Deza v ECHA (Order) (French Text) [2014] EUECJ T-189/14_CO (25 July 2014)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2014/T18914_CO.html
Cite as: EU:T:2014:219, [2014] EUECJ T-189/14_CO, ECLI:EU:T:2014:219

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DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

25 juillet 2014 (*)

« Référé - Accès aux documents - Règlement (CE) n° 1049/2001 - Documents détenus par l’ECHA contenant des informations soumises par une entreprise dans le cadre de sa demande d’autorisation de l’utilisation d’une substance chimique - Décision d’accorder à un tiers l’accès aux documents - Demande de sursis à exécution - Urgence - Fumus boni juris - Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T-189/14 R,

Deza, a.s., établie à Valašské Meziříčí (République tchèque), représentée par Me P. Dejl, avocat,

partie requérante,

contre

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par Mmes A. Iber, M. Heikkilä et M. T. Zbihlej, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision ECHA du 24 janvier 2014 concernant la divulgation de certaines informations soumises par la requérante dans le cadre de la procédure relative à la demande d’autorisation de l’utilisation de la substance chimique phtalate de bis(2-éthylhexyle) (DEHP),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        Le 18 décembre 2006, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté le règlement (CE) n° 1907/2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) nº 793/93 du Conseil et le règlement (CE) nº 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 396, p. 1), rectifié (JO 2007, L 136, p. 3) et modifié par la suite notamment par le règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE (JO L 353, p. 1) (ci-après le « règlement REACH »).

2        Ce faisant, le législateur a institué un régime concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances visant, notamment, à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur. L’un des objectifs de ce régime est de garantir que les « substances extrêmement préoccupantes » soient remplacées à terme par des substances ou des technologies moins dangereuses, lorsque des solutions de remplacement appropriées existent.

3        Le règlement REACH prévoit ainsi, en son titre VII, une procédure d’autorisation, dont le but est d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur tout en garantissant que les risques résultant de substances extrêmement préoccupantes seront valablement maîtrisés. S’agissant d’une telle substance, le fabricant, l’importateur ou l’utilisateur en aval ne peut la mettre sur le marché de l’Union européenne en vue de son utilisation, à moins qu’il ne soit autorisé à cet effet. Conformément à l’article 62 du règlement REACH, les demandes d’autorisation en vue de la mise sur le marché et de l’utilisation de substances chimiques extrêmement préoccupantes sont introduites auprès de l’Agence européenne des produits chimiques (ci-après l’« ECHA »), accompagnées, notamment, d’un rapport sur la sécurité chimique et d’une analyse des solutions de remplacement. L’ECHA élabore des avis à cet égard, qui sont transmis à la Commission européenne, cette dernière se prononçant ensuite sur les demandes.

4        L’article 118, paragraphe 1, du règlement REACH prévoit que le règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43) s’applique aux documents détenus par l’ECHA. L’article 2 du règlement n° 1049/2001 établit un droit d’accès général aux documents des institutions de l’Union, tandis que son article 4 énumère plusieurs exceptions à ce droit, parmi lesquelles figure, au paragraphe 2, le risque qu’une divulgation puisse porter atteinte à la protection des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, y compris en ce qui concerne la propriété intellectuelle, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation des informations.

5        S’agissant de données chimiques portées à la connaissance de l’ECHA, le règlement REACH établit un régime de divulgation spécifique qui prévoit, notamment, ce qui suit :

« Article 64

Procédure d’adoption des décisions d’autorisation

[...]

2.      L’[ECHA] publie sur son site internet, en tenant compte des articles 118 et 119 […], des informations générales relatives aux utilisations sur lesquelles portent les demandes reçues […]

[...]

6.      L’[ECHA] détermine, conformément aux articles 118 et 119, quelles parties de ses avis et des pièces qui y sont éventuellement annexées devraient être publiées sur son site internet.

[...]

Article 77

Tâches

[...]

2.      Les tâches du secrétariat [de l’ECHA] sont les suivantes :

[...]

e) [...] Il met les informations visées à l’article 119, paragraphes 1 et 2, dans la ou les bases de données gratuites accessibles au public sur l’internet, sauf lorsqu’une demande [de traitement confidentiel] présentée au titre de l’article 10, point a), sous xi), est jugée fondée. Sur demande, l’[ECHA] met à disposition d’autres informations contenues dans les bases de données conformément à l’article 118 ;

[...]

Article 118

Accès aux informations

[...]

2.      En principe, la divulgation des informations ci-après est considérée comme portant atteinte à la protection des intérêts commerciaux de la personne concernée :

a) les précisions sur la composition complète d’un mélange ;

b) […] l’utilisation, la fonction ou l’application précise d’une substance ou d’un mélange ainsi que des informations précises sur l’utilisation en tant qu’intermédiaire ;

c) la quantité exacte de la substance ou du mélange qui est fabriqué ou mis sur le marché ;

d) les liens existant entre un fabricant ou un importateur et ses distributeurs ou ses utilisateurs en aval.

Lorsqu’une action d’urgence est indispensable pour des raisons de sécurité ou pour protéger la santé humaine ou l’environnement, par exemple dans des situations d’urgence, l’[ECHA] peut divulguer les informations visées au présent paragraphe.

[...]

Article 119

Accès du public par voie électronique

1.      Les informations ci-après, détenues par l’[ECHA] […], sont rendues accessibles au public gratuitement sur l’internet, conformément à l’article 77, paragraphe 2, point e) :

a) […] la désignation […] pour les substances [dangereuses] […] ;

b) le cas échéant, le nom de la substance […] ;

c) la classification et l’étiquetage de la substance ;

d) les données physicochimiques concernant la substance, ainsi que ses voies de transfert et son devenir dans l’environnement ;

e) les résultats de chaque étude toxicologique et écotoxicologique ;

f) le cas échéant, le niveau dérivé sans effet (DNEL) ou la concentration prévisible sans effet (PNEC), établis conformément à l’annexe I ;

g) les conseils d’utilisation fournis […] ;

h) les méthodes d’analyse, si elles sont requises […], qui permettent de détecter une substance dangereuse quand elle est rejetée dans l’environnement et de déterminer l’exposition directe de l’être humain.

2.      Les informations ci-après concernant des substances […] sont rendues accessibles au public gratuitement sur l’internet […], sauf lorsqu’une partie soumettant les informations invoque […] des raisons dont la validité est reconnue par l’[ECHA] qui justifient en quoi la publication des informations risque de porter atteinte aux intérêts commerciaux du déclarant ou à ceux d’autres parties intéressées :

a) le degré de pureté de la substance et l’identité des impuretés et/ou des additifs notoirement dangereux, si ces informations sont essentielles pour la classification et l’étiquetage ;

b) la fourchette totale de quantité […] dans laquelle une substance donnée a été enregistrée ;

c) les résumés d’études et les résumés d’études consistants des informations visées au paragraphe 1, [sous] d) et e) ;

d) les informations, autres que celles énumérées au paragraphe 1, figurant sur la fiche de données de sécurité ;

e) la ou les marques commerciales de la substance ;

f) […] la désignation […] pour les substances ne bénéficiant pas d’un régime transitoire […] ;

g) […] la désignation […] pour les substances [dangereuses] […] qui ne sont utilisées que dans une ou plusieurs des utilisations suivantes :

i) comme intermédiaire ;

ii) dans la recherche et le développement scientifiques ;

iii) dans les activités de recherche et de développement axées sur les produits et les processus. »

6        La requérante, Deza, a.s., est active dans le secteur chimique depuis 1892, et cela, depuis 1990, sous la forme d’une société anonyme. Dans le cadre de son activité traditionnelle et en vue de remplir les conditions définies par le règlement REACH, la requérante a introduit, le 12 août 2013, auprès de l’ECHA une demande d’autorisation en vue de la mise sur le marché et de l’utilisation de la substance chimique phtalate de bis(2-éthylhexyle) (DEHP) (ci-après la « substance chimique en cause »). Cette demande avait pour but d’autoriser la requérante à continuer, sans interruption, la production de cette substance. Des demandes d’autorisation relatives à la même substance ont également été introduites par la société française Arkema France (ci-après « Arkema »), la société polonaise Grupa Azoty Zakłady Azotowe Kędzierzyn S.A. (ci-après « Grupa Azoty ») et la société italienne Vinyloop Ferrara S.p.A. (ci-après « Vinyloop »), lesquelles avaient coopéré avec la requérante dans le cadre d’un consortium pour préparer leurs dossiers de demande d’autorisation et, notamment, pour effectuer une analyse de la disponibilité de substances de remplacement et pour examiner les risques qu’elles comportaient, ainsi que leur faisabilité technique et économique. En conséquence, la requérante, Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop ont joint à leur demande d’autorisation respective un rapport sur la sécurité chimique (ci-après le « rapport ») et une analyse des solutions de remplacement (ci-après l’« analyse »).

7        Une version confidentielle et une version non confidentielle de ces rapports et analyses ont été transmises par la requérante et les trois sociétés susmentionnées à l’ECHA, qui en a publié les versions non confidentielles sur son site Internet.

