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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Ucar (Judgment) French Text [2016] EUECJ C-508/15 (21 December 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2016/C50815.html Cite as: [2016] EUECJ C-508/15, EU:C:2016:986, ECLI:EU:C:2016:986 |
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ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
21 décembre 2016 (*)
« Renvoi préjudiciel ‑ Accord d’association CEE-Turquie – Décision n° 1/80 – Article 7, premier alinéa – Droit de séjour des membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre – Conditions – Absence de nécessité pour le travailleur turc d’appartenir au marché régulier de l’emploi pendant les trois premières années du séjour du membre de la famille »
Dans les affaires jointes C‑508/15 et C‑509/15,
ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin, Allemagne), par décisions du 9 juillet 2015, parvenues à la Cour le 24 septembre 2015, dans les procédures
Sidika Ucar (C‑508/15),
Recep Kilic (C‑509/15)
contre
Land Berlin,
LA COUR (première chambre),
composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), président de chambre, MM. J.-C. Bonichot, A. Arabadjiev, C. G. Fernlund et S. Rodin, juges,
avocat général : M. P. Mengozzi,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Mme Ucar, par Mes P. Meyer, C. Rosenkranz et M. Wilken, Rechtsanwälte,
– pour le Land Berlin, par M. M. Wehner, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. D. Martin et T. Maxian Rusche, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 septembre 2016,
rend le présent
Arrêt
1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association et jointe à l’accord créant une association entre la Communauté économique européenne et la Turquie, qui a été signé, le 12 septembre 1963, à Ankara par la République de Turquie, d’une part, ainsi que par les États membres de la CEE et la Communauté, d’autre part, et qui a été conclu, approuvé et confirmé au nom de cette dernière par la décision 64/732/CEE du Conseil, du 23 décembre 1963 (JO 1964, 217, p. 3685, ci-après l’« accord d’association »).
2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant Mme Sidika Ucar (affaire C‑508/15) et M. Recep Kilic (affaire C‑509/15) au Land Berlin (Land de Berlin, Allemagne), au sujet du rejet par l’Ausländerbehörde Berlin (service des étrangers de Berlin, ci-après le « service des étrangers ») du Landesamt für Bürger- und Ordnungsangelegenheiten (Office du Land pour les affaires relatives aux citoyens et à l’ordre public, Allemagne) de leurs demandes respectives de prorogation de leur permis de séjour en Allemagne, et, s’agissant de M. Kilic, au sujet de la décision du service des étrangers ordonnant en outre son expulsion du territoire de cet État membre.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
L’accord d’association
3 Il résulte de l’article 2, paragraphe 1, de l’accord d’association que celui-ci a pour objet de promouvoir le renforcement continu et équilibré des relations commerciales et économiques entre les parties contractantes, en tenant pleinement compte de la nécessité d’assurer le développement accéléré de l’économie de la Turquie et le relèvement du niveau de l’emploi et des conditions de vie du peuple turc.
4 À cet effet, l’accord d’association comporte une phase préparatoire, permettant à la République de Turquie de renforcer son économie avec l’aide de la Communauté (article 3), une phase transitoire, au cours de laquelle sont assurés la mise en place progressive d’une union douanière et le rapprochement des politiques économiques (article 4), et une phase définitive qui est fondée sur l’union douanière et implique le renforcement de la coordination des politiques économiques des parties contractantes (article 5).
5 Aux termes de l’article 12 de l’accord d’association, inséré dans le titre II de celui-ci, intitulé « Mise en œuvre de la phase transitoire » :
« Les Parties contractantes conviennent de s’inspirer des articles [45, 46 et 47 TFUE] pour réaliser graduellement la libre circulation des travailleurs entre elles. »
Le protocole additionnel
6 Le protocole additionnel, qui a été signé le 23 novembre 1970 à Bruxelles et conclu, approuvé et confirmé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) n° 2760/72 du Conseil, du 19 décembre 1972 (JO 1972, L 293, p. 1, ci-après le « protocole additionnel »), arrête, aux termes de son article 1er, les conditions, modalités et rythmes de réalisation de la phase transitoire visée à l’article 4 de l’accord d’association.
7 Conformément à son article 62, le protocole additionnel fait partie intégrante dudit accord.
8 Le protocole additionnel comporte un titre II, intitulé « Circulation des personnes et des services », dont le chapitre I est consacré aux travailleurs.
9 L’article 36 du protocole additionnel, qui fait partie de ce chapitre I, prévoit que la libre circulation des travailleurs entre les États membres de la Communauté et la Turquie sera réalisée graduellement, conformément aux principes énoncés à l’article 12 de l’accord d’association, entre la fin de la douzième et de la vingt-deuxième année après l’entrée en vigueur dudit accord et que le conseil d’association décidera des modalités nécessaires à cet effet.
La décision n° 1/80
10 Le 19 septembre 1980, le conseil d’association a adopté la décision n° 1/80. Les articles 6, 7 et 14 de cette décision figurent sous la section 1, concernant les questions relatives à l’emploi et à la libre circulation des travailleurs, du chapitre II de celle-ci, intitulé « Dispositions sociales ».
