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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Ceska pojistovna a.s. (Opinion) French Text [2018] EUECJ C-287/17_O (29 May 2018) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2018/C28717_O.html Cite as: EU:C:2018:342, [2018] EUECJ C-287/17_O, ECLI:EU:C:2018:342 |
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Édition provisoire
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MELCHIOR WATHELET
présentées le 29 mai 2018 (1)
Affaire C‑287/17
Česká pojišťovna a.s.
contre
WCZ, spol. s r.o.
[demande de décision préjudicielle formée par l’Okresní soud v Českých Budějovicích (tribunal de district de České Budějovice, République tchèque)]
« Renvoi préjudiciel – Droit des entreprises – Lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales – Directive 2011/7/UE – Article 6, paragraphes 1 et 3 – Remboursement des frais de recouvrement d’une créance – Frais de rappel »
1. Le présent renvoi préjudiciel, introduit par l’Okresní soud v Českých Budějovicích (tribunal de district de České Budějovice, République tchèque), porte sur l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2011/7/UE (2). Il est introduit dans le cadre d’un litige opposant la société d’assurances Česká pojišťovna a.s. à la société WCZ, spol. s r.o., à propos de l’indemnisation des frais de recouvrement supportés par Česká pojišťovna en vue d’obtenir le paiement des primes dues par WCZ.
I. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
2. Les considérants 19 à 21 de la directive 2011/7 énoncent :
« (19) Il est nécessaire de prévoir une indemnisation équitable des créanciers pour les frais de recouvrement exposés en cas de retard de paiement de manière à décourager lesdits retards de paiement. Les frais de recouvrement devraient également inclure la récupération des coûts administratifs et l’indemnisation pour les coûts internes encourus du fait de retards de paiement, pour lesquels la présente directive devrait fixer un montant forfaitaire minimal susceptible d’être cumulé aux intérêts pour retard de paiement. L’indemnisation par un montant forfaitaire devrait tendre à limiter les coûts administratifs et internes liés au recouvrement. L’indemnisation pour les frais de recouvrement devrait être déterminée sans préjudice des dispositions nationales en vertu desquelles une juridiction nationale peut accorder au créancier une indemnisation pour des dommages et intérêts supplémentaires en raison du retard de paiement du débiteur.
(20) Outre le droit au paiement d’un montant forfaitaire pour les frais internes de recouvrement, le créancier devrait également avoir droit au remboursement des autres frais de recouvrement encourus du fait du retard de paiement du débiteur. Ces frais devraient inclure, en particulier, les frais exposés par le créancier pour faire appel à un avocat ou à une société de recouvrement de créances.
(21) La présente directive devrait s’entendre sans préjudice du droit des États membres de prévoir des montants forfaitaires pour l’indemnisation des frais de recouvrement qui sont supérieurs à ce montant, et donc plus favorables au créancier, ni de les augmenter, notamment pour tenir compte de l’inflation. »
3. L’article 6 de ladite directive, intitulé « Indemnisation pour les frais de recouvrement », prévoit :
« 1. Les États membres veillent à ce que, lorsque des intérêts pour retard de paiement sont exigibles dans des transactions commerciales conformément à l’article 3 ou à l’article 4, le créancier soit en droit d’obtenir du débiteur, comme minimum, le paiement d’un montant forfaitaire de 40 [euros].
2. Les États membres veillent à ce que le montant forfaitaire visé au paragraphe 1 soit exigible sans qu’un rappel soit nécessaire et vise à indemniser le créancier pour les frais de recouvrement qu’il a encourus.
3. Le créancier est en droit de réclamer au débiteur, outre le montant forfaitaire visé au paragraphe 1, une indemnisation raisonnable pour tous les autres frais de recouvrement venant en sus dudit montant forfaitaire et encourus par suite d’un retard de paiement du débiteur. Ces frais peuvent comprendre, notamment, les dépenses engagées pour faire appel à un avocat ou à une société de recouvrement de créances. »
4. L’article 12 de la même directive énonce :
« […]
3. Les États membres peuvent maintenir ou adopter des dispositions plus favorables au créancier que celles nécessaires pour se conformer à la présente directive.
