Balgarska natsionalna televizia (Judgment) French Text [2021] EUECJ C-21/20 (16 September 2021)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2021/C2120.html
Cite as: ECLI:EU:C:2021:743, [2021] EUECJ C-21/20, EU:C:2021:743

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ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

16 septembre 2021 (*)

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Champ d’application – Article 2, paragraphe 1, sous c) – Prestation de services effectuée à titre onéreux – Exclusion des services de médias audiovisuels offerts aux téléspectateurs financés par une subvention publique et ne donnant lieu à aucune rémunération par les téléspectateurs – Article 168 – Droit à déduction – Assujetti effectuant à la fois des opérations imposables et des opérations ne relevant pas du champ d’application de la TVA »

Dans l’affaire C‑21/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie), par décision du 31 décembre 2019, parvenue à la Cour le 17 janvier 2020, dans la procédure

Balgarska natsionalna televizia

contre

Direktor na Direktsia „Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika“– Sofia pri Tsentralno upravlenie na NAP,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, MM. N. Piçarra, D. Šváby, S. Rodin et Mme K. Jürimäe (rapporteure), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. M. Aleksejev, chef d’unité,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour la Balgarska natsionalna televizia, par M. M. Raykov et Mme I. Dimitrova, advokati,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. S. Jiménez García, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, initialement par Mmes C. Georgieva et N. Gossement, puis par Mmes C. Georgieva et L. Lozano Palacios, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 mars 2021,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de l’article 132, paragraphe 1, sous q), et de l’article 168 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Balgarska natsionalna televizia (télévision nationale bulgare, ci-après la « BNT ») au Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » – Sofia pri Tsentralno upravlenie na Natsionalnata agentsia za prihodite [directeur de la direction « Recours et pratique en matière de fiscalité et de sécurité sociale » de la ville de Sofia auprès de l’administration centrale de l’agence nationale des recettes publiques (NAP), Bulgarie] (ci-après le « directeur ») au sujet de l’étendue du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de la BNT.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA :

« Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

[...]

c)      les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ».

4        L’article 25, sous c), de cette directive dispose :

« Une prestation de services peut consister, entre autres, en une des opérations suivantes :

[...]

c)      l’exécution d’un service en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi. »

5        L’article 132, paragraphe 1, sous q), de ladite directive est libellé comme suit :

« Les États membres exonèrent les opérations suivantes :

[...]

q)      les activités des organismes publics de radiotélévision autres que celles ayant un caractère commercial. »

6        L’article 168 de la même directive énonce :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

7        Les articles 173 à 175 de la directive TVA énoncent les règles régissant le calcul du prorata de déduction.

8        Dans ce contexte, l’article 173, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« En ce qui concerne les biens et les services utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations ouvrant droit à déduction visées aux articles 168, 169 et 170 et des opérations n’ouvrant pas droit à déduction, la déduction n’est admise que pour la partie de la TVA qui est proportionnelle au montant afférent aux premières opérations.

Le prorata de déduction est déterminé, conformément aux articles 174 et 175, pour l’ensemble des opérations effectuées par l’assujetti. »

 Le droit bulgare

9        Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, du zakon za danak varhu dobavenata stoynost (loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée), du 21 juillet 2006 (DV no 63, du 4 août 2006, p. 8), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « ZDDS ») :

« Sont soumises à la [TVA] :

1.      toute livraison de bien et toute prestation de service imposables effectuées à titre onéreux [...] »

10      L’article 3 du ZDDS dispose :

« (1)      Est considéré comme assujetti quiconque exerce une activité économique indépendante, quels qu’en soient la finalité ou les résultats.

[...]

(5)      Ne sont pas assujettis l’État et les autorités étatiques et locales pour toutes leurs activités ou leurs opérations en leur qualité d’organe de l’État ou de pouvoir local, y compris lorsqu’ils collectent des taxes, charges ou redevances pour ces activités ou opérations, à l’exception :

1.      des activités ou des opérations suivantes :

[...]

n)      l’activité radiophonique et de radiodiffusion télévisuelle à caractère commercial [...] »

11      L’article 42, paragraphe 2, du ZDDS prévoit :

« Constituent des opérations exonérées :

[...]