11 L’article 6, paragraphe 1, de ladite décision est ainsi libellé :
« Sous réserve des dispositions de l’article 7 relatif au libre accès à l’emploi des membres de sa famille, le travailleur turc, appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre :
- a droit, dans cet État membre, après un an d’emploi régulier, au renouvellement de son permis de travail auprès du même employeur, s’il dispose d’un emploi ;
- a le droit, dans cet État membre, après trois ans d’emploi régulier et sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres de la Communauté, de répondre dans la même profession auprès d’un employeur de son choix à une autre offre, faite à des conditions normales, enregistrée auprès des services de l’emploi de cet État membre ;
- bénéficie, dans cet État membre, après quatre ans d’emploi régulier, du libre accès à toute activité salariée de son choix. »
12 L’article 7, premier alinéa, de la même décision dispose :
« Les membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre, qui ont été autorisés à le rejoindre :
- ont le droit de répondre – sous réserve de la priorité à assurer aux travailleurs des États membres de la Communauté – à toute offre d’emploi lorsqu’ils y résident régulièrement depuis trois ans au moins ;
- y bénéficient du libre accès à toute activité salariée de leur choix lorsqu’ils y résident régulièrement depuis cinq ans au moins. »
13 L’article 14, paragraphe 1, de la décision n° 1/80 prévoit :
« Les dispositions de la présente section sont appliquées sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité et de santé publiques. »
Le droit allemand
14 Il ressort de la décision de renvoi dans l’affaire C‑509/15 que, au mois de mai 1997, la délivrance d’un permis de séjour sur le territoire allemand et, au mois d’avril 1999, la prorogation d’un tel permis, étaient régies, d’une part, par le Gesetz über die Einreise und den Aufenthalt von Ausländern im Bundesgebiet (loi relative à l’entrée sur le territoire et au séjour des étrangers sur le territoire fédéral), du 9 juillet 1990 (BGBl. 1990 I, p. 1354, ci-après l’« AuslG »), dans sa version du 29 octobre 1997 (BGBl. 1997 I, p. 2584) et, d’autre part, par la Verordnung zur Durchführung des Ausländergesetzes (règlement d’application de l’AuslG).
15 Aux termes de l’article 7, paragraphe 2, de l’AuslG, dans sa version du 29 octobre 1997 :
« L’autorisation de séjour est en principe refusée lorsque
[...]
2. l’étranger ne peut pas pourvoir à son entretien [...] par une activité professionnelle propre, par un patrimoine propre ou par d’autres ressources propres [...] »
16 Sous l’intitulé « Regroupement familial des étrangers », l’article 17 de l’AuslG, dans sa version du 29 octobre 1997, disposait :
« (1) Aux fins de la protection du mariage et de la famille voulue par l’article 6 de la [Grundgesetz (Loi fondamentale)], un membre étranger de la famille d’un étranger peut se voir délivrer et proroger un permis de séjour destiné à créer et préserver la cellule familiale avec l’étranger sur le territoire fédéral.
(2) Le permis de séjour ne peut être délivré aux fins visées au paragraphe 1 que si
1. l’étranger possède un permis de séjour ou un droit de séjour,
2. l’espace d’habitation disponible est suffisant et
3. l’entretien du membre de la famille est assuré par une activité professionnelle propre de l’étranger, par un patrimoine propre ou par d’autres ressources propres ; pour éviter une rigueur excessive, l’autorisation de séjour peut être délivrée si l’entretien de la famille est aussi assuré par une activité professionnelle propre du membre de la famille dont le séjour sur le territoire fédéral est régulier ou toléré ou par un membre de la famille tenu à des aliments. »
17 Conformément à l’article 96, paragraphe 4, de l’AuslG, dans sa version du 29 octobre 1997, les ressortissants de la Turquie âgés de moins de 16 ans, qui étaient exemptés, avant le 15 janvier 1997, de l’autorisation de séjour requise et qui séjournent en toute légalité sur le territoire fédéral, se voient délivrer, par dérogation à l’article 17, paragraphe 2, points 2 et 3, et à l’article 8, paragraphe 1, points 1 et 2, une autorisation de séjour conformément à l’article 17, paragraphe 1.
18 En vertu de l’article 28, paragraphe 4, du règlement d’application de l’AuslG, les ressortissants de la Turquie âgés de moins de 16 ans, qui possèdent un passeport national ou une carte d’enfant assimilée à un passeport, se voient délivrer d’office jusqu’au 30 juin 1998 une autorisation de séjour conformément aux dispositions légales lorsqu’ils ont été autorisés à rentrer sur le territoire, qu’ils séjournent en toute légalité sur le territoire fédéral depuis ce moment-là, qu’un de leurs parents au moins possède un permis de séjour et que la déclaration obligatoire a été faite.
