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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> G.S. (Menace pour l'ordre public) (Justice and home affairs - Opinion) French Text [2019] EUECJ C-381/18_O (11 July 2019) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2019/C38118_O.html Cite as: EU:C:2019:608, [2019] EUECJ C-381/18_O, ECLI:EU:C:2019:608 |
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Édition provisoire
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. GIOVANNI PITRUZZELLA
présentées le 11 juillet 2019 (1)
Affaires jointes C‑381/18 et C‑382/18
G.S. (C‑381/18)
V.G. (C‑382/18)
contre
Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid
[demande de décision préjudicielle formée par le Raad van State (Conseil d’État, Pays‑Bas)]
« Renvoi préjudiciel – Contrôles aux frontières, asile et immigration – Politique d’immigration – Droit au regroupement familial – Conditions requises pour l’exercice du droit au regroupement familial – Retrait d’un titre de séjour d’un membre de la famille ou refus de le renouveler pour des raisons d’ordre public – Notion de “raisons d’ordre public” »
1. Si la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (2), peut imposer des obligations positives précises aux États membres auxquelles correspondent des droits subjectifs clairement définis (3), elle permet également à ces mêmes États de refuser, dans certains cas, le regroupement familial. Se pose alors la question de savoir dans quelles limites leur marge d’appréciation doit s’exercer. Dans les deux présentes affaires jointes, il est demandé à la Cour de déterminer si, lorsqu’elles adoptent une décision de rejet d’une demande d’entrée sur le territoire de l’Union, une décision de retrait ou une décision de non-renouvellement d’une autorisation de séjour pour des raisons liées à l’ordre public, les autorités nationales doivent se fonder sur le comportement personnel du ressortissant d’État tiers, membre de la famille d’un autre ressortissant d’État tiers déjà légalement présent sur le territoire de l’Union, et si ce comportement doit nécessairement être constitutif d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société.
I. Le cadre juridique
A. La directive 2003/86
2. L’article 3, paragraphe 3, de la directive 2003/86 prévoit que « [l]a présente directive ne s’applique pas aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union ».
3. L’article 6, paragraphes 1 et 2, de cette directive est libellé comme suit :
« 1. Les États membres peuvent rejeter une demande d’entrée et de séjour d’un des membres de la famille pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.
2. Les États membres peuvent retirer le titre de séjour d’un membre de la famille ou refuser de le renouveler pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.
Lorsqu’ils prennent une telle décision, les États membres tiennent compte, outre de l’article 17, de la gravité ou de la nature de l’infraction à l’ordre public ou à la sécurité publique commise par le membre de la famille, ou des dangers que cette personne est susceptible de causer. »
4. L’article 17 de ladite directive énonce que « [l]es États membres prennent dûment en considération la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l’État membre, ainsi que l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d’origine, dans les cas de rejet d’une demande, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour, ainsi qu’en cas d’adoption d’une mesure d’éloignement du regroupant ou des membres de sa famille ».
B. Le cadre d’évaluation du droit néerlandais
5. Le cadre d’évaluation du droit national utilisé par les autorités néerlandaises pour statuer sur une demande d’entrée et de séjour d’un ressortissant d’État tiers souhaitant rejoindre le membre de sa famille déjà présent sur le territoire de l’Union résulte de la lecture combinée de l’article 3.77 du Besluit van 23 november 2000 tot uitvoering van de Vreemdelingenwet 2000 (arrêté du 23 novembre 2000 pris en exécution de la loi sur les étrangers de 2000, ci-après le « Vb 2000 ») (4) et de l’article 16, paragraphe 1, sous d), de la Vreemdelingenwet 2000 (loi sur les étrangers de 2000, ci-après la « Vw 2000 ») du 23 novembre 2000 (5). Une telle demande peut être rejetée en raison d’un danger pour l’ordre public si ce ressortissant est condamné pour un crime ou un délit à une peine de travail ou une amende ferme. Il ressort de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C-382/18 que la règle selon laquelle la demande ne peut plus être rejetée lorsque cinq années se sont écoulées depuis la date du dernier crime ou délit ne s’applique pas au ressortissant d’État tiers condamné en état de récidive.
6. Le cadre d’évaluation du droit national utilisé par les autorités néerlandaises lorsqu’elles sont amenées à décider du retrait d’une autorisation de séjour d’un membre de la famille ou du non‑ renouvellement d’une telle autorisation à un membre de la famille au sens de la directive 2003/86 ressort de la lecture combinée de l’article 3.86 du Vb 2000 et de l’article 19 de la Vw 2000. En vertu de ce cadre d’évaluation, une autorisation de séjour aux fins du regroupement familial peut être retirée ou non renouvelée en cas de danger pour l’ordre public si la peine à laquelle le ressortissant d’État tiers souhaitant rejoindre le membre de sa famille présent sur le territoire de l’Union est suffisamment importante par rapport à la durée de son séjour régulier aux Pays-Bas. Ce rapport entre la durée de la peine et la durée du séjour est appelé « échelle mobile » (6).
II. Les litiges au principal et les questions préjudicielles
A. L’affaire C-381/18
7. G.S. est un ressortissant indien titulaire d’une autorisation de séjour ordinaire à durée limitée pour des motifs de regroupement familial aux Pays-Bas depuis 2009. Cette autorisation a été renouvelée le 9 mars 2010 jusqu’au 28 août 2014. En 2012, G.S. a été condamné en Suisse à une peine de quatre ans et trois mois de prison pour chef de participation à un trafic de stupéfiants pour des faits remontant au plus tard au mois de septembre 2010.
8. Par décision du 24 septembre 2015, le staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (secrétaire d’État à la Justice et à la Sécurité, Pays-Bas, ci-après le « secrétaire d’État ») a retiré l’autorisation de séjour ordinaire à durée limitée, rejeté une demande de renouvellement de cette autorisation et prononcé à son égard une interdiction d’entrée. Le 21 octobre 2016, le secrétaire d’État a estimé non fondée la réclamation formée contre la décision de retrait de l’autorisation de séjour provisoire et contre le refus du renouvellement de cette autorisation. Il a, par ailleurs, estimé fondée la réclamation de G.S. formée contre l’interdiction d’entrée prononcée à son égard. Le secrétaire d’État a alors déclaré G.S. indésirable.
9. Le 3 février 2017, le rechtbank Den Haag, zittingsplaats Amsterdam (tribunal de La Haye, siégeant à Amsterdam, Pays-Bas) a jugé que le secrétaire d’État n’était pas tenu, contrairement à ce que soutenait G.S. en se fondant notamment sur les arrêts Zh. et O. (7) et T. (8), de motiver sa décision de retrait de l’autorisation de séjour et son refus de renouveler cette dernière pour des raisons d’ordre public par le fait que le comportement de G.S. constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société. La juridiction de première instance a ainsi jugé que le secrétaire d’État avait satisfait à l’obligation de motivation prévue à l’article 6 de la directive 2003/86 en se référant à la condamnation de G.S. en Suisse et au fait que le délit commis était considéré comme particulièrement grave en raison de son effet sur la société néerlandaise. Elle a également jugé que les exigences de l’article 17 de cette directive avaient été satisfaites.
10. La controverse devant le juge de renvoi porte sur le point de savoir si le retrait ou le refus de renouvellement de l’autorisation de séjour d’un membre de la famille d’un ressortissant d’État tiers présent sur le territoire de l’Union, lorsqu’il est fondé sur l’invocation de raisons d’ordre public, doit être motivé, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2003/86, par le comportement personnel du membre de la famille concerné qui doit constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société. À cet égard, la juridiction de renvoi déduit des arrêts Zh. et O. (9) et T. (10) que la Cour exige une évaluation au cas par cas et restreint la marge d’appréciation des États membres lorsque la décision à venir constitue une dérogation prévue par le droit de l’Union. Or, le cas d’un refus de renouvellement ou d’un retrait d’une autorisation de séjour obtenue à des fins de regroupement familial pourrait s’interpréter comme une décision dérogatoire à la règle de principe que serait la poursuite du regroupement familial. L’objectif de la directive 2003/86 étant de favoriser le regroupement familial, la seule invocation de l’ordre public ne saurait suffire pour motiver une décision de retrait ou de refus de renouvellement d’une autorisation de séjour délivrée au titre du regroupement familial. Il résulterait également de la jurisprudence de la Cour que cette dernière exigerait, en tout état de cause (11), que les autorités se fondent sur le comportement personnel de l’individu qui doit constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société.
