Giordano v Commission (Judgment) French Text [2014] EUECJ C-611/12 (08 October 2014)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2014/C61112.html
Cite as: [2014] EUECJ C-611/12, ECLI:EU:C:2014:2282, EU:C:2014:2282

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ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

14 octobre 2014 (*)

«Pourvoi – Politique commune de la pêche – Quotas de pêche – Mesures d’urgence adoptées par la Commission – Responsabilité non contractuelle de l’Union – Article 340, deuxième alinéa, TFUE – Conditions – Préjudice réel et certain – Droits subjectifs à pêcher»

Dans l’affaire C‑611/12 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 27 décembre 2012,

Jean-François Giordano, demeurant à Sète (France), représenté par Mes D. Rigeade et A. Scheuer, avocats,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. A. Bouquet et D. Nardi, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts, vice-président, M. A. Tizzano, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. C. Vajda et S. Rodin, présidents de chambre, MM. A. Rosas, E. Juhász, A. Borg Barthet, J. Malenovský, E. Levits (rapporteur), J. L. da Cruz Vilaça et F. Biltgen, juges,

avocat général: M. P. Cruz Villalón,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 mars 2014,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, M. Giordano demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Giordano/Commission (T-114/11, EU:T:2012:585, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à obtenir réparation du préjudice prétendument subi en raison de l’adoption du règlement (CE) n° 530/2008 de la Commission, du 12 juin 2008, établissant des mesures d’urgence en ce qui concerne les senneurs à senne coulissante pêchant le thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée (JO L 155, p. 9).

 Le cadre juridique

2        Le règlement (CE) n° 2371/2002 du Conseil, du 20 décembre 2002, relatif à la conservation et à l’exploitation durable des ressources halieutiques dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO L 358, p. 59), vise à établir une approche pluriannuelle de gestion de la pêche afin de garantir la viabilité à long terme de ce secteur.

3        L’article 7 du règlement n° 2371/2002, intitulé «Mesures d’urgence adoptées par la Commission», énonce:

«1.      S’il existe des preuves qu’il existe une menace grave pour la conservation des ressources aquatiques vivantes ou pour l’écosystème marin résultant des activités de la pêche et nécessitant une intervention immédiate, la Commission peut, sur demande dûment justifiée d’un État membre ou d’office, arrêter les mesures d’urgence pour une période maximale de six mois. La Commission peut prendre une nouvelle décision pour proroger les mesures d’urgence d’une durée maximale de six mois.

2.      L’État membre notifie la demande simultanément à la Commission, aux autres États membres et aux conseils consultatifs régionaux concernés. Ceux-ci peuvent présenter leurs observations écrites à la Commission dans un délai de cinq jours ouvrables à compter de la réception de la demande.

La Commission se prononce dans un délai de quinze jours ouvrables à compter de la réception de la demande visée au paragraphe 1.

3.      Les mesures d’urgence prennent effet immédiatement. Elles sont notifiées aux États membres concernés et publiées au Journal officiel.

4.      Les États membres concernés peuvent saisir le Conseil de la décision de la Commission dans un délai de dix jours ouvrables à compter de la réception de la notification.

5.      Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut prendre une décision différente dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle il a été saisi.»

4        L’article 20 du règlement n° 2371/2002, intitulé «Attribution des possibilités de pêche», dispose:

«1.      Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, arrête les limitations de capture et/ou de l’effort de pêche, la répartition des possibilités de pêche entre les États membres, ainsi que les mesures associées à ces limitations. Les possibilités de pêche sont réparties entre les États membres de manière à assurer à chaque État membre une stabilité relative des activités de pêche pour chaque stock ou pêcherie.

2.      Lorsque la Communauté fixe de nouvelles possibilités de pêche, le Conseil statue sur l’attribution desdites possibilités, compte tenu des intérêts de chaque État membre.

