BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
||
You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Nutria v Commission (Judgment) French Text [2016] EUECJ T-832/14 (21 July 2016) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2016/T83214.html Cite as: EU:T:2016:428, [2016] EUECJ T-832/14, ECLI:EU:T:2016:428 |
[New search] [Help]
ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
21 juillet 2016 (*)
« Responsabilité non contractuelle – Refus de proroger la date limite pour le retrait du lait écrémé en poudre dans le cadre du programme de distribution d’aide alimentaire aux personnes les plus démunies de l’Union pour l’année 2010 – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers »
Dans l’affaire T‑832/14,
Nutria AE Typopoiisis & Emporias Agrotikon Proïonton, établie à Agios Konstantinos (Grèce), représentée initialement par Me M.‑J. Jacquot, puis par Me K. Makaronas, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. J. Guillem Carrau et D. Triantafyllou, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice que la requérante aurait prétendument subi du fait du refus, par la Commission, de proroger le délai pour le retrait du lait écrémé en poudre fixé à l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1111/2009 de la Commission, du 19 novembre 2009, relatif à l’adoption du plan portant attribution aux États membres de ressources imputables sur l’exercice budgétaire 2010 pour la fourniture de denrées alimentaires provenant des stocks d’intervention au bénéfice des personnes les plus démunies de la Communauté et dérogeant à certaines dispositions du règlement (CEE) n° 3149/92 (JO 2009, L 306, p. 5),
LE TRIBUNAL (deuxième chambre),
composé de Mme M. E. Martins Ribeiro (rapporteur), président, MM. S. Gervasoni et L. Madise, juges,
greffier : Mme G. Predonzani, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 11 mai 2016,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique
1 Le programme de distribution d’aide alimentaire aux personnes les plus démunies a été instauré par le règlement (CEE) n° 3730/87 du Conseil, du 10 décembre 1987, fixant les règles générales applicables à la fourniture à certaines organisations de denrées alimentaires provenant des stocks d’intervention et destinées à être distribuées aux personnes les plus démunies de la Communauté (JO 1987, L 352, p. 1). Ce règlement a été abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil, du 22 octobre 2007, portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement OCM unique) (JO 2007, L 299, p. 1).
2 Conformément à l’article 27, paragraphe 1, du règlement n° 1234/2007, les produits des stocks d’intervention sont mis à la disposition de certains organismes désignés en vue de permettre la distribution de denrées alimentaires aux personnes les plus démunies de l’Union européenne, conformément au plan annuel. En vertu de l’article 43, sous g), du règlement n° 1234/2007, la Commission européenne adopte les modalités d’application portant sur l’établissement du plan annuel visé à l’article 27, paragraphe 1, dudit règlement.
3 En outre, conformément à l’article 191 du règlement n° 1234/2007, il est prévu ce qui suit :
« La Commission arrête les mesures qui sont à la fois nécessaires et justifiables pour résoudre dans l’urgence des problèmes pratiques spécifiques.
Ces mesures peuvent déroger à certaines dispositions du présent règlement, mais uniquement dans la mesure et pour la durée où cela est strictement nécessaire. »
4 Les modalités d’application du règlement n° 3730/87 ont été fixées par le règlement (CEE) n° 3149/92 de la Commission, du 29 octobre 1992, portant modalités d’application de la fourniture de denrées alimentaires provenant des stocks d’intervention au bénéfice des personnes les plus démunies de la Communauté (JO 1992, L 313, p. 50). Ce règlement est resté en vigueur jusqu’à son abrogation et son remplacement par le règlement (UE) n° 807/2010 de la Commission, du 14 septembre 2010, portant modalités d’application de la fourniture de denrées alimentaires provenant des stocks d’intervention au bénéfice des personnes les plus démunies de l’Union (JO 2010, L 242, p. 9). Conformément à son article 14, le règlement n° 807/2010 est entré en vigueur le 5 octobre 2010.
5 Conformément à l’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 3149/92, tel que modifié, la Commission adoptait chaque année avant le 1er octobre un plan annuel de distribution, ventilé par État membre concerné, de produits provenant des stocks d’intervention.
6 Selon l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 3149/92, tel que modifié, les opérations de retrait des produits des stocks d’intervention intervenaient à partir du 1er octobre jusqu’au 31 août de l’année suivante, selon un rythme régulier et adapté aux exigences de l’exécution du plan. Cette disposition a été reprise à l’identique à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 807/2010.
7 Le programme de distribution d’aide alimentaire aux personnes les plus démunies pour l’année 2010 a été institué par le règlement (CE) n° 1111/2009 de la Commission, du 19 novembre 2009, relatif à l’adoption du plan portant attribution aux États membres de ressources imputables sur l’exercice budgétaire 2010 pour la fourniture de denrées alimentaires provenant des stocks d’intervention au bénéfice des personnes les plus démunies de la Communauté et dérogeant à certaines dispositions du règlement n° 3149/92 (JO 2009, L 306, p. 5).
8 L’article 1er du règlement n° 1111/2009 dispose que, pour l’année 2010, la distribution de denrées alimentaires destinées aux personnes les plus démunies de l’Union, en application de l’article 27 du règlement n° 1234/2007, est réalisée conformément au plan annuel de distribution établi à l’annexe I dudit règlement. Ladite annexe I, sous a), prévoit que les moyens financiers mis à la disposition de la Grèce pour exécuter ce plan s’élèvent à 20 044 478 euros. Il ressort de cette même annexe I, sous b), que la quantité de lait écrémé en poudre à retirer, par la Grèce, des stocks d’intervention s’élève, pour l’année 2010, à 5 889 tonnes.
9 L’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1111/2009 dispose que, par dérogation à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 3149/92 (voir point 6 ci-dessus), en ce qui concerne le plan de distribution pour l’année 2010, la période pendant laquelle le beurre et le lait écrémé en poudre doivent être retirés des stocks d’intervention s’étend du 1er mai au 30 septembre 2010.