19 Il ressort de la décision de renvoi dans l’affaire C‑508/15 que la délivrance d’un permis de séjour au cours du mois de novembre 2001 et les demandes de prorogation d’un tel permis introduites au cours des années 2002 et 2004 étaient régies par les dispositions de l’AuslG, tel que modifié par les lois des 16 février 2001 (BGBl. 2001 I, p. 266) et 9 janvier 2002 (BGBl. 2002 I, p. 361). Sous l’intitulé « Regroupement des conjoints », l’article 18 de l’AuslG, ainsi modifié, prévoyait :
« (1) Le conjoint d’un étranger bénéficiera d’un permis de séjour dans les limites de l’article 17 lorsque l’étranger
[...]
3. possède un permis de séjour, le mariage est antérieur à l’entrée de l’étranger sur le territoire et a été déclaré par celui-ci dans la première demande de permis de séjour [...]
[...]
(2) Le permis de séjour peut être délivré par dérogation au paragraphe 1, point 3. »
20 Enfin, il ressort des décisions de renvoi que, en ce qui concerne les litiges au principal, les dispositions nationales régissant la prorogation d’un permis de séjour au cours de l’année 2006, l’établissement d’un permis de séjour au titre de l’accord d’association ainsi que l’expulsion étaient le Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet (loi sur le séjour, l’emploi et l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral), du 30 juillet 2004 (BGBl. 2004 I, p. 1950), ainsi que la version publiée le 25 février 2008 (BGBl. 2008 I, p. 162) de cette même loi (ci-après l’« AufenthG »).
21 L’article 4, paragraphe 5, de l’AufenthG disposait :
« Un étranger qui, en application de l’[accord d’association], dispose d’un droit de séjour, est tenu de prouver l’existence de ce droit en apportant la preuve qu’il détient un permis de séjour s’il ne possède ni une autorisation d’établissement ni un titre de séjour permanent CE. Le permis de séjour est délivré à la demande. »
22 Sous l’intitulé « Conditions générales de délivrance », l’article 5 de l’AufenthG était libellé comme suit :
« (1) La délivrance d’un titre de séjour requiert en règle générale que
1. les moyens de subsistance soient assurés
[...] »
23 L’article 8 de l’AufenthG, intitulé « Prorogation du permis de séjour », prévoyait :
« (1) La prorogation du permis de séjour obéit aux mêmes règles que la délivrance.
[...] »
24 Aux termes de l’article 11, paragraphe 1, de l’AufenthG :
« Un ressortissant étranger qui a fait l’objet d’une mesure d’expulsion, de refoulement ou de reconduite à la frontière n’a plus le droit d’entrer sur le territoire fédéral et d’y séjourner. Aucun titre de séjour ne lui sera délivré, même lorsque les conditions requises par la présente loi à cet effet sont réunies [...] »
25 L’article 27 de l’AufenthG, qui concerne le principe du regroupement familial, disposait :
« (1) Le permis de séjour destiné à créer et préserver la cellule familiale sur le territoire fédéral est délivré et prorogé au bénéfice des membres de la famille étrangers (regroupement familial) aux fins de protéger le mariage et la famille conformément à l’article 6 de la [Grundgesetz (Loi fondamentale)].
[...] »
26 Sous l’intitulé « Regroupement des conjoints », l’article 30 de l’AufenthG prévoyait :
« (1) Le conjoint d’un étranger bénéficiera d’un permis de séjour lorsque l’étranger
1. possède une autorisation d’établissement.
[...] »
27 Aux termes de l’article 53 de l’AufenthG :
« Un étranger fait l’objet d’une mesure d’expulsion lorsqu’il :
1. a été condamné pour un ou plusieurs délits commis intentionnellement à une peine privative de liberté ou à une peine pour délinquance juvénile d’au moins trois ans passée en force de chose jugée ou que, au cours d’une période de cinq ans, il a été condamné pour des délits commis intentionnellement à des peines privatives de liberté ou à des peines pour délinquance juvénile passées en force de chose jugée et totalisant au moins trois ans ou qu’un internement de sûreté a été ordonné lors de sa dernière condamnation définitive.
2. a été condamné pour un délit commis intentionnellement contre la loi sur les stupéfiants [...] à une peine pour délinquance juvénile d’au moins deux ans ou à une peine privative de liberté passée en force de chose jugée sans bénéficier d’un sursis à l’exécution de la peine [...] »
28 Conformément à l’article 55 de l’AufenthG :
« (1) Un étranger peut être expulsé lorsque son séjour porte atteinte à l’ordre public et à la sécurité publique ou à d’autres intérêts majeurs de la République fédérale d’Allemagne.
(2) Un étranger peut être expulsé au titre du paragraphe 1 en particulier lorsqu’il
[...]
2. a commis une infraction à des lois, des décisions ou des mesures de justice ou administratives, qui n’est pas un simple fait isolé ou mineur [...] »
Les litiges au principal et les questions préjudicielles
L’affaire C‑508/15
29 Mme Ucar est une ressortissante turque qui, au cours de l’année 1977, a épousé M. Ucar, également ressortissant turc. Les conjoints vivaient en Turquie. Entre l’année 1978 et l’année 1986, quatre enfants sont nés de cette union. Le mariage a été dissous au cours de l’année 1991.