4. Lors de la transposition de la présente directive, les États membres décident s’ils veulent exclure les contrats conclus avant le 16 mars 2013. »
B. Le droit tchèque
5. L’article 369, paragraphe 1, dernière phrase, de la zákon č. 513/1991, obchodní zákoník (loi nº 513/1991 portant code de commerce), tel que modifié par la zákon č. 179/2013 (loi nº 179/2013), dispose :
« Outre les intérêts de retard, le créancier a droit au remboursement d’un montant minimal des frais de recouvrement de la créance dont le niveau et les conditions sont fixés par un décret du gouvernement. »
6. L’article 3 du nařízení vlády č. 351/2013 (décret gouvernemental nº 351/2013), qui, selon la juridiction de renvoi, transpose l’article 6 de la directive 2011/7 (ci-après le « décret gouvernemental ») dispose :
« En cas d’obligation réciproque des entrepreneurs […], le montant minimal des frais liés à la présentation de chaque créance s’élève à 1 200 [couronnes tchèques (CZK) (environ 47 euros)] ».
7. L’article 121, paragraphe 3, de la zákon č. 40/1964, občanský zákoník) (loi nº 40/1964 établissant le code civil) dispose :
« Les accessoires d’une créance sont les intérêts, les intérêts de retard, les pénalités de retard et les frais de recouvrement. »
8. L’article 142, paragraphe 1, de la zákon č. 99/1963, občanský soudní řád (loi nº 99/1963 établissant le code de procédure civile) dispose :
« Le juge reconnaît à la partie à laquelle il a été pleinement fait droit, aux dépens de la partie qui a succombé, le remboursement des frais nécessaires à l’exercice ou à la défense utiles d’un droit. »
9. Aux termes de l’article 142a, paragraphe 1, dudit code :
« Le requérant qui a obtenu gain de cause dans une procédure relative à l’exécution d’une obligation a droit au remboursement des frais de procédure aux dépens du défendeur uniquement si, dans un délai d’au moins [sept] jours avant le dépôt de l’acte introductif d’instance, il a envoyé au défendeur, à l’adresse où ce dernier a élu domicile, le cas échéant à la dernière adresse connue, une mise en demeure. »
II. Le litige au principal et la question préjudicielle
10. Česká pojišťovna et WCZ ont conclu, le 7 novembre 2012, un contrat d’assurance prenant effet à la même date.
11. Par lettre du 10 mars 2015, Česká pojišťovna a averti WCZ de la résiliation du contrat au 25 février 2015, en raison du défaut de paiement des primes par WCZ et a réclamé à cette dernière le paiement des primes dues, pour la période allant du 7 novembre 2014 au 26 février 2015, pour un montant de 1 160 CZK (environ 45 euros). Au total, Česká pojišťovna a adressé quatre rappels à WCZ avant de saisir la juridiction de renvoi.
12. Česká pojišťovna sollicite de ladite juridiction la condamnation de WCZ, d’une part, au paiement de ladite somme de 1 160 CZK (environ 45 euros), augmentée des intérêts de retard légaux, pour la période allant du 25 février 2015 jusqu’au paiement des primes dues, et, d’autre part, au remboursement des frais liés au recouvrement de sa créance, à concurrence de 1 200 CZK (environ 47 euros). De plus, Česká pojišťovna réclame à WCZ le remboursement des frais de procédure.
13. Après avoir constaté que le droit national impose aux juridictions de reconnaître, au titre de frais de justice, les frais liés à un unique rappel envoyé au défendeur avant l’introduction d’un recours judiciaire, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir s’il convient de reconnaître, outre l’indemnisation forfaitaire des frais de recouvrement découlant de l’article 6 de la directive 2011/7, une indemnisation des frais de rappel en application des règles de procédure nationales. Ladite juridiction relève en effet que, selon le considérant 19 de ladite directive, l’indemnisation forfaitaire au titre de l’article 6 de cette même directive doit précisément couvrir les frais de rappel du requérant. Il s’ensuivrait, selon elle, que reconnaître les deux indemnisations (sur la base dudit article 6 et des règles procédurales nationales) permettrait au requérant d’obtenir deux fois la même indemnisation.