2.      L’activité de la Radio nationale bulgare, de la [BNT] et de l’Agence bulgare des télégraphes, pour laquelle ces entités reçoivent des paiements provenant du budget étatique. »

12      Aux termes de l’article 69, paragraphe 1, du ZDDS :

« Lorsque les biens et les services sont utilisés pour les besoins des opérations imposables effectuées par l’assujetti immatriculé, celui-ci est autorisé à déduire :

1.      la taxe sur les biens ou les services que le fournisseur, lorsque celui-ci est aussi un assujetti immatriculé conformément à la présente loi, lui a livrés ou fournis ou doit lui livrer ou fournir [...] »

13      L’article 73, paragraphe 1, du ZDDS énonce :

« Une personne immatriculée a le droit de déduire partiellement la TVA en amont en ce qui concerne la taxe sur les biens ou les services qui sont utilisés tant pour des opérations pour lesquelles cette personne a droit à la déduction que pour les opérations ou activités pour lesquelles cette personne n’a pas ce droit. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

14      La BNT est une personne morale, fournisseur public national de services de médias audiovisuels. Conformément au zakon za radioto i televisiyata (loi relative à la radio et à la télévision), du 23 septembre 1998 (DV no 138, du 24 novembre 1998), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « ZRT »), la BNT assure, notamment, la fourniture de services de médias à tous les citoyens bulgares.

15      La BNT ne perçoit aucune rémunération de ses téléspectateurs.

16      Son activité est financée, conformément au ZRT, par une subvention provenant du budget de l’État, laquelle est destinée à la préparation, à la création et à la diffusion d’émissions nationales et régionales. Le montant de cette subvention est déterminé sur la base d’un forfait réglementaire par heure de programmation, avalisé en Conseil des ministres. En outre, la BNT reçoit des subventions à objectifs prédéterminés, destinées à l’acquisition et à la rénovation en profondeur des actifs immobilisés suivant une liste avalisée annuellement par le ministre des Finances.

17      L’activité de la BNT est également financée par des revenus propres provenant de la publicité et de parrainages, par des revenus issus d’activités complémentaires liées à l’activité télévisuelle, par des dons et des legs, par des intérêts et par d’autres revenus liés à l’activité télévisuelle.

18      Jusqu’au mois de mars 2015, la BNT déduisait partiellement la TVA en amont pour tous les achats qu’elle effectuait. Par la suite, elle a appliqué la méthode dite de l’« allocation directe », prenant en considération isolément chaque achat qu’elle effectuait, selon qu’il était utilisé, ou susceptible de l’être, pour une activité à caractère « commercial », telle que des émissions de divertissements, des films ou des émissions sportives, ou bien pour une activité liée à l’exercice de ses « fonctions publiques », telle que la diffusion des séances du contrôle parlementaire, la retransmission de cérémonies religieuses ou de campagnes électorales. La BNT considérait, par ailleurs, que son activité de diffusion d’émissions de télévision constituait non pas une « opération exonérée », au sens du ZDDS, mais une activité qui ne relevait pas de la TVA, et que seule son activité à caractère « commercial » relevait de cette taxe.

19      En application de cette méthode, la BNT déduisait intégralement la TVA en amont pour les achats effectués aux fins de ses activités à caractère « commercial ». Elle déduisait partiellement la TVA en amont pour des achats utilisés à la fois pour des activités à caractère « commercial » et pour des activités dépourvues d’un tel caractère.

20      À la suite d’un contrôle fiscal portant sur la période allant du 1er septembre 2015 au 31 mars 2016, les autorités fiscales bulgares ont, par avis de redressement fiscal du 14 décembre 2016, refusé de reconnaître un droit à déduction intégrale pour les achats de la BNT et constaté, à la charge de cette dernière, une dette de TVA s’élevant, pour cette période, à un montant de 1 568 037,04 leva bulgares (BGN) (environ 801 455 euros), assorti d’intérêts.