8        Par lettre du 18 décembre 2013, l’ECHA a informé la requérante et les autres sociétés de la demande formulée par un tiers - à savoir une association européenne de protection de l’environnement - en vue d’obtenir, au titre du règlement n° 1049/2001, l’accès aux documents qu’elles avaient présentés dans le cadre de leur demande d’autorisation, y compris ceux qu’elles considéraient comme confidentiels. Par cette lettre, l’ECHA les a invitées à réexaminer les documents confidentiels et à indiquer, avant le 7 janvier 2014, les informations dont le caractère confidentiel s’opposait, selon elles, à leur divulgation en vertu du règlement n° 1049/2001.

9        En réponse, l’ECHA a reçu une version modifiée des documents confidentiels avec une motivation circonstanciée des modifications apportées. Il s’agit des analyses et des rapports, dans lesquels la requérante, Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop ont identifié les informations qui, selon elles, devraient bénéficier d’un traitement confidentiel (ci-après les « informations litigieuses »). Les informations litigieuses figurent non seulement dans la demande d’autorisation introduite par la requérante, mais également, en version identique, dans les demandes d’autorisation présentées par Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop.

10      Après avoir examiné la version confidentielle des documents en cause, l’ECHA a adressé à la requérante, le 24 janvier 2014, la lettre référencée AFA-C-0000004274-77-09/F et intitulée « Renseignements relatifs à l’intention de l’ECHA de divulguer certaines informations figurant dans le rapport sur la sécurité chimique et dans l’analyse des solutions de remplacement de la substance phtalate de bis(2-éthylhexyle) (DEHP) », dans laquelle elle a indiqué qu’elle approuvait, sous certaines réserves, la nouvelle version expurgée des documents qui lui avait été présentée par la requérante, tout en transmettant à cette dernière une autre version des documents dont certains passages avaient été supprimés et d’autres conservés, c’est-à-dire désignés comme pouvant être divulgués à un tiers (ci-après la « décision attaquée »). L’ECHA a ajouté qu’elle avait l’intention de divulguer au tiers demandeur les informations litigieuses, à défaut, pour la requérante, de saisir le juge de l’Union. Des lettres en grande partie identiques à la décision attaquée ont été adressées à Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop. Dans un courrier du 6 février 2014, l’ECHA a invoqué d’autres motifs qui justifieraient le rejet partiel de la demande de traitement confidentiel des documents en cause.

11      C’est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 mars 2014, la requérante, Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée ainsi que des décisions correspondantes adressées à Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop. À l’appui de leur recours, elles ont fait valoir, notamment, qu’une divulgation par l’ECHA des informations litigieuses violerait leur droit à un traitement confidentiel des informations qui constituaient leur propriété intellectuelle et à la protection de leurs intérêts commerciaux légitimes.

12      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante, Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle elles ont conclu, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal, d’une part, de surseoir à l’exécution de la décision attaquée ainsi que des décisions correspondantes adressées à Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop et, d’autre part, d’ordonner à l’ECHA de ne pas divulguer les informations litigieuses, jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours principal.

13      Par lettre introduite le 8 avril 2014, Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop ont informé le Tribunal qu’elles se désistaient tant de leur recours que de leur demande en référé. En conséquence, le président du Tribunal, par ordonnances du 11 avril 2014, les a rayées de la liste des parties requérantes dans les affaires T-189/14 et T-189/14 R, en décidant qu’elles supportaient leurs propres dépens.

14      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 23 avril 2014, l’ECHA a conclu, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

-        rejeter la demande en référé, au moins dans la mesure où la décision attaquée concerne des informations qui sont déjà accessibles au public ou qui sont, en vertu de l’article 119 du règlement REACH, considérées comme publiques ;

-        condamner la requérante aux dépens.

15      La requérante a répondu aux observations de l’ECHA par mémoire du 28 mai 2014. L’ECHA a pris définitivement position sur celui-ci par mémoires du 3 et du 13 juin 2014. L’ECHA a, notamment, décliné la proposition de la requérante d’entrer dans des négociations supplémentaires sur le caractère confidentiel ou non des informations litigieuses en vue d’un éventuel règlement à l’amiable. En outre, l’ECHA a demandé que soit déclarée irrecevable la demande en référé en ce qu’elle vise les décisions qui n’ont pas été adressées à la seule requérante.

 En droit

 Sur l’objet de la demande en référé

16      Il y a lieu de constater que, dans la demande en référé, la requérante, d’une part, ainsi qu’Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop, d’autre part, se sont présentées, respectivement, comme la « requérante principale » et les « autres requérantes », conjointement appelées « la requérante », cette demande visant au sursis à l’exécution de « la décision » de l’ECHA du 24 janvier 2014. Si cet exposé apparaît imprécis en ce qui concerne l’objet concret de la demande en référé, il ressort des conclusions en référé et de l’annexe A.4.7 jointe à ladite demande que la requérante, Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop se sont vu adresser, chacune, une décision individuelle portant une référence spécifique, à savoir, respectivement, AFA-C-0000004274-77-09/F, AFA-C-0000004280-84-09/F, AFA-C-0000004275-75-09/F et AFA-C-0000004151-87-08/F, et que chacune de ces décisions individuelles visait le rapport et l’analyse présentés, respectivement, par chacune de ces sociétés. Il convient d’en conclure que chacune des sociétés susmentionnées ne s’opposait qu’à la décision qui lui avait été adressée à titre personnel et ne sollicitait le traitement confidentiel que du dossier qui la concernait personnellement.

17      Dans ces circonstances, le désistement effectué par Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop a eu pour conséquence, d’une part, que les décisions adressées à ces dernières sont devenues définitives et, d’autre part, qu’il n’existe plus aucune demande visant à obtenir le sursis à l’exécution de ces décisions ou à ordonner que l’ECHA s’abstienne de divulguer des informations confidentielles contenues dans les rapports et les analyses présentés par ces sociétés. Au demeurant, même avant ledit désistement, la demande en référé ne semblait viser que les informations litigieuses contenues dans un seul rapport et une seule analyse, à savoir ceux concernant la requérante, étant donné que seuls ces deux documents avaient été annexés à ladite demande en vue d’établir le caractère confidentiel des informations litigieuses.

18      Par conséquent, la présente demande en référé a pour objet le sursis à l’exécution de la seule décision attaquée et vise à obtenir la protection provisoire des informations litigieuses contenues dans le rapport et l’analyse présentés par la seule requérante.

19      Cette appréciation n’est pas remise en cause par le fait que, dans leur acte de désistement, Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop ont indiqué qu’elles continuaient à s’opposer à une divulgation des informations litigieuses et souhaitaient défendre leurs intérêts par l’intermédiaire de la requérante. En effet, elles n’ont versé au dossier de l’affaire aucun acte de procédure indiquant clairement qu’elles donnaient à la requérante le mandat d’assurer, en leurs noms ou en son nom propre, la protection des informations litigieuses qui les concernaient. En outre, dans son mémoire du 27 mai 2014, la requérante n’a procédé à aucune adaptation de ses conclusions afin de tenir compte du désistement partiel intervenu.

20      Toutefois, la requérante et les trois autres sociétés ayant formé un consortium pour préparer conjointement leurs dossiers de demande d’autorisation, il est constant que les informations litigieuses contenues dans le rapport et l’analyse présentés par la requérante sont largement identiques à celles contenues dans les rapports et les analyses présentés par Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop. Dans ces circonstances, il serait permis au juge des référés, dans l’hypothèse où il ferait droit à la demande en référé, d’interdire également toute divulgation de telles informations identiques figurant dans lesdits documents présentés par ces trois sociétés, puisque l’effet utile de la protection provisoire accordée à la requérante serait à l’évidence gravement compromis si l’ECHA était autorisée, pour des motifs de pure formalité procédurale, à divulguer des informations dont la nature confidentielle viendrait d’être reconnue.

 Généralités

21      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 104 du règlement de procédure du Tribunal.

22      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C-268/96 P(R), Rec, EU:C:1996:381, point 30].

23      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C-149/95 P(R), Rec, EU:C:1995:257, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C-459/06 P(R), EU:C:2007:209, point 25]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C-445/00 R, Rec, EU:C:2001:123, point 73).

24      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales. Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative au fumus boni juris est remplie.

 Sur le fumus boni juris

25      Selon une jurisprudence constante, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est notamment le cas, dès lors que l’un des moyens avancés révèle l’existence de questions juridiques complexes dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond, ou lorsque le débat mené entre les parties révèle l’existence d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas d’emblée [voir ordonnance du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group, C-278/13 P(R), EU:C:2013:558, point 67 et jurisprudence citée].

26      En l’espèce, la requérante fait valoir que la décision attaquée viole, notamment, l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, lu conjointement avec l’article 118, paragraphe 1, du règlement REACH, ainsi que l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), en ce qu’une divulgation des informations litigieuses conduirait à mettre en péril ses intérêts commerciaux et ses droits de propriété, notamment intellectuelle, dont la protection s’étendrait à son droit au secret commercial. Une telle divulgation ne serait pas justifiée par un intérêt public supérieur, l’ECHA n’ayant d’ailleurs pas indiqué, dans la décision attaquée, qu’un intérêt public prévalait sur la nécessité de protéger les droits susmentionnés de la requérante.

27      La requérante précise que les informations litigieuses ont été acquises grâce à son savoir-faire et à ses efforts considérables. Ces informations, destinées à faciliter l’obtention de l’autorisation d’utilisation de la substance chimique en cause, s’appuieraient sur une longue expérience de la requérante ainsi que sur les connaissances professionnelles de ses employés et consultants externes ayant effectué le calcul des différentes valeurs et exploité les données émanant d’études, d’analyses, de contrôles et de conclusions d’experts, qui ne seraient pas aisément accessibles et pour la collecte desquelles la requérante aurait déployé des moyens financiers considérables. Ainsi, pour les seuls services externes nécessaires à l’élaboration de cette documentation, elle aurait payé plus de 200 000 euros, sans parler de la charge matérielle et des ressources humaines internes.