11. Toutefois, la juridiction de renvoi note que l’échelle mobile qui guide les autorités néerlandaises dans leur prise de décision apparaît assurer une mise en balance suffisante des intérêts en présence au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après la « Cour EDH ») en particulier telle qu’elle résulte des arrêts Boultif c. Suisse et Üner c. Pays-Bas (12). Selon elle, il résulterait de l’arrêt Parlement/Conseil (13) que la Cour se satisferait d’une telle mise en balance puisqu’elle y aurait jugé que la marge d’appréciation des États membres, dans le cadre de la mise en œuvre des obligations dont sont débiteurs lesdits États aux termes de la directive 2003/86, ne serait pas différente de celle qui leur est reconnue dans la jurisprudence de la Cour EDH relative à l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).
12. C’est dans ces conditions que le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et, par décision parvenue au greffe de la Cour le 11 juin 2018, a adressé les questions préjudicielles suivantes à cette dernière :
« 1) L’article 6, paragraphe 2, de la directive [2003/86] doit-il être interprété en ce sens que la décision de retirer ou de refuser le renouvellement d’un titre de séjour de membre de la famille pour des raisons d’ordre public doit être motivée par le fait que le comportement personnel du membre de la famille concerné constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant l’un des intérêts fondamentaux de la société ?
2) S’il convient de répondre à la première question par la négative, quelles sont les conditions de motivation qui s’appliquent, en vertu de l’article 6, paragraphe 2, de la directive [2003/86], à la décision de retirer ou de refuser le renouvellement d’un titre de séjour de membre de la famille pour des raisons d’ordre public ?
L’article 6, paragraphe 2, de la directive [2003/86] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle un titre de séjour de membre de la famille peut être retiré ou la demande de renouvellement de ce titre peut être rejetée pour des raisons d’ordre public si la peine ou la mesure à laquelle le membre de la famille concerné est condamné est suffisamment importante par rapport à la durée de son séjour régulier aux Pays-Bas [...], une mise en balance des intérêts étant effectuée, conformément aux critères dégagés par la Cour EDH dans les arrêts [Boultif et Üner], entre les intérêts du membre de la famille concerné à exercer aux Pays-Bas le droit au regroupement familial, d’une part, et l’intérêt de l’État néerlandais à protéger l’ordre public, d’autre part ? »
B. L’affaire C-382/18
13. V. G. est un ressortissant arménien ayant séjourné aux Pays‑Bas de 1999 à 2011, en partie de manière régulière. En 2011, il a été remis aux autorités arméniennes en rapport avec des infractions en matière de stupéfiants. Le 28 juillet 2016, l’épouse de V.G., de nationalité néerlandaise et résidant aux Pays-Bas, a introduit auprès du secrétaire d’État une demande d’entrée et d’autorisation de séjour provisoire aux fins du regroupement familial au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2003/86.
14. Par décision du 19 septembre 2016, le secrétaire d’État a, après avoir mis en œuvre le cadre d’évaluation du droit national, refusé l’octroi de l’autorisation demandée pour des raisons d’ordre public. Il s’est fondé notamment sur le fait que V.G. avait été condamné en 2000, 2008 et 2009 à des amendes et en 2010 à une peine de travail. La politique selon laquelle la demande de regroupement familial ne peut plus être rejetée lorsque cinq années se sont écoulées depuis la date du dernier crime ou délit ne s’applique pas à V.G. du fait de sa condamnation en état de récidive. Après avoir mis en balance les différents intérêts en présence en prenant en considération le type d’infractions commises, la nature et la solidité des liens familiaux, la durée de résidence et l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec le pays d’origine de V.G., le secrétaire d’État a estimé que ce dernier représentait un danger pour l’ordre public.
15. Après que le secrétaire d’État a rejeté la réclamation formée par V.G. contre sa décision, ce dernier a introduit un recours devant le rechtbank Den Haag, zittingsplaats Amsterdam (tribunal de La Haye, siégeant à Amsterdam) qui, par jugement rendu le 23 juin 2017, l’a déclaré non fondé. La juridiction de première instance n’a pas accueilli l’argument de V.G. selon lequel la jurisprudence de la Cour exigerait, à chaque fois qu’une décision individuelle de refus d’entrée est motivée par des raisons liées à l’ordre public, de vérifier que le comportement personnel de l’étranger concerné constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société. La juridiction de première instance a notamment jugé que tel ne serait pas le sens de l’arrêt Fahimian (14). Elle a également relevé que l’article 6 de la directive 2003/86 établirait une distinction entre le rejet d’une demande d’entrée et de séjour (article 6, paragraphe 1, de cette directive) et le retrait ou le refus de renouvellement d’un titre de séjour (article 6, paragraphe 2, de ladite directive) qui, seul, exigerait la prise en compte de la gravité ou de la nature de l’infraction à l’ordre public ou des dangers que l’étranger déjà présent sur le territoire de l’Union est susceptible de causer.
16. V.G. a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi. Cette dernière s’interroge en premier lieu sur la compétence de la Cour à répondre à ses questions, étant entendu que la directive 2003/86 ne s’applique pas aux membres de la famille des citoyens de l’Union, conformément à ce que prévoit l’article 3 de cette directive, mais que l’intention du législateur national de la rendre applicable aux situations dans lesquelles le regroupant est un citoyen néerlandais qui n’a pas fait usage de sa liberté de circulation est claire et inconditionnelle. Bien qu’elle estime que la compétence de la Cour à interpréter l’article 6 de la directive 2003/86 dans le cadre de l’affaire C‑382/18 lui permettrait de s’assurer de l’interprétation uniforme de cette disposition, synonyme d’égalité de traitement des situations régies par cette dernière, les doutes de la juridiction de renvoi découlent de l’arrêt Nolan (15), aux termes duquel la Cour a jugé que l’Union n’aurait pas d’intérêt à assurer une telle interprétation uniforme d’un acte dans des situations qui ont été expressément exclues du champ d’application dudit acte par le législateur de l’Union lui-même.
17. À supposer que la Cour se déclare compétente, la juridiction de renvoi se demande ensuite si le refus d’une autorisation d’entrée et de séjour, au titre du regroupement familial reconnu par la directive 2003/86, opposé à un ressortissant d’État tiers, lorsque ledit refus est fondé sur l’invocation de raisons d’ordre public, doit être motivé, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2003/86, par le comportement personnel du membre de la famille souhaitant entrer sur le territoire de l’Union, qui doit constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société. À cet égard, la juridiction de renvoi partage l’analyse développée devant elle par le secrétaire d’État selon laquelle il y aurait lieu de s’inspirer des arrêts Koushkaki (16) et Fahimian (17) pour conclure à l’existence d’une large marge d’appréciation des autorités nationales. Les mêmes évaluations complexes que celles dont il était question dans l’arrêt Koushkaki (18) devraient être menées par lesdites autorités pour décider si une demande d’entrée et de séjour d’un membre de la famille peut être rejetée pour des raisons d’ordre public. Selon la juridiction de renvoi, il existerait une différence entre les décisions adoptées sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2003/86, qui concernent des personnes qui ne sont pas encore présentes sur le territoire de l’Union, et celles adoptées sur le fondement de l’article 6, paragraphe 2, de cette même directive qui, elles, concernent des personnes dont le séjour dans l’Union a déjà été autorisé. Pour ces dernières, parce qu’il s’agirait de mettre fin à une vie de famille déjà existante, des appréciations plus poussées relatives à la nature ou à la gravité des infractions commises à l’ordre public devraient être menées. Or, la situation de V.G. relève de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2003/86. La juridiction de renvoi note que le cadre d’évaluation national qui guide les autorités néerlandaises dans leur prise de décision, sans aller jusqu’à exiger des autorités nationales qu’elles motivent leur décision de refus par le comportement personnel du demandeur qui serait constitutif d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société, apparaît assurer une mise en balance suffisante des intérêts en présence au sens de la jurisprudence de la Cour EDH, en particulier telle qu’elle résulte des arrêts Boultif et Üner. Ainsi, le secrétaire d’État aurait dûment pris en considération les condamnations encourues par V. G. lors de son séjour antérieur aux Pays-Bas et mis en balance, d’une part, son intérêt et celui du membre de sa famille présent sur le territoire de l’Union à mener aux Pays-Bas leur vie de famille et, d’autre part, l’intérêt des Pays-Bas à protéger leur ordre public.