21      Selon ces autorités, l’activité publicitaire de la BNT était imposable, tandis que son activité de diffusion de programmes relevait d’opérations exonérées. Or, la BNT ne pourrait déduire intégralement la TVA en amont, étant donné qu’il était impossible de déterminer si les achats effectués aux fins de son activité économique étaient destinés à des opérations soumises à la TVA ou à des opérations qui, selon lesdites autorités, étaient exonérées de la TVA. La BNT pourrait déduire intégralement la TVA en amont pour ces achats seulement si les activités de diffusion d’émissions sportives, de création et de diffusion de programmes de divertissement ainsi que de diffusion de films étrangers étaient intégralement financées par des recettes publicitaires et non pas par des subventions provenant du budget de l’État. Tel ne serait pas le cas en l’espèce.

22      Par décision du 27 février 2017, le directeur a rejeté la réclamation introduite par la BNT contre l’avis de redressement fiscal du 14 décembre 2016.

23      La BNT a alors formé un recours contre cette décision devant l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie), la juridiction de renvoi.

24      Cette juridiction estime que, aux fins de statuer sur le litige au principal, il est nécessaire de déterminer si l’activité de diffusion d’émissions par la BNT, en tant qu’opérateur public auquel le ZRT attribue des fonctions spécifiques et recevant des subventions du budget de l’État, constitue une prestation de services effectuée à titre onéreux, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, mais exonérée de la TVA en vertu de l’article 132, paragraphe 1, sous q), de cette directive, ou si elle ne constitue pas une opération imposable relevant du champ d’application de ladite directive. Selon ladite juridiction, la réponse à cette question permettra d’établir si une telle activité de diffusion doit être prise en compte pour déterminer le droit à déduction de la TVA en amont pour les opérations imposables dont la BNT est le destinataire.

25      La juridiction de renvoi ajoute que si, dans l’arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas (C‑11/15, EU:C:2016:470), la Cour a examiné la question de savoir si l’activité de la radiodiffusion publique de la radio nationale tchèque, pour laquelle cette dernière percevait des redevances versées par les personnes propriétaires ou détentrices d’un récepteur de radio, constituait une activité effectuée à titre onéreux, la Cour n’a pas encore statué sur l’activité de la télévision publique financée par des subventions provenant du budget de l’État.

26      La juridiction de renvoi précise également que si, dans son arrêt du 27 mars 2014, Le Rayon d’Or (C‑151/13, EU:C:2014:185), la Cour s’est prononcée sur la question de savoir si un versement forfaitaire, effectué par une caisse nationale d’assurance maladie, entre dans le champ d’application de la TVA, il ne saurait en être déduit de réponse univoque pour les besoins du litige au principal.

27      En outre, dans l’hypothèse où il y aurait lieu de considérer que l’activité de la BNT a une double nature, à savoir qu’elle inclurait tant des opérations exonérées que des opérations imposables, la juridiction de renvoi se demande si seule est déductible la partie de la TVA payée en amont qui peut être considérée comme étant liée à la partie de son activité ayant un caractère « commercial ». Par ailleurs, dans une telle hypothèse, cette juridiction s’interroge sur la question de savoir selon quels critères il conviendrait de déterminer l’étendue du droit à déduction.

28      C’est dans ces circonstances que l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’activité de la télévision publique consistant à fournir aux téléspectateurs des services de médias audiovisuels, dans le cas où elle est financée par l’État moyennant une subvention, les téléspectateurs ne payant aucune redevance pour la diffusion télévisuelle, peut-elle être considérée comme une prestation de services effectuée à titre onéreux, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la [directive TVA], ou faut-il considérer qu’elle ne constitue pas une prestation de services à titre onéreux, au sens de cette disposition, et ne relève pas du champ d’application de cette directive ?

2)      Dans le cas où il serait répondu que les services de médias audiovisuels fournis aux téléspectateurs par la télévision publique relèvent du champ d’application de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la [directive TVA], peut-on considérer qu’il s’agit d’opérations exonérées, au sens de l’article 132, paragraphe 1, sous q), de cette directive, et une réglementation nationale qui exonère cette activité seulement parce que, pour l’exercer, la télévision publique perçoit des paiements provenant du budget de l’État, indépendamment du fait de savoir si cette activité a également un caractère commercial, est-elle licite ?