30 La même année, M. Ucar a épousé une ressortissante allemande avec laquelle il a désormais vécu en Allemagne. Au cours de l’année 1996, un permis de séjour d’une durée illimitée lui a été délivré par les autorités de cet État membre. Le mariage a été dissous en 1999.
31 Au mois de septembre 2000, Mme Ucar s’est remariée avec son ex-époux, M. Ucar. Au mois de novembre 2001, Mme Ucar, accompagnée du dernier enfant commun du couple, est entrée sur le territoire allemand munie d’un visa accordé aux fins du regroupement familial avec son époux. Le 27 novembre 2001, le service des étrangers lui a délivré un permis de séjour de conjoint expirant le 26 novembre 2002. À l’époque, M. Ucar travaillait en qualité de boulanger salarié depuis le mois de mai 2000. M. Ucar a mis fin à cette relation de travail à la fin de l’année 2001 et a entamé une activité non salariée au début de l’année 2002.
32 Dans le cadre de la procédure visant la prorogation de son permis de séjour, Mme Ucar s’est référée aux revenus que son époux tirait de cette activité professionnelle pour établir que ses moyens de subsistance étaient assurés. Son permis de séjour a alors dans un premier temps été prorogé le 28 novembre 2002 pour deux ans, puis, une nouvelle fois, le 29 novembre 2004 jusqu’au 28 novembre 2006, toujours au vu de la preuve de revenus tirés de l’activité professionnelle de son époux. Au mois d’octobre 2005, M. Ucar a mis fin à son activité non salariée et, par la suite, a travaillé de nouveau en tant que boulanger salarié, exerçant cette activité de manière ininterrompue au cours de la période allant du 1er novembre 2005 au mois de décembre 2011.
33 Le 21 novembre 2006, le service des étrangers a délivré à Mme Ucar un permis de séjour aux fins du regroupement familial mentionnant que son époux exerçait de nouveau une activité salariée depuis le mois de novembre 2005. Ce permis de séjour a ensuite été prorogé à plusieurs reprises, dont la dernière fois jusqu’au 12 décembre 2013.
34 Le 16 août 2013, Mme Ucar a sollicité la délivrance d’un permis de séjour sur la base d’un droit de séjour au titre de l’accord d’association, conformément à l’article 4, paragraphe 5, de l’AufenthG. À l’appui de sa demande, elle a fait valoir qu’elle remplissait les conditions de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80, compte tenu de l’activité salariée exercée de manière ininterrompue par son époux depuis le mois de novembre 2005.
35 Par décision du 6 mai 2014, le service des étrangers a refusé de proroger une nouvelle fois le permis de séjour de conjoint dont bénéficiait Mme Ucar, au motif que les moyens de subsistance de celle-ci n’étaient pas assurés. Par ailleurs, estimant qu’elle n’avait pas acquis de droit de séjour au titre de l’accord d’association, le service des étrangers n’a pas non plus accordé de permis de séjour à Mme Ucar sur le fondement des dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 5, de l’AufenthG et de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80.
36 En effet, selon le service des étrangers, aux fins de l’acquisition d’un droit de séjour sur la base de ces dispositions, il est nécessaire d’une part, que le membre de la famille ouvrant le droit au regroupement familial appartienne déjà au marché régulier local de l’emploi à la date où le premier permis de séjour au titre du regroupement familial est délivré, et, d’autre part, que la qualité de travailleur salarié du regroupant soit maintenue au cours des trois années qui suivent la délivrance dudit permis. Il ne suffirait dès lors pas, à cet effet, que le regroupant acquière ultérieurement la qualité de travailleur salarié et conserve cette qualité pendant trois ans. Enfin, le service des étrangers a considéré qu’une prorogation du permis de séjour ne peut pas être assimilée à l’autorisation de rejoindre le travailleur, visée à l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80, puisque, à son entrée sur le territoire allemand au cours de l’année 2001, Mme Ucar avait déjà été autorisée à rejoindre son époux en sa qualité de travailleur turc.
37 Mme Ucar a formé un recours contre la décision du 6 mai 2014 du service des étrangers devant la juridiction de renvoi, le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin, Allemagne).
38 Dans le cadre dudit recours, la juridiction de renvoi s’interroge quant à la portée de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80.
39 Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Faut-il interpréter l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80 en ce sens que les conditions de fond sont aussi remplies si, avant la période au cours de laquelle le membre de la famille a résidé trois ans en toute légalité chez le travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi, il s’est écoulé une période au cours de laquelle le travailleur originairement admis avait quitté le marché régulier de l’emploi de l’État membre postérieurement à l’autorisation accordée au membre de la famille de le rejoindre au titre de cette disposition ?