18. La juridiction de renvoi nourrit cependant des doutes quant au bien-fondé d’une telle position en raison d’un autre courant de jurisprudence, incarné par les arrêts Zh. et O. (19), T. (20) et N. (21), dont il résulterait qu’une décision de refus fondée sur l’invocation de l’ordre public exigerait en tout état de cause qu’elle soit motivée par le comportement personnel du membre de la famille concerné qui doit constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société. Une décision dérogeant au droit fondamental au regroupement familial devrait dans ces conditions faire l’objet d’une motivation renforcée (22).
19. C’est dans ces conditions que le Raad van State (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et, par décision parvenue au greffe de la Cour le 11 juin 2018, a adressé les questions préjudicielles suivantes à cette dernière :
« 1) Compte tenu de l’article 3, paragraphe 3, de la directive [2003/86] et de l’arrêt du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638), la Cour dispose-t-elle de la compétence pour répondre aux questions préjudicielles du juge néerlandais relatives à l’interprétation de dispositions de ladite directive dans un litige concernant une demande d’entrée et de séjour d’un membre de la famille d’un regroupant qui a la nationalité néerlandaise, si cette directive a, en droit néerlandais, été déclarée applicable de manière directe et inconditionnelle à ce type de membres de la famille ?
2) L’article 6, paragraphe 1, de la directive [2003/86] doit-il être interprété en ce sens que la décision de rejet d’une demande d’entrée et de séjour d’un membre de la famille pour des raisons d’ordre public doit être motivée par le fait que le comportement personnel du membre de la famille concerné constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant l’un des intérêts fondamentaux de la société ?
3) S’il convient de répondre à la deuxième question par la négative, quelles sont les conditions de motivation qui s’appliquent, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive [2003/86], à la décision de rejeter une demande d’entrée et de séjour d’un membre de la famille pour des raisons d’ordre public ?
L’article 6, paragraphe 1, de la directive [2003/86] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle une demande d’entrée et de séjour d’un membre de la famille peut être rejetée pour des raisons d’ordre public sur la base de condamnations encourues lors d’un séjour antérieur sur le territoire de l’État membre concerné, une mise en balance des intérêts étant effectuée, conformément aux critères dégagés par la Cour EDH dans les arrêts [Boultif] et [Üner], entre les intérêts du membre de la famille et du regroupant concernés à exercer aux Pays-Bas le droit au regroupement familial, d’une part, et l’intérêt de l’État néerlandais à protéger l’ordre public, d’autre part ? »
III. La procédure devant la Cour
20. Par décision du président de la Cour du 3 juillet 2018, les affaires C-381/18 et C-382/18 ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l’arrêt.
21. Des observations écrites ont été déposées par G.S., V.G., les gouvernements néerlandais, allemand, et polonais ainsi que par la Commission européenne.
22. Ont été entendus en leurs plaidoiries, lors de l’audience qui s’est tenue devant la Cour le 2 mai 2019, G.S., V.G., les gouvernements néerlandais et allemand ainsi que la Commission.
IV. Analyse
A. Sur la première question dans l’affaire C-382/18
23. La question de savoir si la Cour est compétente pour interpréter la directive 2003/86 dans des situations telles que celle en cause dans l’affaire C‑382/18 – qui met en présence un regroupant de nationalité néerlandaise qui n’a pas fait usage de sa liberté de circulation et un membre de sa famille ressortissant d’État tiers – alors qu’il ressort d’une lecture combinée des articles 2, sous c), et 3, paragraphe 3, de ladite directive qu’elle ne s’applique pas aux membres de la famille d’un citoyen de l’Union (23), peut être aisément résolue en se référant à l’arrêt C et A (24) qui faisait déjà suite à une saisine de la Cour par la même juridiction de renvoi que dans les présents renvois préjudiciels. Cette dernière indique d’ailleurs, dans sa demande de décision préjudicielle, que les motifs concernant la question de la compétence de la Cour sont largement identiques à ceux de sa demande dans le cadre de l’affaire C et A (25).
24. Il ressort des points 28 à 44 de l’arrêt C et A (26) que, bien que le législateur de l’Union ait explicitement exclu que la directive 2003/86 s’applique à un ressortissant d’État tiers membre de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’a pas fait usage de sa liberté de circulation, la Cour est compétente pour statuer sur une demande de décision préjudicielle dans des situations dans lesquelles, même si les faits au principal ne relèvent pas directement du champ d’application de ce droit, les dispositions dudit droit leur ont été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi direct et inconditionnel opéré par ce dernier au contenu de celles-ci. Dans un tel cas, en effet, il existe un intérêt certain de l’Union à éviter les divergences d’interprétation futures et à assurer une interprétation uniforme des dispositions du droit de l’Union concernées. La Cour a jugé qu’un tel intérêt ne saurait varier « selon que le champ d’application de la disposition pertinente a été délimité au moyen d’une définition positive ou à travers l’établissement de certains cas d’exclusion, ces deux techniques législatives pouvant être utilisées indifféremment » (27).
25. Il est constant que le législateur national a entendu soumettre au respect des prescriptions de la directive 2003/86 les situations de regroupement familial dans lesquelles le regroupant est un citoyen néerlandais qui n’a pas fait usage de sa liberté de circulation et qui souhaite être rejoint sur le territoire national par le membre de sa famille ressortissant d’État tiers. Partant et eu égard aux enseignements tirés de l’arrêt C et A (28), la Cour est compétente, au titre de l’article 267 TFUE, pour interpréter l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2003/86 dans une situation telle que celle en cause au principal dans laquelle la juridiction de renvoi est appelée à se prononcer sur le refus d’une demande d’entrée et de séjour opposé à un ressortissant d’État tiers membre de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’a pas fait usage de sa liberté de circulation dès lors que cette disposition a été rendue applicable à de telles situations de manière directe et inconditionnelle par le droit national.
B. Sur les autres questions préjudicielles
26. Je propose de traiter ensemble les questions soulevées dans les affaires C‑381/18 et C-382/18 en raison de leur thématique commune relative à la détermination de la marge d’appréciation des autorités nationales lorsqu’elles invoquent des raisons liées à l’ordre public soit pour refuser l’entrée, sur le territoire d’un État membre, d’un ressortissant d’État tiers membre de la famille d’un autre ressortissant d’État tiers relevant du champ d’application de la directive 2003/86 (affaire C-382/18) soit pour refuser de renouveler une autorisation de séjour ou retirer une telle autorisation à un tel membre (affaire C‑381/18).
27. Par ailleurs, il résulte de ma compréhension de la seconde question dans l’affaire C-381/18 et de la troisième question dans l’affaire C-382/18 que celles-ci ne portent pas sur l’obligation de motivation en tant que telle mais invitent plutôt la Cour à déterminer les critères qui doivent guider l’appréciation des autorités nationales au moment de prendre les décisions de refus d’entrée, de non‑ renouvellement ou de retrait d’une autorisation de séjour pour des raisons d’ordre public.
28. Je commencerai l’analyse par l’interprétation littérale, historique et téléologique de la directive 2003/86 avant d’examiner l’exigence, en présence d’une condamnation pénale, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société dans la jurisprudence de la Cour. Puis je me pencherai sur les possibles limitations à la marge d’appréciation des autorités nationales qui existent en dehors de l’exigence d’une telle menace avant de tirer les conclusions qui s’imposent pour nos deux affaires.
