volontaire ou d'une liquidation forcée irait à l'encontre de la finalité de la requête dont elles ont saisi la Cour (voir, en comparaison, Uniya OOO et Belcourt Trading Company c. Russie, nos 4437/03 et 13290/03, § 264, 19 juin 2014).
70. La Cour en conclut que les anciens dirigeants, présidents, fondateurs, directeurs et membres des associations requérantes qui ont cessé d'exister - et dont les noms et titres sont indiqués en annexe - ont qualité pour poursuivre les requêtes introduites par celles-ci.
II. Sur la violation alléguée des ARTICLES 10 et 11 de la CONVENTION
71. Les requérants voient dans les exigences introduites par la législation sur les « agents étrangers » et dans la manière dont elle est appliquée en pratique des restrictions imprévisibles et excessives à leur liberté d'expression et d'association au regard des articles 10 et 11 de la Convention, dont les passages pertinents se lisent ainsi :
Article 10
« 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques (...)
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui (...) »
Article 11
« 1. Toute personne a droit (...) et à la liberté d'association (...)
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) »
72. Sachant que la mise en œuvre du principe du pluralisme est impossible si une association n'est pas en mesure d'exprimer librement ses idées et ses opinions, la protection des opinions personnelles et de la liberté d'expression en vertu de l'article 10, comme la Cour l'a reconnu, est un des objectifs de la liberté d'association (Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, § 91, CEDH 2004-I, et Parti nationaliste basque - Organisation régionale d'Iparralde c. France, no 71251/01, § 33, CEDH 2007-II). Il en va d'autant plus ainsi dans des situations - comme en l'espèce - où les autorités s'opposent à une association afin de réagir, à tout le moins dans une certaine mesure, aux points de vue exprimés ou aux déclarations formulées par elle (Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie, nos 29221/95 et 29225/95, § 85, CEDH 2001-IX, et Organisation macédonienne unie Ilinden et autres c. Bulgarie, no 59491/00, § 59, 19 janvier 2006). La Cour examinera donc les présentes affaires sous l'angle de l'article 11 interprété à la lumière de l'article 10 de la Convention.
A. Sur la recevabilité
1. Sur l'épuisement des voies de recours internes
73. Le Gouvernement soulève une double exception de non-épuisement. Il soutient que le Centre Levada, l'Académie des droits de l'homme, le Centre méridional des droits de l'homme, l'Association médicale de Chapayevsk, M. Sergeyev, le Centre de droit social et de droit du travail, la Mission juridique, l'École des conscrits, le Centre Sova, M. Yukechev et Tak-Tak‑Tak n'ont pas demandé un contrôle des décisions rendues dans les affaires d'infraction administrative une fois ces décisions devenues exécutoires. Il ajoute que certains requérants n'ont pas attaqué en justice la décision du ministère de la Justice relative à leur enregistrement en tant qu'« agents étrangers ».
74. Sur la première branche de l'exception, les requérants s'appuient sur la jurisprudence de la Cour, refusant de qualifier de recours effectif la procédure de contrôle des décisions relatives aux infractions administratives fondée sur l'article 30.12 du CIAD. Sur la seconde branche, ils soulignent qu'ils ont tous été condamnés à des amendes sur la base de l'article 19.34 du CIAD pour manquement allégué à l'enregistrement en tant qu'« agents étrangers », et que les recours qu'ils avaient formés contre ces décisions ont été rejetés.
75. La Cour partage la thèse des requérants. La procédure de contrôle prévue par l'article 30.12 du CIAD n'est pas un recours effectif à épuiser (Smadikov c. Russie (déc.), no 10810/15, § 49, 31 janvier 2017). Les organisations requérantes ont également formé une série de recours dans le cadre des procédures à l'issue desquelles elles ont été jugées responsables pour ne pas avoir demandé à être enregistrées en tant qu'« agents étrangers ». Leur inscription au registre des « agents étrangers » vaut preuve suffisante d'ingérence, indépendamment de toute autre mesure prise contre eux par le ministère de la Justice. L'exception du Gouvernement est donc rejetée.
2. Sur la qualité de victime
76. Le Gouvernement estime que les griefs formulés par certains requérants sont irrecevables ratione personae parce que, selon lui, ils n'ont pas la qualité de « victimes » des violations alléguées. Selon lui, le Groupe Helsinki de Moscou, le Centre démocratique, ADC Memorial et Coming Out ne peuvent se prétendre « victimes » puisqu'ils n'auraient jamais été enregistrés comme des « agents étrangers ». Certains autres requérants auraient perdu leur qualité de « victimes » des violations alléguées en raison de développements ultérieurs. Les requérants membres du premier groupe, c'est-à-dire le Mouvement de la jeunesse humaniste, le Centre Maximum, Perm-36, Vague de Baïkal, le Comité contre la torture et Golos-Povolzhye, se seraient volontairement dissous de manière à éviter de payer des amendes. Les seize autres organisations requérantes ou plus considérées comme membres du deuxième groupe auraient été rayées du registre des agents étrangers. Dans les cas de l'Association Golos et de Mme Shibanova, les décisions par lesquelles elles avaient été jugées en infraction et condamnées à des amendes auraient été annulées, et les amendes auraient été remboursées.
77. Les requérants soulignent que, conformément à la jurisprudence de la Cour, quiconque est confronté à un choix qui consiste soit à changer de comportement soit à accepter une restriction de ses droits peut se prétendre « victime » de la violation alléguée, même en l'absence d'acte concret d'application de la législation contestée. Ils expliquent que, si certaines organisations n'ont pas été condamnées à des amendes et si certaines mesures restrictives ont été annulées ou n'ont pas été appliquées, ils peuvent toujours se prétendre « victimes » des violations alléguées car ils restent sous la menace d'un enregistrement en tant qu'« agent étranger » ou de sanctions en vertu de la loi sur les agents étrangers. Ils disent qu'afin d'éviter ce risque, ils ont dû refuser les financements étrangers et réduire considérablement le champ de leurs activités, ou s'autodissoudre, étant incapables d'obtenir d'autres financements de sources russes. Le Groupe Helsinki de Moscou souligne qu'il a procédé à des licenciements, annulé des séances de formation annuelles sur les droits de l'homme et réduit ses activités de contrôle des droits de l'homme dans des régions russes. Le Centre démocratique dit qu'il a été visé par un avertissement du procureur qui l'informait qu'il était peut‑être en infraction avec la loi sur les agents étrangers et que, ayant refusé les financements étrangers, il a été contraint de cesser de payer les loyers des bureaux et les salaires. Enfin, ADC Memorial et Coming Out affirment s'être mises en liquidation pour anticiper la décision du ministère de la Justice tendant à leur inscription au registre des agents étrangers.
78. La Cour joint au fond de l'affaire l'exception tirée par le Gouvernement de ce que les requérants n'auraient pas la qualité de « victimes » des violations alléguées. En l'absence de tout autre motif d'irrecevabilité, ce volet de la requête doit être déclaré recevable.
B. Sur le fond
1. Sur l'existence d'une ingérence
78. Les requérants soutiennent qu'en leur imposant de s'enregistrer comme « agents étrangers », en retenant le qualificatif stigmatisant d'« agent étranger », en restreignant leur accès aux financements étrangers, en leur imposant de nombreuses inspections et amendes et de trop lourdes obligations comptables, et en faisant peser sur eux l'obligation de faire mention dans leurs publications que celles-ci proviennent d'un « agent étranger », les autorités russes ont fait ingérence dans leur droit à la liberté d'expression et d'association.
79. Le Gouvernement soutient que l'obligation de s'enregistrer en tant qu'« agent étranger », prévue par la loi sur les agents étrangers, n'interdisait ni ne restreignait la capacité des organisations requérantes à participer librement à des débats et activités politiques en Russie et à exprimer leurs idées. Elles n'ont donc selon lui subi aucune ingérence dans l'exercice de leur droit à la liberté d'expression et d'association garanti par les articles 10 et 11 de la Convention.
80. La Cour rappelle que des individus ou des ONG peuvent se prétendre victimes d'une violation s'ils font partie d'une catégorie de personnes risquant d'être directement lésées par la législation. Même en l'absence d'acte individuel d'exécution, un requérant peut néanmoins soutenir qu'une loi viole ses droits, et donc se dire « victime » au sens de l'article 34, s'il est soit obligé de changer de comportement soit exposé à un risque de poursuites en cas d'infraction à la législation (Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 34, CEDH 2008, et S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, § 57, CEDH 2014).
81. Une ingérence dans le droit à la liberté d'association peut prendre diverses formes, par exemple : exiger d'une association existante qu'elle se soumette à de nouvelles procédures d'enregistrement (Branche de Moscou de l'Armée du Salut c. Russie, no 72881/01, § 73, CEDH 2006-XI) ; mener des inspections ayant pour effet d'entraver les activités d'une organisation et de la sanctionner (Cumhuriyet Halk Partisi c. Turquie, no 19920/13, §§ 71-72, 26 avril 2016) ; désigner une association en des termes répréhensibles (Leela Förderkreis e.V. et autres c. Allemagne, no 58911/00, § 84, 6 novembre 2008) ; interdire le financement étranger d'un parti politique (Parti nationaliste basque - Organisation régionale d'Iparralde, précité, §§ 37-38) ; ou provoquer la dissolution d'une association (Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) c. Turquie [GC], no 23885/94, §§ 26-27, CEDH 1999-VIII, et Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, no 37083/03, § 54, CEDH 2009).
82. La Cour observe qu'avant l'adoption de la législation sur les « agents étrangers », bon nombre des organisations requérantes existaient depuis longtemps, et que certaines d'entre elles - le Groupe Helsinki de Moscou, le Centre Memorial des droits de l'homme, le Mouvement pour les droits de l'homme et Contrôle citoyen - avaient été légalement créées dès les années 1990, au lendemain de la transition démocratique en Russie. Elles recevaient un financement de diverses sources, notamment des donateurs individuels et institutionnels, tant nationaux qu'internationaux.
83. À la suite de l'adoption de la loi sur les agents étrangers, les organisations requérantes ont toutes fait l'objet d'inspections inopinées de la part des autorités administratives ou répressives, qui cherchaient à faire la lumière sur leurs sources de financement et l'étendue de leurs activités (paragraphe 18 ci-dessus). Les inspections ont entravé le fonctionnement des organisations requérantes en ce qu'elles ont duré longtemps et qu'elles se sont traduites par des visites répétées de procureurs et de fonctionnaires des services de justice, par l'interrogatoire de membres du personnel des organisations requérantes et par des demandes de production d'un grand nombre de pièces représentant plusieurs années d'activités (y compris les statuts et la documentation financière, des informations sur les événements organisés par les organisations requérantes et d'autres pièces se rapportant à leur mission). Le non-respect des demandes de production de pièces était passible de lourdes amendes (paragraphe 24 ci-dessus). La Cour a déjà jugé que de si lourdes exigences, qui ont pour effet d'entraver les activités d'une organisation, peuvent à elles seules s'analyser en une ingérence dans le droit à la liberté d'association (Cumhuriyet Halk Partisi, § 71, et Les témoins de Jéhovah de Moscou et autres, § 176, tous deux précités).
84. Une fois que les autorités nationales avaient conclu que les organisations requérantes s'étaient livrées à des « activités politiques » et qu'elles avaient reçu un « financement étranger » au sens de la loi sur les agents étrangers, ces dernières ont été condamnées à des amendes au motif qu'elles n'avaient pas demandé à être enregistrées en tant qu'« agents étrangers » (paragraphes 24 ci-dessus et 355 et 514 ci-dessous). Les organisations requérantes étaient également confrontées à un choix : soit accepter le qualificatif d'« agent étranger » soit poursuivre leurs activités hors des limites de la loi sur les agents étrangers en refusant toute donation assimilable à un « financement étranger » (paragraphe 500 ci-dessous). Le premier choix, c'est-à-dire l'enregistrement en tant qu'« agent étranger », entraînait des obligations additionnelles en matière de comptabilité, de vérification des comptes, de déclarations et de mentions obligatoires (paragraphes 19, 20 et 21 ci-dessus). Le second choix entraînait une baisse du budget, ces difficultés financières se soldant par des réductions d'effectifs et par le gel de projets. Les deux choix nécessitaient un ajustement important de la part des organisations dans la conduite de leurs activités, ce qui s'analyse en une ingérence dans leur droit à la liberté d'association. Par ailleurs, le cas du Mouvement pour les droits de l'homme - une organisation qui avait d'abord été rayée du registre des agents étrangers en 2015 avant d'être réinscrite en 2019 (paragraphe 513 ci-dessous) - montre que même les organisations qui cherchaient à modifier leur comportement conformément à la loi sur les agents étrangers risquaient sans cesse d'être jugées en infraction et d'encourir des sanctions.
85. Certaines organisations requérantes, par exemple ADC Memorial et l'organisation LGBT Coming Out, se sont autodissoutes parce qu'elles craignaient de ne pas être en mesure de payer les amendes et d'obtenir un autre financement pour leurs activités principales. Les inspections, sanctions et autres restrictions imposées à ces organisations ont finalement conduit à ce qu'elles cessent d'exister en tant que personnes morales. La Cour rappelle que, dans la mesure où les dirigeants et les membres d'une association décident de dissoudre celle-ci dans l'espoir qu'elle ne subisse plus les effets négatifs de la législation nationale ou les actions des autorités nationales, pareilles décisions ne peuvent passer pour avoir été prises librement pour qu'elles puissent être validées au regard de l'article 11 (Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP), précité, § 26 ; voir également, sur la poursuite des procédures dans les cas de personnes morales dissoutes, OAO Neftyanaya Kompaniya Yukos c. Russie (déc.), no 14902/04, § 443, 29 janvier 2009, et Zhdanov et autres c. Russie, nos 12200/08 et 2 autres, § 115, 16 juillet 2019). La dissolution d'une association, qu'elle soit décidée par ses membres sous la contrainte ou prononcée par les autorités internes - comme dans le cas par exemple de l'association Golos (paragraphe 354 ci-dessous) –, s'analyse en une ingérence dans le droit à la liberté d'association.
86. Enfin, en ce qui concerne les personnes physiques requérantes - les dirigeants des organisations requérantes –, l'ingérence dans leurs droits a pour origine les décisions par lesquelles ils ont été condamnés à une amende pour ne pas avoir déposé de demande d'enregistrement de leur organisation en tant qu'« agent étranger ». En outre, lorsqu'une organisation requérante a été dissoute par nécessité ou sur ordre des autorités, l'acte de dissolution s'analyse lui aussi en une ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'association par ses dirigeants et ses membres (voir les cas de l'Association Golos, de Fondation 19/29 et du Centre démocratique).
87. Bref, la Cour estime que les organisations requérantes et leurs dirigeants ont été directement lésés par une série de mesures que la loi sur les agents étrangers a imposées, à savoir des inspections, des obligations d'enregistrement nouvelles, des sanctions et des restrictions quant aux sources de financement et à la nature des activités. Elles ont dû bouleverser leur comportement de manière à réduire le risque de faire l'objet de sanctions supplémentaires sur la base de la loi, ce qui n'a pas empêché pour autant les autorités de leur infliger de nouvelles amendes alors qu'elles étaient inscrites au registre des « agents étrangers ». Ces mesures ont conduit à la dissolution de certaines des organisations requérantes. Il y a donc eu une ingérence dans l'exercice par les requérants de leur droit à la liberté d'association garanti par l'article 11 de la Convention, interprété à la lumière de l'article 10. La Cour rejette également l'exception tirée par le Gouvernement de ce que les requérants ne pourraient pas se prétendre « victimes » des violations alléguées.
2. Sur la justification de l'ingérence
a) Principes généraux
88. Si, dans le contexte de l'article 11, la Cour a souvent mentionné le rôle essentiel joué par les partis politiques pour le maintien du pluralisme et de la démocratie, les associations créées à d'autres fins sont également importantes pour le bon fonctionnement de la démocratie. En effet, le pluralisme repose aussi sur la reconnaissance et le respect véritables de la diversité et de la dynamique des traditions culturelles, des identités ethniques et culturelles, des convictions religieuses, et des idées et concepts artistiques, littéraires et socio-économiques. Une interaction harmonieuse entre personnes et groupes ayant des identités différentes est essentielle à la cohésion sociale. Il est tout naturel, lorsqu'une société civile fonctionne correctement, que les citoyens participent dans une large mesure au processus démocratique par le biais d'associations au sein desquelles ils peuvent se rassembler avec d'autres et poursuivre de concert des buts communs (Gorzelik et autres, § 92, et Zhdanov et autres, § 139, précités).
b) « Prévue par la loi »
89. La Cour examinera tout d'abord si les mesures prises contre les requérants peuvent passer pour avoir été « prévues par la loi ». Cette ingérence trouve son fondement légal dans les dispositions de la loi sur les agents étrangers, qui fixe un régime applicable aux organisations à but non lucratif russes considérées comme recevant des « financements étrangers » et se livrant à des « activités politiques ».
90. La Cour rappelle cependant que l'expression « prévue par la loi » n'exige pas seulement que la mesure ait un fondement en droit interne, mais renvoie aussi à la qualité de la loi en question. La loi doit être suffisamment claire et prévisible dans son libellé pour indiquer au justiciable de manière adéquate en quelles circonstances et sous quelles conditions la puissance publique est habilitée à recourir à la mesure en question. Le droit interne doit également offrir une certaine protection contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits garantis par la Convention.
i. L'interprétation de la notion d'« activité politique » était-elle suffisamment claire et prévisible ?
α) Observations des parties
91. Les requérants soutiennent que, par « activité politique », la loi sur les agents étrangers entend toute démarche en commun qui vise à régler des problèmes sociaux et est entreprise par des citoyens réunis au sein d'une organisation. Ils disent que si le sens généralement accepté de la notion d'activité politique concerne principalement la lutte pour le pouvoir, la législation russe a redéfini cette expression de manière à y inclure la plupart des activités qui sont au cœur de la mission de toutes les organisations à but non lucratif, en particulier celles qui contribuent énergiquement à la vie de la société. Ils exposent que, au sens de la loi sur les agents étrangers, toute activité ayant un écho public et étant susceptible d'influencer l'opinion publique peut passer pour « politique ». Ils allèguent que les autorités ont délibérément retenu une définition aussi étendue de l'activité politique afin de restreindre les activités des organisations requérantes et de réprimer la diffusion d'idées rejetant ou critiquant la position officielle.
92. Le Gouvernement dit que la notion d'« activité politique » au sens de la loi sur les agents étrangers était clairement formulée dès le départ et que les activités dans certains domaines comme la science, la culture, les arts, la santé ou les œuvres caritatives sont exclues de son champ d'application (voir paragraphe 15 ci-dessus). Il expose que l'arrêt de 2014 de la Cour constitutionnelle a apporté des précisions sur les formes que peuvent prendre les activités politiques (paragraphe 38 ci-dessus). Il ajoute que, en 2016, la définition a été mise à jour de manière à préciser les formes et les domaines d'exercice d'une « activité politique » ainsi que les objectifs de celle-ci (paragraphe 28 ci-dessus). Il affirme que la portée de l'expression ne fait aucun doute puisqu'il existe aussi selon lui des définitions généralement reconnues de l'activité politique dans des dictionnaires russes, notamment un dictionnaire de 1996 sur l'État, la politique et la fonction publique, un dictionnaire de politique de 2001 et un grand dictionnaire encyclopédique du droit de 2006. Enfin, se référant à l'arrêt Animal Defenders International c. Royaume-Uni ([GC], no 48876/08, § 59, CEDH 2013), il soutient que la définition de l'« activité politique » en droit britannique n'est pas plus détaillée, plus claire ni plus précise que la notion équivalente en droit russe.
93. Le Commissaire soutient que l'application de la loi sur les agents étrangers a fait ressortir l'incertitude fondamentale qui entoure l'expression « activité politique » telle qu'interprétée par l'exécutif, le parquet et les juges. Il explique que, par exemple, les autorités ont déterminé que la traduction et l'analyse des arrêts de la Cour (dans le cas du Centre de défense des médias de Voronej) ou la diffusion des avis du Commissaire concernant la loi sur les agents étrangers via le site Internet d'une association (Mères de soldats de Saint-Pétersbourg) s'analysaient en des « activités politiques », alors que selon lui toutes ces activités relèvent de l'exercice légitime de la liberté d'expression. Il dit que les activités qualifiées de « politiques » au sens de la loi sur les agents étrangers sont parmi les moyens les plus communément adoptés, les plus élémentaires et les plus naturels employés par les institutions de la société civile pour accomplir leur travail. Il y voit en outre des rouages importants du processus démocratique.
94. L'ISHR, la CIJ, Amnesty International et Media Legal Defence Initiative qualifient de trop vague l'expression « activité politique », et estiment qu'elle est contraire au droit des ONG à communiquer avec les organisations internationales et qu'elle accorde trop de latitude aux autorités.
β) Les principes applicables
95. Comme la Cour l'a déjà dit, une conduite de nature à impliquer l'association à des activités politiques ne peut être définie avec une absolue précision et elle peut inclure la participation à des réunions pacifiques, des déclarations à la presse, la participation à des émissions de radio ou de télévision, la rédaction d'articles de presse ou l'adhésion à des syndicats, associations ou autres organisations représentant ou protégeant les intérêts de divers groupes d'intérêt (Rekvényi c. Hongrie [GC], no 25390/94, § 36, CEDH 1999-III). Certes, les opinions juridiques sur les objectifs qu'il faut qualifier de « politiques » peuvent varier puisqu'il s'agit d'une notion large qui se prête à des interprétations très diverses (Zhechev c. Bulgarie, no 57045/00, § 39, 21 juin 2007). Néanmoins, une norme ne peut être regardée comme une « loi » que si elle est formulée de manière à permettre au justiciable de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences ou sanctions qui peuvent résulter d'un acte déterminé (Öztürk c. Turquie [GC], no 22479/93, § 54, CEDH 1999-VI).
γ) Interprétation et application des exceptions aux « activités politiques »
96. Même si certains domaines d'activité sont expressément exclus du champ d'application de la notion d'« activités politiques » dans la loi sur les agents étrangers, les autorités et tribunaux russes ont interprété cette notion de manière si extensive qu'elle englobe les activités habituelles des organisations de la société civile, en particulier en matière environnementale, culturelle ou sociale. Les autorités peuvent qualifier de « politiques » toute activité liée d'une manière ou d'une autre au fonctionnement normal d'une société démocratique et ainsi ordonner aux organisations concernées de s'enregistrer comme « agents étrangers » ou de payer des amendes.
97. Les autorités ont en particulier inscrit des ONG au registre des agents étrangers pour avoir exercé les activités suivantes dans le domaine environnemental : organisation d'une conférence sur l'impact négatif des ouvrages hydrauliques sur les cours d'eau, protection des cours d'eau, développement de l'écotourisme, sensibilisation à l'environnement et participation à des consultations publiques sur une étude d'impact sur l'environnement (Vague de Baïkal) ; soutien d'un militant écologiste (Centre Dront) ; contribution à la sensibilisation à l'environnement et à des initiatives en ce sens (Ecodéfense) ; promotion de la gestion durable des ressources hydrologiques, mesures d'incitation aux consommateurs d'eau et aux actions en faveur de l'environnement, et présentation des résultats d'une enquête sociologique lors d'une table ronde (Centre écologie et sécurité) ; nettoyage des berges de cours d'eau locaux et restauration des forêts (Fondation pour la nature) ; diffusion de dessins sur Internet sur le thème d'une décharge de déchets nucléaires et organisation d'événements cyclistes pour la promotion des valeurs environnementales (Monde vert - Local) ; organisation de débats sur le changement climatique, notamment son impact sur les peuples autochtones et l'impact des opérations minières sur les terres des peuples autochtones (Centre des peuples autochtones) ; association à une campagne de conservation des forêts et information du public sur l'état de l'environnement (Mouvement pour la nature) ; publications en ligne sur les problèmes environnementaux (Partenariat pour le développement) ; promotion du recours à des énergies propres (Planète de l'espoir) ; et mise en œuvre d'une initiative de soutien à des membres de Greenpeace (Centre écologique de Sibérie) (paragraphes 210, 283, 290, 297, 311, 381, 416, 519, 533, 554 et 631 ci-dessous).
98. Sont également comme jugées constitutives d'« activités politiques » certaines activités culturelles et sociales, notamment : table ronde sur l'arrêt des cours collectifs en journée complète dans les écoles maternelles (Centre de droit social et de droit du travail) ; recommandations concernant un centre de médecine du sport, des services funéraires et une aide aux personnes sans abri ; distribution gratuite de préservatifs et de seringues (Association médicale de Chapayevsk) ; soutien à une pétition adressée à un gouverneur concernant un programme régional pour les personnes handicapées et participation à une conférence sur l'entrepreneuriat social (Centre Extrême‑Orient) ; critique d'une proposition visant à supprimer l'allocation versée aux personnes ayant plusieurs enfants et de l'interdiction d'utiliser de l'eau potable pour arroser les jardins (Parc Gagarine) ; protection des biens et des espaces culturels, élaboration d'expertises sur ce sujet et collecte d'informations sur les menaces pesant sur les biens du patrimoine culturel (Monde vert et Centre des droits de l'homme de Perm) ; suivi des évolutions sociales et économiques et organisation de débats sur le logement et les questions sociales (Centre Levada) ; diffusion d'une publication sur le droit aux cures thermales à Perm (Centre des droits de l'homme de Perm) ; organisation de forums sur des questions sociales d'urgence (Perm-36) ; et formation des médecins à la prévention du VIH et des maladies sexuellement transmissibles au sein de la communauté homosexuelle (Rakurs) (paragraphes 222, 236, 304, 339, 374-451, 540, 547 et 575 ci-dessous).
100. Les exemples ci-dessus montrent que les exclusions du champ d'application de la notion d'« activités politiques » - par exemple la culture, la sécurité sociale, la protection de la flore et de la faune et les œuvres caritatives - prévues par la loi sur les agents étrangers (paragraphe 28 ci‑dessus) - ont été vidées de leur sens par une application imprévisible de la loi que les tribunaux russes ont sanctionnée. Par exemple, Vague de Baïkal, une organisation environnementale active dans le domaine de la protection de la flore et de la faune, lequel n'est pas censé être une activité politique, a été considérée comme s'étant livrée à des « activités politiques » dès lors qu'elle avait exprimé un avis sur les décisions des pouvoirs publics sur la protection des plantes ou sur des questions environnementales similaires au motif que « l'expression d'opinions sur les décisions des pouvoirs publics » était réputée constitutive d'une activité « politique » (paragraphe 215 ci‑dessous).
δ) Distinction entre les activités d'une organisation et de son personnel
101. La Cour constitutionnelle a imposé aux autorités d'établir une distinction entre les activités des membres et des dirigeants d'organisations exercées à titre personnel et celles exercées au nom de leur organisation. Seules ces dernières activités, mais pas les premières, pourraient relever des « activités politiques » au sens de la loi sur les agents étrangers (paragraphe 39 ci-dessus). Or, dans la pratique, toutes les déclarations ou positions des dirigeants des organisations requérantes étaient systématiquement attribuées aux organisations elles-mêmes, sans rechercher si elles avaient été formulées à titre personnel ou au nom de l'organisation. Dans les cas du Centre d'éducation civile, du Centre Dront, de la Mission juridique, du Centre de défense des médias, du Mouvement pour les droits de l'homme, de Planète de l'Espoir, du Centre Renaissance, de l'École des conscrits, du Centre Sova et de Femmes du Don, les autorités ont vu dans les déclarations faites par les dirigeants des organisations lors de discussions, d'entretiens ou en ligne, ainsi que dans leur participation à des projets, des éléments de « l'activité politique » des organisations requérantes (voir paragraphes 257, 283, 444, 472, 512, 554, 596, 624, 659 et 689 ci-dessous). Dans les cas de Vague de Baïkal et du Centre des droits de l'homme de Perm, les commentaires que le directeur avait faits au sujet d'une demande d'interdiction du brûlage agricole qui avait été soumise aux pouvoirs publics, et sur le blog personnel du fondateur ont été jugés constitutifs d'une « activité politique » des organisations elles-mêmes (paragraphes 210 et 540 ci-dessous). Dans le cas de Memorial Ryazan, les autorités ont considéré les photographies publiées par le directeur de cette organisation sur sa page personnelle d'un réseau social comme une « activité politique » (paragraphe 603 ci-dessous). Il s'ensuit qu'en l'absence de réglementation juridique claire et prévisible, les organisations requérantes étaient exposées au risque que les déclarations de leurs dirigeants, membres ou fondateurs, voire les commentaires sur leurs comptes privés dans les réseaux sociaux, soient regardées comme des « activités politiques » des organisations elles-mêmes.
102. Dans d'autres cas, les autorités ont rattaché le travail accompli par des dirigeants d'organisations requérantes au sein d'organismes publics où ils avaient été nommés à titre personnel ou professionnel, et non en leur qualité de représentants de leurs organisations respectives, aux activités des organisations elles-mêmes. Dans les cas de l'association Agora, de l'Association médicale de Chapayevsk, du Centre d'éducation civile, du Comité contre la torture et du Centre de défense des médias, le travail de leurs directeurs ou fondateurs au sein du Conseil présidentiel des droits de l'homme et des organes gouvernementaux régionaux a été regardé par les autorités comme une « activité politique » menée par les organisations requérantes elles-mêmes (paragraphes 208, 236, 257, 270 et 472 ci-dessous).
ε) Interprétations des formes d'« activités politiques »
103. La Cour constitutionnelle a précisé par ailleurs les formes sous lesquelles l'intention de s'engager dans des activités politiques pouvait se manifester, ainsi que les éléments qui faisaient apparaître une telle intention. Elle a souligné aussi que les activités politiques avaient pour but ultime d'influencer le processus décisionnel des organes de l'État et la politique de l'État (paragraphe 39 ci-dessus). Or, en pratique, les autorités se sont soustraites à l'obligation de démontrer que les opinions exprimées étaient susceptibles d'influencer leurs décisions. Dans le cas de Veille écologique de Sakhaline, elles ont vu une « activité politique » dans la signature d'une lettre adressée pendant le conflit russo-ukrainien en 2014 à des organisations et militants écologistes ukrainiens et publiée sur le site Internet du Wildlife Conservation Center. La lettre n'était adressée à aucune autorité de l'État - ses destinataires étaient exclusivement des organisations et des militants écologistes ukrainiens, et elle ne renfermait aucune demande ou revendication à l'attention des autorités (paragraphes 610 et 612 ci-dessous). Or les tribunaux russes ont vu dans cette lettre de solidarité une « activité politique » livrée par l'organisation requérante. Dans le cas du Centre Levada, les tribunaux internes ont conclu que les avis sur le régime politique russe exprimés par le directeur de l'organisation requérante et par le chef de l'un de ses départements lors d'une conférence, dans des entretiens et dans des articles publiés en ligne montraient que le Centre Levada avait exercé une « activité politique », et ce, sans analyser si ces avis avaient préconisé un changement dans la politique des autorités (paragraphe 453 ci-dessous).
(ζ) Conclusion
104. Le terme « politique » étant par nature vague et susceptible de diverses interprétations, la nécessité d'une interprétation stable, cohérente et prévisible s'imposait d'autant plus dans ces cas-là. Les dictionnaires, évoqués par le Gouvernement, peuvent certes servir à établir le sens ordinaire des mots, mais ils ne peuvent se substituer à la précision dans les lois ni à la constance dans la jurisprudence. Les autorités russes ont retenu une interprétation extensive et imprévisible de la notion d'« activité politique » employée dans la loi sur les agents étrangers, de manière à y inclure même les activités dont il était expressément précisé qu'elles étaient exclues de son champ d'application, et elles ont traité sans distinction les activités des organisations elles-mêmes, celles de leurs dirigeants ou membres qui agissaient à titre personnel, et celles n'ayant pas satisfait à l'obligation d'avoir pour finalité d'influencer les décisions et la politique de l'État. Alors que la loi sur les agents étrangers dispose que, pour être qualifiée de politique, une activité devait avoir pour but d'influencer la politique de l'État (paragraphe 28 ci-dessus), la pratique du pouvoir exécutif et d'autres autorités a élargi la notion d'« activité politique » à toute forme d'activisme public dans une série extrêmement large de domaines, sans rechercher si l'organisation poursuivait ses activités dans le but d'influencer la politique de l'État. La classification des activités des ONG à l'aune de ce critère - selon qu'elles se livrent ou non à des « activités politiques » - a produit des résultats incohérents et engendré une incertitude parmi les ONG souhaitant s'engager dans des activités de la société civile se rapportant notamment aux droits de l'homme, à la protection de l'environnement ou aux œuvres de charité, d'autant plus que les tribunaux internes n'ont pas fourni d'indications cohérentes quant aux actions jugées constitutives ou non d'une « activité politique » (Zhechev, précité, § 55, et Organisation macédonienne unie Ilinden et autres c. Bulgarie (no 2), no 34960/04, § 39, 18 octobre 2011).
ii. Les dispositions en matière de « financement étranger » étaient-elles suffisamment prévisibles ?