3.       Chaque État membre décide, pour les navires battant son pavillon, de la méthode d’attribution des possibilités de pêche allouées à cet État membre, conformément au droit communautaire. Il informe la Commission de la méthode d’attribution retenue.

4.      Le Conseil fixe les possibilités de pêche disponibles pour les pays tiers dans les eaux communautaires et les attribue à chaque pays tiers.

5.      Les États membres, après notification à la Commission, peuvent échanger tout ou partie des possibilités de pêche qui leur ont été allouées.»

5        Dans ce contexte, est intervenu le règlement (CE) n° 40/2008 du Conseil, du 16 janvier 2008, établissant, pour 2008, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans les eaux soumises à des limitations de capture (JO L 19, p. 1).

6        Ces limitations et quantités ont été modifiées par le règlement (CE) n° 446/2008 de la Commission, du 22 mai 2008, adaptant certains quotas de thon rouge établis pour 2008 conformément à l’article 21, paragraphe 4, du règlement (CEE) n° 2847/93 du Conseil instituant un régime de contrôle applicable à la politique commune de la pêche (JO L 134, p. 11).

7        En application de l’article 7 du règlement n° 2371/2002, la Commission a adopté, le 12 juin 2008, le règlement n° 530/2008.

8        Le considérant 6 du règlement n° 530/2008 énonce:

«Les informations dont dispose la Commission, ainsi que celles qui lui ont été communiquées par ses inspecteurs au cours de leurs missions dans les États membres concernés, montrent que les possibilités de pêche du thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, ainsi que dans la Méditerranée, attribuées aux senneurs à senne coulissante battant pavillon de la Grèce, de la France, de l’Italie, de Chypre et de Malte, ou enregistrés dans ces États membres, seront réputées épuisées le 16 juin 2008 et que les possibilités de pêche pour ce même stock attribuées aux senneurs à senne coulissante battant pavillon de l’Espagne, ou enregistrés dans cet État membre, seront réputées épuisées le 23 juin 2008.»

9        L’article 1er dudit règlement prévoit:

«La pêche du thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, par des senneurs à senne coulissante battant pavillon de la Grèce, de la France, de l’Italie, de Chypre et de Malte, ou enregistrés dans ces États membres, est interdite à compter du 16 juin 2008.

Il est également interdit de conserver à bord, de mettre en cage aux fins de l’engraissement ou de l’élevage, de transborder, de transférer ou de débarquer des poissons de ce stock capturés par ces navires à compter cette date.»

10      L’article 2 du même règlement est libellé comme suit:

«La pêche du thon rouge dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, par des senneurs à senne coulissante battant pavillon de l’Espagne, ou enregistrés dans cet État membre, est interdite à compter du 23 juin 2008.

Il est également interdit de conserver à bord, de mettre en cage aux fins de l’engraissement ou de l’élevage, de transborder, de transférer ou de débarquer des poissons de ce stock capturés par ces navires à compter cette date.»

11      L’article 3 du règlement n° 530/2008 dispose:

«1.      Sans préjudice des dispositions du paragraphe 2, à compter du 16 juin 2008, les opérateurs communautaires refusent les débarquements, les mises en cage à des fins d’engraissement ou d’élevage ainsi que les transbordements dans les eaux ou dans les ports communautaires de thon rouge capturé par des senneurs à senne coulissante dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée.

2.      Le débarquement, la mise en cage aux fins de l’engraissement ou de l’élevage ainsi que le transbordement dans les eaux et dans les ports communautaires de thon rouge capturé dans l’océan Atlantique, à l’est de la longitude 45° O, et dans la Méditerranée, par des senneurs à senne coulissante battant pavillon de l’Espagne, ou enregistrés dans cet État membre, sont autorisés jusqu’au 23 juin 2008.»

 Les faits à l’origine du litige

12      M. Giordano est armateur du navire Janvier Giordano, un senneur à senne coulissante battant pavillon français qui exerce son activité de pêche dans la mer Méditerranée.