Antécédents du litige
Sur la requérante et la procédure nationale d’adjudication
10 La requérante, Nutria AE Typopoiisis & Emporias Agrotikon Proïonton, est une société établie en Grèce qui est principalement active dans le commerce des produits alimentaires tant sur le marché grec que sur les marchés extérieurs à travers des activités d’importation et d’exportation. Depuis quelques années, elle est impliquée dans la réalisation, en Grèce, du programme de distribution d’aide alimentaire aux personnes les plus démunies de l’Union.
11 Aux fins de la mise en œuvre, en Grèce, du plan annuel pour l’année 2010, l’Organismos pliromon kai elenchou koinotikon enischyseon prosanatolismou kai engyiseon (agence de paiement et de contrôle des aides d’orientation et de garantie, Grèce) a publié un avis d’adjudication le 30 juin 2010 et lancé un appel d’offres le 9 juillet 2010.
12 Entre les mois de juillet et d’août 2010, la requérante a pris contact avec la société H. aux fins de la vente du lait écrémé en poudre qu’elle entendait retirer des stocks d’intervention et a conclu des contrats avec des producteurs grecs de feta.
13 Le 6 septembre 2010, la requérante a été choisie comme adjudicataire pour l’exécution de ce programme, ce dont elle a été informée le 8 septembre 2010. À ce titre, elle devait prendre livraison de lait écrémé en poudre détenu en stock public en Allemagne, faire produire de la feta et livrer celle-ci aux organisations non gouvernementales désignées pour sa distribution aux personnes les plus démunies.
14 L’Elegktiko Synedrio (Cour des comptes, Grèce) a été saisie d’une procédure de contrôle précontractuel. Cette procédure était obligatoire, sous peine d’invalidité du contrat qui aurait été ultérieurement signé entre le gouvernement grec et la requérante.
15 Par décision du 28 septembre 2010, la Cour des comptes grecque a conclu que le contrat entre le gouvernement grec et la requérante ne pouvait être signé. Cette décision a été contestée par ledit gouvernement et par l’agence de paiement et de contrôle des aides d’orientation et de garantie. Statuant sur la demande d’annulation de ladite décision, la Cour des comptes a finalement décidé, le 19 novembre 2010, que le contrat entre le gouvernement grec et la requérante pouvait être signé.
Sur les échanges entre les autorités grecques, la requérante et la Commission
16 Par lettre datée du 29 septembre 2010, envoyée à la Commission par télécopie le 30 septembre et formellement reçue par celle-ci le 4 octobre 2010, les autorités grecques ont demandé une extension d’un mois et demi du délai fixé pour le retrait du lait écrémé en poudre. Cette demande était motivée comme suit :
« Des circonstances imprévues et difficiles pour notre pays ayant retardé les procédures de mise en œuvre du plan de distribution gratuite de feta et, vu le caractère socialement critique dudit plan, en particulier en raison de la difficulté économique que notre pays traverse, nous demandons la prorogation du délai fixé à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1111/2009 d’un mois et demi, afin que le plan puisse être exécuté au bénéfice des personnes les plus démunies de notre pays. »
17 Par lettre du 21 octobre 2010, le directeur général de la direction générale (DG) « Agriculture et développement rural » de la Commission (ci-après la « DG AGRI ») a répondu à la lettre du 29 septembre 2010. Il a fait observer que, conformément à l’article 3 du règlement n° 1111/2009, la période pendant laquelle le beurre et le lait écrémé en poudre devaient être retirés des stocks d’intervention s’étendait du 1er mai au 30 septembre 2010 pour garantir que ces produits n’entrent pas sur le marché à un moment inapproprié de l’année. Cette possibilité de retrait jusqu’au 30 septembre reflèterait déjà une extension du délai par rapport au délai prévu par l’article 3, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 807/2010, à savoir le 31 août. Le 30 septembre serait également le délai maximal au-delà duquel les produits non prélevés ne seraient plus alloués aux États membres attributaires désignés, conformément à l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, de ce dernier règlement. Il a par ailleurs attiré l’attention des autorités grecques sur le fait que le règlement n° 1111/2009 avait été publié au Journal officiel de l’Union européenne au mois de novembre 2009, ce qui avait laissé aux États membres une période suffisamment longue pour compléter les procédures nationales et mettre en œuvre le plan annuel pour l’année 2010. Il a, partant, rejeté la demande d’extension du délai.
18 Par lettre datée du 24 novembre 2010, envoyée à la Commission le 1er décembre 2010, les autorités grecques ont réitéré leur demande de prorogation du délai pour le retrait du lait écrémé en poudre. Dans cette lettre, elles ont notamment fait valoir que le lait écrémé en poudre n’avait pas pu être retiré dans le délai imparti en raison de la situation économique particulièrement difficile en Grèce durant l’année en cause, qui avait compliqué le déblocage de fonds pour la contribution nationale au programme, ainsi qu’en raison des dispositions du droit national concernant la procédure d’adjudication et le contrôle précontractuel par la Cour des comptes.
19 Par lettre du 24 janvier 2011, le directeur général de la DG AGRI a répondu à la lettre du 24 novembre 2010. Il a réitéré son refus de proroger le délai, pour des motifs identiques à ceux énoncés dans sa lettre du 21 octobre 2010 (voir point 17 ci-dessus).
20 Par lettre du 15 février 2011 envoyée à la DG AGRI, le conseil juridique de la requérante a demandé, au nom de cette dernière et de neuf fromageries grecques productrices de feta, la prorogation du délai de retrait du lait écrémé en poudre, au motif que la Commission avait insuffisamment tenu compte tant de la situation en Grèce, qui aurait causé des retards dans les adjudications, en raison des besoins des personnes les plus démunies en Grèce, que du fait que la Cour des comptes grecque devait, à la demande de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), se prononcer sur les adjudications.
21 Par lettre du 2 mars 2011, le conseil juridique de la requérante a demandé au président de la Commission d’intervenir auprès de la DG AGRI pour obtenir la prorogation du délai pour le retrait du lait écrémé en poudre.