28      La requérante souligne que les informations litigieuses sont secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues. Elles ne seraient pas aisément accessibles à des personnes appartenant aux milieux opérant dans le secteur chimique. Elles auraient une valeur commerciale également parce qu’elles se rapportent à l’activité commerciale de la requérante. La collecte et l’organisation des informations litigieuses auraient impliqué des investissements considérables pour obtenir une autorisation nécessaire à la poursuite de l’activité de l’entreprise dans le domaine de la fabrication de la substance chimique en cause.

29      La requérante ajoute que l’ECHA, dépourvue des expériences dont dispose un opérateur économique, n’est pas totalement en mesure d’évaluer l’importance commerciale des informations litigieuses, importance qui ne saurait être appréciée que par un opérateur exposée à une lutte concurrentielle quotidienne contre les autres entreprises.

30      L’ECHA répond, premièrement, qu’un nombre substantiel des informations litigieuses est considéré, aux termes mêmes du règlement REACH, comme public et ne saurait donc recevoir un traitement confidentiel.

31      Ainsi, la valeur correspondant au niveau dérivé sans effet (DNEL) (ci-après la « valeur DNEL ») et la valeur correspondant à la concentration prévisible sans effet (PNEC) (ci-après la « valeur PNEC ») seraient considérées, en vertu de l’article 119, paragraphe 1, sous f), du règlement REACH, comme publiques, de sorte que l’ECHA ne serait pas autorisée à leur accorder un traitement confidentiel. Cette conclusion vaudrait également pour les informations minimales sur la façon « dérivée ou prévisible » dont sont établies les valeurs DNEL ou PNEC et sur leur corrélation avec d’autres valeurs, car un certain nombre minimum d’informations sur les circonstances d’établissement de ces valeurs serait une condition nécessaire permettant de comprendre ce que ces valeurs représentent en réalité et à quoi elles se rapportent. Si seules les valeurs devaient être rendues publiques sans aucune explication de leur signification, cette disposition du règlement REACH perdrait en fait de son sens.

32      De même, les résultats des études toxicologiques et écotoxicologiques feraient partie des informations qui sont considérées comme publiques au sens de l’article 119, paragraphe 1, sous e), du règlement REACH. Pour ces résultats, un minimum d’informations sur les circonstances de leur établissement serait essentiel pour comprendre leur signification réelle. Si seuls les résultats des tests devaient être rendus publics sans aucune information complémentaire expliquant les circonstances de leur établissement, cette disposition du règlement REACH serait dépourvue de sens.

33      Enfin, les informations sur la classification et l’étiquetage de la substance seraient considérées, au sens de l’article 119, paragraphe 1, sous c), du règlement REACH, comme publiques.

34      Selon l’ECHA, la requérante n’affirme pas que les règles fixées à l’article 119 du règlement REACH enfreignent les dispositions du droit primaire ou secondaire de l’Union. Par conséquent, la requérante semblerait admettre que la règle prévue audit article 119, selon laquelle les informations susmentionnées ont un caractère public, est conforme au droit primaire de l’Union. L’ECHA estime qu’une interprétation du règlement n° 1049/2001 qui conduirait à limiter l’accès aux informations qui sont, au sens du règlement REACH, considérées comme publiques, serait contraire à l’esprit de ces deux textes ainsi qu’au principe de transparence énoncé à l’article 15 TFUE.

35      L’ECHA allègue, deuxièmement, qu’une partie des informations litigieuses n’est pas confidentielle, puisqu’elle est déjà accessible au public. Ainsi, les informations relatives aux capacités nominales de l’anhydride phtalique d’Arkema auraient été publiées sur l’internet et seraient librement accessibles. Seraient également accessibles au public, d’une part, les informations publiées sur le site Internet de l’ECHA dans le cadre des informations détaillées sur les utilisations, pour les consultations publiques, concernant les substances et les technologies de remplacement (chapitre 9.01 du rapport, tableau synthétique présentant la liste des utilisations prescrites y compris la liste des descripteurs d’utilisation) et, d’autre part, les informations reprises dans les évaluations réciproques publiées (chapitre 5.10.1.2 du rapport). Il en irait de même des listes des études expérimentales toxicologiques ou écotoxicologiques et des valeurs des études d’évaluation réciproque publiées. Enfin, certains chapitres du rapport seraient des extraits modifiés ou copiés de l’évaluation européenne des risques de 2008 qui est accessible au public (chapitres 5.6.3, 5.7.3 et 5.10.3 du rapport).

36      Dans son mémoire du 27 mai 2014, la requérante réplique que l’ECHA, dans ses observations, méconnaît le libellé explicite de l’article 119, paragraphe 1, du règlement REACH, qui prévoit que certaines informations doivent être publiées gratuitement conformément à l’article 77, paragraphe 2, sous e), du même règlement. Or, cette dernière disposition concernerait des informations liées au processus d’enregistrement, relevant du titre II du règlement REACH, et non du processus d’autorisation, relevant de son titre VII, objet de la présente procédure.

37      S’agissant de la procédure d’autorisation, la requérante admet que les données pertinentes correspondant à la valeur DNEL de la substance chimique en cause sont devenues publiques du fait de leur divulgation, par l’ECHA, dans le document « Autorisation, établissement des DNEL de référence de la DEHP » du 12 avril 2013, qui avait été préparé sur le fondement des conclusions du comité pour l’évaluation des risques. Cependant, il s’agirait là de données différentes de celles qui font l’objet de la présente procédure. En effet, cette procédure aurait pour objet les données spécifiques préparées individuellement par la requérante dans le cadre de la partie confidentielle de sa demande d’autorisation, qui auraient été élaborées aux termes d’une méthodologie différente de celle employée pour les données déjà divulguées par l’ECHA. Par conséquent, les données correspondant aux valeurs DNEL et PNEC faisant l’objet de la présente procédure ne seraient pas des informations relevant de l’article 119, paragraphe 1, sous f), du règlement REACH, de sorte que l’ECHA ne pourrait pas les divulguer en se fondant sur l’article susmentionné.

38      Sur ce point, la requérante précise que, ainsi qu’il ressort d’une comparaison entre les valeurs DNEL et PNEC publiées par l’ECHA et les valeurs en question dans la présente procédure, chacune des données présente une valeur différente. Les données correspondant aux valeurs DNEL et PNEC faisant l’objet de la présente procédure ne figureraient donc pas parmi les éléments généraux déjà publiés par l’ECHA. En outre, ces données ne constitueraient pas des « informations sur les substances enregistrées », au sens de l’article 77, paragraphe 2, sous e), du règlement REACH, mais il s’agirait d’applications concrètes dans le cadre d’une autre procédure, à savoir la procédure d’autorisation relevant du titre VII du règlement REACH. Ainsi, la requérante aurait collecté des matériaux et des rapports d’experts, aurait commandé les calculs de différentes valeurs, aurait classé toutes les données et les aurait transformées sous une forme applicable à la demande d’autorisation individuelle de la substance chimique en cause. Il s’agirait d’une œuvre relevant des secrets commerciaux de la requérante. Selon cette dernière, le tiers qui a demandé l’accès aux documents de la requérante ne portait, de toute évidence, aucun intérêt aux données générales correspondant aux valeurs DNEL et PNEC publiées par l’ECHA et déjà accessibles au public.

39      La requérante ajoute que l’ECHA - en considérant qu’il y avait lieu de divulguer non seulement les données correspondant aux valeurs DNEL et PNEC, mais aussi « les informations minimales sur la façon dérivée et/ou prévisible des valeurs DNEL/PNEC et sur leur corrélation avec d’autres valeurs » - procède à une interprétation extensive irrecevable, qui est dépourvue de fondement en ce qu’elle est contraire au libellé clair et précis de l’article 119, paragraphe 1, sous f), du règlement REACH. Selon ce texte, l’ECHA ne serait ni autorisée ni obligée à divulguer aucune donnée autre que les valeurs DNEL et PNEC.

40      Selon la requérante, les arguments qu’elle vient d’avancer au regard des données correspondant aux valeurs DNEL et PNEC valent également pour les résultats toxicologiques et écotoxicologiques.

41      En ce qui concerne les observations de l’ECHA selon lesquelles « les informations sur la classification et l’étiquetage des substances » sont, en vertu de l’article 119, paragraphe 1, sous c), du règlement REACH, considérées comme publiques, la requérante indique expressément qu’elle marque son accord avec ce constat.

42      Dans la mesure où l’ECHA affirme que certaines données relevant des informations litigieuses sont déjà accessibles au public, la requérante souligne qu’elle réclame la confidentialité non seulement en ce qui concerne des informations spécifiques, telles que les données correspondant aux valeurs DNEL et PNEC, mais en ce qui concerne toutes les informations litigieuses prises ensemble, qui constituent dans leur globalité sa demande individuelle d’autorisation de la substance chimique en cause. Leur valeur résiderait précisément dans le fait qu’il s’agit d’un ensemble d’informations qui, sous cette forme, n’est pas aisément accessible et constitue un secret commercial, puisqu’il peut être commercialement exploité. Par conséquent, après une divulgation des informations litigieuses, ce secret commercial, en tant que bien immatériel protégé, disparaîtrait.