2) Faut-il interpréter l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 en ce sens que la prorogation d’un titre de séjour doit être assimilée à l’autorisation prévue par cette disposition de rejoindre un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi lorsque le membre de la famille concerné vit avec le travailleur turc sans interruption depuis qu’il a été autorisé à le rejoindre au sens de cette disposition mais que ce dernier, après avoir quitté le marché régulier de l’emploi de l’État membre dans l’intervalle, n’y appartient de nouveau que depuis la prorogation du titre ? »
L’affaire C‑509/15
40 M. Kilic est un ressortissant turc né le 11 novembre 1993 en Turquie, à l’occasion d’un congé de ses parents ressortissants turcs qui vivaient déjà en Allemagne à cette époque. Il est entré sur le territoire allemand le 16 avril 1994. À cette date, son père était au chômage depuis plus d’un an. Sa mère, qui l’a élevé seule après la séparation des époux, soit depuis le mois de mai 1996 jusqu’à ses 14 ans, n’appartenait pas au marché de l’emploi. Après l’instauration, au mois de janvier 1997, du permis de séjour obligatoire pour tous les ressortissants turcs âgés de moins de 16 ans, M. Kilic s’est vu délivrer, le 5 mai 1997, un permis de séjour valable jusqu’au 5 mai 1999. Le 30 juin 1998, sa mère a entamé une activité salariée qu’elle a exercée pratiquement sans interruption jusqu’au mois d’avril 2003, date du début d’un congé de maternité et d’un congé parental de plusieurs années.
41 Le 23 avril 1999, le service des étrangers a prorogé le permis de séjour de M. Kilic d’un an. Il convient de relever qu’une attestation de l’employeur de sa mère a été produite à cette occasion. Les autorités allemandes ont néanmoins indiqué que celle-ci bénéficiait d’une aide sociale ce qui, à l’époque, n’empêchait juridiquement pas de proroger le permis de séjour de M. Kilic. Ce permis de séjour a ensuite été prorogé à plusieurs reprises pour des durées déterminées, et ce jusqu’au 10 novembre 2011. Depuis lors, M. Kilic a été en possession d’attestations provisoires.
42 M. Kilic a comparu à plusieurs reprises devant un juge pénal. La dernière fois, il a été condamné par jugement du 11 juin 2013 de l’Amtsgericht Tiergarten (tribunal de district de Tiergarten, Allemagne) à une peine privative de liberté de trois ans et trois mois, pour délinquance juvénile et trafic illicite de stupéfiants en bande. Ce jugement fait état également de nombreuses condamnations antérieures, notamment du chef de coups et blessures, de menaces, d’extorsion en bande, de traque furtive et de dégradations.
43 Avant ses périodes de détention, M. Kilic a connu un parcours scolaire chaotique, mais a néanmoins obtenu, le 17 juin 2011, au cours de sa détention, un certificat général d’enseignement scolaire supérieur.
44 Par décision du 24 juillet 2014, le service des étrangers a, d’une part, rejeté la demande de prorogation du permis de séjour de M. Kilic, et, d’autre part, sur la base des dispositions combinées de l’article 53, points 1 et 2, et de l’article 55 de l’AufenthG, a ordonné son expulsion du territoire allemand.
45 Selon le service des étrangers, M. Kilic ne bénéficiait pas d’une protection de séjour au titre de l’accord d’association. Il n’aurait en effet acquis aucun droit au titre de l’article 7 de la décision n° 1/80, dès lors que ses parents n’avaient pas appartenu au marché régulier de l’emploi pendant les trois années qui ont suivi l’entrée de M. Kilic sur le territoire allemand.
46 Par ailleurs, estimant, d’une part, au vu des infractions graves et nombreuses commises par l’intéressé, qu’il était à redouter que celui-ci commette d’autres actes répréhensibles à l’avenir, et, d’autre part, qu’il faisait peser un danger significatif sur des intérêts majeurs de la société, le service des étrangers a jugé que des motifs graves de sécurité et d’ordre public menaient à ce qu’il soit décidé d’ordonner l’expulsion de M. Kilic. En effet, selon ce service, la mise en balance des enjeux, tant en fait qu’en droit, justifiaient une telle mesure dès lors que l’intérêt public que sert cette dernière dépassait largement l’intérêt personnel de M. Kilic à voir préserver les liens personnels ténus qu’il possédait avec la République fédérale d’Allemagne et à poursuivre son séjour sur le territoire de cet État membre.
47 Le 1er septembre 2014, M. Kilic, qui a été libéré le 27 mai 2015, a introduit un recours contre la décision du service des étrangers du 24 juillet 2014 devant la juridiction de renvoi, en faisant valoir qu’il avait acquis un droit de séjour au titre de l’article 7 de la décision n° 1/80, puisque sa mère avait appartenu au marché régulier de l’emploi pendant plus de trois ans depuis le 30 juin 1998. Ainsi, selon M. Kilic, la protection dont il bénéficie contre l’expulsion au titre de l’article 14 de cette décision n’aurait pas été suffisamment prise en compte lors de la mise en balance des intérêts en présence.