1. Interprétation littérale, historique et téléologique de la directive 2003/86
29. La directive 2003/86 consacre le droit au regroupement familial des ressortissants d’États tiers installés légalement depuis une certaine durée sur le territoire de l’Union. Sa base juridique est l’article 63, point 3, sous a), CE qui prévoyait l’adoption de « mesures relatives à la politique d’immigration » notamment dans le domaine des « conditions d’entrée et de séjour ainsi que des normes concernant les procédures de délivrance par les États membres de visas et de titres de séjour de longue durée, y compris aux fins de regroupement familial ».
30. Le considérant 2 de la directive 2003/86 rappelle que « les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments de droit international ». En particulier, ce considérant opère un renvoi exprès à l’article 8 de la CEDH, à la lumière duquel cette directive doit donc être lue, ainsi qu’à la lumière de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (29). Ladite directive rappelle également que le regroupement familial est « un moyen nécessaire pour permettre la vie en famille » et « contribue à la création d’une stabilité socioculturelle facilitant l’intégration des ressortissants de pays tiers dans les États membres » (30). Le regroupement familial peut être refusé « pour des raisons dûment justifiées » (31), par exemple lorsque la personne qui souhaite être autorisée à rejoindre l’Union constitue une menace pour l’ordre public (32). Selon les termes de la même directive, la notion d’« ordre public » peut couvrir la condamnation pour infraction grave (33).
31. Selon une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (34).
32. À cet égard, on relèvera que l’article 6 de la directive 2003/86, dont l’interprétation est aujourd’hui sollicitée, relève du chapitre IV de cette directive intitulé « Conditions requises pour l’exercice du droit au regroupement familial ». Le paragraphe 1 de cet article régit les cas de rejet d’une demande d’entrée et de séjour d’un membre de la famille et prévoit que les États membres peuvent rejeter une telle demande pour des raisons d’ordre public. Le paragraphe 2 dudit article régit les cas de retrait ou de refus de renouvellement d’une autorisation délivrée à des fins de regroupement familial en prévoyant que les États membres peuvent retirer une telle autorisation ou en refuser le renouvellement également pour des raisons d’ordre public (35). Ce paragraphe contient une précision supplémentaire imposant aux États membres, dans l’exercice de leur pouvoir décisionnaire, « [de tenir] compte [...] de la gravité ou de la nature de l’infraction à l’ordre public » commise par le membre de la famille ou des dangers que la personne faisant l’objet d’un retrait de l’autorisation ou d’un refus de renouvellement de cette dernière « est susceptible de causer » (36). Ni l’article 6 ni le préambule de la directive 2003/86 ne contiennent de définition des raisons d’ordre public.
33. Il résulte du libellé de l’article 6 de la directive 2003/86 et de sa structure que le législateur de l’Union a entendu régir de manière distincte les cas de refus d’entrée et de séjour par rapport aux cas de retrait d’autorisation ou de non-renouvellement d’autorisation de séjour pour des raisons liées à l’ordre public. Pour autant, il ne ressort pas du texte de cet article que l’un ou l’autre cas soit soumis à l’existence d’un comportement personnel de l’individu concerné qui constituerait un danger réel, actuel et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société. Le recours à l’expression « est susceptible », sans être déterminant, semble plutôt faire référence à une menace plus potentielle que révélée (37).
34. L’interprétation historique de la directive 2003/86 révèle que, si la proposition de directive prévoyait qu’elle fasse explicitement référence à un tel comportement, tel ne fut pas le choix final du législateur de l’Union (38). Ni dans le cas visé par le paragraphe 1 ni dans celui visé par le paragraphe 2 de l’article 6 de cette directive, le législateur n’a eu l’intention de réduire les raisons d’ordre public pouvant être invoquées par les autorités nationales aux seuls cas où le comportement personnel du membre de la famille concerné constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société.
35. Certes, le « Rapport entre la sauvegarde de la sécurité intérieure et le respect des obligations et des instruments internationaux en matière de protection », présenté par la Commission en 2000, peu après qu’elle a dévoilé ses trois propositions de directives relatives à l’immigration légale, mentionne le fait que chacune de ces propositions – dont celle relative au droit au regroupement familial – contient une disposition dite d’« ordre public » dont l’invocation devait s’appuyer exclusivement, selon les prévisions de la Commission, sur le comportement personnel du ressortissant d’État tiers concerné (39). Pour autant, cela ne saurait occulter que l’absence de référence dans la directive 2003/86 à un tel comportement est le résultat d’un choix délibéré du législateur de l’Union.
36. Pour leur part, les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86 publiées par la Commission à la suite du rapport sur la mise en œuvre de ladite directive (40) indiquent que « la personne qui souhaite se voir accorder le regroupement familial ne devrait pas constituer une menace pour l’ordre public » (41) tout en reconnaissant que la définition de la raison d’ordre public appartient en large partie aux États membres dans le respect des limites fixées dans la jurisprudence de la Cour EDH et de la Cour. Toutefois, elles envisagent aussi une application mutatis mutandis de la jurisprudence relative à la raison d’ordre public développée dans le cadre de l’interprétation de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (42). Or, c’est essentiellement de cette jurisprudence que naissent les doutes de la juridiction de renvoi dans la mesure où la notion de « menace actuelle, réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société » a d’abord été développée, dans la jurisprudence de la Cour, par rapport aux citoyens de l’Union avant d’être appliquée avec quelques nuances à d’autres situations régies par le droit de l’Union, mais qui ne concernaient pas nécessairement ses citoyens. Puisque l’analyse de la directive 2003/86 n’a révélé aucune indication qui irait dans le sens de l’exigence d’une telle menace, venons-en maintenant à l’examen de la jurisprudence de la Cour.
2. L’exigence d’une menace actuelle, réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société en présence d’un soupçon d’infraction ou d’une condamnation pénale dans la jurisprudence de la Cour
a) Exposé de la jurisprudence de la Cour
37. C’est dans son arrêt Bouchereau (43) que la Cour a, pour la première fois, jugé que l’existence d’une condamnation pénale ne pouvait être retenue, pour la mise en œuvre d’une limitation à la libre circulation des ressortissants des États membres pour des raisons d’ordre public, que dans la mesure où les circonstances qui ont donné lieu à cette condamnation faisaient apparaître « l’existence d’un comportement personnel constituant une menace actuelle pour l’ordre public » (44). Elle a ajouté alors que si, « en général, la constatation d’une menace de cette nature implique chez l’individu concerné l’existence d’une tendance à maintenir ce comportement à l’avenir, il peut arriver aussi que le seul fait du comportement passé réunisse les conditions de pareille menace pour l’ordre public » (45), ce qu’il appartenait aux juridictions nationales de vérifier « compte tenu de la condition juridique particulière des personnes relevant du droit communautaire et du caractère fondamental du principe de la libre circulation des personnes » (46). Avant cela, la Cour avait relevé que la directive qu’elle était invitée à interpréter, qui entendait coordonner les régimes nationaux relatifs à la police des étrangers, visait à protéger les ressortissants des États membres « contre un exercice des pouvoirs résultant de l’exception relative aux limitations justifiées par les raisons d’ordre public [...] qui irait au-delà des nécessités qui constituent la justification d’une exception au principe fondamental de la libre circulation des personnes » (47).
38. L’exigence de fonder une décision dérogeant à une liberté fondamentale sur le comportement personnel de l’individu concerné constitutif d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société a donc été initialement développée dans le contexte de la libre circulation des personnes, puis répétée (48), avant d’être codifiée, comme chacun sait, dans la directive 2004/38 (49).
39. Cela étant, à plusieurs reprises, la Cour a étendu l’application de cette exigence à des champs moins directement liés ou pas du tout liés à la libre circulation des citoyens de l’Union.