α) Observations des parties
105. Les requérants soulignent que les dispositions de la loi sur les agents étrangers relatives au financement étranger n'étaient pas prévisibles et ne fixaient pas le montant, la durée ni la forme particulière qui étaient requis en matière de financement étranger pour qu'une organisation puisse être qualifiée d'« agent étranger ». Ils soutiennent que les autorités russes ont retenu une interprétation trop extensive et imprévisible de l'expression « financement étranger ». Ils expliquent que, comme l'aurait montré l'application pratique de la loi sur les agents étrangers, non seulement la réception de fonds ou d'autres biens par des ONG était considérée comme un financement étranger, mais aussi les paiements en espèces à leurs employés ou membres, ainsi que les activités menées de concert avec d'autres organisations d'« agents étrangers ». Ils affirment que même le refus d'un financement étranger ne garantissait pas que l'organisation qui l'a opposé ne serait pas qualifiée d'« agent étranger ». Ils ajoutent que les bénéficiaires des fonds n'avaient pas la possibilité de vérifier la source exacte du financement puisque les informations sur la nationalité du donateur ou sur l'origine des fonds de l'organisation donatrice n'étaient pas accessibles au public et que la législation russe ne faisait pas obligation aux organisations de s'assurer de l'origine des fonds transférés par une autre organisation russe.
106. Le Gouvernement soutient que l'expression « financement étranger » est clairement définie dans la loi et qu'elle a en outre été précisée par la Cour constitutionnelle. Il explique que les caractéristiques spécifiques d'un tel financement - qu'elles soient temporelles (selon la durée ou la fréquence du financement), quantitatives (selon le montant ou l'ampleur du financement) ou matérielles (selon que le financement constitue un don, une subvention ou une récompense) - n'ont aucune importance à partir du moment où les fonds sont tirés de sources étrangères. Il dit que la loi s'applique aux fonds et à tout autre bien et que la forme sous laquelle le financement est reçu - par exemple, une somme créditée sur un compte bancaire ou le paiement d'événements, de services ou d'autres frais - est juridiquement sans importance. Il ajoute que les fonds et biens doivent avoir été reçus postérieurement à la date de promulgation de la loi sur les agents étrangers. Il affirme que la loi n'impose pas aux autorités de démontrer qu'une organisation connaît l'origine étrangère des fonds qu'elle a acceptés. Il estime que c'est sur les organisations engagées dans des « activités politiques » que pèse le risque de leur ignorance de l'origine de leur financement. Enfin, il considère que, si les autorités étaient tenues d'établir qu'un bénéficiaire était au courant de l'origine étrangère des fonds, l'application des dispositions sur le financement étranger indirect s'en trouverait entravée.
β) Finalité des transferts de sommes
107. La Cour constate que la loi sur les agents étrangers ne contient aucune règle sur l'objet du « financement étranger » et n'impose pas aux autorités d'établir un lien entre ce financement et les « activités politiques » alléguées de l'organisation. L'absence de toute règle relative à l'objet des transferts de sommes a conduit à des situations absurdes, comme dans le cas du Centre d'éducation civile, où les autorités et les tribunaux russes ont conclu que cette organisation était « financée » par une « source étrangère » au motif qu'un hôtel à Oslo l'avait remboursée pour avoir payé trop cher la location de salles et de lieux de conférence (paragraphe 259 ci-dessous).
γ) Distinction entre les fonds reçus par l'organisation et ceux reçus par son personnel
108. Les autorités se sont également servies sans discernement du qualificatif de « financement étranger » pour inclure toutes les sommes - non seulement celles versées aux organisations requérantes, mais aussi celles versées à leurs membres ou dirigeants même lorsqu'ils ont agi à titre personnel sans faire intervenir leur organisation. Par exemple, le Centre méridional des droits de l'homme a été qualifié d'« agent étranger » notamment au motif que son responsable avait reçu des fonds pour acheter des billets d'avion aller-retour Sotchi-Moscou afin de se rendre à l'Institut Goethe, un centre culturel allemand dans lequel il avait participé à un événement à titre personnel plutôt qu'en qualité de dirigeant de l'organisation requérante (paragraphes 652 et 654 ci-dessous).
δ) Interprétation de la notion de « sources étrangères »
109. La loi sur les agents étrangers définit l'expression « source étrangère » en y incluant à la fois les sources étrangères à proprement parler telles que les États, institutions, associations et personnes physiques d'autres pays, ainsi que toute personne morale de droit russe « recevant des fonds et d'autres biens provenant [de ces] sources » (paragraphe 15 ci-dessus). Il n'est pas nécessaire qu'une telle personne morale de droit russe soit qualifiée d'« agent étranger » ou sinon identifiée comme une « source étrangère » au moment où les fonds sont mis à disposition. La loi ne donne aucun critère qui permettrait de déterminer si une personne morale de droit russe peut être considérée comme appartenant à cette catégorie, par exemple un montant minimal, un pourcentage d'un budget annuel ou l'utilisation de fonds étrangers désignés pour des subventions en sous-financement à des organisations nationales. Il en résulte une situation d'incertitude dans laquelle un don symbolique de l'étranger peut conduire les autorités à qualifier de source de financement étrangère une personne morale de droit russe, et toute organisation ayant reçu des fonds de cette entité en « agent étranger ». Par exemple, Memorial Ekaterinbourg n'avait reçu aucun financement d'une source étrangère à proprement parler, mais puisqu'une autre organisation requérante, International Memorial, avait payé ses factures d'assurance, de prestations de service public, d'électricité et de téléphone sur une période de deux ans, les autorités ont considéré qu'il s'agissait d'une preuve suffisante d'un « financement étranger » car International Memorial avait été qualifiée d'« agent étranger » (paragraphe 696 ci-dessous). Parc Gagarine a été inscrite au registre des agents étrangers au motif que cette organisation avait reçu des fonds d'une fondation caritative russe dont il s'est avéré par la suite qu'elle était financée depuis l'étranger (paragraphe 339 ci-dessous). Dans le cas de l'École des conscrits, le fait qu'une autre organisation requérante « agent étranger », Mission juridique, avait payé pour son site Internet et son bureau a été considéré comme une preuve de « financement étranger » (paragraphe 624 ci-dessous).
110. L'absence de critères clairs et prévisibles donnait aux autorités toute latitude pour conclure que les organisations requérantes recevaient des « financements étrangers » même lorsque leur association avec une « source étrangère » alléguée était lointaine ou ténue. Les cas de l'association Golos et de Tak-Tak-Tak en donnent une illustration. Dans ces deux cas, les dirigeants des organisations requérantes siégeaient également au sein des conseils d'administration d'autres organisations qualifiées d'« agents étrangers ». Le fait que ces autres organisations aient reçu des financements étrangers suffisait, aux yeux des autorités russes, à relier des « sources étrangères » aux organisations requérantes par l'intermédiaire de leurs dirigeants (paragraphes 355 et 666 ci-dessous). La Cour considère que les organisations requérantes ne pouvaient pas raisonnablement prévoir que l'existence de liens aussi improbables et arbitraires serait établie et que l'argent qu'elles avaient reçu serait considéré comme entaché d'une origine étrangère, quel que soit le degré de séparation qui existait entre l'organisation bénéficiaire et la prétendue « source étrangère ».
ε) Existence d'une possibilité en droit de refuser un financement étranger
111. Enfin, la Cour estime que les circonstances dans lesquelles un refus de financement étranger pouvait être qualifié de valable n'étaient ni claires ni prévisibles. Dans le cas de l'association Golos, le tribunal de première instance avait jugé qu'en déclinant une récompense en numéraire de Norvège, l'association avait valablement refusé le financement étranger, ce qui rendait inapplicable la loi sur les agents étrangers. Or, peu de temps après, pendant la procédure en appel, le même tribunal a conclu que le refus de la même récompense en numéraire s'analysait en la réception d'un financement étranger puisqu'en refusant de recevoir ces fonds, l'Association Golos avait pris une décision sur son sort et fait montre de « l'autorité d'un propriétaire » quant à cette somme (paragraphe 355 ci-dessous). Ce n'est qu'après l'ouverture d'une procédure extraordinaire à la demande du Médiateur que cette décision a été réexaminée. Un autre exemple est celui de Veille écologique de Sakhaline, qui a refusé un financement étranger aussitôt après son inscription au registre des agents étrangers puis a demandé sa radiation du registre. Or, les autorités ont refusé la radiation du registre des agents étrangers au motif que cette organisation était tenue de restituer tous les financements qu'elle avait reçus de donateurs étrangers pendant toute la durée de son activité, et pas seulement à compter de la date de son inscription au registre des agents étrangers (paragraphe 612 ci-dessous).
στ) Conclusion
112. Comme le montrent les exemples ci-dessus, les requérants ne pouvaient envisager de manière suffisamment prévisible quels financements et quelles sources de financement seraient qualifiés de « financements étrangers » aux fins d'un enregistrement en tant qu'« agent étranger ». Le régime en matière de financement étranger, qui permet une interprétation pratique trop extensive et imprévisible en pratique, comme il ressort des circonstances des présentes affaires, ne répond pas à l'exigence de « qualité de la loi » et a privé les requérants de la possibilité de régler leur situation financière.
iii. L'expression « agent étranger » était-elle suffisamment claire et prévisible ?
α) Observations des parties
113. Les requérants soutiennent que l'expression « agent étranger » a été intentionnellement employée dans la loi sur les agents étrangers afin de donner l'impression au public que les ONG russes agissent en Russie sur ordre et dans l'intérêt des États ou organisations « étrangers ». Ils disent que, en son sens généralement admis, le terme « agent » désigne une personne exécutant des missions pour le compte d'une autre. Ils assimilent l'agent au mandataire qui, selon la définition qu'en donne le code civil russe, est la partie au contrat de mandat qui s'engage à accomplir des actes juridiques ou autres sur les instructions de l'autre partie (le mandant) moyennant rémunération. Or ils estiment que le terme connaît une interprétation extensive et nouvelle dans le texte et l'application pratique de la loi sur les agents étrangers, en ce que la portée de ce terme aurait été élargie pour y inclure toute organisation russe se livrant à une activité politique, pas forcément dans l'intérêt d'un bailleur de fonds étranger. Ils soutiennent que la notion d'« agent étranger » employée le FARA aux États-Unis d'Amérique (seul autre pays dans lequel ce terme existerait), en lequel le Gouvernement voit un élément de comparaison pertinent avec la loi russe sur les agents étrangers, est tout à fait différente. Ils expliquent que le FARA associe la qualité d'« agent étranger » à l'exercice d'activités « sur ordre, demande, ou sous la direction ou le contrôle » d'un mandant étranger, et « dans l'intérêt » de ce dernier. Ces deux conditions sont selon eux nécessaires pour qu'une entité soit enregistrée en tant qu'« agent étranger ».
114. Le Gouvernement soutient que la notion d'« agent étranger » est suffisamment claire et que son application est prévisible en pratique, d'une part parce qu'elle serait définie dans la loi sur les agents étrangers, et d'autre part parce qu'il s'agirait en soi d'une classification juridique bien établie. Il explique que, dans le domaine du droit civil, un « agent » est une personne habilitée à agir au nom d'autrui ou à exécuter les instructions officielles et commerciales d'autrui. Il estime logique d'appliquer cette notion aux ONG russes qui reçoivent des financements de sources étrangères pour conduire certaines activités. Il considère que la définition de la notion d'« agent d'un mandant étranger » donnée dans le FARA aux États-Unis, qui engloberait toute personne se livrant à des activités politiques ou à des opérations de relations publiques, ou collectant et distribuant des contributions, est similaire pour l'essentiel à celle de la notion d'« agent étranger » en droit russe.
115. L'ILPP souligne que le FARA aux États-Unis exige la preuve d'une relation mandant-agent entre l'« agent étranger » et son « mandant étranger », ce qui nécessite un haut degré de dépendance et de contrôle entre l'association nationale et son donateur étranger. En revanche, pour une ONG russe participant à une « activité politique », il suffirait qu'elle reçoive un financement de l'étranger pour être qualifiée d'« agent étranger ». Il ne serait pas nécessaire de prouver qu'elle agit « dans l'intérêt » d'une entité étrangère.
116. Les ONG hongroises et la Fondation Helsinki pour les droits de l'homme soutiennent que l'analogie faite par le gouvernement russe avec le FARA aux États-Unis est profondément erronée, le FARA ne ciblant selon elles non pas la société civile, mais les lobbyistes professionnels, c'est-à-dire les acteurs politiques agissant au nom des gouvernements, ce qui serait à l'opposé de ce que font les ONG.
β) L'approche que retiendra la Cour
117. La Cour considère que, indépendamment du sens généralement accepté ou de la définition juridique de tels ou tels termes, le législateur est en droit de retenir un sens différent aux fins d'un texte juridique particulier pour autant que celui-ci soit formulé avec suffisamment de précision et reste suffisamment clair et prévisible dans son application. La définition de l'« agent étranger » employée dans la loi sur les agents étrangers a introduit un sens différent à la notion d'agent, selon lequel un agent pourra ou non agir dans l'intérêt du mandant, comme il ressort du texte de la loi (paragraphe 15 ci-dessus : « y compris (...) lorsqu[e l'activité] est menée dans l'intérêt de bailleurs de fonds étrangers »). Cette définition englobe toutes les situations dans lesquelles une ONG russe a reçu un « financement étranger » et s'est engagée dans des « activités politiques », y compris lorsque le financement ne se traduit pas par un contrôle et une direction exercés par le donateur, et repose apparemment sur l'hypothèse que le « financement étranger » - quels que soient les montants ou les modalités et conditions de son octroi - est assimilé à un contrôle étranger. Peut-être s'agit-il effectivement d'une définition large et nouvelle de la relation mandant-agent, mais il n'y a aucune incertitude sur le fait que n'importe quelle ONG russe recevant un montant quelconque de financement « étranger » peut entrer dans le champ d'application de cette législation. Dès lors, la Cour estime que cette définition ne pose aucun problème de clarté ou de prévisibilité et que cette question doit être examinée ci-dessous sous l'angle de l'exigence de nécessité.
iv. Conclusion sur l'exigence de légalité
118. La Cour a conclu ci-dessus que deux notions clés de la loi sur les agents étrangers, tels que formulées et interprétées en pratique par les autorités russes, ne satisfaisaient pas à l'exigence de prévisibilité. Les faits des présentes affaires démontrent que la justice n'a pas fourni de garanties adéquates et efficaces contre l'exercice arbitraire et discriminatoire du pouvoir d'appréciation étendu confié à l'exécutif (voir, en comparaison, Lashmankin et autres c. Russie, nos 57818/09 et 14 autres, § 430, 7 février 2017). Ce constat suffirait à conclure à une violation de l'article 11 de la Convention, interprété à la lumière de l'article 10, au motif que l'ingérence n'était pas prévue par la loi. La Cour relève néanmoins que les questions qui se posent en l'espèce sont étroitement liées à la question plus large de savoir si l'ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ». Elle doit notamment vérifier si les restrictions imposées aux activités des requérants correspondaient en principe à un « besoin social impérieux » et si elles étaient proportionnées aux buts recherchés (Koretskyy et autres c. Ukraine, no 40269/02, § 49, 3 avril 2008, et Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov, précité, § 65).
c) But légitime
119. Les requérants admettent que l'ingérence poursuivait l'objectif légitime d'exercer un contrôle de la société et des autorités sur l'emploi des fonds reçus de sources étrangères.
120. Le Gouvernement soutient que l'ingérence visait à garantir le contrôle public, la sûreté et une plus grande transparence en ce qui concerne les activités politiques des ONG financées par l'étranger.
121. Les tiers intervenants, dont l'ILPP, la Rapporteuse spéciale, les ONG hongroises, la CIJ et Amnesty International, soutiennent que la protection de la souveraineté et de la sûreté ne peut pas être invoquée comme motif légal pour imposer des restrictions aux organisations de la société civile.
122. La Cour admet en principe que l'objectif d'amélioration de la transparence en matière de financement des organisations de la société civile peut correspondre au but légitime de défense de l'ordre prévu au paragraphe 2 de l'article 11 de la Convention.
d) « Nécessaire dans une société démocratique »
i. Principes généraux
123. La Cour rappelle que la possibilité pour les citoyens de former une personne morale afin d'agir collectivement dans un domaine de leur intérêt constitue un des aspects les plus importants du droit à la liberté d'association, sans quoi ce droit se trouverait dépourvu de tout sens. La manière dont la législation nationale consacre cette liberté et l'application de celle-ci par les autorités dans la pratique sont révélatrices de l'état de la démocratie dans le pays dont il s'agit. Assurément l'État dispose d'un droit de regard sur la conformité du but et des activités d'une association avec les règles fixées par la législation, mais le pouvoir qu'il a de protéger ses institutions et ses ressortissants des associations qui pourraient leur porter atteindre doit être utilisé avec parcimonie, car les exceptions à la règle de la liberté d'association appellent une interprétation stricte, seules des raisons convaincantes et impératives pouvant justifier des restrictions de cette liberté. Toute ingérence doit répondre à un « besoin social impérieux » ; le vocable « nécessaire » n'a donc pas la souplesse de termes tels qu'« utile » ou « opportun » (Sidiropoulos et autres c. Grèce, 10 juillet 1998, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV, et Gorzelik et autres, précité, §§ 88 et 94-95).
124. La Cour a aussi reconnu que la fonction consistant à créer des plateformes pour le débat public n'est pas l'apanage de la presse mais peut aussi être le fait d'autres acteurs, notamment des organisations non gouvernementales, dont les activités sont un élément essentiel d'un débat public éclairé. Elle a admis que lorsqu'une ONG appelle l'attention de l'opinion sur des sujets d'intérêt public, elle exerce un rôle de « chien de garde public » semblable par son importance à celui de la presse et peut donc être qualifiée de « chien de garde » social, fonction qui justifie qu'elle bénéficie en vertu de la Convention d'une protection similaire à celle accordée à la presse. Elle a reconnu l'apport important de la société civile au débat sur les affaires publiques. La manière dont les « chiens de garde publics » mènent leurs activités peut avoir une incidence importante sur le bon fonctionnement d'une société démocratique. Il est dans l'intérêt d'une société démocratique de permettre à la presse d'exercer son rôle crucial de « chien de garde public » en communiquant des informations sur des sujets d'intérêt public, et de donner aux ONG examinant les activités de l'État la possibilité de faire de même (Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], no 18030/11, §§ 166-167, 8 novembre 2016, avec d'autres références).
125. Il convient de rappeler en outre qu'il existe au sein de l'Europe une multitude de différences historiques, culturelles et politiques qu'il incombe à chaque État d'incorporer dans sa propre vision de la démocratie. Étant en prise directe et permanente avec les forces vives de leur pays, avec leur société et avec les besoins de celle-ci, les autorités nationales, tant législatives que judiciaires, sont en principe les mieux placées pour apprécier les difficultés particulières qu'implique la sauvegarde de l'ordre démocratique dans leur État. Il faut en conséquence reconnaître à l'État une certaine latitude pour procéder à pareille appréciation, complexe et tributaire des données propres à chaque pays, qui a joué un rôle crucial dans les choix législatifs examinés en l'espèce (Animal Defenders International, précité, § 111).
ii. La création d'un statut spécial d'« agent étranger » était-elle nécessaire dans une société démocratique ?
α) Observations des parties
126. Les requérants soutiennent que le terme « agent » seul, même non assorti de l'adjectif « étranger », a sans ambiguïté une connotation négative dans le contexte russe. Ils disent que, depuis l'époque de Staline, le mot « agent », employé de manière idiomatique, revêt un sens nettement négatif le plaçant dans la même catégorie sémantique que les mots « saboteur », « espion » et « traître ». Ils expliquent que le fait que les autorités russes étaient tout à fait conscientes de ces connotations négatives ressort de leur objection énergique à ce que leur représentant à la Cour soit qualifié d'« agent du gouvernement russe ». Ils relèvent que la Cour a admis que, contrairement aux représentants d'autres États membres désignés sous l'appellation d'agents, ce terme n'est pas employé pour désigner le représentant du gouvernement russe. Une enquête conduite auprès d'une large part de la population russe en décembre 2016 a révélé que 60 % des personnes interrogées avaient une conception négative de l'expression « agent étranger », 30 % de ces personnes une conception neutre et seulement 3 % une conception positive. Les pouvoirs publics eux-mêmes auraient directement assimilé l'« activité politique », au sens de la loi sur les agents étrangers, à des actions anti-étatiques et à l'affaiblissement du système constitutionnel. Le qualificatif d'« agent étranger » serait si honteux et offensant que certaines des organisations requérantes, afin d'éviter une humiliation publique, auraient refusé le financement étranger et auraient ainsi été contraintes de mettre fin à leurs projets et de cesser tout ou partie de leurs activités, ce qui serait une manifestation typique d'un « effet dissuasif ».
127. Le Gouvernement souligne que l'expression « agent étranger » n'a aucune connotation négative. Il invoque un arrêt rendu en 2014 par la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie, selon lequel la désignation d'ONG russes comme exerçant les fonctions d'« agent étranger » est conditionnée à la réception de fonds et d'autres biens de sources étrangères et vise à les identifier comme des « sujets spécifiques d'activités politiques menées sur le territoire russe ». Rien ne supposerait que ces organisations représentent une menace pour l'État ou les institutions publiques « quand bien même elles agiraient sur ordre ou pour le compte de bailleurs de fonds étrangers ». « Chercher à établir le contexte négatif » de l'expression « agent étranger » serait un stéréotype de l'ère soviétique qui n'aurait plus de sens dans les réalités d'aujourd'hui. Ce qualificatif n'impliquerait nullement que l'État verrait d'un mauvais œil une telle organisation et il ne pourrait être interprété comme la manifestation d'un manque de confiance ou d'une volonté de discréditer ces organisations, leurs objectifs ou leurs activités. L'enregistrement des organisations requérantes en tant qu'« organisations à but non lucratif exerçant les fonctions d'agent étranger » n'aurait en rien nui à leur capacité à exprimer librement leurs idées et à se livrer à des activités politiques, y compris à prendre part à des débats. Le Gouvernement dit attacher une importance décisive au fait que la loi sur les agents étrangers ne prévoit pas la liquidation des organisations en cas de défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ».
128. Le Commissaire observe que l'expression « agent étranger » a de fortes connotations négatives puisqu'elle est généralement associée dans le contexte historique russe à la notion d'« espion étranger » ou de « traître ». Des modifications de la loi auraient restreint la possibilité pour les organisations d'« agents étrangers » d'interagir avec des fonctionnaires et d'exercer certains types d'activités publiques. L'emploi du qualificatif d'« agent étranger » aurait nui non seulement à la capacité des organisations à but non lucratif à coopérer avec les institutions de l'État, mais également à leurs relations avec d'autres partenaires et avec le grand public. Les organisations à but non lucratif d'« agents étrangers » auraient également été la cible d'une campagne de diffamation dans les médias : l'organisation environnementale Planète de l'espoir aurait été accusée d'« espionnage industriel financé par l'argent américain » et sa présidente aurait été contrainte de fuir la Russie.
129. La CIJ, Amnesty International et la Fondation Helsinki pour les droits de l'homme soulignent l'effet stigmatisant du qualificatif d'« agents étrangers » attribué aux ONG. Ces mesures porteraient atteinte au droit à la liberté d'association garanti par l'article 11 de la Convention. Dans la mesure où elles nuiraient aussi à la capacité des ONG et de leurs représentants à participer au débat public, elles porteraient également atteinte au droit à la liberté d'expression consacré à l'article 10 de la Convention.
130. Les ONG hongroises estiment que la stigmatisation des ONG sert à discréditer ceux qui s'élèvent contre les activités préjudiciables des autorités. Critiquer les autorités équivaudrait à critiquer la nation elle-même.
β) Le choix d'une expression qui serait stigmatisante
131. Les parties divergent quant au sentiment que suscite l'expression « agent étranger ». Pour les requérants, les tiers intervenants et les experts indépendants, dont le Commissaire et la Commission de Venise, elle est « synonyme d'ostracisme ou de stigmatisation » aux yeux de larges couches de la population russe et pourrait donc constituer une menace pour le libre exercice des activités d'organisations à but non lucratif ainsi qualifiées (paragraphes 50 et 51 ci-dessus). La Commission de Venise souligne que, même hors du contexte historique particulier de la Russie, l'expression « agent étranger » a toujours une connotation négative dans la mesure où elle suggère qu'une organisation agit « au nom et dans l'intérêt de la source étrangère », plutôt que dans l'intérêt de la société russe (paragraphe 55 de l'avis cité au paragraphe 50 ci-dessus). Se référant à un arrêt de la Cour constitutionnelle, le Gouvernement affirme que l'expression « agent étranger » a perdu la connotation négative qu'il avait dans le passé. La Cour note qu'il n'étaye son assertion par aucun élément, alors que les conclusions d'un important sondage d'opinion auprès de la population russe semblent indiquer le contraire (paragraphe 126 ci-dessus). Le Gouvernement ne produit non plus aucun élément, ni n'apporte même un début d'explication, sur les raisons pour lesquelles l'expression « agent étranger » avait été retenue, sur les alternatives qui auraient été envisagées et sur l'éventuelle prise en compte des connotations que revêtent ce terme.
132. La Cour a déjà jugé que, même lorsque les mesures prises par les autorités n'ont pas effectivement restreint le droit pour une association d'exercer ses activités, l'emploi d'un langage stigmatisant pour décrire cette association pouvait avoir des conséquences néfastes sur son fonctionnement. Elle a jugé que l'utilisation de termes hostiles constituait une ingérence dans les droits d'une association et qu'il en fallait en justifier la nécessité dans une société démocratique (Leela Förderkreis e.V. et autres, précité, §§ 84-101, et, en comparaison, Aliyev c. Azerbaïdjan, nos 68762/14 et 71200/14, § 210, 20 septembre 2018). Elle relève aussi la position de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qui est que qualifier d'« organisations recevant de l'aide de l'étranger » des organisations de la société civile est susceptible de créer un climat généralisé de méfiance à l'égard de ces organisations et de les stigmatiser (paragraphe 47 ci-dessus).
133. Les parties semblent convenir que le terme « agent », dans son sens généralement accepté, désigne une personne ou une entité qui exécute certains travaux ou certaines tâches sur les ordres ou les instructions d'une autre personne physique ou morale (« mandant ») moyennant rémunération dans le cadre de la relation mandant-agent. Le terme « agent » a toujours été employé dans ce sens en droit civil russe, dans la législation et les règlements fédéraux, ainsi que dans de nombreux autres pays. L'ajout de l'adjectif « étranger » implique que le mandant est une entité étrangère pour le compte de laquelle l'agent opère.
134. Comme la Cour l'a noté au paragraphe 117 ci-dessus, la définition de l'« agent étranger » retenue dans la loi sur les agents étrangers entend la relation mandant-agent en un sens qui fait effectivement présumer l'existence d'un contrôle par le donateur sur le bénéficiaire des fonds - au lieu de l'établir au cas par cas –, même lorsque le bénéficiaire des fonds conserve une totale indépendance dans la gestion et les opérations quant à la fixation de ses projets, règles et priorités. Cette présomption est en outre irréfragable car la preuve de l'indépendance opérationnelle du bénéficiaire par rapport au donateur n'a juridiquement aucune pertinence dans la qualification d'« agent étranger » donnée à l'organisation ciblée, le simple fait de recevoir une somme d'argent de « sources étrangères » étant suffisant.
135. La pratique administrative et judiciaire dans les cas des requérants confirme cette interprétation de la relation mandant-agent : ni le ministère de la Justice ni les tribunaux n'ont jugé nécessaire de démontrer que les organisations requérantes avaient agi dans l'intérêt de sources étrangères et ils ont estimé que le fait qu'elles avaient reçu des financements étrangers et mené des activités politiques valait preuve suffisante de leur qualité d'« agents étrangers ». Dans aucun des cas d'espèce il n'a été affirmé ni établi que les organisations requérantes eussent agi au nom, sur les ordres ou dans l'intérêt d'une entité étrangère, ni qu'elles eussent été autre chose que des acteurs indépendants dans leurs sphères d'activité respectives. Par exemple, dans le cas du Centre méridional des droits de l'homme, l'organisation avait reçu des fonds d'une autre ONG russe qui avait déjà été inscrite au registre des agents étrangers, ce afin de créer son propre site Internet (paragraphe 652 ci-dessous). Une autre organisation requérante, Monde des femmes, a reçu un don d'une ONG russe pour organiser un événement de sensibilisation à la prévention des violences domestiques, et une autre encore, Tak-Tak-Tak, s'est servie de fonds de l'ambassade de France à Moscou pour organiser un séminaire sur la sécurité des défenseurs des droits de l'homme (paragraphes 666 et 680 ci-dessous). Lorsqu'ils ont décidé d'enregistrer ces organisations comme des « agents étrangers », ni le ministère de la Justice ni les tribunaux ne se sont souciés de démontrer qu'elles avaient agi en tant qu'« agents » dans l'intérêt des organisations indiquées comme étant les sources de leur financement étranger.
136. La Cour considère donc qu'attribuer le qualificatif d'« agent étranger » à toute organisation requérante ayant reçu des fonds d'entités étrangères était injustifié, préjudiciable et susceptible aussi d'avoir un important effet dissuasif et stigmatisant sur leurs opérations. Ce qualificatif les présentait comme étant sous contrôle étranger, alors qu'elles se considéraient comme des membres de la société civile nationale œuvrant pour le respect des droits de l'homme, de la prééminence du droit et du développement humain au profit de la société russe et de son système démocratique.
γ) La création d'une nouvelle catégorie d'ONG d'« agent étranger »
137. Le choix d'une expression permettant de désigner une nouvelle catégorie d'organisations à but non lucratif russes s'inscrit dans la question plus large de savoir si la création du statut y attaché peut se justifier comme étant « nécessaire dans une société démocratique ».
138. La Cour rappelle que l'État peut, dans le respect des dispositions de la Convention, adopter des mesures générales qui s'appliquent à des situations prédéfinies indépendamment des circonstances propres à chaque cas individuel, même si ces mesures risquent de conduire à des difficultés dans certains cas particuliers. Pour déterminer la proportionnalité d'une mesure générale, elle doit commencer par étudier les choix législatifs à l'origine de la mesure. La qualité de l'examen parlementaire et judiciaire de la nécessité de la mesure réalisé au niveau national revêt une importance particulière à cet égard, y compris pour ce qui est de l'application de la marge d'appréciation pertinente (Animal Defenders International, précité, §§ 106‑110).
139. Le processus démocratique est un processus continu qui doit être soutenu en permanence par un débat public libre et pluraliste, et poursuivi par de nombreux acteurs de la société civile, notamment les militants individuels et les ONG (ibidem, § 111). Lorsque des risques pesant sur ce processus sont détectés, la présence étrangère dans certains domaines sensibles - tels que les élections ou le financement de mouvements politiques - peut justifier que l'État retienne une réglementation ou des restrictions plus strictes, dans la mesure où garantir la transparence des ONG recevant des financements étrangers substantiels est un objectif légitime. Néanmoins, comme la Cour l'a constaté ci-dessus, le champ d'application de la loi sur les agents étrangers et, en particulier, la définition de la notion d'« activités politiques » vont bien plus loin que ce qu'on considère habituellement comme des questions de sécurité nationale ou des intérêts sensibles de l'État. Pour l'essentiel, la règlementation semble reposer sur l'idée que des questions telles que le respect des droits de l'homme et de la prééminence du droit constituent des « affaires internes » à l'État et que tout examen externe de ces questions est suspect et constitue une menace potentielle pour les intérêts nationaux. Cette conception n'est pas compatible avec les travaux préparatoires de la Convention et les valeurs qui la sous-tendent en tant qu'instrument de l'ordre public et de la sécurité collective en Europe, où les droits de chacun dans l'espace juridique de la Convention sont un impératif pour tous les États membres du Conseil de l'Europe.
140. La Cour note à cet égard que, même antérieurement à la loi sur les agents étrangers, la législation sur les organisations à but non lucratif prévoyait des mécanismes permettant à l'État et à la société d'exercer un contrôle sur la réception et la dépense de fonds par ces organisations, y compris de fonds de sources étrangères. Le Gouvernement n'a cerné dans le régime juridique auparavant en vigueur aucune lacune ni aucun risque d'abus auquel la création d'un nouveau statut d'« agents étrangers » aurait cherché à remédier, de sorte que la Cour ne peut saisir la raison d'être de la nouvelle réglementation. Le statut d'« agent étranger » semble plutôt avoir été mis en place afin de distinguer les organisations requérantes des autres organisations à but non lucratif et de les soumettre, elles et leurs activités, à un contrôle beaucoup plus strict de l'État.