48 Dans ces conditions, le Verwaltungsgericht Berlin (tribunal administratif de Berlin) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Peut-on voir une autorisation au regroupement, visée à l’article 7 de la décision n° 1/80, dans une prorogation du permis de séjour du membre de la famille autorisé à rejoindre les personnes originairement admises qui n’appartenaient pas au marché de l’emploi, intervenant à un moment où la personne originairement admise, chez laquelle le membre de la famille a sa résidence régulière, est devenue travailleur ? »
49 Par décision du président de la Cour du 27 octobre 2015, les affaires C‑508/15 et C‑509/15 ont été jointes aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt.
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
50 Les présentes affaires jointes concernent deux ressortissants turcs, Mme Ucar et M. Kilic, qui, en leur qualité de membres de la famille, à savoir respectivement conjointe et fils, d’un ressortissant également turc séjournant légalement en Allemagne, se sont installés dans cet État membre où ils ont résidé régulièrement pendant une durée de plus de dix ans, et qui se sont vu refuser la prorogation de leur permis de séjour par les autorités allemandes.
51 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il appartient à la Cour, dans le cadre de la procédure de coopération avec les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi et que, dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler la question qui lui est posée (arrêt du 8 décembre 2011, Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, C‑157/10, EU:C:2011:813, point 18).
52 En l’occurrence, eu égard aux circonstances factuelles prévalant dans les deux litiges au principal, il apparaît que la première question posée dans le cadre de l’affaire C‑508/15 est également pertinente dans l’affaire C‑509/15, de telle sorte qu’il convient, en vue de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher ce dernier litige dont il est saisi, d’examiner la première question posée dans le cadre de l’affaire C‑508/15 à l’aune des circonstances factuelles prévalant dans les deux litiges au principal.
Sur la première question dans l’affaire C‑508/15
53 Par sa première question dans l’affaire C‑508/15, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80 doit être interprété en ce sens que cette disposition confère un droit de séjour dans l’État membre d’accueil au membre de la famille d’un travailleur turc, qui a été autorisé à entrer dans cet État membre, au titre du regroupement familial, et qui, à compter de son entrée sur le territoire dudit État membre, a cohabité avec ce travailleur turc, lorsque la période de trois années au cours de laquelle ce dernier a appartenu au marché régulier de l’emploi n’a pas suivi immédiatement l’arrivée du membre de la famille concerné dans l’État membre d’accueil, mais est postérieure à celle-ci.
54 À titre liminaire, il convient de rappeler que les dispositions de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 consacrent, dans des termes clairs, précis et inconditionnels, le droit, pour les membres de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi d’un État membre, qui ont été autorisés à le rejoindre, de répondre, sous réserve de la priorité à accorder aux travailleurs des États membres, à toute offre d’emploi après y avoir résidé régulièrement depuis trois ans au moins (premier tiret), ainsi que celui d’accéder librement à toute activité salariée de leur choix dans l’État membre sur le territoire duquel ils ont résidé régulièrement depuis cinq ans au moins (second tiret) (arrêt du 17 avril 1997, Kadiman, C‑351/95, EU:C:1997:205, point 27).
55 Ainsi, en vertu de cette disposition, les membres de la famille d’un travailleur turc bénéficient, sous réserve du respect des conditions y énumérées, d’un droit propre d’accès au marché de l’emploi dans l’État membre d’accueil. À cet égard, la Cour a itérativement jugé que les droits que ledit article 7, premier alinéa, octroie aux membres de la famille d’un travailleur turc sur le plan de l’emploi dans l’État membre concerné impliquent nécessairement, sous peine de priver de tout effet le droit d’accéder au marché du travail et d’exercer effectivement une activité salariée, l’existence d’un droit corrélatif de séjour au profit de l’intéressé (arrêt du 19 juillet 2012, Dülger, C‑451/11, EU:C:2012:504, point 28 et jurisprudence citée).
56 Il ressort du libellé de cette disposition que l’acquisition des droits prévus par celle-ci est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir que la personne concernée soit membre de la famille d’un travailleur turc appartenant au marché régulier de l’emploi de l’État membre d’accueil, que ladite personne ait été autorisée par les autorités compétentes de cet État à y rejoindre ledit travailleur, et qu’elle ait résidé régulièrement dans cet État membre depuis trois ou cinq ans au moins (voir, en ce sens, arrêt du 19 juillet 2012, Dülger, C‑451/11, EU:C:2012:504, point 29).
57 S’agissant, tout d’abord, de la condition relative à l’appartenance du travailleur turc au marché régulier de l’emploi de l’État membre d’accueil, la Cour a jugé que cette condition se rattache à la notion d’« appartenance au marché régulier de l’emploi », dont la portée est identique à celle que cette notion revêt dans le cadre de l’article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80, à savoir comme désignant l’ensemble des travailleurs qui se sont conformés aux prescriptions légales et réglementaires de l’État membre d’accueil et qui ont ainsi le droit d’exercer une activité professionnelle sur son territoire (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2008, Altun, C‑337/07, EU:C:2008:744, points 22, 23 et 28).