40. Ainsi, dans son arrêt Commission/Espagne (50), la Cour a jugé qu’un État membre manquait à ses obligations découlant de la même directive que celle interprétée dans l’arrêt Bouchereau (51) dès lors qu’il refusait l’entrée sur le territoire de l’Union à un ressortissant d’État tiers conjoint d’un citoyen de l’Union en se basant sur la seule circonstance que ce ressortissant avait fait l’objet d’un signalement dans le système d’information Schengen (SIS). Après avoir rappelé que l’exception d’ordre public constituait une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des personnes et devait être entendue strictement sans pouvoir être déterminée unilatéralement par les États membres (52), la Cour a dit pour droit que le recours par une autorité nationale à la notion d’« ordre public» « suppose en tout état de cause l’existence en dehors du trouble social que constitue toute infraction à la loi d’une menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société » (53). La Cour a également fait le lien dans cet arrêt entre l’interprétation stricte de la notion d’« ordre public » et la protection du droit du citoyen de l’Union au respect de sa vie familiale (54). Dans ces conditions, le refus d’entrée d’un ressortissant d’État tiers conjoint d’un citoyen de l’Union ne peut être opposé que si le signalement dans le SIS est corroboré par des informations permettant de constater que la présence de ce ressortissant d’État tiers constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société (55).
41. La Cour a, par ailleurs, jugé à propos de l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (56), qui prévoit la possibilité pour les États membres d’abréger le délai de départ volontaire lorsque la personne concernée constitue un « danger pour l’ordre public », que cette dernière notion doit être appréciée au cas par cas, en vérifiant si le comportement personnel du ressortissant d’État tiers concerné constitue un danger réel et actuel pour l’ordre public (57). Excluant toute pratique qui reposerait sur des considérations générales ou une quelconque présomption, la Cour a jugé que le fait qu’un tel ressortissant « est soupçonné d’avoir commis un acte punissable qualifié de délit ou de crime en droit national ou a fait l’objet d’une condamnation pénale pour un tel acte ne saurait, à lui seul, justifier que ce ressortissant soit considéré comme constituant un danger pour l’ordre public au sens de l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2008/115 » (58). Néanmoins, un État membre peut constater l’existence d’un danger pour l’ordre public en présence d’une condamnation pénale lorsque cette condamnation « prise ensemble avec d’autres circonstances relatives à la situation de la personne concernée justifie un tel constat » (59). Dans le même ordre d’idées, la simple suspicion qu’un tel ressortissant a commis un délit ou un crime peut, « ensemble avec d’autres éléments relatifs au cas particulier » (60), fonder un constat de danger pour l’ordre public, toujours au sens de la disposition concernée. Ce faisant, la Cour a rappelé que les États membres restent libres pour l’essentiel de déterminer les exigences de la notion d’« ordre public » conformément à leurs besoins nationaux (61). Dans ce contexte, l’application de la solution résultant de l’arrêt Bouchereau (62) n’apparaît justifiée ni par la dérogation à la libre circulation des citoyens de l’Union ni par leur droit au regroupement familial, mais par le fait que cette directive consacrait une dérogation à une obligation conçue dans le but d’assurer le respect des droits fondamentaux des ressortissants d’États tiers lors de leur éloignement de l’Union (63).
42. Dans son arrêt N. (64), la Cour a rappelé sa jurisprudence devenue de principe sur la notion d’« ordre public », laquelle suppose en tout état de cause l’existence, en dehors du trouble social que constitue une infraction à la loi, d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société (65) pour l’appliquer dans le contexte de l’interprétation de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (66). Partant, le placement ou le maintien en rétention d’un demandeur de protection internationale pour des raisons liées à l’ordre public ne se justifie « qu’à la condition que son comportement individuel représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société » (67). Ici, c’est en raison du caractère exceptionnel de la rétention, utilisée seulement en dernier ressort (68), que la Cour a entendu encadrer strictement le pouvoir reconnu aux autorités nationales (69).
43. Invitée, dans l’arrêt T. (70), à interpréter la raison d’ordre public dans le contexte de la directive 2004/83/CE (71), la Cour, après avoir relevé que cette directive ne définissait pas l’ordre public, a rappelé l’interprétation qu’elle avait déjà fournie de cette notion dans le contexte de la directive 2004/38. Bien que ces deux directives poursuivent des objectifs différents, la Cour a jugé que la jurisprudence développée en rapport avec cette dernière était pertinente en l’espèce dès lors que « l’étendue de la protection qu’une société entend accorder à ses intérêts fondamentaux ne saurait varier en fonction du statut juridique de la personne qui porte atteinte à ces intérêts ». La Cour a ensuite dit pour droit qu’une autorité nationale ne pouvait se fonder, pour priver un réfugié de son titre de séjour pour des raisons liées à l’ordre public, sur la seule circonstance de son soutien à une organisation terroriste puisque, dans un tel cas, ladite autorité ne procède pas à une « évaluation individuelle de faits précis » (72).
b) Conclusion pour notre analyse
44. Si l’on devait, à ce stade, se risquer à une tentative de systématisation de la jurisprudence de la Cour sur les raisons d’ordre public, l’on pourrait avancer que la Cour a généralisé la solution résultant de l’arrêt Bouchereau (73) pour interpréter de manière uniforme les raisons d’ordre public invoquées pour mettre en œuvre une dérogation à une liberté fondamentale ou à un droit fondamental. Dès lors, la notion d’« ordre public » requerrait en tout état de cause l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société fondée sur le comportement personnel de l’individu concerné.
45. Un tel constat me semble toutefois un peu rapide.
46. Tout d’abord se pose la question de la possible conciliation d’une telle généralisation de l’exigence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société avec un autre élément récurrent dans la jurisprudence de la Cour selon lequel, certes, il n’est pas possible de concevoir une définition unilatérale par les États membres des raisons d’ordre public, mais ces derniers restent néanmoins libres de déterminer les exigences de l’ordre public conformément à leurs besoins nationaux (74).
47. Ensuite, un tel constat se heurterait à un autre courant jurisprudentiel incarné par l’arrêt Fahimian (75). Dans cet arrêt, il s’agissait de déterminer si un État membre pouvait refuser l’entrée à une ressortissante iranienne demandant un visa à des fins d’études (76) en Allemagne pour des raisons tirées de la sécurité publique sans nécessairement fonder sa décision sur le comportement personnel de l’intéressée et la menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société concerné que ce comportement était supposé constituer. Or, la Cour a, dans ce cas, expressément exclu de faire application de la solution résultant de l’arrêt Bouchereau (77) pour deux raisons essentielles : d’abord, parce qu’un des considérants de la directive en question envisageait que la menace puisse être seulement potentielle (78) ; ensuite, parce que l’appréciation de la situation individuelle du demandeur de visa impliquait de la part des autorités des évaluations complexes et qu’une large marge d’appréciation lors de l’évaluation des faits pertinents devait, par conséquent, être laissée aux autorités nationales (79).
48. Dans ses conclusions dans l’affaire Fahimian (80), l’avocat général Szpunar avait relevé que le contexte dans cette affaire était « tout à fait différent de celui du marché intérieur » et que « [l]e domaine spécifique du droit de l’immigration de l’Union européenne sous-entend qu’un ressortissant d’un pays tiers ne jouit pas des mêmes droits qu’un ressortissant d’un État membre, c’est-à-dire d’un citoyen de l’Union » (81).
49. Et, en effet, de deux choses l’une. Soit nous pouvons nous représenter les raisons d’ordre public comme des cercles concentriques dont le citoyen de l’Union est l’épicentre. Plus on s’éloigne de ce centre et du statut fondamental reconnu au citoyen de l’Union, plus la marge laissée aux États membres en matière d’appréciation de la raison d’ordre public est grande.
50. Soit il s’agit de considérer que la marge des États membres est limitée dès lors qu’elle doit être exercée dans le contexte d’une restriction à un droit fondamental, comme, en l’espèce, le droit de mener une vie familiale garanti par l’article 7 de la Charte et par l’article 8 de la CEDH. Dans ce cas, ce que le droit de l’Union protégerait alors particulièrement ne serait pas tant le statut fondamental du citoyen de l’Union que les titulaires du droit au respect de la vie familiale, qui ne se limitent pas aux seuls citoyens de l’Union.
51. Or, à l’instar de l’avocat général Szpunar, j’estime qu’il doit être tenu compte de la différence de contexte qui caractérise les présentes espèces par rapport à celle ayant donné lieu à l’arrêt Bouchereau (82). Cette différence, découlant notamment de la base juridique de la directive 2003/86 rappelée plus haut (83), à laquelle s’ajoute l’absence de mention expresse (84), dans le texte de l’article 6 de ladite directive, à une telle exigence qui résulte, comme on l’a vu, d’une volonté manifeste du législateur de l’Union, s’oppose donc, d’après moi, à une transposition de la solution résultant de l’arrêt Bouchereau (85) dans les affaires aujourd’hui soumises à l’examen de la Cour.