3)      L’article 168 de la [directive TVA] permet-il la pratique consistant à faire dépendre la déduction intégrale de la TVA en amont pour des achats, non seulement de la destination de ces achats (aux fins d’une activité imposable ou non), mais également du mode de financement de ces derniers, et notamment si lesdits achats sont financés à la fois par des revenus propres (services publicitaires ou autres) et par des subventions étatiques, et de n’admettre le droit à déduction intégrale de la TVA en amont que pour les achats financés par des revenus propres, mais pas pour ceux financés par des subventions étatiques, en exigeant que ces achats soient distingués ?

4)      Dans le cas où il serait jugé que l’activité de la télévision publique se compose tant d’opérations imposables que d’opérations exonérées, eu égard à son mode de financement mixte, quelle est l’étendue du droit à déduction de la TVA en amont et quels critères faut-il appliquer aux fins de sa détermination [?] »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

29      Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que l’activité d’un fournisseur public national de télévision, qui consiste à fournir aux téléspectateurs des services de médias audiovisuels, qui est financée par l’État moyennant une subvention et qui ne donne lieu au paiement d’aucune redevance pour la diffusion télévisuelle par les téléspectateurs, constitue une prestation de services effectuée à titre onéreux, au sens de cette disposition.

30      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, qui définit le champ d’application de la TVA, sont soumises à cette taxe les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.

31      Une prestation de services n’est effectuée « à titre onéreux », au sens de cette disposition, que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique dans le cadre duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre‑valeur effective d’un service individualisable fourni au bénéficiaire. Tel est le cas s’il existe un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue (voir, en ce sens, arrêts du 8 mars 1988, Apple and Pear Development Council, 102/86, EU:C:1988:120, points 11, 12 et 16 ; du 22 juin 2016, Český rozhlas, C‑11/15, EU:C:2016:470, point 22, ainsi que du 22 novembre 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia, C‑295/17, EU:C:2018:942, point 39).

32      S’agissant des services de médias audiovisuels qui sont prestés, par un fournisseur public national, aux téléspectateurs, qui sont financés par l’État moyennant une subvention et qui ne donnent lieu au paiement d’aucune redevance par les téléspectateurs, il n’existe pas de rapport juridique entre ce fournisseur et ces téléspectateurs au cours duquel des prestations réciproques seraient échangées, ni de lien direct entre ces services de médias audiovisuels et cette subvention (voir, par analogie, arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas, C‑11/15, EU:C:2016:470, point 23).

33      En effet, tout d’abord, il y a lieu d’observer que, dans le cadre de la fourniture desdits services, ledit fournisseur et lesdits téléspectateurs ne sont liés par aucune relation contractuelle ou transaction comportant stipulation d’un prix, ni même par un engagement juridique librement consenti par l’un envers l’autre. Aussi, l’accès des mêmes téléspectateurs aux services de médias audiovisuels fournis par le même fournisseur est libre et l’activité concernée bénéficie, de façon générale, à l’ensemble des téléspectateurs potentiels.

34      Ensuite, il convient de relever que la subvention de même que l’activité subventionnée sont organisées sur le fondement de la loi. L’octroi de la subvention, qui est destinée à financer, de manière générale, les activités du fournisseur public national, consistant en la préparation, en la création et en la diffusion d’émissions nationales et régionales et qui est déterminée par référence à un forfait réglementaire par heure de programmation, est indépendant de l’utilisation effective, par les téléspectateurs, des services de médias audiovisuels prestés, de l’identité ou encore du nombre concret de téléspectateurs pour chaque programme.

35      En outre, s’agissant des interrogations de la juridiction de renvoi fondées sur le parallèle pouvant être effectué entre la situation en cause au principal et celle à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 mars 2014, Le Rayon d’Or (C‑151/13, EU:C:2014:185), il y a lieu de constater que ces situations ne sont pas comparables.