22 Par lettre du 16 mars 2011, le directeur général de la DG AGRI a répondu à la lettre du conseil juridique de la requérante du 15 février 2011 (voir point 20 ci-dessus). Après avoir rappelé les motifs exposés dans les lettres des 21 octobre 2010 et 24 janvier 2011 (voir points 17 et 19 ci-dessus), le directeur général de la DG AGRI a indiqué que la situation budgétaire et financière difficile de la Grèce pouvait difficilement justifier les retards dans les procédures nationales de passation de marchés, au vu des montants en jeu et compte tenu du fait que le plan était entièrement financé par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA). Les procédures et règles nationales de passation de marchés, y compris l’obligation de soumettre tous les contrats de plus de 3 millions d’euros au contrôle de la Cour des comptes grecque, auraient été connues à l’avance de l’administration nationale. Enfin, il a fait observer que, afin d’assurer une application homogène du programme de distribution d’aide alimentaire aux personnes les plus démunies dans les États membres participants, ainsi qu’une bonne et judicieuse gestion du régime, la législation en vigueur ne prévoyait pas la possibilité d’accorder des exceptions au délai final de retrait des produits, qui, à partir du 30 septembre 2010, n’étaient plus à la disposition de la Grèce. En effet, s’agissant de plans annuels, dont l’exécution s’achevait le 31 décembre de l’année de référence, il ne serait pas possible, pour des questions juridiques et budgétaires, de proroger la période de mise en œuvre du plan annuel pour l’année 2010.
23 Par lettre du 7 avril 2011, le chef de cabinet du président de la Commission a répondu à la lettre du conseil juridique de la requérante du 2 mars 2011 (voir point 21 ci-dessus). Tout en confirmant l’analyse figurant dans la lettre du directeur général de la DG AGRI du 16 mars 2011, il a ajouté, tout d’abord, que la première requête des autorités grecques aux fins de la prorogation du délai avait été reçue par la Commission le 4 octobre 2010, soit au-delà de la limite réglementaire pour le retrait des produits, fixée au 30 septembre. À partir de cette date, les produits en question ne seraient plus attribués à l’État membre concerné et seraient de nouveau comptabilisés comme stocks d’intervention de l’Union. En l’espèce, le lait écrémé en poudre stocké en Allemagne aurait ainsi été remis en vente sur le marché intérieur par voie d’adjudication. Ensuite, le chef de cabinet a rappelé que le programme de distribution d’aide alimentaire aux personnes les plus démunies se fondait sur des plans annuels, dont l’exécution devait impérativement s’achever le 31 décembre de l’année de référence. Enfin, il a relevé que, le 21 octobre 2010, la Commission avait adopté le règlement (UE) n° 945/2010, relatif à l’adoption du plan portant attribution aux États membres de ressources imputables sur l’exercice budgétaire 2011 pour la fourniture de denrées alimentaires provenant des stocks d’intervention au bénéfice des personnes les plus démunies de l’Union européenne et dérogeant à certaines dispositions du règlement n° 807/2010 (JO 2010, L 278, p. 1). Les besoins manifestés par les autorités grecques, en termes de produits à distribuer aux personnes les plus démunies en Grèce, auraient été pris en compte lors de l’allocation des ressources disponibles pour le plan annuel pour l’année 2011, que les autorités grecques devraient à présent mettre en œuvre.
Sur la plainte de la requérante auprès du Médiateur
24 Le 1er mars 2011, le conseil juridique de la requérante a introduit, au nom de cette dernière et de huit fromageries grecques, une plainte auprès du Médiateur européen, en faisant valoir que le refus de la Commission de proroger le délai pour le retrait du lait écrémé en poudre était purement formaliste, ne prenait pas en compte les circonstances dans lesquelles se trouvait la Grèce et constituait par conséquent un cas de mauvaise administration.
25 Le 31 mars 2011, le Médiateur a ouvert une enquête.
26 Par décision du 1er juillet 2013, le Médiateur a clos l’enquête en concluant qu’il n’y avait eu aucun cas de mauvaise administration de la part de la Commission dans l’affaire en cause.
Procédure et conclusions des parties
27 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 décembre 2014, la requérante a introduit le présent recours.
28 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 11 mai 2016.
29 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– condamner la Commission à lui verser la somme de 5 204 350 euros ;
– condamner la Commission à lui verser une indemnité complémentaire de 12 000 euros pour les frais de procédure qu’elle a engagés ;
– condamner la Commission aux dépens.
30 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– déclarer le recours irrecevable ou, subsidiairement, le rejeter comme non fondé ;
– condamner la requérante aux dépens.
31 En réponse à une question posée par le Tribunal à l’audience, la requérante a précisé que le deuxième chef de conclusions mentionné au point 29 ci-dessus devait être compris comme une demande tendant à ce que la Commission fût condamnée aux dépens. Il a été pris acte de cette précision au procès-verbal d’audience.
En droit
Sur la recevabilité
32 Sans avoir soulevé formellement une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, la Commission fait valoir que le recours est irrecevable dès lors que, d’une part, il est tardif et, d’autre part, il sert en fait à contourner le délai du recours en carence établi par l’article 265, deuxième alinéa, TFUE.
Sur la première fin de non-recevoir, tirée de la tardiveté du recours
33 La Commission fait valoir que le recours est tardif. En effet, eu égard à l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, les demandes tendant à remédier à la situation dommageable, que la requérante lui aurait adressées, auraient interrompu le délai de prescription quinquennale et fait courir un délai de recours de deux mois. Or, la requérante n’aurait pas respecté ce délai et aurait même laissé s’écouler une période de quatre ans sans former de recours en carence devant le Tribunal, ce qui dépasserait tout délai raisonnable.
34 La requérante rétorque, en substance, qu’elle n’a jamais saisi la Commission d’une demande de réparation.
35 Il convient de rappeler que, selon l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, les actions contre l’Union en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu. La prescription est interrompue soit par la requête formée devant la Cour de justice de l’Union européenne, soit par la demande préalable que la victime peut adresser à l’institution compétente de l’Union. Dans ce dernier cas, la requête doit être formée dans le délai de deux mois prévu à l’article 263 TFUE ; les dispositions de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE sont, le cas échéant, applicables.