52. Cela étant, sans exiger une motivation fondée sur le comportement personnel du ressortissant d’État tiers devant constituer une menace actuelle, réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société, je demeure convaincu que la marge d’appréciation des autorités nationales peut être autrement encadrée dans un impératif d’exclure tout arbitraire et de garantir la jouissance des droits fondamentaux dont sont titulaires les ressortissants d’États tiers.
3. L’encadrement de la marge d’appréciation des États membres
53. À mon sens, cet encadrement résulte à suffisance des éléments qui suivent.
54. Premièrement, à propos de la directive 2003/86, la Cour a déjà jugé que le regroupement familial couvre tant la formation de la famille que le maintien de l’unité familiale (86). Le regroupement familial est la règle générale, de sorte que l’utilisation de la marge de manœuvre des États membres pour, le cas échéant, y déroger ne doit pas conduire à porter atteinte à l’objectif même de la directive 2003/86, qui est donc de favoriser le regroupement familial, ainsi qu’à son effet utile (87).
55. Deuxièmement, comme je l’ai relevé plus haut, la directive 2003/86 est placée sous l’égide de l’article 8 de la CEDH auquel correspond l’article 7 de la Charte (88). Pour qu’elles respectent l’article 8 de la CEDH, la Cour EDH a jugé que les décisions des États contractants devaient « se révéler nécessaires dans une société démocratique, c’est-à-dire justifiées par un besoin social impérieux et notamment proportionnées au but légitime poursuivi » (89). La Cour EDH s’assure donc que les décisions concernées respectent « un juste équilibre entre les intérêts en présence, à savoir, d’une part, le droit de l’intéressé au respect de sa vie familiale, et, d’autre part, la protection de l’ordre public et la prévention des infractions pénales » (90). Pour cela, elle a défini des « principes directeurs pour examiner si la mesure était nécessaire dans une société démocratique » (91). La Cour EDH prend alors en compte la situation particulière de l’individu visé par la décision contestée et en particulier « la nature et la gravité de l’infraction commise [...], la durée de son séjour dans le pays où il va être expulsé, la période qui s’est écoulée depuis la perpétration de l’infraction ainsi que la conduite de l’intéressé pendant cette période, la nationalité des diverses personnes concernées, la situation familiale [...] par exemple la durée [du] mariage, et d’autres éléments dénotant le caractère effectif de la vie familiale d’un couple, le point de savoir si le conjoint était au courant de l’infraction au début de la relation familiale, la naissance d’enfants légitimes et, le cas échéant, leur âge » (92). À cela s’ajoute l’examen de « la gravité des difficultés que risque de connaître le conjoint dans le pays d’origine de son époux ou épouse » (93).
56. Troisièmement, l’article 6, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2003/86 impose aux États membres de prendre en considération, au moment de retirer un titre de séjour ou de refuser de le renouveler pour des raisons liées à l’ordre public, « la gravité ou [...] la nature de l’infraction à l’ordre public [...] commise par le membre de la famille, ou des dangers que cette personne est susceptible de causer ». Les parties à la présente procédure ont des avis divergents sur le point de savoir si cet alinéa ne s’impose que dans le cas d’une décision adoptée sur le fondement de l’article 6, paragraphe 2, de cette directive ou également dans le cas d’une décision prise sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, c’est-à-dire le rejet d’une demande d’entrée. Eu égard à la structure de l’article 6, paragraphe 2, de la même directive, l’on pourrait penser que le respect du second alinéa de cette disposition ne s’impose que dans le cas d’une décision visant un membre de la famille déjà présent sur le territoire de l’Union. Toutefois, la directive 2003/86 devant être mise en œuvre conformément à l’article 8 de la CEDH tel qu’interprété par la Cour EDH (94), et cette dernière prescrivant précisément que de tels éléments soient pris en compte sans les limiter aux seuls cas d’un retrait du titre de séjour ou du refus de son renouvellement (95), ils apparaissent également pertinents au moment de statuer sur une demande de titre de séjour pour pouvoir entrer sur le territoire de l’Union à des fins de regroupement familial.
57. Quatrièmement, l’article 17 de la directive 2003/86 prévoit que, dans le cas d’un rejet d’une demande de séjour, de retrait ou de non‑renouvellement du titre de séjour – soit dans tous les cas visés à l’article 6 de ladite directive – ainsi qu’en cas d’éloignement du regroupant ou des membres de sa famille, « [l]es États membres prennent dûment en considération la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l’État membre, ainsi que l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d’origine ».
58. Cinquièmement, enfin, la Cour a déjà jugé que, dans la mise en œuvre de la directive 2003/86 et, en particulier, au moment d’exercer la marge d’appréciation que cette dernière leur laisse, les États membres doivent respecter le principe de proportionnalité (96).
4. Application aux cas d’espèce
59. Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 6 de la directive 2003/86 commande aux autorités nationales d’apprécier chaque situation individuelle en fonction des circonstances qui la caractérisent. En raison de l’incidence d’une décision adoptée sur ce fondement sur le droit au regroupement familial, et afin de préserver l’effet utile de cette directive, toute pratique décisionnaire qui conduirait en réalité à des rejets systématiques reposant sur des considérations générales – donc sans rapport avec la situation individuelle devant être examinée – ou sur des présomptions serait contraire à cette disposition.
60. Reste donc à vérifier si, à la lumière de ces considérations, la pratique des autorités néerlandaises, qui sont tenues, dans leur prise de décision, par le cadre d’évaluation défini par le droit national, peut se révéler conforme à ces prescriptions. Si cette tâche incombe, en premier lieu, à la juridiction de renvoi, il est d’ores et déjà possible de fournir les éléments d’analyse suivants.
61. En ce qui concerne le cas de G.S., son autorisation de séjour en tant que membre de la famille déjà présent sur le territoire de l’Union pouvait être retirée par les autorités néerlandaises pour des raisons liées à l’ordre public dès lors qu’il représentait un danger pour l’ordre public. Pour ce faire, ces autorités ont eu recours à une échelle mobile permettant de déterminer si, une fois qu’une décision pénale définitive est intervenue, il est possible d’envisager le retrait de l’autorisation. Cette échelle met en rapport la sévérité de la peine avec la durée du séjour. Autrement dit, plus le ressortissant d’État tiers a séjourné longtemps et régulièrement aux Pays-Bas, mieux il est protégé contre une décision de retrait. Selon le gouvernement néerlandais, seuls les cas dans lesquels un des seuils indiqués est atteint feront l’objet d’une appréciation globale afin de déterminer s’il y a lieu de retirer l’autorisation de séjour, de sorte qu’il ne semble pas y avoir d’automaticité entre l’infliction d’une peine dont la durée se révélerait importante par rapport à la durée du séjour aux Pays-Bas et le retrait de l’autorisation. Il existe trois échelles mobiles différentes, à savoir une pour les infractions mineures (moins de six ans de prison), une pour les infractions graves (plus de six ans de prison) et une, enfin, pour les cas de récidive. En cas de séjour d’une durée de plus de dix ans, l’autorisation de séjour n’est retirée qu’en cas d’infraction très grave. Dans le cas de G.S., le retrait ne pouvait être envisagé qu’en cas de condamnation définitive à une peine d’au moins trois ans de prison en cas de séjour aux Pays‑Bas d’une durée égale ou supérieure à trois ans. Le gouvernement néerlandais insiste sur le fait que, même en pareilles circonstances, le retrait n’est pas automatique et que les échelles mobiles ne servent qu’à déterminer les cas dans lesquels un retrait est possible, sans pour autant qu’elles exemptent les autorités nationales de leur obligation de mettre en balance, par la suite, les intérêts en présence, en appréciant notamment les critères dégagés par la Cour EDH relativement à l’article 8 de la CEDH, avant de statuer. Il appartient à la juridiction de renvoi de s’assurer de cette non‑automaticité et qu’une décision de retrait d’une autorisation de séjour est effectivement motivée sur la base de faits et circonstances spécifiques au cas d’espèce. Sous réserve de cette vérification, l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2003/86, lu en combinaison avec l’article 17 de cette même directive, ne semble donc pas s’opposer au cadre d’évaluation défini par le droit néerlandais pour guider les autorités nationales dans leur prise de décision.