36      L’affaire ayant donné lieu à cet arrêt portait sur le caractère imposable d’un « forfait soins » qu’une caisse nationale d’assurance maladie versait à des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes pour la fourniture de prestations de services de soins à leurs résidents et dont le calcul tenait notamment compte du nombre de résidents accueillis dans chaque établissement et de leur niveau de dépendance. Dans ledit arrêt, la Cour a jugé qu’un lien direct existait entre les prestations de services fournies par ces établissements à leurs résidents et la contrepartie reçue, à savoir ce « forfait soins », de telle sorte qu’un tel versement forfaitaire constituait la contrepartie des prestations de soins effectuées à titre onéreux par l’un desdits établissements au profit de ses résidents et relevait, à ce titre, du champ d’application de la TVA. Elle a précisé, à cet égard, que le fait que le bénéficiaire direct des prestations de services en cause soit non pas la caisse nationale d’assurance maladie qui verse le forfait, mais l’assuré de celle‑ci n’est pas de nature à rompre le lien direct existant entre la prestation de services effectuée et la contrepartie reçue (arrêt du 27 mars 2014, Le Rayon d’Or, C‑151/13, EU:C:2014:185, point 35).

37      Or, en l’occurrence, il n’existe pas entre l’État, qui verse une subvention en provenance de son budget aux fins de financer des services de médias audiovisuels, et les téléspectateurs, qui bénéficient de ces services, de relation analogue à celle existant entre une caisse de maladie et ses assurés. En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 33 du présent arrêt, lesdits services bénéficient non pas à des personnes susceptibles d’être clairement identifiées, mais à l’ensemble des téléspectateurs potentiels. En outre, c’est par référence à un forfait réglementaire par heure de programmation et sans nulle prise en considération de l’identité et du nombre des utilisateurs du service fourni que le montant de la subvention concernée est déterminé.

38      Enfin, aucune conclusion différente ne saurait être tirée de l’article 25, sous c), de la directive TVA. Certes, en vertu de cette disposition, une prestation de services peut consister, notamment, en l’exécution d’un service en vertu d’une réquisition faite par l’autorité publique ou en son nom ou aux termes de la loi. Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 35 et 36 de ses conclusions, cette disposition, qui se limite à préciser qu’une prestation de services « peut » prendre une telle forme, ne saurait servir de base pour soumettre à la TVA des prestations de services qui ne seraient pas effectuées à titre onéreux, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de cette directive.

39      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA doit être interprété en ce sens que l’activité d’un fournisseur public national de télévision, qui consiste à fournir aux téléspectateurs des services de médias audiovisuels, qui est financée par l’État moyennant une subvention et qui ne donne lieu au paiement d’aucune redevance pour la diffusion télévisuelle par les téléspectateurs, ne constitue pas une prestation de services effectuée à titre onéreux, au sens de cette disposition.

 Sur la deuxième question

40      La deuxième question, qui porte sur l’interprétation de l’article 132, paragraphe 1, sous q), de la directive TVA, concerne le cas où l’activité visée par la première question doit être qualifiée de prestation de services effectuée à titre onéreux, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de cette directive, et tend, en substance, à savoir si une telle prestation est exonérée.

41      Or, d’une part, il découle de la réponse à la première question qu’une telle activité ne relève pas de la notion de « prestation de services effectuée à titre onéreux », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de ladite directive, de telle sorte qu’elle ne constitue pas une opération imposable, au sens de la même directive.

42      D’autre part, il convient de rappeler que l’article 132, paragraphe 1, sous q), de la directive TVA, qui prévoit l’exonération des « activités des organismes publics de radiotélévision autres que celles ayant un caractère commercial », n’est applicable qu’à la condition que ces activités soient « soumises à la TVA », au sens de l’article 2 de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas, C‑11/15, EU:C:2016:470, point 32).

43      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

 Sur les troisième et quatrième questions

44      À titre liminaire, il convient d’observer qu’il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que les troisième et quatrième questions, qui se rapportent au droit à déduction de la TVA payée en amont, concernent le cas où l’activité d’un fournisseur public national de télévision, qui consiste à fournir aux téléspectateurs des services de médias audiovisuels, qui est financée par l’État moyennant une subvention et qui ne donne lieu au paiement d’aucune redevance pour la diffusion télévisuelle par les téléspectateurs, doit être qualifiée de prestation de services effectuée à titre onéreux et, partant, d’opération imposable, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA. La juridiction de renvoi cherche ainsi à être éclairée quant à la détermination de l’étendue du droit à déduction de la TVA payée en amont par un assujetti effectuant à la fois des opérations imposables et des opérations exonérées.