36 Il a déjà été jugé que l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ne saurait être interprété en ce sens qu’une personne qui adresse une demande préalable à l’institution compétente, dans le délai de cinq ans qu’il prévoit, doit être considérée comme forclose si elle ne forme pas un recours en indemnité soit dans le délai de deux mois prévu à l’article 263 TFUE, au cas où une décision de rejet de cette demande lui serait notifiée, soit dans le délai de deux mois prévu à l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, au cas où l’institution concernée n’aurait pas pris position dans les deux mois à compter de cette demande [ordonnance du 4 mai 2005, Holcim (France)/Commission, T‑86/03, EU:T:2005:157, point 38].
37 En effet, il résulte du libellé même des deuxième et troisième phrases de l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que cette disposition ne vise pas à abréger le délai de prescription de cinq ans, mais qu’elle tend à protéger les intéressés en évitant de faire entrer certaines périodes en ligne de compte pour le calcul dudit délai. Dès lors, la troisième phrase de l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne n’a pour but que de reporter l’expiration du délai de cinq ans lorsqu’une requête ou une demande préalable, formées dans ce délai, ouvrent les délais prévus aux articles 263 et 265 TFUE. En aucun cas son application ne peut avoir pour effet d’abréger la prescription quinquennale établie par la première phrase de l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne [arrêts du 14 juillet 1967, Kampffmeyer e.a./Commission, 5/66, 7/66, 13/66 à 16/66 et 18/66 à 24/66, EU:C:1967:31, p. 337 ; du 5 avril 1973, Giordano/Commission, 11/72, EU:C:1973:39, points 5 à 7, et ordonnance du 4 mai 2005, Holcim (France)/Commission, T‑86/03, EU:T:2005:157, point 39].
38 Dans ces conditions, il y a lieu de constater, en l’espèce, que, à supposer même que les lettres envoyées par la requérante à la Commission (voir points 20 et 21 ci-dessus) puissent être considérées comme des demandes au sens de l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la requérante a introduit son recours dans le délai de prescription de cinq ans prévu par ladite disposition.
39 Il s’ensuit qu’il y a lieu d’écarter la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du recours au regard des dispositions de l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
Sur la seconde fin de non-recevoir, tirée d’un détournement de procédure
40 La Commission fait valoir que le présent recours en indemnité sert en fait à contourner le délai du recours en carence établi par l’article 265, deuxième alinéa, TFUE. Par ce recours, la requérante chercherait, en effet, à obtenir le bénéfice qu’elle aurait obtenu en cas de prorogation du délai de retrait du lait écrémé en poudre.
41 La requérante rétorque que ces arguments ne sont pas fondés.
42 Il convient de relever que, aux termes de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, il est prévu ce qui suit :
« [Le recours en carence] n’est recevable que si l’institution en cause a été préalablement invitée à agir. Si, à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de cette invitation, l’institution, l’organe ou l’organisme n’a pas pris position, le recours peut être formé dans un nouveau délai de deux mois. »
43 Selon une jurisprudence constante, l’invitation à agir au sens de cette disposition est une formalité essentielle et a pour effet, d’une part, de faire courir le délai de deux mois dans lequel l’institution est tenue de prendre position et, d’autre part, de délimiter le cadre dans lequel un recours pourra être introduit au cas où l’institution s’abstiendrait de prendre position. Bien que non soumise à une condition de forme particulière, il est, néanmoins, nécessaire que la mise en demeure soit suffisamment explicite et précise pour permettre à l’institution de connaître de manière concrète le contenu de la décision qu’il lui est demandé de prendre et faire ressortir qu’elle a pour objet de contraindre celle-ci à prendre parti (arrêts du 10 juin 1986, Usinor/Commission, 81/85 et 119/85, EU:C:1986:234, point 15 ; du 3 juin 1999, TF1/Commission, T‑17/96, EU:T:1999:119, point 41, et du 4 juillet 2012, Laboratoires CTRS/Commission, T‑12/12, non publié, EU:T:2012:343, point 38).
44 Il ressort de la jurisprudence que le refus exprimé par l’institution en cause d’agir conformément à une telle invitation constitue une prise de position mettant fin à la carence et qu’un tel refus constitue un acte attaquable au sens de l’article 263 TFUE [ordonnance du 4 mai 2005, Holcim (France)/Commission, T‑86/03, EU:T:2005:157, point 36 ; voir également, en ce sens, arrêt du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission, 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, EU:C:1988:199, points 32 et 33].
45 Ainsi, les conditions de recevabilité d’un recours en carence, fixées par l’article 265 TFUE, ne sont pas remplies lorsque l’institution invitée à agir a pris position sur cette invitation avant l’introduction du recours (arrêt du 7 octobre 2009, Vischim/Commission, T‑420/05, EU:T:2009:391, point 253 ; voir également, en ce sens, arrêt du 1er avril 1993, Pesqueras Echebastar/Commission, C‑25/91, EU:C:1993:131, point 11).
46 La circonstance que cette prise de position ne donne pas satisfaction à la partie requérante est, à cet égard, indifférente. Il résulte, en effet, de la jurisprudence que l’article 265 TFUE vise la carence par l’abstention de statuer ou de prendre position et non l’adoption d’un acte différent de celui que les intéressés auraient souhaité ou estimé nécessaire (voir, en ce sens, arrêts du 24 novembre 1992, Buckl e.a./Commission, C‑15/91 et C‑108/91, EU:C:1992:454, points 16 et 17 ; du 1er avril 1993, Pesqueras Echebastar/Commission, C‑25/91, EU:C:1993:131, point 12, et du 7 octobre 2009, Vischim/Commission, T‑420/05, EU:T:2009:391, point 255).