141. L'attribution à une organisation du qualificatif d'« agent étranger » entraîne pour elle non seulement des obligations additionnelles en matière de comptabilité et de déclarations, que la Cour examinera ci-dessous, mais aussi un certain nombre de répercussions négatives qui vont au-delà des simples conséquences juridiques. Le Commissaire et la Commission de Venise ont relevé qu'une organisation à but non lucratif qualifiée d'« agent étranger » « se heurterait très probablement à un climat de méfiance, de peur et d'hostilité qui en rendrait difficile le fonctionnement ». Ils citent l'exemple de personnes sans abri qui ont refusé l'offre d'hébergement de représentants d'une ONG humanitaire parce qu'elles ne souhaitaient pas l'aide d'« agents étrangers » (paragraphe 54 de l'avis cité au paragraphe 50 ci-dessus).
142. La Cour est particulièrement préoccupée par le fait que le statut d'« agent étranger » a gravement nui aux possibilités d'interaction des organisations requérantes avec les représentants des pouvoirs publics, y compris ceux avec lesquels elles avaient travaillé pendant de nombreuses années avant qu'elles ne soient enregistrées en tant qu'« agents étrangers ». Le Commissaire et la Commission de Venise ont noté que les représentants des institutions de l'État seraient très probablement réticents à coopérer avec des organisations d'« agents étrangers », en particulier dans les discussions sur d'éventuelles réformes de la législation ou des politiques publiques (paragraphe 55 de l'avis cité au paragraphe 50 ci-dessus). Un tel risque s'est effectivement concrétisé. Ainsi, dans le cas de Memorial Ekaterinbourg, le département de l'enseignement général et professionnel de la région de Sverdlovsk a envoyé une lettre circulaire no 02-01-82/1861 du 10 mars 2017 imposant aux directeurs des établissements d'enseignement secondaire et supérieur de la région de « prendre des mesures afin de restreindre la participation des éducateurs et des étudiants » dans le cadre des événements organisés par cette organisation « d'agent étranger » spécifique. Le Centre d'éducation civile a reçu des lettres de quatre établissements d'enseignement publics et municipaux indiquant que ceux-ci ne souhaitaient plus collaborer avec lui depuis qu'il avait été enregistré en tant qu'« agent étranger ». À la suite de son inscription au registre des « agents étrangers », Veille écologique de Sakhaline a reçu une lettre similaire du département régional des gardes‑frontières de Sakhaline, avec lequel il avait déjà collaboré auparavant avec succès dans la prévention du braconnage.
143. Les autorités de l'exécutif ont cherché à se distancer des organisations d'« agents étrangers » et à rompre tout lien avec leurs dirigeants ou leurs membres. Dans le cas de Monde des femmes, par le décret no 196 du 30 décembre 2015, le gouverneur de la région de Kaliningrad a interdit aux membres des organisations d'« agents étrangers » d'être membres du Conseil sociopolitique du gouverneur, et le directeur de cette organisation requérante a été exclu de ce conseil. Le 14 septembre 2015, il a été interdit à un avocat du Centre des droits de l'homme de Perm de participer à une réunion d'un comité de qualifications judiciaires en raison de ses liens avec cette organisation d'« agent étranger ». Il a finalement pu reprendre ces travaux, mais pas avant de s'être affilié ailleurs.
144. Des restrictions à la participation des organisations d'« agents étrangers » à la vie politique et sociale de la société russe ont été introduites peu à peu dans la législation fédérale. Une série de réformes des lois électorales ont refusé à ces organisations toute forme de participation à quelque type d'élection que ce soit (paragraphe 30 ci-dessus). Les organisations requérantes qui défendent des élections équitables et font office de « chiens de garde électoraux » - l'Association Golos et la Fondation Golos, entre autres - se sont vu refuser la possibilité de poursuivre leurs missions d'observateurs électoraux indépendants. La législation modifiée assimile la situation des organisations russes d'« agents étrangers » à celle des observateurs étrangers ou internationaux. Elle a fixé une procédure pour inviter les observateurs étrangers ou internationaux, mais sans définir de procédure équivalente pour inviter les organisations nationales, ce qui contrecarre de fait toute activité de veille des organisations russes dès lors qu'elles ont été qualifiées d'« agents étrangers ».
145. Dans des cas plus récents, les restrictions aux activités des organisations d'« agents étrangers » ont été étendues bien au-delà du domaine politique de façon à saper leur mission d'observateurs indépendants de l'action des pouvoirs publics dans d'autres domaines. Les réformes de 2018 ont ôté aux organisations d'« agents étrangers » le droit de désigner des candidats aux organes publics de contrôle, qui sont les seules institutions de la société civile habilitées à accéder aux établissements pénitentiaires et à signaler les problèmes de respect des droits de l'homme en milieu carcéral (paragraphe 34 ci-dessus, et Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, §§ 105-106, 10 janvier 2012). Une autre loi a privé les organisations d'« agents étrangers » de la possibilité de dénoncer aux pouvoirs publics les cas potentiels de concussion ou de corruption qui pourraient se présenter dans le contexte d'un projet de loi (paragraphe 35 ci-dessus).
δ) Conclusion
146. En conclusion, la création du nouveau statut a sévèrement restreint la capacité des organisations requérantes à poursuivre leurs activités, en raison de l'attitude négative des groupes concernés et des restrictions réglementaires et législatives entravant l'intervention des organisations d'« agents étrangers » dans les projets de coopération et de contrôle. L'enregistrement de ces organisations en tant qu'« agents étrangers » limite leurs possibilités de participation à la vie publique et d'exercice des activités auxquelles elles se livraient avant la création de la nouvelle catégorie d'« agents étrangers ». Le Gouvernement n'a pas été en mesure de justifier par des raisons « pertinentes et suffisantes » la création de cette nouvelle catégorie, ni de démontrer que ces mesures favorisaient l'objectif déclaré d'améliorer la transparence. La création de ce statut tel que défini par le droit interne n'était donc pas « nécessaire dans une société démocratique ».
iii. Les obligations additionnelles en matière de comptabilité et de déclarations étaient-elles nécessaires dans une société démocratique ?
α) Observations des parties
147. Les requérants soutiennent que les obligations additionnelles en matière de contrôle et de déclarations qui leur étaient applicables de par leur qualité d'organisations d'« agents étrangers » représentaient une lourde charge et mobilisaient leur temps et leurs ressources. Dans un contexte de pénurie de ressources, les organisations d'« agents étrangers » auraient de plus en plus recentré leurs activités principales sur la fourniture aux autorités de divers comptes rendus supplémentaires et sur la préparation des inspections, tandis qu'elles auraient été contraintes de réduire considérablement leurs activités de base. Leur personnel aurait été forcé de produire quatre fois plus de justificatifs que les autres organisations à but non lucratif et de payer des sommes importantes pour la vérification annuelle obligatoire des comptes - entre 50 000 et 250 000 RUB (soit 1 250 et 8 250 EUR à l'époque des faits). Ces coûts fixes auraient été sans rapport avec le montant des financements étrangers reçus ni avec le budget global de l'organisation et auraient représenté une charge disproportionnée, en particulier pour les organisations disposant de moindres ressources. Il aurait également existé pour elles un risque constant de poursuites administratives, même en cas de retards minimes ou d'inexactitudes superficielles dans les déclarations.
148. Le Gouvernement soutient que les obligations en matière de déclarations s'appliquaient non seulement aux organisations d'« agents étrangers », mais aussi aux sociétés publiques ou privées ainsi qu'aux succursales locales d'ONG de droit étranger. Les obligations en matière de déclarations financières auraient été comparables à celles existant dans d'autres pays (le Gouvernement se réfère notamment au Registre de transparence de l'Union européenne et aux Principes fondamentaux –paragraphes 42 et 43 ci-dessus). Elles n'auraient fait peser aucune charge excessive sur les ONG et auraient permis aux autorités nationales de garantir la transparence de leur financement et de recevoir des déclarations à jour sur les activités de ces organisations. Les obligations en matière de déclarations auraient également visé à mieux protéger la sécurité nationale et à « sensibiliser le public » au fait que des personnes physiques et morales de l'étranger participaient au soutien d'organisations se livrant à des activités politiques et exerçant une influence sur la politique russe et les fondations de l'État. Enfin, le Gouvernement cite des exemples de décisions internes dans lesquelles les tribunaux auraient abandonné une procédure pour infraction administrative ouverte pour non-présentation des pièces obligatoires.
149. L'ILPP soutient que la loi sur les agents étrangers fait peser des charges financières et administratives supplémentaires sur les ONG recevant un financement étranger. Il serait estimé que, chaque année, les ONG d'« agents étrangers » sont contraintes de dépenser en moyenne 273 000 RUB de plus que les autres ONG. En comparaison, les obligations de divulgation et de déclaration imposées aux lobbyistes contrôlés par des dirigeants étrangers, prévues par le FARA aux États-Unis, seraient fondamentalement différentes dans la mesure où elles viseraient les services de lobbying, de conseil et de relations publiques plutôt que les organisations de la société civile, alors que la loi russe sur les agents étrangers viserait ces dernières.
150. La Rapporteuse spéciale fait observer que les autorités d'enregistrement doivent être indépendantes de l'État ; que les obligations de déclaration devraient être simples, uniformes et prévisibles ; que les organes chargés de l'enregistrement et du contrôle ne devraient procéder à des inspections que pendant les heures normales de travail, avec un préavis suffisant ; et que leurs pouvoirs ne devraient pas être détournés afin de harceler ou d'intimider des organisations.
151. L'ISHR soutient que tant que les organisations d'« agents étrangers » auront à se conformer à des obligations de déclaration lourdes et plus fréquentes, les conséquences pratiques qu'emporte la qualité d'« agent étranger » pourront être qualifiées d'« entraves ». La CIJ et Amnesty International soulignent que les mesures restreignant les ONG ou leur imposant des charges administratives doivent être aussi peu intrusives que possible, compte dûment tenu de l'importance des intérêts en jeu. Les ONG hongroises disent que les mesures prescrites par la loi sur les agents étrangers sont disproportionnées à l'objectif affiché de transparence et que les obligations d'enregistrement et de déclaration des activités, tout comme les inspections extraordinaires, ne sont pas conformes à l'objectif poursuivi.
β) Appréciation de la Cour
152. La Cour rappelle que les États peuvent poser dans leur législation des normes et des obligations en matière de gouvernance et de gestion des personnes morales et d'en vérifier le respect par ces dernières. D'ailleurs, les lois internes de nombreux États membres du Conseil de l'Europe prévoient de telles normes et obligations, avec un régime plus ou moins contraignant (Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov, précité, § 72). Toutefois, toute modification de la loi faisant peser des obligations nouvelles sur les personnes morales préexistantes doit être justifiée notamment comme étant « nécessaire dans une société démocratique » (Branche de Moscou de l'Armée du Salut, précité, §§ 73-77, et passim).
153. Depuis 2006, les organisations à but non lucratif russes sont toutes tenues de produire un compte rendu annuel de leurs activités et de leurs sources de financement, comportant notamment des renseignements sur l'utilisation des fonds, et de soumettre ce document au ministère de la Justice dans un format préétabli, en indiquant leurs sources de financement étrangères dans la case spéciale du formulaire prévu à cet effet. Le compte rendu doit également être mis en ligne gratuitement, à la fois sur le site Internet du ministère de la Justice et sur celui de l'organisation. Par conséquent, même avant l'adoption de la loi sur les agents étrangers, les activités des organisations à but non lucratif, leur situation financière et leurs sources de financement étaient publiques et transparentes, et elles étaient en outre pleinement contrôlées par les pouvoirs publics. Le Gouvernement ne soutient pas que ce régime juridique fût défaillant ou déficient à quelque égard que ce soit.
154. La loi sur les agents étrangers ne modifie pas ni n'élargit la portée des renseignements que les organisations à but non lucratif d'« agents étrangers » doivent fournir aux autorités ou publier. Cependant, elle a considérablement augmenté la fréquence des comptes rendus, en en imposant jusqu'à quatre par an, alors qu'auparavant un seul suffisait. À partir du moment où elles étaient enregistrées en tant qu'organisations d'« agents étrangers », les organisations requérantes étaient tenues de soumettre deux fois par an des déclarations sur leurs activités et sur la composition de leurs conseils d'administration, des déclarations sur la manière dont les fonds de source étrangère avaient été dépensés ou dont les biens avaient été utilisés, ainsi qu'une déclaration de vérification des comptes certifiée une fois par an. Les déclarations devaient être mises en ligne sur leurs sites Internet respectifs et sur celui du ministère de la Justice deux fois plus souvent qu'auparavant. Le respect de ces obligations était vérifié par le ministère de la Justice, et leur non-respect était sanctionné par des amendes d'un montant plusieurs fois supérieur à celui applicable au non-respect par les organisations à but non lucratif non inscrites au registre des « agents étrangers ». Ces dernières organisations pouvaient être condamnées à une amende d'un montant allant de 3 000 à 5 000 RUB pour non-communication aux autorités étatiques ou municipales des informations requises (article 19.7 du CIAD), tandis que les organisations d'« agent étranger » étaient passibles d'une amende d'un montant allant de 100 000 à 300 000 RUB pour la même infraction (article 19.7.5-2 du CIAD - paragraphe 24 ci-dessus). Ainsi, au seul motif que l'organisation Monde des femmes était inscrite au registre des « agents étrangers » et n'avait pas soumis dans les délais ses déclarations tenant à sa qualité d'« agent étranger » pour les deuxième et quatrième trimestres de 2016, les tribunaux internes lui ont infligé une amende de 100 000 RUB (paragraphe 682 ci-dessous).
155. À partir du moment où elles étaient qualifiées d'« agents étrangers », les organisations requérantes étaient soumises à l'obligation supplémentaire de se soumettre à une vérification des comptes annuelle. Le Gouvernement souligne que cette obligation n'est pas discriminatoire car elle s'applique également selon lui aux sociétés publiques. La Cour estime que les sociétés publiques ne constituent pas un élément de comparaison pertinent. Il s'agit de grands opérateurs commerciaux gérant l'argent public et disposant de ressources financières et humaines importantes : une vérification de leurs comptes est nécessaire afin de suivre de près l'usage des fonds publics et la lutte contre la corruption, la mauvaise gestion et le gaspillage des ressources. En revanche, les organisations à but non lucratif soumettaient aux autorités de régulation des déclarations financières complètes, indiquant notamment leurs sources de financement, avant même l'adoption de la loi sur les agents étrangers. Le Gouvernement n'explique pas en quoi la nouvelle obligation aurait amélioré la transparence des activités de ces organisations et protégé la « sécurité nationale ». La Cour note également que les services de vérification des comptes, qui sont onéreux, grevaient les finances et le fonctionnement des organisations requérantes (paragraphe 147 ci-dessus). Dans le cas susmentionné de Monde des femmes, il y avait un motif supplémentaire à l'imposition d'une amende de 100 000 RUB : l'organisation n'avait pas soumis de déclaration de vérification des comptes pour 2016 et les tribunaux n'avaient pas accepté son explication selon laquelle elle n'avait pas les fonds nécessaires pour supporter les coûts de production d'une telle pièce.
156. Une obligation supplémentaire pesant sur les organisations « d'agent étranger » a été introduite en 2017 : toutes les organisations auxquelles la loi imposait une vérification des comptes obligatoire - une catégorie qui incluait les organisations d'« agents étrangers » - étaient tenues d'en saisir les résultats dans le Registre fédéral unifié des renseignements sur les activités des personnes morales via le portail en ligne fedresurs.ru. Ces résultats devaient être mis en ligne dans les trois jours ouvrables suivant leur réception, ce qui rendait cette obligation particulièrement lourde non seulement vu l'urgence, mais aussi en raison du coût, car pour accéder à fedresurs.ru et publier ses déclarations de vérification des comptes, les organisations requérantes étaient contraintes d'acquitter des frais supplémentaires d'obtention d'une autre signature électronique spéciale, différente de celle utilisée dans le secteur bancaire. La Cour constate qu'aucune exigence comparable ne s'appliquait aux autres organisations à but non lucratif ou commerciales, même lorsque le budget de ces dernières pouvait largement dépasser le financement dont disposaient les organisations requérantes.
157. La Cour note également que les organisations « d'agent étranger » ne peuvent pas se servir de la forme simplifiée de comptabilité que toutes les autres organisations à but non lucratif peuvent utiliser (paragraphe 29 ci‑dessus). Le Gouvernement n'explique pas pourquoi il a été jugé nécessaire de refuser à ces organisations le bénéfice de l'accès à une forme de comptabilité permettant de réduire leurs formalités administratives.
158. Enfin, quant à l'obligation supplémentaire de se soumettre à des inspections, les autorités effectuent des inspections de routine des organisations d'« agents étrangers » trois fois plus souvent que pour les autres organisations à but non lucratif, sur une base annuelle plutôt que triennale. Le Gouvernement ne justifie par aucune raison ce renforcement du contrôle exercé sur les organisations requérantes. Indépendamment de l'objectif affiché d'amélioration de la transparence qui est a priori poursuivi, tout risque d'irrégularité de la part d'une organisation est efficacement atténué par le pouvoir du ministère de la Justice lui permettant de procéder à des inspections inopinées (paragraphe 18 ci-dessus). Si l'objectif que visent les inspections est indéniablement important, l'usage excessif du pouvoir de s'immiscer dans le fonctionnement d'une organisation de la société civile ne doit jamais servir d'outil permettant d'exercer un contrôle sur elle.
159. Bref, la Cour estime que le Gouvernement n'a pas justifié par des raisons « pertinentes et suffisantes » l'imposition d'obligations additionnelles aux organisations requérantes du seul fait de leur inscription au registre des « agents étrangers ». La Cour ne parvient pas à considérer que la fréquence accrue des déclarations et des contrôles, l'obligation faite aux organisations d'« agents étrangers » de procéder à une vérification des comptes obligatoire et d'en publier les résultats sur un site Internet ad hoc, ou encore l'interdiction faite à ces organisations de bénéficier d'une comptabilité simplifiée pourrait considérablement faciliter la fourniture d'informations plus transparentes et plus complètes au public, comme le Gouvernement l'affirme. En tout état de cause, ces mesures supplémentaires faisaient peser une charge financière et organisationnelle importante et excessive sur les organisations requérantes et sur leur personnel, et elles ont nui à leur capacité à exercer leurs activités principales. La Cour conclut que les obligations additionnelles prévues par la loi sur les agents étrangers et la législation ultérieure n'étaient pas « nécessaires dans une société démocratique » ni proportionnées aux objectifs affiches.
iv. La restriction de l'accès à des sources de financement était-elle nécessaire dans une société démocratique ?
α) Observations des parties
160. Les requérants soulignent que la loi sur les agents étrangers assortit l'obtention de financements étrangers d'une multitude d'obligations, notamment la production plus fréquente de comptes rendus, une comptabilité séparée pour les financements étrangers, des audits obligatoires, des mentions à indiquer sur les publications, des inspections plus fréquentes, etc. La seule façon pour eux d'échapper au fardeau des obligations additionnelles aurait été de refuser complètement tout financement étranger et de restituer toute somme précédemment allouée aux organisations. La hausse du financement national pendant sept ans aurait été bien moins importante que ce que prétend le Gouvernement. Par ailleurs, ce dernier se serait contenté de citer les montants totaux alloués à toutes les organisations à but non lucratif, sans préciser le montant des sommes affectées aux activités touchant les domaines de spécialisation des organisations requérantes. Il n'aurait pas précisé quels étaient les critères de sélection des demandes de financement public, ni fait état de garanties permettant de veiller à ce que les demandes de financement soient examinées en fonction de leurs seuls mérites, et non de la compatibilité des avis et positions de l'organisation en question avec la politique dominante de l'État. La quasi-totalité des organisations requérantes qui avaient sollicité un financement de l'État n'en auraient obtenu aucun, tout comme les autres organisations inscrites au registre des « agents étrangers ».
161. Le Gouvernement dit que l'obligation de demander l'enregistrement en tant qu'« agent étranger » n'empêche pas une organisation de recevoir des fonds et des biens de sources étrangères et d'organisations internationales. En aucun cas les organisations d'« agents étrangers » ne seraient empêchées de recevoir une aide de l'État. L'État aurait lancé un programme de soutien pour financer les organismes mettant en œuvre des « projets d'importance sociale » et des « projets dans le domaine de la protection des droits et libertés ». Entre 2011 et 2017, le montant total de l'aide publique aurait été multiplié par sept, passant de 1 à 7 milliards de roubles. Dans le budget pour 2018, un montant total de plus de 8 milliards de roubles aurait été affecté au développement des institutions de la société civile mettant en œuvre des « projets d'importance sociale ». Deux organisations requérantes, le Centre Levada et le Centre de droit social et de droit du travail, auraient obtenu des subventions présidentielles en 2018 aux fins de recherches sur les soins palliatifs et sur les droits sociaux. D'autres organisations requérantes, notamment Memorial Ryazan, L'Homme et le droit, l'Association médicale de Chapayevsk et Monde des femmes, auraient participé au concours pour obtenir des subventions présidentielles, mais auraient échoué. Ces éléments montreraient qu'il n'y a aucun obstacle pour les organisations requérantes qui souhaiteraient solliciter et recevoir un financement de l'État. Les allocations et subventions octroyées par la Chambre publique de la Fédération de Russie, ainsi que par les gouvernements et ministères fédéraux et régionaux, complèteraient le soutien financier des ONG actives dans la société.
162. L'ILPP soutient que le droit international garantit l'accès aux ressources pour les ONG en tant qu'élément inhérent à leur droit à la liberté d'association (article 6 f) de la Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction et article 13 de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l'homme). La loi sur les agents étrangers heurterait le droit des ONG à accéder à un financement dans la mesure où elle découragerait le recours aux financements étrangers par l'usage de l'expression péjorative « agent étranger » et par l'imposition de charges financières et administratives supplémentaires aux ONG recourant à un financement étranger.
163. La Rapporteuse spéciale soutient que la liberté d'association englobe le droit des ONG à accéder à des ressources financières et que, sans ces ressources, les ONG ne peuvent pas jouir de la liberté d'association. Le droit de recevoir et d'utiliser des ressources provenant de sources étrangères et internationales serait reconnu et protégé par le droit international.
164. L'ISHR, la Fondation Helsinki pour les droits de l'homme et Media Legal Defence Initiative font observer que de nombreuses organisations ont évité de rechercher un soutien financier étranger ou ont fermé leurs portes parce qu'elles ne pouvaient pas se conformer à des obligations excessives. Ils ajoutent que la stigmatisation négative associée au qualificatif d'« agent étranger » a découragé les donateurs russes de coopérer avec elles.
β) Appréciation de la Cour
165. La Cour rappelle que lorsque le droit interne restreint la capacité d'une association à recevoir des subventions ou autres contributions financières qui constituent l'une des principales sources de son financement, l'association ne pourra peut-être pas se livrer aux activités qui constituent sa principale raison d'être (Ramazanova et autres c. Azerbaïdjan, no 44363/02, § 59, 1er février 2007). Si les États peuvent avoir des raisons légitimes de contrôler les opérations financières conformément au droit international, en vue de prévenir le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme et de l'extrémisme, la capacité d'une association à solliciter, recevoir et utiliser des financements afin de pouvoir promouvoir et défendre sa cause est un attribut du droit à la liberté d'association (Aliyev, précité, § 212). Les limites dont une restriction généralisée du droit à la liberté d'association et l'existence d'alternatives sont assorties sont également des facteurs importants dans l'appréciation de la proportionnalité de la restriction (Animal Defenders International, précité, § 117).
166. La Cour convient avec la CJUE que l'objectif d'amélioration de la transparence du financement associatif, pour légitime qu'il soit, ne peut justifier une législation qui se fonde sur une présomption de principe appliquée sans discernement selon laquelle toute aide financière versée par une personne morale établie ailleurs que dans le pays et toute organisation de la société civile recevant une telle aide financière sont intrinsèquement susceptibles de mettre en péril les intérêts politiques et économiques de l'État en question ainsi que le fonctionnement sans ingérence de ses institutions. Le cadre réglementaire doit correspondre à l'hypothèse d'une menace suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société, que les obligations imposées sont censées prévenir (paragraphes 46-47 ci-dessus).
167. La loi sur les agents étrangers ne contient aucune disposition interdisant totalement le financement étranger. Cependant, elle n'établit pas de montant ni de part minimum de « financement étranger » dans le budget d'une organisation, de sorte qu'une organisation régulièrement financée de l'étranger, une organisation qui s'est vu décerner un prix international pour ses travaux ou une organisation qui a reçu des licences d'usage d'ordinateurs ou de logiciels d'une entreprise internationale serait chacune considérée, sans discernement, comme financée par des « sources étrangères ». Si une organisation bénéficiant d'un tel financement est également réputée exercer des « activités politiques », elle est susceptible d'être enregistrée en tant qu'« agent étranger ». La Cour a constaté ci-dessus qu'en pratique les autorités internes donnaient une interprétation extrêmement large et imprévisible aux notions de « sources étrangères » et d'« activités politiques ». Même les activités habituelles des organisations de la société civile, pourtant expressément exclues du champ de l'« activité politique », sont interprétées de telle manière qu'elles sont dans leur quasi-totalité jugées constitutives d'une « activité politique » (paragraphes 96-100 ci-dessus). En raison de cette situation, il était difficile pour les organisations requérantes de prévoir lesquelles de leurs actions précises pouvaient conduire à leur enregistrement en tant qu'« agents étrangers », ce qui aurait fait peser sur elles une multitude d'obligations additionnelles en matière de déclarations et de comptabilité et nui à leur capacité à fonctionner du fait de la quantité de ressources et de temps qu'elles auraient dû mobiliser pour se plier à ces obligations.
168. En l'absence de conditions claires quant à l'applicabilité de la loi sur les agents étrangers, la seule façon pour les organisations requérantes d'éviter l'application du qualificatif d'« agent étranger » et des restrictions y associées et de poursuivre leurs activités était de renoncer complètement au « financement étranger ». Les requérants étaient donc confrontés à un choix : soit refuser tout « financement étranger » dans l'interprétation la plus large possible de cette expression, soit engager des frais supplémentaires pour payer les prestations nécessaires aux déclarations, à la comptabilité et aux audits et respecter les autres exigences, comme les mentions dans les publications et les inspections fréquentes. En imposant ce choix aux organisations requérantes, la loi sur les agents étrangers les a obligées à opter pour un financement exclusivement national ou étranger, ce qui a ainsi limité effectivement les possibilités de financement disponibles.
169. La Cour estime que forcer le choix entre accepter des financements étrangers et solliciter des financements publics nationaux constitue une fausse alternative. Afin de garantir qu'elles puissent jouer leur rôle de « chiens de garde de la société », les ONG devraient être libres de solliciter et de recevoir des financements auprès de sources diverses. La diversité de ces sources permet de renforcer l'indépendance des bénéficiaires de ces financements dans une société démocratique.
170. En outre, la Cour n'est pas convaincue par l'argument du Gouvernement selon lequel les aides et subventions nationales accordées aux organisations à but non lucratif mettant en œuvre des « projets d'importance sociale » permettaient de compenser adéquatement les financements étrangers et internationaux précédemment disponibles.
171. Premièrement, la mention par le Gouvernement du soutien existant apporté aux organisations « à vocation sociale » est sans pertinence en l'espèce car, par l'effet d'une interdiction expresse prévue par la législation, les organisations d'« agents étrangers » - telles que les organisations requérantes - ne peuvent pas se voir accorder la qualité de « prestataires de services utiles pour la société » et solliciter le financement prioritaire exclusivement associé à cette qualité (paragraphe 33 ci-dessus). En outre, contrairement aux autres organisations à but non lucratif, les organisations qualifiées d'« agents étrangers » ne peuvent pas être considérées comme étant « à vocation sociale » et avoir ainsi accès aux programmes d'aide financière de l'État, alors que pourtant les œuvres caritatives sont expressément exclues du champ d'application de la loi sur les agents étrangers.
172. Deuxièmement, en raison de l'incapacité des organisations requérantes à obtenir un financement en tant qu'organisations « à vocation sociale » et du faible développement du système de donations privées en Russie, le financement national ne peut provenir que du budget fédéral sous la forme de subventions présidentielles. Si le Gouvernement souligne que les crédits affectés aux subventions ont nettement augmenté, il ne fournit aucune indication quant aux critères d'attribution de celles-ci ni, surtout, quant aux garanties institutionnelles permettant de confirmer l'indépendance des bénéficiaires de subventions et de s'assurer que l'argent a été alloué à des projets méritoires. Les experts qui avaient étudié la pratique de l'attribution des subventions à l'époque des faits ont conclu que les organisations à but non lucratif étroitement liées aux pouvoirs publics étaient de loin les plus grands bénéficiaires de subventions (paragraphe 64 ci-dessus).
173. Le Gouvernement n'est pas parvenu à démontrer que les organisations requérantes qui avaient été contraintes de refuser les financements étrangers sous la menace d'une inscription au registre des « agents étrangers » auraient pu obtenir un accès aux financements nationaux sur une base transparente et non discriminatoire. Il n'a pas non plus avancé de raisons « pertinentes et suffisantes » qui auraient justifié que les organisations requérantes étaient amenées à choisir entre, d'une part, la poursuite de leurs activités tout en acceptant des financements étrangers et les lourdes obligations associées à la qualité d'« agent étranger » et, d'autre part, la réduction considérable de leurs activités en raison de l'insuffisance ou de l'absence totale d'un financement national. Sans financement adéquat, les organisations requérantes ne pouvaient pas mener à bien les activités qui constituaient l'objectif principal pour lequel elles avaient été créées, et certaines d'entre elles ont dû être dissoutes. Ni les autorités de l'exécutif ni les tribunaux nationaux n'ont abordé les conséquences des dispositions relatives au « financement étranger » sur les travaux de ces organisations, ou la possibilité d'accéder à d'autres modes de financement en Russie. Il n'a donc pas été démontré que les restrictions à l'accès au financement étaient « nécessaires dans une société démocratique ».
v. Nature et sévérité des peines
α) Observations des parties
174. Les organisations requérantes soutiennent qu'elles se sont vu infliger une amende pour avoir omis d'introduire la demande d'enregistrement requise en tant qu'« agent étranger » auprès du ministère de la Justice alors que, selon elles, elles ne pouvaient pas prévoir que leurs activités seraient qualifiées de « politiques » au sens de la loi sur les agents étrangers. Elles affirment que, pourtant, leurs activités n'ont pas eu et ne pouvaient pas avoir de conséquences préjudiciables telles qu'une menace pour la sécurité nationale ou la sûreté publique. Elles disent que le Gouvernement n'a présenté aucun élément montrant qu'elles auraient fait naître un risque réel d'atteinte à l'une quelconque des valeurs garanties par la Convention. Elles allèguent que tout danger qui existerait en principe lorsqu'une organisation à but non lucratif ne s'enregistre pas comme « agent étranger » serait complètement neutralisé par le pouvoir permettant au ministère de la Justice, à sa seule discrétion, d'inscrire des organisations au registre des agents étrangers. Elles estiment que les sanctions qu'elles ont subies étaient non seulement excessives, mais aussi imprévisibles, et que les amendes infligées à elles et à leurs dirigeants étaient très variables dans leurs montants. Elles ajoutent que la législation ne pondère nulle part la gravité des sanctions selon la gravité relative de telle ou telle infraction.
175. Le Gouvernement dit que les sanctions imposées pour les violations de la loi sur les agents étrangers étaient proportionnées à la gravité des infractions. Il soutient que les dispositions de la loi étaient accessibles et prévisibles, et clairement formulées, sans ambiguïtés ni contradictions. Il expose que, depuis l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle en 2014, il était possible de réduire le montant d'une amende administrative pour les infractions d'« agent étranger », au sens de l'article 19.34 du CIAD, en deçà du plancher fixé par cette disposition, et que les tribunaux nationaux ont infligé des amendes moins lourdes dans plusieurs cas. Il affirme que, si les tribunaux n'ont pas pris en compte l'incidence éventuelle des amendes en question sur la pérennité des activités des organisations requérantes, c'est parce que celles-ci n'ont pas invoqué leurs difficultés financières ni fourni de pièces au sujet de l'état de leurs finances. Il fait observer que les sanctions imposées jusqu'à présent étaient toutes de nature administrative, les dispositions régissant la responsabilité pénale énoncées à l'article 330.1 du code pénal n'ayant encore jamais été appliquées. Il ajoute que, pour des infractions similaires, la législation d'autres États prévoit l'imposition de sanctions comparables à celles prévues par la loi sur les agents étrangers.