13      En vertu de la réglementation de l’Union, la République française disposait, pour l’année 2008, de quotas de pêche de thon rouge s’élevant à 4 164 tonnes, dont 90 % étaient attribués aux senneurs à senne coulissante battant pavillon français exerçant leur activité dans la mer Méditerranée.

14      Dans ce contexte, par décision du 16 avril 2008, le ministre de l’Agriculture et de la Pêche français a délivré au requérant un permis de pêche spécial, l’autorisant à capturer, à détenir, à transborder, à transférer, à débarquer, à transporter, à stocker et à vendre du thon rouge de la Méditerranée, dans la limite des possibilités de pêche mises à sa disposition sous la forme d’un quota individuel de 132,02 tonnes. L’autorisation était valable pour la période allant du 1er avril 2008 au 30 juin 2008.

15      À la suite de l’adoption du règlement n° 530/2008, interdisant la pêche du thon rouge en mer Méditerranée, la campagne de pêche de ce dernier a été interrompue le 16 juin 2008 et, par conséquent, le permis de pêche du requérant a été retiré par une décision du préfet de la Région Languedoc-Roussillon du 16 juin 2008 mettant en œuvre ledit règlement.

16      M. Giordano a engagé une procédure tendant à l’annulation de ladite décision devant les juridictions administratives françaises. Le tribunal administratif de Montpellier tout comme la cour administrative d’appel de Marseille ont rejeté sa demande d’annulation au motif que la mesure d’interdiction en cause résultait du règlement n° 530/2008, et non pas de la décision du préfet de la Région Languedoc-Roussillon.

17      Par son arrêt AJD Tuna (C‑221/09, EU:C:2011:153), la Cour a dit pour droit que le règlement n° 530/2008 était invalide dans la mesure où, ayant été adoptées sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 2371/2002, les interdictions qu’il édictait prenaient effet à compter du 23 juin 2008 en ce qui concerne les senneurs à senne coulissante battant pavillon espagnol ou enregistrés dans cet État membre et les opérateurs communautaires ayant conclu des contrats avec eux, alors que ces interdictions prenaient effet à compter du 16 juin 2008 pour les senneurs à senne coulissante qui battaient pavillon grec, français, italien, chypriote ainsi que maltais ou enregistrés dans ces États membres et les opérateurs communautaires ayant conclu des contrats avec eux, sans que cette différence de traitement fût objectivement justifiée.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 février 2011, M. Giordano a introduit un recours en responsabilité non contractuelle de l’Union européenne visant à obtenir réparation du préjudice subi en raison de l’adoption du règlement n° 530/2008.

19      Après avoir rappelé, au point 12 de l’arrêt attaqué, la jurisprudence constante selon laquelle l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, le Tribunal a choisi d’examiner, de prime abord, si le requérant a prouvé la réalité du préjudice qu’il invoque.

20      Ce faisant, le Tribunal a jugé, au point 18 de l’arrêt attaqué, que les quotas ne confèrent aucune garantie aux pêcheurs de pouvoir pêcher la totalité du quota qui leur a été alloué, un quota constituant uniquement une limite théorique de capture maximale qui ne doit, en aucun cas, être dépassée.

21      Partant, le Tribunal a jugé que, le requérant s’étant limité à faire valoir que l’interdiction de pêche édictée aux termes du règlement n° 530/2008 ne lui avait pas permis d’exercer son activité durant la période allant du 16 juin au 30 juin 2008, le préjudice qu’il invoquait n’était pas réel.

22      Par conséquent, le Tribunal a rejeté le recours formé par le requérant et l’a condamné aux dépens.

 La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

23      Le requérant demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        de constater que l’adoption du règlement n° 530/2008 lui a causé un préjudice indemnisable;

–        de condamner la Commission à lui verser la somme de 542 594 euros à titre de dommages et intérêts, et

–        de condamner la Commission aux dépens du pourvoi ainsi qu’à ceux de première instance.