43      La requérante précise que les informations litigieuses sont secrètes en ce sens qu’elles ne sont pas, dans leur globalité ou dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, généralement connues du cercle des opérateurs de l’industrie chimique ou de personnes appartenant aux milieux qui s’intéressent normalement à ce genre de renseignements. Le fait que certains détails des informations litigieuses puissent déjà être accessibles au public ne changerait rien à cette conclusion. La protection d’un secret commercial ne serait pas exclue lorsque certaines parties d’un « produit » complexe bénéficiant d’une telle protection sont déjà accessibles au public.

44      Dans son mémoire du 13 juin 2014, l’ECHA estime que les nouvelles objections produites par la requérante le 27 mai 2014 - selon lesquelles l’ECHA a commis une erreur manifeste en invoquant les présomptions légales des articles 118 et 119 du règlement REACH par rapport aux informations fournies dans le cadre de la procédure d’autorisation prévue au titre VII du règlement REACH et en interprétant trop largement l’article 119, paragraphe 1, sous e) et f), du même règlement - sont tardives et, partant, irrecevables en vertu de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. En tout état de cause, ces objections ne seraient pas fondées.

45      L’ECHA s’oppose également à l’allégation selon laquelle deux valeurs DNEL ou PNEL différentes peuvent exister pour une substance en fonction de la procédure, conformément au règlement REACH. Elle fait valoir que les valeurs DNEL et PNEC sont des valeurs spécifiques pour chaque substance. Leur valeur ne devrait pas changer juste parce que la substance est évaluée dans le cadre de la procédure d’autorisation et non dans la cadre de la procédure d’enregistrement. Si, au cours de la procédure d’autorisation, l’opérateur constatait que la valeur obtenue au départ dans le cadre de la procédure d’enregistrement était inexacte, il devrait réviser la valeur initiale. Cette valeur révisée serait ensuite publiée sur le site de l’ECHA, conformément à l’article 119 du règlement REACH.

46      À cet égard, force est de constater, d’abord, que la requérante admet explicitement ne pas invoquer le caractère confidentiel des informations litigieuses dans la mesure où elles portent sur la classification et l’étiquetage des substances.

47      Il y a lieu de relever, ensuite, que les informations litigieuses sont résumées sur trois pages de la demande en référé par des références à des passages et tableaux figurant dans l’analyse, qui comporte 316 pages, jointe à cette demande, et dans le rapport, qui comporte 563 pages, joint à cette demande.

48      S’agissant de l’analyse, les informations litigieuses concernent, notamment, les valeurs DNEL et PNEC relatives à la substance chimique en cause. La valeur DNEL correspond au niveau d’exposition aux substances - calculé normalement sur la base des descripteurs de dose disponibles à partir des études chez l’animal - en dessous duquel aucun effet nocif pour l’homme n’est attendu. La valeur PNEC correspond à la concentration des substances en dessous de laquelle il ne devrait pas y avoir d’effet nocif dans le milieu environnemental en cause.

49      S’agissant du rapport, les informations litigieuses concernent, outre les noms de certains auteurs d’études, des données telles que la mutagénicité, la carcinogénicité, les effets sur la fertilité, la toxicité pour la reproduction, la neurotoxicité, l’immunotoxicité, la hépato-carcinogénicité, les valeurs DNEL pour ouvriers et pour la population générale, la toxicité sur les micro-organismes du sol ou des « scénarios d’exposition relatifs à l’usage industriel de polymérisation par calandrage, enduction, extrusion et moulage par injection pour produire des articles en PVC ». Si certaines des références aux nombreux tableaux sont erronées (décalage d’un chiffre, par exemple tableau « 45 » au lieu de 46 ou tableau « 77 » au lieu de 78), les autres éléments de référence permettent d’identifier aisément les documents réellement visés à chaque fois.

50      À la lecture de ces pièces de procédure, il s’avère que le point de savoir si les informations litigieuses peuvent être qualifiées de confidentielles concerne de nombreuses données chimiques, dont l’appréciation soulève des questions scientifiques complexes, à l’exception de celles relatives aux noms des auteurs d’études. Dans la lettre du 7 février 2014 adressée au tiers qui avait demandé l’accès aux documents en cause, l’ECHA a confirmé, elle-même, que le traitement de cette demande d’accès nécessitait « d’importants efforts scientifiques et administratifs ».

51      Cela est également vrai en ce qui concerne la question de savoir si les données correspondant aux valeurs DNEL et PNEC présentées dans l’analyse, dont la requérante soutient qu’elles ont été préparées individuellement et selon une méthodologie spécifique pour les besoins concrets de sa demande d’autorisation, peuvent être considérées comme confidentielles en ce qu’elles présentent des valeurs autres que celles des données correspondant aux valeurs DNEL et PNEC générales qui ont été déjà publiées. Dans ce contexte, il est indifférent pour le caractère scientifique des nouvelles valeurs DNEL et PNEC que leur modification ait été admissible ou non au cours de la procédure d’autorisation.

52      Il en va de même de la question des « informations minimales sur la façon dérivée et/ou prévisible des valeurs DNEL/PNEC et sur leur corrélation avec d’autres valeurs » ainsi que des « informations minimales sur les circonstances » qui seraient nécessaires pour la compréhension des résultats des études toxicologiques et écotoxicologiques. En effet, l’appréciation du caractère confidentiel ou non de ces renseignements complémentaires, qui ne sont pas prévus à l’article 119, paragraphe 1, sous e) et f), du règlement REACH, soulève à l’évidence des problèmes de nature scientifique dont la solution ne s’impose pas d’emblée dans le cadre de la procédure de référé.

53      Dans la mesure où l’ECHA souligne que certaines parties des informations sont déjà accessibles au public, il est vrai que l’on ne saurait réclamer le traitement confidentiel d’un élément ponctuel, tel qu’un chiffre d’importance financière pour une entreprise, qui a déjà fait l’objet d’une publication accessible aux personnes intéressées. En l’espèce, cependant, la question de confidentialité soulevée dans ce contexte ne concerne pas l’un ou l’autre chiffre particulier, mais plusieurs passages de texte entiers, à l’égard desquels la requérante soutient qu’elles ne sont, dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, généralement connues ni du cercle des opérateurs de l’industrie chimique ni des personnes qui s’intéressent normalement à ce genre de renseignements. Il y a donc lieu de se demander si le fait que la requérante ait compilé des données scientifiques connues du public et y ait ajouté des données scientifiques secrètes pour en produire un ensemble d’informations complexe qui, en tant que tel, n’est pas aisément accessible peut justifier que cet ensemble reçoive un traitement confidentiel. Or, ce débat soulève également des problèmes dont la solution ne s’impose pas d’emblée dans le cadre de la procédure de référé.

54      En effet, il ne saurait être raisonnablement exclu que les juges du fond reconnaissent la confidentialité du mode d’utilisation spécifique, par la requérante, d’informations de nature non confidentielle et de nature confidentielle pour les besoins de l’évaluation de sa demande visant à obtenir l’autorisation de la substance chimique en cause, en ce qu’une telle stratégie inventive apporte une plus-value scientifique aux éléments non confidentiels pris isolément [voir, en ce sens, ordonnance du 13 février 2014, Luxembourg Pamol (Cyprus) et Luxembourg Industries/Commission, T-578/13 R, EU:T:2014:103, point 60].

55      En outre, dans l’hypothèse où les juges du fond retiendraient l’argument de la requérante pris de la nature confidentielle de toutes les informations litigieuses constituant dans leur globalité sa demande individuelle d’autorisation de la substance chimique en cause et estimeraient que les informations à la base d’une telle demande constituent une catégorie d’informations spécifique bénéficiant d’une présomption générale de confidentialité, la question d’une divulgation partielle des données publiques ne se poserait pas, étant donné qu’un document couvert par une telle présomption échappe à l’obligation d’une divulgation partielle (voir, en ce sens, arrêts du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob, C-404/10 P, Rec, EU:C:2012:393, point 133, et du 27 février 2014, Commission/Enbw Energie Baden-Württemberg, C-365/12 P, Rec, EU:C:2014:112, points 83, 91, 93 et 134).

56      Enfin, il paraît insensé, et inutile pour le tiers qui a demandé à l’ECHA l’accès aux informations litigieuses, de permettre par voie de référé une publication limitée strictement aux données qui se trouvent déjà dans le domaine public. En effet, ces dernières données sont accessibles sur l’internet par le biais d’instruments de recherche appropriées. En cas de besoin, des demandes de renseignement ou de divulgation ciblées peuvent être adressées à l’ECHA, qui, ainsi que sa réaction à la présente demande en référé le démontre, devrait leur réserver un accueil très favorable.

57      Pour ce qui est de la question du caractère confidentiel des noms des auteurs de certains rapports et études, elle ne saurait utilement faire l’objet d’un examen isolé par le juge des référés, mais il devra y être répondu en fonction du sort qui sera réservé, dans le cadre de la procédure principale, aux données de fond susceptibles de constituer des secrets scientifiques. En effet, n’apparaissent dignes d’être protégés en tant qu’éléments confidentiels que des noms qui se rapportent à de tels secrets [voir, en ce sens, ordonnance Luxembourg Pamol (Cyprus) et Luxembourg Industries/Commission, EU:T:2014:103, point 62]. Cela vaut également pour des rapports et études qui seraient déjà partiellement accessibles au public, en ce que l’identification de leurs auteurs pourrait permettre de localiser l’ouvrage en cause, de replacer dans un contexte plus large les passages qui en ont été extraits et d’évaluer la manière scientifique employée par la requérante pour leur utilisation aux fins d’obtenir l’autorisation sollicitée.