58 En ce qui concerne, ensuite, la condition imposant que le membre de la famille concerné ait été autorisé à rejoindre le travailleur turc, la Cour a précisé que cette condition vise à exclure du champ d’application de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 les membres de la famille du travailleur turc qui sont entrés sur le territoire de l’État membre d’accueil et y résident au mépris de la réglementation de cet État membre (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2004, Cetinkaya, C‑467/02, EU:C:2004:708, point 23).
59 Dans ce contexte, la Cour a jugé que cette disposition vise la situation d’un ressortissant turc qui, en sa qualité de membre de la famille d’un travailleur turc appartenant ou ayant appartenu au marché régulier de l’emploi de l’État membre d’accueil, soit a été autorisé à y rejoindre ledit travailleur au titre du regroupement familial, soit est né et a toujours résidé dans cet État (arrêt du 18 juillet 2007, Derin, C‑325/05, EU:C:2007:442, point 48 et jurisprudence citée).
60 Enfin, s’agissant de la condition de résidence, la Cour a décidé que l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80 impose au membre de la famille d’un travailleur turc l’obligation de résider auprès de celui-ci, de manière ininterrompue, pendant une période d’au moins trois ans (arrêt du 18 décembre 2008, Altun, C‑337/07, EU:C:2008:744, point 30).
61 En effet, il ressort d’une jurisprudence bien établie de la Cour que cette disposition exige que le regroupement familial, qui a justifié l’entrée du membre de la famille sur le territoire de l’État membre d’accueil, se manifeste pendant un certain temps par une cohabitation effective en communauté domestique avec le travailleur, et que tel doit être le cas tant que l’intéressé ne remplit pas lui-même les conditions pour accéder au marché du travail dans cet État (voir, notamment, arrêt du 16 mars 2000, Ergat, C‑329/97, EU:C:2000:133, point 36).
62 À cet égard, la Cour a souligné que, aux fins de l’acquisition, conformément à l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80, du droit d’accès au marché du travail dans l’État membre d’accueil par le membre de la famille d’un travailleur turc, la condition d’appartenance de ce dernier au marché régulier de l’emploi doit avoir été remplie durant, à tout le moins, la période de trois années de résidence commune (arrêt du 18 décembre 2008, Altun, C‑337/07, EU:C:2008:744, point 37).
63 En l’occurrence, il est constant que tant Mme Ucar que M. Kilic ont été autorisés à rejoindre leurs membres de famille respectifs, tous ressortissants turcs, dans l’État membre d’accueil et qu’ils ont toujours cohabité avec, respectivement, leur époux et mère.
64 Il est également constant que l’époux de Mme Ucar et la mère de M. Kilic ont exercé l’activité salariée ininterrompue de trois ans, qui confère aux membres de leur famille les droits visés à l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80, non pas immédiatement après l’arrivée des requérants au principal sur le territoire de l’État membre d’accueil, mais ultérieurement.
65 Il convient donc de préciser si, aux fins de l’acquisition d’un droit de séjour au titre de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80, la condition d’appartenance du travailleur turc de référence au marché régulier de l’emploi doit nécessairement être remplie tant à la date même de l’arrivée du membre de la famille concerné dans l’État membre d’accueil qu’au cours des trois années ou des cinq années qui suivent immédiatement cette date, ainsi que l’a considéré le service des étrangers et que le fait valoir le gouvernement allemand.
66 Il importe de souligner, en premier lieu, qu’une telle condition n’est pas expressément prévue à l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80.
67 Il convient, en second lieu, d’interpréter l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 au regard de l’objectif poursuivi par cette disposition et du système qu’elle institue.
68 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le système d’acquisition progressive des droits prévu à l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 poursuit un double objectif. Dans un premier temps, avant l’expiration de la période initiale de trois années, ladite disposition vise à permettre la présence des membres de la famille du travailleur migrant auprès de ce dernier, aux fins de favoriser ainsi, au moyen du regroupement familial, l’emploi et le séjour du travailleur turc déjà régulièrement intégré à l’État membre d’accueil. La même disposition entend renforcer, dans un second temps, l’insertion durable de la famille du travailleur migrant turc dans l’État membre d’accueil, en accordant au membre de la famille concerné, après trois années de résidence régulière, la possibilité d’accéder lui-même au marché du travail. Le but essentiel ainsi poursuivi est de consolider la position dudit membre de la famille, lequel se trouve, à ce stade, déjà régulièrement intégré à l’État membre d’accueil, en lui donnant les moyens de subvenir lui-même à ses besoins dans l’État en question et, donc, de s’y constituer une situation autonome par rapport à celle du travailleur migrant (arrêt du 19 juillet 2012, Dülger, C‑451/11, EU:C:2012:504, points 38 à 40 ainsi que jurisprudence citée).