62. En ce qui concerne V.G., il ressort de la demande de décision préjudicielle que le refus de lui délivrer un titre de séjour a été fondé sur le fait qu’il représentait un danger pour l’ordre public néerlandais. Les autorités néerlandaises se sont fondées sur les condamnations de V.G. à une peine de travail en 2010 et à des amendes en 2000, 2008 et 2009. Si la demande de titre de séjour à des fins de regroupement familial ne peut plus, en principe, être rejetée lorsque cinq années se sont écoulées depuis la date du dernier crime ou délit commis, la juridiction de renvoi indique qu’une telle règle ne trouvait pas à s’appliquer à V.G. dès lors qu’il avait été condamné en état de récidive. Or, si le seul constat d’une condamnation en état de récidive devait suffire pour rejeter automatiquement une demande d’entrée d’un ressortissant d’État tiers, membre de la famille d’un autre ressortissant d’État tiers (97) déjà présent sur le territoire de l’Union, force serait de constater qu’une telle règle serait contraire à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2003/86 lu ensemble avec l’article 17 de cette directive (98). Si, comme le soutient le gouvernement néerlandais, le rejet d’une telle demande pour ces motifs ne devait finalement pas apparaître automatique – ce dont la juridiction de renvoi devra s’assurer – puisque les autorités néerlandaises seraient encore tenues de mettre en balance les intérêts en présence, c'est-à-dire la protection de l’ordre public avec le droit au respect de sa vie familiale, en suivant notamment les critères énoncés dans la jurisprudence de la Cour EDH et rappelés ci-dessus et en procédant à une évaluation de chaque cas en fonction des faits et circonstances spécifiques connus des autorités (99), alors une telle pratique décisionnaire se révélerait également conforme à ces dispositions.
V. Conclusion
63. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Raad van State (Conseil d’État, Pays-Bas) :
1) La Cour est compétente, au titre de l’article 267 TFUE, pour interpréter l’article 6 de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial dans une situation telle que celle en cause au principal dans laquelle la juridiction de renvoi est appelée à se prononcer sur le refus d’une demande d’entrée et de séjour opposé à un ressortissant d’État tiers membre de la famille d’un citoyen de l’Union qui n’a pas fait usage de sa liberté de circulation dès lors que cette disposition a été rendue applicable à de telles situations de manière directe et inconditionnelle par le droit national.
2) L’article 6, paragraphe 2, de la directive 2003/86, lu ensemble avec l’article 17 de cette directive, ne s’oppose pas à une pratique nationale en vertu de laquelle un ressortissant d’État tiers, titulaire d’une autorisation de séjour à des fins de regroupement familial avec un autre ressortissant d’État tiers présent sur le territoire de l’Union, qui a fait l’objet d’une condamnation à une peine de prison, se voit opposer une décision de retrait ou de non-renouvellement de son autorisation de séjour pour des raisons d’ordre public dès lors que l’appréciation au cas par cas des autorités nationales se fonde non seulement sur la gravité de l’infraction commise et de la peine prononcée à son égard, qui doit être mise en rapport avec la durée du séjour sur le territoire de l’État membre concerné, mais également sur une mise en balance des intérêts en présence. À cette fin, lesdites autorités doivent tenir dûment compte de l’ensemble des circonstances pertinentes et, en particulier, de la nature et de la solidité des liens familiaux ainsi que de l’existence d’attaches familiales, culturelles et sociales dans le pays d’origine du ressortissant d’État tiers auquel elles envisagent de retirer ou de ne pas renouveler son autorisation de séjour. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier que la pratique des autorités nationales est conforme à ces exigences.
3) L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2003/86, lu ensemble avec l’article 17 de cette directive, ne s’oppose pas à une pratique nationale en vertu de laquelle un ressortissant d’État tiers, membre de la famille d’un autre ressortissant d’État tiers présent sur le territoire d’un État membre, et souhaitant l’y rejoindre au titre du regroupement familial, qui a fait l’objet de plusieurs condamnations pénales en état de récidive, se voit opposer une décision de refus de délivrer une autorisation de séjour dès lors que l’appréciation au cas par cas des autorités nationales se fonde non seulement sur le passé pénal du demandeur, mais également sur une mise en balance des intérêts en présence. À cette fin, lesdites autorités doivent dûment tenir compte de l’ensemble des circonstances pertinentes à leur disposition et, en particulier, de la nature et de la solidité des liens familiaux ainsi que de l’existence d’attaches familiales, culturelles et sociales dans le pays d’origine. Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier que la pratique des autorités nationales est conforme à ces exigences.
1 Langue originale : le français.
2 JO 2003, L 251, p. 12.
3 Voir arrêt du 9 juillet 2015, K et A (C‑153/14, EU:C:2015:453, point 46 et jurisprudence citée).
4 Stb. 2000, nº 497.
5 Stb. 2000, nº 495.
6 Pour plus de détails sur cette échelle mobile, voir point 61 des présentes conclusions.
7 Arrêt du 11 juin 2015 (C‑554/13, EU:C:2015:377).
8 Arrêt du 24 juin 2015 (C‑373/13, EU:C:2015:413).
9 Arrêt du 11 juin 2015 (C‑554/13, EU:C:2015:377).
10 Arrêt du 24 juin 2015 (C‑373/13, EU:C:2015:413).
11 La juridiction de renvoi invoque ici en particulier les arrêts du 24 juin 2015, T. (C‑373/13, EU:C:2015:413, point 79) et du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 65).
12 Respectivement Cour EDH, 2 août 2001 (CE:ECHR:2001:0802JUD005427300) et Cour EDH, 18 octobre 2006 (CE:ECHR:2006:1018JUD004641099), ci-après, respectivement, l’« arrêt Boultif » et l’« arrêt Üner ».
13 Arrêt du 27 juin 2006 (C‑540/03, EU:C:2006:429).
14 Arrêt du 4 avril 2017 (C‑544/15, EU:C:2017:255).
15 Arrêt du 18 octobre 2012 (C‑583/10, EU:C:2012:638).
16 Arrêt du 19 décembre 2013 (C‑84/12, EU:C:2013:862).
17 Arrêt du 4 avril 2017 (C‑544/15, EU:C:2017:255).
18 Arrêt du 19 décembre 2013 (C‑84/12, EU:C:2013:862).
19 Arrêt du 11 juin 2015 (C‑554/13, EU:C:2015:377).
20 Arrêt du 24 juin 2015 (C‑373/13, EU:C:2015:413).
21 Arrêt du 15 février 2016 (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84).
22 La juridiction invoque également l’arrêt du 4 mars 2010, Chakroun (C‑578/08, EU:C:2010:117).
23 Voir arrêt du 8 mai 2013, Ymeraga e.a. (C‑87/12, EU:C:2013:291, point 27).
24 Arrêt du 7 novembre 2018 (C‑257/17, EU:C:2018:876).
25 Arrêt du 7 novembre 2018 (C‑257/17, EU:C:2018:876).
26 Arrêt du 7 novembre 2018 (C‑257/17, EU:C:2018:876).
27 Arrêt du 7 novembre 2018, C et A (C‑257/17, EU:C:2018:876, point 39).
28 Arrêt du 7 novembre 2018, C et A (C‑257/17, EU:C:2018:876).
29 Voir arrêt du 4 mars 2010, Chakroun (C‑578/08, EU:C:2010:117, point 44).
30 Considérant 4 de la directive 2003/86.
31 Considérant 14 de la directive 2003/86.
32 Voir considérant 14 de la directive 2003/86.
33 Voir considérant 14 de la directive 2003/86.
34 Parmi une jurisprudence abondante, voir arrêts du 24 juin 2015, T. (C‑373/13, EU:C:2015:413, point 58), et du 4 avril 2017, Fahimian (C‑544/15, EU:C:2017:255, point 30 et jurisprudence citée).