24      La Commission demande à la Cour:

–        de rejeter le pourvoi comme étant irrecevable;

–        à titre subsidiaire, de rejeter le pourvoi comme étant non fondé;

–        à titre plus subsidiaire, de rejeter le recours en indemnité, et

–        de condamner le requérant aux dépens du pourvoi ainsi qu’à ceux de première instance.

 Sur le pourvoi

 Argumentation des parties

25      Par son premier moyen, le requérant fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 17 à 22 de l’arrêt attaqué, que la responsabilité non contractuelle de l’Union du fait d’un acte illicite ne saurait être engagée, dès lors que le préjudice invoqué ne présentait pas un caractère réel et certain.

26      Par la première branche de ce moyen, le requérant prétend que le Tribunal a confondu, aux points 17 à 19 de l’arrêt attaqué, la certitude du préjudice avec la détermination de son montant.

27      D’une part, le caractère réel et certain du préjudice invoqué résulterait du fait que, en vertu de l’adoption du règlement n° 530/2008, il a été obligé d’arrêter son activité de pêche avant la fermeture normale de la campagne de pêche et, d’autre part, la détermination du montant du préjudice s’effectuerait nécessairement dans un cadre hypothétique, dès lors que la quantité de pêche que le requérant aurait pu obtenir ne saurait être connue.

28      Par la seconde branche de son premier moyen, le requérant soutient qu’il a subi un préjudice anormal et spécial. Le caractère anormal du préjudice serait lié au fait que le montant de celui-ci correspond à la moitié du chiffre d’affaires escompté, tandis que le préjudice serait spécial dans la mesure où il ne concerne qu’un certain nombre de membres de la collectivité.

29      La Commission, en premier lieu, fait valoir que le premier moyen doit être rejeté comme étant irrecevable, puisque l’appréciation de l’existence d’un préjudice réel et certain constitue une appréciation des faits qui échappe au contrôle en droit exercé par la Cour.

30      En second lieu, la Commission estime que le premier moyen n’est pas fondé.

 Appréciation de la Cour

 Sur la recevabilité

31      S’agissant de la première branche du premier moyen, celle-ci est recevable dans la mesure où la Cour est invitée par le requérant à se prononcer sur l’existence d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans la qualification du préjudice invoqué comme réel et certain dans le cadre de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union (voir, en ce sens, arrêts Archer Daniels Midland/Commission, C‑510/06 P, EU:C:2009:166, point 105, et Commission/Schneider Electric, C‑440/07 P, EU:C:2009:459, point 191).

32      Dès lors, à l’égard de cette première branche, la fin de non-recevoir soulevée par la Commission doit être écartée.

33      S’agissant de la seconde branche du premier moyen, force est de constater qu’elle ne satisfait pas aux exigences de recevabilité propres au pourvoi dans la mesure où, en développant une série d’arguments afin de soutenir qu’il a subi un préjudice anormal et spécial, le requérant vise, en substance, à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal (voir, en ce sens, arrêts Interporc/Commission, C‑41/00 P, EU:C:2003:125, point 16, ainsi que Reynolds Tobacco e.a./Commission, C‑131/03 P, EU:C:2006:541, point 50).

34      Cette branche doit dès lors être rejetée comme étant irrecevable.

 Sur le fond

35      Il résulte d’une jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution de l’Union, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement de l’institution et le préjudice invoqué (arrêt Agraz e.a./Commission, C-243/05 P, EU:C:2006:708, point 26 et jurisprudence citée).

36      La condition relative à la réalité du dommage exige que le préjudice dont il est demandé réparation soit réel et certain, ce qu’il appartient à la partie requérante de prouver (arrêt Agraz e.a./Commission, EU:C:2006:708, point 27 et jurisprudence citée).