176. Le Commissaire estime que les critères retenus par le ministère de la Justice pour juger de la nécessité d'appliquer des sanctions administratives par opposition à d'autres mesures moins intrusives ne sont pas clairs. Il explique que, les organisations à but non lucratif, de par leur nature même, ne se livrant pas à des activités rémunératrices, les amendes représentent une lourde charge pour de nombreuses petites organisations russes de ce type ainsi qu'une part importante de leur budget annuel. Il ajoute que l'imposition d'amendes administratives à des dirigeants individuels est très préoccupante. Il expose que, dans le cas du Partenariat pour le développement, son ancienne directrice, Mme Pitsunova, a été privée de la moitié de sa pension et de son allocation d'invalidité en 2015 au motif qu'elle n'avait pas pu payer à temps une première amende administrative de 100 000 RUB en 2014.
177. La Rapporteuse spéciale estime que les dispositions relatives aux sanctions devraient prévoir un préavis adéquat et la possibilité de remédier aux violations, et que les États ne devraient pas criminaliser ou délégitimer les activités de défense des droits de l'homme du fait de l'origine du financement.
178. La CIJ, Amnesty International et Media Legal Defence Initiative soutiennent que les lourdes mesures punitives, notamment les sanctions pénales, prévues par la loi sur les agents étrangers ont forcément un effet dissuasif sur les ONG. Elles estiment que ces mesures ne peuvent être regardées comme étant les moins intrusives pour assurer la protection des intérêts en jeu et qu'elles sont donc probablement disproportionnées.
β) Appréciation de la Cour
179. La Cour rappelle que la nature et la lourdeur des sanctions infligées sont des éléments importants à prendre en considération lorsqu'il s'agit de mesurer la proportionnalité d'une ingérence (Bédat c. Suisse [GC], no 56925/08, § 79, 29 mars 2016, et Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov, précité, § 82). Elle doit être convaincue que la sanction ne constitue pas une forme de censure tendant à dissuader les requérants d'exprimer des critiques ou à nuire à l'importante contribution de la société civile à la gestion des affaires publiques. De même, la sanction ne doit pas être de nature à entraver les ONG dans l'exercice de leur mission d'observateurs indépendants et de « chiens de garde publics » (Társaság a Szabadságjogokért c. Hongrie, no 37374/05, § 27, 14 avril 2009, et Magyar Helsinki Bizottság, précité, § 159).
180. La loi sur les agents étrangers prévoit des amendes allant de 100 000 à 500 000 RUB en cas de poursuite des activités d'une organisation qui ne se serait pas enregistrée en tant qu'« agent étranger », de manquement aux obligations additionnelles en matière de comptabilité ou de déclarations ou de défaut, dans les publications, de mention indiquant qu'elles proviennent d'un « agent étranger » (paragraphe 24 ci-dessus). Elle prévoit en outre la responsabilité pénale des personnes physiques qui omettraient délibérément de fournir les documents nécessaires à l'enregistrement d'une organisation en tant qu'« agent étranger » (paragraphe 23 ci-dessus). Même dans le cas des organisations requérantes qui, à la suite de l'arrêt de la Cour constitutionnelle, ont été condamnées à des amendes inférieures au plancher prévu par le CIAD, le montant minimum prévu était de 150 000 RUB en cas de violation de l'article 19.34 du CIAD car, conformément à la loi, le montant de l'amende ne pouvait être inférieur à la moitié du montant plancher de la sanction.
181. De manière à mettre en perspective la question de l'incidence financière des sanctions, la Cour a auparavant jugé bon de se servir, comme élément de comparaison pertinent, du salaire minimum mensuel, qui est fixé et régulièrement révisé par l'Assemblée fédérale (Tolmachev c. Russie, no 42182/11, § 54, 2 juin 2020). Entre 2013 et 2019, le salaire minimum mensuel est passé de 5 205 RUB à 11 280 RUB (de 129 EUR à 142 EUR au taux de change du 1er janvier). Il s'ensuit que même à son plancher, l'amende en question était fixée à un montant trente (en 2013) et treize (en 2019) fois supérieur au salaire minimum mensuel ; en d'autres termes, il équivalait à environ trois ans et un an de revenu minimal. En retenant comme autre élément de comparaison pertinent les sanctions pour d'autres types d'infractions administratives, la Cour note que les sanctions applicables aux organisations d'« agents étrangers » étaient plusieurs fois plus élevées que les sanctions pour des infractions analogues commises par des organisations à but non lucratif n'ayant pas le statut d'« agent étranger » (paragraphe 154 ci‑dessus).
182. La Cour rappelle que des sanctions d'une telle ampleur appellent un contrôle accru de leur proportionnalité (Pakdemirli c. Turquie, no 35839/97, § 59, 22 février 2005). Pour être proportionnée, l'ingérence et la sanction doivent correspondre à la gravité de l'infraction censée être réprimée (Independent News & Media PLC et Independent Newspapers (Ireland) LTD c. Irlande, no 55120/00, § 110-113, CEDH 2005-V, et Gyrlyan c. Russie, no 35943/15, § 28, 9 octobre 2018). Le Gouvernement n'a justifié par aucune raison pertinente et suffisante un montant des amendes aussi élevé fixé pour des infractions essentiellement réglementaires. Il n'a avancé aucun argument permettant d'expliquer pourquoi de telles sanctions ne sont pas excessives ou ne risquent pas de faire des amendes un instrument de répression de la dissidence. Le montant de l'amende ne pouvant être réduit en deçà de la moitié du plancher prévu par le CIAD et certaines des organisations requérantes ayant été condamnées à plusieurs amendes, celles-ci étaient inabordables pour beaucoup d'entre elles. Certaines organisations ont dû réduire considérablement leurs activités ou être dissoutes car elles n'étaient pas en mesure de payer les amendes déjà infligées ou de devoir en payer de nouvelles. Ainsi, n'ayant pas pu payer les amendes d'un montant total de 600 000 RUB qui lui avaient été infligées au motif qu'il n'avait pas inséré de mentions sur des banderoles et dans plusieurs publications en ligne, le Comité contre la torture a été contraint de s'auto-dissoudre.
183. Les tribunaux internes n'ont pas justifié par des « raisons pertinentes et suffisantes » leur choix de sanctions. Ils n'ont pas examiné la proportionnalité des amendes, notamment quant à leur incidence sur la capacité des organisations à poursuivre leurs travaux. Ainsi, Memorial Ekaterinbourg a été condamnée à trois amendes pour violation de la loi sur les agents étrangers - une fois pour ne pas s'être enregistrée en tant qu'« agent étranger » et deux fois pour défaut de mentions obligatoires dans des publications diffusées sur son site Internet. Le montant de chaque amende était de 300 000 RUB. Les tribunaux internes n'ont pas tenu compte du fait que Memorial Ekaterinbourg ne disposait pas de ressources financières ni de biens propres. Autre exemple : la maison d'édition Parc Gagarine a été condamnée à une amende de 300 000 RUB pour avoir reçu des fonds en espèces d'un montant de 100 000 RUB aux fins de la mise en œuvre d'un projet.
184. La jurisprudence interne présentée à la Cour semble indiquer qu'en outre les sanctions étaient imprévisibles. La Loi sur les agents étrangers ne fournit aucune indication sur ce qui constituerait une infraction plus ou moins grave, ni n'énumère les facteurs et critères pertinents aux fins de l'appréciation du juge. Elle ne donne non plus aucune précision sur les circonstances dans lesquelles telle ou telle tranche de peine s'applique. Par exemple, l'organisation L'Homme et le droit a été condamnée à une amende de 150 000 RUB pour la publication par un membre de son personnel d'un blog sur le site Internet d'un périodique régional populaire, tandis que le Centre Sakharov a été condamné à une amende de 400 000 RUB pour avoir publié des informations sur son propre site Internet, qui avait reçu beaucoup moins de visiteurs. Dans certains cas, comme celui de Verdict public, l'organisation requérante a été condamnée à payer une amende unique pour plusieurs publications, tandis que dans d'autres cas, comme celui de MASHR, elle a été condamnée à une amende distincte pour chaque publication sans mention. Cette dernière approche a également donné lieu à des amendes excessivement lourdes, comme le montre le cas de l'association Golos, qui a payé trois amendes d'un montant total de 1 200 000 RUB. En l'absence de tout autre élément susceptible d'expliquer la variation considérable des amendes infligées, la Cour estime que les dispositions régissant leur montant laissent place à l'arbitraire (voir, en comparaison, Camilleri c. Malte, no 42931/10, §§ 42-43, 22 janvier 2013).
185. Compte tenu du caractère essentiellement réglementaire des infractions, du montant important des amendes administratives infligées et de leur accumulation fréquente, ainsi que du fait que les requérants sont des organisations de la société civile à but non lucratif dont le budget a été réduit en raison des restrictions imposées au financement étranger, la Cour estime que les amendes prévues par la loi sur les agents étrangers ne peuvent être considérées comme proportionnées au but légitime poursuivi. Ce constat s'applique à plus forte raison aux sanctions pénales, puisque le non-respect des obligations formelles liées au réenregistrement d'une ONG ne peut guère justifier une condamnation pénale et que de telles sanctions sont disproportionnées au but légitime poursuivi.
vi. Conclusion sur la condition de nécessité
186. La Cour a conclu ci-dessus que le Gouvernement n'avait pas avancé de raisons pertinentes et suffisantes pour justifier la création d'un statut spécial d'« agent étranger », l'imposition d'obligations additionnelles en matière de déclarations et de comptabilité aux organisations enregistrées en tant qu'« agents étrangers », la limitation de leur accès aux choix de financement et les sanctions imprévisibles et disproportionnées de toute violation de la loi sur les agents étrangers. L'effet cumulatif de ces restrictions - au regard tant de leur conception que de leurs conséquences - est un régime juridique qui exerce un « effet dissuasif » important sur le choix de rechercher ou d'accepter n'importe quel financement étranger, aussi insignifiant soit-il, dans un contexte où les possibilités de financement national sont assez rares, notamment pour ce qui est des sujets politiquement ou socialement sensibles ou des causes impopulaires au niveau national. Ces mesures ne peuvent donc pas être considérées comme « nécessaires dans une société démocratique ».
e) Conclusions générales
187. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que l'ingérence n'était ni « prévue par la loi » ni « nécessaire dans une société démocratique ». Il y a donc eu violation de l'article 11 interprété à la lumière de l'article 10 de la Convention.
III. sur les VIOLATIONS alléguées des ARTICLES 14 et 18 de la CONVENTION combinés avec les ARTICLES 10 et 11
188. Certains requérants se disent également victimes d'une discrimination fondée sur leur position politique et allèguent que leur liberté d'expression et d'association a été restreinte à des fins autres que celles prescrites par la Convention. Ils invoquent les articles 14 et 18 combinés avec les articles 10 et 11 de la Convention.
189. La Cour juge ces griefs recevables mais, puisqu'elle a déjà examiné le grief tiré de ce que les organisations requérantes auraient été classées dans une catégorie distincte et soumises à un traitement différencié en fonction de la source de leur financement, point n'est besoin selon elle de rechercher si, en l'espèce, il y a eu une violation des articles 14 ou 18 de la Convention.
IV. sur l'observation de l'ARTICLE 34 de la CONVENTION
190. Sur la question du respect de l'article 34 de la Convention, la Cour examinera si l'exécution de la décision portant dissolution d'International Memorial (paragraphe 14 ci-dessus) s'analyse en un manquement à l'exécution de la mesure provisoire qu'elle avait indiquée en vertu de l'article 39 du règlement et si cette décision a violé le droit de recours individuel de l'organisation. L'article 34 de la Convention est ainsi libellé :
« La Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s'engagent à n'entraver par aucune mesure l'exercice efficace de ce droit. »
191. Le Gouvernement n'a pas répondu à la demande de la Cour tendant à ce qu'il présente ses observations à ce sujet.
192. La Cour rappelle qu'en vertu de l'article 34 de la Convention, les États contractants s'engagent à s'abstenir de tout acte et se garder de toute omission susceptibles d'entraver l'exercice effectif du droit de recours individuel, et qu'elle a toujours dit que cet engagement était un élément fondamental du système de la Convention. Selon sa jurisprudence constante, le non-respect par un État défendeur d'une mesure provisoire emporte violation de l'article 34 (Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, §§ 102 et 125, CEDH 2005-I, et Savriddin Dzhurayev c. Russie, no 71386/10, §§ 211-213, CEDH 2013).
193. Après le prononcé en première instance, le 29 décembre 2021, de la décision portant dissolution d'International Memorial, la Cour, compte tenu du lien étroit qui existait entre les motifs de dissolution et l'objet de la présente affaire, a indiqué une mesure provisoire en vertu de l'article 39 du règlement. Elle a estimé que, dans l'intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure conduite devant elle, l'exécution de la décision devait être suspendue pendant la durée nécessaire à l'examen par elle de la présente affaire. Une fois la décision devenue définitive et exécutoire le 28 février 2022 (paragraphe 12 ci-dessus), International Memorial a demandé à la Cour suprême un sursis à exécution en se référant à la mesure provisoire indiquée par la Cour, en vain. Le 5 avril 2022, l'organisation a été liquidée, alors que la mesure provisoire en question était toujours en vigueur.
194. Compte tenu du rôle crucial que jouent les mesures provisoires dans le système de la Convention, l'État doit les respecter strictement (Savriddin Dzhurayev, précité, § 217). En autorisant la dissolution d'International Memorial, l'État a contrecarré le but poursuivi par la mesure provisoire, qui était le maintien du statu quo pendant l'examen de la requête par la Cour. Le droit russe ne prévoyant aucune procédure de rétablissement dans sa qualité de personne morale d'une organisation rayée du registre national des personnes morales, la Cour n'a pas pu faire protéger les droits d'International Memorial à la liberté d'expression et d'association garantis par les articles 10 et 11 de la Convention.
195. La Cour en conclut que les autorités russes ont méconnu la mesure provisoire que la Cour avait indiquée en vertu de l'article 39 de son règlement, au mépris de leur obligation découlant de l'article 34 de la Convention.
V. sur l'APPLICATION de l'ARTICLE 41 de la CONVENTION
196. L'article 41 de la Convention dispose :
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
197. Les requérants réclament diverses sommes pour dommage matériel et dommage moral, ainsi que pour leurs frais et dépens. Leurs prétentions sont exposées en détail dans l'annexe. Le Gouvernement les estime excessives ou infondées. Compte tenu des pièces en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour accorde aux requérants les sommes indiquées en annexe, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d'impôt sur ces sommes.
198. S'agissant des organisations requérantes qui ont cessé d'exister, les indemnités doivent être versées sur les comptes bancaires de leurs successeurs dans la procédure devant la Cour.
199. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Dit que les anciens présidents, fondateurs, directeurs et membres des associations requérantes ont qualité pour poursuivre les procédures engagées par les organisations requérantes qui ont cessé d'exister ;
3. Joint au fond l'exception d'irrecevabilité ratione personae formée par le Gouvernement et déclare les requêtes recevables ;
4. Dit qu'il y a eu violation de l'article 11 de la Convention à l'égard de chacun des requérants et rejette l'exception formée par le Gouvernement ;
5. Dit qu'il n'y a pas lieu d'examiner les griefs formulés sous l'angle des articles 14 et 18 de la Convention, combinés avec les articles 10 et 11 ;
6. Dit qu'il y a eu violation de l'article 34 de la Convention à raison du non-respect par l'État défendeur de la mesure provisoire indiquée par la Cour ;
7. Dit
a) que l'État défendeur doit verser aux requérants ou, le cas échéant, à leurs successeurs, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, les sommes indiquées à l'annexe ci-jointe, à convertir dans la monnaie de l'État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d'impôt sur ces sommes ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces sommes seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 14 juin 2022, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Milan Blaško Georges Ravarani
Greffier Président
Annexe
Faits des cas d'espèce et demandes au titre de la satisfaction équitable
(ADC Memorial c. Russie, no 48431/14, requête introduite le 30 juin 2014)
1. En fait
200. L'organisation requérante est ADC Memorial (Благотворительное частное учреждение защиты прав лиц, подвергающихся дискриминации, "Антидискриминационный центр "Мемориал"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Saint-Pétersbourg. Elle a été représentée devant la Cour par O. Tseytlina. À la suite de sa liquidation, Mme Stefania Kulayeva et Mme Olga Abramenko, deux employées de l'organisation requérante qui avaient continué à travailler sur les projets qu'elle avait précédemment mis en œuvre, ont exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
201. La mission de l'organisation requérante : protéger les victimes de discriminations et les groupes vulnérables.
202. En mars 2013, le parquet du district de l'Amirauté de Saint‑Pétersbourg inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la fondation d'entraide Open Society Institute (« l'OSIAF »), Oak Foundation Ltd, CCFD, Rädda Barnens Riksförbund, le Roma Education Fund et SIDA, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : publication en 2012 d'un rapport sur les violences policières contre les Roms et les migrants et présentation de ce rapport au Comité des Nations unies contre la torture.
203. La décision de justice suivante a été rendue : le 12 décembre 2013, le tribunal du district Lénine de Saint-Pétersbourg a ordonné l'enregistrement forcé en tant qu'« agent étranger » (confirmé en appel le 8 avril 2014). Il avait été établi que l'organisation requérante s'était livrée à une « activité politique » en faisant campagne pour la protection des migrants, en préparant un rapport sur les droits de l'homme et en faisant pression pour une réforme de la législation.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
204. L'organisation requérante réclame 10 000 euros (EUR) pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 4 900 EUR, pour frais d'avocat.
205. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A2. Agora
(Agora c. Russie, no 24773/15, requête introduite le 18 mai 2015)
1. En fait
206. L'organisation requérante est l'association Agora (Межрегиональная Ассоциация правозащитных общественных организаций "Правозащитная ассоциация"), une organisation à but non lucratif russe fondée à Kazan. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova. À la suite de sa liquidation, M. Igor Nikolayevich Sholokhov, président du Centre des droits de l'homme de Kazan et l'un des fondateurs de l'association requérante, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
207. La mission de l'organisation requérante : fournir une assistance juridique gratuite aux personnes physiques et aux personnes morales.
208. Une inspection de l'organisation requérante fut menée : 1) en mars‑juin 2014 par le parquet du district Vakhitovskiy de Kazan ; et 2) en octobre 2015 par le département de la justice du Tatarstan. Il fut établi qu'elle était financée par l'ambassade du Royaume-Uni, le National Endowement for Democracy (« le NED ») et le réseau Internews, et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : contribution au développement d'un Internet non censuré et à un changement dans la politique de l'État concernant Internet ; veille sur la liberté d'expression en ligne ; mise en ligne de rapports sur des violations des droits de l'homme ainsi que sur le contrôle social en milieu carcéral ; contribution à la protection des cyberactivistes et des ONG ; formation d'avocats spécialisés en droits de l'homme ; défense de la restructuration des services répressifs russes ; et participation du directeur de l'organisation requérante à des travaux du Conseil des droits de l'homme du président russe qui poursuivaient des buts politiques. L'association Agora a également participé à l'examen d'un projet de loi sous l'angle de la lutte contre la corruption.
209. Le 21 juillet 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. À une date non précisée, elle en fut rayée au motif qu'elle avait été liquidée.
210. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 30 septembre 2014, le tribunal du district Vakhitovskiy de Kazan a estimé licite l'action du procureur ; 2) par deux jugements (11 novembre 2015) et trois jugements (14 décembre 2015), le tribunal du district Vakhitovskiy de Kazan a infligé des amendes pour défaut de mentions obligatoires dans les publications ; le 30 juin 2016, le vice-président de la Cour suprême du Tatarstan a jugé que les publications n'avaient pas été mises en ligne au nom de l'organisation requérante et a annulé les jugements du 14 décembre 2015 ; 3) le 10 février 2016, la Cour suprême du Tatarstan a prononcé la liquidation à la demande du ministère de la Justice pour manquements multiples à la loi sur les agents étrangers, notamment à l'obligation d'indiquer les mentions ; dans la procédure concernant la violation de cette obligation, elle a jugé qu'une organisation d'« agent étranger » était tenue d'indiquer les mentions, que le publication ait été mise en ligne sur son propre site Internet ou sur celui de quelqu'un d'autre.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
211. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 9 970 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes et de l'audit. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
212. La Cour alloue à l'organisation requérante 9 970 EUR (neuf mille neuf cent soixante-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Rikhvanova et autres c. Russie, no 61699/16, requête introduite le 13 octobre 2016)
1. En fait
213. Les requérants sont Marina Petrovna Rikhvanova, Vitaliy Valentinovich Ryabtsev et Maksim Viktorovich Vorontsov, des membres du conseil d'administration de Vague de Baïkal (Иркутская региональная общественная организация "Байкальская Экологическая Волна"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Irkoutsk. Ils ont été représentés devant la Cour par E. Mezak et S. Khromenkov.
214. La mission de l'organisation requérante : promouvoir la protection de l'environnement et le développement durable ; informer le public sur les enjeux écologiques ; et soutenir les initiatives en matière écologique.
215. En octobre 2015, le département de la justice de la région d'Irkoutsk inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que cette dernière était financée par Global Greengrants, Pacific Environment, la Fondation Eurasia et Norges Naturvernforbund, et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : protestation contre l'usine de papier du lac Baïkal en diffusant une publication sur un blog et en demandant au gouvernement de fermer l'usine et au Parlement d'adopter des lois protégeant l'environnement dans la région de ce lac ; organisation d'une conférence sur l'impact négatif des ouvrages hydrauliques sur les cours d'eau, sur la protection de ceux-ci, sur le développement de l'écotourisme et sur la sensibilisation à l'environnement ; émission de recommandations sur la lutte contre le braconnage et la corruption ; participation à des consultations publiques sur une étude d'impact environnemental d'une décharge de déchets solides ; publication de commentaires sur la loi sur les agents étrangers diffusés par l'un des directeurs de Vague de Baïkal sur le blog personnel d'un journaliste ; discussion de la possibilité de créer un site de retrait de déchets métalliques radioactifs ; formulation par le directeur de Vague de Baïkal d'une demande d'interdiction du brûlage agricole et présentation de cette demande aux pouvoirs publics ; et publication d'un article sur les feux de forêt de l'été 2015 qui critiquait l'inaction des autorités.
216. Le 10 novembre 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 1er août 2016, elle en fut rayée au motif qu'elle avait été liquidée.
217. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : jugements du 29 janvier 2016 rendus par le tribunal du district Sverdlovskiy à Irkoutsk prononçant une amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » (jugements individuels concernant Vague de Baïkal, Mme Rikhvanova, M. Vorontsov et M. Ryabtsev).
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
218. Les requérants réclament 18 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 4 350 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 800 EUR, pour frais d'avocat.
219. La Cour alloue aux requérants 4 350 EUR (quatre mille trois cent cinquante euros) conjointement pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 800 EUR (huit cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A4. Centre de droit social et de droit du travail
(Centre de droit social et de droit du travail c. Russie, no 61111/17, requête introduite le 24 juillet 2017)
1. En fait
220. L'organisation requérante est le Centre de droit social et de droit du travail (Автономная некоммерческая организация "Центр социально‑трудовых прав"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par Y. Ostrovskaya.
221. La mission de l'organisation requérante : promouvoir des relations de travail justes et équilibrées, des principes décents en matière de travail et le respect de la liberté, de l'égalité et de la dignité humaine.
222. En février 2016 et en mai-juin 2017, le département de la justice de Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED, la fondation Charities Aid, l'OSIAF et l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme (Commission européenne), et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : promotion des droits du travail ; organisation d'une table ronde sur la suppression des groupes à temps plein dans les écoles maternelles et formulation de recommandations aux pouvoirs publics ; organisation d'une conférence sur la protection des droits du travail et formulation de recommandations aux pouvoirs publics ; présentation dans un livre de réformes de la législation du travail ; et création de sites Internet sur les droits du travail.
223. Le 21 mars 2016, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 29 juin 2017, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un « agent étranger ».
224. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 28 juin 2016, tribunal du district Tverskoy de Moscou (jugement confirmé en appel le 24 janvier 2017), amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 18 octobre 2016, tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou (jugement confirmé en appel le 24 février 2017), recours contre l'enregistrement forcé en tant qu'« agent étranger ».
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
225. L'organisation requérante réclame 20 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 5 000 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes et de l'audit. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 154 EUR, pour frais postaux et frais de justice.
226. La Cour alloue à l'organisation requérante 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 154 EUR (cent cinquante-quatre euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A5. Centre d'études sociales
(Centre d'études sociales c. Russie, no 10028/16, requête introduite le 11 février 2016)
1. En fait
227. L'organisation requérante est le Centre d'études sociales (Автономная некоммерческая организация "Центр независимых социологических исследований"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Saint-Pétersbourg. Elle a été représentée devant la Cour par D. Bartenev.
228. La mission de l'organisation requérante : mener des recherches sociologiques ; diffuser des informations sur les questions sociales; et former des sociologues et rédiger des manuels ainsi que des matériaux scientifiques dans les domaines de la sociologie, de l'économie, de la politique et de l'écologie.
229. En février-mars 2015, le département de la justice de Saint‑Pétersbourg inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le consulat des Pays-Bas et le JSDF et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : impression de livres sur l'indépendance, la formation et le soutien des juges de paix et des mouvements russes des droits de l'homme en 2011-2013 ; promotion de l'accès à la justice des accusés indigents ; et publication en ligne d'une vidéo sur les syndicats russes et leur influence sur la politique de l'État.
230. Le 22 juin 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
231. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 5 juin 2015, juge de paix de la circonscription judiciaire no 206, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » (jugement annulé le 11 avril 2016 par la Cour suprême de Russie au motif que le délai de prescription était écoulé); 2) 9 juin 2015, juge de paix de la circonscription judiciaire no 206, amende pour non-respect de l'injonction du département de la justice de Saint-Pétersbourg de s'enregistrer comme « agent étranger » ; 3) 7 décembre 2015, tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou, rejet d'un recours formé contre la décision d'enregistrement forcé.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
232. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 3 640 EUR pour le dommage matériel résultant des coûts entraînés par le paiement de l'amende et par l'audit. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 3 430 EUR, pour frais de justice et frais d'avocat.
233. La Cour alloue à l'organisation requérante 3 640 EUR (trois mille six cent quarante euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A6. Association médicale de Chapayevsk
(Association médicale de Chapayevsk c. Russie et Sergeyev c. Russie, nos 60569/17 et 64181/17, requêtes introduites les 6 et 21 août 2017)
1. En fait
234. Les requérants sont l'Association médicale de Chapayevsk (Чапаевская городская общественная организация "Ассоциация медицинских работников города Чапаевска"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Chapayevsk, et son directeur, Oleg Vladimirovitch Sergeyev. Ils ont été représentés devant la Cour par Ye. Pershakova et I. Biryukova.
235. La mission de l'organisation requérante : recherches et projets dans le domaine des soins médicaux ; et amélioration de la qualité de vie à Chapayevsk.
236. En septembre-octobre 2016, le Département régional de la justice de Samara inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le T.H. Chan School of Public Health de Harvard (États-Unis d'Amérique) ; l'ambassade des États-Unis d'Amérique ; les National Institutes of Health des États-Unis ; le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ; et la Commission européenne, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : participation du directeur et du secrétaire exécutif de l'organisation requérante à des travaux en rapport avec la promotion d'un mode de vie sain, des sports et des services sociaux dans le cadre du comité pour les ONG de l'organe législatif de Samara ; participation à une discussion sur une initiative régionale antitabac et formulation de recommandations à l'organe législatif de Samara concernant un centre de médecine sportive, de services funéraires et d'assistance aux sans-abri ; discussion de modifications de la loi fédérale sur la santé ; et participation aux initiatives de prévention du VIH et de distribution gratuite de préservatifs et de seringues.
237. Le 21 octobre 2016, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 25 juillet 2019, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un « agent étranger ».
238. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 8 novembre 2016, tribunal de Chapayevsk (jugement confirmé en appel le 6 février 2017), amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » infligée à l'organisation requérante ; 2) 22 novembre 2016, tribunal de Chapayevsk (jugement confirmé en appel le 21 février 2017), amende pour non-enregistrement en tant qu'« agent étranger » infligée au directeur. Il a été jugé que l'organisation avait participé à des projets contraires aux intérêts de l'État russe et que ses activités étaient contraires à la politique de l'État en matière de prévention du VIH.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
239. Les requérants réclament 30 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 6 500 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes et de l'audit. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 9 958 EUR, pour frais d'avocat.
240. La Cour alloue conjointement aux requérants 6 500 EUR (six mille cinq cents euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A7. Contrôle citoyen
(Ecodéfense et autres c. Russie, no 9988/13, requête introduite le 6 février 2013)
1. En fait
241. L'organisation requérante est Contrôle citoyen (Санкт‑Петербургская общественная правозащитная организация "Гражданский контроль"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Saint-Pétersbourg. Elle a été représentée devant la Cour par P. Leach.
242. La mission de l'organisation requérante : protéger les droits de l'homme et promouvoir la transparence de la justice, l'accès à la justice et la lutte contre la xénophobie et l'intolérance raciale.
243. Le procureur du district Tsentralnyy à Saint-Pétersbourg inspecta l'organisation requérante en mars 2013. Il fut établi que celle-ci était financée par la Fondation MacArthur, l'OSIAF, le ministère danois des Affaires internationales, le Comité Helsinki en Norvège, la Fondation Fritt Ord, l'ambassade du Royaume-Uni et le consulat général des Pays-Bas à Saint‑Pétersbourg, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : diffusion d'une publication sur la médiation judiciaire critiquant les lois russes ; organisation d'une séance de formation sur la liberté conditionnelle dispensée par des professeurs étrangers et d'un séminaire sur la transparence du système juridictionnel ; et discussion et interprétation indépendantes des lois russes et de la mise en œuvre du régime de la liberté conditionnelle.
244. Le 30 décembre 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
245. La décision de justice suivante a été rendue : le 13 avril 2015, le tribunal du district Smolninskiy de Saint-Pétersbourg a rejeté un recours formé contre la décision d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ». Il a écarté l'argument tiré par Contrôle citoyen de ce que ses publications présentaient des résultats de recherche plutôt que des opinions sur des questions politiques, et a souligné que les publications renfermaient une analyse négative des lois russes qui visait à former l'opinion publique et influencer les décisions des autorités. Il a jugé que l'évaluation et l'interprétation des lois, ainsi que les remarques critiques sur l'efficacité des actions des autorités, ne relevaient pas de la notion de recherche. Il a également écarté l'argument tiré de ce que les critiques exprimées par les différents intervenants lors d'une réunion étaient non pas celles de l'organisation requérante, mais celles des intervenants eux-mêmes.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
246. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 153 000 EUR pour le dommage matériel résultant des frais d'audit et de sécurité, ainsi que pour le manque à gagner. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 3 430 EUR, pour frais d'avocat.
247. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 180 EUR (quatre mille cent quatre-vingts euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 3 430 EUR (trois mille quatre cent trente euros). au titre des frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A8. Comité d'assistance civile
(Ecodéfense et autres c. Russie, no 9988/13, requête introduite le 6 février 2013)
1. En fait
248. L'organisation requérante est le Comité d'assistance civile (Региональная общественная благотворительная организация помощи беженцам и вынужденным переселенцам "Гражданское содействие"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par P. Leach.
249. La mission de l'organisation requérante : apporter une assistance aux réfugiés et aux personnes déplacées.
250. En mars 2015, le procureur du district Meshchanskiy à Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la Commission européenne, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le Fonds suédois pour Amnesty International, le Comité Helsinki en Norvège et le NED, et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : organisation d'événements à Grozny, Nalchik, Fiagdon et Magas ; organisation de séminaires sur la réhabilitation des anciens prisonniers et sur la détention des musulmans ; organisation de manifestations contre les campagnes anti-immigration ; soutien aux prisonniers d'opinion ; et conduite de recherches sur la corruption.
251. Le 20 avril 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
252. La décision de justice suivante a été rendue : le 22 juillet 2014, le tribunal du district Meshchanskiy de Moscou a rejeté le recours formé par l'organisation requérante contre les conclusions du procureur.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
253. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral.
254. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A9. Centre d'éducation civile
(Centre d'éducation civile c. Russie, no 76854/16, requête introduite le 1er décembre 2016)
1. En fait
255. L'organisation requérante est le Centre d'éducation civile (Межрегиональная общественная организация "Центр гражданского образования и прав человека"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Perm. Elle a été représentée devant la Cour par K. Koroteyev.
256. La mission de l'organisation requérante : sensibilisation aux droits de l'homme et à la répression politique ; développement d'un système d'éducation civique non étatique ; implication des jeunes dans des activités caritatives ; contribution à la recherche de jeunes universitaires ; et coopération avec les autorités et les ONG sur les questions d'éducation.