47 En l’espèce, il convient de constater que la requérante a demandé à la Commission, de manière explicite, de proroger le délai pour le retrait du lait écrémé en poudre (voir points 20 et 21 ci-dessus). Il y a ainsi lieu de considérer que, conformément à l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, la requérante a invité la Commission à agir.
48 Il est également constant que, en réponse à ces demandes, la Commission a exprimé son refus de proroger le délai pour le retrait du lait écrémé en poudre (voir points 22 et 23 ci-dessus). Eu égard à la jurisprudence citée aux points 44 à 46 ci-dessus, il y a lieu de considérer que, par ces réponses, la Commission a pris position et, ce faisant, mis fin à la carence. Il s’ensuit que, sans préjudice de la question différente de savoir si ce refus aurait pu faire l’objet d’un recours en annulation, les conditions de recevabilité d’un recours en carence n’étaient, en l’espèce, pas remplies.
49 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument avancé par la Commission à l’audience en réponse à une question du Tribunal et tiré de ce que ses réponses n’auraient constitué qu’une simple information sur l’état du droit. En effet, sans préjudice de la question de savoir si la Commission était tenue par une obligation d’agir, de telle façon que son abstention eût pu être entachée d’illégalité, il suffit de constater que la Commission convient du fait qu’elle dispose du pouvoir de proroger le délai pour le retrait du lait écrémé en poudre. Dans ces conditions, le refus de proroger ce délai ne saurait, en tout état de cause, être qualifié de simple information sur l’état du droit.
50 Eu égard aux considérations qui précèdent, il apparaît que la fin de non-recevoir soulevée par la Commission et tirée d’un contournement du délai du recours en carence est fondée sur une prémisse erronée. Partant, il y a lieu de l’écarter.
Sur le fond
51 À l’appui de son recours en indemnité, la requérante fait valoir, en substance, que, en refusant de proroger le délai pour le retrait du lait écrémé en poudre, la Commission a commis une illégalité de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union. Cette illégalité lui aurait causé des préjudices matériels, chiffrés à la somme de 4 454 357 euros, ainsi qu’un préjudice moral, évalué à hauteur de 750 000 euros.
52 La Commission conteste le bien-fondé de ces allégations.
53 Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir le caractère fautif du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêts du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 106 et jurisprudence citée ; du 16 mai 2013, Gap granen & producten/Commission, T‑437/10, non publié, EU:T:2013:248, point 16 et jurisprudence citée, et du 23 septembre 2015, Hüpeden/Conseil et Commission, T‑206/14, non publié, EU:T:2015:672, point 32 et jurisprudence citée).
54 Le caractère cumulatif de ces trois conditions d’engagement de la responsabilité implique que, lorsque l’une d’entre elles n’est pas remplie, la demande en indemnité doit être rejetée dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les deux autres conditions sont réunies (arrêt du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, EU:T:2002:34, point 37 ; voir également, en ce sens, arrêts du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, EU:C:1994:329, point 81, et du 23 septembre 2015, Hüpeden/Conseil et Commission, T‑206/14, non publié, EU:T:2015:672, point 58).
55 S’agissant de la première des conditions mentionnées au point 53 ci-dessus, il ressort d’une jurisprudence constante que seule une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers permet d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union et que, afin d’apprécier l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit, il convient de prendre en compte la marge d’appréciation dont dispose l’institution à l’origine de l’acte. Ainsi, lorsque les institutions disposent d’un pouvoir d’appréciation, le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit de l’Union est suffisamment caractérisée est celui de la méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent à ce pouvoir d’appréciation. En revanche, lorsqu’elles ne disposent que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit de l’Union peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (voir arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, EU:C:2000:361, points 42 à 44 et jurisprudence citée, et du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil, T‑16/04, EU:T:2010:54, point 141 et jurisprudence citée ; arrêt du 23 septembre 2015, Hüpeden/Conseil et Commission, T‑206/14, non publié, EU:T:2015:672, point 37).
56 En l’espèce, la requérante estime en substance que, en refusant de proroger le délai pour le retrait du lait écrémé en poudre, la Commission a méconnu l’article 191 du règlement n° 1234/2007 et que cette illégalité est de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.
57 À titre liminaire, il convient d’exposer les règles régissant l’adoption, par la Commission, des plans annuels pour la distribution de denrées alimentaires aux personnes les plus démunies, en ce compris la détermination des délais pour le retrait desdits produits.
58 Tout d’abord, il y a lieu de rappeler que l’article 27 du règlement n° 1234/2007 fait partie de la sous-section IV, intitulée « Écoulement des stocks d’intervention », de la section II du chapitre I du titre I de la partie II dudit règlement. Cet article, intitulé « Distribution dans [l’Union] aux personnes les plus démunies », dispose, dans son paragraphe 1, que les produits des stocks d’intervention sont mis à la disposition de certains organismes désignés en vue de la distribution de denrées alimentaires aux personnes les plus démunies de l’Union, conformément à un plan annuel.
59 L’article 27 du règlement n° 1234/2007 prévoit ainsi une mesure d’exploitation utile des stocks d’intervention. La distribution des produits de ces stocks aux personnes les plus démunies constitue l’une des modalités d’écoulement desdits stocks et poursuit un objectif social secondaire et accessoire par rapport aux objectifs primaires de la politique agricole commune (voir, en ce sens, arrêt du 13 avril 2011, Allemagne/Commission, T‑576/08, EU:T:2011:166, points 115 et 116).
60 Par ailleurs, il ressort de l’article 25 du règlement n° 1234/2007, qui énonce les principes généraux afférents à l’écoulement des stocks d’intervention, que cet écoulement a lieu dans des conditions telles que toute perturbation du marché soit évitée et que l’égalité d’accès aux marchandises ainsi que l’égalité de traitement des acheteurs soient assurées.
61 Ensuite, il convient de souligner que, en vertu de l’article 43, sous g), du règlement n° 1234/2007, la Commission adopte les modalités d’application relatives à l’établissement du plan annuel visé à l’article 27, paragraphe 1, de ce même règlement. C’est également sur ce fondement, en combinaison avec l’article 43, sous f), et l’article 4 dudit règlement, que la Commission a adopté le règlement n° 1111/2009. Il y a lieu de considérer que, dans ce contexte, la Commission jouit d’un large pouvoir d’appréciation, l’article 43 du règlement n° 1234/2007 ne le restreignant aucunement.