37      En l’espèce, le Tribunal a estimé, aux points 17 à 19 de l’arrêt attaqué, que le préjudice invoqué par le requérant, consistant en la part non pêchée et non vendue de son quota individuel en raison de l’interdiction de pêche du thon rouge à partir du 16 juin 2008, ne reflétait qu’une situation hypothétique et ne saurait être considéré comme réel et certain.

38      Plus précisément, le Tribunal a jugé que l’attribution des quotas ne conférait aucune garantie au requérant de pouvoir pêcher la totalité de son quota individuel, dans la mesure où ce dernier constitue une limite théorique de capture maximale et que, en tout état de cause, il ne saurait être exclu que, même si le requérant avait pu pêcher jusqu’au 30 juin 2008, il n’aurait pas atteint son quota pour des raisons indépendantes de sa volonté.

39      Force est toutefois de constater que, ce faisant, le Tribunal a commis une erreur de droit.

40      En particulier, en se bornant à invoquer, ainsi qu’il ressort du point 18 de l’arrêt attaqué, le caractère erroné de la prémisse selon laquelle le requérant disposait d’un droit de pêcher et aurait nécessairement épuisé son quota, le Tribunal a commis une erreur de droit dans l’examen de la condition relative au préjudice. En effet, d’une part, l’existence d’un droit conféré aux particuliers par une règle de droit n’a pas trait à la réalité du dommage allégué, mais constitue une condition à laquelle est subordonnée la constatation d’une violation suffisamment caractérisée d’une telle règle, par une institution de l’Union, pour engager la responsabilité non contractuelle de l’Union. D’autre part, le rejet par le Tribunal de la thèse du requérant selon laquelle il aurait épuisé son quota est uniquement pertinent aux fins de l’évaluation de l’étendue du préjudice invoqué, mais non de l’existence même d’un tel préjudice, dont le caractère certain n’est pas mis en cause par une incertitude quant à son étendue exacte (voir, en ce sens, arrêt Agraz e.a./Commission, EU:C:2006:708, point 36).

41      Partant, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens du pourvoi, il convient d’annuler l’arrêt attaqué.

 Sur le recours devant le Tribunal

42      Conformément à l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle-ci peut, en cas d’annulation de l’arrêt attaqué, statuer définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

43      En l’espèce, la Cour estime que le recours en indemnité introduit par M. Giordano devant le Tribunal est en état d’être jugé et qu’il convient, dès lors, de statuer définitivement sur celui-ci.

44      Ainsi qu’il est rappelé au point 35 du présent arrêt, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions. Parmi celles-ci figure, lorsqu’est en cause l’illégalité d’un acte juridique, l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt Commission/Schneider Electric, EU:C:2009:459, point 160).

45      En l’espèce, M. Giordano fait valoir, en premier lieu, que la Commission a méconnu l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 2371/2002 en adoptant le règlement n° 530/2008 alors qu’elle ne disposait pas de preuves d’un dépassement du quota 2008 octroyé aux navires battant pavillon français.

46      À cet égard, il convient de relever que cet argument repose sur la prémisse selon laquelle l’adoption de mesures d’urgence par la Commission exige la preuve d’un dépassement effectif du quota alloué. Or, une telle prémisse est erronée. En effet, selon les termes mêmes de l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 2371/2002, la Commission peut arrêter de telles mesures dès l’instant où il existe des preuves d’une «menace grave pour la conservation des ressources aquatiques vivantes ou pour l’écosystème marin résultant des activités de la pêche et nécessitant une intervention immédiate», sans devoir attendre la survenance du dépassement d’un quota alloué. Or, ainsi que l’a relevé la Cour aux points 63 à 65 de l’arrêt AJD Tuna (EU:C:2011:153), différents considérants du règlement n° 530/2008 comportent un ensemble d’indications, dont M. Giordano n’a pas contesté l’exactitude, qui démontrent à suffisance qu’une telle menace grave existait en l’espèce.