257. En janvier-février 2016, le département de la justice de la région de Perm inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par l'OSIAF, le NED, l'Union européenne, la Fondation Transatlantique et l'hôtel Anker Storgata à Oslo, et BST, et s'était livrée aux actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : organisation de séminaires sur la sensibilisation aux droits de l'homme et la répression politique ; organisation de visites à Genève et à Strasbourg pour étudier les travaux des mécanismes internationaux de protection des droits de l'homme ; promotion des valeurs démocratiques dans un milieu de l'enseignement en évolution ; cours sur les droits de l'homme dans les écoles et les universités ; publication en ligne de guides sur la participation à des actions de protestation ; participation du directeur du Centre d'éducation civile à des tables rondes sur la liberté de réunion ; préparation d'un exposé sur l'enseignement des droits de l'homme en Russie, avec la participation du directeur de l'organisation requérante, à la réunion de l'OSCE sur la mise en œuvre de la dimension humaine ; organisation d'un séminaire sur les prisonniers d'opinion et les droits de l'homme ; participation au Forum de la société civile UE-Russie, un réseau d'ONG thématiques diverses de Russie et de l'Union européenne ; surveillance du respect des droits de l'homme dans des établissements d'enseignement de la région de Perm et rédaction de recommandations à l'attention des pouvoirs publics ; participation du directeur de l'organisation requérante aux travaux de la Commission pour l'éducation de la Douma d'État ; et organisation d'exposés et distribution de matériaux sur la liberté de réunion.
258. Le 3 mars 2016, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
259. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 29 avril 2016, tribunal du district Motovilikhinskiy de Perm, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 10 août 2016, le tribunal du district Lénine de Perm a jugé que l'inspection était légale et rejeté la thèse selon laquelle l'hôtel Anker avait remboursé le trop-payé pour ses prestations et ne pouvait donc pas être considéré comme une « source étrangère ».
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
260. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 5 650 EUR pour le dommage matériel résultant des coûts entraînés par le paiement de l'amende, par l'audit et par la signature électronique. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 190 EUR, pour frais de justice et frais postaux.
261. La Cour alloue à l'organisation requérante 5 650 EUR (cinq mille six cent cinquante euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 190 EUR (cent quatre-vingt-dix euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Coming Out c. Russie, no 4798/15, requête introduite le 20 janvier 2015)
1. En fait
262. L'organisation requérante est Coming Out (Автономная некоммерческая организация социально-правовых услуг "ЛГБТ организация Выход"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Saint-Pétersbourg. Elle a été représentée devant la Cour par D. Bartenev. À la suite de sa liquidation, Mme Anna Anisimova, sa directrice, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
263. La mission de l'organisation requérante : lutter pour la reconnaissance universelle de la dignité humaine et l'égalité des droits pour tous, quelle que soit l'orientation sexuelle ou l'identité de genre.
264. En octobre 2013, le parquet du district Tsentralnyy de Saint‑Pétersbourg inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par les ambassades des Pays-Bas et de Norvège et qu'elle avait mené les actions suivantes, jugées constitutives d'« activités politiques » : protestation contre l'infraction administrative de promotion de l'homosexualité auprès des mineurs ; publication de lignes directrices sur la lutte contre la discrimination LGBT ; et organisation d'une manifestation contre les hommes politiques ne soutenant pas les valeurs de l'amour, de la famille et de la dignité humaine.
265. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : le 21 juillet 2014, le tribunal du district Vasileostrovskiy de Saint-Pétersbourg a fait droit à la demande d'enregistrement forcé formée par le procureur. Il a estimé que les restrictions prescrites par la loi sur les agents étrangers ne violaient pas la Convention et que les lignes directrices sur la discrimination LGBT ne contenaient aucun appel direct à influencer les décisions des pouvoirs publics et à modifier la ligne politique, mais qu'ils visaient à former l'opinion publique. Il en a conclu qu'il n'était pas nécessaire de prouver que l'organisation avait effectivement influencé les décisions des pouvoirs publics, la simple hypothèse de l'éventualité d'une influence étant suffisante.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
266. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 2 100 EUR, pour frais de justice.
267. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Ecodéfense et autres c. Russie, no 9988/13, requête introduite le 6 février 2013)
1. En fait
268. L'organisation requérante est le Comité anti-torture (Межрегиональная общественная организация "Комитет против пыток"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Nijni Novgorod. Elle a été représentée devant la Cour par P. Leach. À la suite de sa liquidation, M. Igor Alexandrovitch Kalyapin, son président, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
269. La mission de l'organisation requérante : lutter contre la torture et les mauvais traitements perpétrés par les forces de l'ordre en Russie ; fournir une assistance juridique, médicale et sociale aux survivants de la torture ; surveiller les cas de torture ; et sensibiliser les gens.
270. En avril 2013, le bureau du procureur du district Nizhegorodskiy de Nijni Novgorod inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le Fonds de contributions volontaires des Nations unies pour les victimes de la torture, le Sigrid Rausing Trust, DEMAS, la Fondation MacArthur et Civil Rights Defenders, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : préparation de brochures sur la torture et les questions juridiques se rapportant à la torture en Russie ; coopération avec les organismes régionaux et fédéraux sur des questions liées aux droits de l'homme ; participation au Forum UE-Russie; publication d'informations sur la torture en garde à vue et sur les enquêtes ineffectives concernant les actes de torture ; nomination du directeur de l'organisation comme membre du Conseil des droits de l'homme du président russe et critiques du travail des forces de l'ordre ; organisation de manifestations contre l'inaction du Comité d'investigation ; présentation de propositions législatives ; appels tendant à punir les policiers auteurs de violences et d'enquêtes ineffectives ; et commentaires par le directeur de l'organisation sur la présence des troupes russes en Ukraine et l'annexion de la Crimée.
271. Le 16 janvier 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 13 septembre 2016, elle en fut rayée pour cause de liquidation.
272. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 3 avril 2015, le tribunal du district Sovetskiy de Nijni Novgorod a rejeté un recours contestant les conclusions du procureur ; 2) le 6 août et les 11 et 25 septembre 2015, le juge de paix du district Nizhegorodskiy de Nijni Novgorod a infligé une amende pour défaut d'indication des mentions obligatoires. Le tribunal du district Sovetskiy a jugé que l'organisation requérante avait été spécifiquement choisie par des bailleurs de fonds étrangers pour promouvoir leurs intérêts, que ses statuts révélaient clairement son intention de s'engager dans une activité politique, qu'elle avait utilisé Internet et les médias russes et étrangers pour former l'opinion publique d'une certaine manière en vue d'influencer le président russe, les forces de l'ordre et les leaders politiques, sociaux et religieux, et qu'elle avait accepté des financements pour des raisons politiques, soutenu les idées libérales et promu les valeurs et la culture politique européenne.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
273. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 12 860 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes.
274. La Cour alloue à l'organisation requérante 12 860 EUR (douze mille huit cent soixante euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Centre démocratique et Boldyrev c. Russie, no 45973/14, requête introduite le 3 juin 2014)
1. En fait
275. Les requérants sont le Centre démocratique (Воронежская областная общественная организация "Демократический центр"), organisation russe à but non lucratif fondée à Voronej, et son directeur, Aleksandr Yevgenyevich Boldyrev. Ils ont été représentés devant la Cour par I. Sivoldayev. À la suite de la liquidation de l'organisation requérante, M. Aleksand Yevgenyevich Boldyrev, le second requérant et son directeur, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
276. La mission de l'organisation requérante : promouvoir les droits de l'homme et la sécurité de chacun ; et soutenir les réformes démocratiques et la société civile.
277. En avril 2013, le bureau du procureur de la région de Voronej inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par Management Systems International, Inc. et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : promotion des droits de l'homme et de la sécurité de chacun ; soutien aux réformes démocratiques et à la société civile ; défense de la paix et de la stabilité sociale ; soutien politique aux personnes prônant des réformes orientées vers le marché ; et surveillance des élections à la Douma d'État en décembre 2011.
278. La décision de justice suivante a été rendue : le 19 juillet 2013, le tribunal du district Lénine de Voronej a jugé que la décision du procureur était légale. Il a estimé que les statuts de l'organisation l'obligeaient à participer à la vie politique et à s'immiscer dans les affaires de l'État, et qu'en apportant un soutien politique, l'organisation pouvait former l'opinion publique. Le jugement a été confirmé en appel le 3 décembre 2013.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
279. Les requérants demandent à la Cour de fixer le montant à leur accorder pour dommage moral.
280. La Cour accorde aux requérants 10 000 EUR (dix mille euros) conjointement pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Centre Dront c. Russie, no 57310/15, requête introduite le 13 novembre 2015)
1. En fait
281. L'organisation requérante est le Centre Dront (Нижегородская региональная общественная организация "Экологический центр "Дронт"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Nijni Novgorod. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova. Après sa liquidation, M. Ashat Abdurakhmanovich Kayumov, président de l'organisation requérante, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
282. La mission de l'organisation requérante : régler les problèmes écologiques et sociaux ; et coordonner les activités des ONG pro-écologie.
283. En avril-mai 2015, le département de la justice de Nijni Novgorod inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la Foundation for Sustainable Development, USAID, International Fund for Animal Welfare et World Wide Life for Nature. et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : soutien à une initiative référendaire en faveur de l'élection directe des maires de communes ; plaidoyer en faveur de la libération d'un militant écologiste russe et membre de l'opposition politique, et organisation d'une manifestation pour le soutenir ; diffusion de publications sur la politique de l'État et de déclarations des dirigeants de l'organisation sur les décisions des autorités locales et les principes environnementaux régissant l'action de l'État ; critique des pouvoirs publics et des lois russes dans un journal publié ; défense de la ratification de traités environnementaux tels que la Convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, ainsi que de la modification des lois environnementales en vigueur, de l'adoption d'une nouvelle loi sur le contrôle de l'environnement, et de la mise en place d'un système efficace de contrôle de l'environnement ; et participation à une étude d'impact d'une loi modifiant le code local des infractions administratives.
284. Le 22 mai 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 23 août 2017, elle fut liquidée sur décision des pouvoirs publics.
285. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 22 juin 2015, juge de paix de la circonscription judiciaire de Nizhegorodskiy à Nizhniy Novgorod, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 23 octobre 2015, juge de paix du tribunal de la circonscription de Nizhegorodskiy, amende pour défaut de mentions obligatoires dans les publications ; 3) 9 décembre 2016, amende infligée au directeur de l'organisation pour défaut de liquidation de l'organisation ; 4) 23 août 2017, cour régionale de Nijni Novgorod, liquidation forcée à la demande du ministère de la Justice.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
286. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral et réclame l'équivalent de 2 140 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais de justice.
287. La Cour alloue à l'organisation requérante 2 140 EUR (deux mille cent quarante euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A14. Ecodéfense
(Ecodéfense et autres c. Russie, no 9988/13, requête introduite le 6 février 2013)
1. En fait
288. L'organisation requérante est Ecodéfense (Калининградская региональная общественная организация "Экозащита!-Женсовет"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Kaliningrad. Elle a été représentée devant la Cour par P. Leach.
289. La mission de l'organisation requérante : sensibiliser les gens aux enjeux environnementaux.
290. En juin 2014, le département de la justice de la région de Kaliningrad inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par Ecoinitiative, la Fondation Heinrich Böll et le Conseil nordique des ministres et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : participation à des manifestations contre la construction de la centrale nucléaire de la Baltique ; défense de l'adhésion de la Russie à la Convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, ainsi qu'à la Convention d'Espoo sur l'évaluation de l'impact sur l'environnement dans les contextes transfrontière ; et contribution au développement de l'enseignement et des initiatives dans le domaine de l'environnement.
291. Le 21 juillet 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
292. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 8 septembre 2014, juge de paix du district Moskovskiy, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 3 juillet 2015, juge de paix du district Moskovskiy, amendes infligées à l'organisation et à son directeur pour défaut de communication de pièces comptables ; 3) 14 avril, 12 juillet et 14 octobre 2016, 18 janvier, 17 avril, 13 juillet et 12 octobre 2017, juge de paix du district Moskovskiy, avertissements et amendes pour défaut de présentation de pièces comptables ; 4) 19 janvier, 2 septembre et 26 décembre 2016, 7 juin et 22 novembre 2017, amendes pour défaut de présentation de pièces comptables ; 5) 13 et 14 juillet 2017, amendes pour défaut de communication d'informations au département de la justice de la région de Kaliningrad.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
293. L'organisation requérante prie la Cour de fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 140 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 4 280 EUR, pour frais d'avocat, frais de déplacement et frais de justice.
294. La Cour alloue à l'organisation requérante 140 EUR (cent quarante euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 4 280 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingts euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A15. Centre écologie et sécurité
(Centre écologie et sécurité c. Russie, no 42351/15, requête introduite le 18 août 2015)
1. En fait
295. L'organisation requérante est le Centre écologie et sécurité (Частное учреждение дополнительного профессионального образования "Учебный центр экологии и безопасности"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Samara. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova.
296. La mission de l'organisation requérante : protéger l'environnement et y sensibiliser les jeunes ; et promouvoir un mode de vie sain.
297. En janvier 2015, le département de la justice de la région de Samara inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par des bailleurs de fonds étrangers non identifiés et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : promotion d'une gestion durable des ressources hydrologiques ; suggestion de modifications des lois en vigueur, d'initiatives et de mesures concernant les consommateurs d'eau et les actions environnementales ; présentation des résultats d'une enquête sociologique lors d'une table ronde avec un responsable de l'État sur les lois en matière de consommation d'eau.
298. Le 20 mars 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 8 octobre 2015, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un « agent étranger ».
299. La décision de justice suivante a été rendue : 10 avril 2015, juge de paix de la circonscription judiciaire Oktyabrskiy, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ».
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
300. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral ainsi que l'équivalent de 2 140 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR (frais de justice).
301. La Cour alloue à l'organisation requérante 2 140 EUR (deux mille cent quarante euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A16. Centre Extrême-Orient
(Centre Extrême-Orient c. Russie, no 53429/16, requête introduite le 11 octobre 2016)
1. En fait
302. L'organisation requérante est le Centre Extrême-Orient (Автономная некоммерческая организация "Дальневосточный центр развития гражданских инициатив и социального партнерства"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Vladivostok. Elle a été représentée devant la Cour par M. Olenichev.
303. La mission de l'organisation requérante : assistance psychologique et juridique aux travailleurs ; amélioration de la sensibilisation au droit et des connaissances juridiques ; réadaptation des personnes handicapées, des chômeurs et des personnes vulnérables ; promotion de la tolérance ; et lutte contre la xénophobie, le racisme et la discrimination.
304. En octobre 2015, le département de la justice du kraï du Primorié inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par l'International Business Leaders Forum (IBLF Global), Oxfam et US Russia Foundation for Economic Advancement and the Rule of Law, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : critique du programme de développement social et économique dans le kraï du Primorié ; formulation d'observations sur les projets de loi relatifs aux salaires des fonctionnaires, sur le « panier de biens de consommation », sur le revenu minimal et l'assistance sociale dans le kraï du Primorié ; formulation d'observations sur le projet de lignes directrices concernant le soutien financier aux ONG ; défense d'une pétition soumise au gouverneur du kraï du Primorié concernant le programme régional pour les personnes handicapées ; critiques du travail des pouvoirs publics, notamment celui du ministère du Développement économique, en matière de soutien aux entreprises ; et participation à une conférence sur l'entrepreneuriat social.
305. Le 13 octobre 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
306. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 25 décembre 2015, tribunal du district Lénine de Vladivostok, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 6 juin 2016, rejet par le tribunal du district Lénine d'un recours formé contre les conclusions de l'inspection.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
307. L'organisation requérante réclame 35 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 3 970 EUR pour le dommage matériel résultant des coûts entraînés par le paiement de l'amende et par l'audit. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 19 090 EUR, pour frais de justice et frais d'avocat.
308. La Cour alloue à l'organisation requérante 3 970 EUR (trois mille neuf cent soixante-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Fondation et mouvement « pour la nature » c. Russie, no 3085/16, requête introduite le 21 décembre 2015)
1. En fait
309. L'organisation requérante est la Fondation pour la nature (Челябинский региональный благотворительный общественный фонд "За природу"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Tcheliabinsk. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova. À la suite de sa liquidation, M. Andrey Alexandrovitch Talevlin, son président, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
310. La mission de l'organisation requérante : protection de l'environnement.
311. En janvier-février 2015, le département de la justice de la région de Chelyabinsk inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par Norges Naturvernforbund et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : promotion de la protection des droits écologiques de l'homme et des activités se rapportant à la protection de l'environnement et au contrôle public en matière écologique ; promotion des valeurs de respect de l'environnement, des sources d'énergie alternatives, de l'éducation écologique, etc. ; organisation d'événements pour discuter de l'usage sécurisé de l'énergie nucléaire ; encadrement de bénévoles pour nettoyer les berges des rivières ; contribution à la restauration des forêts ; publication d'articles sur des questions écologiques ; et analyse des situations écologiques et publication des résultats en ligne.
312. Le 6 mars 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. À une date non précisée, elle en fut rayée par l'effet de sa liquidation prononcée pour violation de la loi sur les agents étrangers.
313. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 25 décembre 2014, amende pour défaut de présentation de pièces aux fins de l'inspection ; 2) 13 mai 2015, juge de paix du district Tsentralnyy, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 3) 15 juillet 2016, juge de paix du district Tsentralnyy, amende pour défaut de communication de pièces comptables ; 4) 13 décembre 2016, cour régionale de Chelyabinsk, liquidation forcée pour violations multiples de la loi sur les agents étrangers.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
314. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 1 570 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
315. La Cour alloue à l'organisation requérante 1 570 EUR (mille cinq cent soixante-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A18. Fondation « liberté d'information »
(Fondation « liberté d'information » c. Russie, no 25934/15, requête introduite le 26 mai 2015)
1. En fait
316. L'organisation requérante est la Fondation « liberté d'information » (Фонд "Институт Развития Свободы Информации"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Saint-Pétersbourg. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova.
317. La mission de l'organisation requérante : promotion de la liberté d'information et du droit de rechercher et de recevoir des informations ; et contribution à la transparence de la gestion de l'État.
318. En juillet 2013 et janvier 2014, le parquet du district Tsentralnyy de Saint-Pétersbourg inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : discussion avec le président des États-Unis d'Amérique sur la situation politique et sociale en Russie, sur les activités du Open Governments Partnership (une initiative multilatérale de défense de la transparence des pouvoirs publics), sur les lois russes de lutte contre l'extrémisme, sur les informations nocives, sur les droits de l'enfant et sur la protection de la propriété intellectuelle ; mise à disposition au grand public d'informations sur cette discussion ; publication sur son site Internet d'éléments sur la réforme des lois russes sur les données personnelles, sur l'accès aux informations classifiées et sur les pouvoirs des procureurs, en comparant d'un œil critique ces lois avec les normes internationales ; organisation d'un vote pour déterminer qui a contribué à la liberté d'information et qui a nui à la transparence, et publication d'éléments tendant à convaincre le public que les pouvoirs publics sont inefficaces dans ce domaine ; participation à un sommet de Open Governments Partnership et communication aux membres de cet organisme d'informations trompeuses relativement aux pouvoirs publics ; et surveillance des sites Internet des pouvoirs publics et mise à la disposition du public de ces résultats.
319. Le 28 août 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
320. La décision de justice suivante a été rendue : le 5 septembre 2014, le tribunal du district Moskovski de Saint-Pétersbourg a jugé que les actions du procureur étaient légales (jugement confirmé en appel le 21 janvier 2015).
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
321. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
322. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Freeinform c. Russie, no 55272/15, requête introduite le 3 novembre 2015)
1. En fait
323. L'organisation requérante est Freeinform (Автономная некоммерческая организация "Центр информации "ФРИИНФОРМ"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par I. Sharapov. Après sa liquidation, sa directrice, Mme Yuliya Yevgenyevna Galyamina, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place
324. La mission de l'organisation requérante : soutenir les initiatives pédagogiques et apporter un support informationnel.
325. En avril-mai 2015, le département de la justice de Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : sensibilisation sur l'attentat terroriste de Beslan ; et maintien d'un agrégateur Web qui permettait aux défenseurs des droits de l'homme et à d'autres militants de publier leurs blogs.
326. Le 22 juin 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 21 juin 2016, elle en fut rayée par l'effet de sa liquidation qui avait été prononcée parce qu'il lui était impossible de payer l'amende.
327. La décision de justice suivante a été rendue : 29 juin 2015, juge de paix du district Zamoskvoretskiy, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ».
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
328. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
329. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Pasko et Fondation 19/29 c. Russie, no 55280/15, requête introduite le 3 novembre 2015)
1. En fait
330. Les requérants sont la Fondation 19/29 (Фонд поддержки расследовательской журналистики - Фонд 19/29), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou, et son directeur, Grigoriy Mikhaylovich Pasko. Ils ont été représentés devant la Cour par I. Sharapov. À la suite de la liquidation de l'organisation requérante, M. Pasko a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
331. La mission de l'organisation requérante : protection du droit des journalistes à la liberté d'expression et à recevoir des informations ; et développement de la société civile en Russie.
332. En avril 2015, le département de la justice de Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : contribution à l'instruction des blogueurs sur leurs droits, leur déontologie, leur langage et leurs méthodes de journalisme d'investigation ; formation sur les enquêtes et politiques journalistiques, la déontologie et la culture en matière de blogs, ainsi que sur les relations avec les autorités et l'opposition ; publication en ligne de matériaux de formation ; critique des pouvoirs publics et de la politique du président russe ; publication sur son site Internet d'informations sur les enquêtes journalistiques ; et mise en ligne de blogs de militants de l'opposition bien connus, critiques à l'égard du système politique russe, de la situation en Ukraine et des relations entre les autorités et les journalistes.
333. Le 24 avril 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
334. La décision de justice suivante a été rendue : 8 juin 2015, juge de paix du district Presnenskiy de Moscou, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ». Il a été établi que la notion de « financement étranger » incluait tous les fonds de « source étrangère » reçus par une ONG, quelle que soit leur qualification en droit civil ou en droit fiscal, et que, si les employés de Fondation 19/29 n'avaient pas exprimé publiquement leurs opinions politiques, Fondation 19/29 avait influencé l'opinion publique en diffusant auprès du grand public les opinions de différentes personnes politiques.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
335. Les requérants réclament 10 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
336. La Cour alloue aux requérants 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) conjointement pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Parc Gagarine c. Russie, no 9076/17, requête introduite le 17 janvier 2017)
1. En fait
337. L'organisation requérante est Parc Gagarine (Автономная некоммерческая организация "Издательство "Парк Гагарина"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Samara. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova.
338. La mission de l'organisation requérante : publication de livres ; protection du droit à l'information et à la liberté de conscience et d'expression ; contribution à la coopération entre différents groupes sociaux ; promotion des valeurs humaines communes et de l'éducation pour lutter contre le nationalisme et le racisme ; et fourniture d'une assistance ciblée grâce aux médias.
339. En août 2016, le département de la justice de la région de Samara inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la Fondation caritative Samarskaya Guberniya, une organisation russe financée par la fondation Charities Aid, la Fondation Alcoa, et l'Institute of International Education Inc., et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : mise en ligne de publications critiquant la police qui n'aurait pas mené une enquête effective sur un viol, l'interdiction de l'adoption d'orphelins russes par des ressortissants américains, un fonctionnaire municipal qui aurait refusé l'autorisation d'une veillée, un juge qui se serait endormi pendant une audience, une peine prononcée par un tribunal local, les sanctions internationales contre la Russie, une proposition visant à supprimer une allocation versée aux personnes ayant plusieurs enfants, l'interdiction d'utiliser l'eau potable pour l'arrosage des jardins, les élections russes et les petites entreprises.
340. Le 31 août 2016, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
341. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 23 septembre 2016, tribunal du district Oktyabrskiy de Samara, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 14 juillet 2017, juge de paix de la circonscription Oktyabrskiy de Samara, avertissement pour défaut de communication à temps de pièces comptables.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
342. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
343. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A23. Fondation de défense de la Glasnost
(Fondation de défense de la Glasnost c. Russie, no 69826/16, requête introduite le 22 novembre 2016)
1. En fait
344. L'organisation requérante est la Fondation de défense de la Glasnost (Некоммерческая организация "Фонд защиты гласности"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par T. Misakyan.
345. La mission de l'organisation requérante : promotion des valeurs démocratiques et du respect de la diversité des opinions ; défense du droit de rechercher, recevoir, traiter, transférer et diffuser des informations ; recherche de moyens de garantir la liberté de pensée et d'expression en Russie ; et diffusion d'informations sur la liberté d'expression en Russie.
346. En octobre-novembre 2015, le département de la justice de Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par l'ambassade des Pays-Bas, la Fondation MacArthur, l'Union européenne, le Comité Helsinki en Norvège et Freedom House, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : création de « l'École des blogueurs » afin de promouvoir un journalisme d'investigation indépendant, et nomination comme enseignants de célèbres leaders de l'opposition russe ; organisation d'une séance de formation sur les enquêtes journalistiques et les blogs à Iaroslavl, où un conférencier aurait critiqué la ligne politique du président russe et le système électoral en Russie, et publication en ligne d'une vidéo à ce sujet ; diffusion et publication sur le site Internet de l'organisation requérante de bulletins d'information contenant des articles sur les enquêtes menées par des journalistes dans diverses régions de Russie, notamment un article critiquant le ministre de l'Économie et la situation des réfugiés ukrainiens.
347. Le 19 novembre 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
348. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 21 mars 2016, tribunal du district Khamovnicheskiy de Moscou (confirmé en appel le 28 juin 2016), amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) le 12 avril 2016, le tribunal du district Gagarine de Moscou a jugé légale l'inspection (confirmé en appel le 22 février 2017).
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
349. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 6 080 EUR pour le dommage matériel résultant des coûts entraînés par le paiement de l'amende, par l'audit et par la signature électronique. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 890 EUR, pour frais de justice et frais de déplacement.
350. La Cour alloue à l'organisation requérante 6 080 EUR (six mille quatre-vingts euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 890 EUR (huit cent quatre-vingt-dix euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A23. Association Golos
(Ecodéfense et autres c. Russie, no 9988/13, requête introduite le 6 février 2013)
1. En fait
351. Les requérantes sont l'association Golos (Ассоциация некоммерческих организаций "В защиту прав избирателей "ГОЛОС"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou, et Mme Liliya Vasilyevna Shibanova, qui en était la directrice à l'époque des faits. Ils ont été représentés devant la Cour par P. Leach. À la suite de la liquidation de l'organisation requérante, Mme Shibanova a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
352. La mission de l'organisation requérante : surveiller les élections et promouvoir la protection des droits des électeurs.
353. Le ministère de la Justice, en avril 2013, le parquet de Moscou en avril 2013, puis le département de la justice de Moscou, en août 2015 ainsi qu'en janvier et avril 2016, inspectèrent l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le Comité Helsinki en Norvège puisque le Prix Andrey Sakharov pour la liberté avait été décerné à l'organisation requérante, bien qu'elle l'eût restitué au Comité. L'organisation requérante avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : contribution à l'adoption d'un nouveau code électoral ; interview donnée par la directrice de l'association Golos au cours de laquelle elle aurait dit vouloir changer la situation en ce qui concerne les élections ; participation de la directrice de l'Association Golos à divers débats sur le code électoral ; organisation d'événements publics afin de promouvoir un projet de code électoral ; contribution aux débats sur ce code ; et publication de ce projet sur son site Internet.
354. Le 5 juin 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. En mars 2015, Mme Shibanova démissionna de sa fonction de directrice. En 2016, l'organisation fut rayée du registre par l'effet de sa liquidation forcée.
355. Les décisions de justice suivantes ont été rendues.
1) 29 avril 2013, juge de paix du district Presnenskiy, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger », jugement annulé le 1er septembre 2014 par la cour de Moscou qui avait constaté que rien ne prouvait que l'organisation requérante avait reçu des fonds étrangers.
2) Le 29 avril 2013, le juge de paix du district Presnenskiy a infligé une amende à Mme Shibanova pour défaut d'enregistrement de l'association Golos en tant qu'« agent étranger ».
3) Le 24 juin 2014, le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou a estimé que l'inspection de l'organisation requérante par le procureur était justifiée. Il a confirmé les conclusions du 29 avril 2013 selon lesquelles l'organisation requérante avait reçu un financement étranger. Il a jugé que la restitution par l'association Golos du Prix de la liberté Andreï Sakharov n'avait eu aucun effet juridique puisque le financement étranger était considéré comme achevé une fois les fonds déposés sur son compte. Le 12 septembre 2014, la cour de Moscou a conclu en appel qu'en choisissant le nom complet « Association Golos pour la protection des droits de vote », et en préparant et en diffusant des informations sur les réformes législatives et sur les opinions concernant les décisions et la politique des pouvoirs publics, l'Association Golos s'était livrée à des activités politiques. Vu la manière dont les initiatives législatives avaient été décrites sur le site Internet de l'organisation requérante et dont les buts de celle-ci étaient exposés dans ses statuts, elle a conclu que cette organisation avait cherché à encourager le Parlement à adopter des lois régissant les élections nationales et les élections aux instances municipales, à influencer les politiques, à acquérir une notoriété publique et à sensibiliser l'État et la société civile.
4) 25 décembre 2015, rejet par le tribunal du district Zamoskvoretskiy du recours formé contre le refus du ministère de la Justice de rayer l'organisation requérante du registre des agents étrangers. Le tribunal a estimé que l'organisation requérante ne pouvait pas être rayée du registre des agents étrangers puisqu'elle avait reçu des fonds étrangers de la part de M. U., coordinateur de projet et directeur général de l'organisation régionale Golos, qui était un ressortissant russe mais avait reçu les fonds de « sources étrangères ». Il a relevé par ailleurs que, en publiant des rapports et des déclarations sur les élections via le Mouvement Golos, qui n'était pas une personne morale, l'organisation requérante avait exercé des « activités politiques ».
5) 11 avril 2016 (trois décisions), tribunal du district Presnenskiy, amendes pour défaut de mentions obligatoires dans les publications.
6) 26 mai 2016, tribunal du district Presnenskiy, amende pour défaut de mentions obligatoires dans les publications, jugement annulé le 18 juillet 2016 par l'effet de l'expiration du délai de prescription.
7) 29 juillet 2016, tribunal du district Presnenskiy, liquidation forcée à raison de violations répétées de la loi sur les agents étrangers.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
356. Les requérantes invitent la Cour à fixer le montant à leur accorder pour dommage moral et réclament l'équivalent de 17 140 EUR pour le dommage matériel qu'elles disent avoir subi du fait du paiement des amendes.
357. La Cour accorde aux requérantes 17 140 EUR (dix-sept mille cent quarante euros) conjointement pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Ecodéfense et autres c. Russie, no 9988/13, requête introduite le 6 février 2013)
1. En fait
358. L'organisation requérante est la Fondation Golos (Фонд в поддержку демократии "ГОЛОС"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par P. Leach. À la suite de sa liquidation, M. Grigoriy Arkadiyevich Melkonyants, son fondateur, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
359. La mission de l'organisation requérante : observation indépendante des élections et protection des droits des électeurs.
360. En avril 2013, le parquet de Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par Opona o.p.s. (République tchèque), et s'était livrée à l'action suivante jugée constitutive d'« activités politiques » : surveillance des élections.
361. Le 4 septembre 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 21 juin 2016, elle en fut rayée par l'effet de sa liquidation.
362. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 9 juillet 2013, tribunal du district Basmannyy de Moscou, amende pour défaut de coopération avec le bureau du procureur ; 2) 6 avril 2016, tribunal du district Basmanyy, liquidation forcée pour des raisons non liées à la qualité d'« agent étranger » de l'organisation (statuts non conformes à la loi).
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
363. L'organisation requérante invite la Cour de fixer le montant à lui accorder pour dommage moral.
364. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Golos-Povolzhye c. Russie, no 32423/15, requête introduite le 24 juin 2015)
1. En fait
365. L'organisation requérante est Golos-Povolzhye (Межрегиональный общественный фонд содействия развитию гражданского общества «ГОЛОС Поволжье»), une organisation russe à but non lucratif fondée à Samara. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova. À la suite de sa liquidation, Mme Lyudmila Gavrilovna Kuzmina, sa fondatrice et directrice générale, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
366. La mission de l'organisation requérante : promotion de la société civile ; protection des droits de l'homme; et diffusion de la connaissance du droit.
367. En décembre 2014, le département de la justice de la région de Samara inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la Fondation Golos, elle-même financée par USAID, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : information du public sur la législation et la protection des droits et libertés de l'homme ; surveillance des élections ; travaux sur des propositions et des recommandations en matière de droits de l'homme et de protection du droit de vote ; objectif affiché dans ses statuts de mettre en place une législation sur les droits de l'homme et les élections libres ; critique des pouvoirs publics lors d'entretiens et déclarations sur les élections et le travail des défenseurs des droits de l'homme ; et publication en ligne de ces informations et mise à la disposition du public de livres sur les élections libres en Russie et les moyens de lutter contre la corruption.
368. Le 6 février 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 9 avril 2019, elle fut liquidée.
369. La décision de justice suivante a été rendue : 16 février 2015, juge de paix du tribunal du district Samarskiy, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ».