62 En revanche, par le règlement n° 3149/92, la Commission s’est fixée un certain nombre de règles qui conditionnent l’exercice des pouvoirs qu’elle tire du règlement n° 1234/2007 et qu’elle est tenue de respecter lors de l’adoption du plan annuel (voir, en ce sens, arrêt du 13 avril 2011, Allemagne/Commission, T‑576/08, EU:T:2011:166, points 97 et 98). Il en va de même des règles fixées par le règlement n° 807/2010, qui a abrogé, avec effet au 5 octobre 2010, le règlement n° 3149/92.
63 Ainsi, conformément à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 3149/92, tel que modifié, et à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 807/2010, les opérations de retrait des produits des stocks d’intervention interviennent à partir du 1er octobre jusqu’au 31 août de l’année suivante, selon un rythme régulier et adapté aux exigences de l’exécution du plan. Cette disposition s’inscrit, dans les deux règlements, dans un ensemble de règles tendant à définir les étapes de l’exécution du plan annuel de distribution des denrées alimentaires aux personnes les plus démunies. Eu égard à l’économie générale de ces règlements, il y a lieu de considérer que le délai pour le retrait des produits d’intervention est destiné à assurer le bon déroulement des opérations de retrait ainsi que, pris ensemble avec les autres délais fixés par la Commission aux fins des différentes étapes de la procédure, l’exécution régulière et l’application uniforme des plans annuels de distribution.
64 Enfin, s’agissant du plan annuel en cause en l’espèce, l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1111/2009 dispose que, par dérogation à l’article 3, paragraphe 2, du règlement n° 3149/92, la période pendant laquelle le beurre et le lait écrémé en poudre doivent être retirés des stocks d’intervention s’étend du 1er mai au 30 septembre 2010. Il ressort par ailleurs des motifs du règlement n° 1111/2009 et, en particulier, de ses considérants 6 et 7 que, dans l’adoption de ce règlement, la Commission a notamment tenu compte de l’article 25 du règlement n° 1234/2007 (voir point 60 ci-dessus) ainsi que de la situation alors en vigueur du secteur laitier, caractérisée par le faible niveau des prix.
65 Au regard de ces éléments, il y a lieu de constater que, en refusant de proroger le délai pour le retrait du lait écrémé en poudre au-delà du 30 septembre 2010, la Commission s’est contentée de rappeler et d’imposer le respect du délai fixé à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1111/2009 et de refuser de s’en écarter dans les circonstances de l’espèce. Il est constant que ce règlement, dont la requérante ne conteste nullement la légalité, a été adopté en considération de la situation du marché laitier et de façon à éviter toute perturbation de ce marché.
66 La requérante estime toutefois que, eu égard au contexte dans lequel se trouvait la Grèce en 2010, la Commission aurait dû proroger le délai pour le retrait du lait écrémé en poudre sur le fondement de l’article 191 du règlement n° 1234/2007. Selon la requérante, cette disposition est applicable aux circonstances de l’espèce, contrairement à ce qui ressort de l’argumentation de la Commission, et énonce, à la charge de cette dernière, une obligation de prendre les mesures qui étaient objectivement nécessaires et justifiables pour résoudre le problème pratique spécifique rencontré en l’espèce.
67 Ainsi, selon la requérante, la Commission aurait dû proroger le délai pour le retrait du lait écrémé en poudre, compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes portées à sa connaissance. Or, les motifs avancés par cette institution pour refuser la prorogation du délai seraient erronés. Plus particulièrement, tout d’abord, la requérante fait valoir que, en l’espèce, la prorogation sollicitée du délai n’aurait pas été de nature à perturber le marché, la Commission n’ayant par ailleurs pas prouvé qu’il existait un risque de perturbation. Ensuite, la requérante observe que, s’agissant du plan annuel pour l’année 2011, la Commission a accepté de proroger le délai pour le retrait des produits d’intervention. En outre, le retard pris par les autorités grecques s’expliquerait en l’espèce par la nécessité de suivre la procédure applicable devant la Cour des comptes grecque, qui avait été mise en place en raison des exigences de la Commission. Enfin, la requérante insiste sur la situation économique, financière et budgétaire difficile dans laquelle la Grèce se serait trouvée en 2010 et la nécessité de venir en aide aux personnes les plus démunies.
68 Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner, à titre principal, si, eu égard à ces arguments et en dépit des règles et considérations énoncées aux points 56 à 65 ci-dessus, la Commission a commis une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers en refusant de proroger le délai pour le retrait du lait écrémé en poudre.
69 À cette fin, il convient de procéder à l’interprétation de l’article 191 du règlement n° 1234/2007, étant rappelé que, pour l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 17 novembre 1983, Merck, 292/82, EU:C:1983:335, point 12).
70 Il ressort ainsi de son libellé que l’article 191 du règlement n° 1234/2007 (voir point 3 ci-dessus) constitue une norme d’habilitation investissant la Commission du pouvoir d’adopter, dans les limites et conditions qu’elle établit, des mesures d’urgence pour résoudre certains problèmes pratiques spécifiques de nature à déroger, le cas échéant, aux dispositions dudit règlement. Cette lecture s’impose également au regard du considérant 98 de ce règlement, aux termes duquel « [i]l y a lieu d’autoriser la Commission à adopter les mesures nécessaires pour résoudre en cas d’urgence certains problèmes d’ordre pratique ».
71 En d’autres termes, l’article 191 du règlement n° 1234/2007 est destiné à permettre à la Commission de répondre à des situations urgentes particulières. Eu égard à son libellé, à son économie générale et à son emplacement dans la partie VI du règlement n° 1234/2007, portant « Dispositions générales », il y a lieu de considérer que cette disposition est en particulier destinée à autoriser la Commission à agir en lui permettant de résoudre les problèmes pratiques spécifiques et urgents en cause.