58      En ce qui concerne l’argumentation de l’ECHA selon laquelle les articles 118 et 119 du règlement REACH établissent - notamment pour les résultats de chaque étude toxicologique et écotoxicologique, au titre de l’article 119, paragraphe 1, sous e) dudit règlement - des présomptions légales de non-confidentialité, il convient de rappeler que la requérante dénonce, en particulier, une violation de l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH (respect de la vie privée), qui correspond à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en ce qu’une divulgation des informations litigieuses porterait atteinte à ses secrets commerciaux. Or, ainsi que la Cour l’a reconnu dans son arrêt du 14 février 2008, Varec (C-450/06, Rec, EU:C:2008:91, points 47 et 48), en renvoyant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il peut être nécessaire d’interdire la divulgation d’informations qualifiées de confidentielles, afin de préserver le droit fondamental d’une entreprise au respect de la vie privée, consacré à l’article 8 de la CEDH et à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux, étant précisé que la notion de « vie privée » ne doit pas être interprétée comme excluant l’activité commerciale d’une personne morale.

59      Il s’ensuit que la requérante invoque un droit fondamental à la protection d’informations prétendument confidentielles qui est, d’ailleurs, consacré également par l’article 339 TFUE et qui, en vertu de l’article 6 TUE, relève du droit primaire. Dans ces circonstances, l’argumentation présentée par l’ECHA soulève la question de savoir dans quelle mesure ce droit fondamental, qui élève la protection des informations litigieuses au niveau du droit primaire, peut faire l’objet d’une interprétation restrictive fondée sur l’article 119 du règlement REACH qui prévoit la mise à disposition du public d’informations à titre gratuit sur l’internet, alors qu’il existe, à côté de cette forme de publication, un autre canal de diffusion d’informations, régi par l’article 118, paragraphe 1, du règlement REACH et les dispositions du règlement n° 1049/2001, notamment son article 4, relatives aux demandes individuelles d’accès à des informations, étant rappelé que ledit article 4, paragraphe 2, prévoit la protection des intérêts commerciaux de tout opérateur économique. La question cruciale portant sur l’interprétation du droit primaire à la lumière d’une disposition réglementaire, l’ECHA ne saurait utilement reprocher à la requérante de ne pas avoir soulevé en temps utile une exception d’illégalité dirigée, en vertu de l’article 277 TFUE, contre cette disposition.

60      Or, la problématique de la compatibilité ou de l’exclusion mutuelle des deux canaux de diffusion susmentionnés, qui a une influence décisive sur la politique de l’ECHA en matière d’accès aux documents, n’a pas encore fait l’objet d’une décision du juge de l’Union. Par conséquent, il n’existe pas de jurisprudence qui permettrait de répondre aisément à la question devant être tranchée par l’arrêt à rendre ultérieurement sur le fond, soit celle de savoir si la décision attaquée, dans la mesure où elle est fondée sur une interprétation des présomptions légales résultant de l’article 119 du règlement REACH, viole le droit au secret professionnel de la requérante, garanti par l’article 8 de la CEDH, l’article 7 de la charte et l’article 339 TFUE. Il s’agit là d’une question de principe inédite qui ne saurait être tranchée, pour la première fois, par le juge des référés, mais requiert un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale.

61      De plus, à supposer que les informations litigieuses puissent être considérées comme couvertes par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, la question de savoir si un intérêt public supérieur n’en justifierait pas moins la divulgation nécessitera une mise en balance entre l’intérêt commercial de la requérante à ce que ces informations ne soient pas divulguées et l’intérêt général qui vise à garantir au public un accès aussi large que possible aux documents détenus par l’Union. Or, une telle mise en balance des différents intérêts en présence exigera des appréciations délicates qui doivent être réservées aux juges du fond.

62      Dans la mesure où l’ECHA souligne l’importance de la transparence en faisant valoir que la substance chimique en cause appartient aux substances utilisées les plus dangereuses et que l’exposition aux effets de ces substances peut avoir des conséquences graves sur la santé humaine ou des effets graves sur l’environnement, il ne saurait être exclu que de telles considérations soient prises en considération pour la solution du litige principal. Cependant, l’ECHA s’abstient d’exposer les raisons d’urgence particulière qui nécessiteraient, tout particulièrement pour la substance chimique en cause - et ce en raison de sa nocivité non seulement potentielle, mais réelle - une divulgation immédiate des informations litigieuses et s’opposeraient, dès lors, à l’octroi des mesures provisoires sollicitées. En tout état de cause, il semble plus approprié de prendre en compte le caractère dangereux de la substance chimique en cause lors de l’examen de la demande d’autorisation de mise sur le marché.

63      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater, sans préjudice de la valeur des arguments avancés par l’ECHA, dont le bien-fondé fera l’objet d’un examen par les juges du fond, que la présente affaire soulève des questions inédites et complexes qui ne sauraient, à première vue, être considérées comme manifestement dénuées de pertinence, mais dont la solution mérite un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale.

64      Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris en ce qui concerne les informations litigieuses, à l’exception de celles relatives à la classification et à l’étiquetage des substances.

 Sur la mise en balance des intérêts

65      Selon une jurisprudence bien établie, la mise en balance des intérêts consiste pour le juge des référés à déterminer si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte litigieux en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir, en ce sens, ordonnances du 11 mai 1989, Radio Telefis Eireann e.a./Commission, 76/89 R, 77/89 R et 91/89 R, Rec, EU:C:1989:192, point 15, et du 26 juin 2003, Belgique et Forum 187/Commission, C-182/03 R et C-217/03 R, Rec, EU:C:2003:385, point 142).

66      S’agissant plus particulièrement de la condition selon laquelle la situation juridique créée par une ordonnance de référé doit être réversible, il y a lieu de noter que la finalité de la procédure de référé se limite à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond [voir, en ce sens, ordonnance du 27 septembre 2004, Commission/Akzo et Akcros, C-7/04 P(R), Rec, EU:C:2004:566, point 36]. Par conséquent, cette procédure a un caractère purement accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe (ordonnance du 12 février 1996, Lehrfreund/Conseil et Commission, T-228/95 R, Rec, EU:T:1996:16, point 61), de sorte que la décision prise par le juge des référés doit présenter un caractère provisoire en ce sens qu’elle ne saurait ni préjuger du sens de la future décision au fond ni la rendre illusoire en la privant d’effet utile (voir, en ce sens, ordonnances du 17 mai 1991, CIRFS e.a./Commission, C-313/90 R, Rec, EU:C:1991:220, point 24, et du 12 décembre 1995, Connolly/Commission, T-203/95 R, Rec, EU:T:1995:208, point 16).

67      Il s’ensuit nécessairement que l’intérêt défendu par une partie à la procédure de référé n’est pas digne de protection dans la mesure où cette partie demande au juge des référés d’adopter une décision qui, loin de présenter un caractère purement provisoire, aurait pour effet de préjuger du sens de la future décision au fond et de la rendre illusoire en la privant d’effet utile.

68      En l’espèce, le Tribunal sera appelé à statuer, dans le cadre du litige principal, sur le point de savoir si la décision attaquée - par laquelle l’ECHA a rejeté la demande de confidentialité de la requérante et manifesté son intention de divulguer à un tiers les informations litigieuses - doit être annulée pour méconnaissance de la nature confidentielle de ces informations en ce que leur divulgation serait constitutive d’une violation, notamment, de l’article 8 de la CEDH. À cet égard, il est évident que, pour conserver l’effet utile d’un arrêt annulant la décision attaquée, la requérante doit être en mesure d’éviter que l’ECHA ne procède à une divulgation illicite desdites informations. Or, un arrêt d’annulation serait rendu illusoire et privé d’effet utile si la présente demande en référé était rejetée, ce rejet ayant pour conséquence de permettre à l’ECHA la divulgation immédiate des informations litigieuses et donc de facto de préjuger du sens de la future décision au fond, à savoir un rejet du recours en annulation.

69      Il s’ensuit que l’intérêt de l’ECHA à voir rejeter la demande en référé doit céder devant l’intérêt défendu par la requérante, d’autant plus que l’octroi des mesures provisoires sollicitées ne reviendrait qu’à maintenir le statu quo pour une période limitée, alors que l’ECHA, loin d’affirmer qu’une divulgation des informations litigieuses répondait à un besoin impérieux de protéger la santé publique, s’est limitée à invoquer le principe général de transparence et l’appartenance de la substance chimique en cause à la catégorie des substances les plus dangereuses (voir point 62 ci-dessus).

70      Au demeurant, s’il est vrai que la personne qui a demandé la divulgation des informations litigieuses peut se prévaloir d’un droit d’accès aux documents des institutions, organes et organismes de l’Union au titre de l’article 15, paragraphe 3, TFUE, force est de constater que l’exercice de ce droit serait simplement retardé en cas d’octroi des mesures provisoires demandées par la requérante, ce qui signifierait une restriction temporelle à l’usage de ce droit, alors que le droit de la requérante à voir protéger la nature confidentielle de ces informations serait réduit à néant en cas de rejet de la demande en référé. L’intérêt de la requérante doit donc primer celui du demandeur d’accès.