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
370. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 31 750 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de la dette fiscale. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
371. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A26. Monde vert
(Monde vert c. Russie, no 60400/15, requête introduite le 1er décembre 2015)
1. En fait
372. L'organisation requérante est Monde vert (Нижегородская областная социально-экологическая общественная организация "Зеленый мир"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Nijni Novgorod. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova.
373. La mission de l'organisation requérante : protéger l'environnement et les sites du patrimoine culturel.
374. En avril et juillet 2015, le département de la justice de Nijni Novgorod inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : publication de documents sur la protection du patrimoine culturel dans les médias et dans un journal, Bereginya, avec une analyse de la politique de l'État, des critiques des actions des pouvoirs publics à l'égard des « agents étrangers », des déclarations du parti d'opposition Yabloko et des suggestions de réformes des lois existantes et de décisions spécifiques ; élaboration de plans d'action pour la protection d'éléments culturels particuliers ; présentation de pétitions au parlement local ; préparation d'expertises sur des bâtiments faisant partie du patrimoine culturel ; obtention de renseignements sur les menaces qui pèsent sur les éléments du patrimoine culturel et communication de ces renseignements aux pouvoirs publics ; ouverture de procédures judiciaires et coopération avec les pouvoirs publics sur la question de la protection du patrimoine culturel ; incitation des habitants à soutenir ses activités en matière de protection des éléments du patrimoine culturel ; participation à un forum sur l'interaction entre les ONG et la société civile ; et organisation de la participation de son directeur à une manifestation contre l'annexion de la Crimée par la Russie.
375. Le 29 juillet 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 12 octobre 2016, elle en fut rayée.
376. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : condamnation le 2 octobre 2015 par le juge de paix du tribunal du district de Moscou à Nijni Novgorod à une amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ». La cour d'appel a jugé que les activités de Monde vert avaient nui à l'intérêt public et aux droits et libertés de tous, plutôt qu'à ses propres intérêts.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
377. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
378. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Monde vert - local c. Russie, no 33734/16, requête introduite le 2 juin 2016)
1. En fait
379. L'organisation requérante est Monde vert - local (Местная общественная благотворительная экологическая организация Зеленый Мир), une organisation russe à but non lucratif fondée à Sosnovy Bor. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova. À la suite de sa liquidation, M. Oleg Viktorovich Bodrov, président de l'organisation requérante, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
380. La mission de l'organisation requérante : informer le public sur l'état de l'environnement ; promouvoir le contrôle du public sur l'environnement et la santé publique; et fournir une assistance aux victimes de catastrophes écologiques.
381. En octobre 2015, le département de la justice de la région de Léningrad inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par Norges Naturvernforbund, Global Greengrants Fund et le ССВ, et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : mise en place de programmes de sûreté nucléaire ; manifestations contre la construction d'une centrale nucléaire ; rédaction de lois sur les déchets nucléaires ; envoi aux pouvoirs publics, y compris au président russe, de pétitions sur l'usage de l'énergie nucléaire et le contrôle de l'environnement par le public ; critique de la politique nucléaire de l'État ; participation à des événements consacrés à l'usage de l'énergie nucléaire et à l'élimination des déchets nucléaires ; mise en ligne d'informations et distribution de publications ; publication en ligne de dessins sur le thème du déversement des déchets nucléaires ; organisation d'événements cyclistes pour promouvoir les valeurs écologiques ; organisation d'une manifestation pour la promotion des droits de l'homme et de la sécurité de l'environnement ; recueil de signatures pour protester contre la construction d'une usine d'aluminium ; voyages à l'étranger pour partager des expériences sur l'élimination des déchets nucléaires ; organisation d'une table ronde sur la politique régionale en matière de construction d'installations dangereuses ; et coopération avec une organisation environnementale concernant le registre des agents étrangers, les partis politiques et les pouvoirs publics.
382. Le 2 décembre 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 26 octobre 2016, elle fut liquidée.
383. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 4 février 2016, le tribunal de Sosnovy Bor dans la région de Léningrad a infligé à l'organisation requérante une amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 15 avril 2016, département de la justice de la région de Léningrad, amende pour défaut de communication de pièces comptables ; 3) 14 octobre 2016, juge de paix de Sosnovyy Bor, avertissement pour défaut de communication de pièces comptables, jugement annulé le 17 novembre 2016.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
384. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral et l'équivalent de 5 710 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
385. La Cour alloue à l'organisation requérante 5 710 EUR (cinq mille sept cent dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A28. Académie des droits de l'homme
(Académie des droits de l'homme c. Russie, no 34499/17, requête introduite le 2 mai 2017)
1. En fait
386. L'organisation requérante est l'Académie des droits de l'homme (Негосударственное образовательное учреждение дополнительного профессионального образования (повышение квалификации) специалистов "АКАДЕМИЯ ПО ПРАВАМ ЧЕЛОВЕКА"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Ekaterinbourg. Elle a été représentée devant la Cour par son directeur, M. S. Belyaev, qui a été autorisé à la représenter conformément à l'article 36 § 2 du règlement.
387. La mission de l'organisation requérante : proposer aux jeunes avocats et aux militants d'ONG des séances de formation aux droits de l'homme ; assurer une formation juridique aux étudiants ; mieux sensibiliser le public aux droits de l'homme; et développer une meilleure compréhension du droit grâce à l'enseignement.
388. En avril 2015, le département de la justice de la région de Sverdlovsk inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par l'ambassade des Pays-Bas et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : organisation de séances de formation aux droits de l'homme ; organisation d'une table ronde avec le concours d'un juge de la Cour constitutionnelle ; et organisation d'une conférence sur la Cour constitutionnelle et d'une conférence internationale sur l'enseignement des droits de l'homme en Russie et en Europe.
389. Le 15 mai 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
390. La décision de justice suivante a été rendue : le 23 septembre 2015, rejet par le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou (confirmé en appel le 18 novembre 2016) du grief tiré de l'enregistrement forcé en tant qu'agent étranger.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
391. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 590 EUR pour le dommage matériel résultant des frais d'audit. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 17 190 EUR, pour frais de justice et frais d'avocat.
392. La Cour alloue à l'organisation requérante 590 EUR (cinq cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A29. Centre des droits de l'homme Memorial
(Ecodéfense et autres c. Russie, no 9988/13, requête introduite le 6 février 2013)
1. En fait
393. L'organisation requérante est le Centre des Droits de l'Homme Memorial (Межрегиональная общественная организация Правозащитный Центр "Мемориал"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par P. Leach. À la suite de la décision ordonnant sa liquidation (paragraphes 10-12 ci‑dessus), Mme Anna Dobrovolskaya et M. Aleksandr Cherkasov, c'est‑à‑dire, respectivement, sa directrice générale et le président de son conseil d'administration, ont exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
394. La mission de l'organisation requérante : travailler sur divers projets dans le domaine des droits de l'homme, notamment le contentieux devant la Cour européenne des droits de l'homme ; surveiller les violations dans le Nord-Caucase et en Asie centrale, ainsi que les manquements à la procédure pénale ; et assurer une protection aux victimes de persécutions politiques, une assistance juridique aux migrants et une protection aux minorités.
395. L'organisation requérante fut inspectée par : 1) le parquet de Moscou en mars-avril 2013 ; et 2) le département de la justice de Moscou en octobre 2015. Il fut établi qu'elle était financée par le NED et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : organisation d'événements visant à promouvoir les droits de l'homme, la prééminence du droit et les valeurs démocratiques ; et publication en ligne d'une base de données sur les arrestations à caractère politique en Russie.
396. Le 21 juillet 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
397. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 24 mai 2013, le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou a jugé que l'inspection était justifiée au motif que, d'après ses statuts, le Centre des Droits de l'Homme Memorial avait été financé depuis l'étranger et poursuivait des objectifs politiques, tels que comme la diffusion d'informations sur les violations des droits de l'homme et les crimes des États totalitaires ; 2) le 23 mai 2014, le tribunal du district Zamoskvoretskiy a jugé que l'action du procureur visant à remédier aux violations était légale ; 3) le 11 mars 2015, le tribunal du district Tverskoy de Moscou a confirmé la légalité de la décision du ministère de la Justice d'inscrire l'organisation requérante au registre des agents étrangers ; 4) 7 septembre 2015, juge de paix du district Tverskoy de Moscou, amende pour défaut de mentions obligatoires dans les publications ; 5) 14 et 27 décembre 2016, tribunal du district Tverskoy de Moscou, amendes pour défaut de mentions obligatoires dans les publications.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
398. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 17 140 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 80 050 EUR pour les frais d'avocat et les frais de poste, de traduction et de dossier.
399. La Cour alloue à l'organisation requérante 17 140 EUR (dix-sept mille cent quarante euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 11 250 EUR (onze mille deux cent cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A30. Mouvement de la jeunesse humaniste
(Mouvement de la jeunesse humaniste c. Russie, no 37043/15, requête introduite le 13 juillet 2015)
1. En fait
400. L'organisation requérante est le Mouvement de la jeunesse humaniste (Мурманская региональная молодежная общественная организация "Гуманистическое движение молодежи"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Mourmansk. Elle a été représentée devant la Cour par A. Peredruk. À la suite de sa liquidation, Mme Tatiana Nikolaevna Kulbakina, sa vice-présidente, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
401. La mission de l'organisation requérante : promouvoir les valeurs humanistes et la responsabilité sociale auprès des jeunes, l'enseignement du droit et la communication entre les jeunes de différents pays.
402. En mars-avril 2014, le parquet du district administratif Pervomayskiy de Mourmansk inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la Fondation Rosa Luxemburg et le Consulat général des Pays-Bas à Saint-Pétersbourg, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : publication d'un journal sur la protection des droits de l'homme, de documents extrémistes et de documents appelant l'État à changer sa ligne politique ; et condamnation explicite du parti politique au pouvoir et du mode de gouvernement « totalitaire » en Russie.
403. Le 13 mars 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 25 août 2015, elle en fut rayée par l'effet de sa liquidation.
404. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : le 12 novembre 2014, le tribunal du district Pervomyaskiy de Mourmansk a accueilli la demande du procureur tendant à l'enregistrement forcé de l'organisation requérante. Il a été établi que, dans le journal qu'il avait publié, le Mouvement de la Jeunesse Humaniste avait tenté de convaincre la population de la nécessité de changer la politique de l'État, avait livré une appréciation négative du système politique existant et des hauts fonctionnaires et avait incité les lecteurs à entreprendre certaines actions.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
405. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral.
406. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(IEC Memorial c. Russie, no 52257/15, requête introduite le 13 octobre 2015)
1. En fait
407. L'organisation requérante est IEC Memorial (Межрегиональная общественная организация Информационно-просветительский центр "Мемориал"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Ekaterinbourg. Elle a été représentée devant la Cour par T. Glushkova.
408. La mission de l'organisation requérante : promouvoir la démocratie, les droits de l'homme, l'enseignement du droit et la condamnation du totalitarisme.
409. En décembre 2014, le département de la justice de la région de Sverdlovsk inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : contribution à la création d'un centre d'information sur les droits de l'homme, où chacun pouvait obtenir des informations sur les droits de l'homme et sur la situation sociale et politique en Russie ; organisation de discussions sur la politique russe concernant l'Ukraine ; participation aux discussions sur le statut des agents étrangers ; organisation d'un événement à la mémoire des victimes de la répression politique (en posant des affiches sur le stalinisme près de la scène principale de l'événement et en donnant lecture d'informations sur les victimes de la répression et les organes de l'État qui les avaient condamnées) ; et organisation de manifestations individuelles pour distribuer des tracts affirmant qu'il était courant pour l'État de considérer l'être humain comme un moyen pour parvenir à une fin et suggérant qu'il fallait répondre à certaines questions sur la Constitution et son importance.
410. Le 16 janvier 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
411. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 27 mars 2015, le tribunal du district Kirovskiy d'Ekaterinbourg a jugé légales les actions du ministère de la Justice ; 2) 5 mars 2015, juge de paix du tribunal du district Kirovskiy d'Ekaterinbourg, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 3) le 27 mai 2015, le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou a jugé que la décision d'inscrire l'organisation requérante au registre des agents étrangers était légale.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
412. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 1 430 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 710 EUR, pour frais de justice et frais de déplacement.
413. La Cour alloue à l'organisation requérante 1 430 EUR (mille quatre cent trente euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 710 EUR (sept cent dix euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A32. Centre des peuples autochtones
(Centre des peuples autochtones c. Russie, no 59985/16, requête introduite le 5 octobre 2016)
1. En fait
414. L'organisation requérante est le Centre des peuples autochtones (Межрегиональная общественная организация "Центр содействия коренным малочисленным народам Севера"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par I. Sharapov. À la suite de sa liquidation, M. Rodion Vasilievich Sulandziga, son président, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
415. La mission de l'organisation requérante : assister les peuples autochtones du Nord de la Russie.
416. En octobre 2015, le département de la justice de Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le Fonds des Nations unies pour la démocratie (« FNUD »), la Banque mondiale et l'International Work Group for Indigenous Affairs, et qu'elle avait mené les actions suivantes été qualifiées d'« activités politiques » : soutien aux initiatives démocratiques des peuples autochtones du Nord, de Sibérie et d'Extrême-Orient en Russie et organisation de discussions consacrées aux opérations minières menées sur les terres des peuples autochtones ; conseils aux peuples autochtones sur la manière de lutter contre les conséquences négatives du changement climatique ; organisation de tables rondes sur le changement climatique et son impact sur le mode de vie traditionnel des peuples autochtones ; organisation du 7e Congrès des peuples autochtones avec la participation notamment de l'ONU, de l'UNESCO et de la Banque mondiale ; préparation d'une analyse et de réformes de la loi russe relative aux peuples autochtones ; publication d'un magazine sur les peuples autochtones de l'Arctique ; préparation de séminaires sur la gestion des ressources naturelles ; interaction avec les entreprises industrielles ; voyages d'affaires dans des régions habitées par des peuples autochtones ; discussions sur la question des droits des peuples autochtones et de leur développement durable ; et préparation de recommandations à l'attention des autorités russes et de la communauté internationale.
417. Le 27 novembre 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 3 mars 2020, elle fut liquidée.
418. La décision de justice suivante a été rendue : 21 janvier 2016, tribunal du district Nikulinskiy de Moscou, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » (confirmé en appel le 12 juillet 2016).
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
419. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral et réclame l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
420. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A33. Memorial International
(Ecodéfense et autres c. Russie, no 9988/13, requête introduite le 6 février 2013)
1. En fait
421. L'organisation requérante est Memorial International (Международная общественная организация "Международное историко-просветительское, благотворительное и правозащитное общество "Мемориал"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par P. Leach. À la suite de sa liquidation (paragraphes 12-14 ci-dessus), Mme Yelena Zhemkova et M. Yan Rachinskiy, respectivement sa directrice générale et le président de son conseil d'administration, ont exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
422. La mission de l'organisation requérante : contribuer au développement de la prééminence du droit, de la démocratie et des droits de l'homme ; mener des activités dans le domaine de l'histoire et de l'enseignement, notamment en fournissant une assistance aux victimes de la répression politique ; faire des recherches et analyses sur les régimes totalitaires, et mener des travaux en matière de droits de l'homme.
423. Une inspection de l'organisation requérante fut menée par : 1) le parquet de Moscou en mars 2013 ; et 2) le département de la justice de Moscou en septembre 2016. Il fut établi qu'elle était financée par l'USAID, l'OSIAF et la Fondation « Remembrance, Responsibility and Future » et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : contribution au développement de la société civile et d'un État démocratique ; influence de l'opinion publique à la lumière des valeurs de la démocratie et du droit ; lutte contre les stéréotypes totalitaires ; rétablissement la vérité historique ; et commémorations en l'honneur des victimes de la répression politique.
424. Le 4 octobre 2016, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
425. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 24 mai 2013, le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou a estimé que la décision de conduire l'inspection était justifiée ; 2) 16 décembre 2016, ce même tribunal a rejeté le recours formé contre la décision du ministère de la Justice ordonnant l'enregistrement de l'organisation requérante en tant qu'« agent étranger » ; 3) 7 décembre 2016, tribunal du district Tverskoy de Moscou, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ».
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
426. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende.
427. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(KPK Memorial c. Russie, no 15098/16, requête introduite le 8 mars 2016)
1. En fait
428. L'organisation requérante est KPK Memorial (Коми региональная общественная организация "Комиссия по защите прав человека "Мемориал"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Syktyvkar. Elle a été représentée devant la Cour par E. Mezak. Après sa liquidation, M. Igor Valentinovitch Sazhin, son président, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
429. La mission de l'organisation requérante : protéger les droits de l'homme.
430. En mai-juin 2015, le département de la justice de la république des Komis inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED et l'OSIAF et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : publication en ligne d'informations sur des questions politiques, sur les initiatives de M. Navalnyy, politicien de l'opposition, sur l'opinion du public concernant l'organisation requérante et sur les manifestations non autorisées à Syktyvkar.
431. Le 21 juillet 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
432. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 8 juillet 2015, juge de paix de la circonscription judiciaire de Krasnozatonskiy, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 2 février 2016, le tribunal de Syktyvkar de la république des Komis a rejeté le recours formé contre la décision d'inscrire l'organisation requérante au registre des agents étrangers ; 3) 8 avril, 20 juin et 6 octobre 2016, 12 janvier, 4 avril, 13 juillet et 4 octobre 2017, et 11 janvier 2018, juge de paix des circonscriptions judiciaires Krasnozatonskiy et Pushkinskiy, avertissements pour défaut de communication de pièces comptables ; 4) 15 juillet et 16 décembre 2016, 11 avril, 19 mai et 27 octobre 2017, juge de paix de la circonscription judiciaire Pushkinskiy, avertissements pour défaut de communication de pièces comptables.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
433. L'organisation requérante réclame 35 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 2 000 EUR, pour frais d'avocat.
434. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A35. Organisation des diplômés universitaires de Krasnodar
(Organisation des diplômés universitaires de Krasnodar c. Russie, no 48049/16, requête introduite le 9 août 2016)
1. En fait
435. L'organisation requérante est l'Organisation des diplômés universitaires de Krasnodar (Краснодарская краевая общественная организация выпускников вузов), une organisation russe à but non lucratif fondée à Krasnodar. Elle a été représentée devant la Cour par D. Pigoleva.
436. La mission de l'organisation requérante : coordonner les activités relatives à la protection des droits civils, économiques, intellectuels et patrimoniaux des diplômés.
437. Le département de la justice de la région de Krasnodar, dont un représentant avait participé à un sommet du G20 organisé par l'organisation requérante, inspectèrent celle-ci. Il fut établi qu'elle était financée par Oxfam et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : organisation d'une conférence sur le sommet du G20 ; participation à une conférence sur les méthodes régionales quant au contrôle public des droits de l'homme et publication d'un exposé sur le respect des droits de l'homme dans les centres de détention ; et propositions sur le budget régional.
438. Le 25 décembre 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 22 avril 2016, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un « agent étranger ».
439. Les décisions de justice suivantes ont été rendues.
1) 27 avril 2015, tribunal du district Oktyabrskiy de Krasnodar, rejet du recours formé par l'organisation requérante contre l'enregistrement forcé.
2) 20 février 2015, juge de paix du tribunal de la circonscription judiciaire no 55 de Krasnodar, abandon de la procédure administrative pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ».
3) 27 juillet 2016, tribunal du district Oktyabrskiy de Krasnodar, amende infligée au directeur de l'organisation requérante pour défaut de mentions obligatoires dans les publications.
4) 6 avril 2017, juge de paix du tribunal de la circonscription no 55 de Krasnodar, communication de pièces comptables sans renseignements sur les donateurs étrangers, procédure abandonnée en raison de l'expiration du délai de prescription pour l'ouverture d'une procédure administrative.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
440. L'organisation requérante réclame 16 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 710 EUR pour le dommage matériel résultant des frais occasionnés par l'audit et des frais postaux. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 17 100 EUR, pour frais de justice, frais d'avocat, frais postaux et frais de déplacement.
441. La Cour alloue à l'organisation requérante 710 EUR (sept cent dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A36. Mission juridique
(Mission juridique c. Russie, no 62848/17, requête introduite le 1 août 2017)
1. En fait
442. L'organisation requérante est Mission juridique (Фонд поддержки гражданских свобод "Правовая миссия"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Tcheliabinsk. Elle a été représentée devant la Cour par M. Olenichev. Elle est aujourd'hui en voie de dissolution. M. Alexeï Viktorovitch Tabalov, président du comité de liquidation, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place, au cas où elle cesserait d'exister avant le prononcé de l'arrêt de la Cour.
443. La mission de l'organisation requérante : promouvoir la prééminence du droit dans la région de Tcheliabinsk.
444. En juillet-août 2016, le département de la justice de la région de Tcheliabinsk inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : gestion du programme intitulé « l'École du conscrit », sensibilisation des conscrits militaires à leurs droits et représentation de ceux-ci en justice, et diffusion de publications sur leurs droits ; et prise de parole du directeur de l'organisation requérante sur un projet de loi imposant aux recrues de recevoir une carte de conscription en personne dans un poste de recrutement.
445. Le 21 septembre 2016, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 11 janvier 2017, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un « agent étranger ».
446. La décision de justice suivante a été rendue : 24 novembre 2016, tribunal du district Sovetskiy de Chelyabinsk, amende pour défaut de demande d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » (confirmé en appel le 1er février 2017).
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
447. L'organisation requérante réclame 20 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 5 810 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende et de l'audit. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 9 750 EUR pour frais postaux et frais d'avocat.
448. La Cour alloue à l'organisation requérante 5 810 EUR (cinq mille huit cent dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Centre Levada c. Russie, no 16094/17, requête introduite le 21 février 2017)
1. En fait
449. L'organisation requérante est le Centre Levada (Автономная Некоммерческая Организация "Аналитический Центр Юрия Левады"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par I. Sharapov.
450. La mission de l'organisation requérante : études sociales, sondages d'opinion et analyses de marketing.
451. En août 2016, le département de la justice de Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le cabinet d'avocats Jones Day, l'Université du Colorado, l'Université Columbia, l'Université du Wisconsin-Madison, l'Université George Washington, Ipsos MORI, FAFO Applied International Studies, Fernland Holdings Ltd, Deutsche Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit GmbH, Gallup Inc. et Viešoji įstaiga, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : veille des évolutions socio-économiques ; organisation de groupes de discussion sur le logement, les questions sociales et politiques, les États-Unis, le conflit avec l'Ukraine, le conflit en Syrie, les relations avec la Turquie et la situation en Russie ; recherches sur la manière dont les non-spécialistes voient la démocratie ; publication d'un rapport qualifiant les autorités russes d'autoritaires et d'immorales ; critiques de la loi sur les agents étrangers ; tenue par le directeur de l'organisation requérante de propos sur la situation politique et la corruption en Russie, ainsi que sur le statut de la Crimée ; et émission par le chef du département du Centre Levada de déclarations sur les décisions des autorités russes.
452. Le 5 septembre 2016, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
453. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 26 octobre 2016, tribunal du district Tverskoy de Moscou, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ». Il a été établi que les déclarations sur le régime politique russe faites par le directeur du Centre Levada et par le chef d'un département lors d'une conférence, ainsi que dans des entretiens et des articles en ligne, provenaient de l'organisation elle‑même et constituaient donc une « activité politique ».
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
454. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 6 200 EUR, pour frais d'avocat.
455. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A38. L'Homme et le droit
(L'Homme et le droit c. Russie, no 13474/15, requête introduite le 28 février 2015)
1. En fait
456. L'organisation requérante est L'Homme et le droit (Межрегиональная общественная организация "Человек и Закон"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Yoshkar-Ola. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova.
457. La mission de l'organisation requérante : protéger les droits fondamentaux des individus dans leurs relations avec les pouvoirs publics.
458. En novembre-décembre 2014, le département de la justice de la république des Maris inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la Fondation MacArthur, l'OSIAF, l'ambassade des Pays-Bas, le Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU, l'Institut danois des droits de l'homme et le Conseil de l'Europe, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : organisation d'une conférence sur la protection des droits de l'homme et préparation de recommandations sur les droits de l'homme à l'attention des agents publics et de séminaires sur les droits de l'homme en Russie ; mise en ligne d'une analyse des décisions des pouvoirs publics, critiquant notamment la police locale ; sensibilisation des agents publics au dialogue entre l'État et la société civile ; incitation des membres de l'organisation requérante à participer aux travaux des commissions de surveillance des prisons ; et contribution à l'essor des ONG et des conseils de surveillance publics.
459. Le 30 décembre 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
460. La décision de justice suivante a été rendue : 30 décembre 2014, juge de paix de la circonscription judiciaire de Yoshkar-Olinskiy, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ».
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
461. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral ainsi que l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
462. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Ecodéfense et autres c. Russie, no 9988/13, requête introduite le 6 février 2013)
1. En fait
463. L'organisation requérante est MASHR (Автономная некоммерческая организация "Правозащитная организация "МАШР"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Karabulak. Elle a été représentée devant la Cour par P. Leach.
464. La mission de l'organisation requérante : suivre les affaires de disparitions forcées en Ingouchie et dans les régions limitrophes.
465. En août-septembre 2015, le département de la justice d'Ingouchie inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED et le Comité Helsinki en Norvège et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : mise en ligne de publications sur le statut d'agent étranger et sur le contrôle public ; publication en ligne de critiques sur l'action des autorités fédérales et ingouches et divulgation de renseignements sur leur inaction ; participation aux décisions de l'État et des collectivités locales ; lancement d'initiatives sociales ; et communication de propositions aux pouvoirs publics.
466. Le 8 décembre 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 7 avril 2017, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un « agent étranger ».
467. Les décisions de justice suivantes ont été rendues.
1) 13 novembre 2015, tribunal du district Magasskiy de la république d'Ingouchie, rejet du recours formé contre l'inspection. Le tribunal a annulé la décision du ministère de la Justice et constaté que l'organisation requérante n'avait pas été informée au préalable de l'inspection. Cependant, il a jugé que MASHR s'était livrée à une « activité politique » sans s'être enregistrée auprès du ministère de la Justice, et que le ministère de la Justice devait l'empêcher de violer la loi sur les agents étrangers.
2) Le 7 août 2017, le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou a conclu que la décision du ministère de la Justice d'inscrire l'organisation requérante au registre des agents étrangers était légale.
3) 30 août 2016, tribunal du district Karabulakskiy, deux amendes (deux jugements) pour défaut de mentions obligatoires dans une publication sur les activités du MASHR et dans une annonce sur l'ouverture d'un concours pour les défenseurs des droits de l'homme faite par son directeur sur le site Internet d'un tiers.
4) 1er décembre 2016, tribunal du district Karabulakskiy, trois amendes pour défaut de mentions obligatoires dans les publications sur les activités du MASHR diffusées par son directeur sur le site Internet d'un tiers.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
468. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 21 430 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes.
469. La Cour alloue à l'organisation requérante 21 430 EUR (vingt et un mille quatre cent trente euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A40. Centre de défense des médias
(Centre de défense des médias c. Russie, no 26169/16, requête introduite le 29 avril 2016)
1. En fait
470. L'organisation requérante est le Centre de défense des médias (Региональный Фонд "Центр Защиты Прав Средств Массовой Информации"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Voronej. Elle a été représentée devant la Cour par G. Arapova.
471. La mission de l'organisation requérante : la protection des droits de l'homme, de la liberté d'expression et des droits des médias.
472. En février 2015, le département de la justice de la région de Voronej inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le Free Word Centre, l'Union européenne, la Fondation MacArthur et le Sigrid Rausing Trust, et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : publication d'un livre sur la législation extrémiste dans lequel étaient analysées des dispositions légales ; interview donnée par le directeur de l'organisation requérante pour un film documentaire sur la persécution des journalistes et saluant le Bureau du représentant de l'OSCE pour la liberté des médias à l'occasion du quinzième anniversaire de sa création ; présidence assurée par le directeur de l'organisation requérante du Conseil social du Département des affaires intérieures de la région de Voronej ; déclarations critiques faites en public ; critique des réformes des lois en vigueur sur les médias, de la qualité des travaux de parlementaires, du système juridictionnel national et des dispositions légales sur le droit d'auteur ; interaction avec les pouvoirs publics ; surveillance de violations de la liberté d'expression ; organisation d'une formation pour les journalistes, les juges et les avocats ; traduction et analyse d'arrêts de la Cour ; fourniture d'une assistance juridique aux maisons d'édition et aux journalistes; compilation de la jurisprudence russe sur le droit de la protection des données ; et participation à des discussions sur l'accès à l'information et aux données personnelles, le droit d'auteur, la sécurité des journalistes, la liberté d'expression en Russie, la déontologie du journaliste et les règles de droit, et le partage d'informations en ligne.
473. Le 26 février 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
474. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 15 avril 2015, amende infligée par le juge de paix de la circonscription judiciaire de Tsentralnyy d'une amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 30 novembre 2015, tribunal du district Lénine de Voronej, rejet des prétentions de l'organisation requérante concernant l'enregistrement forcé.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
475. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral et l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 4 460 EUR, pour frais de justice, frais d'avocat, impôts et taxes, frais de déplacement, frais d'expertise et de recherches politiques.
476. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Centre Maximum c. Russie, no 49258/15, requête introduite le 30 septembre 2015)
1. En fait
477. L'organisation requérante est le Centre Maximum (Мурманская региональная общественная организация "Центр социально‑психологической помощи и правовой поддержки жертв дискриминации и гомофобии "Максимум"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Mourmansk et représentée devant la Cour par I. Khrunova. À la suite de sa liquidation, M. Sergey Anatolyevich Alekseyenko, son directeur, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
478. La mission de l'organisation requérante : protéger et réhabiliter les personnes LGBT et protéger leurs droits ; fournir une assistance juridique ; et contribuer à l'élimination de la discrimination et de l'homophobie.
479. L'organisation requérante fut inspectée : 1) en décembre 2014‑janvier 2015 par le département de la justice de la région de Mourmansk ; et 2) en juin 2015 par le ministère de la Justice (contrôle du respect des mentions obligatoires). Il fut établi qu'elle était financée par Civil Rights Defenders, le consulat général des Pays-Bas et Arcus Operating Foundation et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : organisation d'une manifestation contre la xénophobie, la violence et la discrimination, et du « flash mob arc-en-ciel » à l'occasion de la Journée internationale contre l'homophobie ; soutien aux enseignants licenciés en raison de leur orientation sexuelle ; dépôt de demandes auprès des pouvoirs publics pour protester contre la xénophobie et la discrimination ; coopération avec d'autres organisations LGBT ; invitation de mineurs dans un centre LGBT où pouvaient être consultés des matériaux sur le fait d'être LGBT ; participation à des événements organisés par le réseau LGBT russe ; publication de déclarations critiquant les lois russes ; et coopération avec le Conseil régional des droits de l'homme pour la jeunesse.
480. Le 4 février 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 28 octobre 2015, elle en fut rayée au motif qu'elle avait été liquidée par ses membres afin de ne plus subir les restrictions de la loi sur les agents étrangers.
481. La décision de justice suivante a été rendue : le 10 mars 2015, le juge de paix du tribunal du district Lénine de Mourmansk a infligé une amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ».
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
482. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral et l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
483. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Memo.ru c. Russie, no 61732/16, requête introduite le 21 octobre 2016)
1. En fait
484. L'organisation requérante est Memo.ru (Частное учреждение "Информационное агентство МЕМО.РУ"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par M. K. Koroteyev.
485. La mission de l'organisation requérante : analyser et diffuser les informations ; contribuer à l'essor au développement de la société civile, d'un État démocratique et des valeurs démocratiques ; éduquer et influencer les gens ; lutter contre les stéréotypes totalitaires ; régler les conflits de manière pacifique ; établir des médias indépendants ; publier en ligne des informations sur les ONG ; et créer des bases de données.
486. En octobre-novembre 2014, le département de la justice de Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par l'OSIA, le Comité Helsinki en Norvège, le NED, la Fondation Charles Stewart Mott, Human Rights Defenders, l'ICCD, Human Rights House, SIDA, la Fondation Oak, la Fondation Ford, Internews Network et les ambassades d'Allemagne, du Royaume-Uni et des Pays-Bas en Russie, et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : le projet « Caucasian Node », qui diffusait des informations sur les événements survenus dans le Nord-Caucase, notamment sur les violations des droits de l'homme ; diffusion sur Twitter de messages relatant les élections municipales et une réunion de protestation contre le transfert d'une partie du territoire du Daghestan à l'Azerbaïdjan ; mise en ligne de publications sur les actions de soutien à M. Navalnyy et de publications sur les réunions de l'opposition politique, les violations de la procédure électorale, les attaques terroristes en Russie et l'immigration clandestine ; et mise en ligne des résultats d'un projet de recherche sur les attentes des citoyens russes concernant la situation dans la région du Caucase.