35 Article 6, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive 2003/86.
36 Italique ajouté par mes soins.
37 La raison pour laquelle cela ne peut être déterminant est que les versions linguistiques ne semblent pas toutes contenir cette nuance dans la mesure où – sans prétendre à l’exhaustivité – l’article 6, paragraphe 2, alinéa 2, de la directive 2003/86 se réfère au « peligro que impliqua dicha persona » (version en langue espagnole), aux « pericoli rappresentati da questa persona » (version en langue italienne), au « het risico dat van die persoon uitgaat » (version en langue néerlandaise) ou encore aux « dangers that are emanating from such person » (version en langue anglaise).
38 Voir, pour comparaison, article 6, paragraphe 3, de la proposition modifiée de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial [COM(2002) 225 final] (JO 2002, C 203 E, p. 136) et article 8, paragraphe 2, de la proposition modifiée de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial [COM(2000) 624 final] (JO 2001, C 62 E, p. 99).
39 Voir point 4.4 du « Rapport entre la sauvegarde de la sécurité intérieure et le respect des obligations et des instruments internationaux en matière de protection » document de travail de la Commission [COM(2001) 743 final du 5 décembre 2001].
40 Respectivement Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86 relative au droit au regroupement familial [COM(2014) 210 final du 3 avril 2014] (ci-après les « lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86 ») et rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la directive 2003/86 [COM(2008) 610 final du 8 octobre 2008].
41 Point 4.1 des lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86.
42 JO 2004, L 158, p. 77.
43 Arrêt du 27 octobre 1977 (30/77, EU:C:1977:172).
44 Arrêt du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, EU:C:1977:172, point 28). Une telle exigence avait déjà été consacrée dans l’arrêt du 28 octobre 1975, Rutili (36/75, EU:C:1975:137) à propos d’une décision restreignant la liberté de circulation en France d’un ressortissant italien en raison de ses activités politiques et syndicales (voir, en particulier, point 28 de cet arrêt).
45 Arrêt du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, EU:C:1977:172, point 29).
46 Arrêt du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, EU:C:1977:172, point 30).
47 Arrêt du 27 octobre 1977, Bouchereau (30/77, EU:C:1977:172, point 15).
48 Parmi une jurisprudence abondante, voir arrêt du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri (C‑482/01 et C‑493/01, EU:C:2004:262, point 66).
49 Voir, plus précisément, article 27, paragraphe 2, de la directive 2004/38.
50 Arrêt du 31 janvier 2006 (C‑503/03, EU:C:2006:74).
51 Arrêt du 27 octobre 1977 (30/77, EU:C:1977:172)
52 Voir arrêt du 31 janvier 2006, Commission/Espagne (C‑503/03, EU:C:2006:74, point 45).
53 Arrêt du 31 janvier 2006, Commission/Espagne (C‑503/03, EU:C:2006:74, point 46). Italique ajouté par mes soins.
54 Voir arrêt du 31 janvier 2006, Commission/Espagne (C‑503/03, EU:C:2006:74, point 47).
55 Voir arrêt du 31 janvier 2006, Commission/Espagne (C‑503/03, EU:C:2006:74, point 53 ; voir également point 55).
56 JO 2008, L 348, p. 98.
57 Voir arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 50).
58 Arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 50). Italique ajouté par mes soins.
59 Arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 51). Italique ajouté par mes soins.
60 Arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 52).
61 Voir arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 52).
62 Arrêt du 27 octobre 1977 (30/77, EU:C:1977:172).
63 Voir arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 48).
64 Arrêt du 15 février 2016 (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84). Dans cette affaire, le requérant au principal avait été condamné entre 1999 et 2015 à 21 reprises pour diverses infractions.
65 Voir point 65 de l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84).
66 JO 2013, L 180, p. 96. En particulier, l’arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84), concernait l’article 8, paragraphe 3, premier alinéa, sous e), de la directive 2013/33.
67 Arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 67).
68 Voir arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 63).
69 Voir arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 64).
70 Arrêt du 24 juin 2015 (C‑373/13, EU:C:2015:413).
71 Directive du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (JO 2004, L 304, p. 12).
72 Arrêt du 24 juin 2015, T. (C‑373/13, EU:C:2015:413, point 89).
73 Arrêt du 27 octobre 1977 (30/77, EU:C:1977:172).
74 Voir notamment arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 48).
75 Arrêt du 4 avril 2017 (C‑544/15, EU:C:2017:255).
76 La demande de visa était fondée sur la directive 2004/114/CE du Conseil, du 13 décembre 2004, relative aux conditions d’admission des ressortissants de pays tiers à des fins d’études, d’échange d’élèves, de formation non rémunérée ou de volontariat (JO 2004, L 375, p. 12).
77 Arrêt du 27 octobre 1977 (30/77, EU:C:1977:172).
78 Voir arrêt du 4 avril 2017, Fahimian (C‑544/15, EU:C:2017:255, point 40).
79 Voir arrêt du 4 avril 2017, Fahimian (C‑544/15, EU:C:2017:255, points 41 et 42).
80 Arrêt du 4 avril 2017 (C‑544/15, EU:C:2017:255).
81 Point 59 des conclusions de l’avocat général Szpunar dans l’affaire Fahimian (C‑544/15, EU:C:2016:908). Voir, dans le même ordre d’idées, point 119 des conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans les affaires jointes K. et H. (C‑331/16 et C‑366/16, EU:C:2017:973).
82 Arrêt du 27 octobre 1977 (30/77, EU:C:1977:172).
83 Voir point 29 des présentes conclusions.
84 À la différence notable de la directive 2004/38.
85 Arrêt du 27 octobre 1977 (30/77, EU:C:1977:172).
86 Voir arrêt du 4 mars 2010, Chakroun (C‑578/08, EU:C:2010:117, point 62).
87 Voir arrêt du 4 mars 2010, Chakroun (C‑578/08, EU:C:2010:117, point 43). Voir également arrêt du 9 juillet 2015, K et A (C‑153/14, EU:C:2015:453, point 50).
88 Voir explications ad article 7 de la Charte (JO 2007, C 303, p. 2).
89 Arrêt Boultif (CE:ECHR:2001:0802JUD005427300, § 46 et jurisprudence citée).
90 Arrêt Boultif (CE:ECHR:2001:0802JUD005427300, § 47).
91 Arrêt Boultif (CE:ECHR:2001:0802JUD005427300, § 48).
92 Cour EDH, 2 août 2001, Boultif c. Suisse (CE:ECHR:2001:0802JUD005427300, § 48). Voir également Cour EDH, 18 octobre 2006, Üner c. Pays-Bas (CE:ECHR:2005:0705JUD004641099, § 57). Les critères dégagés par la Cour EDH ont encore récemment été réitérés : voir Cour EDH, 9 avril 2019, I.M. c. Suisse (CE:ECHR:2019:0409JUD002388716, § 69 et 70).
93 Cour EDH, 2 août 2001, Boultif c. Suisse (CE:ECHR:2001:0802JUD005427300, § 48). Voir également Cour EDH, 18 octobre 2006, Üner c. Pays-Bas (CE:ECHR:2005:0705JUD004641099, § 57).
94 Voir arrêt du 4 mars 2010, Chakroun (C‑578/08, EU:C:2010:117, point 44).
95 Pour une application des critères dégagés dans les arrêts Boultif et Üner à une décision rejetant une demande de titre de séjour, voir Cour EDH, 1er mars 2018, E c. Allemagne (CE:ECHR:2018:0301JUD005868112, § 56 et 57).
96 Voir arrêt du 9 juillet 2015, K et A (C‑153/14, EU:C:2015:453, point 51).
97 Ou d’un ressortissant national, comme dans le cas d’espèce.
98 Si telle devait être la pratique des autorités nationales, la jurisprudence de la Cour EDH, selon laquelle la période qui s’est écoulée depuis la perpétration de l’infraction et la conduite de l’intéressé pendant cette période doivent être prises en considération, ne serait pas pleinement respectée.
99 Dans le cas d’une demande de première entrée, les informations à la disposition des autorités nationales pour procéder à l’évaluation du cas particulier peuvent, en effet, être plus limitées.
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