 Sur l’urgence

71      Selon une jurisprudence constante, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter que la partie qui sollicite l’octroi de mesures provisoires ne subisse personnellement un préjudice grave et irréparable. Ainsi, cette partie ne saurait se prévaloir d’une atteinte portée à un intérêt qui ne lui est pas personnel, telle que, par exemple, une atteinte aux droits de tiers, afin d’établir que la condition relative à l’urgence est remplie [voir, en ce sens, ordonnances du 24 mars 2009, Cheminova e.a./Commission, C-60/08 P(R), EU:C:2009:181, point 35 ; du 12 juin 2014, Commission/Conseil, C-21/14 P-R, Rec, EU:C:2014:1749, point 51, et du 10 novembre 2004, Wam/Commission, T-316/04 R, Rec, EU:T:2004:333, point 28].

72      Par conséquent, la requérante ne saurait utilement invoquer, pour étayer le caractère urgent du sursis à exécution demandé, le préjudice que subiraient Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop en cas de divulgation de données qui figurent dans les analyses et les rapports présentés par elles et qui concernent spécifiquement et exclusivement ces trois sociétés. En effet, dans ce cas, il ne s’agirait pas d’atteintes portées à des intérêts personnels de la requérante [voir, en ce sens, ordonnances du 2 août 2006, Aughinish Alumina/Commission, T-69/06 R, EU:T:2006:225, point 81 ; du 18 février 2008, Jurado Hermanos/OHMI (JURODO), T-410/07 R, EU:T:2008:45, points 50 et 51, et du 14 mars 2008, Du Pont de Nemours (France) e.a./Commission, T-467/07 R, EU:T:2008:78, point 104].

73      Afin de démontrer le risque de subir un préjudice personnel grave et irréparable, la requérante rappelle avoir déployé, pour la collecte des informations litigieuses, des moyens financiers et des efforts considérables qui s’élèvent, pour les seuls services externes nécessaires à l’élaboration de la documentation, à plus de 200 000 euros, sans parler de la charge matérielle et des ressources humaines internes. Or, une divulgation des informations litigieuses entraînerait une perte de la valeur patrimoniale de ces informations. Leur divulgation, à la suite de laquelle toute diffusion et utilisation par des tiers seraient incontrôlables, aurait pour effet de faire disparaître leur nature confidentielle, qui caractérise la valeur patrimoniale desdites informations. Par conséquent, la requérante subirait un préjudice grave en cas de divulgation, par l’ECHA, des informations litigieuses à un tiers.

74      Selon la requérante, ce préjudice serait également irréparable. En effet, en cas de rejet de la demande de référé, un éventuel arrêt d’annulation rendu par le Tribunal dans l’affaire au principal deviendrait pratiquement obsolète, dans la mesure où il ne pourrait plus éviter le préjudice causé, ni remédier à ce dernier. Par leur divulgation, les informations litigieuses perdraient totalement leur nature confidentielle, ce qui conduirait à une situation dans laquelle il ne serait plus possible de prévenir leur éventuelle utilisation abusive.

75      La requérante craint qu’une divulgation des informations litigieuses, de caractère sensible et de grande valeur, aurait pour effet de la placer dans une situation concurrentielle défavorable par rapport à ses concurrents, qui seraient en mesure d’exploiter ces informations pour favoriser leur propre activité économique et d’obtenir, de ce fait, un avantage concurrentiel déloyal.

76      Rappelant qu’une partie substantielle des informations litigieuses est accessible au public ou considérée comme des informations publiques, l’ECHA rétorque qu’une divulgation de ces données ne pourrait causer aucun préjudice irréparable à la requérante. Dans ce contexte, elle fait allusion à la faculté pour le juge des référés d’adopter une solution intermédiaire, en ne faisant droit à une demande en référé que de manière partielle [ordonnance du 28 novembre 2013, EMA/AbbVie, C-389/13 P(R), EU:C:2013:794, point 53].

77      L’ECHA s’oppose à l’affirmation de la requérante selon laquelle, en cas de divulgation des informations litigieuses, des concurrents pourraient utiliser celles-ci à titre gratuit et de manière déloyale. En effet, en vertu de l’article 16 du règlement n° 1049/2001, la divulgation d’un document à un tiers conformément à ce règlement ne porterait atteinte, en soi, à aucun droit d’auteur existant ou autre droit de propriété intellectuelle réservé au propriétaire de ce document. De même, aucun droit d’auteur ne serait cédé par la divulgation d’un document à un tiers qui en demande la divulgation. Plus spécifiquement, dans le cadre de la procédure d’autorisation, le règlement REACH garantirait, en son article 63, que les données fournies à l’ECHA par un demandeur d’autorisation ne peuvent être utilisées par un demandeur ultérieur qu’après que ce dernier a reçu l’autorisation du demandeur précédent.

78      Selon l’ECHA, il est donc impossible pour un demandeur ultérieur qui introduirait une nouvelle demande d’obtenir un avantage concurrentiel par l’utilisation gratuite de ces données. Par conséquent, une divulgation des informations litigieuses soumises à la protection des droits d’auteur conformément au règlement n° 1049/2001 ne pourrait entraîner la violation des intérêts commerciaux de la requérante. Cette dernière serait toujours en mesure de vendre les informations litigieuses à des demandeurs potentiels ou à d’autres personnes qui ne peuvent pas les utiliser sans son autorisation.

79      À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il appartient à la partie qui sollicite l’adoption de mesures provisoires d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours au fond sans subir un préjudice grave et irréparable. Pour établir l’existence d’un tel préjudice grave et irréparable, il est nécessaire d’exiger, non pas que la survenance du préjudice soit établie avec une certitude absolue, mais que celui-ci soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir ordonnance Commission/Conseil, EU:C:2014:1749, point 37 et jurisprudence citée).

80      Dans ce contexte, il convient de rejeter d’emblée les arguments par lesquels l’ECHA conteste le caractère confidentiel d’une partie des informations litigieuses. En effet, le juge des référés, aux fins d’apprécier l’urgence, doit nécessairement partir de la prémisse selon laquelle les informations prétendument confidentielles le sont effectivement, conformément aux allégations formulées par la requérante aussi bien dans son recours principal que dans le cadre de la procédure de référé (voir, en ce sens, ordonnances Commission/Pilkington Group, EU:C:2013:558, point 38, et EMA/AbbVie, EU:C:2013:794, point 38).

81      Il y a lieu de relever ensuite que, si le préjudice causé par la publication sur l’internet d’informations prétendument confidentielles n’est pas comparable, en principe, notamment en ce qui concerne sa nature et son mode prévisible de survenance, au préjudice lié à la divulgation de telles informations à un tiers, notamment à leur utilisation à des fins commerciales (voir, en ce sens, ordonnance EMA/AbbVie, EU:C:2013:794, point 50), il ne saurait être exclu, par définition et d’un point de vue conceptuel, que le préjudice résultant d’une telle divulgation à un tiers soit, quant à lui, qualifié de grave et d’irréparable.

82      En tout état de cause, la question de savoir dans quelle mesure la divulgation d’informations prétendument confidentielles cause un préjudice de cette nature dépend d’une combinaison de circonstances, telles que, notamment, l’importance sur les plans professionnel et commercial des informations pour l’entreprise qui réclame leur protection et l’utilité de celles-ci pour d’autres entreprises présentes sur le marché qui sont susceptibles d’en prendre connaissance et de les utiliser par la suite [voir, en ce sens, ordonnances Commission/Pilkington Group, EU:C:2013:558, point 42, et EMA/AbbVie, EU:C:2013:794, point 42].

83      En ce qui concerne plus particulièrement le préjudice invoqué par la requérante, il a été jugé qu’un préjudice financier objectivement considérable ou même non négligeable pouvait être considéré comme « grave », sans qu’il soit nécessaire de le rapporter systématiquement au chiffre d’affaires de l’entreprise qui craint de le subir [voir, en ce sens, ordonnance du 7 mars 2013, EDF/Commission, C-551/12 P(R), Rec, EU:C:2013:157, points 32 et 33 ; voir également, par analogie, ordonnance du 8 avril 2014, Commission/ANKO, C-78/14 P-R, Rec, EU:C:2014:239, point 34].

84      Eu égard à la jurisprudence citée aux points 82 et 83 ci-dessus, force est de constater que la requérante a établi, à suffisance de droit, la gravité du préjudice financier qu’elle risque d’encourir en cas de divulgation des informations litigieuses.

85      En effet, les informations litigieuses, de nature chimique - dont la valeur patrimoniale a été chiffrée par la requérante à 200 000 euros en termes de limite inférieure, sans que l’ECHA ait contesté ce chiffre -, touchent à l’activité productrice et commerciale de la requérante et sont objectivement susceptibles d’être utilisées sur le plan de la concurrence. Elles peuvent également être pertinentes pour le développement et la planification futurs de la requérante en ce qui concerne la mise sur les marchés les plus divers de la substance chimique en cause. Il s’ensuit que les informations litigieuses, dont le caractère confidentiel doit être présumé pour les besoins de la présente procédure de référé (voir point 80 ci-dessus), constituent un bien immatériel susceptible d’être utilisé à des fins compétitives, dont la valeur serait sérieusement réduite, voire anéantie, si elles perdaient leur caractère secret.