47      En deuxième lieu, M. Giordano soutient que l’adoption du règlement n° 530/2008 a entraîné une restriction de son activité, incompatible avec son droit à l’exercice et à l’exploitation de son activité professionnelle, tel que garanti par l’article 15 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), ainsi qu’avec son droit de propriété, tel que garanti par l’article 17, premier alinéa, de la Charte.

48      À cet égard, il convient de souligner que le fait d’être titulaire d’un droit de pêcher ainsi que d’un quota attribué par l’État membre compétent pour une campagne de pêche donnée ne saurait, contrairement à ce que soutient M. Giordano, donner à ce dernier le droit de pouvoir, en toutes circonstances, épuiser ce quota.

49      Il importe également de rappeler que, comme la Cour l’a jugé, le libre exercice des activités professionnelles n’apparaît pas comme une prérogative absolue, mais doit être pris en considération par rapport à sa fonction dans la société (voir, en ce sens, arrêt FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 183 et jurisprudence citée). Ainsi, des limitations peuvent être apportées à l’exercice de cette liberté pourvu, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, qu’elles soient prévues par la loi et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui (voir, en ce sens, arrêt Digital Rights Ireland e.a., C‑293/12 et C‑594/12, EU:C:2014:238, point 38).

50      En l’occurrence, le règlement n° 530/2008 répond indéniablement à un objectif d’intérêt général poursuivi par l’Union, à savoir celui d’éviter, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du règlement n° 2371/2002, une menace grave pour la conservation et la reconstitution du stock de thon rouge dans l’Atlantique Est et en mer Méditerranée. En outre, ainsi qu’il ressort des points 77 à 85 de l’arrêt AJD Tuna (EU:C:2011:153), il convient de constater que les mesures d’interdiction de pêche contenues dans le règlement n° 530/2008 ne sont pas manifestement inappropriées par rapport à ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif d’intérêt général et se révèlent donc conformes au principe de proportionnalité.

51      En troisième lieu, M. Giordano soutient que l’adoption du règlement n° 530/2008 a porté atteinte aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime, étant donné que ce règlement a mis fin à la campagne de pêche du thon rouge à compter du 16 juin 2008, alors que cette pêche avait, à l’origine, été autorisée en France jusqu’au 30 juin 2008.

52      Toutefois, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, la possibilité de prendre des mesures ayant pour effet d’arrêter les campagnes de pêche avant la date normale est prévue, notamment, aux articles 7, paragraphe 1, et 26, paragraphe 4, du règlement n° 2371/2002 (arrêt AJD Tuna EU:C:2011:153, point 75). Les opérateurs communautaires dont l’activité consiste à pêcher le thon rouge ne sauraient, dès lors, invoquer le bénéfice de la sécurité juridique ou de la protection de la confiance légitime, puisqu’ils sont en mesure de prévoir que de telles mesures peuvent être prises (voir, en ce sens, arrêt AJD Tuna EU:C:2011:153, point 75).

53      Il résulte des considérations qui précédent que M. Giordano n’a pas démontré l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

54      L’une des conditions d’engagement de la responsabilité de l’Union n’étant pas remplie, le recours doit être rejeté comme étant non fondé, sans qu’il y ait lieu d’examiner si les autres conditions sont réunies en l’espèce.

 Sur les dépens

55      Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 2, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, si plusieurs parties succombent, la Cour décide du partage des dépens.

56      Le pourvoi de M. Giordano étant accueilli, mais son recours en indemnité étant rejeté, M. Giordano et la Commission supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

1)      L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne Giordano/Commission (T-114/11, EU:T:2012:585) est annulé.

2)      Le recours en indemnité introduit par M. Jean-François Giordano dans l’affaire T-114/11 est rejeté.

3)      M. Jean-François Giordano et la Commission européenne supportent leurs propres dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le français.

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