487. Le 20 novembre 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
488. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 10 décembre 2014, juge de paix du district Tverskoy de Moscou, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) le 18 mai 2015, le tribunal du district Gagarine de Moscou a jugé légales l'inspection faite par le ministère de la Justice et sa décision d'inscrire l'organisation requérante au registre des agents étrangers ; 3) les 29 mars et 29 juin 2016, le tribunal du district Tverskoy de Moscou a imposé deux amendes pour défaut de mentions obligatoires dans plusieurs publications, notamment de courts résumés de l'actualité sur les événements dans les régions russes. Le tribunal a rejeté l'argument tiré par l'organisation requérante de ce que les publications provenaient de OOO Memo, à laquelle les fonctions d'édition avaient été transférées en 2014. Il a jugé que les activités de Memo.ru et de OOO Memo étaient fondées sur un « intérêt commun » et que les deux organisations avaient le même directeur, de sorte que toutes les publications de OOO Memo devaient comporter les mêmes mentions que si elles avaient été directement produites par Memo.ru.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
489. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 18 570 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes.
490. La Cour alloue à l'organisation requérante 18 570 EUR (dix-huit mille cinq cent soixante-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Migration XXIème siècle c. Russie, no 1786/16, requête introduite le 23 décembre 2015)
1. En fait
491. L'organisation requérante est Migration XXIème siècle (Фонд поддержки социальных проектов "Миграция XXI век"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par I. Sharapov.
492. La mission de l'organisation requérante : promouvoir la tolérance envers les migrants et protéger leurs droits sociaux.
493. En janvier-février 2015, le département de la justice de Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le Département fédéral suisse des Affaires étrangères et la Banque mondiale et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : assurer les fonctions de secrétariat du Réseau d'apprentissage par les pairs sur les migrations et les envois de fonds (MIRPAL), un groupe d'experts en migration auteur de recommandations dans ce domaine ; lancement d'une initiative sur l'amnistie migratoire et organisation de discussions avec des représentants des autorités sur l'amnistie migratoire en Russie, la nationalité, la migration des travailleurs, les relations interethniques et la contribution éventuelle des autorités locales à la résolution des problèmes existants, à l'intégration des migrants dans la société russe, au statut juridique des travailleurs migrants dans le marché noir et à la main-d'œuvre étrangère ; préparation d'une pétition au Parlement fédéral en vue d'une amnistie pour les ressortissants de l'ex-Union soviétique ; publication d'articles sur l'immigration illégale, d'autres rapports sur l'amnistie migratoire, et du journal Migration XXIème siècle ; critique de la politique migratoire de l'État ; développement d'un réseau d'experts en migration pour l'Europe et l'Asie centrale ; surveillance des lois sur la migration et rédaction de textes analytiques sur la migration ; création d'une base de données sur les experts ; défense de l'instauration d'une amnistie migratoire et d'une redistribution des pouvoirs entre les autorités fédérales et locales ; dépôt de demandes auprès des pouvoirs publics ; et distribution de documents évaluant les décisions et la politique migratoire des pouvoirs publics.
494. Le 27 mars 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 26 novembre 2016, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un « agent étranger ».
495. La décision de justice suivante a été rendue : 27 avril 2015, juge de paix du tribunal de la circonscription no 299 de Moscou, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ». Il a été jugé établi que les membres de Migration XXIème siècle avaient non pas partagé leur propre vision des événements politiques, mais contribué à la diffusion des opinions de politiciens auprès du public et influencé l'opinion publique.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
496. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral ainsi que l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
497. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A44. Groupe Helsinki de Moscou
(Ecodéfense et autres c. Russie, no 9988/13, requête introduite le 6 février 2013)
1. En fait
498. L'organisation requérante est le Groupe Helsinki de Moscou (Региональная общественная организация « Московская группа содействия Хельсинским соглашениям »), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par P. Leach.
499. La mission de l'organisation requérante : protéger les droits de l'homme dans différents domaines ; surveiller les violations des droits de l'homme; dispenser un enseignement sur les droits de l'homme; et soutenir les initiatives en faveur des droits de l'homme.
500. Le 13 février 2013, l'organisation requérante reçut des fonds d'une organisation étrangère. Le 28 mars 2013, le parquet de Moscou lui demanda de produire des documents pour inspection. L'organisation requérante accéda à cette demande. Craignant des poursuites, elle remboursa le don et refusa tout autre don étranger, ce afin de se soustraire à l'application de la loi sur les agents étrangers.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
501. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral.
502. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A45. École moscovite d'éducation civile
(École moscovite d'éducation civile c. Russie, no 27654/15, requête introduite le 3 juin 2015)
1. En fait
503. L'organisation requérante est l'École moscovite d'éducation civile (Автономная некоммерческая организация "Московская школа гражданского просвещения"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova. À la suite de sa liquidation, Mme Marina Alekseyevna Yefremova, sa directrice générale, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
504. La mission de l'organisation requérante : promouvoir les valeurs démocratiques, la prééminence du droit, la société civile et le dialogue entre les experts internationaux, les jeunes dirigeants politiques et les représentants de l'État.
505. En juillet-août 2014, le département de la justice de Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la Fondation Charles Stewart Mott, EWC, l'OSIAF, le Conseil de l'Europe, les ambassades des Pays-Bas et de Finlande, la Fondation MacArthur, NUPI, le Forum germano-russe et SITE, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : diffusion en direct de discussions en ligne avec de célèbres experts russes et étrangers sur le droit, la société, la politique, l'économie, les médias et la culture ; organisation de débats, de séminaires et de conférences sur les élections en Russie, les relations entre la Russie et l'Ukraine, la politique extérieure de la Russie, le régime politique en Russie, la procédure législative russe et la politique russe post-soviétique ; et invitation à des débats d'experts auteurs de déclarations critiquant les lois russes et faisant leur analyse personnelle de la situation politique en Russie, la qualifiant de « dictatoriale » et de « scandale absolu ».
506. Le 9 décembre 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 25 février 2021, elle fut liquidée.
507. La décision de justice suivante a été rendue : 23 décembre 2014, juge de paix du district Tverskoy de Moscou, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ». Il a été jugé que les employés de l'organisation requérante n'avaient pas exprimé publiquement leurs opinions politiques mais que, en diffusant les opinions de divers hommes politiques auprès du grand public, l'organisation avait influencé l'opinion publique (confirmé en appel le 12 mars 2015).
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
508. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
509. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A46. Mouvement pour les droits de l'homme
(Ecodéfense et autres c. Russie, no 9988/13, requête introduite le 6 février 2013)
1. En fait
510. L'organisation requérante est le Mouvement pour les droits de l'homme (Общероссийское общественное движение защиты прав человека "За права человека"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par P. Leach. À la suite de sa liquidation, M. Lev Alexandrovitch Ponomarev, son président, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
511. La mission de l'organisation requérante : protection contre les agissements illégaux des autorités répressives ; débats sur des questions de sécurité sociale ; promotion des droits de l'enfant ; aide à l'enregistrement obligatoire d'un lieu de résidence ; et défense de la société civile.
512. L'organisation requérante fut inspectée : 1) en mars 2013 par le parquet de Moscou ; et 2) en décembre 2014 par le ministère de la Justice. Il fut établi qu'elle était financée par Freedom House, Mme Caroline Bourget et Mme Delphine Nougayrede, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : publication de brochures sur le logement, le contrôle du trafic des stupéfiants et la politique en la matière, la torture, les droits des détenus, le travail dans les colonies pénitentiaires et les questions pénales ; et formulation par le directeur de l'organisation lors d'une conférence de presse de déclarations critiques contre la loi sur les agents étrangers.
513. Le 22 décembre 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 30 décembre 2015, elle fut rayée du registre mais réinscrite le 12 février 2019. Par un jugement définitif du 26 décembre 2019, elle fut liquidée.
514. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 18 avril 2013, le juge de paix du district Presnenskiy a infligé une amende au directeur de l'organisation requérante pour manque de coopération avec le procureur ; 2) le 16 mars 2015, le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou a jugé légales l'inspection de l'organisation requérante par le ministère de la Justice et sa décision de l'inscrire au registre des agents étrangers ; 3) 18 mars 2015, juge de paix du district Krasnoselskiy de Moscou, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 4) 28 avril 2016, tribunal du district Meshchanskiy, trois amendes pour défaut de mentions obligatoires dans les publications.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
515. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 12 860 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes.
516. La Cour alloue à l'organisation requérante 12 860 EUR (douze mille huit cent soixante euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Fondation et mouvement pour la nature c. Russie, no 3085/16, requête introduite le 21 décembre 2015)
1. En fait
517. L'organisation requérante est le Mouvement pour la nature (Челябинское региональное экологическое общественное движение "За природу"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Tcheliabinsk. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova. À la suite de sa liquidation, M. Andreï Alexandrovitch Talevlin, son président, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
518. La mission de l'organisation requérante : protéger l'environnement.
519. En janvier-février 2015, le département de la justice de la région de Tcheliabinsk inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la Fondation « Pour la nature » et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : promotion des valeurs écologiques ; organisation du nettoyage des berges de rivières locales ; association à une campagne de conservation des forêts ; coopération avec les pouvoirs publics sur les questions écologiques ; protestation contre la construction d'une usine minière ; et sensibilisation du public, grâce aux médias et à son site Internet, sur l'état de l'environnement.
520. Le 6 mars 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 14 décembre 2016, elle fut liquidée pour violation de la loi, notamment de la loi sur les agents étrangers.
521. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 12 mai 2015, le juge de paix du district Tsentralnyy a jugé établi que l'organisation requérante n'avait reçu aucun financement d'organisations étrangères et a classé sans suite la procédure ; 2) le 6 août 2015, le tribunal du district Tsentralnyy de Chelyabinsk a annulé cette décision et rejeté l'affaire en raison de l'expiration du délai de prescription ; 3) 14 décembre 2016, la cour régionale de Chelyabinsk a prononcé la liquidation forcée pour violations multiples de la loi, notamment de la loi sur les agents étrangers.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
522. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
523. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(OO Sutyazhnik c. Russie, no 14823/17, requête introduite le 30 janvier 2017)
1. En fait
524. L'organisation requérante est OO Sutyazhnik (Свердловская региональная общественная организация « Сутяжник »), une organisation russe à but non lucratif fondée à Ekaterinbourg. Elle a été représentée devant la Cour par son directeur, M. S. Belyaev, qui a été autorisé à la représenter conformément à l'article 36 § 2 du règlement.
525. La mission de l'organisation requérante : protéger les droits de l'homme, assurer une formation en droit et la fourniture d'une assistance juridique gratuite.
526. En avril 2015, le département de la justice de la région de Sverdlovsk inspecta l'organisation requérante (il y a eu non pas une inspection formelle, mais une analyse des documents produits par elle). Il fut établi qu'elle était financée par l'ambassade du Royaume-Uni et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : organisation d'une séance de formation et d'une présentation vidéo sur le contentieux stratégique aux États-Unis, en Europe et en Russie ; organisation d'une table ronde sur la prééminence du droit et la démocratie en Russie et mise en ligne des publications sur ces questions ; organisation d'une conférence de presse sur l'interaction entre blogueurs et pouvoirs publics ; et partage d'informations sur le site Internet de l'organisation.
527. Le 15 mai 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
528. La décision de justice suivante a été rendue : le 29 septembre 2015, le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou a rejeté le recours formé contre l'enregistrement forcé en tant qu'agent étranger (confirmé en appel le 14 novembre 2016).
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
529. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 4 430 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende et de l'audit. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 16 360 EUR, pour frais de justice et frais d'avocat.
530. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 430 EUR (quatre mille quatre cent trente euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 500 EUR (mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A49. Partenariat pour le développement
(Pitsunova et Partenariat pour le développement c. Russie, no 14070/15, requête introduite le 3 mars 2015)
1. En fait
531. Les requérants sont le Partenariat pour le développement (Ассоциация "Партнерство для развития" (Саратовская региональная общественная благотворительная организация)), une organisation fondée à Saratov, et sa directrice, Olga Nikolayevna Pitsunova. Elles ont été représentées devant la Cour par I. Khrunova. À la suite à la liquidation de l'organisation requérante, Mme Pitsunova a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
532. La mission de l'organisation requérante : protection des intérêts publics (surtout dans le domaine de l'écologie) ; résolution des problèmes urgents touchant la ville de Saratov et sa région ; et contribution aux œuvres caritatives et à l'élaboration des politiques.
533. En avril 2015, le département de la justice de la région de Sverdlovsk inspecta l'organisation requérante (il y eut non pas une inspection formelle de l'organisation requérante mais une analyse des documents produits par elle). Il fut établi qu'elle était financée par le gouvernement et l'ambassade des États-Unis et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : mise en ligne de publications sur les questions écologiques dans la région de Saratov ; création d'un site Internet pour surveiller les actions des autorités ; promotion d'idées sur l'association des civils aux affaires d'État ; et appels aux manifestations en période préélectorale.
534. Le 2 octobre 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 6 novembre 2015, elle en fut rayée au motif qu'elle avait été liquidée par ses membres, faute d'avoir pu payer l'amende.
535. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 24 septembre 2014, le tribunal du district Kirovskiy de Saratov a fait droit à la demande d'enregistrement forcé forme par le procureur ; 2) les 6 et 11 août 2014, le juge de paix du district Kirovskiy a infligé des amendes pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » à raison de publications en ligne qui critiquaient les autorités en matière de protection de l'environnement et de l'évaluation négative de la politique actuelle de l'État qu'avait faite Mme Pitsunova.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
536. Les requérantes réclament 10 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 1 430 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais de justice.
537. La Cour alloue aux requérantes 1 430 EUR (mille quatre cent trente euros) conjointement pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A50. Centre des droits de l'homme de Perm
(Centre des droits de l'homme de Perm c. Russie, no 35816/16, requête introduite le 8 juin 2016)
1. En fait
538. L'organisation requérante est le Centre des droits de l'homme de Perm (Общественная организация "Пермский региональный правозащитный центр"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Perm. Elle a été représentée devant la Cour par M. Olenichev et M. Kanevskaya. À la suite de sa liquidation, Mme Yelena Pershakova, en sa qualité de liquidatrice de l'organisation requérante, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
539. La mission de l'organisation requérante : protéger les droits de l'homme, notamment ceux des détenus et des victimes d'infractions commises par les forces de l'ordre.
540. En juin-juillet 2015, le département de la justice de la région de Perm inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le Fonds des Nations unies pour la démocratie (« FNUD »), la Fondation MacArthur et l'Union européenne, et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : publications et débats sur des sujets tels que le respect des droits de l'homme dans les prisons de Perm, la réforme des forces de l'ordre, le recrutement de personnel pour les organisations de défense des droits de l'homme, la protection des sites du patrimoine culturel, l'égalité des personnes condamnées, le code de déontologie du personnel pénitentiaire, les comités publics de surveillance, les études sur le genre, les droits de l'homme, la sécurité et la dignité dans les lieux de détention, l'assistance juridique bénévole en Russie, la compétition politique, l'interaction entre les militants des droits de l'homme, les défenseurs et la communauté LGBT, les enquêtes civiles, le contrôle public, la réforme du droit de la diffamation, le droit au travail dans les centres de détention, l'accès à l'information dans les postes de police et les tribunaux, les droits de l'homme et le travail des psychologues dans le système pénal, le soutien aux mineurs délinquants, les droits fondamentaux des migrants, la coopération internationale entre ONG, la liberté de réunion, la loi protégeant les enfants contre les informations nocives, la prévention des délits dans les centres de détention, le travail correctionnel, les conditions de détention et la xénophobie ; veille concernant le droit à l'information et au travail, les droits des enfants dans les centres de détention de Perm, la question des migrants et du marché du travail à Perm, ainsi que les mesures prises par les pouvoirs publics pour prévenir la délinquance et réinsérer les auteurs d'infractions ; préparation de recommandations à l'attention des autorités ; invitation des représentants des pouvoirs publics à certains des événements ci-dessus ; et condamnation d'un membre du conseil d'administration de l'organisation requérante, M. Yushkov, pour incitation à des actions extrémistes, et publication en ligne par l'un de ses fondateurs, M. Averkiyev, d'un article sur le nationalisme, le libéralisme et le sexisme en Russie.
541. Le 3 septembre 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 24 octobre 2021, elle opta pour la liquidation volontaire.
542. La décision de justice suivante a été rendue : 13 octobre 2015, juge de paix du tribunal du district Lénine, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » (confirmé en appel le 14 décembre 2015).
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
543. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 4 140 EUR pour le dommage matériel subi du fait du paiement de l'amende et de l'audit. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 17 290 EUR, pour frais de justice et frais d'avocat.
544. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 140 EUR (quatre mille cent quarante euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Kursina et Perm-36 c. Russie, no 19719/16, requête introduite le 16 mars 2016)
1. En fait
545. Les requérants sont Perm-36 (Автономная некоммерческая организация "Мемориальный центр истории политических репрессий "Пермь-36"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Perm, et sa directrice, Tatyana Georgiyevna Kursina. Elles ont été représentées devant la Cour d'abord par E. Mezak, puis par Ye. Pershakova. À la suite de sa liquidation, Mme Kursina, la directrice générale de l'organisation requérante, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
546. La mission de l'organisation requérante : préserver l'histoire de la répression politique en Union soviétique.
547. En février-avril 2015, le département de la justice de la région de Perm inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la Coalition internationale des sites de conscience et par le NED et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : promotion du développement de sites de conscience et de projets éducatifs pour améliorer la qualité de l'enseignement sur la question de la répression politique ; organisation d'expositions itinérantes sur les camps de travail de Staline et de forums sur des questions sociales d'actualité, notamment la politique nationale, la mise en place d'une société civile tolérante et l'importance des médias ; mise en ligne d'une publication sur le conflit entre Perm-36 et les autorités et sur la suspension de sa gestion du Musée mémorial de l'histoire de la répression politique ; et échanges avec le gouverneur de la région de Perm sur la création d'un musée national de la conscience.
548. Le 29 avril 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 18 août 2016, elle en fut rayée par l'effet de sa liquidation, laquelle avait pour origine son incapacité à payer l'amende.
549. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 20 juillet 2015, juge de paix du tribunal du district Motovilikhinskiy, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 25 septembre 2015, rejet par le tribunal du district Lénine de Perm du recours formé contre les résultats des inspections ; 3) 14 octobre 2016, juge de paix du tribunal du district Motovilikhinskiy, avertissement verbal pour défaut de communication de pièces comptables, procédure abandonnée au motif que l'infraction n'était pas grave.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
550. Les requérants réclament 60 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 6 430 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes et de l'audit. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 22 620 EUR, pour frais de justice et frais d'avocat.
551. La Cour alloue aux requérants 5 000 EUR (cinq mille euros) conjointement pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A52. Planète de l'espoir
(Planète de l'espoir c. Russie, no 47695/15, requête introduite le 22 septembre 2015)
1. En fait
552. L'organisation requérante est Planète de l'espoir (Озерская городская социально-экологическая общественная организация "Планета надежд"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Ozersk. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova. À la suite de sa liquidation, Mme Nadezhna Lvovna Kutepova, sa présidente, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
553. La mission de l'organisation requérante : lutter contre le chômage féminin ; contribuer à la protection des droits des femmes et des enfants et à la préservation de l'environnement ; et promouvoir les valeurs familiales.
554. En mars-avril 2015, le département de la justice de la région de Tcheliabinsk inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED, la Fondation Heinrich Böll et Women in Europe for a Common Future (WECF) et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : promotion de l'usage d'énergies propres, en particulier l'énergie solaire, en Europe de l'Est et dans le Caucase, et publication d'informations à ce sujet dans les médias ; promotion de la liberté de mouvement et protection de la liberté des personnes vivant dans des zones réglementées ; publication en ligne de déclarations de la présidente de l'organisation requérante sur le droit à un environnement sûr, le droit de recevoir des informations sur l'environnement et le droit à l'indemnisation des personnes vivant dans des zones contaminées par des radiations, en plus de ses suggestions de réformes des lois sur les zones réglementées et sur la protection sociale des personnes exposées aux radiations ; et participation à des procédures en justice en matière de logement.
555. Le 15 avril 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 27 septembre 2018, elle fut liquidée.
556. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 26 mai 2015, le juge de paix d'Ozersk a imposé une amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 23 février et 27 juillet 2016, et les 1er et 3 mars et le 14 avril 2017, le juge de paix d'Ozersk a infligé des amendes pour non-respect de la loi sur les agents étrangers et pour non-paiement des amendes.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
557. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
558. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A53. Centre de soutien aux initiatives publiques
(Zamaryanov et Centre de soutien aux initiatives publiques c. Russie, no 14338/14, requête introduite le 12 février 2014)
1. En fait
559. Les requérants sont le Centre de soutien aux initiatives publiques (Некоммерческая организация Фонд "Костромской центр подддержки общественных инициатив"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Kostroma, et son directeur, Aleksandr Pavlovich Zamaryanov. Ils ont été représentés devant la Cour par D. Gaynutdinov.
560. La mission de l'organisation requérante : soutenir des causes caritatives et diverses initiatives du secteur associatif.
561. En avril 2013, le parquet de Kostroma inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le Département d'État des États-Unis, l'ambassade des États-Unis et l'International Republican Institute et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : organisation d'une table ronde sur les relations entre les États-Unis et la Russie ; et observation des élections de mars 2013 et mise à la disposition du public d'informations sur ces événements et sur d'autres.
562. Le 5 juin 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 19 juin 2015, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un « agent étranger ».
563. La décision de justice suivante a été rendue : le 29 mai 2013, le juge de paix de la première circonscription judiciaire de Kostroma a imposé des amendes pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ».
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
564. Les requérants réclament 10 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 1 430 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
565. La Cour accorde aux requérants 1 430 EUR (mille quatre cent trente euros) conjointement pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A54. Verdict public
(Ecodéfense et autres c. Russie, no 9988/13, requête introduite le 6 février 2013)
1. En fait
566. L'organisation requérante est Verdict public (Фонд содействия защите прав и свобод граждан "Общественный вердикт"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par P. Leach.
567. La mission de l'organisation requérante : aider les victimes des exactions des forces de l'ordre.
568. L'organisation requérante fut inspectée : 1) en mars-mai 2013 par le parquet de Moscou ; 2) en décembre 2015 le département de la justice de Moscou. Il fut établi qu'elle était financée par la Fondation Oak, l'OSIAF, le Comité Helsinki en Norvège, le NED et la Fondation MacArthur, et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : formulation de recommandations sur la législation relative aux associations, aux réunions et aux manifestations, et sur la réforme du ministère de l'Intérieur ; aide aux manifestants de la place Bolotnaya à Moscou ; rédaction d'un rapport sur l'application en Russie de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; formulation de commentaires sur les lois fédérales; fourniture d'un soutien juridique aux ONG et aux militants des droits de l'homme ; participation à une exposition littéraire ; promotion des droits de l'homme dans le cadre de l'appareil répressif ; publication de brochures de conseil juridique ; contribution à la répression des responsables d'actes de torture en prison et à la mise en œuvre des garanties judiciaires internationales en Russie ; et contribution aux activités d'ONG régionales russes luttant contre les comportements illégaux des forces de l'ordre.
569. Le 21 juillet 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
570. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 27 juin 2014, le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou a confirmé les conclusions du procureur ; 2) 2 décembre 2014, ce même tribunal a rejeté le recours formé contre la décision du ministère de la Justice ordonnant l'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 3) 17 mars 2016, tribunal du district Tverskoy de Moscou, amende pour absence dans des publications de la mention indiquant qu'elles proviennent d'un « agent étranger », annulée le 26 septembre 2017 du fait de l'expiration du délai de prescription.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
571. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 60 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de la signature électronique. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 20 910 EUR, pour frais de justice, certification de documents et frais d'avocat.
572. La Cour alloue à l'organisation requérante 60 EUR (soixante euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 6 500 EUR (six mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Rakurs c. Russie, no 44403/15, requête introduite le 4 septembre 2015)
1. En fait
573. L'organisation requérante est Rakurs (Архангельская региональная общественная организация социально-психологической и правовой помощи лесбиянкам, геям, бисексуалам и транс гендерам (ЛГБТ) "Ракурс"), une organisation à but non lucratif russe fondée à Arkhangelsk. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova. À la suite de sa liquidation, Mme Tatiana Viktorovna Vinnichenko, présidente de l'organisation requérante, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
574. La mission de l'organisation requérante : protéger la dignité humaine, les droits et les intérêts des victimes d'homophobie et de discrimination ; et soutenir et réhabiliter les personnes LGBT.
575. En novembre-décembre 2014, les départements de la justice des régions d'Arkhangelsk et des Nenets inspectèrent l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le Conseil nordique des ministres, Oslo Universitetssykehus HF, Civil Rights Defenders, l'OSIAF, Purpose Action Ins., la fondation Internationaal Onderwijs, Front Line Defenders, le NED, Arcus Operating Foundation et l'ambassade des Pays-Bas, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : organisation d'un séminaire sur la communication entre homosexuels et médecins et d'une table ronde sur les mythes et réalités des homosexuels et des bisexuels ; lutte contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ; organisation d'une séance de formation pour les médecins sur la prévention du VIH et des maladies sexuellement transmissibles au sein de la communauté homosexuelle ; assistance psychologique aux membres des familles des personnes LGBT ; organisation de séminaires sur les questions transgenres, les formalités juridiques en cas de changement de sexe et les démarches de « coming out » ; protestation contre la loi sur la propagande en faveur de l'homosexualité et défense des droits des personnes transgenres ; réunion avec des représentants de Yabloko, un parti d'opposition russe ; organisation d'une table ronde sur la xénophobie et la stigmatisation et diffusion en ligne d'une publication sur ces questions ; aide aux HSH (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) ; discussion des lois relatives à la communauté LGBT ; participation à des séminaires sur la prévention du VIH et sur le mouvement LGBT ; organisation de flash mobs contre la discrimination visant les personnes LGBT ; organisation d'une formation sur la manière d'engager davantage de bénévoles pour aider les personnes LGBT ; organisation de débats sur les questions de genre et d'égalité des sexes ; organisation de séances de formation sur les questions de santé pour les personnes LGBT et mise en ligne de renseignements sur ces formations ; organisation de formations sur les questions de sécurité et les droits des personnes LGBT en Russie ; promotion d'une réforme de la loi russe en vue de protéger la communauté LGBT ; distribution de documents consacrés à la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et remise de ces documents à une bibliothèque ; collecte de documents sur les familles homosexuelles, le statut des personnes LGBT, la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et rédaction d'un tract dénonçant une « loi homophobe » adoptée par le parlement de Saint-Pétersbourg ; tenue d'une réunion avec des représentants du Congrès des États-Unis ; et formulation de déclarations sur la discrimination contre les personnes LGBT en Russie sur CNN, une chaîne de télévision américaine.
576. Le 15 décembre 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 16 août 2019, elle fut liquidée.
577. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 12 février 2015, le juge de paix de la circonscription judiciaire de Solombal a imposé une amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) les 14 mai et 23 novembre 2015, le juge de paix de la circonscription judiciaire de Solombal a imposé des amendes pour non‑respect de l'obligation de fournir au ministère de la Justice les pièces comptables et de publier ces documents.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
578. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral et l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais de justice.
579. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A56. Organisation régionale Golos
(Ecodéfense et autres c. Russie, no 9988/13, requête introduite le 6 février 2013)
1. En fait
580. L'organisation requérante est l'Organisation régionale Golos (Региональная общественная организация в защиту демократических прав и свобод "ГОЛОС"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par P. Leach. À la suite de sa liquidation, M. Grigoriy Arkadiyevich Melkonyants, son fondateur, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
581. La mission de l'organisation requérante : la protection des droits des électeurs et des élections libres ; et l'interaction entre les individus et les autorités locales.
582. En avril 2013, le bureau du procureur de Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED, la Commission européenne et le Comité Helsinki en Norvège et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : contribution aux discussions sur l'administration des communes ; rédaction de modifications de lois sur les droits constitutionnels et la protection des intérêts publics ; fourniture d'informations sur la manière de protéger les droits constitutionnels et les intérêts publics ; échanges avec les autorités ; poursuite d'un programme politique en influençant l'opinion des personnes professionnellement engagées ou intéressées par la politique, y compris les agents publics et les journalistes, en ce qui concerne les politiques publiques en Russie ; promotion d'un projet de code électoral ; et conduite d'entretiens avec Mme Shibanova, présidente du conseil d'administration de l'organisation requérante, au cours desquels elle a exprimé son opinion sur les nouvelles lois électorales.
583. Le 5 juin 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
584. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 10 juillet 2013, le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou a jugé légales les actions du procureur ; 2) 6 juin 2013, juge de paix du district Basmannyy de Moscou, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ».
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
585. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende.
586. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A57. Institut de la presse régionale
(Institut de la presse régionale c. Russie, no 32412/15, requête introduite le 24 juin 2015)
1. En fait
587. L'organisation requérante est l'Institut de la presse régionale (Некоммерческое партнерство "Институт региональной прессы"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Saint-Pétersbourg. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova.
588. La mission de l'organisation requérante : organiser des séminaires et des conférences sur les médias ; fournir une assistance juridique; et mettre en œuvre des programmes et des projets éducatifs dans le domaine de la communication de masse.
589. En septembre-octobre 2014, le département de la justice de Saint‑Pétersbourg inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par l'OSIAF, International Media Support, l'École danoise des médias et du journalisme, le Conseil nordique des ministres, New Eurasia Foundation et le Centre nordique des journalistes, et s'était engagée dans les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : publication en ligne de publications critiquant les lois en vigueur sur l'administration des communes ; organisation d'un séminaire sur la démocratie et l'administration locale ; et présentation d'un livre sur la révolution.
590. Le 20 novembre 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
591. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 9 décembre 2014, juge de paix de la circonscription judiciaire no 206, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger », jugement annulé par la Cour suprême de Russie le 16 novembre 2015 au motif que l'organisation requérante n'avait pas été avisée de la procédure administrative, procédure abandonnée du fait de l'expiration du délai de prescription.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
592. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais d'avocat.
593. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Centre Renaissance c. Russie, no 37256/16, requête introduite le 19 juin 2016)
1. En fait
594. L'organisation requérante est le Centre Renaissance (Автономная некоммерческая организация "Центр социального проектирования "Возрождение"), une organisation à but non lucratif fondée à Pskov Elle a été représentée devant la Cour par M. Olenichev. À la suite de sa liquidation, M. Maksim Anatolyevich Kopylov, son directeur, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
595. La mission de l'organisation requérante : contribuer au développement de la société civile.
596. En décembre 2014, le parquet de la région de Pskov inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : démarches entreprises pour que son fondateur et directeur (jusqu'en 2015), M. Shlosberg, membre du parlement régional, participe à un débat sur l'adoption internationale d'enfants et la loi interdisant l'adoption d'enfants russes par des familles aux États-Unis.
597. Le 30 décembre 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 7 mars 2017, elle fut liquidée.
598. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 29 septembre 2015, le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou, a rejeté le recours formé contre la décision du ministère de la Justice ordonnant l'enregistrement en tant qu'« agent étranger », écartant l'argument tiré par l'organisation requérante de ce que M. Shlosberg aurait participé aux discussions susmentionnées en tant que membre du parlement plutôt qu'en tant que représentant de ce dernier ; 2) 31 janvier 2017, tribunal de Pskov, liquidation forcée pour violations multiples de la loi, en particulier défaut de communication des pièces comptables visées par la loi sur les agents étrangers.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
599. L'organisation requérante réclame 35 000 EUR pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 16 370 EUR pour frais d'avocat, frais de justice et frais postaux.
600. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A59. Memorial Ryazan
(Memorial Ryazan c. Russie, no 15813/18, requête introduite le 29 mars 2018)
1. En fait
601. L'organisation requérante est Memorial Ryazan (Городская общественная организация "Рязанское историко-просветительское и правозащитное общество "Мемориал" (Рязанский Мемориал)), une organisation russe non organisation commerciale fondée à Ryazan, représentée devant la Cour par K. Moskalenko et O. Preobrajenskaya.
602. La mission de l'organisation requérante : commémorer les victimes de la répression politique et restaurer la vérité historique ; et sauvegarder les droits de l'homme.
603. En décembre 2015-janvier 2016, le département de la justice de la région de Ryazan inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le Comité Helsinki en Norvège, la Commission européenne, la Fondation Ford, la Fondation MacArthur, l'OSIAF et le Centre de la société civile de Prague, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : mise en ligne de publications consacrées à la loi sur les agents étrangers, les prisonniers d'opinion et les droits de l'homme en Crimée ; et publication sur son compte de réseau social par M. Blinushov, directeur de l'organisation requérante, de photos d'une réunion pour la paix entre la Russie et l'Ukraine.
604. Le 1er février 2016, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
605. La décision de justice suivante a été rendue : le 2 février 2017, rejet par le tribunal du district Sovetskiy de Ryazan du recours formé contre la décision du ministère de la Justice ordonnant l'enregistrement en tant qu'« agent étranger » (confirmé en appel le 8 décembre 2017).