86      Par ailleurs, le caractère grave du préjudice invoqué par la requérante est également établi par le motif suivant : d’une part, l’existence d’un fumus boni juris a été justifiée, en l’espèce, par le fait que la demande de confidentialité présentée par la requérante soulevait des questions complexes qui nécessitaient un examen approfondi devant être effectué par les juges du fond ; d’autre part, le juge des référés, aux fins d’apprécier l’urgence, doit partir de la prémisse selon laquelle les informations prétendument confidentielles le sont effectivement (voir point 80 ci-dessus). Or, une information de nature économique n’est qualifiée de confidentielle que si sa divulgation risque de léser gravement les intérêts commerciaux et financiers de celui qui en est le titulaire (voir, en ce sens, arrêts du 18 septembre 1996, Postbank/Commission, T-353/94, Rec, EU:T:1996:119, point 87 ; du 30 mai 2006, Bank Austria Creditanstalt/Commission, T-198/03, Rec, EU:T:2006:136, point 71, et du 12 octobre 2007, Pergan Hilfsstoffe für industrielle Prozesse/Commission, T-474/04, Rec, EU:T:2007:306, point 65). Il s’ensuit que l’appréciation de la question de savoir si une divulgation des informations litigieuses causerait à la requérante un préjudice « simple » ou « grave » ne saurait être détachée de l’examen approfondi à effectuer par les juges du fond dans la procédure principale. Eu égard à son rôle accessoire par rapport à celui des juges du fond, le juge des référés est donc, en toute hypothèse, tenu de présumer, pour les besoins de la présente procédure, non seulement la confidentialité des informations litigieuses, mais également le caractère grave du préjudice susceptible d’être causé à la requérante par une divulgation desdites informations.

87      En ce qui concerne le caractère irréparable du préjudice invoqué, il convient d’examiner d’abord le mode prévisible de survenance du préjudice susceptible d’être causé à la requérante par une divulgation des informations litigieuses au tiers qui a présenté à l’ECHA une demande en ce sens.

88      Il est vrai qu’une telle divulgation d’informations à une personne individuelle est d’une nature autre qu’une publication d’informations sur Internet, telle que celle en cause dans l’ordonnance Commission/Pilkington Group (EU:C:2013:558). Dans cette dernière hypothèse, le préjudice redouté par l’entreprise concernée n’est pas immédiatement causé par la publication sur l’internet en tant que telle. Encore faut-il que les personnes éventuellement intéressées par les informations en cause, notamment des concurrents, soient informées de cette publication et prennent effectivement connaissance des informations, en vue de les utiliser à des fins dommageables. Une telle publication sur l’internet ne fait donc que placer l’entreprise concernée dans une situation de vulnérabilité générale, laquelle peut être exploitée, à tout moment, par des personnes intéressées, ce qui est susceptible de causer des préjudices à ladite entreprise.

89      Or, une divulgation des informations litigieuses au tiers, qui a présenté à l’ECHA une demande en ce sens au titre du règlement n° 1049/2001, placerait la requérante dans une situation de vulnérabilité au moins aussi menaçante que celle analysée dans l’ordonnance Commission/Pilkington Group (EU:C:2013:558). En effet, ce tiers prendrait immédiatement connaissance desdites informations et pourrait les exploiter aussitôt à toutes les fins qui lui paraîtraient utiles, d’autant que l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1049/2001 dispense le demandeur de toute obligation de justifier sa demande d’accès. Ainsi, le fait que ce tiers soit une association de protection de l’environnement ne signifie pas que les informations litigieuses ne puissent être utilisées qu’à des fins non concurrentielles. La requérante devrait plutôt s’attendre à ce que leur divulgation soit susceptible d’affaiblir sa position compétitive. Elle se trouverait, dès lors, dans une situation de vulnérabilité qui entraînerait pour elle un risque de préjudice.

90      À cela s’ajoute que la divulgation d’un document, au titre du règlement n° 1049/2001, acquiert un effet erga omnes en ce sens que ce document peut être communiqué à d’autres demandeurs et que toute personne a le droit d’y accéder (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2010, Agapiou Joséphidès/Commission et EACEA, T-439/08, EU:T:2010:442, point 116). Par conséquent, à la suite d’une divulgation des informations litigieuses, non seulement l’association de protection de l’environnement demanderesse serait libre de les exploiter, mais tous les concurrents de la requérante pourraient s’adresser, eux-mêmes - le cas échéant par le biais de particuliers agissant pour leur compte -, à l’ECHA pour obtenir ces mêmes informations directement. L’effet erga omnes susmentionné permettrait même à l’ECHA de publier, de sa propre initiative, les informations litigieuses sur son site Internet, une telle démarche étant d’ailleurs loin d’être hypothétique, puisque, dans le cadre de la présente affaire, l’ECHA défend avec force la thèse selon laquelle les informations litigieuses doivent être rendues accessibles au public.

91      Or, une fois les informations litigieuses divulguées, il serait fortement probable que des concurrents, actuels ou potentiels, de la requérante ayant un intérêt réel à pouvoir les exploiter essayeraient de se les procurer, afin de les utiliser pour leurs propres besoins scientifiques et commerciaux, notamment en vue de produire la substance chimique en cause et d’obtenir l’autorisation pour sa commercialisation sur les marchés les plus divers situés hors de l’Union. Si l’ECHA semble douter de l’utilité des informations litigieuses à des fins compétitives, il suffit de relever que ni l’ECHA ni le juge des référés ne sont particulièrement bien placés pour émettre, en connaissance de cause, des pronostics fiables sur la manière dont les concurrents de la requérante pourraient exploiter ces informations scientifiques, une fois divulguées, en fonction de leurs intérêts de recherche, de développement et de commercialisation individuels.

92      Par conséquent, la survenance du préjudice financier que subiraient la requérante en raison d’une telle exploitation future, par ses concurrents, des informations litigieuses ne saurait être qualifiée de purement hypothétique. Il est plutôt prévisible avec un degré de probabilité suffisant que la situation de vulnérabilité dans laquelle serait placée la requérante en cas de divulgation de ces informations se transformerait pour elle en un préjudice financier.

93      Au demeurant, si la prise de connaissance et l’utilisation, par les personnes intéressées, d’informations publiées sur l’internet n’ont pas été considérées comme hypothétiques dans l’ordonnance Commission/Pilkington Group (EU:C:2013:558), il doit en aller de même de la prise de connaissance et de l’utilisation, par les personnes intéressées, d’informations qui, après avoir été divulguées à un tiers, deviendraient librement accessibles à tous les concurrents de l’entreprise titulaire de ces informations. Sous cet aspect, la différence entre ces deux modes d’accès consiste en la seule technique de communication concrètement appliquée.

94      S’agissant de déterminer si le préjudice financier que la requérante risquerait de subir en cas de divulgation des informations litigieuses peut être chiffré, il convient de relever que la requérante devrait s’attendre à ce qu’un nombre indéterminé et théoriquement illimité de concurrents actuels et potentiels dans le monde entier se procurent les informations litigieuses afin de procéder à de nombreuses utilisations qui, selon l’état d’avancement de leurs programmes de recherche et de développement, entraîneraient des effets préjudiciables à court, à moyen ou à long terme, susceptibles de déjouer, dès l’origine, toute stratégie d’expansion de la requérante. Il se pourrait même que ces informations, devenues publiquement accessibles, parviennent à des concurrents sans que la requérante en soient informée. Cela serait notamment le cas si l’ECHA procédait à leur publication sur son site Internet ou si ces concurrents obtenaient leur divulgation par le biais de demandes introduites par des particuliers agissant pour leur compte, dont l’identité et l’intention d’utilisation ne seraient pas dévoilées à la requérante. Cette dernière serait ainsi confrontée à la difficulté insurmontable d’instaurer un système de surveillance destiné à détecter, à une échelle mondiale, comment ses concurrents exploiteraient à court, à moyen ou à long terme les informations litigieuses pour en tirer des avantages concurrentiels, notamment pour commercialiser, eux-mêmes, avec ou sans autorisation, la substance chimique en cause dans des pays tiers.

95      Dans cette perspective, eu égard au caractère incontrôlable des multiples utilisations à l’échelle mondiale des informations litigieuses, l’argument de l’ECHA selon lequel les règlements REACH et n° 1049/2001 garantiraient que le droit d’auteur de la requérante soit respecté au sein de l’Union et que les informations litigieuses ne puissent y être utilisées par un demandeur d’autorisation ultérieur qu’après que ce dernier aura reçu l’autorisation de la requérante, n’est pas de nature à exclure la survenance du préjudice financier allégué.

96      Il s’avère, dès lors, impossible d’apprécier l’impact concret qu’une divulgation des informations litigieuses pourrait avoir sur les intérêts économiques et financiers de la requérante. Il s’ensuit que le préjudice qu’elle risquerait de subir en cas de divulgation desdites informations ne peut être chiffré de manière adéquate.

97      Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de constater que la condition relative à l’urgence est remplie en l’espèce, la survenance probable, pour la requérante, d’un préjudice grave et irréparable étant établie à suffisance de droit. Eu égard aux particularités du contentieux de la protection d’informations prétendument confidentielles, la requérante n’est pas tenue d’établir, de surcroît, qu’elle se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa survie économique ou que ses parts de marché seraient gravement et irrémédiablement affectées si les mesures provisoires demandées n’étaient pas accordées (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance Commission/ANKO, EU:C:2014:239, points 26 et suivants).