14. Une telle question serait fondamentale dans le cadre de l’affaire pendante devant la juridiction de renvoi puisque Česká pojišťovna réclame l’indemnisation forfaitaire à hauteur de 1 200 CZK (environ 47 euros), en application de l’article 3 du décret gouvernemental et de l’article 6 de la directive 2011/7, ainsi que, en application du droit national, l’indemnisation des frais de représentation légale, en ce compris les frais de rappel avant l’introduction du recours, découlant du droit national.
15. Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive [2011/7] doit-il être interprété en ce sens qu’il oblige le juge à octroyer, au requérant qui a obtenu gain de cause dans un litige portant sur le remboursement d’une créance découlant d’une transaction commerciale au sens de l’article 3 ou de l’article 4 de ladite directive, une somme de 40 euros (ou l’équivalent dans la monnaie nationale), et en sus le remboursement des frais de la procédure judiciaire, en ce compris le remboursement des frais de rappel à l’adresse du défendeur avant l’introduction du recours, à concurrence du montant fixé par les dispositions procédurales de l’État membre ? »
III. La procédure devant la Cour
16. Aucune des parties au principal n’a jugé nécessaire de déposer des observations écrites dans la présente procédure. En fait, seule la Commission européenne a fait parvenir des observations à la Cour. De plus, aucune audience n’a été demandée ni organisée d’office par la Cour. Néanmoins, afin d’être en mesure de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, j’ai jugé nécessaire d’inviter les parties ainsi que le gouvernement tchèque à répondre par écrit à quelques questions, auxquelles le gouvernement tchèque et la Commission ont répondu.
IV. Analyse
A. Observation liminaire
17. Pour les raisons indiquées aux points 21 et 22 de l’arrêt du 16 février 2017, IOS Finance EFC (C‑555/14, EU:C:2017:121), l’applicabilité ratione temporis de la directive 2011/7 ne peut être remise en cause dans le cas d’espèce. Contrairement à ce qu’elle avait plaidé dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, la Commission retient dans ses observations cette applicabilité de la directive 2011/7, nonobstant le fait que la République tchèque a usé de la faculté que laisse aux États membres l’article 12, paragraphe 4, de ladite directive d’exclure de l’application de la directive les contrats conclus avant la date fixée par son article 12, paragraphe 1, pour sa transposition. Dans sa réponse aux questions de la Cour, le gouvernement tchèque n’a pas non plus contesté l’applicabilité de la directive 2011/7.
B. Jurisprudence
18. Sauf erreur, l’article 6 de la directive 2011/7 n’a pas encore été interprété par la Cour (3).
19. Toutefois, en ce qui concerne la directive précédant cette dernière, à savoir la directive 2000/35/CE (4), l’arrêt du 10 mars 2005, QDQ Media (C‑235/03, EU:C:2005:147), a interprété l’article 3, paragraphe 1, sous e), de cette dernière directive qui correspond, dans une certaine mesure, à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2011/7.
20. La Cour était saisie dans cette affaire de la question de savoir si, dans le cadre de la protection du créancier prévue par la directive 2000/35, il était possible de qualifier de frais de recouvrement de la dette les frais résultant de l’intervention d’un avocat ou d’un avoué dans la procédure d’injonction de payer engagée en vue du recouvrement de cette dette. La Cour a jugé qu’en l’absence de possibilité, sur le fondement du droit national, d’inclure dans le calcul des dépens auxquels pourrait être condamné un particulier redevable d’une dette professionnelle les frais résultant de l’intervention d’un avocat ou d’un avoué au profit du créancier dans une procédure judiciaire de recouvrement de cette dette, la directive 2000/35 ne pouvait pas, par elle-même, servir de fondement à une telle possibilité.
21. Ce type de frais a été expressément visé à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2011/7 parmi les « frais de recouvrement venant en sus du montant forfaitaire et encourus par suite d’un retard de paiement du débiteur ».