45      Or, il ressort de la réponse à la première question que cette activité ne constitue pas une prestation de services effectuée à titre onéreux, au sens de cette disposition.

46      Toutefois, il convient de rappeler qu’il est de jurisprudence constante que, dans le cadre de la coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée par l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises [arrêts du 5 mars 2020, X (Exonération de TVA pour des consultations téléphoniques), C‑48/19, EU:C:2020:169, point 35, ainsi que du 25 novembre 2020, SABAM, C‑372/19, EU:C:2020:959, point 20 et jurisprudence citée].

47      Dans ces conditions, et afin de donner à la juridiction de renvoi une réponse utile et complète, il convient de reformuler les troisième et quatrième questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, en ce sens que, par ces questions, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 168 de la directive TVA doit être interprété en ce sens que le fournisseur public national de télévision est autorisé à déduire, intégralement ou partiellement, la TVA payée en amont pour des achats de biens et de services utilisés pour les besoins de ses activités ouvrant droit à déduction et ses activités ne relevant pas du champ d’application de la TVA.

48      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental inhérent au système commun de TVA mis en place par la législation de l’Union. Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, ce droit fait partie intégrante du mécanisme de TVA et ne peut, en principe, être limité [voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2016, Senatex, C‑518/14, EU:C:2016:691, points 26 et 37 ainsi que jurisprudence citée, et du 18 mars 2021, A. (Exercice du droit à déduction), C‑895/19, EU:C:2021:216, point 32].

49      Le régime de déduction institué par la directive TVA vise, en effet, à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de celles-ci, à condition que ces activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA [arrêts du 10 novembre 2016, Baštová, C‑432/15, EU:C:2016:855, point 42 et jurisprudence citée, ainsi que du 18 mars 2021, A. (Exercice du droit à déduction), C‑895/19, EU:C:2021:216, point 33].

50      À ce titre, en premier lieu, il résulte de l’article 168 de la directive TVA que, pour pouvoir bénéficier du droit à déduction, il importe, d’une part, que l’intéressé soit un « assujetti », au sens de cette directive, et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder ce droit soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses opérations taxées, et que, en amont, ces biens soient livrés ou ces services soient rendus par un autre assujetti (arrêts du 5 juillet 2018, Marle Participations, C‑320/17, EU:C:2018:537, point 26 et jurisprudence citée, ainsi que du 3 juillet 2019, The Chancellor, Masters and Scholars of the University of Cambridge, C‑316/18, EU:C:2019:559, point 23).

51      En revanche, lorsque des biens ou des services acquis par un assujetti ont un lien avec des opérations exonérées ou ne relevant pas du champ d’application de la TVA, il ne saurait y avoir ni perception de taxe en aval ni déduction de celle-ci en amont (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2017, Iberdrola Inmobiliaria Real Estate Investments, C‑132/16, EU:C:2017:683, point 30, et du 3 juillet 2019, The Chancellor, Masters and Scholars of the University of Cambridge, C‑316/18, EU:C:2019:559, point 24).

52      Il découle de cette jurisprudence que c’est l’utilisation des biens et des services acquis en amont aux fins d’opérations imposables qui justifie la déduction de la TVA payée en amont. En d’autres termes, le mode de financement de tels achats, que ce soit au moyen de revenus issus d’activités économiques ou des subventions reçues du budget de l’État, est sans pertinence pour la détermination du droit à déduction.

53      En second lieu, dans la mesure où un assujetti utiliserait les biens et les services achetés en amont à la fois pour des opérations ouvrant droit à déduction et pour des opérations ne relevant pas du champ d’application de la TVA, il convient encore d’ajouter qu’il découle des articles 173 à 175 de la directive TVA que le calcul d’un prorata de déduction pour déterminer le montant de la TVA déductible est, en principe, réservé aux seuls biens et services utilisés par un assujetti pour effectuer à la fois des opérations économiques ouvrant droit à déduction et celles n’ouvrant pas droit à déduction (voir, en ce sens, arrêts du 14 décembre 2016, Mercedes Benz Italia, C‑378/15, EU:C:2016:950, point 34, et du 25 juillet 2018, Gmina Ryjewo, C‑140/17, EU:C:2018:595, point 57), telles que des opérations exonérées (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, EDM, C‑77/01, EU:C:2004:243, point 73).