98      En tout état de cause, même si le préjudice allégué par la requérante n’avait pas pu être qualifié d’irréparable, le juge des référés aurait été empêché d’examiner la confidentialité de chaque donnée individuelle figurant dans les informations litigieuses, en vue de ne faire droit à la demande en référé, éventuellement, que de manière partielle.

99      En effet, dans la mesure où il a été jugé, au point 53 de l’ordonnance EMA/AbbVie (EU:C:2013:794), que la célérité requise en matière de référé n’était pas susceptible, « à elle seule », de s’opposer à un tel examen individuel, force est de constater que c’est non seulement ledit impératif de célérité, mais en tout premier lieu le caractère purement accessoire et donc limité de ses compétences qui empêche le juge des référés d’y procéder dans le cadre de son examen de la condition relative à l’urgence.

100    D’abord, il serait incohérent que le juge des référés reconnaisse l’existence d’un fumus boni juris en raison du volume des informations couvertes par une demande de confidentialité ainsi que du caractère complexe des questions de confidentialité soulevées, en relevant que la réponse à ces questions mérite un examen approfondi à effectuer par les seuls juges du fond (voir, en ce sens, ordonnance Commission/Pilkington Group, EU:C:2013:558, points 67 et 70), pour revenir ensuite sur ce résultat dans le cadre de son examen de l’urgence en permettant la divulgation de certaines données individuelles, alors qu’il ne saurait être exclu que les juges du fond refuseront, quant à eux, d’effectuer un tel examen concret et individuel du caractère confidentiel des données individuelles et préféreront examiner si les catégories d’informations invoquées par la requérante doivent, en raison de leur nature même, bénéficier d’une présomption générale de confidentialité (voir point 55 ci-dessus).

101    Ensuite, le juge des référés doit tenir compte, également dans le cadre de son examen de l’urgence, de la nature intrinsèquement accessoire et provisoire de la procédure de référé par rapport à la procédure principale ainsi que de la nécessité de ne pas préjuger, au stade du référé, de l’issue de l’affaire au fond. Étant donné que ces considérations relatives à la nature de la procédure de référé sont déterminantes pour le résultat final de cette procédure en tant que telle, elles ne peuvent pas être confinées aux seuls domaines du fumus boni juris et de la mise en balance des intérêts. En effet, l’interdiction faite au juge des référés de rendre illusoire, par une ordonnance de référé, la future décision au fond en la privant d’effet utile (ordonnance CIRFS e.a./Commission, EU:C:1991:220, point 24) vise à éviter, notamment, que soient neutralisées par avance les conséquences de la décision à rendre ultérieurement sur le fond (ordonnance du 20 juillet 1981, Alvarez/Parlement, 206/81 R, Rec, EU:C:1981:189, point 6).

102    Or, les conséquences et l’effet utile d’un éventuel arrêt d’annulation mettant fin à la procédure principale ne sauraient être limités à la constatation du caractère confidentiel des informations litigieuses et de l’illégalité de leur divulgation. Ils consisteraient plutôt pour la requérante, en cas d’annulation de la décision attaquée, à voir assurer que ne soit divulguée aucune de ces informations dont le caractère confidentiel aurait été reconnu par les juges du fond, et ce indépendamment du point de savoir si une telle divulgation lui causerait un préjudice réparable ou irréparable. C’est d’ailleurs dans le même sens que, dans le domaine des mesures restrictives, le président de la Cour a envisagé les conséquences concrètes de la future décision judiciaire au fond, en jugeant que l’octroi d’un sursis à l’exécution de l’acte imposant le gel des fonds d’une entreprise pourrait être de nature à faire obstacle au « plein effet » de cet acte, dans l’hypothèse où le recours visant à son annulation serait rejeté, du fait qu’un tel sursis à exécution permettrait à cette entreprise de procéder immédiatement au retrait de tous les fonds déposés auprès des banques tenues d’en assurer le gel et de vider ses comptes bancaires avant le prononcé de la décision au fond [ordonnance du 14 juin 2012, Qualitest FZE/Conseil, C-644/11 P(R), EU:C:2012:354, points 72 à 74].

103    Ainsi, il convient de faire une distinction nette entre le présent contentieux, relatif à la protection d’informations prétendument confidentielles, et le contentieux relatif à la légalité d’obligations de paiement imposées par une décision de la Commission, telle qu’une amende ou l’obligation de rembourser une aide d’État. En effet, dans ce dernier contentieux, le rejet d’une demande en référé pour défaut de préjudice grave et irréparable ne saurait neutraliser par avance les conséquences d’une future annulation de la décision attaquée, en ce que le requérant obtiendrait la restitution de la somme d’argent versée ou remboursée, intérêts inclus, et serait ainsi pleinement rétabli dans ses droits pécuniaires.

104    Eu égard aux particularités du contentieux visant la protection de nombreuses informations figurant dans des documents volumineux, il n’est pas non plus approprié pour le juge des référés d’envisager une solution partielle consistant à ne protéger que certaines données, tout en permettant d’accorder l’accès à d’autres. En effet, dans l’hypothèse où les juges du fond admettraient le principe d’une présomption générale de confidentialité pour les catégories d’informations invoquées par la requérante, ces informations échapperaient à l’obligation d’une divulgation partielle (voir point 55 ci-dessus). Le juge des référés de l’Union, tenant compte de ses compétences purement accessoires - qui restent largement en-deçà du rôle bien plus autonome reconnu à certains de ses homologues nationaux par leur droit interne respectif -, ne saurait donc autoriser un accès partiel sans priver d’effet utile cette décision des juges du fond.

105    Enfin, le juge des référés ne saurait faire une application mécanique et rigide de la condition liée au caractère irréparable du préjudice financier invoqué, mais doit tenir compte des circonstances qui caractérisent chaque affaire (voir, en ce sens, ordonnance du 28 avril 2009, United Phosphorus/Commission, T-95/09 R, EU:T:2009:124, point 74 et jurisprudence citée). Or, les articles 278 TFUE et 279 TFUE, dispositions de droit primaire, autorisent le juge des référés à ordonner un sursis à exécution s’il estime « que les circonstances l’exigent » et à prescrire les mesures provisoires « nécessaires » (ordonnance du 24 février 2014, HTTS et Bateni/Conseil, T-45/14 R, EU:T:2014:85, point 51). Ainsi qu’il vient d’être exposé ci-dessus, ces conditions sont remplies dans le présent contentieux relatif à la protection d’informations prétendument confidentielles, d’autant plus que, l’existence d’un fumus boni juris ayant été admise, l’introduction tant du recours principal que de la demande en référé ne saurait être qualifiée de manœuvre dilatoire de la part de la requérante visant à abuser de son droit à la protection de secrets professionnels et à retarder, sans motif légitime, une divulgation des informations litigieuses.

106    En conséquence, toutes les conditions étant réunies à cet effet, il y a lieu de faire droit à la demande de sursis à l’exécution de la décision attaquée, à l’exception toutefois, d’une part, des informations relatives à la classification et à l’étiquetage des substances et, d’autre part, des données portant spécifiquement et exclusivement sur Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop. De plus, il convient d’enjoindre à l’ECHA de ne pas divulguer le rapport et l’analyse dans une version qui soit plus détaillée que celle figurant aux annexes A.4.5 et A.4.6 de la demande en référé et revêtue des occultations précisées dans cette demande.

107    Afin de conférer à ces mesures provisoires un effet utile, il convient d’étendre la protection provisoire accordée au point précédent aux rapports et aux analyses présentés Arkema, Grupa Azoty et Vinyloop, dans la mesure où ces documents sont identiques à ceux qui ont été protégés dans le chef de la requérante (voir point 20 ci-dessus).

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision AFA-C-0000004274-77-09/F de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), du 24 janvier 2014, dans la mesure où elle accorde à un tiers, en vertu du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, l’accès à une version du rapport sur la sécurité chimique et de l’analyse des solutions de remplacement de la substance phtalate de bis(2-éthylhexyle) (DEHP), qui soit plus détaillée que la version revêtue des occultations précisées dans la demande en référé et figurant aux annexes A.4.5 et A.4.6 de cette demande, à l’exception, d’une part, des informations relatives à la classification et à l’étiquetage des substances et, d’autre part, des données portant spécifiquement et exclusivement sur Arkema France, Grupa Azoty Zakłady Azotowe Kędzierzyn S.A. et Vinyloop Ferrara S.p.A.

2)      Il est enjoint à l’ECHA de s’abstenir de divulguer :

-        le rapport sur la sécurité chimique et l’analyse des solutions de remplacement de la substance phtalate de bis(2-éthylhexyle) (DEHP) visés au point 1 du présent dispositif, dans une version qui soit plus détaillée que celle définie audit point 1 ;

-        les rapports sur la sécurité chimique et les analyses des solutions de remplacement de la substance phtalate de bis(2-éthylhexyle) (DEHP) présentés par Arkema France, Grupa Azoty Zakłady Azotowe Kędzierzyn et Vinyloop Ferrara et faisant l’objet des décisions AFA-C-0000004280-84-09/F, AFA-C-0000004275-75-09/F et AFA-C-0000004151-87-08/F de l’ECHA du 24 janvier 2014, dans la mesure où ces documents sont identiques à ceux protégés conformément au point 1 du présent dispositif.

3)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 25 juillet 2014.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le tchèque.


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