C. Mes propositions
22. Après analyse de l’objectif et du libellé ainsi que du contexte et de la genèse de la directive 2011/7, je suis d’avis que, contrairement à ce que le considérant 20 de ladite directive pourrait suggérer, le montant forfaitaire de 40 euros, prévu à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive – en tant que minimum imposé aux États membres – ne peut être interprété comme visant à couvrir de manière exhaustive l’indemnisation de certains types de frais de recouvrement (en l’occurrence les frais de recouvrement « internes » ou « administratifs », lesquels incluent les frais de rappel). Il en découle que l’indemnisation raisonnable, à laquelle se réfère l’article 6, paragraphe 3, de ladite directive, ne peut être interprétée comme ne concernant que les « autres » frais de recouvrement encourus par le créancier.
1. L’objectif et le libellé de la directive 2011/7
23. Le but de la directive 2011/7, aux termes de son article 1er, est la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, en améliorant ainsi la compétitivité des entreprises et en particulier des PME (petites et moyennes entreprises).
24. Comme indiqué au considérant 12 de ladite directive, les retards de paiement constituent une violation du contrat qui est devenue financièrement intéressante pour les débiteurs dans la plupart des États membres, en raison du faible niveau ou de l’absence des intérêts pour retard de paiement facturés (5) et/ou de la lenteur des procédures de recours. Le législateur a jugé nécessaire d’inverser cette tendance et de décourager les retards de paiement.
25. Cette directive vise donc une protection efficace du créancier contre les retards de paiement (6), cette protection impliquant nécessairement d’offrir à ce dernier l’indemnisation la plus complète possible des frais de recouvrement qu’il a exposés.
26. Déjà, sur cette base, la limitation de l’indemnisation au titre de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2011/7 à seulement certaines catégories de frais du créancier serait en contradiction avec la règle fondamentale selon laquelle le créancier a droit à une indemnisation raisonnable (7) de tous les frais de recouvrement des retards de paiement.
27. En pratique, une telle limitation signifierait que certains frais du créancier ne seraient absolument pas indemnisés, ce qui serait manifestement contraire à l’objectif de la directive de rendre les retards de paiement financièrement moins intéressants et de décourager de tels retards de paiement (8).
28. Le libellé de la directive 2011/7 traduit bien son objectif.
29. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7, le créancier est en droit d’obtenir du débiteur le paiement d’un minimum forfaitaire de 40 euros [fixé à 1 200 CZK (environ 47 euros) en droit tchèque par l’article 3 du décret gouvernemental].
30. Selon l’article 6, paragraphe 2, de cette directive, les États membres veillent à ce que le montant forfaitaire visé à l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive soit exigible sans qu’un rappel soit nécessaire et vise à indemniser le créancier pour les frais de recouvrement qu’il a encourus, sans établir de distinction parmi ces frais (9).
31. Le droit du créancier à obtenir le remboursement de ses frais, au-delà du montant forfaitaire de 40 euros, résulte clairement de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2011/7 qui prévoit une indemnisation pour « tous les autres frais de recouvrement venant en sus dudit montant forfaitaire et encourus par suite d’un retard de paiement du débiteur ». Cette indemnisation vise donc les frais « autres » que ceux couverts par le montant forfaitaire.
32. Par ailleurs, l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2011/7, selon lequel les États membres peuvent maintenir ou adopter des dispositions plus favorables au créancier que celles nécessaires pour se conformer à ladite directive, doit être interprété en ce sens que, notamment, cette directive n’empêche pas les réglementations nationales de reconnaître au créancier une indemnisation forfaitaire supérieure au montant minimal fixé à 40 euros.
33. Cela étant, si le législateur national s’engage dans cette voie, c’est à lui qu’il revient de choisir les modalités appropriées, comme par exemple la fixation d’un montant variable en fonction du niveau de la créance (10).
2. Les considérants 19 et 20 de la directive 2011/7
34. En sachant que, selon la jurisprudence de la Cour, « le préambule d’un acte [de droit de l’Union] n’a pas de valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué ni pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ni pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé» (11), j’estime opportun de commenter les considérants 19 et 20 de la directive 2011/7, qui différencient les types de frais du créancier, semblant réserver les frais « internes » ou « administratifs » à l’indemnisation forfaitaire qui devrait les couvrir exhaustivement et les « autres » frais de recouvrement à l’indemnisation qui dépasse les 40 euros.