72 Or, sans même qu’il soit besoin de statuer sur l’applicabilité, discutée entre les parties, de l’article 191 du règlement n° 1234/2007 aux fins de déroger aux règles régissant les délais pour le retrait des produits des stocks d’intervention, il convient de relever, premièrement, que, eu égard aux considérations émises aux points 70 et 71 ci-dessus, l’article 191 du règlement n° 1234/2007 n’a pas pour objet de conférer des droits aux particuliers au sens de la jurisprudence citée au point 55 ci-dessus. Partant, sa violation, à la supposer établie, ne saurait être de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.
73 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel l’objectif social de distribution des produits des stocks d’intervention aux personnes les plus démunies ne peut être atteint que par l’intervention d’une société intermédiaire, telle que la requérante elle-même, dont le rôle serait « indispensable, essentiel [et] incontournable ». En effet, sans préjudice du rôle important joué le cas échéant par de tels intermédiaires, il n’en demeure pas moins que cet argument a trait à l’objet des règles régissant l’adoption des plans annuels, lesquelles n’ont pas, eu égard aux considérations émises aux points 59, 60, 63 et 64 ci-dessus, pour objet de leur conférer des droits, mais tendent uniquement à organiser le bon déroulement de la distribution des denrées alimentaires. Un tel argument n’est donc pas pertinent aux fins de l’appréciation de l’article 191 du règlement n° 1234/2007, lequel n’a pas pour objet l’organisation de la distribution des produits alimentaires aux personnes les plus démunies, mais l’adoption de mesures d’urgence.
74 Deuxièmement et en tout état de cause, il convient de constater que la requérante n’a pas établi de violation suffisamment caractérisée de l’article 191 du règlement n° 1234/2007, à le supposer applicable.
75 À cet égard, il convient de préciser que, en prévoyant que la Commission arrête les mesures « nécessaires et justifiables pour résoudre dans l’urgence des problèmes pratiques spécifiques », le législateur a entendu conférer à cette institution un large pouvoir d’appréciation aux fins de déterminer quels types de mesures étaient adaptés ou nécessaires en fonction du degré d’urgence et de gravité des problèmes rencontrés. La démonstration d’une violation suffisamment caractérisée de cette disposition requiert, dès lors, la démonstration d’une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposent à ce pouvoir (voir point 55 ci-dessus).
76 En l’espèce, il est constant que les autorités grecques ont pris du retard dans l’exécution du plan annuel pour l’année 2010, comme la requérante l’a admis dans ses écritures et à l’audience en réponse à une question posée par le Tribunal, ce dont il a été pris acte au procès-verbal d’audience. Ainsi, alors même que le règlement n° 1111/2009, dont l’article 3, paragraphe 1, définit la période pendant laquelle le lait écrémé en poudre devait être retiré des stocks d’intervention comme courant du 1er mai au 30 septembre 2010, a été adopté le 19 novembre 2009 et publié le lendemain au Journal officiel de l’Union européenne, ce n’est qu’au courant du mois de juin 2010 que lesdites autorités ont établi les détails de l’application dudit plan pour la distribution gratuite de feta aux personnes les plus démunies et organisé l’appel d’offres, au terme duquel la requérante a été retenue, le 6 septembre 2010, comme adjudicataire pour l’exécution dudit plan. En outre, il est constant que la Cour des comptes grecque n’a autorisé la signature du contrat entre le gouvernement grec et la requérante que le 19 novembre 2011, après avoir annulé une première décision négative, en date du 28 septembre 2010.
77 Par ailleurs, il est constant que la première demande de prorogation du délai présentée par les autorités grecques dans la lettre datée du 29 septembre 2010 (voir point 16 ci-dessus) a été reçue par la Commission à une date rapprochée de celle à laquelle, conformément à l’article 3, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement n° 3149/92, tel que modifié, les produits en cause n’étaient plus alloués à la Grèce.
78 Au regard de ces éléments, il y a lieu de considérer que la Commission n’a pas dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation en refusant de proroger le délai pour le retrait du lait écrémé en poudre. En particulier, il ne saurait être considéré que, en raison de retards pris dans l’exécution du plan annuel par les autorités d’un État membre, il fût « nécessaire » et « justifiable » d’adopter des mesures d’urgence aux fins de proroger ce délai.
79 Cette considération s’impose d’autant plus que, comme cela ressort par ailleurs du point 63 ci-dessus, le délai pour le retrait des produits des stocks d’intervention est destiné à assurer le bon déroulement des opérations de retrait desdits produits, ainsi que l’exécution régulière et l’application uniforme des plans annuels de distribution. Or, imposer à la Commission de proroger ce délai au seul motif qu’un État membre a pris du retard dans l’exécution d’un plan reviendrait à ôter à ce délai son caractère impératif et à porter, ainsi, atteinte au bon déroulement et à l’exécution régulière et efficace du plan annuel.
80 La conclusion tirée au point 78 ci-dessus n’est pas remise en cause par les arguments avancés par la requérante.
81 Premièrement, en ce qui concerne le fait, avancé par la requérante, que, s’agissant du plan annuel pour l’année 2010, la prorogation du délai de retrait du lait écrémé en poudre n’aurait pas entraîné de perturbation du marché laitier, il convient d’observer qu’il est, certes, prévu à l’article 25 du règlement n° 1234/2007 que l’écoulement des produits d’intervention a lieu dans des conditions telles que toute perturbation du marché soit évitée. Toutefois, comme cela a déjà été relevé aux points 64 et 65 ci-dessus, il ressort des considérants 6 et 7 du règlement n° 1111/2009 que la Commission a effectivement tenu compte de cette disposition et de la situation du marché laitier lors de l’adoption du plan annuel pour l’année 2010. Dans ces conditions, compte tenu du large pouvoir d’appréciation de la Commission et à défaut pour la requérante d’avoir établi que le marché laitier aurait été perturbé du fait de la non-prorogation du délai, il convient de considérer que le seul fait qu’une prorogation dudit délai n’aurait pas perturbé le marché, à le supposer avéré, n’est pas de nature à établir que la Commission a dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation en refusant de l’accorder.