54      En revanche, dès lors que la TVA ayant grevé en amont des dépenses encourues par un assujetti ne saurait ouvrir un droit à déduction dans la mesure où elle se rapporte à des activités qui, eu égard à leur caractère non économique, ne tombent pas dans le champ d’application de la directive TVA (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2008, Securenta, C‑437/06, EU:C:2008:166, point 30), de telles activités doivent être exclues du calcul du prorata de déduction visé aux articles 173 à 175 de la directive TVA (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, EDM, C‑77/01, EU:C:2004:243, point 54 et jurisprudence citée).

55      À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que la détermination des méthodes et des critères de ventilation des montants de la TVA payée en amont entre activités économiques et activités non économiques relève du pouvoir d’appréciation des États membres. Dans l’exercice de ce pouvoir, ces derniers doivent tenir compte de la finalité et de l’économie de cette directive et, à ce titre, prévoir un mode de calcul reflétant objectivement la part d’imputation réelle des dépenses en amont à chacune de ces deux activités (arrêts du 6 septembre 2012, Portugal Telecom, C‑496/11, EU:C:2012:557, point 42, et du 25 juillet 2018, Gmina Ryjewo, C‑140/17, EU:C:2018:595, point 58), afin de garantir que la déduction ne s’effectue que pour la partie de la TVA qui est proportionnelle au montant afférent aux opérations ouvrant droit à déduction (voir, en ce sens, arrêts du 13 mars 2008, Securenta, C‑437/06, EU:C:2008:166, point 37, et du 12 novembre 2020, Sonaecom, C‑42/19, EU:C:2020:913, point 47).

56      Dans le cadre de l’exercice de ce pouvoir d’appréciation, les États membres sont habilités à appliquer toute clé de répartition appropriée, telle qu’une clé de répartition selon la nature de l’opération, sans être obligés de se limiter à une seule méthode particulière (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2008, Securenta, C‑437/06, EU:C:2008:166, point 38).

57      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux troisième et quatrième questions que l’article 168 de la directive TVA doit être interprété en ce sens que le fournisseur public national de télévision est autorisé à déduire la TVA payée en amont pour des achats de biens et de services utilisés pour les besoins de ses activités ouvrant droit à déduction et qu’il n’est pas autorisé à déduire la TVA payée en amont pour des achats de biens et de services utilisés pour les besoins de ses activités ne relevant pas du champ d’application de la TVA. Il appartient aux États membres de déterminer les méthodes et les critères de ventilation des montants de la TVA payée en amont entre opérations imposables et opérations ne relevant pas du champ d’application de la TVA, en tenant compte de la finalité et de l’économie de cette directive dans le respect du principe de proportionnalité.

 Sur les dépens

58      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doit être interprété en ce sens que l’activité d’un fournisseur public national de télévision, qui consiste à fournir aux téléspectateurs des services de médias audiovisuels, qui est financée par l’État moyennant une subvention et qui ne donne lieu au paiement d’aucune redevance pour la diffusion télévisuelle par les téléspectateurs, ne constitue pas une prestation de services effectuée à titre onéreux, au sens de cette disposition.

2)      L’article 168 de la directive 2006/112 doit être interprété en ce sens que le fournisseur public national de télévision est autorisé à déduire la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) payée en amont pour des achats de biens et de services utilisés pour les besoins de ses activités ouvrant droit à déduction et qu’il n’est pas autorisé à déduire la TVA payée en amont pour des achats de biens et de services utilisés pour les besoins de ses activités ne relevant pas du champ d’application de la TVA. Il appartient aux États membres de déterminer les méthodes et les critères de ventilation des montants de la TVA payée en amont entre opérations imposables et opérations ne relevant pas du champ d’application de la TVA, en tenant compte de la finalité et de l’économie de cette directive dans le respect du principe de proportionnalité.

Signatures


*      Langue de procédure : le bulgare.

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