35. Ces notions de « frais internes » ou de « frais administratifs » sont apparues lors de la genèse de la directive.
36. Dans sa proposition, la Commission avait opté, d’une part, pour une indemnisation automatique des frais de recouvrement, non autrement définis, calculée en fonction du montant de la créance impayée (qui pouvait aller jusqu’à représenter 1 % des créances égales ou supérieures à 10 000 euros) et, d’autre part, pour un dédommagement raisonnable de tous les « autres » frais de recouvrement. Selon l’exposé des motifs, cette modification permettait de remplacer « le concept vague de “frais de recouvrement” par un nouveau système de montant défini pour les coûts internes de recouvrement encourus » (12).
37. La commission du Parlement européen en charge d’examiner ladite proposition a instauré le plafond de 40 euros, quel que soit le montant de la créance en souffrance, au motif qu’« une compensation non plafonnée correspondant à 1 % de la somme égale ou supérieure à 10 000 euros en retard de paiement pourrait, pour les transactions de grande valeur, signifier des frais conséquents et disproportionnés par rapport aux frais réels » (13).
38. Dans sa position en première lecture, le Parlement a maintenu le plafond de 40 euros. Il a, par ailleurs, précisé que le dédommagement raisonnable, prévu à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2011/7 intervenait pour les autres frais en sus dudit montant de 40 euros. Cette précision confirme le fait que le montant forfaitaire de 40 euros ne vise pas à indemniser de manière exhaustive les frais « internes » ou « administratifs » de recouvrement. Toutefois, c’est aussi le Parlement, dans sa position en première lecture, qui a inséré l’idée, contenue au considérant 19 de ladite directive, selon laquelle l’indemnité forfaitaire vise à limiter les frais de recouvrement internes ou administratifs, tout comme il a proposé (voir considérant 20 de ladite directive), que le droit au paiement d’un montant forfaitaire concernait les frais internes de recouvrement (14).
39. Ces notions se sont donc retrouvées aux considérants 19 et 20 de la directive 2011/7, pouvant faire penser que les « autres » frais mentionnés à l’article 6, paragraphe 3, de ladite directive seraient des frais « externes », et ce d’autant plus que tant le considérant 20 que l’article 6, paragraphe 3, de ladite directive citent les frais exposés par le créancier pour faire appel à un avocat ou à une société de recouvrement de créances, soit à des services « extérieurs » à l’entreprise.
40. Plusieurs arguments m’incitent à rejeter la thèse selon laquelle ladite directive introduirait une catégorisation des frais du créancier, les uns « internes » ou « administratifs » à couvrir par la seule indemnisation forfaitaire et les « autres » (15) (ou « externes ») à couvrir par une indemnisation (raisonnable, dit l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2011/7) complémentaire (16).
41. Tout d’abord, ces notions étant absentes de la directive 2000/35 qui prévoyait, à son article 3, paragraphe 1, sous e), que le créancier avait droit à un « dédommagement raisonnable pour tous les frais de recouvrement encourus par suite d’un retard de paiement » du débiteur (c’est moi qui souligne). Or, la directive 2011/7 qui a remplacé la directive 2000/35 avait pour objectif de renforcer la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales et n’avait certainement pas celui de compliquer l’indemnisation du créancier.
42. Ensuite, la catégorisation des frais du créancier ne trouve aucun appui dans le libellé de l’article 6 de la directive 2011/7. Selon le paragraphe 1, de cette directive, le montant forfaitaire est un minimum. Selon l’article 6, paragraphe 2, de ladite directive, ce montant est exigible sans rappel et vise à indemniser les frais du créancier. Selon l’article 6, paragraphe 3, de la même directive, les « autres » frais (à savoir autres que ceux couverts par le montant forfaitaire) peuvent être réclamés par le créancier de façon à ce qu’intervienne leur « indemnisation raisonnable ».