82 Deuxièmement, il y a lieu de relever que la conclusion tirée au point 78 ci-dessus n’est pas davantage affectée par les arguments que la requérante a avancés afin de justifier le retard pris par les autorités grecques.
83 Ainsi, tout d’abord, s’il est vrai que les opérations de retrait du lait écrémé en poudre ne pouvaient débuter, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1111/2009, que le 1er mai 2010, il convient néanmoins de considérer que, contrairement à ce que laisse entendre la requérante, rien n’imposait aux autorités grecques d’attendre le mois de juin 2010 pour entamer la procédure d’appel d’offres aux fins de l’exécution du plan annuel pour l’année 2010. Contrairement aux arguments de la requérante, les discussions relatives à l’adoption d’un règlement relatif aux modalités d’application de la fourniture de denrées alimentaires provenant des stocks d’intervention aux personnes les plus démunies, ayant abouti à l’adoption du règlement n° 807/2010, ne justifiaient pas davantage de retarder la mise en œuvre du plan annuel pour l’année 2010, qui devait s’effectuer conformément aux dispositions du règlement n° 1111/2009.
84 Ensuite, dans la mesure où la requérante tire argument de la crise financière et de la situation économique, financière et budgétaire difficile dans laquelle se serait trouvée la Grèce en 2010, il convient de relever qu’elle n’a pas établi en quoi cette situation a empêché l’exécution du plan annuel dans les délais, sans même qu’il soit besoin de se prononcer sur la question de savoir si de telles circonstances auraient pu requérir une prorogation du délai.
85 Enfin, dans la mesure où la requérante tire argument de la situation précaire des personnes les plus démunies, il y a lieu de constater que, pour regrettable que soit l’absence de distribution gratuite de feta au titre du plan annuel pour l’année 2010, de tels arguments ne sont pas de nature à justifier, dans les circonstances de la présente affaire, une mise à l’écart des règles juridiques régissant la procédure d’exécution dudit plan, ni à imposer à la Commission de recourir à l’article 191 du règlement n° 1234/2007, à le supposer applicable.
86 Troisièmement, s’agissant des arguments de la requérante tirés du fait que la Commission a accepté de proroger le délai pour le retrait des produits d’intervention dans le cadre du plan annuel pour l’année 2011, il convient d’observer que, d’une part, le règlement d’exécution (UE) n° 1260/2011 de la Commission, du 2 décembre 2011, modifiant le règlement n° 945/2010 (JO 2011, L 320, p. 24), expose, en ses considérants 1 et 2, les motifs ayant justifié la prorogation dudit délai dans le cadre du plan pour l’année 2011. D’autre part, dans ses écritures, la Commission a expliqué les différences de circonstances rencontrées lors de l’exécution des plans annuels pour, respectivement, les années 2010 et 2011 et qui auraient justifié une prorogation du délai dans le cadre du plan pour l’année 2011. Ainsi, la prorogation accordée dans le cadre du plan pour l’année 2011 aurait été justifiée à la fois par la réduction considérable de la disponibilité des stocks d’intervention alimentant le régime de distribution des denrées alimentaires destinées aux personnes les plus démunies prévu par le plan pour l’année 2012 et par des difficultés rencontrées par la Grèce et par le Portugal du fait de recours à l’encontre de procédures d’appels d’offres et de retards dans les procédures judiciaires correspondantes, compte tenu par ailleurs de leur situation financière difficile.
87 Or, force est de constater que, dans ses écritures, la requérante n’a avancé aucun argument de nature à mettre en doute ces différences.
88 En revanche, il convient de noter que, en réponse à une question posée par le Tribunal à l’audience, la requérante a fait observer que les circonstances ayant entouré les demandes de prorogation du délai pour le retrait du lait écrémé en poudre formulées au titre du plan pour l’année 2010 et celles ayant justifié la prorogation du délai pour le retrait des produis d’intervention dans le cadre du plan pour l’année 2011 étaient comparables. Elle a insisté, à cet égard, sur les recours formés par les soumissionnaires évincés de l’appel d’offres, qui étaient déjà mentionnés dans ses écritures, ainsi que sur les difficultés économiques et financières rencontrées par la Grèce en 2010. Or, il convient de relever que la requérante n’a pas été en mesure d’établir que les circonstances rencontrées dans le cadre de l’exécution, respectivement, du plan pour l’année 2010 et du plan pour l’année 2011 étaient comparables. En effet, sans même qu’il soit besoin de se prononcer sur l’incidence des procédures entamées par les soumissionnaires évincés et des difficultés économiques et financières alléguées, force est de constater que la requérante n’a présenté aucun argument tendant à démontrer que ces circonstances étaient comparables eu égard à la disponibilité des stocks d’intervention.
89 Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que la requérante n’est pas parvenue à démontrer que, en refusant de proroger le délai pour le retrait du lait écrémé en poudre, la Commission aurait commis une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.
90 La première condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union n’étant ainsi pas remplie en l’espèce, il y a lieu de rejeter le recours en indemnité dans son intégralité, sans qu’il soit besoin de vérifier si les deux autres conditions d’engagement de ladite responsabilité sont remplies et sans qu’il soit besoin de s’interroger, par ailleurs, sur la question de savoir si ce recours est irrecevable en ce qu’il tendrait en réalité à obtenir le retrait des décisions de refus de prorogation du délai pour le retrait du lait écrémé en poudre par le biais d’un recours en indemnité et serait ainsi de nature à contourner le délai du recours en annulation.
Sur les dépens
91 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Nutria AE Typopoiisis & Emporias Agrotikon Proïonton supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.
Martins Ribeiro | Gervasoni | Madise |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 juillet 2016.
Signatures
* Langue de procédure : le français.
© European Union
The source of this judgment is the Europa web site. The information on this site is subject to a information found here: Important legal notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.
BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2016/T83214.html