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
606. L'organisation requérante réclame 20 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 2 200 EUR pour le dommage matériel résultant des frais occasionnés par l'audit et l'expertise. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 9 600 EUR, pour frais de justice et frais d'avocat.
607. La Cour alloue à l'organisation requérante 2 200 EUR (deux mille deux cents euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A60. Veille écologique de Sakhaline
(Veille écologique de Sakhaline c. Russie, no 29482/17, requête introduite le 23 mars 2017)
1. En fait
608. L'organisation requérante est Veille écologique de Sakhaline (Региональная общественная организация "Экологическая вахта Сахалина"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Ioujno‑Sakhalinsk. Elle a été représentée devant la Cour par M. Olenichev.
609. La mission de l'organisation requérante : contrôler le respect de la législation environnementale relative à Sakhaline et aux îles Kouriles, la protection des droits environnementaux, ainsi que les campagnes et projets concernant l'association du public à la prise de décision environnementale.
610. En août-septembre 2015 et février-mars 2016, le département de la justice de la région de Sakhaline inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la Fondation Charles Stuart Mott, Wild Salmon Centre, Global Greengrants Fund et la fondation California Community (à la demande de la Fondation Leonardo DiCaprio), et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : signature par le directeur de l'organisation requérante d'une pétition en faveur des organisations écologiques ukrainiennes ; publication d'un appel à suspendre tout développement de projets pétroliers et gaziers dans la région arctique ; diffusion de publications sur l'état de l'environnement à Ioujno-Sakhalinsk ; et signalement aux pouvoirs publics de la situation des peuples autochtones.
611. Le 18 septembre 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 15 mars 2017, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un agent étranger.
612. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 28 octobre 2015, juge de paix de la circonscription judiciaire no 26 de Ioujno-Sakhalinsk, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » (jugement annulé le 10 février 2016, clôture de la procédure faute de preuves) ; 2) 8 février 2016, rejet par le tribunal de Ioujno-Sakhalinsk du recours formé contre l'enregistrement forcé en tant qu'agent étranger, au motif que les publications sur les projets gaziers et l'état de l'environnement à Ioujno-Sakhalinsk, ainsi que les recours formés auprès des pouvoirs publics concernant la protection des droits des peuples autochtones, ne constituaient pas une « activité politique », à la différence de la pétition signée par le directeur de l'organisation requérante à l'appui des organisations écologiques ukrainiennes qui, elle, constituait bel et bien une « activité politique » ; 3) 10 juin 2016, rejet par le tribunal de Ioujno-Sakhalinsk de la demande tendant à la radiation de l'organisation requérante du registre des agents étrangers au motif qu'elle n'avait pas remboursé la totalité des financements étrangers qu'elle avait reçus les années précédentes.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
613. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 180 910 EUR pour le dommage matériel résultant du remboursement des fonds aux donateurs et des frais occasionnés par l'audit. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 28 388 EUR, pour frais de justice et frais d'avocat.
614. La Cour alloue à l'organisation requérante 760 EUR (sept cent soixante euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens , plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A61. Centre Sakharov
(Centre Sakharov c. Russie, no 5941/16, requête introduite le 13 janvier 2016)
1. En fait
615. L'organisation requérante est le Centre Sakharov (Региональная общественная организация "Общественная комиссия по сохранению наследия академика Сахарова"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour d'abord par E. Mezak, puis par Ye. Perchakova.
616. La mission de l'organisation requérante : promouvoir les valeurs démocratiques et attirer l'attention du public sur les victimes de la répression politique.
617. En décembre 2014, le département de la justice de Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le bureau de la Fondation Heinrich Böll en Russie, l'ambassade du Royaume-Uni en Russie, l'ambassade néerlandaise en Russie, la Fondation Charles Stewart Mott, l'OSIAF, le NED, la Fondation Sakharov, le Centre culturel allemand Institut-Goethe de l'ambassade d'Allemagne en Russie et European Com, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : discussions, conférences et publications en ligne sur des questions politiques, critiquant par exemple le système judiciaire, l'action militaire en Ukraine, le boycott des Jeux Olympiques, la condamnation de M. Navalnyy et les élections municipales à Moscou.
618. Le 25 décembre 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
619. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 23 mars 2015, le juge de paix du district Taganskiy de Moscou (jugement confirmé en appel le 13 juillet 2015) a infligé une amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger », au motif qu'en diffusant les opinions de divers politiciens auprès du grand public, le Centre Sakharov avait formé l'opinion publique et tenté de peser sur la politique de l'État. Il a également rejeté l'argument tiré par le Centre Sakharov de ce que les dispositions de la loi sur les agents étrangers auraient violé l'article 11 de la Convention, au motif que cet article ne s'appliquait pas aux relations entre les personnes morales et l'État et que l'enregistrement en tant qu'« agent étranger » avait pour finalité de promouvoir la transparence des ONG ; 2) 30 septembre 2015, juge de paix du district Taganskiy, amende pour défaut de mentions obligatoires dans une publication (confirmé en appel le 18 novembre 2015).
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
620. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 10 000 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes.
621. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A62. École des conscrits
(École des conscrits c. Russie, no 69157/17, requête introduite le 15 août 2017)
1. En fait
622. L'organisation requérante est l'École des conscrits (Автономная некоммерческая правозащитная организация "Школа призывника"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Tcheliabinsk. Elle a été représentée devant la Cour par M. Kanevskaya.
623. La mission de l'organisation requérante : la protection des droits des conscrits dans la région de Tcheliabinsk.
624. En juillet-août 2016, le département de la justice de la région de Tcheliabinsk inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la Mission juridique, une organisation « d'agent étranger » qui finançait le site Internet de l'organisation requérante, et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : tenue de conférences sur les droits des conscrits ; information des conscrits sur leurs droits et représentation en justice de ces derniers ; diffusion de publications sur leurs droits et diverses questions liées au service militaire ; mise en ligne de publications sur le directeur de l'organisation requérante, qui avait donné des conseils à un conscrit sur la manière d'éviter d'être enrôlé ; et déclarations du directeur qualifiant d'« irresponsables » les autorités russes.
625. Le 21 septembre 2016, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 11 janvier 2017, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un agent étranger.
626. Les décisions suivantes ont été rendues : 1) 30 novembre 2016, tribunal du district Sovetskiy de Chelyabinsk, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 26 décembre 2014, Service fédéral de sécurité de la région de Tcheliabinsk, enquête contre le directeur de l'organisation requérante concernant son éventuelle implication dans la création d'une organisation d'« agents étrangers » violant les droits de l'homme.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
627. L'organisation requérante réclame 20 000 EUR pour dommage moral et l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 8 750 EUR, pour frais d'avocat.
628. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A63. Centre écologique de Sibérie
(Centre écologique de Sibérie c. Russie, no 57931/15, requête introduite le 5 novembre 2015)
1. En fait
629. L'organisation requérante est le Centre écologique de Sibérie (Межрегиональная благотворительная общественная организация "Сибирский экологический центр"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Novossibirsk. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova. À la suite de sa liquidation, M. Ilya Eduardovich Smelyanskiy, membre de son conseil d'administration, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
630. La mission de l'organisation requérante : le développement des espaces naturels protégés et des lois de protection de l'environnement ; l'éducation en matière d'environnement ; le contrôle du public sur le respect des lois environnementales ; et l'organisation d'événements pour soutenir la protection de l'environnement.
631. En janvier 2015, le département de la justice de Novossibirsk inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par l'ambassade des Pays-Bas, Global Greengrants Fund, Earth Island Institute, le Programme des Nations unies pour le développement et International Union for Conservation of Nature, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : initiative visant à soutenir les membres de Greenpeace qui avaient attaqué la plate-forme pétrolière de Prirazlomnaya et avaient été poursuivis en justice ; pétition adressée au président russe demandant la libération de l'équipage du navire Arctic Sunrise ; et publication d'une critique de la décision du Parlement d'accorder des avantages fiscaux aux compagnies pétrolières.
632. Le 12 février 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Après avoir été condamnée en justice au paiement d'une amende, ses membres décidèrent de suspendre ses activités. Le 14 novembre 2017, l'organisation requérante fut rayée du registre pour cause de liquidation.
633. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 14 avril 2015, condamnation à une amende par le juge de paix du district Sovetskiy de Novossibirsk pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 10 juillet 2017, tribunal du district Sovetskiy de Novossibirsk, amende infligée au directeur de l'organisation requérante pour défaut de mentions obligatoires dans les publications ; 3) 14 novembre 2017, cour régionale de Novossibirsk, liquidation forcée pour défaut de communication de pièces comptables au ministère de la Justice.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
634. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 1 050 EUR, pour frais de justice.
635. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 1 050 EUR (mille cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A64. Centre de politique sociale et d'études sur le genre
(Centre de politique sociale et d'études sur le genre c. Russie, no 59787/14, requête introduite le 15 août 2014)
1. En fait
636. L'organisation requérante est le Centre de politique sociale et d'études sur le genre (Автономная некоммерческая научно‑исследовательская организация "Центр социальной политики и гендерных исследований"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Saratov. Elle a été représentée devant la Cour par D. Bartenev et M. Kanevskaya. À la suite de sa liquidation, Mme Elena Rostislavovna Yarskaya-Smirnova, sa fondatrice, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
637. La mission de l'organisation requérante : recherches dans le domaine des politiques sociales et en matière de genre.
638. En septembre 2013, le parquet du district Oktyabrskiy de Saratov inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la Fondation MacArthur et l'OSIAF et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : organisation d'un événement pour discuter des politiques sociales dans l'ère post-soviétique ; mise en ligne d'une lettre d'ONG néerlandaises et d'autres publications en soutien à l'organisation requérante ; et information du public sur les objectifs poursuivies par cette dernière.
639. Le 5 juin 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 22 mai 2015, elle en fut rayée au motif qu'elle avait été liquidée par ses membres, qui cherchaient ainsi à se soustraire à l'application de la loi sur les agents étrangers.
640. La décision de justice suivante a été rendue : le 27 novembre 2013, le tribunal du district Kirovskiy de Saratov a accueilli la demande d'enregistrement forcé formée par le procureur.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
641. L'organisation requérante réclame 10 000 EUR pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 3 300 EUR, pour frais d'avocat.
642. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A65. Mères de soldats de Saint-Pétersbourg
(Mères de soldats de Saint-Pétersbourg c. Russie, no 26303/16, requête introduite le 21 avril 2016)
1. En fait
643. L'organisation requérante est Mères de soldats de Saint-Pétersbourg (Санкт-Петербургская региональная общественная правозащитная организация "Солдатские матери Санкт-Петербурга"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Saint-Pétersbourg. Elle a été représentée devant la Cour par M. A. Peredruk.
644. La mission de l'organisation requérante : protéger les droits des conscrits, des militaires et de leurs familles.
645. En avril-juillet 2014 le parquet de Saint-Pétersbourg inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED, l'ONU et l'Union européenne et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d' « activités politiques » : mise en ligne de publications sur l'intervention militaire en Crimée, les traitements inhumains et la torture au sein de l'armée russe, ainsi que les droits fondamentaux du personnel militaire et civil - publications qui ont ensuite été incluses dans le rapport annuel sur les droits de l'homme du Médiateur de Saint-Pétersbourg.
646. Le 28 août 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 23 octobre 2015, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un « agent étranger ».
647. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 26 février 2015, le tribunal du district Oktyabrskiy de Saint-Pétersbourg a jugé licites les actions du procureur ; 2) le 26 janvier 2015, le tribunal du district Oktyabrskiy de Saint-Pétersbourg a rejeté la demande de l'organisation requérante tendant à annuler l'enregistrement forcé, jugeant établi qu'en mai 2014, celle-ci avait décidé de cesser d'accepter des financements de sources étrangères. Il a cependant considéré que les conclusions du procureur pour la période antérieure demeuraient valables : la publication sur l'intervention militaire en Crimée avait été supprimée, mais elle avait été remplacée par une déclaration à caractère politique sur la situation en Ukraine, faite par le Conseil présidentiel pour la société civile et les droits de l'homme. Il a conclu que les publications accessibles au public et se rapportant à la vie publique, à l'administration publique ainsi qu'à la politique et aux décisions de l'État visaient à former l'opinion publique. Il a qualifié d'acte politique l'organisation d'un événement religieux par l'organisation requérante.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
648. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 790 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'audit. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 9 910 EUR, pour frais de justice et frais d'avocat.
649. La Cour alloue à l'organisation requérante 790 EUR (sept cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A66. Centre méridional des droits de l'homme
(Centre méridional des droits de l'homme c. Russie, no 53490/17, requête introduite le 19 juillet 2017)
1. En fait
650. L'organisation requérante est le Centre méridional des droits de l'homme (Краснодарская региональная благотворительная общественная организация "Южный правозащитный центр"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Sotchi. Elle a été représentée devant la Cour par I. Khrunova.
651. La mission de l'organisation requérante : la protection des droits de l'homme et des libertés.
652. En novembre-décembre 2016, le département de la justice de la région de Krasnodar inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que son directeur, qui possédait également une société distincte, avait reçu des virements bancaires de Contrôle citoyen pour financer le site Internet de l'organisation requérante, ainsi que des virements du Royaume-Uni, de la Hongrie et de la Suède ainsi que du Centre culturel allemand Institut-Goethe de l'ambassade d'Allemagne en Russie pour payer son billet d'avion aux fins d'un voyage pour un séminaire. Il fut également établi que l'organisation requérante avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : publication d'un rapport sur le statut des apatrides ; veille et publication de rapports sur le travail des commissariats de police ; et organisation de séminaires sur les droits de l'homme et la Journée des droits de l'homme.
653. Le 27 décembre 2016, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 12 décembre 2017, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un agent étranger.
654. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 14 février 2017, tribunal du district Khostinskiy de Sotchi, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger », confirmant la conclusion du département de la justice selon laquelle le directeur de l'organisation requérante avait reçu des « financements étrangers », notamment des fonds de Contrôle citoyen, une organisation russe d'« agents étrangers », et qu'il s'en était servi pour financer les activités de l'organisation requérante ; 2) 15 mars 2018, tribunal du district Khostinskiy, amende infligée au directeur pour non-respect de l'injonction adressée par l'huissier ; 3) 6 septembre 2018, juge de paix du district Tsentralnyy, amende infligée au directeur pour non-respect de la décision du 15 mars 2018.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
655. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 4 710 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 2 000 EUR, pour frais de justice.
656. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 710 EUR (quatre mille sept cent dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A67. Centre Sova
(Centre Sova c. Russie, no 81751/17, requête introduite le 18 novembre 2017)
1. En fait
657. L'organisation requérante est le Centre Sova (Региональная общественная организация содействия просвещению граждан "Информационно-аналитический центр "Сова"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Moscou. Elle a été représentée devant la Cour par Ye. Pershakova.
658. La mission de l'organisation requérante : recherches et sensibilisation dans les domaines du nationalisme et de la xénophobie, de la religion et de la société, du radicalisme politique, des valeurs libérales et des droits de l'homme en Russie.
659. En novembre-décembre 2016, le département de la justice de Moscou inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le Comité Helsinki en Norvège, l'Instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme (Commission européenne), Open Society Foundation, OSI Assistance Foundation, le NED et International Partnership for Human Rights, et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : veille, analyse et publications en ce qui concerne le nationalisme, la xénophobie et les restrictions aux droits de l'homme dans la lutte contre l'extrémisme ; publication d'un rapport sur l'application injustifiée des lois de lutte contre l'extrémisme ; formulation de recommandations sur l'abolition de la loi relative aux sensibilités religieuses ; analyse du droit russe et publication de recommandations dans le cadre du projet Nettoyer la loi (http://sanatsia.com/), et participation à ce projet du directeur de l'organisation requérante ; suggestions de réformes des lois de lutte contre l'extrémisme ; lutte contre la discrimination fondée sur la religion et l'origine ethnique ; publication d'un article sur l'intégration des migrants ; et déclarations sur les « organisations indésirables » en Russie.
660. Le 30 décembre 2016, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
661. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 3 mai 2017, rejet par le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou du recours formé contre la décision du ministère de la Justice sur l'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 2) 21 février 2017, tribunal du district Basmannyy de Moscou, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger ».
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
662. L'organisation requérante réclame 20 000 EUR pour dommage moral, ainsi que l'équivalent de 8 210 EUR pour le dommage matériel résultant des coûts entraînés par le paiement de l'amende et par l'audit. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 6 000 EUR, pour frais d'avocat.
663. La Cour alloue à l'organisation requérante 8 210 EUR (huit mille deux cent dix euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
(Yukechev et Tak-Tak-Tak c. Russie, no 130/18, requête introduite le 11 décembre 2017)
1. En fait
664. Les requérants sont Tak-Tak-Tak (Фонд содействия развитию массовых коммуникаций и правовому просвещению "Так-Так-Так"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Novossibirsk, et son directeur, Viktor Pavlovich Yukechev. Ils ont été représentés devant la Cour par I. Sharapov.
665. La mission de l'organisation requérante : enseignement du droit ; assistance juridique; et promotion du droit à la protection sociale.
666. En janvier-février 2017, le département de la justice de la région de Novossibirsk inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par l'ambassade de France à Moscou, l'Institut de droit et de politique publique, lequel avait reçu des fonds de l'Union européenne, et M. Yukechev, qui était également directeur de l'Institut de presse-Sibérie, une organisation d'« agents étrangers », et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : mise en ligne de recherches sur le situation des détenues et des femmes avec enfants en détention provisoire ; écrits sur l'actualité, y compris sur la manière dont le personnel enseignant conçoit son devoir de loyauté envers l'État, sur les restrictions sur les discours en ligne et sur les réformes de la législation antiterroriste ; et mise en ligne d'informations sur les élections.
667. Le 20 février 2017, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
668. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 24 avril 2017, tribunal du district Lénine de Novossibirsk, amende infligée à l'organisation pour non-enregistrement en tant qu'« agent étranger » (confirmé en appel le 13 juin 2017) ; 2) 5 mai 2017, tribunal du district Lénine de Novossibirsk, amende infligée au directeur pour non-enregistrement en tant qu'« agent étranger ». En réponse à l'argument tiré de ce que les articles n'auraient pas été rédigés par le personnel de l'organisation requérante, le tribunal a jugé que celle-ci avait permis à des tiers de publier des documents sur son site Internet et avait ainsi exercé une « activité politique » puisque ces documents avaient ainsi bénéficié d'une diffusion plus large. Il a également jugé qu'il n'était pas nécessaire de prouver que l'activité politique en question avait été financée dans le cadre d'un accord spécifique avec un donateur étranger (confirmé en appel le 29 juin 2017).
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
669. Les requérants demandent à la Cour de fixer le montant à leur accorder pour dommage moral et réclament l'équivalent de 3 570 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 3 150 EUR, pour frais de justice.
670. La Cour alloue aux requérants 3 570 EUR (trois mille cinq cent soixante-dix euros) conjointement pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A69. Union « Femmes du Don »
(Union « Femmes du Don » c. Russie, no 7098/15, requête introduite le 28 janvier 2015)
1. En fait
671. L'organisation requérante est l'Union « Femmes du Don » (Региональная общественная правозащитная организация "Союз "Женщины Дона"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Novotcherkassk. Elle a été représentée devant la Cour par K. Koroteyev.
672. La mission de l'organisation requérante : protéger les droits de l'homme ; protéger les droits civils, politiques, économiques et sociaux des femmes ; promouvoir l'indépendance des femmes ; associer les femmes au gouvernement de l'État ; promouvoir les valeurs familiales ; promouvoir la paix et les bonnes relations au sein de la société, ainsi que la lutte contre le nationalisme et le chauvinisme ; soutenir les traditions ; protéger les droits des enfants et des jeunes ; promouvoir une économie de marché et l'entrepreneuriat, et soutenir les femmes entrepreneurs ; et élargir la coopération avec les organisations de femmes.
673. L'organisation requérante fut inspectée : 1) en avril 2014, par le parquet de Novotcherkassk ; et 2) en avril-mai 2014, par le département de la justice de la région de Rostov. Il fut établi qu'elle était financée par la Fondation Rosa Luxemburg, l'Union européenne, Freedom House, la Fondation MacArthur, l'OSIAF, l'ambassade des États-Unis, la Fondation Heinrich Böll et OWEN, et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : promotion de la réforme de la police ; suggestion de réformes des lois, notamment du code pénal, organisation de tables rondes et mise en ligne d'informations à ce sujet ; organisation dans la circonscription fédérale du Sud de la Russie d'un séminaire sur la lutte contre la récidive pénale avec des représentants du service des migrations et des institutions sociales, le médiateur régional et des experts russes et internationaux ; tenue d'un séminaire sur les droits de la personne, les droits de l'enfant et la justice pour les jeunes ; communication au président russe d'une demande de libération du directeur d'une ONG et d'un responsable public de la région de Krasnodar ; et promotion de la réforme du système pénal, visites aux détenus et sollicitation de ces derniers tendant à ce qu'ils soutiennent les activités de l'organisation requérante.
674. Le 5 juin 2014, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 29 février 2016, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un « agent étranger ».
675. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 14 mai 2014, le tribunal de Novotcherkassk a accueilli la demande formée par le procureur tendant à l'enregistrement forcé en tant qu'« agent étranger » ; 2) 11 juillet 2014, juge de paix du tribunal du district Novotcherkasski, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; 3) 9 décembre 2014, tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou, rejet du recours formé par l'organisation requérante contre l'enregistrement forcé.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
676. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 4 290 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement de l'amende.
677. La Cour alloue à l'organisation requérante 4 290 EUR (quatre mille deux cent quatre-vingt-dix euros) pour dommage matériel et 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A70. Monde des femmes
(Monde des femmes c. Russie, no 81560/17, requête introduite le 18 novembre 2017)
1. En fait
678. L'organisation requérante est Monde des femmes (Калининградская региональная общественная организация содействия развитию женского сообщества "Мир женщины"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Kaliningrad. Elle a été représentée devant la Cour par M. Olenichev.
679. La mission de l'organisation requérante : protéger les droits des femmes et promouvoir l'égalité des sexes dans la région de Kaliningrad.
680. En octobre-novembre 2015, le département de la justice de la région de Kaliningrad inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par un bureau de représentation eu Russie du Conseil nordique des ministres et par le Centre de crise Anna (une organisation russe « d'agent étranger ») et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : tenue de discussions sur la situation de la violence domestique dans la région de Kaliningrad et sur les élections locales.
681. Le 11 décembre 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice. Le 14 juillet 2017, elle en fut rayée au motif qu'elle n'était plus considérée comme un « agent étranger ».
682. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 2 juin 2016, le tribunal du district Tsentralnyy de Kaliningrad a validé la décision du ministère de la Justice concernant l'enregistrement en tant qu'« agent étranger » (confirmé en appel le 18 mai 2017) ; 2) 13 avril 2017, juge de paix du district Tsentralnyy, amende pour défaut de communication de pièces comptables au ministère de la Justice ; 3) 21 août 2017, juge de paix du district Tsentralnyy, amende pour défaut de présentation d'un rapport d'audit.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
683. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 2 860 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 19 504 EUR pour frais postaux et frais d'avocat.
684. La Cour alloue à l'organisation requérante 2 860 EUR (deux mille huit cent soixante euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A71. Femmes du Don
(Femmes du Don c. Russie, no 14980/16, requête introduite le 2 mars 2016)
1. En fait
685. L'organisation requérante est Femmes du Don (Фонд содействия развитию гражданского общества и правам человека "Женщины Дона"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Novotcherkassk. Elle a été représentée devant la Cour par K. Moskalenko.
686. La mission de l'organisation requérante : protéger les droits de l'enfant et les droits de l'homme ; promouvoir les valeurs familiales, la paix et les bonnes relations au sein de la société ; et apporter un soutien aux personnes en difficulté.
687. En septembre-octobre 2015 et mai-juin 2016, le département de la justice de la région de Rostov inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par la Fondation Heinrich Böll et avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : renforcement des organisations de femmes ; contribution au règlement des questions sensibles concernant le genre et à la réconciliation en y associant les femmes ; conseils aux victimes de violences en république tchétchène ; organisation d'un concours de journalisme sur les droits des femmes et publication en ligne des résultats ; soutien en faveur de tables rondes sur les jeunes familles, les traditions et le mariage en république tchétchène ; organisation de séminaires sur les droits des femmes et publication dans la presse d'informations sur ces séminaires ; soutien aux responsables publics et aux initiatives sociales ; promotion de la tolérance, de la responsabilité, de la paix et de l'égalité des sexes et organisation d'événements pour discuter de ces questions dans le Nord-Caucase ; mise en ligne de publications adressées aux autorités russes leur demandant de cesser de poursuivre l'organisation requérante et son directeur, et appelant les organisations internationales à condamner la politique des autorités russes à l'égard des ONG ; organisation d'une collecte de fonds en vue de payer l'amende pour violation de la loi sur les agents étrangers ; publication de déclarations selon lesquelles l'organisation requérante avait dû refuser un financement étranger en raison des décisions du ministère de la Justice ; et publication de déclarations qualifiant d'illégales les décisions du ministère de la Justice.
688. Le 27 octobre 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
689. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) 27 novembre 2015, juge de paix de la circonscription judiciaire de Novotcherkasski, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger », annulation le 13 février 2017 par la Cour suprême de Russie pour vice de forme, procédure abandonnée au motif que le délai de prescription avait expiré ; 2) 7 avril 2016, le tribunal du district Lénine de Rostov‑sur‑le‑Don a rejeté le recours formé contre la décision d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ; il a souligné qu'en publiant des recommandations et des informations sur les événements dans les médias et en permettant aux ONG étrangères de diffuser certaines informations, l'organisation Femmes du Don avait cherché à gagner un écho auprès du public et à attirer l'attention, entre autres, sur les problèmes causés par les dirigeants du Nord-Caucase, sur le développement d'un mécanisme d'échange d'expériences et de dialogue démocratique, ainsi que sur la promotion de la tolérance, de la responsabilité, de la paix et de l'égalité des sexes dans le Nord-Caucase ; 3) 21 décembre 2016, le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou, a statué sur la demande de radiation du registre des agents étrangers en jugeant que le directeur de l'organisation requérante avait participé à une « activité politique », notamment parce qu'il avait organisé une collecte de fonds pour payer l'amende et donné des interviews ; 4) le 16 août 2017, le tribunal du district Lénine de Rostov-sur-le-Don a ordonné le remboursement à l'organisation de la somme versée pour l'amende ; 5) 22 juin 2016, procédure pénale ouverte contre le directeur de l'organisation requérante pour manquement délibéré à l'obligation de fournir les documents nécessaires à l'enregistrement en tant qu'agent étranger, classée sans suite le 19 juin 2017.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
690. L'organisation requérante réclame 30 000 EUR pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 3 580 EUR, pour frais d'avocat.
691. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A72. Memorial Ekaterinbourg
(Memorial Ekaterinbourg c. Russie, no 61989/16, requête introduite le 19 octobre 2016)
1. En fait
692. L'organisation requérante est Memorial Ekaterinbourg (Городская общественная организация "Екатеринбургское общество "МЕМОРИАЛ"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Ekaterinbourg. Elle a été représentée devant la Cour par K. Koroteyev.
693. La mission de l'organisation requérante : enseignement dans le domaine de l'histoire et de la lutte contre la répression politique ; protection des droits de l'homme ; réhabilitation des victimes de la répression politique ; et enseignement du droit.
694. En septembre-octobre 2014, le département de la justice de la région de Sverdlovsk inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : participation à une manifestation de soutien aux prisonniers d'opinion et aux démocrates russes ; participation à une marche pour la paix contre les guerres en Ukraine et en Syrie ; tenue d'un débat sur l'usage des mèmes pour influencer l'opinion publique ; organisation s'un événement pour commémorer l'assassinat du leader de l'opposition Boris Nemtsov ; protection des droits des objecteurs de conscience ; et préparation d'une pétition adressée au consul de France.
695. Le 30 décembre 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
696. Les décisions de justice suivantes ont été rendues : 1) le 24 février 2016, le tribunal du district Kirovskiy d'Ekaterinbourg a imposé une amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger », ayant jugé établi qu'en 2013-2014, International Memorial avait été enregistrée en tant qu'« agent étranger », avait payé des factures de services publics (notamment des factures d'électricité et de téléphone) et des assurances pour le compte de Memorial Ekaterinbourg, et conclu que celle-ci avait reçu un « financement étranger » puisqu'International Memorial était financée depuis l'étranger ; 2) 14 juin et 7 septembre 2016, tribunal du district Kirovskiy, amende pour défaut de mentions obligatoires dans les publications. Il a été jugé que chaque élément des « matériaux » provenant d'une organisation « d'agent étranger » devait comporter la mention « agent étranger ».
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
697. L'organisation requérante invite la Cour à fixer le montant à lui accorder pour dommage moral et réclame l'équivalent de 12 860 EUR pour le dommage matériel résultant du paiement des amendes.
698. La Cour alloue à l'organisation requérante 12 860 EUR (douze mille huit cent soixante euros) pour dommage matériel, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.
A73. Centre de jeunesse
(Centre de jeunesse c. Russie, no 60098/15, requête introduite le 20 novembre 2015)
1. En fait
699. L'organisation requérante est le Centre de jeunesse (Автономная некоммерческая правозащитная организация "Молодежный центр консультации и тренинга"), une organisation russe à but non lucratif fondée à Volgograd. Elle a été représentée devant la Cour par M. Kanevskaya. À la suite de sa liquidation, M. Temur Georgiyevich Kobaliya, son fondateur, a exprimé le souhait de poursuivre la procédure à sa place.
700. La mission de l'organisation requérante : fournir une assistance juridique aux jeunes et aux ONG et soutenir leurs initiatives.
701. En décembre 2014, le département de la justice de la région de Volgograd inspecta l'organisation requérante. Il fut établi que celle-ci était financée par le NED, la Fondation Friedrich Ebert, la Fondation MacArthur et le Black Sea Trust for Regional Cooperation, et qu'elle avait mené les actions suivantes jugées constitutives d'« activités politiques » : soutien aux ONG et aux défenseurs des droits de l'homme dans la région de Volgograd par l'organisation de séances de formation et par le développement d'initiatives civiles ; publication d'un livre renfermant des recommandations à l'attention des militants sur la manière de renforcer la société civile, d'influencer les décisions des pouvoirs publics, d'encourager la pression médiatique et d'associer l'opposition ; création d'une école pour les défenseurs des droits de l'homme ; distribution du livre ci-dessus, d'un avis d'expert sur la loi sur les agents étrangers et d'un exposé sur l'association des ONG à l'administration sociale ; mise en ligne de publications sur le développement des ONG en Géorgie ; critique systématique des pouvoirs publics en cherchant à influencer l'opinion publique, les décisions et la ligne politique des autorités, et à obtenir un écho dans le public ; démarches tendant à informer le public sur le développement de la société civile en Russie, la participation des jeunes au travail des ONG et la manière dont celles-ci pourraient contribuer à la former de l'opinion publique et influencer la prise de décision ; participation du directeur du Centre de jeunesse, M. Kobalya, à un forum sur la société civile et les relations entre la Géorgie et la Russie, qui visait à instaurer un dialogue entre les ONG russes et géorgiennes ; éloge des réalisations des ONG géorgiennes auprès des citoyens russes et du règlement des conflits entre les deux pays ; participation de M. Kobaliya à une discussion sur la coopération avec les autorités régionales ; et exposés des activités de M. Kobaliya dans les médias, ayant suscité une réaction négative de la part du public.
702. Le 20 janvier 2015, l'organisation requérante fut inscrite au registre des agents étrangers du ministère de la Justice.
703. Les décisions de justice suivantes ont été rendues :
1) 3 mars 2015, juge de paix de la circonscription judiciaire no 99, amende pour défaut d'enregistrement en tant qu'« agent étranger » ;
2) 23 juillet 2015, juge de paix de la circonscription judiciaire no 99, amende pour défaut de mentions obligatoires dans l'annonce d'un séminaire concernant les ONG et la société civile organisé par le Centre de jeunesse et publiée sur les comptes personnels du directeur de l'organisation requérante dans les réseaux sociaux. En appel, ce jugement a été confirmé au motif qu'il n'était pas nécessaire d'établir qui avait publié la publication ni où elle l'avait été et que le simple fait que l'événement avait été organisé par le Centre de Jeunesse, une organisation d'« agent étranger », suffisait à engager sa responsabilité pour manquement aux obligations en matière de mentions.
2. Demandes et sommes allouées au titre de l'article 41 de la Convention
704. L'organisation requérante réclame 41 000 EUR pour dommage moral. La somme demandée au titre des frais et dépens s'élève à 13 085 EUR, pour frais d'avocat.
705. La Cour alloue à l'organisation requérante 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, et 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur ces sommes.