43. En outre, ainsi que le relève le gouvernement tchèque, une catégorisation des frais ne saurait pas non plus être déduite de l’énumération, donnée à titre d’exemple, des frais que le créancier peut démontrer conformément à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2011/7. En effet, cette énumération, introduite dans le texte de la directive sur la base des amendements du Parlement, visait uniquement à expliquer de quels frais il pouvait être question (17) et non à modifier la règle fondamentale applicable jusqu’alors sous la directive 2000/35, à savoir que le créancier a droit à une indemnisation raisonnable de tous les frais. Peut-être cet exemple faisait-il écho à l’arrêt du 10 mars 2005, QDQ Media (C‑235/03, EU:C:2005:147) (voir points 19 et 21 des présentes conclusions).
44. Enfin, la catégorisation des frais aboutirait en outre à un paradoxe. Je pense (comme le gouvernement tchèque) qu’en cas de retard de paiement le créancier ne pourrait alors obtenir, au titre du recouvrement de sa créance avec l’aide d’un juriste de son entreprise, qu’une indemnisation forfaitaire de 40 euros, quand bien même il serait en mesure de démontrer que ses frais étaient effectivement supérieurs. En revanche, dans le cas d’un recours aux services d’un avocat extérieur, une indemnisation raisonnable de tous les frais serait possible en sus des 40 euros forfaitaires au titre des frais internes du créancier. Une telle interprétation aboutirait donc à une différence de traitement injustifiée de situations comparables. En outre, une telle interprétation inciterait en pratique le créancier à recourir aux services externes d’un avocat en lieu et place des services de ses propres juristes normalement moins onéreux. En d’autres termes, une catégorisation des frais pourrait entraîner une augmentation artificielle et injustifiée des créances faisant l’objet d’un retard de paiement, voire à une surcompensation.
45. En conclusion, je pense que les frais visés à l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2011/7 sont les frais « autres » que ceux couverts par le montant forfaitaire et que, dès lors, un créancier peut fort bien être indemnisé de frais « internes » ou « administratifs » s’ils dépassent ce montant.
46. Par ailleurs, le montant forfaitaire de 40 euros est exigible sans qu’il soit nécessaire de justifier les frais encourus (« sans qu’un rappel soit nécessaire », aux termes de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2011/7), qu’ils soient « internes » ou non, et ce à l’inverse des autres montants qui doivent être justifiés.
47. À ce sujet, la directive 2011/7 ne précise pas comment, à la suite d’un retard de paiement du débiteur, le créancier doit faire valoir et justifier les frais de recouvrement encourus venant en sus du montant forfaitaire de 40 euros, pour lesquels l’article 6, paragraphe 3, de cette directive lui assure un droit à indemnisation. L’adoption de ces modalités est laissée à l’appréciation du législateur national qui peut, conformément à l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2011/7, « maintenir ou adopter des dispositions plus favorables au créancier que celles nécessaires pour se conformer à la présente directive ».
V. Conclusion
48. Pour ces raisons, je propose à la Cour de répondre ainsi à la question préjudicielle posée par l’Okresní soud v Českých Budějovicích (tribunal de district de České Budějovice, République tchèque) :
L’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales doit être interprété en ce sens que le créancier est en droit d’obtenir du débiteur le paiement d’un montant forfaitaire de 40 euros ainsi que le remboursement de tous les frais de recouvrement encourus par suite d’un retard de paiement du débiteur, mais uniquement pour la partie de ces frais venant en sus dudit montant forfaitaire de 40 euros.