69 Au regard, en outre, de l’objectif général poursuivi par la décision n° 1/80, consistant à améliorer dans le domaine social le régime dont bénéficient les travailleurs turcs et les membres de leur famille en vue de réaliser progressivement la libre circulation, le système mis en place plus particulièrement par l’article 7, premier alinéa, de la même décision entend donc créer des conditions favorables au regroupement familial dans l’État membre d’accueil (arrêt du 29 mars 2012, Kahveci, C‑7/10 et C‑9/10, EU:C:2012:180, point 34).
70 Or, une interprétation de l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80, telle que celle proposée par le gouvernement allemand, selon laquelle, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, du seul fait que la période de trois années au cours de laquelle le travailleur turc de référence a exercé une activité salariée ininterrompue n’est pas intervenue immédiatement depuis la date du regroupement familial, un ressortissant turc, tel que Mme Ucar ou M. Kilic, ne peut pas se prévaloir des droits que cette disposition confère, est excessivement restrictive au regard de l’objectif poursuivi par cette disposition.
71 Il importe en outre de relever que les membres de la famille concernés ne remplissant pas les conditions énoncées à l’article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80 n’auraient en aucun cas le droit d’accéder au marché du travail dans l’État membre d’accueil, de sorte qu’ils ne pourraient pas consolider leur position dans cet État membre, et ce même lorsqu’ils y ont résidé régulièrement pendant de nombreuses années, et qu’ils y sont, en principe, bien intégrés, et qu’ils ont cohabité avec le ressortissant turc depuis la date de leur arrivée dans l’État membre d’accueil, et ce pendant une période au cours de laquelle ce ressortissant a exercé une activité salariée de manière ininterrompue pendant trois ou cinq ans au moins, ce qui n’est pas conforme à l’objectif de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80.
72 Cependant, rien dans le libellé de cette dernière disposition ni, de manière générale, dans la décision n° 1/80 ne permet de considérer que l’intention des auteurs de cette dernière était d’exclure les membres de la famille d’une catégorie si importante de travailleurs turcs des droits prévus à l’article 7, premier alinéa, de cette décision.
73 En outre, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, l’exercice des droits que les ressortissants turcs tirent de la décision n° 1/80 n’est subordonné à aucune condition relative au motif pour lequel un droit d’entrée et de séjour leur a été initialement accordé dans l’État membre d’accueil (arrêt du 18 décembre 2008, Altun, C‑337/07, EU:C:2008:744, point 42 et jurisprudence citée).
74 Dans ce contexte, la Cour a déjà jugé que l’article 6, paragraphe 1, de la décision n° 1/80 vise les ressortissants turcs qui ont la qualité de travailleurs dans l’État membre d’accueil sans toutefois exiger qu’ils soient entrés dans l’Union en tant que travailleurs, de telle sorte qu’ils peuvent avoir acquis cette qualité après leur entrée dans celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2008, Payir e.a., C‑294/06, EU:C:2008:36, point 38).
75 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, aux fins de l’acquisition d’un droit de séjour au titre de l’article 7, premier alinéa, de la décision n° 1/80 par un membre de la famille du travailleur turc de référence, la condition d’appartenance de ce dernier travailleur au marché régulier de l’emploi ne doit pas nécessairement être remplie à la date même de l’arrivée du membre de la famille concerné dans l’État membre d’accueil et durant les trois années ou les cinq années qui suivent immédiatement cette date.
76 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question dans l’affaire C‑508/15 que l’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80 doit être interprété en ce sens que cette disposition confère un droit de séjour dans l’État membre d’accueil au membre de la famille d’un travailleur turc, qui a été autorisé à entrer dans cet État membre, au titre du regroupement familial, et qui, à compter de son entrée sur le territoire dudit État membre, a cohabité avec ce travailleur turc, même si la période d’au moins trois années au cours de laquelle ce dernier a appartenu au marché régulier de l’emploi n’a pas suivi immédiatement l’arrivée du membre de la famille concerné dans l’État membre d’accueil, mais est postérieure à celle-ci.
Sur la seconde question dans l’affaire C‑508/15 et la question dans l’affaire C‑509/15
77 Eu égard à la réponse apportée à la première question dans l’affaire C‑508/15, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question dans cette affaire ni à la question dans l’affaire C‑509/15.
Sur les dépens
78 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
L’article 7, premier alinéa, premier tiret, de la décision n° 1/80 du conseil d’association, du 19 septembre 1980, relative au développement de l’association doit être interprété en ce sens que cette disposition confère un droit de séjour dans l’État membre d’accueil au membre de la famille d’un travailleur turc, qui a été autorisé à entrer dans cet État membre, au titre du regroupement familial, et qui, à compter de son entrée sur le territoire dudit État membre, a cohabité avec ce travailleur turc, même si la période d’au moins trois années au cours de laquelle ce dernier a appartenu au marché régulier de l’emploi n’a pas suivi immédiatement l’arrivée du membre de la famille concerné dans l’État membre d’accueil, mais est postérieure à celle-ci.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.
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