1 Langue originale : le français.
2 Directive du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (JO 2011, L 48, p. 1).
3 Plusieurs arrêts portent sur l’interprétation d’autres dispositions de cette directive : notamment, arrêt du 26 février 2015, Federconsorzi et Liquidazione giudiziale dei beni ceduti ai creditori della Federconsorzi (C‑104/14, EU:C:2015:125) (sur l’interprétation des articles 7 et 12 de ladite directive) ; arrêt du 16 février 2017, IOS Finance EFC (C‑555/14, EU:C:2017:121) (sur la compatibilité avec cette directive, et notamment l’article 7, paragraphes 2 et 3, d’une réglementation nationale qui permet au créancier de renoncer à exiger les intérêts pour retard de paiement et l’indemnisation pour les frais de recouvrement en contrepartie du paiement immédiat du montant principal de créances exigibles), et arrêt du 1er juin 2017, Zarski (C‑330/16, EU:C:2017:418) (en substance, sur l’interprétation de l’article 12 de ladite directive relatif à sa transposition). Est, par ailleurs, pendante devant la Cour l’affaire Gambietz (C‑131/18), portant sur l’article 6, paragraphe 3, de la directive 2011/7 et concernant un cas de figure semblable à la présente affaire.
4 Directive du Parlement européen et du Conseil du 29 juin 2000 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (JO 2000, L 200, p. 35).
5 Arrêt du 16 février 2017, IOS Finance EFC (C-555/14, EU:C:2017:121, point 24).
6 Voir, à propos de la directive 2000/35, arrêt du 15 décembre 2016, Nemec (C‑256/15, EU:C:2016:954, point 50).
7 Le considérant 19 de la directive 2011/7 parle d’indemnisation équitable.
8 Voir considérant 12 de la directive 2011/7, in fine, selon lequel la directive « devrait prévoir notamment que l’exclusion du droit à l’indemnisation pour les frais de recouvrement est présumée être un abus manifeste ».
9 Contrairement à ce que pourrait faire croire le considérant 20 de ladite directive en parlant, sans définir ces termes, de « frais internes » et d’« autres frais ». J’y reviendrai.
10 Tel est le cas de l’Irlande, dont la législation nationale [Statutory Instrument No. 580/2012 – European Communities (Late Payment in Commercial Transactions) Regulations 2012 (instrument réglementaire n° 580/2012 – Union européenne (retard de paiement dans les transactions commerciales) règlement 2012] prévoit un montant forfaitaire de 40 euros si l’impayé est inférieur à 1 000 euros, un montant forfaitaire de 70 euros si l’impayé est compris entre 1 000 et 10 000 euros, et un montant forfaitaire de 100 euros si l’impayé est supérieur à 10 000 euros.
11 Arrêt du 19 juin 2014, Karen Millen FashionsKaren Millen FashionsKaren Millen FashionsKaren Millen Fashions (C‑345/13, EU:C:2014:2013, point 31).
12 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, 2009/0054(COD), p. 7. De plus, « la refonte de la directive [2000/35] vise à améliorer l’efficacité et le rapport coût/efficacité des recours en cas de retard de paiement par l’ajout de dispositions donnant droit à recouvrer les frais administratifsexposés et à obtenir un dédommagement pour les coûts internesliés aux retards de paiement » (voir ladite proposition de directive, p. 5).
13 Rapport sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, A7-0136/2010, p. 21.
14 Position du Parlement européen arrêtée en première lecture le 20 octobre 2010 en vue de l’adoption de la directive 2011/…/UE du Parlement européen et du Conseil concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (refonte), EP-PE_TC1-COD(2009)0054.
15 D’autres versions linguistiques du considérant 20 n’utilisent pas le mot « autres » mais, comme la version en langue néerlandaise, le mot « overige », la version en langue italienne le mot « restanti », et la version en langue espagnole le mot « demás », ce qui ne suggère aucune différence de type de frais. D’autres versions linguistiques du texte de la directive n’opposent pas les uns et les « autres » frais. La version en langue anglaise utilise le mot « any », la version en langue italienne le mot « ogni », la version en langue néerlandaise le mot « alle », la version en langue espagnole le mot « todos », et la version en langue grecque le mot « οποιαδήποτε ». Bien plus que le mot « autres », ces versions linguistiques visent tous les frais ou chacun d’entre eux.
16 Le gouvernement tchèque et la Commission s’opposent également à cette catégorisation des frais, chacune d’entre elles faisant l’objet d’un régime différent, ce qui aboutirait à des discriminations injustifiées.
17 Voir amendements du 15 octobre 2010 déposés par la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs (document du Parlement nº A7-0136/2010 ; voir amendement no 30).
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